Kem Nunn – Le sabot du diable

Folio Policier, 507 pages.

Kem Nunn - Le sabot du diableVO : Dogs of Winter. Il faut avouer que Gallimard se rate rarement sur les jaquettes des Folio Policiers. Toujours significatives. Voici la vague prétexte au présent roman : une photo tant recherchée l’immortalisant, avec un surfeur qu’on devine de renom. La pression autour de l’homme aussi, et la nécessaire fuite en avant pour ne pas se faire couler. Un peu long et moins bon que Le Tigre l’escomptait.

Il était une fois…

Jack Fletcher (nom qui n’a rien à voir avec un certain membre des Depeche Mode) est un photographe de talent qui avait son petit succès. Maintenant qu’il est plus ou moins sur la touche on lui propose de photographier Drew, ancienne grande icône du surf qui a expressément demandé que ce soit Jack qui s’en charge. Bien sûr le spot magnifique où la grande vague est attendue est au fin fond de la Californie, en pleine réserve indienne. Avec les personnages fantasques qui y vont ça va forcément être délicat.

Critique du Sabot du diable

Kem Nunn est décidément bien porté sur le surf. Ce second roman en est une preuve éclatante : le vocabulaire, l’ambiance, la philosophie du surf sont poussés très loin dans cet ouvrage. Si on rajoute la misère des Indiens de Californie du Nord, un peu de magie (noire et blanche), un spot légendaire et quasiment introuvable avec des vagues de quinze mètres pas étonnant qu’on arrive à 500 pages au final.

Le Tigre était un peu confus au début, j’ai mis un certain temps avant de m’approprier les personnages, sentir l’ambiance, différencier les lieux et enjeux. Puis à force je m’y suis fait, les qualités de narration (et description) de Nunn restent assez plaisantes.Les 100 dernières pages peuvent être un peu poussives, tout comme les premières où il n’est pas impossible de lâcher. Les personnages sont bien construits : un photographe un peu paumé qui est un peu dépassé, surtout quand on voit les dégâts que la virée pour une misérable photo provoque ; un vieux surfeur, absorbé par sa tâche et jouissant d’un charisme et d’une aura de « sage » pas forcément justifiée.

Si on rajoute une femme un peu jetée, cet ouvrage semble quand même plus abouti et mature de la part de cet auteur : plus long, plus profond, plus contemplatif grâce à des situations sociologiques assez difficiles mais pour lesquelles le lecteur peut avoir son avis. Paradoxalement, plus décevant que Surf City, dans la mesure où on s’éloigne du polar pur (moins de morts, pas de tueurs) pour lire un « roman d’épreuves », un parcours que les protagonistes ne voulaient pas et n’imaginaient même pas.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Les Indiens occupent une place déterminante dans le déroulement de l’intrigue. Parce que voulant passer vers le spot par la mer, les compères font appel à des locaux qui connaissent bien les courants. Hélas un des jeunes indiens meurt, et cela rend plutôt colère le reste de la troupe. Mais derrière des escarmouches de part et d’autre Kem Nunn nous présente surtout la misère de ce peuple, parqué dans des endroits pas possibles et sans espoir d’évolution. Alcool, drogues, pauvreté, ce quotidien n’est ici pas présenté comme un cliché, seulement des faits bruts, tels que découverts par les surfeurs.

La nature, encore et toujours, sous le prisme d’une quête, le surf d’une vague légendaire. D’ailleurs Le Tigre a cherché Hearts Attack, Devil’s Hoof sur internet, il n’y a rien ! En tout cas si l’activité du surf n’est pas omniprésente, les longues randonnées dans la nature sont magnifiquement rendues. Surtout la douleur des gens non préparés à de tels voyages, alors en ajoutant la peur d’une poursuite, on peut se surprendre à angoisser pour nos héros.

Enfin, le lecteur se voit offrir une belle leçon de détermination. Drew veut absolument qu’on immortalise sa glisse, et il ne pense à rien d’autre. Que l’atmosphère devienne menaçante (que ce soit le temps ou les gens), ou que ses proches soient mis en danger, rien ne l’arrête. La détermination d’un être buté, qui du haut de sa sagesse semble surtout être un grand malade : auréolé de sa gloire passée, vivant plus ou moins en ermite, l’homme est présenté comme un personnage finement complexe et doté d’un certain magnétisme animal. Le surf étant sa vie, persuadé qu’il a devant lui la dernière occasion de faire quelque chose de grand, il s’emballe. Remplacez surf par un autre terme, on a des exemples à la pelle.

…à rapprocher de :

– Pour le surf, ça vaut le coup de lire le premier roman de Kem chez Folio, que Le Tigre a plus apprécié.

– Le surf à l’honneur, c’est surtout Respire, de Tim Winton. Attention, pépite littéraire.

– Dans l’esprit « indien », même teinté de new age, reportons nous ensemble sur Kangouroad Movie, d’A.D.G.

– Pour en apprendre plus sur la difficulté d’être un Indien d’Amérique (notamment les lois d’assimilation canadiennes), il y a le très troublant Anima de Mouawad.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman via Amazon ici.

5 réflexions au sujet de « Kem Nunn – Le sabot du diable »

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