Les Sons du TigreIl est des morceaux de musique qu’on peut écouter douze fois d’affilée avec le même satisfactoire filet de bave à la commissure des lèvres. Le Tigre délaisse temporairement ses romans poussiéreux, se met une casquette de DJ sous méthadone et vous propose un petit tour du côté de l’electro-pop suédoise. De la bonne. Rien à voir avec ABBA.

The Knife, famille électrique

Comme chaque année (enfin, pour la deuxième fois), le félin profite des réjouissances estivales pour s’incruster dans la Radio des blogueurs, qui en est ici à sa septième édition (en lien). Je ne sais pas si je vous l’avais déjà radoté, mais si je n’avais pas suivi la voix du blog littéraire, j’aurais très certainement sévi en matière de cinéma et/ou de musique. A l’époque, j’avais opté pour les bouquins, me disant que lire un roman revenait moins cher qu’acheter un CD de musique ou une place de cinéma – niais que j’étais.

Pour ceux qui ne sont guère rompus à mes habitudes musicales, sachez que dans ma tanière tout n’est qu’électronique, de la transe goa israélienne à la minimal, en passant par l’électro-rap version west coast. Hélas, il est difficile de faire l’unanimité avec ces sonorités électriques qui, pour beaucoup, consistent en du bruit parsemé d’un barbare boum-boum qui ne servirait qu’à disperser des manifestants. C’est pourquoi je vous propose ici quelque chose entre la pop et l’électronique. Et rien de mieux que The Knife.

The Knife ? Il s’agit de Karin et Olof Dreijer, sœur et frère suédois qui, en l’espace d’un album (Silent Shout  sigenemabuz), ont acquis une petite notoriété. Suffisamment pour être facilement reconnaissables dans leur pays – et être gavé à force d’être arrêtés dans la rue. C’est pourquoi Karin et Olof se présentent et jouent désormais masqués, notamment en portant des masques de carnaval vénitien ou ceux portés par les médecins anti-peste du haut moyen-âge.

Leur type de musique ? Estampillé « électro-pop », The Knife brille par trois aspects :

1/ Des sonorités variées, voire de l’expérimentation dans la création (ou la reprise) de certains sons, lesquels sont différents d’un morceau à l’autre du même album – de l’anti-Benny Benassi en somme. Trompettes hurlantes, steel-band électrique, voix d’outre-tombe transformées par vocoder, y’en a pour tous les goûts.

2/ Des mélodies qui trouent le cul. Sérieusement, écoutez dans Pass This On (le lien est plus loin dans le billet) cette somptueuse harmonie qui se dégage dès les premiers accords assistés par ordinateur. Une dizaine de notes, tout est dit.

3/ Une voix. Et pas n’importe laquelle. Celle de Karin Dreijer. Comme dans la plupart des familles, c’est la sœur qui souvent fait le gros du boulot – d’autant plus que sa carrière solo, sous le nom de Fever Ray, mérite d’être suivie. Et Karin Dreijer fait honneur à cette douce propension. Non mais écoutez la bien, ce son tout droit sorti des tripes, à la fois geignard et confiant, comme si elle était sûre de son bon droit. Parfois, elle me fait l’impression d’une débile légère évoluant dans son petit monde et se foutant royalement des qu’en-dit-on. En un mot : Karin est envoûtante.

Trêve de paroles, voici un des morceaux que je préfère de ce groupe :

La froide chaleur scandinave

Pourquoi parler de Pass This On en particulier ?, me demandez-vous. Parce qu’il s’agit tout simplement de MA musique des vacances.

A chaque écoute, le félin est littéralement transporté. Les quarante premières secondes sont un enchantement, une pépite de mélodie dont on a envie qu’elle ne s’arrête jamais. Ce qui vient ensuite est, de manière aussi surprenante que délicieuse, meilleur. Karin développe ses cordes vocales et nous raconte une histoire qui démarre par un « je suis amoureuse de ton frère ». La suite ne semble qu’être supplications pour à la fois ne pas choquer le petit ami et s’assurer que ce dernier transmette bien le message. Un double amour de vacances qui ne peut que mal se terminer.

Cette unique mélodie définit à elle seule le trop court intervalle des vacances tigresques. Et oui, ce morceau sied aussi bien au début de l’été qu’à sa terminaison.

Au début de ses congés, le fauve tient à ne lancer ce morceau qu’à l’arrivée dans le lieu de villégiature. Je suis en bagnole, en début de matinée ou vers l’heure de l’apéro à quelques kilomètres de la maison des vacances. Souvent, sœur-panthère est à mes côtés et trépigne d’impatience pour enclencher Pass This On.  D’un hochement de tête, je lui indique que le moment est venu. Et nous chantons en cœur, comme des cons, ce single qui nous promet monts et merveilles. Cela est certainement l’effet « steel-band » de la mélodie, à savoir cet instrument caribéen conçu à partir de vieux braseros et aux sonorités légères et métalliques. Ça me rappelle mes séjours aux Antilles quand j’étais gosse – trop jeune d’ailleurs pour pleinement apprécier ce que ces îles ont à offrir.

Pendant les vacances, il s’agit tout simplement d’un appât à demoiselles. Si vous entreprenez un slow avec ce morceau et qu’à la fin vous n’avez pas droit à un petit bisou au moins sur le coin de vos lèvres, c’est que vous avez forcément pétez au milieu du deuxième refrain. Et que ça s’est senti. En prenant quelques autostoppeuses, vous pouvez transformer une petite balade en voiture en un scénario de film X en moins de deux avec Pass This On.

Lorsque la fin des vacances se fait sentir, rebelote ! La musique se fait triste et les jérémiades de la chanteuse pourraient parfaitement être à l’attention de ce fils de catin de mois de septembre. La rentrée, la fin de l’été, les regrets. En tentant de faire renaître l’ambiance festive du début des vacances, écouter Pass This On réussit à provoquer l’effet contraire : la mélodie se mue en une terrible plainte sur le bonheur des dernières semaines, avec ici et là quelques fulgurances mezzo-soprano sur des moments phares du mois d’août – pour ma part, de vagues souvenirs de corps nus et bronzés à ma merci.

Voilà toute la force de ces quelques minutes de musique : celle-ci s’adapte à l’ambiance. Suivant l’humeur, Pass This On peut être soit entraînant, soit incroyablement triste.

Cerise sur cet artistique gâteau, ce putain de clip sorti de nulle part. Ne vous excitez pas trop sur la chanteuse, il s’agit vraisemblablement d’un travesti qui n’a rien à voir avec Karin Dreijer. Je vous rappelle que The Knife n’aime pas trop se montrer, aussi la plupart de leurs clips mettent en scènes des personnes chantant a cappella sur la voix de Karin.

Déjà, le lieu : une sorte de MJC perdue au fin fond de la banlieue de Stockholm, un endroit clos sans visibilité sur l’extérieur. Ensuite, les individus : un melting-pot impressionnant (groupes ethniques, âges, etc.) qui néanmoins suinte une certaine misère. Il semble que les personnes présentes sont esseulées et ne viennent guère de la haute, sur leurs visages se lisent différentes souffrances et, pour les dérider, ils écoutent un mec grimé en femme gazouiller une chanson d’amour. Vous le sentez le foutage de gueule ?

Sauf que la mayonnaise, dans le clip, semble progressivement prendre. Les gens sourient, dansent ensemble, kolé serré, bref c’est la fête. Toutefois je ne peux m’empêcher de trouver l’ambiance glauque, presque malsaine même. C’est sans doute là l’esprit du mois d’août : on se détend souvent trop tard, et quand on est prêt à se mettre le slip sur la tête en chantant du Patrick Sébastien, souvent c’est de retour au boulot.

Agatha Christie - Le Meurtre de Roger Ackroyd[VO : The Murder of Roger Ackroyd] La paisible bourgade de King’s Abbot est en émoi. Pas moins de trois décès en un laps de temps relativement restreint. Et comme par hasard un fameux détective se trouve dans le coin… Roman d’exception (et de déception pour certains), l’art du roman policier en mode « qui l’a tué » est ici porté à son comble.

Il était une fois…

Acte I : Mister Ferrars meurt. De vilaines rumeurs courent sur la responsabilité de sa veuve.

Acte II : Mrs Ferrars se suicide. Avant cela, elle a rédigé une lettre à l’attention de Roger Ackroyd (qui voulait l’épousailler une fois le deuil accompli) et expliquant qu’elle était soumise à un odieux chantage.

Acte III : l’industriel Roger Ackroyd confie tout ceci à son ami le Dr Sheppard. La lettre est arrivée et est sur le point d’être lue. Quelques heures après, Roger Ackroyd ravale son bulletin de naissance. Qui donc l’a tué ?

Critique du Meurtre de Roger Ackroy

Tiens, ça faisait bien longtemps que le félin n’avait point lu d’Agatha Christie. A peine les Dix petits nègres au lycée, puis plus rien – je suis tombé dans la marmite de la SF par la suite. Alors, pour (re)commencer avec l’auteur number one de polars à l’ancienne, autant choisir le premier titre publié en France, et ce aux alentours de la moitié des années 20 (XXème siècle hein).

Contrairement à plusieurs ouvrages du genre où les motivations profondes de l’assassin demeurent pendant un certain temps inconnues, le mobile expliquant le sort réservé à la victime est relativement aisé à trouver. Plus délicate fut pour le fauve l’appropriation des personnages (ce doit être leurs noms de roastbeef), et les liens potentiels entre eux – disons que j’ai eu notamment du mal avec le jeune Ralph Paton dont on se demande à quoi il peut bien servir à part constituer un suspect trop parfait, sans parler de Caroline, grande sœur du narrateur et dont les interventions sont plus ennuyantes qu’autre chose.

Quant à la structure de l’œuvre, très vite le pattern qui sera celui de Christie est bien établi : le meurtre, l’arrivée du génial Hercule Poirot, quelques avancées ici et là, des détails en apparence insignifiants, et le grand banquet de la vérité dans les derniers chapitres (avec un Poirot aimant visiblement se mettre en scène). En l’espèce, la résolution de l’énigme est de pure beauté, entre enfants illégitimes, chantage et petites astuces techniques pour l’époque (le dictaphone), le tout mâtiné de l’irrésistible envie de revenir au début du roman pour vérifier quelque chose…

Le meurtre de « Bob » reste ainsi de la très bonne came pour l’époque, avec un style que la traduction française ne semble pas avoir écorné – l’imparfait du subjonctif passe plutôt bien. En outre (et ce dernier point est d’importance), il convient de signaler que la narration est celle d’un unique personnage, à savoir le docteur Sheppard, personnage affable qui rend compte, avec minutie, des faits, gestes et paroles de chacun.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La première remarque concerne la capacité d’Agatha Christie à user des faux semblants pour nous amener là où elle veut. Un siècle après, la formule marche tout autant – il est toujours vexant pour votre serviteur d’avoir tant l’impression de s’être fait balader tel un lourd cheval de trait. Une vraie magicienne qui donne de la lumière à certains éléments (Poirot qui se concentre sur des aspects peu intéressants) pour mieux en escamoter d’autres, lâche ici et là quelques morcifs d’un puzzle dont le piètre esprit que je suis est incapable d’au moins déceler les bords.

[Attention SPOIL] Ici, Agatha C. semble aller plus loin dans la « duplicité » puisque le coupable n’est rien d’autre que le narrateur. Celui qui raconte est le méchant et a dit la stricte vérité dans le compte-rendu de ce qu’il a vu et fait. Quinze minutes relativement importantes ont été zappées pendant lesquelles Sheppard plante ce pauvre Acroyd – mensonge par omission qui, à la lecture, est en vérité indécelable. Imaginez comment ça a pu gueuler chez les critiques de l’époque [Fin SPOIL]. D’ailleurs, l’acuité du héros n’a d’égal que sa bonté (façon de parler) dans la mesure où Hercule Poirot laisse au coupable une porte de sortie relativement honorable – le suicide.

…à rapprocher de :

Le félin a retrouvé quelques romans de Cri-cri dans une bibliothèque vétuste dans une maison de famille qui ne l’est pas moins, y’aura donc d’autres billets avec cette écrivaine, par exemple avec Les vacances d’Hercule Poirot, un poil décevant.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.