Yasunari Kawabata – Les belles endormies

Le Livre de Poche, 124 pages.

Yasunari Kawabata - Les belles endormiesVO : Nemureru bijo. Un petit bijou. Le Tigre a lu ce roman il y a fort longtemps, et pourtant le souvenir est encore vivace. Ouvrage de référence de la littérature japonaise, le lecteur sera aux prises avec un sujet qu’il peut ne pas aimer, voire le dégoûter, néanmoins il s’agit d’un condensé de poésie où quelques sens seront mobilisés : le toucher et l’odorat, sur fond de délicieux souvenirs.

Il était une fois…

Un vieil homme, Eguchi, fréquente une maison particulière : il paye pour être aux côtés de jeunes femmes nues endormies par de puissants narcotiques. Ces quelques séances sont l’occasion pour lui de faire une rétrospective sur les femmes qu’il a connues.

Critique des Belles endormies

Premier roman de Kawabata que j’ai lu, et le résumé le plus bref à dire est le suivant : un chef d’œuvre d’une simplicité désarmante. N’importe quel lecteur qui souhaiterait se faire une petite cure du Nobel 68 doit impérativement commencer par ce texte.

Le phrasé est sobre, et pourtant Kawabata parvient à envoûter le lecteur par ses descriptions : mêlant jeunes femmes dans les bras de morphée, paysages fleuris et souvenirs de romances passées, on n’a jamais été aussi près de la poésie. L’odeur, les parfums sont omniprésents, suaves rappels du passé éminemment actif du protagoniste.

A cela il convient d’ajouter un sentiment prégnant de gêne, lorsque la situation du vieil homme est exposée. Certes il ne peut toucher les belles endormies, qui ne garderont aucun souvenir, mais c’est une pratique assez choquante qui est racontée par l’auteur. A ce titre le lecteur qui serait dégoûté devra se rappeler que c’est un roman asiatique, avec des codes et une morale qui peuvent dévier de ce qui serait admis en Occident, et qu’il n’y a rien dans cette œuvre faisant l’apologie de telles pratiques. Le Tigre ne sait même pas d’ailleurs si une telle offre (qui a un certain degré de prostitution) existe dans ces contrées.

Pour une centaine de pages il serait vraiment dommage de faire l’impasse sur ce roman, voire cette lecture est obligatoire (n’ayons pas peur des mots) pour le lecteur porté sur l’Asie.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le contraste entre vieillesse et jeunesse, et l’irrésistible attirance de la première sur l’autre. Eguchi, c’est triste, semble avoir besoin de ces nuits très spéciales pour raviver les souvenirs de sa jeunesse. Peut-être trop feignant pour faire le travail seul, c’est en se mettant « en situation » (sans bien sûr consommer) qu’il arrive sans problèmes à restituer au lecteur ces sensuels moments. On n’est pas loin d’une certaine forme de « vampirisme », où l’homme malade tire auprès de jeunes corps abandonnés la force nécessaire pour revivre. En outre, n’est-il pas du rôle d’un vrai vampire de faire attention à ce que l’objet de sa renaissance soit préservé, voire protégé ?

Cet ouvrage éclaire sur quelques aspects de la civilisation japonaise : ici un vieil homme a recours, pour se remémorer le faste d’antan, à des moyens que la loi réprouve. Mais Kawabata évite tout écrit glauque ou malsain. Tout n’est que tact, pudeur et symbolisme (exemple des fleurs et des filles partageant sa couche). Si l’homme européen moyen y voit une énième preuve de la propension nippone à la représentation « sur sexuée » des jeunes femmes, force est d’admettre que c’est ici développé de manière délicate.

Le sens des convenances propre à l’extrême orient voit dans ce court roman quelques applications pratiques : ne pas chercher à réveiller les jeunes femmes, ne pas les toucher avec insistance, encore moins les marquer, et surtout ne pas leur parler si, par hasard, le vieillard les aperçoit dans la rue. Des leçons basiques de savoir vivre qui peuvent être de temps en temps perçues comme contrastant avec l’activité à laquelle se livrent les clients de la maison.

…à rapprocher de :

– Preuve que c’est mainstream comme classique, il en est même brièvement dans un film érotique avec la pétillante Clara Morgane. On a les références qu’on peut.

– Quelques autres œuvres de Kawabata, commentées par Le Tigre, permettront de parfaire son opinion sur l’auteur. Juste pour comprendre pourquoi on lui décerné le prix Nobel (et pas à Mishima). Le Lac (bof), La Danseuse d’Izu (mieux), Tristesse et Beauté, etc.

– Le Tigre va peut-être loin, mais le vieil Eguchi semble vouloir retrouver sa jeunesse d’antan. Que se passerait-il dans un monde où cela serait possible ? Réponse dans Misspent Youth, de Peter F. Hamiton. Attention c’est de la SF.

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