Les Sutras du Tigre .36 : livre de poche ou grand format ?

Le Tigre Editions, pas de pages.

Les Sutras du TigreSutra basique sur un sujet digne de figurer à la page 110 du numéro de Marie-Claire de juillet, Le Tigre s’apprête à traiter le sujet comme un parfait lycéen. Pas de gagnant donc entre ces deux objets littéraires, seulement le plaisir de pondre une rédaction en trois parties. [Et rappeler quelques bases pour toute dissertation du bac ou de concours].

Exemple d’introduction

[L’introduction, c’est le premier rendez-vous entre votre prose et l’examinateur. Celle-ci doit se travailler tout au long de la dissertation, et il est recommandé de l’écrire une fois que l’intégralité de votre plan est arrêté. Ensuite, il convient de montrer au prof que vous avez globalement compris de quoi il s’agit et posez quelques frontières pour ne pas faire péter de très fâcheux hors sujets. Enfin, et surtout, donnez l’impression que vous kiffez réellement son sujet dont la pertinence et l’intitulé vous ont transporté à des niveaux transcendantaux inconnus du gros Bouddha en personne]

De l’invention de l’écriture à la liseuse numérique, en passant par Lord Von Gutenberg, la lecture a occupé une place prépondérante chez tout être alpha-bête. Grosses encyclopédies en reliures à base de peau de porcs ou petits bréviaires de charlatan dentiste, l’accès à la littérature s’est heureusement (avec quelques bémols mussoens) démocratisé dès le milieu du siècle dernier, en particulier grâce au format de poche. Le grand format n’a pas disparu pour autant, ainsi quels sont les attributs de ces deux objets ? [Transcendance faible j’en conviens]

[Note sur le découpage qui suit. Sauf exception (Sciences-Prout, dissertation juridique et autre calamités formalistes à tendance automasturbatoire), faire trois parties est recommandé pour son équilibre. Comme vous le verrez, Le Tigre n’a pas trouvé d’approche originale, aussi s’est-il piteusement (mais sûrement) rabattu vers la sainte trilogie de la PES : politique, éco, social (ou culturel, sociétal,…). Le plan chronologique serait ici hors de propos. Cela permet d’aborder tous les sujets, et éviter la troisième partie dite « bâtarde » où vous fourrez le pot-pourri de vos dernières pensées stressées]

Politique : on lit de gauche à droite

A l’instar de la configuration politique des grandes démocraties occidentales saupoudrées de triviales considérations saisonnières, chaque format a son penchant idéologique.

Le format de poche, c’est le livre de la gauche et des écolos, coalition rot/grün (rouge/vert) qui se marie à l’été. Pourquoi le parti démocrate ? Plus petit (small is bioutifoul), bouffant moins de papier qu’un prospectus Leclerc, accessible à tous et se lisant dans les transports en commun avec les masses laborieuses, le livre de poche est le chouchou du roadtripper un peu hippie. Aussi ce format est tout indiqué pour l’été. Peu de place restante dans ses valises ; échangisme littéraire avec des touristes de passage ; lecture sur la plage sans mettre en danger l’évolution de votre bronzage (imaginez la page blanche A4 sur votre torse avec un gros pavé),…bref le compagnon qui apportera une indéniable touche culturelle (pour ne pas dire bobo) à ces mois frivoles.

A l’inverse, le grand format est celui de l’élite bourgeoise réactionnaire et arriérée. Les individus du genre à sortir le gros pavé (au hasard, les dernières mémoires du rejeton du Général), le vermouth hors d’âge accompagné de son verre en cristal de chez Fabergé. La lecture hivernale en somme, affalé comme un pacha sur un fauteuil plus grand que le lit du français moyen au coin d’une cheminée qui pourrait contenir un éléphant empalé. Notre retraité pourra profiter du foyer de flammes pour y déverser progressivement les pages lues. Mais au prix du grand format, seuls les plus aisés peuvent jouer à Fahrenheit 451. [Notez bien la transition d’une insolente finesse vers la deuxième partie]

Économique : le prix par le volume

Il appert que la différence de prix entre les deux formats est un mignon triplé, il n’est pas rare de dépasser 25 eurodollars pour le dernier roman grande taille à la mode. Suivant ses finances, acheter toutes les nouveautés est un hobby à côté duquel le golf est une occupation de manants. En sus, à moins de ne pas garder ses ouvrages (les revendre à prix correct est difficile), le volume que prennent ces titres est gargantuesque. Qui dit place, dit mètres carrés, dit prix de l’immobilier, dit location d’une pièce supplémentaire dans un entrepôt glauque de la couronne parisienne.

En outre, la grande taille de l’ouvrage appelle une police d’écriture grossie, ce qui est parfait pour notre vieux réac’ à l’esprit étriqué [attention aux lieux communs] et surtout à la vue basse. Le monocle pourra être laissé sur la table attenante, entre quelques pilules bleues et la télécommande d’un écran plasma à peine plus large qu’une baie vitrée.

Si le paradigme politique est encore prégnant, c’est que le gros format fait montre d’un matérialisme certain : l’objet est sacralisé et exhibé, notamment les beaux livres (photographies, peintures, etc.). Tandis que le poche n’est qu’humain. Sali, corné sur les bords, annoté de partout, « post-ité » comme le frigo d’une famille nombreuse, le tout petit doit présenter des signes d’usures, et donc de vie. Tout n’est au final qu’une question d’apparence. [La fatigue augmentant, vos transitions sont aussi bienvenues qu’un appétissant jambonneau dans une synagogue]

Social : se la raconter ou non

Il apparaît que choisir un format ou un autre est un choix sociétal d’une importance capitale, c’est votre positionnement dans le monde contemporain qui se joue. Rien de moins.

Le lecteur poche, c’est un être libre qui dit à la cantonade : « je lis ce que je veux, quand je veux et où je veux. Le dernier Douglas Kennedy ? Je te donne mon avis dans 14 mois. Là, tu comprends, je me fais une petite cure de postmodernisme andin. » Individu éminemment compulsif et aussi à cheval sur les sorties littéraires que Le Tigre est un cheval, notre coco en chef veut se faire passer pour un éclectique tout-terrain des lettres.

Quant au lecteur occasionnel grand format, il désire avant tout se faire mousser en tant que « primolecteur », pour ne pas dire leader d’opinions livresques. Il achète les toutes dernières parutions et compte bien vous emmerder avec lors du prochain dîner chez la baronne. En outre, faire dédicacer ses livres reste une possibilité qui n’est pas sans l’émoustiller l’arrière-train. En effet, à part quelques auteurs compréhensifs, ne comptez pas faire signer (avec un mot doux) par l’écrivain quelques uns de ses livres de poche sans acquérir dans la foulée sa dernière daube.

Scolaire conclusion

[Citer un grand auteur est un plus dont il ne faut se priver, la cerise sur le champ de bataille où certains de vos neurones ont laissé la vie]. Comme dirait Didier Deschamps, livres de poche et romans grand format offrent une saisissante complémentarité tant sur le plan tactique que technique [Parfait. Maintenant que le correcteur est dans la poche, ne pas hésiter à montrer que vous savez prendre partie. Surtout si ça se ressent dans la dissertation]. En ce qui concerne le numéro du Sutra, il est bon de savoir qu’en 1936 la célèbre maison d’édition Penguin Books a grandement popularisé le format poche, préférence personnelle du Tigre.

[Terminez sur une légère ouverture : d’une part vous montrez que vos connexions synaptiques qui font les liens entre les cours du prof ne sont pas totalement grillées ; d’autre part il faut quasiment laisser l’impression que si vous aviez le temps, vous accoucheriez volontiers séance tenante d’une autre dissert’]. Dans le prochain Sutra, Le Tigre poussera une courtoise gueulante contre le grand format, dont l’utilisation en France me paraît d’une atterrante bêtise.

[Réalisé en une heure, dans les conditions d’un devoir sur table. Le café en plus. Enfin, patient lecteur, tu peux mettre une note dans les commentaires]

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