Georges Perec – La Disparition

Gallimard, 328 pages.

Georges Perec - La DisparitionMais comment a-t-il fait cela ? D’où est venue cette idée si simple, mais si difficile à mettre en œuvre ? Comment a-t-il travaillé sur un pareil texte ? Autant pour le lecteur qui sait à quoi s’attendre que celui qui ne connaît pas le principe de ce exercice sous contrainte, c’est époustouflant. C’est parce que Perec ne savait pas que c’était impossible qu’il l’a fait…

Il était une fois…

Le quatrième de couv’ de mon édition est de Bernard Pingaud, écrivain français qui a bien sur rendre hommage à ce roman :

« Trahir qui disparut, dans La disparition, ravirait au lisant subtil tout plaisir. Motus donc, sur l’inconnu noyau manquant – un rond pas tout à fait clos finissant par un trait horizontal -, blanc sillon damnatif où s’abîma un Anton Voyl, mais d’où surgit aussi la fiction. Disons, sans plus, qu’il a rapport à la vocalisation. L’aiguillon paraîtra à d’aucuns trop grammatical. Vain soupçon : contraint par son savant pari à moult combinaisons, allusions, substitutions ou circonclusions, jamais G.P. n’arracha au banal discours joyaux plus brillants ni si purs. Jamais plus fol alibi n’accoucha d’avatars si mirobolants. Oui, il fallait un grand art, un art hors du commun, pour fourbir tout un roman sans ça ! »

Critique de La Disparition

Paradoxalement, cela va être une des parties « critique » les plus courte de ce blog. Parce que je n’ai pas grand chose à critiquer, le style même de Perec mérite que ce soit examiné plus loin.

Toute ce qu’il faut savoir; c’est que l’auteur aime les défis, comme tout bon participant de l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle). Et il s’est attaqué à ce qui me paraît comme le plus ardu, à savoir se passer de la lettre E sur un roman. Avec un succès à la limite de l’insolent. C’est le livre à posséder, au moins afin de faire marrer vos potes qui n’ont jamais entendu parler de Georges P. ou pour vos enfants afin de leur montrer que la littérature peut être fandard.

Quant à l’histoire, je n’ai pas dépassé d’une traite les cinquante premières pages. Avec la révolte dans une grande ville. Le reste fut lut, de temps à autre, au petit bonheur la chance quand j’avais envie de me faire une cure sans E. Du coup Le Tigre est incapable de vous dire à quel point le scénario se tient, voire s’il y en a un. Je me souviens juste d’un nombre incroyable de digressions, répétitions, un peu comme un San-Antonio mais en mieux.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La littérature sous contrainte. C’est le cas typique d’un mec, déjà talentueux, qui veut poser la barre un peu plus haut. Et cette pauvre lettre est supprimée à tous les niveaux, c’est impressionnant. 25 chapitres, il manque le cinquième par exemple. Pour vous donner une idée du boulot, voici un court passage. Vous remarquerez que tout lecteur devra se munir d’un dictionnaire pour comprendre de quoi il retourne. Comme Tigre est dodécaphile, ce sera naturellement la 144ème page (qui est très avare en mots) :

Douglas Haig grandissait. La paix s’installa dans la maison. Six ans durant, l’on n’y connut qu’amicaux plaisirs.
Aux frondaisons du parc, la coruscation d’un automnal purpurin, chatoyant, mordorait d’un brun chaud l’azur frisonnant sous l’influx coulis du noroît…

Derrière cette disparition, pointe l’air de rien l’absence en général. L’absence d’une lettre certes, mais en regardant de plus prêt la bio de l’écrivain français, there is more to it thant meet the eyes… Écrit en 1968, année des « évènements » en France (et la disparition, pour une partie de la population, de certaines valeurs), le début du roman fait la part belle à la révolte. Mais cela dégénère en une violence qui n’a rien à voir avec mai 68, mais rappelle plutôt les premiers troubles dus aux Nazis. Perec, en effet, sait de quoi il parle avec ses parents trop tôt disparus (père tombé au combat, mère déportée).

…à rapprocher de :

– Bien sûr, Perec a récidivé avec un bouquin « contraire ». C’est Les Revenentes, avec comme unique voyelle le E.

– Dans quelque chose de plus « léger » mais tout aussi grandiose, vous apprécierez sûrement Exercices de style, de Queneau.

Enfin, si votre libraire est fermé, vous pouvez trouver cet OVNI littéraire en ligne ici.

6 réflexions au sujet de « Georges Perec – La Disparition »

  1. Ping : Georges Perec – Les Revenentes | Quand Le Tigre Lit

  2. Oh ! Nom d’un castor à tutu, pas manchot l’animal !
    Joli pari, affront grammatical assouvit ici haut la main par G.P. via « La Disparition ». Nous pouvons l’applaudir, à trois mains au moins.
    Nous dirons bravo, salut l’ami !

    (Au fait, sois sympa, ponds-nous aussi un manuscrit, là-haut, au paradis…
    Dis-nous : ça vaut quoi ? pour ma part j’y crois pas mais… sait-on jamais ?)

    PS : bisous Tigrou ! (diminutif imitant ton vrai nom, façon « disparition »)

    • Zut alors…bravo pour ton but accompli, grand plaisir à voir ton travail sur QLTL sans « rond pas tout à fait clos finissant par un trait horizontal » (dos du roman copyright).
      Bisous aussi by Tigrou (fort délicat by zi way, l’oulipo « Disparition »).

      • « fort d***licat by zi way »… mais…dis-donc…
        -1 point Tigrou ! puni, au coin ! :p

        Du Franglais d’accord, mais un trait mis sur l’inconnu-disparu-arrondi n’autorisant pas pour autant son utilisation, la citation du haut, pourtant fort à propos, produit ici un son tabou, banni.
        Taquin va !

        Salutations, gros matou poilu 😉

  3. Ping : Raymond Queneau – Exercices de style | Quand Le Tigre Lit

  4. Ping : DodécaTora, Chap.IW : 12 objets littéraires à peine identifiés | Quand Le Tigre Lit

Répondre à MLK Annuler la réponse.