VO : If The Dead Rise Not [faudra que l’éditeur français m’explique à quoi il joue]. Traque des communistes dans la France occupée, capture par les Russes puis les Américains, l’historiographie d’un homme pris dans la tourmente du Troisième Reich se complète. Gunther, le héros récurrent de Philip Kerr, doit avoir 1 000 vies, le pedigree du personnage commence à être chargé.
Il était une fois…
Les dernières aventures avaient laissé Bernie Gunther goûter à un repos mérité à Cuba, en 1954. Toutefois Bernie souhaite dégager du pays, et est arrêté au milieu de sa fuite. Il est alors retenu par la CIA qui l’envoie à la prison de Landsberg à Berlin, après un court passage à New-York. La guerre froide fait rage et les Américains, qui ont besoin d’informations sur l’Allemagne de l’Est et les Soviétiques, passent un marché avec Gunther : sa liberté dépendra de ce qu’il leur révélera sur un ancien de la SS, Erich Mielke, qui monte en grade au sein de la jeune Stasi.
Critique de Vert-de-gris
Le roman se présente sous la forme de deux récits chronologiques plus ou moins égaux. Premièrement, le présent, à savoir l’année 1954 : le protagoniste, tranquillement installé à Cuba, se fait pincer par l’Oncle Sam. Retour à NYC, puis l’Allemagne, un peu la France, bref le grand voyage. Ces excursions le mèneront à Berlin où une (ou plusieurs) mission(s) l’attend(ent) – non sans quelques beaux retournements de situation.
Deuxièmement, les flashbacks de Gunther, qui peuvent se décomposer en trois parties : un épisode particulier au début des années 30 lorsqu’il était à la police de Berlin (l’assassinat de deux policiers par un communiste, Erich) ; la recherche d’Erich en France (notamment un camp où étaient notamment « entreposés » les malheureux Républicains espagnols) pendant les années 40 ; et enfin le passage dans les geôles soviétiques et le retour au pays – partie la plus intéressante.
Très honnêtement, j’ai trouvé ces 600 pages bien longues, le plaisir est amenuisé par les passages dans la prison de Landberg : les dialogues entre le héros et ses geôliers sont fastidieux et poussifs, et ça ne fait guère avancer l’intrigue. Ça aurait pu devenir plus intéressant lorsque Bernie se fait envoyer en France puis œuvre avec le SDECE et la CIA dans un Berlin éclaté (suspense prometteur), toutefois l’auteur s’éparpille sans qu’on puisse réellement y voir l’intrigue première, à savoir Erich Mielke – qui est un personnage historique. En revanche, les souvenirs de Bernie pendant les années 40 sont prenants à souhait, notamment son « séjour » en URSS en tant que prisonnier de guerre.
La force de Kerr, encore une fois, est de romancer et transformer en polar haletant des pans de l’Histoire, obligeant Le Tigre à consulter une encyclopédie pour savoir si tel ou tel protagoniste a réellement existé. Un titre correct, un peu longuet parfois, mais hélas décevant de la part de l’auteur britannique.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
La question de la responsabilité de chacun en ces temps troubles est le fil d’Ariane. Gunther n’est pas un mauvais bougre, mais il devait sauver sa vie. C’est pour cela qu’il a très souvent fermé sa gueule – notamment son passage aux renseignements de l’armée (l’Abwehr), protester l’aurait mené droit à la déchéance la plus totale. Le titre du roman renvoie dès lors à l’uniforme des militaires dont la couleur Feldgrau était reconnaissable. C’étaient des militaires, et dans leurs rangs les nazis n’étaient pas si nombreux – rien à voir avec la SS qui sévissait derrière le front. Mais surtout, le vert-de-gris fait à mon sens référence à l’alliage du même nom qui constitue un poison – influence de l’uniforme sur l’âme ?
L’auteur retranscrit plutôt bien l’énorme maelström qu’est l’Allemagne d’après-guerre, et les luttes entre les quatre puissances occupantes – les Britanniques semblant être à la ramasse. Tout le monde cherche à sodomiser son voisin, et Gunther n’est pas en reste. L’intrigue se complexifie dans le dernier quart du roman, il faut en retenir que les petits arrangements des pays alliés (notamment les Américains), derrière les belles idées de démocratie et de liberté, sont profondément discutables – volonté de réconciliation et guerre froide obligent certes, mais ça ne légitime pas tout.
Sinon, ce roman fait la part belle à la vie dans les prisons de ce monde, que ce soit en France (camps de Gus et du Vernet, la Santé), aux States ou en U.R.S.S. (les pires endroits, à part bien sûr les camps nazis). Phikip Kerr, en fin d’ouvrage, donne au lecteur de nombreuses références à ce titre, et il y a matière à trouver son bonheur. Pas comme le héros qui en prend tellement plein la gueule que c’est à se demander comment il n’est pas devenu dingue.
…à rapprocher de :
– De Kerr, la saga avec Gunther reste très agréable. Pour la première fois, j’ai abordé ce titre avant son prédécesseur, et j’ai eu un certain mal à raccrocher les wagons dans les premiers chapitres. C’est pourquoi il faut mieux lire tout ça dans l’ordre : La trilogie berlinoise ; La Mort, entre autre ; Une douce flamme ; Hôtel Adlon ; le présent titre ; Prague Fatale ; Les Ombres de Katyn ; La Dame de Zagreb.
– La Paix des dupes se doit également d’être lu (longue uchronie sans conséquences sur la conf’ de Téhéran).
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.
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