Remender & Scalera & White - Black Science, Tome 1Sous-titre : De Charybde en Scylla. VO : How To Fall Together. Une équipe de bras cassés voyage d’une dimension à l’autre de l’univers, et demeure infoutue de regagner ses pénates. Démarrage sur les chapeaux de roue, éléments de l’histoire livrés au compte-goutte, SF déconnante et décomplexée (du fantastique en fait), décors sublimes et rencontres étonnantes, tout cela semble bien parti.

Il était une fois…

Grant McKay, ancien membre (et fondateur, s’il-vous-plaît) de la Ligue Anarchiste Scientifique, a réussi un exploit de dingo : il a créé le Pilier, un objet avec lequel il est possible de mettre en branle la Science Interdite et voyager à travers les dimensions. Rien que ça. Hélas, en raison d’une fausse manip’ (ou un sabotage), l’équipe menée par McKay se téléporte sans carte de retour (le contraire eût été étonnant). Et nos dimensionautes ne sont pas sortis de l’auberge infiniverselle.

Critique du premier tome de Black Science

Y’a du bon, du très très bon et du moins sympa dans ces six premiers chapitres d’une saga susceptible de durer – si les auteurs le veulent bien. La première chose à savoir est que si vous vous attendez à une introduction et une présentation des acteurs de la série dans les premières planches, autant pisser dans un violon en sifflotant la Marseillaise. En effet, le rythme endiablé est initié dès la première page, le scénariste préférant livrer la genèse des recherches sur le Pilier (et petites luttes scientifiques y étant attachées) sous la forme de flashbacks savamment distillés.

Remender & Scalera & White - Black Science, Tome 1 extrait 1Au cours de l’un de ces passages, le lecteur apprendra comment le héros a embarqué dans l’aventure Nathan et Pia, ses gosses. Que McKay père est loin d’être parfait, disons qu’il trompe sa famille avec une belle collègue qui, il faut en convenir, est foutrement craquante lorsque représentée en sous-vêtements. Et aussi qu’il existe, comme dans toute organisation scientifique qui casse les frontières, des tensions – notamment le beau Kadir désireux de s’arroger les lauriers de cette percée technologique. Plus qu’une percée, il s’agit d’un trou sans fond que déchirent les protagonistes pris dans des situations inédites et vis-à-vis desquelles rien ne pouvait les préparer.

Et c’est là toute la force de l’imagination de Rick Remender. Le gus part d’un principe simple (hop, un univers parallèle) et, en une poignée d’exemples, montre qu’il peut mettre en scène des problématiques tellement différentes et originales que n’importe quel lecteur normalement constitué sera pris d’un vertige bien légitime. Lorsque le premier saut dans un univers inconnu met en scène des E.T. jaunâtres en lutte contre des batraciens géants (dont les motivations sont proches des nôtres), le second amène les héros au beau milieu d’une guerre futuriste entre Allemands et Indiens d’Amérique – où l’anglais est une langue morte. L’objectif ultime, à savoir rentrer sur notre bonne vieille Terre, semble à chaque fois plus lointain.

Pourquoi le félin ne fut-il pas totalement conquis ? C’est con (et je vais sûrement me faire des ennemis), mais les illustrations ont piqué mes yeux. Les personnages n’ont rien de naturel et présentent des visages taillés à la serpe, ce qui gâche le décor qui est fort joli. Hélas le texte est parfois étouffé par la richesse d’un dessin n’incitant pas à lire les réflexions pseudo-philosophiques de tel ou tel personnage – le regret est souvent de mise. A moins que lire l’ouvrage à 1 heure du matin en revenant d’un cocktail organisé par une maison d’édition indépendante n’est guère recommandé – mousseux à l’étiquette louche et rouge qui tâche.

Les couleurs franches et propres ont certes tendance à arranger le tout, mais ça ne suffit pas à créer un sentiment de fluidité dans une aventure qui veut se dérouler plus vite que les yeux ne peuvent la suivre. Quelques savoureux tableaux d’ensemble restent décelables en tournant les pages, cependant le félin a plus eu l’impression de contempler un Jackson Pollock. En somme, rien ne s’oppose à se jeter sur le second tome comme la vérole sur le bas clergé breton.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Remender & Scalera & White - Black Science, Tome 1 extrait 2La première chose qui marque est l’exotisme total des mondes visités. D’une part, la faune et la flore peuvent être totalement étrangers, avec des créatures qui ne ressemblent à rien (un putain de dépaysement) mais suscitent, non sans surprise, une certaine empathie. D’autre part, un autre chapitre nous fait entrer dans un monde en conflit où des soldats du Reich (on ne sait pas lequel) sont envahis par des Indiens suréquipés disposant de machines volantes et d’une avancée technologique indéniable. Renversement total des rôles, confinant à l’uchronie, qui amène à prendre conscience du choc extrême qui peut habiter des combattants qui voient débarquer un ennemi dont l’avancée technologique/technique est difficile à appréhender.

En outre, Black Science est une réelle « aventure » dans son acceptation noble, à savoir une suite de rebondissements dans la mesure où chaque endroit visité apporte son lot de nouveaux soucis – une blessure, un mort, la perte d’un objet important. Il en résulte une fuite en avant qui laisse croire que ça ne pourra finir qu’en tragédie. Comment arrêter ce cercle vicieux sans songer au suicide ? Le dernier chapitre apporte une réponse séduisante quoique profondément dérangeante [Attention mini SPOIL] : dans un des mondes relativement calme, la fille de Grant lui montre un dessin (un oignon rouge, hum) qui pourrait être leur emblème. Quelques minutes plus tard, un double de Grant (portant ledit emblème…) débarque et cherche à entraîner les enfants avec lui, au prétexte qu’à ce rythme la famille mourra dans une semaine. Il y a donc une famille McKay qui, dans un autre univers, aurait déjà vécue ces aventures (au cours desquelles beaucoup de morts ont lieu) ? Plus important : existe-t-il un univers où le héros n’a pas merdé ?

La suite dans un prochain épisode…

…à rapprocher de :

– Le tome 2, intitulé La boîte de Pandore (en lien), porte bien son nom. Assez délicat à suivre, mais l’émerveillement demeure.

– En termes de bandes dessinées susceptibles de vous envoyer le cerveau très haut, Le Tigre ne peut que vous rappeler l’existence de Days Missing (tome 1 ici et tome 2, Kestus, par là), de Phil Hester :

– Franchement, je n’ai pas grand chose se rapprochant de ce type d’histoire. Ce qu’il vient à l’esprit du félin est peu glorieux et consiste à évoquer d’obscures séries TV des années 90 telles que Sliders ou Code Quantum.

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Charles Stross - Crépuscule d'acierVO : Singularity Sky. Au sein d’une humanité éparpillée dans toute la galaxie, une curieuse organisation surpuissante se balade en vue de chercher du divertissement. Mais quand celle-ci débarque chez des ploucs… Ouvrage plutôt rigolard mais doté de précieux enseignements, la lecture est plaisante malgré quelques lourdeurs répétitives.

Il était une fois…

La planète Orchard, au fin fond de la galaxie, appartient à la Nouvelle République. Cette dernière est un empire centralisé et relativement arriéré qui fonctionne à coup de bâtons dans le derrière de ces administrés. Aussi, quand le Festival, société galactique itinérante, débarque dans la zone, la Nouvelle République ne comprend rien à ce qui se passe. Et pense à une déclaration de guerre. Et envoie ses vaisseaux pour vaincre l’ennemi, quitte à violer la causalité espace/temps pour mettre les chances de son côté. Hélas, une autre entité, l’Eschaton, n’aime pas ce genre de comportement – en représailles, cette partie de la galaxie risque d’être rayée de la carte.

Critique de Crépuscule d’acier

Ah la belle surprise ! L’univers imaginé par l’auteur britannique est haut en couleurs et parle d’une idée plus qu’intéressante et qui n’est que progressivement révélée. Pour faire simple, au cours du XXIIème siècle quelque chose de fabuleux est survenu sur une Terre en pleine singularité : neuf dixièmes de la population a disparu et s’est retrouvée sur des centaines de planètes habitables un peu partout. Le responsable de ce (dé)peuplement massif ? Quelque chose qui se fait appeler l’Eschaton, qui en a profité pour livrer un message, qui est : 1/ Je ne suis pas un dieu, mais votre descendant 2/ Pas de violation de la causalité dans mon cône de lumière [dans ses parages directs], sinon…

C’est tout ce « sinon » qui donne des sueurs froides aux protagonistes. Notamment l’émissaire/agent spécial de l’ONU, Rachel, qui a déjà vu des systèmes solaires entiers disparaître parce qu’un malotru a décidé de niquer la causalité – à savoir remonter le temps à l’aide de vaisseaux supraluminiques. Et c’est ce qu’a en tête la Nouvelle République dont la flotte spatiale, par un tour de passe-passe, arrivera à Orchard quelques heures après la venue du Festival. Vous suivez ? Au sein du vaisseau-mère de cette flotte, il y a Martin Springfield (héros du roman), ingénieur terrien destiné à mettre à jour les logiciels des moteurs. Martin est un employé normal (en apparence) qui a du mal à se faire au système totalitaire de la République, entre paranoïa débile et fossé culturel – ses habitants, de descendance slaves et portés sur l’idéologie centralisatrice, aiment les procédures, les grosses armes et restent réfractaires au progrès, qu’il soit sociétal ou technologique.

Pendant ce temps, un troisième protagoniste assiste aux dégâts provoqués par le Festival. Burya Rubenstein, dissident assigné à résidence, est le spectateur privilégié de la situation singulière d’une planète qui, en quelques jours, fait un bon technologique de plus de 200 ans. Quelques téléphones descendent du ciel, promettant tout ce qu’il veut à l’interlocuteur capable de raconter une histoire. Je vous laisse imaginer ce que le paysan sous le joug d’un État totalitaire peut avoir comme genre de vœux – des armes, la richesse, des gadgets, des jouets, rien de plus. Le gouvernement, à la ramasse, réagit en fourbissant ses ridicules armes.

Ces présentations faites, tout s’accélère lorsque Rachel obtient une accréditation en tant qu’inspectrice de l’ONU (pour la forme) et intensifie ses contacts avec Martin. Une idylle naîtra même entre ces deux Terriens horripilés par la bêtise de la Nouvelle République (et de ses commissaires politiques), notamment personnifiée par l’amiral de la flotte qui a plus sa place dans un cimetière que dans une salle d’opérations : le mec a des siècles de retard et s’imagine botter le cul d’autochtones mal dégrossis – la déconvenue sera totale. Et c’est sacrément marrant à lire, y’a de la finesse toute anglaise avec un soupçon de grivoiserie grâce à la liberté de ton de certains.

Bref, c’est un roman touffu et décoiffant que nous pond Charlie Stross. Long aussi, et vous risquez d’avoir un peu de mal à venir à bout d’un chapitre, et ce d’autant plus lorsque l’humour, plutôt présent, laisse place à un verbiage techno-ésotérique des plus abscons – à mon sens, ce n’est pas de la hard science à part quelques gadgets dont les explications restent claires. En particulier les discours lénifiants des représentants de la Nouvelle République ou les rendus des phases de combat, comme si C. Stross voulait insister sur la futilité d’un entraînement rigoureux lorsque l’ennemi est tout simplement hors de portée – au surplus, le Festival, amas de consciences post-humanistes, ignore qu’il est considéré comme tel. Un exemple de ce type de discours ? Ici :

Armement, je veux six SEM-20 dans les tubes de lancement […] Des ogives réglées pour une spallation directionnelle, sur un angle de deux-zéro degrés […] Pilote, relativité : au contact plus cinq secondes – donc cinq secondes après notre impact sur la cible, déclenchez le micro-saut.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le titre anglais parle de singularité qui descend du ciel. La singularité, c’est grosso merdo le moment où le progrès technologique, exponentiel, échappe à l’Humanité – qui n’est plus à l’origine de cette évolution. Normalement, un tel évènement, certes inattendu et aux conséquences hasardeuses, survient au sein d’une civilisation qui gère plus ou moins bien la chose. Mais, pour la planète Orchard, il est question d’un saut « quantique » (machines autorépliquantes, I.A. sur-développée) provoqué par un élément externe. Le décalage entre ce qu’offre le Festival (la plénitude matérielle) et l’intelligence collective d’une société verrouillée est saisissant. Cette impression est renforcée par le rôle des Critiques, êtres post-humains/numériques qui se chargent d’étudier la situation et demeurent profondément pantois face à l’anarchie hallucinante qui s’installe.

D’une certaine manière, ce roman traite de la fin du monde. Celle d’une planète dont l’organisation étatique puis sociale vole en éclat, ne laissant aucun ordre nouveau qui puisse être appréhendé par la populace. Et la « vrai » fin d’une partie de l’univers si l’Eschaton se décide à punir ceux qui violent ses lois – Eschaton, eschatologie, ça vous dit quelque chose ?

Il apparaît enfin que la problématique de l’œuvre est, en toute simplicité, la liberté. L’inquiétant Festival a un rôle fonctionnel sans volonté propre (entendez : il n’est pas méchant) et qui consiste à désenclaver les régions où l’information ne circule pas. La zone où sévit la Nouvelle République (ni nouvelle, encore moins une république) est le lieu tout indiqué pour dépoussiérer le savoir et mettre ses habitants à jour. Et rien ne peut arrêter un tel flux d’informations libres, surtout pas un État fort qui est d’un anachronisme choquant – la notion même de gouvernement étant hors de propos. Protéger sa population en l’empêchant d’avoir accès à certaines techniques (genre une arme nucléaire) ? Argument ici balayé avec brio.

Malgré son titre français peu avenant, Crépuscule d’acier est d’un rare optimisme.

…à rapprocher de :

– Comme vous avez pu le deviner, ce roman fourmille de nombreuses idées qui mériteraient d’être davantage développées. Ça a l’air d’être le cas dans Aube d’acier, suite directe du présent titre.

– Il y a du Vernor Vinge dans ce roman, quelque chose me dit que je devrais relire quelques uns de ses romans de SF.

– Le Festival représente une civilisation de l’abondance qui produit automatiquement sur demande. On est assez proche du principe de la Culture des romans de Iain M. Banks, par exemple : Excession, L’homme des jeux, Une forme de guerre, L’usage des armes, La Sonate Hydrogène, etc.

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Hergé - Les Cigares du pharaonSous-titre : Les Aventures de Tintin et Milou. Égypte-Arabie-Inde, le journaliste a rempli sa boite à pérégrinations et accumulé des miles, sans compter la rencontre de plusieurs protagonistes qui récidiveront de présence par la suite. Premier album en Orient, et qui présente tout ce que qui fera le succès de Tintin : voyages, méchants qui ont de la gueule, et un poil de fantastique.

Il était une fois…

Tout commence par une paisible croisière dans un gros paquebot où le héros croise le farfelu Philémon Siclone, égyptologue aussi sachant que perché. Quelques instants après, un mystérieux connard piège Tintin en foutant de la cocaïne dans ses bagages. A partir de là ça part en quenouille :  le journaliste est arrêté par deux flics moustachus, s’échappe, rejoint Philémon, trouve une tombe égyptienne, est gazé, finit au milieu de l’océan dans un tombeau en guise de radeau, croise un fan cheik, est enrôlé de force, fuit en avion, apprend à parler aux éléphants, participe à une réunion secrète, jusqu’à mettre un terme à un trafic d’opium.

Critique des Cigares du pharaon

Troisième opus du jeune journaliste si on ne compte pas son aller-retour en Soviétie, personne ne saurait être indifférent à ces aventures endiablées qui, pour la première fois, se situent dans plus de deux pays. Après des péripéties mal fagotées en Afrique et les exploits consternants du journaliste en Amérique, voici venue la stabilisation du « système Tintin » – accompagné d’un Milou un peu moins bavard que d’habitude.

Premièrement, les voyages. Rien à dire là-dessus, le mec visite du pays. Trop sans doute, Le Tigre s’est demandé comment Tintin a pu passer du désert de l’Arabie à la jungle indienne en si peu de temps. Soit Hergé n’a pas cru bon préciser que le vieux coucou avec lequel s’enfuit Tintin est en fait un avion supersonique, soit le voyage a duré quelques heures – et les avions de l’émirat n’auraient pas pu le suivre jusque là. Deuxièmement, les péripéties sont centrées autour d’une seule problématique (trafic de drogue) à laquelle se greffent une foultitude d’actions qui peuvent certes se lire indépendamment, mais le fil conducteur demeure.

Troisièmement, et sans aucun doute le meilleur, nous avons droit à l’apparition de personnages appelés à être, par la suite, récurrents. Futur alliés d’abord, avec les Dupondt qui font montre d’initiative et d’audace (ils agissent moins en boulets qu’ils le seront par la suite). Ennemi intime ensuite, en la personne de Rastapopoulos, ici présenté comme un cinéaste mais dont on apprendra, dans le Lotus bleu, qu’il est à la tête de la société criminelle dans les bottes de laquelle chie régulièrement Tintin. Enfin, et plus anecdotique, Oliveira da trucmuche débarque dans le scénario sous le métier qui ne le quittera plus : vendeur de génie pour qui refourguer un réfrigérateur aux Inuits n’est qu’une formalité de plus.

En conclusion, cet opus est particulièrement complet en plus d’annoncer ce qui fera le succès de la série – l’idée du kidnapping du fils d’une grosse huile sera reprise plus tard. Succès auquel est apporté un LOURD clin d’œil lorsque, au milieu de nulle part (dans le désert), le quatrième mur est pété avec fracas : le cheik, apprenant le nom de son hôte, est à deux doigts d’inonder sa tente et fait apporter, par un sbire, un album cartonné d’Objectif Lune – qui aura pourtant lieu dans le futur. Quant aux illustrations, le fauve n’a rien à reprocher à cet album qui laisse largement de quoi remplir ses mirettes – même si l’arrivée en Inde n’est pas évidente ou les véhicules à moteur (avions notamment) ressemblent encore à des jouets.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Les cigares du Pharaon (premier titre sans référence au nom du héros) est l’occasion de visiter quelques vieilles cultures fantasmées par le jeune lecteur occidental. L’Égypte millénaire évidemment, avec les cachotteries et trésors qu’elle recèle ; la péninsule arabique et sa somptueuse architecture mais en proie à de récurrents conflits ; et puis l’Inde où les éléphants vivent en bonne intelligence avec les humains, pas comme les tigres qui sautent sur tout ce qui bouge – la manière dont le blondinet se défait nonchalamment d’un représentant de cette espèce m’a ulcéré, cela va sans dire.

Enfin, il se dessine une tendance de recourir au mystérieux, qui confine même au fantastique. La société secrète avec des déguisements de Ku Klux Klan au rabais, un fakir qui escamote l’esprit en deux tours de bras, le poison qui rend fou, le fantôme (enfin presque) apparaissant lors d’un orage, et que dire alors du tombeau égyptien utilisé comme planque par des trafiquants ? – à ce titre, saluons le petit coup de pute de l’auteur vis-à-vis de son pote Edgar P. Jacobs, ici grimé en égyptologue décédé sur le sarcophage duquel est écrit « Jacobini » -. Hergé verse même dans une certaine forme d’onirisme, en particulier la planche à l’allure de bad trip sous LSD lorsque le protagoniste subit les effets d’un gaz qui l’endort.

…à rapprocher de :

– Quelques Tintin sont à signaler sur le pétillant blog, par exemple L’île noire ; Le Sceptre d’Ottokar ; Le Lotus bleu ; Les Sept Boules de cristal ; Le Temple du Soleil ; Tintin au pays de l’or noir ; Les Bijoux de la Castafiore. Dans l’ordre s’il vous plaît.

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Alain Dubos - La palombe noireDans le territoire aride aquitain, le destin d’une famille est irrémédiablement transformé – notamment à cause de la Grande Guerre. Roman figuratif d’une région dans un temps donné, avec son vocable et ses problématiques, il s’agit d’un roman touffu et diablement bien écrit – pas mémorable pour autant toutefois.

Il était une fois…

Début 1914. Les Capestang se porte bien. Possédant des centaines d’hectares qu’elle donne à bail à des métayers obéissants, la famille gère avec fermeté et justesse son domaine sous l’égide du paternel, Joseph. Les enfants Capestang, la vingtaine passée, aident à la gestion de ce qui deviendra un jour leurs terres. Tous, sauf Adrien, le boiteux, qui se désintéresse de ces choses là et vis reclus dans une bicoque à travailler une terre ingrate qui lui donne juste assez de quoi se nourrir. La guerre, cette belle salope, va bouleverser l’équilibre déjà précaire du clan.

Critique de La palombe noire

Cette chose traînait depuis trop longtemps dans la bibliothèque de vieille-tante-hyène. Suis sûr qu’elle n’a toujours pas remarqué que je lui ai grappillé ce roman écrit par un médecin ayant des origines affirmées dans la région girondine. Plus de 400 pages, peu de chapitres, une écriture dense, il faut s’accrocher car cela vaut globalement la peine.

Le style est à l’image du pays décrit : rude, peu accueillant au premier abord, avec des hommes au verbe rare mais précis. Il en résulte un phrasé local époustouflant qui fait entrer de plein pied le lecteur dans une région agricole en ce début de XXème siècle. Quelques passages sont un peu longs, le style parfois lourd, toutefois les images prennent durablement vie dans l’esprit du lecteur qui est transporté un bon siècle en arrière. Il n’en demeure pas moins que cette richesse vocabulairistique confine parfois à la douce branlette stylistique, avec des phrases d’une rare poésie dont je n’ai aucune idée de la signification mais qui claquent bien au vent. Au hasard (c’est dans l’épilogue) :

Henri Carère était là, le borni, pieds nus, grimpé sur un pitey, à l’attaque d’un arbre comme il l’avait été des tranchées allemandes de la Meuse. […] Il avait attendu la mort au fond des immondices, troqué le silence de la forêt, cette cathédrale aux voûtes célestes, contre la sombre toiture des boyaux du front […]

Heureusement que le corps de l’histoire prend rapidement forme, et on mesure ce qui attend Adrien, héros imparfait mais dont l’âme reste pure. D’une part, la guerre bouleverse le petit équilibre de l’Argilège (le nom manoir familial). Un frangin décède à la guerre, le daron Joseph meurt de vieillesse tandis que le dernier frérot a le ciboulot niqué à cause des tranchées – c’est compréhensible. Le sieur Montabaud, époux de la seule fille Capestang, compte bien imposer ses vues en s’arrangeant avec les riches propriétaires aux alentours. L’idée est notamment de faire de Iéna, la parcelle où vit paisiblement le protagoniste, une zone industrielle destinée à la production de résine – évidemment que ça ne botte guère Adrien.

D’autre part, le jeune infirme fera la rencontre de la belle Lise, une Ch’ti à la chevelure dorée (rare dans le Sud de la France) qui apprendra à Adrien l’amour – avec un grand A, pas les dégueulasseries imposées par ses frères dans les bordels. Les deux êtres vont s’apprivoiser, pourront-ils seuls s’opposer aux visions des patriciens locaux ? Plus qu’un roman régional, c’est une mini-saga familiale qui mériterait d’être adaptée dans un feuilleton pour faire mouiller les vieilles de trois à cinq. Hélas, si les qualités littéraires de Dubos sont indéniables (un peu plus d’humour n’aurait pas été de trop), le rythme avance fréquemment à un train de sénateur – le félin n’a donc pris son pied.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’écrivain livre une saisissante description des fiefs à l’ancienne. Les glorieux temps au cours desquels le pater familias faisait le tour de ses milliers d’hectares pour vérifier que tous les contrats oraux (bail à colonat partiaire, pour être précis) étaient respectés, que tel métayer se portait bien ou encore donner deux-trois bons conseils à la populace craintive et admirative. Cette mécanique généreusement huilée connaît quelques ratés avec l’apparition des syndicats, qui illustre le passage de l’ouvrier agricole à l’ouvrier tout court – sans compter la technique qui évolue. Derrière ces milliers d’hères plus ou moins itinérants, la fermeté d’une poignée de possédants qui, en l’espace de deux générations, ont acquis et fait fructifier une terre à l’origine inhospitalière – grâce à la politique d’assainissement et de culture de ce brave Napoléon III.

Au-delà des grandes manœuvres du pays gascon, il y a la palombe noire (un spécimen trône sur une cheminée), ou la colombe qui apporte la guerre dans une famille en apparence paisible. En apparence car le « scrof » (surnom d’Adrien) a, depuis sa maladie que sa daronne pensait contagieuse lorsqu’il était petiot, décidé de se couper de sa famille – laquelle reste néanmoins heureuse et prospère. Hélas la guerre va détruire le peu de joie qui demeurait, en particulier la fugue du jeune Jean décidé à s’engager dans le conflit en 1917. Adrien réussira à créer sa propre famille en se liant avec une étrangère (selon les mentalités de l’époque) qui lui apportera la force nécessaire pour s’affirmer face à l’infamie de certains – en particulier le beau-frère avec ses combines financières et le régisseur/violeur.

...à rapprocher de :

– Le lecteur touchera de très très près la dureté du travail de la terre dans Nous sommes tous innocents. Attention, petite pépite.

– Les changements socio-économiques post Der des der et la manière dont certains peuvent en profiter se retrouvent dans Au revoir là-haut, autre tuerie littéraire que le félin ne peut que conseiller.

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Paka & Cyprien Iov - Roger et ses humains, Tome 1[le titre de ce premier tome est le même au fait] Un jeune homme reçoit comme « cadeau » un robot mignon mais surpuissant. Lequel va chambouler sa vie en plus de révéler ses défauts et qualités (à l’humain hein). Dessin qui ne déplace pas des montagnes d’admiration quoique séduisant, histoire linéaire faite de strips plus ou moins humoristiques, le résultat est loin d’être mauvais. Bref, plus fin qu’il n’y paraît.

Il était une fois…

Un petit-copier du quatrième couverture de l’éditeur ne fait jamais de mal (ce n’est pas le félin qui a commencé) :

« Hugo est un jeune homme de son temps, accro à Internet et aux jeux vidéo, entre deux petits boulots. Il voit sa vie soudainement bouleversée le jour où il trouve dans son salon un robot doté d’une intelligence artificielle.

Baptisé Roger, celui-ci a pour principale caractéristique une incapacité totale à mentir, en plus d’une curiosité aiguisée pour le mode de vie si curieux des étranges créatures qui partagent désormais sa vie. »

Critique du premier tome de Roger et ses humains

Votre serviteur était relativement circonspect en déballant le paquet cadeau. Il jaugeait d’un œil torve un ouvrage publié par un illustre inconnu (me suis rencardé depuis) et illustré par un certain Paka dont il ignorait tout – me suis également renseigné, honteux de ma vaste ignorance. Et bah, même en ne connaissant aucun des auteurs et de leur pedigrees respectifs, Le Tigre a grandement apprécié l’ouvrage. Véridique.

Paka & Cyprien Iov - Roger et ses humains, Tome 1 Extrait1D’abord, l’histoire. Hugo déballe ce qu’il pense être un cadeau, il en sort un robot à l’I.A. extrêmement développée et aux capacités presque infinies – qu’est-ce que Roger n’est pas en mesure de faire, à part mentir ? La chose bleue va bouleverser les habitudes de son hôte, sa copine Flo et leur chat, et découvrir l’univers des humains. Habitudes d’un jeune couple, école primaire, balades dans le parc, visite des parents, jusqu’à ce que l’intrigue principale resurgit : Roger est, à la base, un robot de combat. Et une agence gouvernementale désire ardemment le récupérer. C’est incohérent et pas crédible pour un sou, mais qu’importe puisque le but est de placer les protagonistes dans une multitude de situations cocasses.

Ce qu’il y a de remarquable est le mélange des genres qu’a réussi à opérer Cyprien Iov, à savoir un scénario relativement cohérent et linéaire composé de strips de trois à neuf cases maximum. Même en passant d’un développement à un autre, les auteurs parviennent à insérer quelques petits gags qui, à mon grand regret, m’ont de temps à autre fait sourire. Quant au dessin même, bah Paka verse dans la ligne claire toute minimaliste. Décor simplifié, couleurs peu immersives (sauf si vous habitez dans un jeu vidéo), personnages à la limite du manga (sont dépourvus d’yeux en plus), ce n’est pas ce que je préfère. Mais rien qui pique les yeux félins qui a vu pire.

En guise de conclusion, voilà un titre qui ratisse large et parviendra à séduire les très jeunes comme les moins verts – en revanche, pas sûr qu’au delà de 40 piges ça vous amuse. Pas de références sexuelles, problématiques graves (maladie, guerre, drogue dure, etc.) à peine effleurées – sinon pas du tout -, bref c’est amusant et safe sur tous les bords. Enfin, 88 pages, ce n’est pas le genre de BD fourre-tout qui s’achève péniblement après 50 planches. Y’a de la matière.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Roger et ses humains. Oui, le titre appelle une première réflexion sur la technologie qui possède l’Homme. Notamment le web sous toutes ses formes qui l’aliène et le rend dépendant. Mais Hugo représente une version soft des potentiels dégâts d’une utilisation excessive du trop vaste internet : trolling sur les réseaux sociaux, pornographie, jeux vidéos (seul ou en ligne), surveillance généralisée, etc. Et, en présence d’un robot qui ne sait mentir, la formulation de certaines vérités peut provoquer quelques dégâts. Heureusement, et comme le dit Rog’, le véritable maître de la maisonnée, c’est le chat. On est sauvés.

Paka & Cyprien Iov - Roger et ses humains, Tome 1 Extrait2Plus généralement, Cyprien décrit une jeunesse qui est la sienne et que certains appellent la génération Y. « Y » pour why, à savoir pourquoi rentrer dans un modèle parental (mère au foyer vs. Flo la seule à bosser), se conformer à la routine du métro (aucun voyage à plus de 300 mètres apparemment) et du boulot salarié qui brise la créativité et nous fait prendre des décisions à l’encontre de sa morale intime – cf. la situation du père d’Hugo, employé de génie qui lutte pour avoir des augmentations et participe, malgré lui, à la création d’une arme terrible. La chaleur dont manquent parfois ces personnages est exacerbée par la froide logique de la machine qui va du point A au point B en traçant une ligne bien droite et acérée.

Sauf que…cette génération, dont Cyprien se moque gentiment, se révèle d’une haute intégrité et sincérité. Profiter des menus avantages d’un robot certes, mais rien d’illicite – ou alors si peu. Flo et Hug’ tentent même d’éduquer Robert en lui enseignant ce qu’il convient de faire s’il veut se faire passer en tant qu’humain. Au surplus, Hugo représente ce que cette jeunesse sait faire de mieux : travailler pour créer dans un domaine de prédilection. En l’espèce, il s’agit d’un jeu vidéo qu’il développe secrètement, attendant que celui-ci soit suffisamment achevé pour en parler autour de lui. La modestie et la conscience dans le travail, voilà qui devrait plaire aux parents.

…à rapprocher de :

– Qui dit tome 1, dit tome 2. Peut-être un jour…malgré l’annonce de ce sur quoi portera le deuxième opus, un peu putassière sur les bords.

– Hem…pour l’instant le félin a peu de titres se rapprochant, de près ou de loin, à pareil ovni illustré – un peu de Pinocchio à la rigueur ?

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Toshifumi Sakurai - Ladyboy vs Yakuzas, Vol.2Sous-titre : L’île du désespoir. La belle (malgré lui) Kôzô poursuit sa lutte pour ne pas se faire violer par une centaine de criminels sexuels en manque. Deux nouvelles péripéties d’importance vont ici avoir lieu, la famille et l’amitié prenant une nouvelle dimension. Toujours aussi barré et fantastique, la série continue sous les meilleures auspices.

Il était une fois…

Kôzô vient de passer sa première journée en tant que cible sexuelle. Mais il(elle) est placé(e) face à un terrible dilemme : se faire sauter par son père pour que les deux puissent partir. Hélas, son daron est plus porté sur les (trop) jeunes filles et débande piteusement. La fuite reprend, et notre héro(ïne) est recueilli(e) dans une secte, qui la protège temporairement. Si le gourou en profite pour délier Kôzô de quelques traumatismes infantiles, est-il l’irréprochable sauveur qu’il attend ?

Critique du deuxième volume de Ladyboy vs Yakuzas

Il faut savoir deux choses sur cette série. D’une part, l’auteur a clairement indiqué qu’il ne fera que cinq tomes. Ce qui aidera à éviter les prolongations non nécessaires qui feront que, immanquablement, le félin perdra le fil. D’autre part, chaque tome, en plus de présenter de nouveaux personnages aussi divers que variés, semble réussir à donner plus de substance à un protagoniste qui doit s’habituer à son nouveau genre.

Ce tome se décompose en deux parties bien distinctes. D’abord, le passage de Kôzô dans une secte menée par le charismatique God, qui temporairement le (la) protège des assauts des Yakuzas en rut. Ce God, c’est l’anti-héros par excellence. Majestueux, grand, poilu comme un grizzli, le regard lubrique (il est superbement bien rendu) et le boniment d’un charlatan de troisième zone, le mec nous tient en haleine pendant pas mal de pages avant de révéler son vrai visage – on s’y attendait certes, mais le dénouement de cette situation est à se taper sur les cuisses.

La suite est sans doute moins fendard, toutefois permet de sortir, narrativement, du carcan de l’île où est prisonnier le Yakuza déchu : ce dernier réussit (grâce à son père) à fuir dans la forêt où il fait une bien curieuse rencontre. Celle d’un être énorme, à la taille inversement proportionnelle à l’intelligence. Quatre mètre de haut sur deux de large, un esprit enfantin et félin (graaaaouu) ravi de trouver, en Kôzô, un nouvel ami avec qui partager ses passions – manger une biche tuée à l’instant, se balader dans les bois. Accessoirement, Lion (oui, c’est son prénom) protège le héros des menaces qui l’entourent, et se révèlera décisif lorsque les deux compères se retrancheront dans la cabane aperçue au premier tome.

Et toutes ses aventures se déroulent sous l’œil malveillant du Big Brother local, à savoir le boss de la mafia japonaise désireux de punir son ancien employé. Ce personnage, dont les veines saillantes menacent d’exploser à tout moment, commence à devenir de plus en plus pitoyable, presque sympathique. On découvre un père paranoïaque qui détruit ceux qui l’entourent et qui l’aiment, et par ses actes odieux ne reçoit que mépris. Quant à la qualité de ce deuxième tome, rien ne s’oppose à dire que le lire s’impose si vous avez aimé le premier.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Vais point me faire chier. Vous voyez les deux paragraphes du milieu de la précédente partie ? Bah le fauve va les développer un peu plus.

La première épreuve du Yakuza déburné concerne la naïveté de criminels (une dizaine) prêts à tomber dans les bras du premier orateur venu. Le God en question parvient à embobiner l’héroïne (impressionnée par sa prestance il est vrai) avec des artifices (se faire saigner tel le Christ) et des techniques de manipulations mentales assez fines quand on y regarde de plus prêt. Toshifumi Sakurai indique sans ambages ce qu’il pense de ces méthodes sectaires dès lors que tout est traité avec un humour ravageur, et les défauts des protagonistes étant largement exacerbés – crédulité des adeptes et de Kôzô ; foutage de gueule du gourou dont les incantations sont du verlan facilement décelable.

[attention SPOIL] L’objectif de God ? Violer Kôzô pour se casser de l’île. Ce fils de pute y parvient. Pour une fois, on voit que des règles existent puisque le gourou file à l’anglaise à bord d’un hélicoptère spécialement dépêché – on se demande comment les autres habitants ne l’ont pas entendu venir d’ailleurs… [Fin SPOIL]

Le dernier thème concerne la notion du « gentil monstre » imprévisible qui, par on ne sait quel miracle, devient un indéfectible allié. C’est presque le gars inquiétant du film Les Goonies. Mais l’histoire de Lion est touchante et terrible à souhait. Celle d’un être rejeté par sa maman-star qui ne l’a pas voulu – et s’est correctement frappée le bide pour avorter, sans succès. Le « petit maître » déformé est élevé loin de sa famille par un gouvernante aimante. Les photos de sa belle maman ont tourné la tête du jeune Lion, ce qu’il se passe dans son cerveau lors de la première rencontre mérite sûrement d’être étayé. Résultat d’un mélange d’admiration, de haine (le rejet par la génitrice est immédiat) et de premier contact avec le « beau » sexe (la gouvernante est loin de l’être), le viol sordide parce que proche du matricide en devient presque évident.

…à rapprocher de :

– Bien évidemment, faut commencer par le premier tome (en lien, quelques visuels étant dispo). Le troisième est moins plaisant, tout en restant lisible (lien également). Le quatrième est couci-couça. A suivre.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce manga en ligne ici.

DodécaTora « Cher Tigre, je t’écris depuis une région dont les autorités n’autorisent pas l’extradition. Fort de mes nombreux films, j’aimerais que tu montres que mon pays d’origine a su produire des pépites littéraires. Bises. Roman P. PS : tu ne pourrais pas me pondre, discrètement, un petit scénario vite fait bien fait pour un prochain film ? Te fais confiance »

12 arcydzieł literatury polskiej

Le félin ne lit pas assez de romans d’Europe centrale et orientale. C’est même un euphémisme. Aussi, quand mon plombier/ agent d’assurances/ ami/ maçon/ [mettez le cliché qui vous convient le mieux] m’a rappelé qu’il était né dans la glorieuse Pologne, je lui ai tout de suite demandé quels romans, selon lui, méritaient de figurer dans un panthéon littéraire. Et j’y ai ajouté quelques titres de mon cru.

D’après le peu de littérature lue, le fauve a cru déceler deux grands types de textes (tous réalistes, avec une pointe d’affliction) qui ont connu un certain succès. D’abord, des romans se situant juste avant, pendant ou après la seconde guerre mondiale et dépeignant les souffrances d’un peuple qui passe du brun au rouge sang. Ensuite, il est souvent question de la Belle Époque de la Pologne-Lituanie du 19ème siècle, période où la double monarchie resplendissait dans l’Europe.

Au-delà des stricts mots, Le Tigre a une certaine admiration pour la Pologne et ses habitants. Imaginez un pays coincé entre l’Autriche-Hongrie, la Russie et la Prusse (ou leurs équivalents historiques) qui lorgnaient sans cesse sur ses territoires. Quand ceux-ci ne s’associaient pas ensemble pour la dépouiller. Plus d’une nation aurait perdu son identité au bout de quelques siècles, or la Pologne a su garder un riche substrat culturel.

Tora ! Tora ! Tora ! (x 4)

1) Henryk Sienkiewicz – Quo Vadis ?

L’antiquité romaine, les persécutions subies par les Chrétiens sous le (pas si) vil Néron, un pavé de plus de 500 pages qui se doit d’être lu – rien que pour ça, Henryk a arraché avec les honneurs le prix Nobel en l’an de grâce 1905. LE classique donc. Pour la petite histoire, le titre signifiant « où vas-tu ? » aurait été posé par un Saint-Pierre penaud quittant Rome et croisant le Christ. Lequel lui aurait répondu quelque chose du genre « je m’en vais me faire crucifier une énième fois pour sauver les Chrétiens ».

2) Witold Gombrovitz – Feydydurke

Seconde place pour le roman qui a initié le jeune félin au génie polonais. Un ouvrage purement inclassable, une petite tuerie qui évoque notamment retour forcé à la jeunesse et ce que cela peut comporter comme situations aussi burlesques que décapantes. Feydydurke (rien que ce titre, imaginez) fait montre d’une rare finesse, oscillant entre humour décapant et créations littéraires savoureuses – le vocabulaire, riche et fantasmagorique.

3) Adam Mickiewicz – Pan Tadeusz

[connu en français sous le nom de Messire Thadée. Cette précision est particulièrement importante dans la mesure où ça a été d’abord publié en France en 1834] Un poème monstrueux d’une douzaine de volumes sur les péripéties d’une famille de la double monarchie polono-lithuanienne. Une saga à la Zola, mais en vers. Quelque chose de suffisamment puissant pour apporter un peu de ciment à l’identité d’une nation. Ce truc, c’est un peu l’épopée nationale du pays à laquelle fait souvent appel l’imaginaire polonais.

4) Antoni Libera – Madame

La « madame » (en VO dans le texte, ha ha), c’est la prof’ de français du narrateur qui fantasme sévère sur cette Française trentenaire. La lutte entre la haute idée qu’il a de sa destinée (un écrivain classe) et la passion qui lui tire furieusement la braguette saura-elle être résolue ? Tout ceci avec, comme toile de fond, la très rieuse Pologne des années 60 – heureusement que de fortes traces d’humour résident dans ce roman autobiographique. A rapprocher, selon certains, de Feydydurke.

5) Kapuscinski – Heban

Plus qu’un écrivain, Kapu’ est un journaliste/reporter/photographe qui a traîné sa bosse en Afrique pendant plus de 30 piges. Dans Heban, l’auteur livre ses nombreuses impressions (tous les domaines sont abordés) d’un continent vis-à-vis duquel aucun jugement n’est porté. L’empathie et la justesse y sont reines, sans compter une écriture ciselée qui fait mouche – les quelques extraits que j’ai lus sont bluffants. Est passé à deux doigts du Nobel, le pauvre.

6) Arkady Fiedler – Dywizjon 303

Écrit au beau milieu de la seconde guerre mondiale, Division 303 est l’histoire de la fameuse 303ème escadrille, à savoir les pilotes polonais qui ont participé aux combats aériens durant le Blitz – à savoir en Angleterre après que notamment la France et la Pologne sont tombées comme des vilains petits fruits mûrs. Arkady F., ayant pris connaissance des résultats exceptionnels des soldats de son pays, a décidé de chroniquer leurs états de service et quotidien, vous comprendrez que l’essai (sorti en 1942) a tout de suite été un carton. L’essai de la fierté méritée.

7) Bolesław Prus – Lalka

[ça veut dire « la poupée »]. Certainement une des œuvres à ne pas rater, capable seule de dépeindre la société polonaise de la seconde moitié du XIXème siècle. De nombreux personnages certes, mais pour des intrigues cohérentes où il est question, entre autres, d’un jouet volé – voilà pour le titre. Prus (Aleksander Głowacki de son vrai blaze) a tout l’air d’être le Zola de la sainte Pologne – à la différence près que l’écrivain polonais a rendu son ouvrage un peu plus tard.

8) Wisława Szymborska – Nic Dwa Razy

Il s’agit du nom d’un poème en particulier qui, d’après ce que le félin a compris, représente ce que cette poétesse a fait de plus beau. Contrairement à la « poésie » telle que Le Tigre se la représente (la faute aux cours de lycée), Wisława S. est peu portée sur le grandiloquent et le précieux. Vocabulaire limpide, thèmes actuels (la bêtise humaine, le nature, par exemple), il en ressort une forme de sincérité universelle (avec un soupçon d’humour) assez touchante. Prix Goethe, Nobel de litté (en 1996), on sent la valeur sûre.

9) Melchior Wankowicz – Ziele Na Kraterze

Melchior est un être complet : officier supérieur, journaliste pendant la seconde guerre mondiale, journaliste politique, écrivain, éditeur, j’en passe ! Ziele Na Kraterze, sûrement son roman emblématique, prend place dans une Pologne occupée par l’Allemagne nazie et les souffrances de quelques protagonistes. Notamment lors de la terrible insurrection de Varsovie, où, après des combats acharnés contre l’occupant, les résistants furent sommairement exécutés par des Soviétiques peu amènes – les premières structures destinées à assurer la souveraineté du pays ont été rapidement catapultées sur mars.

10) Tadeusz Różewicz – Kartoteka

[VF : Le Fichier] Poète et dramaturge d’envergure décédé au milieu des années 2010, Tadeusz R. a pris part aux au conflit mondial de 39-45 en tant que résistant. Ensuite, il s’est mis à la poésie, et dès les années 60 au théâtre. Il a notamment créé, avec Le Fichier une pièce résolument contemporaine qui trouve nombre d’échos de nos jours – individualisme, absence de curiosité. Il s’agirait de l’œuvre polonaise qui a eu le plus d’impact dans le monde du théâtre mondial, une sorte de mètre-étalon utilisés par les metteurs en scène.

11) Piotr Bednarski – Les neiges bleues

Encore un parcours d’une rare tristesse qu’est ce garçon (moins de dix ans), envoyé au fin fond de la Sibérie avec sa maman. Autobiographie saisissantes de la folie de l’URSS qui parquait des populations entières (parce que potentiellement dangereuses) dans des villages paumés avant de leur trouver une place dans un Goulag. Mélange d’horreur (froid, mort, perte d’espoir) et de passages plus ensoleillés (le narrateur est jeune)

12) Andrezj Sapkowski – La saga du Sorceleur

Pour la dernière blague, on a signalé au félin cette suite de romans ayant progressivement eu un certain succès à mesure que des jeux vidéos tirés de cet univers sortaient. N’étant plus porté sur ce genre de hobbies, je n’avais aucune idée de l’existence d’une telle saga. Si des jeux vidéos donnent accessoirement envie de lire, le félin ne peut que s’en féliciter.

…mais aussi :

Les fantômes de Breslau, de Markek Krajewski. Enseignant de lettres classiques à l’université de Breslau, Marek a conçu une intrigue faite de meurtres affreux dans une ville occupée par le 3ème Reich, avec un héros alcoolique directement mis en cause par le meurtrier – en raison d’actes commis pendant la Grande Guerre. Pas vraiment un classique, mais étant donné que je l’ai lu, autant en profiter.

Je suis à sec. Przepraszam.

Orson Scott Card - L'Ombre du géantSous-titre : la saga des ombres, tome 4. VO : Shadow of the Giant. Retour aux grandes manœuvres militaires avec la création, par le menu, d’un gouvernement mondial pacifié tandis que le protagoniste lutte contre la montre – aider à l’unité de l’Homme sur Terre tandis que son corps menace de lâcher. Intelligent et psyché des personnages (et des grands ensembles politiques) bien développés, tome surprenant de réussite.

Il était une fois…

Achille est mort, Bean et son épouse Petra semblent sauvés – et, accessoirement, la Terre. Vraiment ? Pas tout à fait : déjà, le vilain Achille a disséminé les embryons des jeunes Delphiki aux quatre coins du globe, et il n’est pas dit que certains ne portent pas la « tare » génétique de Bean (grandir non stop jusqu’à ce que mort s’en suive à 20 ans). Une solution résiderait à envoyer le père dans l’espace, le temps de trouver un remède. En outre, les Grandes Nations ne se sentent plus pisser : l’Inde, la Chine et le Grand Califat Musulman (sans compter la Russie en embuscade) se préparent à une guerre monumentale où la F.I. (qui est tournée vers les étoiles) ne peut intervenir. L’Hégémonie, dirigée par le frère du sauveur de l’Humanité, pourra-t-elle unifier les peuples de la Terre (et pas les États) sans employer la force ? Ses proches sont-ils prêts à le suivre ?

Critique de L’Ombre du géant

Premier tome génial, deuxième tout aussi bon, troisième légèrement décevant, et ce quatrième opus renoue avec tout ce qui fait, à mon sens, le succès de la saga des Ombres [voilà pour justifier l’exceptionnelle longueur de ce billet]. Le sentiment d’urgence est renouvelé par la situation du héros dont la santé est plus que préoccupante, laquelle renvoie à l’état de la politique mondiale, avec des grandes idées stratégico-politiques qu’une poignée de personnes développent pour le plus grand plaisir du lecteur.

Comme le félin le rappelait ci-dessus, il y a deux grandes lignes directrices qui se croisent plus d’une fois. Bean et sa chérie partent à la recherche des enfants nés de mères porteuses tout en aidant (sans grand enthousiasme au début) Wiggins à instaurer une Hégémonie respectée qui ne casse pas dans tous les sens. Et pensent sérieusement à accepter l’offre de Graff, à savoir entrer dans un voyage intersidéral à une vitesse proche de la lumière (l’effet relativiste fera que le temps passera plus vite sur la planète bleue) aux fins de trouver un remède au désordre génétique de Bean. Le tout agrémenté de considérations sur la parentalité et le don de soi qui sont plus d’une fois dispensables – Orson Scott Card ne se refait pas sur ce point.

Sinon, et nettement plus intéressant, il y a quatre anciens coéquipiers d’Ender qui se tirent la bourre dans un foursome meurtrier. Vilormi se prend pour une déesse indienne et mène le peuple indien à sa perte ; Alaï gère tant bien que mal un Califat traversé de différentes nuances ; Han Tzu remet le pays en ordre suite à la cuisante défaite contre les Indiens ; y’a même Vlad qui, de sa Très Sainte Russie, attend le bon moment pour attaquer. Alliances (mariage même !), trahisons, menaces, la vie de deux tiers de la population mondiale ne tient qu’à peu de choses – les USA ? L’Europe ? Absents. Jusqu’à ce qu’intervienne un cinquième compère, la bite à la main, en la personne de Peter Wiggin, Hégémon d’une organisation moribonde qu’il a la charge de reconstruire. Et il y parvient le con !

Le style est du Scott Card pur jus, limpide et direct à l’exception d’épanchements mélo-dramatiques dès qu’il s’agit de l’avenir de Bean et de ce que partir dans l’espace aura comme répercussions sur la petite famille du héros. Sur le ton employé, Le Tigre a également regretté trois choses : 1/ l’ingénue Vilormi est dépeinte comme une folle en mode « Jeanne d’Arc », une succube qui cherche absolument à se caser avec les protagonistes mâles, et finit par lamentablement échouer – elle vaut mieux que ça pourtant. 2/ Le Grand Califat, malgré l’intelligence et la mesure d’Alaï, est dépeint comme ingouvernable. Aux dires de l’auteur, l’Islam est une religion fondamentalement violente, le désir de conquêtes semblant être le seul dénominateur commun des croyants – à peine nuancé donc. 3/ Peter Wiggin, dont le triomphe modeste est autant évidente que souhaitée, est toujours présenté comme antipathique et distant – une machine froide à laquelle il est difficile de croire.

En guise de conclusion, le fauve a pris un panard sans nom dans ce roman plus court que le précédent. Et en vient à se demander à quoi peut bien ressembler le cinquième roman de l’aventure. En effet, le happy ending est quasiment complet, l’avenir de l’Humanité est assuré, et les frères Wiggin ont pondu à ce qui ressemble bien à une réconciliation – sans compter une sorte de « que sont-ils devenu ? » délivrés à la fin. Dès lors, rien ne s’oppose à se contenter des dernières pages en tant que clôture de la saga.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le titre appelle quelques commentaires que le félin espère intelligents. Le géant, c’est d’abord Bean qui dépasse tous ses proches de deux têtes au moins. Son ombre peut être interprétée comme l’épée de Damoclès qu’est la clé d’Antov (détraquement génétique qui le rend hyper intelligent au prix d’une durée de vie limitée), laquelle touche également certains de ses gosses. Néanmoins, le géant est surtout le leadeur en devenir de la Terre, Peter Wiggin. Lequel, patiemment et à force d’intelligence et d’entretien de ses réseaux, fera que chaque nation, une par une, rejoindra l’Organisation Libre des Peuples de la Terre. Sans agresser quiconque. En laissant les populations décider, par référendum, de l’adhésion. Chapeau l’artiste. Tout ça grâce à Bean, l’ombre sans laquelle rien n’aura été possible.

Cette unification terrienne est aidée par un sens élevé du sacrifice. Le sacrifice de la jeunesse, ça fait bien bander le père Scott Card. Et le protagoniste en prend plein la gueule – le fauve a même failli chialer comme une vieille dondon. En outre, ses anciens camarades de l’école de guerre ne sont pas en reste. Ceux-ci sont profondément compétitifs et ne rêvent que de victoire (leurs pays respectifs les utilisant pour diriger le plus de territoires possibles) alors que la vraie problématique consiste à envoyer des colons sur d’autres planètes pour disséminer l’espèce humaine. Pourquoi ne pas alors les inviter à participer à cette aventure civilisatrice plutôt que guerroyer sur la Terre ? Pour cela, il leur faut accepter d’abandonner leur ambition et s’effacer face à quelque chose de plus grand qu’eux. Et comprendre qu’en restant dans les parages, leur intelligence militaire ne sera utilisée qu’à asservir les autres peuples (leur éducation n’était que destinée à écraser des E.T., rappelons-le). L’écrivain américain mormon a même dégoté l’équivalent hindouiste de cette abnégation : la satyagraha.

…à rapprocher de :

– Cette saga doit évidemment se lire dans l’ordre, c’est-à-dire La Stratégie de l’ombre, L’Ombre de l’Hégémon, Les Marionnettes de l’ombre, puis le présent titre – paraît que ce n’est pas fini.

– Je rappelle qu’il faut urgemment lire La Stratégie Ender en premier lieu. Et si cet univers post-attaque doryphore vous botte, je vous renvoie vers quelques nouvelles ayant lieu avant les deux sagas. C’est Ender : Préludes.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Xavier Duvet - Le journal d'une soubretteDans une grande ville américaine d’après-guerre, une expatriée française taille des p…euh son bout de chemin dans un environnement ultra sexué et amoral. Dessin de toute beauté malgré des protagonistes peu bandantes, ce journal traite de sujets originaux en plus de présenter une intrigue policière plutôt valable.

Il était une fois…

Tigre aime bien la présentation de l’éditeur, sobre et exhaustive :

« Clara, une petite expatriée française aspirant au rêve américain est obligée de se prostituer pour survivre. Elle va devenir l’intendante de la riche héritière d’un empire financier dont le mari ne rêve que de lingerie féminine, de bas nylons, de soumission et de féminisation. Clara finira par mener la danse. »

[si vous avez moins de 18 ans, ne cliquez pas sur les images hein ?]

Critique du Journal d’une soubrette

Xavier Duvet - Le journal d'une soubrette extrait 1Comme le titre tend à l’indiquer, tout commence par la délicieuse Mademoiselle Fish qui, de nos jours, touche une partie de l’héritage de sa défunte tante Clara. Fish tombe donc sur une mallette dans laquelle se trouve le journal intime de tata. Et la vieille garce cachait bien son jeu ! Voici donc les aventures contées par ledit journal et mises en image par l’imagination de la nièce.

Arrivant à NYC sans le sou, Clara use de ses charmes et de l’image d’Épinal de la coquine made in France pour tenter de gagner quelques clopinettes. Hélas, le décès d’un district attorney (équivalent d’un procureur aux States) chez Madame Lucy va foutre son bégayant business en l’air, les flics l’ayant à l’œil. Pour ne rien arranger, Madame Stern (une autre maquerelle) va exiger de Clara qu’elle bosse pour elle. L’héroïne, pressée de toute part, mène alors son enquête pour savoir qui a occis le D.A. Ses recherches vont la conduire auprès d’une riche bourgeoise dont le désir est de faire de son « Charlie » une belle salope.

Xavier Duvet - Le journal d'une soubrette extrait 2N’ayez crainte, le dénouement est finement trouvé, pas de souci de ce côté. Niveau dessin, c’est plutôt mitigé. D’un côté, les corps sont sublimes (ces chutes de rein sont à se damner), les personnages mâles transpirent le vice et les décors sont très réussis. Avec un trait crayonné de belle facture et un noir et blanc qui laisse place à une multitude de teintes de gris, le divertissement est total. Hélas, de l’autre côté, les visages de Clara et ses copines sont déroutants : non seulement certaines se ressemblent terriblement, mais elles restent foncièrement moches, leurs minois étant parfois finis à la truelle.

Xavier Duvet a sans doute accentué ces menus défauts dans la mesure où cet ouvrage est avant tout la vision contemporaine des histoires d’une femme par une nièce qui ne la porte guère en haute estime. Les traits seraient alors volontairement exagérés, donnant une impression générale de veulerie de certains et d’amoralité exacerbée des autres. Et, plus qu’une bande dessinée pornographique, il y a une forme d’art qui ne peut être ici niée.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Xavier Duvet - Le journal d'une soubrette extrait 1Le Journal d’une soubrette est d’abord la gentille déconstruction du rêve américain. Finis les glorieux temps où l’expat’ arrive les mains dans les poches, les lubies de McCarthy et la morale puritaine semblent avoir quelque peu plombé l’ambiance au pays de l’Oncle Sam. Il en résulte une ville loin des clichés flatteurs des pin-up girls des fifties, plutôt un endroit assez glauque où la haute société se cache pour faire ses cochonneries dans des bordels qui n’ont que l’apparence du glamour – à ce titre, chouette visite en fin de BD.

En outre, il faut savoir que Duvet a osé parler d’un sujet relativement tabou (à l’instar du nom de l’éditeur, hé hé) qu’est le travestisme. La fameuse « Charlie » dont la cliente entreprend l’éducation se révèle être l’époux de la femme. Lequel, depuis qu’il a été surpris en train de porter les sous-vêtements de sa bourgeoise, est traité comme une petite catin qui ne mérite qu’à se faire dominer. Gardé en cachette et soumis aux pires traitements (élargissement du trou de balle, repas pris dans la gamelle à chat, suçage de queue pour être embauché), Charlie se révèle progressivement le seul protagoniste apte à faire de l’ombre scénaristique à Clara.

…à rapprocher de :

– Dans la catégorie des journaux intimes qui basculent très vite dans la pornographie, avec une histoire et des illustrations moins bien léchées, Tigre vous renvoie vers les productions d’Ardem. Sur le blog, y’a par exemple La mauvaise élève ; Les films de Justine (Vidéos privées et Tournage amateur).

– Quant à l’art des pin-up et l’envers du décor de telles icônes, allez voir Exposition, de Noé. Un pur joyau.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette BD porno en ligne ici.