Regardez-moi cette image de couverture : la couleur est annoncée. Méchant, déjanté, improbable et délicieusement irrespectueux. Malgré un début assez poussif, le loser finissant gourou connaît des péripéties qui montent furieusement en puissance, pour un résultat assez déconcertant.
Il était une fois…
Notre antihéros est un alcoolo feignant, veule sur les bords, passablement impulsif et lorgnant pitoyablement sur Sylvie, sa voisine – devant les amis de laquelle il s’est masturbé au passage. Lorsque les parents de l’infâme lui dégotent un job de nettoyeur dans une riche fondation, il ne pouvait s’attendre à débarquer dans une secte aux fortes tendances orgasmiques. Et s’il prend la place par erreur, de leur gourou, ça ne peut qu’empirer.
Critique de L’histoire du loser devenu gourou
Avant de commencer la tikrique à proprement parler, il faut savoir que le félin a rencontré Romain T., à plusieurs reprises – le terme « plusieurs » étant entendu d’après sa définition en droit pénal, c’est-à-dire « deux ». Lorsqu’il m’a remis ce roman, la dédicace enjoignait le fauve de le souiller et lui faire mal. C’est demandé avec tant de gentillesse, comment résister ? Sortons donc les griffes :
La première moitié de l’œuvre, si elle présente précisément l’antihéros, n’en demeure pas moins assez pénible et manquant cruellement de rythme. A part quelques scènes qui valent le détour (la branlette avortée, l’assassinat d’un chat), il est dommage de devoir attendre la centième page avant que le « quiproquo » loué par l’éditeur ait bien lieu. En revanche, dès que le protagoniste décapite le tôlier de la secte, à savoir le priapique Bougaga, le fier n’importe qui peut commencer ! Les péripéties s’enchaînent alors à vitesse grand V, le héros tirant plus que de raison sur la CB de la secte, tandis que le masque du grand bougaga est balloté de droite à gauche jusqu’à l’Aisne (entre autres).
De même, le style déconnant se réveille dans cette seconde moitié qui fait la part belle à une savante forme d’excentricité où le crade entame un rock endiablé avec des scènes surréalistes où les personnages ont des réactions imprévisibles. Le vocabulaire et interjections familières passent nettement mieux, et c’est avec un plaisir non feint que le lecteur pourra se laisser entraîner jusqu’à un final haut en couleurs qui détonne avec le début du bouquin – même si les dernières pages m’ont paru bacleusement expédiées. Dernière chose : ce bouquin ne comporte AUCUN chapitre et les sauts de lignes se font plutôt rares, ce qui au premier abord rend le texte fade…jusqu’à participer à l’impression de vivre les aventures du narrateur à cent à l’heure.
En effet, la narration est servie à la première personne, et j’avoue avoir demandé à Monsieur Ternaux la part d’autofiction dans son travail. Après avoir refermé la dernière page, Le Tigre regrette d’avoir osé posé ce genre de question. Quoiqu’il en soit, si j’étais capable d’écrire le quart de la moitié de ce qu’il fait, je serai un félidé comblé.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Pourquoi un anti héros ? Parce qu’il a tout ce qui peut nous exaspérer. Aucun talent, aux fréquentations douteuses, infoutu de seulement chercher du boulot, improvisation totale, ne pensant qu’à la satisfaction immédiate, incapable de réfléchir à long terme, veule, bref un vrai gâchis sur pattes. Le narrateur tellement de tares associées à un culot monstre (une forme de j’m’en foutisme ressort du texte) qu’il perd son capital sympathie à mesure de sa crédibilité en tant qu’individu réel. Autre revers de la médaille ? Ce personnage principal est susceptible de vous horripiler.
Une lecture plus attentive (guère mon genre, certes) de cette histoire fait prendre conscience que le foutage de gueule est immense à l’encontre des croyances « légères », à savoir celles considérées comme des sectes. La façon dont notre individu réussit à entrer comme dans du beurre abandonné au soleil dans le saint du saint d’une organisation en dit long sur le niveau de ses adeptes – et, par conséquent, sur ce qu’elle propose. Le trait est certes grossier (ça baise et ça tire des tunes), toutefois imaginer que la scientologie puisse être concernée n’est pas désagréable. Et comme dit je-ne-sait-plus-qui, une secte est une religion qui a réussi. Voilà pour le l’anticléricalisme teinté de whisky bon marché.
Romain Tournaux enfonce le clou en s’attaquant, à sa manière, à la manifestation de toute religion/secte qui sait se faire respecter : son « livre saint ». Le protagoniste étant un écrivain (raté), c’est tout naturellement qu’il tente de refourguer son premier (et seul) roman, lequel monte rapidement en grade pour être considéré comme porteur d’une prophétie. L’imagination des adeptes étant sans limite, ceux-ci réussissent à interpréter (comme des sagouins) ce qui est écrit pour porter la mort dans la campagne française.
…à rapprocher de :
– Le premier romain de Roman (hu hu) se dénomme Croisade apocalyptique. J’ai cru dénoter un certain progrès depuis.
– Dans le genre du vilain personnage alcoolique, mais qui vomit avec plus de verve l’univers dans lequel il évolue, je vous renvoie vers Monstres, du facétieux Mike Kasprzak (je n’arriverai jamais à écrire son nom proprement).
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
Ping : Mike Kasprzak – Monstres | Quand Le Tigre Lit
Mike Kasprzak, je connais. J’avais lu quelques uns de ces textes avec son accord quand je faisais de la lecture à « voix haute » -> https://uneetoiledanslagorge.wordpress.com/2013/10/24/emission-n4-2-24102013/
Un mec très cool.
Vu le rapprochement que tu fais avec lui, je vais me laisser tenter par cette histoire de looser. Merci pour l’article.
Rapprochement avec les thèmes et l’ambiance générale, l’écriture de Mike K. m’a paru plus écorchée et sombre – par rapport à un Tournaux qui verse davantage dans le grandguignolesque.
Ping : Romain Ternaux – Croisade Apocalyptique | Quand Le Tigre Lit