Charles Williams - Fantasia chez les ploucsVO : The Diamond Bikini [le rapport avec le titre français est en effet à des années lumières]. Presque un classique du genre mi-polar mi-comique américain du milieu du 20ème siècle, pour une fois remercions Gallimard qui laisse perdurer un tel auteur. Histoire qui n’en est pas vraiment une, en fait on s’en tape le coquillage lorsque confronté à cette brochette d’individus déjantés. A lire, ne serait-ce que pour l’auteur.

Il était une fois…

Au beau milieu des États-Unis, le p’tit Billy est témoin d’un joyeux bordel qui met la région dans tous ses états. En effet, une femme a disparu (la très pétillante Caroline) et une prime de 500 dollars est proposée pour sa capture. Entre son père Pop avec son alambic notoirement clandestin ou l’oncle Sagamore, en passant par les autorités dépassées par les événements, on hésite à qualifier le tout de foire du trône ou foire d’empoigne.

Critique de Fantasia chez les ploucs

Je me souviens encore de ce qui m’est passé par la tête après avoir fini ce roman : mouais, pas mal. Me suis bien marré, mais ce n’est pas mon univers…wait…écrit au milieu des années 50 ?? Oh mazette, ce mec est un petit génie ! Et oui, si le tout fait de temps à autre vieux jeu, on ne peut que saluer Williams d’avoir pondu quelque chose qui reste, de nos jours, encore si poilant à lire.

Je vais commencer sur le style, puisque l’auteur n’a rien trouvé de mieux que de nous présenter Fantasia chez les ploucs par le biais d’un enfant qui a à peine atteint l’âge de raison. Et c’est bien le seul à l’avoir, sa raison. Ainsi, sur 300 pages (assez denses, j’avoue avoir été content que ça se termine) nous penserons, verrons les choses comme le fait le jeune Billy. Or le mioche est l’observateur le plus immédiat grâce aux membres de sa famille qui vont se autant se jouer des lois que de leurs représentants (le shérif au bord de l’apoplexie notamment) .

Fantasia, car certains protagonistes (le père, mais surtout l’oncle capable de monter des affaires improbables) vont faire d’un coin tranquille une attraction qui n’a rien à envier au Woodstock des années 70. Des ploucs, enfin, car cela se passe dans la campagne profonde où le chaland moyen attiré par la recherche de la Caroline n’est pas vraiment un dandy.

Au final, la mayonnaise a plutôt bien pris dans mon esprit, c’est comme si on chopait le petit Nicolas par la peau du cul pour l’installer parmi quelques bouseux américains (sans l’aspect négatif) pendant une paire de jours.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La candeur de l’enfance. Billy est loin d’être un benêt, et sa jeunesse donne un rythme revigorant au titre. Bah oui, presque il voit ça comme un grand jeu notre garçon. Du coup, ce qui m’a arraché quelques ricanements, ce sont les savoureux dialogues entre les grandes personnes : en présence du gamin dont ils savent qu’il ne bitera pas un mot, leurs conversations laissent quelques indices (le lecteur n’a nul besoin d’être mentaliste) augurant de l’ampleur des magouilles mises en place.

En effet, les petites arnaques en tout genre prennent ici une ampleur assez inédite. Paris de turf, petites distilleries clandestines, augmenter les prix lorsque la demande suit (le passage sur les prix des hamburgers est digne d’être relu), on est dans le trivial. Mais quand l’arnaque prend un tour inattendu et que des milliers de personnes suivent le mouvement, l’improvisation (en est-ce vraiment une ou tout était prévu?) de nos héros fait curieusement des miracles. Le fameux bon sens paysan, sans aucun doute, entre réalisme (par rapport à l’argent) et cynisme rigolard.

…à rapprocher de :

– De Charles Williams, j’ai rapidement parcouru L’ange du foyer ou Avec un élastique.

– A signaler l’adaptation sur grand écran, par Gérard Pirès, en 1970, de Fantasia chez les ploucs (même titre). Les conditions de tournage en Italie ou la gestion des acteurs (le gros Lino) / figurants fut un incommensurable bordel que Tigre se plait à rappeler. En vrac : arnaques transalpines, colères noires de Ventura, pour finir Pirès va cramer son décor afin d’éviter qu’un autre réalisateur le squatte pour tourner son western spaghetti. Des barres.

– Certains font le rapprochement avec Jusqu’à plus soif, du Français Jean Amila. Bonne lecture également.

– Pour la débrouillardise mâtinée d’une profonde malhonnêteté, Le Tigre se souvient de Jim Thompson et son amoral 1275 âmes.

– Plus récent, par un maître français du polar, avec un gamin comme narrateur, c’est La vie de ma mère !, de Jonquet.

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Christophe Lambert - La brècheTitre aguicheur, voyage dans le temps qui tourne au désastre nazi, image de couverture qui envoie du très lourd (presque un Mechwarrior, waow), hélas Tigre a eu impression d’avoir lu de la science-fiction au rabais. Envergure minime, idée sous exploitée, trop « français » oserai-je dire, heureusement que ça se lit vite. Tant d’auteurs ont fait tellement mieux dans ce domaine.

Il était une fois…

Hi hi hi, Tigre flemmard a encore décidé de recopier le quatrième de couverture. Ça m’évitera de vous rappeler le scénario en sus :

« 2060. Un grand Network privé relance le concept de télé-réalité en envoyant des reporters dans le passé filmer des événements marquants du XXe siècle. Le choix se porte sur le Débarquement en Normandie afin de raviver la flamme patriotique des téléspectateurs. Foway, le 5 juin 1944 : munis de faux papiers, un reporter et un historien se mêlent à la masse des fantassins qui embarquent dans les navires de la flotte d’invasion. Bientôt les hommes du futur arrivent en vue des côtes françaises et assistent au spectacle apocalyptique qui s’y déroule. L’horreur de la guerre est bien réelle. Mais au cœur du bruit et de la fureur, une erreur est vite arrivée… »

Critique de La brèche

Il est des signes qui ne trompent pas. C’est gratuit, je sais, mais le publicitaire puis écrivain monsieur Lambert aurait du écrire sous un pseudonyme. Ne surtout pas laisser s’immiscer dans l’esprit volage du lecteur un peu flatteur parallélisme avec un acteur connu pour le potager (non, l’usine) à navets que représente sa carrière.

En effet, à l’image de l’homologue qui sévissait sur grand écran, La brèche fait un peu cheap aux entournures. Les personnages sont peu fouillés, les chapitres très courts ne laissent finalement peu de temps pour bien s’imaginer ce qui arrive aux protagonistes, à part toute la procédure pour aller dans le temps. Quant à la brèche à proprement parler, Le Tigre a presque pouffé en découvrant ce qu’il en était (des terrifiants nazis forcément qui mettent le pied dedans pour assurer l’avenir de leur Reich millénaire).

Pour conclure, on peut se dire en lisant ce roman que ce n’est pas sérieux. Christophe Lambert a visiblement choisi la voie du divertissement, voire du documentaire sur la WWII (joli boulot de reconstitution il est vrai, on s’y croirait) en laissant l’aspect SF sur le bord de l’autoroute. A la rigueur on pourrait parler d’anticipation sociale (cf. premier thème abordé), mais en aucun cas d’uchronie. Rien à voir.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La télé-réalité. Christophe Lambert a évolué dans le monde de la com’, aussi comme Beigbeder il n’est pas mauvais pour rendre compte des dérives médiatiques à venir. Le roman commence par deux journalistes en plein « travail », à savoir filmer les derniers instants de Marilyn Monroe. Évidemment le public s’y habitue et l’audimat s’érode, alors nos journalistes vont faire dans la surenchère, toujours à la recherche du gros coup médiatique qui va faire péter l’audimat. Quitte à casser la courbe temporelle.

Le voyage dans le temps et la fameuse brèche. Le scénario est séduisant mais d’un réalisme douteux. Déjà, invoquer les merveilles de la physique quantique m’a semblé un peu éculé, comme si Cricri me disait : hop on remonte dans le temps ! Comment ? Me fais pas chier, c’est quantique ! Ensuite, si confier la chose aux militaires est bien légitime, alors pourquoi laisser les médias l’utiliser pour faire des émissions ? De vous à moi, s’il y a une race d’individus à qui Le Tigre prêterait ses jouets destructeurs (bombe A, secret d’État, carnet de bal), le journaleux ne serait pas en tête de liste. Leur métier est la prise de risque et l’information à tout prix, les envoyer dans le passé avec comme ordre de ne rien toucher ni se faire remarquer est une jolie connerie.

…à rapprocher de :

– Du presque voyage dans le temps, avec une protagoniste qui fait de la télé-réalité, c’est surtout Brasyl de Ian McDonald. Une beauté, ai presque honte d’en parler dans ce billet.

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Joe R. Lansdale - L'arbre à bouteillesVO : Mucho Mojo. Ne vous y fiez pas, les titres français et originaux font tous deux référence au paranormal (la magie en fait), bien que le sujet du roman n’est pas le fantastique. Voici un excellent polar en fait, avec deux héros pittoresques et rapidement attachants, sur fond d’exactions d’une glauquitude certaine au fin fond du Texas. Humour, sexe, sang, mucho bueno.

Il était une fois…

Leonard Pine vient faire part d’une bonne nouvelle à son ami Hap Collins : ce premier vient d’hériter d’une confortable somme (100.000 dollars) et d’une misérable maisonnette dans un quartier chaud de LaBorde, Texas. Merci au tonton Chester qui vient de passer l’arme à gauche ! Aussi Hap va aider son pote à retaper la bicoque. Vaste programme. La « bonne nouvelle » tourne vite à l’aigre lorsqu’en plus de déterrer un squelette sous le plancher de la baraque, nos amis découvrent quelques magazines pédopornographiques…

Critique de L’arbre à bouteilles

Acheté au hasard, et ô joie ! Ce fut il y a de nombreuses années, et Le Tigre est vite tombé dans la marmite de cet écrivain. Si L’arbre à bouteilles est le premier opus de Lansdale disponible chez Folio, il semble en revanche que ce ne soit pas la première histoire publiée avec ces héros. Toutefois, au risque de me répéter, les ouvrages du père Joe peuvent se lire dans le désordre le plus complet.

Et pour une première, il n’est pas dur d’être happé dans le jeu de l’auteur. Deux protagonistes originaux face à une dégueulasserie sans nom qu’ils découvrent de la part de tonton Chester Pine, il n’en faut guère plus pour que les flics considèrent que la messe est dite. Malgré les misérables apparences Leonard et Hap, à partir de très peu (des indices assez minces au premier abord), vont dérouler les bassesses de la petite ville texane.

Si le dénouement ne m’avait pas semblé constituer une délicieuse cerise sur ce gâteau littéraire (la preuve, Tigre ne s’en souvient à peine), il faut applaudir le style bien rythmé de l’écrivain. On peut passer quelques pages à découvrir un lieu, des individus plus vrais que nature (servis par de très énergiques dialogues) et très vite basculer dans l’action la plus endiablée. En ajoutant les quelques souvenirs d’enfance qu’une vieille dame du cru contribue à ranimer chez Leonard, ça passe très bien.

Chapitres courts, on verrait très mal comment Joe R. Lansdale aurait pu mieux faire en moins de 350 pages. Bien sur il ne faut pas avoir les yeux qui piquent face au vocabulaire fleuri (nos héros ne sont pas des enfants de cœur), sinon quasiment ordurier. Pour Le Tigre, une jolie entrée en matière pour l’auteur américain, qui a produit depuis de bien meilleurs (c’est possible) romans.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Je prends le temps de ce billet pour présenter les deux gus. Hap Collins, c’est un blanc démocrate un peu tombeur sur les bords. Grand sensible, Hap n’hésite cependant pas à distribuer des tatanes lorsque nécessaire. Son alter ego, Leonard Pine, est noir, homosexuel et profondément républicain. Personnages au vocabulaire fleuri, je vous laisse songer aux merveilleux dialogues que Lansdale nous concocte entre ces deux amis à chaque chapitre. Un pur plaisir, et ce à chaque roman les mettant en scène.

Le Sud profond. Le tableau qui est dépeint de LaBorde est édifiant et sombre au demeurant. Voici des policiers un peu brutaux (pour ne pas dire idiots sur les bordures), des trafics peu avouables (objet de l’enquête), ou encore des dealers encore plus ignobles que d’habitude, Heureusement qu’une jolie femme a tapé dans l’œil d’Hap, pour l’aspect romance (un peu de galipettes bien détaillées d’ailleurs) le lecteur est servi.

Du coup, un dernier thème plus sensible pointe le bout de son nez, à savoir la pédophilie. Pour ce dont je me souviens, rien d’extrêmement choquant n’était décrit par Joe R. qui a su aborder le sujet de manière élégante (pas de pathos excessif) et comme aspect secondaire d’une enquête bien plus vaste.

…à rapprocher de :

– Voilà un genre de roman qui donne furieusement envie de poursuivre dans cette voie. En vrac : Vanilla ride, Le mambo des deux ours, Vierge de cuir (sans Leo et Hap, un de mes préférés), Tsunami mexicain (moins bon).

– Sur la pédophilie dans un polar, Ken Bruen s’est essayé au genre avec La main droite du diable.

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