VO : nathan-larson-le-systeme-dThe Dewey Decimal System. Un ville dévastée, un homme dont le passé lui échappe, un projet d’assassinat (plutôt simple) qui part en sucette, bienvenue dans un monde post-apocalyptique et passablement pourri. Rapide à lire, sans grande envergure, Le système D remplit tranquillement son office. Auteur à suivre.

Il était une fois…

Après une série d’attentats et une méga grippe qui ferait passer celle de 1918 pour de la pisse de nouveau-né, la ville de New-York est carrément à la ramasse. Les fonds promis mettent du temps à arriver (lorsqu’ils ne sont pas détournés), et une loi de la jungle plus ou moins gérée par le gouvernement est mise en place. Au milieu de ce foutoir sans nom, il y a Dewey Decimal, black amnésique qui vit dans une bibliothèque. Bien introduit parmi les huiles de la ville, Dewey est plus ou moins contrait d’accomplir une mission banale : tuer quelqu’un. Oui mais…

Critique du Système D

Nathan Larson, chose amusante, est classé dans l’esprit fécond du Tigre comme étant un musicien accompli (il sait chanter et jouer du piano, le saligaud !). Et là, j’apprends que le gus écrit également. Voici son premier romain C’est donc du haut de la jalousie la plus complète que cette critique est écrite.

Le héros, Dewey Decimal (nous reviendrons à son nom plus tard), est un individu atypique car intellectuellement barré et dont on ignore tout du passé (lui aussi d’ailleurs). Débrouillard, polyglotte, maniant les armes, on sent l’ancien soldat qui souffre de troubles post traumatiques. Et lorsque le proc’ de NYC, Rosenblatt (et accessoirement son fournisseur en came) lui demande de supprimer un certain Ukrainien répondant au nom de Yakiv Shapsko, les ennuis peuvent commencer.

En effet, très rapidement, toute une ribambelle d’intervenants vont venir obscurcir la situation de Dewey : Iveta Shapsko, la femme du mec à trucider, est le personnage secondaire (le pivot, ai-je envie de dire) de l’œuvre autour duquel pas mal d’intervenants que plus d’une fois j’ai confondus : deux gus du FBI dont on se demande d’où ils sortent, Brian Petrovic, Branko, et consorts (y’a des criminels de guerre serbes là-dedans, ne me demandez pas qui, j’ai déjà oublié). Bref, tout ce petit monde se tire dans les pattes, sans forcément savoir pourquoi, et Dewey a plus souvent le cul bordé de nouilles (entendez, il a de la chance) qu’à son tour.

Quant au style, ça reste plutôt fluide, les chapitres très courts y étant pour quelque chose. Les scènes d’action, avec une petite pincée d’humour; s’accumulent plutôt vite, toutefois le vocabulaire n’a pas ce petit truc, cette folie littéraire permettant d’entrer en plein dans le titre. En outre, le dernier quart du roman, peut-être en voulant faire trop vite, m’a paru presque ennuyeux – l’intrigue se révèle être une banale histoire d’amour doublée de la recherche d’une relique orthodoxe, c’est dire.

Pour finir, un roman qui se laisse lire, mais sans le plus qui aurait pu exploser le cerveau du Tigre. Comme toujours, l’éditeur livre dans la tranche du livre une playlist de titres à écouter en même temps que la lecture, et faut dire que l’association fait mouche – Wu Tang Clan, BO de Sin City, etc. Dernière pensée Patricia Barbe-Girault, la traductrice, qui est parvenue à rendre compte – j’ai la faiblesse de le croire – ce qui se passe dans un cerveau, à bien des égards, malade.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’intérêt premier que devait présenter cet ouvrage est la description d’une dystopie qui s’avère être finalement une uchronie – l’année 2011 est passée. Hélas, le lecteur sera laissé pas mal de temps dans le brouillard, les éléments de la catastrophe du mois de février 2011 sont livrés avec parcimonie : une pétée d’attentats qui met à genou l’Amérique, une grippe qui décime des millions d’Américains, une reconstruction qui tarde en raison d’une corruption endémique, etc. Du coup, j’ai eu une certaine difficulté à appréhender l’univers dans lequel évolue le héros, trop de questions sans réponse me taraudant – à l’instar de Dewey, qui restera un mystère.

Le titre renvoie à la classification décimale dite « Dewey » des livres dans leur ensemble, et correspond à un esprit plutôt bien cadré qui respecte les procédures. Notre ami, Decimal, est pire que cela. C’est un énorme monomaniaque qui respecte son « Système », paradigme d’habitudes assez inquiétantes : toujours tourner à droite dans les avenues de la ville pour prendre son chemin (puis à gauche à partir d’une certaine heure) ; se laver mille fois les mains avec du Purrex (gel nettoyant) ; prise régulière de cachetons, et j’en passe. Cependant, ses manies ne m’ont semblé qu’être une touche esthétique qui apporte peu au scénario, sinon avoir un narrateur (à la première personne) assez original.

…à rapprocher de :

– Tout le bordel ambiant dans ce qui fut la capitale économique des States n’est pas sans rappeler les comics DMZ, de Brian Wood.

– Quitte à chercher très très loin la comparaison, le héros amnésique qui en a pas mal sous la caboche me rappelle Le Monde des Ā, de Van Vogt. Sauf que je n’ai jamais su terminer cette saga.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce titre via le site de l’éditeur.

Jacques Martin - Le Spectre de CarthageSur-titre : Alix, tome 13. Il m’arrive d’exhumer de vieilles BDs, et les aventures du bandant Alix et de son petit ami Enak ont presque toujours laissé Le Tigre de glace. Ici, les héros sont invités dans la ville de Carthage où se passent des choses pas très catholiques – d’autant plus que cette religion n’existait pas à l’époque. Longuet mais instructif.

Il était une fois…

Le bel Alix, accompagné de son peu hétérosexuel Enak, sont à Carthage sur invitation des autorités locales. Toutefois, et à de nombreuses reprises, d’étranges décès ont lieu dans la cité punique (ouais, on dit comme ça). A chaque fois, une puissante lumière apparaît, souvent portée par de mystérieux individus. Que cachent les notables locaux, et quel objet magnifique peut émettre une telle radiation ?

Critique du Spectre de Carthage

Le Tigre a lu peu d’Alix, et l’univers de Martin m’est très peu connu. A l’instar d’un Blake & Mortimer, j’ai souvenir de BDs fort bien foutues mais un poil trop bavardes. Au moins, on ne pourra pas reprocher à Jacques Martin de faire patienter le lecteur. En effet, dès la première planche, l’action survient : à peine le blondinet s’est fait tirer le portrait qu’un soldat romain tombe des remparts, et nous voilà dans le bain.

Pour faire simple, l’éphèbe (il n’y a pas d’autres termes) Alix se retrouve au milieu d’un joli foutoir, entre luttes politiques et réminiscence de la grande Carthage autrefois vaincue par Rome. A force de péripéties, le lecteur sera entraîné dans une histoire qui prend, au fil des planches, une tournure fantastique : il est question d’une d’un minéral aux propriétés magiques qui est jalousement gardé par Eschôum, le gros méchant. Celui-ci se sert de la pétillante Samthô, prêtresse de Tanit (et fille de Zaïn, si ça vous intéresse), et qu’Alix aurait bien niqué si celle-ci, en voulant fuir avec notre héros, ne s’était pas connement tuée en chutant.

Bien sûr, c’est un poil plus complexe, et les comploteurs ne sont pas forcément ceux attendus.

Cet opus est assez salutaire dans la mesure où le mystère et le paranormal s’invitent naturellement dans la narration, et ce de manière crédible. Hélas, les illustrations sont très touffues et riches, j’en avais presque mal à la tête. Cela rend le déroulement des péripéties parfois difficiles à suivre, et j’avoue ne pas avoir eu la patience de bien comprendre ce qu’il se passait – le texte excessif n’aidant pas. Heureusement que l’aspect historique est bien traité et que l’histoire a une fin (alors qu’il est fait souvent référence à de précédents titres), sinon j’aurais été colère.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

J’ai honte de le dire, mais ce sont les premières pages qui m’ont le plus accroché : il s’agit d’un rappel historique des conditions de la destruction de Carthage – Carthago delenda est, en somme. Si l’histoire se passe lors de la lutte entre César et Pompée, il est expliqué qu’au milieu du 2ème siècle, lors de la troisième guerre punique (et ultime, selon les dernières informations), les Carthaginois se sont faits salement botter le fondement. Les Romains, excédés par les conflits avec cette cité, ont tout simplement décider de la détruire, pierre après pierre. Les habitants, lorsqu’ils ne furent pas tués, ont été tout bonnement réduits en esclavage. Voilà comment une guerre se terminait à l’époque : sans chichis.

Sans spoiler, la roche scintillante n’est pas de l’uranium (ça aurait pu vu les dégâts produits) mais de l’orichalque, légendaire minerai dont parle le non moins connu Platon – avec d’autres délires dans la veine de l’Atlantide. A ce stade, un parallèle peut être fait avec la science destructive, notamment le feu nucléaire dont des civilisations « rustres » ne sont pas prêtes à exploiter ce potentiel. Comme le dit Corus Maler (le gus venant de Rome chargé de l’ordre public), les Romains sont avant tout des paysans et n’ont rien à voir avec ces découvertes dont ils ne savent pas quoi faire – exemple de l’éolipyle, pourtant ancêtre de la machine à vapeur. Quelque part, la violence brute est l’apanage des civilisations bien ordonnées qui triomphent de leurs ennemis, ici une cité qui n’est pas décidée à livrer ses effroyables secrets.

Mais peut-être que j’encule trop les mouches.

…à rapprocher de :

– Dans les aventures d’Alix, Le Tigre a aussi lu Iorix le grand. Mieux, à mon très humble avis.

– Y’a pas qu’Alix dans la vie ! Faut pas oublier Lefranc, équivalent moderne de notre jeune noble. Pour l’instant, je n’ai lu que L’Opération Thor. Excellent.

– Je vais encore dire une connerie aussi grosse que moi, mais le beau-gosse affublé d’un autochtone un peu rude, c’est…mais…oui…ce blondinet de Chick Bill assisté de Petit Caniche ! Nom de Zeus, c’est un vrai complot d’homosexuels refoulés portés sur les jeunes garçons – que dis-je, des sauvages dont la moralité ne permet pas de distinguer ce qui se trame.

Hirschfeld & Abraham  - Les perversions sexuellesSous-titre : le livre qui fut brûlé par les nazis. VO : Sexualpathologie. Ja wohl, ça doit gravement parler cul dans cet essai. Pas tant que ça en fait, l’aspect scientifique (lucide considérant la date de publication) prime sur le sensationnalisme, et souvent le texte est aride. Parfait pour se rendre compte à quoi ressemblait un essai révolutionnaire dans les années 30, mais sans plus.

De quoi parle Les perversions sexuelles, et comment ?

Ach, Herr Hirschfeld, was für ein Genie ! [oui, Tigre est notamment bilingue dans la langue de Goethe]. Sauf que cet essai n’a pas vraiment écrit par lui. Disons que son plus proche collaborateur, Félix Abraham a rédigé cet ouvrage en s’appuyant sur les fines remarques de Magnus Hirschfeld – et sous la supervision du maître. On s’en doute, étant donné que Magnus est cité à la troisième personne – y’ a que les malades comme Le Tigre pour procéder ainsi.

Outre l’introduction, Abraham a subdivisé son étude en chapitres traitant de chaque pathologie. Au programme, il y a : la vie sexuelle normale (jusqu’ici tout va bien) ; l’impuissance (suivie des thèmes jeunesse/vieillesse) ; la branlette ; l’infantilisme (pédophilie en fait) ; puis la gérontophilie ; la nécrophilie et la zoophilie (là, je me suis dit que la montée en puissance devient sympathique) ; après c’est un fort long chapitre sur le GLBT ; les travestis, fétichistes, sadomasochistes, exhibitionnistes. Et enfin les crimes sexuels (trop vite abordé). Toute la smala des bizarreries sexuelles qu’on ménageait allègrement avant la WWII, en quelque sorte.

Tout cela a l’air fort appétissant, toutefois deux problèmes apparaissent : d’une part, c’est parfois excessivement complexe niveau vocabulaire scientifique. Quand je tombe sur ce genre de phrase, mon cerveau limité se ferme : « tiraillements douloureux dans les membres, dans les espaces intercostaux et dans l’épigastre ». Cependant, cela reste une certaine force dans la mesure où ces observations s’accompagnent d’exemples de patients avec leurs problématiques. Aussi les remarques et mots d’autrefois donnent une idée de l’état de l’observation scientifique

D’autre part, certains sujets traités font décidément vieillots, le décalage avec le monde d’aujourd’hui est trop criard. Il faut savoir que Hirschfeld est un des premiers auteurs à parler, en termes relativement sensés, des homosexuels en réfutant tout aspect moral et/ou déviant de leur condition – argumentation biologique à l’appui. Hélas, quelques maladresses vocables demeurent, que ce soit l’utilisation répétée de l’adjectif « anormal » ou des descriptions peu rigoureuses, sinon caricaturales.

D’habitude, Le Tigre ne cite jamais un ouvrage dans son texte, mais là il faut que je vous donne un exemple. Imaginez-moi, dans les transports en commun, ricanant bruyamment en lisant le passage suivant traitant des gays :

L’homme homosexuel aime le romantisme, l’exaltation. C’est un tendre qui vit toujours dans un monde de fine culture, entouré de fleurs ; les parfums jouent un grand rôle dans sa vie ; sa chambre sera toujours éclairée par des lumières multicolores : l’atmosphère en sera familiale. A côté de la cigarette, on trouvera régulièrement des sucreries qui lui permettront, au sens propre du mot, de sucrer, d’adoucir son existence.

Tant qu’à faire bonne mesure, il fallait rajouter que la sucrerie consiste en un bon gros sucre d’orge phallique que l’homme homosexuel, dans un élan romantique et sous une lumière arc-en-ciel tamisée, offre à son anus parfumé. [Attention, Tigre ne crache pas sur Hirschfeld, les auteurs qu’il cite sont bien pires, croyez-moi]

Et je n’évoquerai pas plus la vision de la femme qu’a l’auteur : un être qui, intrinsèquement, ne peut faire ses preuves dans le monde de l’art ou des sciences, étant forcément inférieur (vers la page 228, asséné avec un aplomb qui force le respect).

Une autre information pertinente concerne le sous-titre qui explique que ce livre fut brûlé par les nazis. Car les images (et vidéos) d’autodafé bien connues de cette époque n’ont pas eu lieu le 10 mais 1933, mais quatre jours avant lorsque quelques saligauds ont décidé de perquisitionner et cramer la bibliothèque du docteur Magnus H. Certes, cet essai fut en haut de la liste des bouquins à asperger d’essence, toutefois le signaler sur la couverture, cela me semble d’une aguicheuse putasserie à éviter.

Pour conclure, cet essai vivifiant (eu égard l’époque), tous ces termes savants m’ont ravi, et je suis sûr que les pervers de ce monde vont tomber plus d’une fois, par erreur, sur le pétillant blog tigresque. En effet, ces perversions, souvent, n’en sont pas. Le Tigre citera Steckel, lui même cité par le bon Hirschfeld : Il n’existe aucune forme normale d’activité sexuelle, mais une forme adéquate pour chaque individu. Lorsque ça ne nuit pas à autrui, que dire de mieux ?

Ce que Le Tigre a retenu

Je ne vais pas aborder tout ce qui est dit dans le livre, sinon on en aura pour la nuit – sans compter que je suis limité à un millier de mots. Mais le félin peut vous enseigner :

L’impuissance a des raisons parfois surprenantes (coït interrompu), mais plus bizarres sont encore les moyens d’y remédier. Loin du viagra, ou autres remèdes de grand-mère, il y avait quelques opérations qui m’ont fait froncer les sourcils : par exemple, greffer des couilles de singe à un mec de soixante balais pour qu’il retrouve sa joie de vivre, hum. Animaux ou hommes, les résultats à moyen terme sont néanmoins plus que probants, les hormones et productions glandulaires semblent déterminantes.

Le pouvoir des mots est extrêmement important en matière de sexualité, à ce titre, l’onanisme est un terme impropre, tout autant que masturbation, qui renvoie à la notion de souillure – abondamment illustrée par les bons mots du Dr. Kapffs. Hirschfeld préfère parler de Selbsbefriedigung, à savoir l’autosatisfaction sur la masturbation. En français, ça donne l’ipsation, partiquée par l’ipsant. A ne pas confondre avec l’automonosexualisme, forme de fétichisme autocentré.

Quant aux autres perversions, citons en vrac : le fétichisme que Binet a théorisé au 19ème siècle (fétichisme partiel à total) ; le sadomasochisme avec des exemples édifiants (l’auteur parle de métatropisme, terme que j’ignorais) ; et l’exhibitionnisme où, très souvent, son auteur ne parvient que rarement à se « polluer » – c’est avant tout une pratique en vue d’une stimulation grâce à l’impression de puissance (choquer autrui, par exemple des gosses) ou d’humiliation jouissive (être l’objet des quolibets). Le Tigre a eu confirmation que l’exhibitionniste est un individu d’habitude, chaque ville a « son » personnage pittoresque qui se balade, à une heure donnée, le zguègue à la main (très rarement des femmes).

…à rapprocher de :

– J’ai découvert à l’occasion que le père Hirschfeld était un crack dans son domaine, néanmoins lire tous ses titres peut s’avérer fastidieux. Beaucoup d’essais sur l’homosexualité, à l’instar de Die Homosexualität des Mannes und des Weibes (pas besoin de traduction).

– Plus récent, je vous invite à lire quelques chapitres de Arcadie, de Julian Jackson. Essai sur l’homosexualité en France de 1945 à l’apparition du SIDA, plus que complet.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce titre en ligne ici. Ou, mieux, sur le site de l’éditeur.

Robert Charles Wilson - AxisVO : idem. Deuxième tome d’une trilogie qui s’annonçait sous les meilleurs augures, Axis s’éloigne de l’histoire originelle pour proposer quelque chose de plus grandiose, mais qui peut s’avérer plus frustrant. Notre monde n’est plus et tout se passe dans un nouvel environnement, avec des nouvelles problématiques parfois difficiles à appréhender.

Il était une fois…

Il pousse souvent au Tigre l’équivalent d’un séquoia centenaire dans la paume droite. Voici la présentation faite par l’éditeur :

« Menacée par un Soleil qui se transformera bientôt en nova, la Terre vit ses dernières années. Pour la plupart, les hommes ont franchi l’Arc des Hypothétiques et se sont installés sur le Nouveau Monde, Équatoria, notamment dans sa capitale, Port Magellan. C’est à partir de cette agglomération tentaculaire, hétérogène telle l’humanité, que Lise Adams cherche son père, un scientifique qui a disparu depuis bien longtemps et avait peut-être découvert quelque chose sur l’énigme que représentent les Hypothétiques. Alors que Lise tient enfin une piste sérieuse, grâce à son ancien amant Turk Findley, d’étranges cendres se mettent à tomber sur le Nouveau Monde. Et si celui-ci, tout comme la Terre, était condamné à brève échéance ? »

Critique d’Axis

J’ai sans doute fait l’erreur de lire ce roman dans la foulée de son prédécesseur, et le changement de paradigme (voire de rythme) fut délicat à gérer. Aussi mon analyse est certainement biaisée, le félin préfère vous prévenir.

La Terre n’est quasiment plus, et l’intégralité du récit se déroule en quelques jours à peine sur Équatoria, et pas au-delà. Tout commence par une tombée de cendres qui représentent des machines qu’on sait avoir été créées par les Hypothétiques. De là, le lecteur suivra surtout deux protagonistes : Lise Adams, qui en apprendra énormément sur une caste de gens « améliorés » grâce à la technologie de Mars ; et le tout jeune Isaac, qui pourrait être la clé entre l’Homme et l’entité qui a apporté le Spin – le truc à l’origine du roman, rappelons-le.

Le souci de ce roman est, à mon sens, sa taille. Le format poche accuse presque 500 pages, et malgré le nombre d’intrigues (on suit pas mal de protagonistes) l’auteur canadien parvient à taper des descriptions plutôt longues. C’est certes la marque de Wilson, toutefois le déroulement du scénario paraît parfois vain (surtout l’aspect romantique qui tombe à la flotte), c’est-à-dire qu’on soufre de la comparaison avec Spin qui s’étalait sur des décennies.

Cela étant dit, il faut reconnaître que les derniers chapitres, intelligents, donnent furieusement envie de savoir ce qu’il adviendra – ça promet, les Hypothétiques revenant en force. C’est comme si Axis, entre un premier opus qui annonce la couleur et un troisième, avait du mal à trouver sa petite place.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Robert Charles Wilson traite un peu plus de quelque chose qui, l’air de rien s’apparente à une forme d’immortalité en devenir. Il s’agir des fameux « Quatrièmes Âges », type d’individus représentés dans le roman précédent par Jason Lawton, un des tout premiers à avoir reçu un traitement puissant. [Mini SPOIL] Cette technologie a pour but d’entrer en contact avec ceux qui ont conçu la membrane temporelle afin de savoir de quoi il retourne.

Du moins, c’est comme cela que les promoteurs du Quatrième Âge le présente. Car rien n’est tout blanc ni tout noir, et le lecteur comprendra progressivement pourquoi le gouvernement pourchasse furieusement nos héros. La sinistre (du moins le pense-t-on) Sécurité Génomique est aux aguets, notamment en recherchant le docteur Avram Dvali à l’origine de la création d’un nouvel individu qui fera office d’interface avec les Hypothétiques. Le lecteur découvrira ainsi comment la recherche de la vérité scientifique peut avoir des effets terribles, et la question de savoir jusqu’où il est possible de pousser le bouchon des expériences reste pendante.

…à rapprocher de :

– Je ne vous cache pas que commencer par Spin est obligatoire. La fin de cette trilogie est Vortex (dont j’attends la sortie poche).

– De ce fantastique auteur, les chouchous du Tigre sont Les Chronolithes et Le vaisseau des Voyageurs. Et puis quelques nouvelles bien sympatoches, du genre YFL-500 ou La cabane de l’aiguilleur. Mysterium est moins bon (même si l’idée de la communauté séparée du monde est un thème assez proche). Quant à Julian, c’est certes plus long, mais un peu en deçà de ce qu’on peut attendre de Wilson

– Le refus du Gouvernement, qu’on apprend dans les premières nouvelles d’Alastair Reynolds dans le recueil Galactic North.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

poul-anderson-la-patrouille-du-tempsVO : Time Patrol. La Patrouille du temps, c’est une agence chargée de régler tout paradoxe temporel qui pourrait naître dans l’Histoire (passée ou à venir, allez comprendre). Dans cet ouvrage, pas moins de cinq nouvelles sur les aventures de Manse Everard, agent du milieu du 20ème siècle (du moins au début). Réjouissant et indémodable.

Il était une fois…

« Un bon salaire, une protection efficace, des vacances de temps à autre en des lieux fort intéressants, une tâche digne ». Voilà comment, dans les années 50, le métier secret de patrouilleur de temps est vendu. En répondant à cette annonce, Manse Everard, ancien soldat de la seconde guerre mondiale (et au chômage), n’imaginait pas le quart du centième des aventures à venir.

Critique de La Patrouille du temps

Pour une série de textes écrits au cours des années 50 et placés sous l’orbite de la science-fiction, Poul Anderson est parvenu à créer une ambiance satisfaisante et un univers globalement cohérent. Chapeau.

La première nouvelle de ce recueil (même titre que le roman), évidemment, consiste au recrutement du héros et les explications quant au fonctionnement de l’unité. Manse (je ne m’y ferais jamais à ce prénom) passe quelques tests loufoques puis est formé au beau milieu des States. On apprend notamment comment le voyage dans le temps a été créé (par des humains super évolués, vers le 20ème millénaire) et les moyens de pouvoir aller aux quatre coins du temps, apprentissage de la langue compris – l’hypnose, pour tout dire, l’idée de traducteur simultané n’était pas dans les rotatives à l’époque. Une rapide mission a lieu avec ce qui ressemble fort être Sherlock Holmes, mais rien de notable par rapport à ce qui suit.

En effet, le protagoniste se retrouve, un peu vite il est vrai, dans le saint du saint : il devient un « agent non attaché », c’est-à-dire qu’il a autorité pour intervenir à n’importe quelle époque. Quelle veine. De là, deux nouvelles ont particulièrement attiré l’œil du félin : Le grand roi, d’abord, se déroule pendant l’essor de l’empire perse, sous l’essor de Cyrus II. Sauf que le fameux empereur est Keith Denidson, un ami de la Patrouille fermement décidé à devenir le maître local. L’autre univers, d’autre part, est sûrement un des meilleurs textes (cf. second thème dans la partie suivante).

Bref, le lecteur indulgent laissera de côté les paradoxes temporels abordés avec une certaine légèreté, tout comme les facilités techniques (barrière de la langue ou péripéties trop faciles) qui donnent au texte un aspect très attendu. Mais, à l’instar d’un Asimov, Haldeman ou Silverberg, c’est de la bonne SF qui ne semble pas décidée à mal vieillir.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La première chose qui a perturbé Le Tigre, en lisant ce premier recueil, consiste en la question suivante : « mais pourquoi personne n’a eu cette idée avant ? ». Certes des ouvrages abordent le voyage dans le temps et la manière dont gérer les paradoxes temporels, mais rien concernant l’ébauche d’une série dont les possibilités de scénarios sont presque infinis. En dépit de l’aspect purement « scientifique » assez risible de nos jour, Poul Anderson tenait là un sacré filon, plutôt mal exploité à mon humble avis.

Naturellement, l’auteur américain a eu quelques fulgurances narratives, avec des idées d’uchronies assez savoureuses. L’uchronie, voilà le maître mot. Certains évoqueront les Chinois (ou Mongols, je ne sais plus trop) qui commencent à découvrir l’Amérique avant les Européens, pour ma part la nouvelle L’Autre Univers a particulièrement retenu mon attention. Anderson s’est réellement lâché sur ce coup en imaginant les Carthaginois qui baisent la République de Rome. Rendez-vous alors compte du bordel que ça provoque, la face des civilisations est définitivement changée – que ce soit des langues parlées, des noms des continents ou de l’aspect général des cités.

…à rapprocher de :

Seul roman écrit par Poul lu par Le Tigre pour l’instant.

– Sur l’existence d’une agence temporelle, la référence reste La fin de l’éternité, de l’immense Isaac Asimov. Écrit à la même période, en 1955.

– Sinon, il y a Les déserteurs temporels, de Silverberg. Faudrait que je le lise un de ces quatre.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Tristan Egolf - Lord of the BarnyardVoici les premières phrases du roman Le seigneur des porcheries (dont Le Tigre parle ici)du grand Tristan Egolf, auteur américain décédé bien trop tôt. Parce qu’un incipit vaut mille mots, surtout quand le roman ose démarrer de la sorte, je ne pouvais le garder pour moi. Pour toi lecteur, je me suis encore transformé en dactylographe autant appliquée qu’amoureuse de l’écrivain.

Pourquoi Tristan Egolf mérite d’être lu ?

Il est des romans qui sont tout simplement inoubliables. Du genre à rater une nuit de sommeil et à se lever, le matin, encore groggy par une littérature à laquelle on ne s’attendait point. Tristan Egolf m’a procuré cet effet, et l’histoire de cet auteur américain qui a voulu en finir avec la vie apporte une ampleur encore plus violente au Seigneur des porcheries.

Le Tigre ne va pas vous exposer à nouveau l’histoire et le style avec lequel les pérégrinations du héros sont narrées, mais plutôt comment le début d’une œuvre peut être addictif. Dans ce bouquin, j’en connais plus d’un qui a souverainement décidé d’abandonner la lecture après les deux premières pages. Trop long, bizarre, ampoulé, riche, on se perd en adjectifs. Inénarrable erreur que de refermer alors le pavé, alors que celui-ci possède une rare puissance intellectuelle.

Cet incipit agit comme un filtre à lecteurs, et poursuivre jusqu’à la toute fin du livre, d’une traite (ou en une semaine), assure un sentiment légitime d’appartenir à une caste bénie des dieux – celle des lecteurs esthètes. Voici donc le premier paragraphe, qui consiste en une poignée de phrases. Mais quelles phrases ! La première, notamment, que j’hésitais à laisser seule.

Premier paragraphe du Seigneur des porcheries

Il arriva un moment où, après que l’étripage Baker/Pottville se fut calmé, alors que les vingt ou trente derniers citrons de l’usine de volailles de Sodderbrook, Hessiens du Coupe-Gorge, trolls de Dowler Street et autres rats d’usine des quartiers est de Baker étaient fourrés dans les paniers à salade du shérif Tom Dippold et expédiés vers les abattoirs bourrés à craquer de Keller & Powell, que les feux d’ordure de Main Street avaient été détrempés et écrasés au milieu des ruines fumantes du Village des Nains, que le gymnase avait été noyé de gaz et envahi par une équipe d’agents de police des comtés avoisinants, mal équipés et plus que sidérés, que les pillages dans Geiger Avenue s’étaient calmés, que l’émeute à l’angle de la 3e rue et de Poplar Avenue avait été maîtrisée, qu’une bande de conducteurs d’engins indignés de l’excavation n°6 d’Ebony Steed avait depuis longtemps rendu sa visite de représailles mal inspirée aux rats de rivière de la Patokah en une bruyante et lourde procession de pick-up Dodge, et que le reste de la communauté était si complètement enseveli sous ses propres excréments que même les journalistes de Pottville 6 durent admettre que Baker semblait attendre l’arrivée des quatre cavaliers de l’Apocalypse – il arriva ce moment où, dans cet ensemble braillard, tout ce qui restait de citoyens avertis et sobres dans le comté de Greene surent exactement était John Kaltenbrunner et ce qu’il signifiait. Ou pourrait même aller jusqu’à dire que, dans n’importe quel pavillon ou débit de boissons, la seule mention de son nom aurait pu déclencher une querelle interminable, querelle qui aurait bien pu durer des heures que s’achever abruptement par une mêlée générale. Tout cela littéralement. Le temps que John ait enfin réussi à territorialiser chaque haie d’une extrémité à l’autre de Baker ravagé, son essence avait été distillée à l’opinion publique comme étant celle de l’orchestrateur d’un holocauste à échelle réduite. Selon les termes employés par la presse, « son ombre avait obscurci chaque seuil de la porte de la ville », son nom était devenu une marque familière, généralement associée à tout ce qu’il y avait de pourri dans la Création. Il était devenu le personnage le plus controversé de l’histoire de Baker depuis que cette charretée de chair à canon que nous appelons les pères fondateurs avait pour la première fois poussé ses attelages fatigués hors des Appalaches et jusque dans cette vallée.

Lee & Moebius - Silver Surfer : ParaboleVO : Parable. Lorsque l’immense scénariste Stan Lee s’associe au non moins exceptionnel Jean Giraud (ici sous le nom de plume Moebius), forcément il est légitime de s’attendre à une explosion littéraire. Et l’adaptation des aventures du surfeur d’argent dans un monde qui perd ses repères est très bonne certes. Mais le lecteur exigeant aurait pu espérer une claque scénaristique un peu plus vive.

Il était une fois…

Sur notre bonne vieille Terre apparaît un beau jour un impressionnant vaisseau. Il en sort un gros étron qui répond au nom de Galactus. Ce dernier a bien promis de ne jamais attaquer les Humains, c’est pourquoi il « propose » à la populace admirative (et craintive) de tout simplement le vénérer. Et les Terriens, cons comme ils sont, s’exécutent. Seul Silver Surfer, ancien héraut (je vous expliquerai) de Galactus, est en mesure d’arrêter le carnage qui se prépare.

Critique de Silver Surfer : Parabole

Avant d’attaquer le résumé de l’œuvre, il faut savoir que l’histoire à proprement parler n’occupe que 50 pages toutes mouillées, soit à peine deux tiers de l’ouvrage. Le reste est un témoignage (plutôt intéressant) de Giraud sur l’approche et la philosophie de Parabole, et comment il en a chié pour rendre son travail.

Pour faire simple, Galactus tente de prendre par derrière l’Humanité en l’amenant à s’autodétruire plutôt que la conquérir franchement. Et le Surfeur, ancien aide de camp du super-vilain, semble être le seul à pouvoir s’opposer à ce bordel – bah oui, y’a plus d’autres superhéros dans cet univers. Du côté des humains « normaux », il y a un homme bien décidé à assoir son pouvoir déclinant : il s’agit de Colton, prophète de mes deux dont la sœurette (une belle blondasse comak) semble un peu moins con que la moyenne – ça ne l’empêchera pas de crever. Happy end oblige, Galactus s’aperçoit que le monde entier ne le vénère plus, aussi décide-t-il (encore une fois) de tenir parole et part comme un pet sur une toile cirée.

Quelques esprits contrits trouveront que les ficelles narratives sont aussi maousses qu’un baobab centenaire, et que les dialogues sont définitivement trop plats et évidents pour que l’apport « philosophique » soit complet. Cependant, pour un comics sorti à la fin des années 80 et à destination des Amériques, ça aurait pu être nettement pire. En outre, Moebius au dessin, ça n’a (presque) pas de prix. Le héros (et surtout l’antagoniste) en imposent, quelques planches envoient, visuellement, du rêve. De même, la patte du dessinateur a ravivé de glorieux souvenirs, Le Tigre avait impression tenace d’être en terre familière – le héros en clochard et dans un univers décadent, c’est du John Difool pur jus.

Tout ça pour vous avouer que Le Tigre, tel un gosse à qui une belle grosse guimauve est donnée, a pleinement apprécié ce comics…en fait, j’étais un poil embêté quant au classement sur cet objet littéraire : est-ce une BD typiquement américaine ou, plutôt, un roman graphique ? Moebius me semble s’être, de bonne grâce et avec talent, s’être plié aux canons des comics – dont acte.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Puisque Moebius s’est allègrement épanché sur les coulisses de la création de cette BD, autant s’inspirer de ce qu’il dit. De toute façon, il n’est plus là (et c’est bien dommage) pour protester.

La solitude et l’incompréhension de ses contemporains sont prégnantes, et il n’est pas exclu de ressentir de la tristesse face à un homme sensé qui pisse dans un violon géant. Le Surfeur, du haut de sa sagesse, sait le petit jeu auquel joue le mangeur de mondes. Sauf que le protagoniste principal prêche dans le vide, sa voix n’est que peu de chose face à la bonne parole du nouveau Dieu et aux furieuses éructations du prophète – et, paradoxalement, face aux membres de l’ONU alors que Colton est le seul à savoir de quoi il retourne vraiment.

A mon humble avis, la parabole du titre est celle de la relation compliquée entre l’Homme et ses dieux. Et, dans cet opus, la religion est une belle petite salope qui fait des dégâts. Dès que le vilain descend sur Terre et annonce à la cantonade que le péché n’existe pas et que c’est la fête du slip, son pouvoir apparent offre à la population une raison supplémentaire de faire n’importe quoi – on se demande d’ailleurs pourquoi le Président des EUA est encore en place. En rajoutant le faux prophète et les esprits trop contents d’avoir quelque chose de facile (et qui les arrange) auquel croire, l’anarchie est la nouvelle mode. Tout ceci à l’encontre de ce que déclame le héraut de Galactus, selon qui le divin ne peut être qu’amour et raison garder.

…à rapprocher de :

– De Stan Lee, pfffiou, ayant un poste de direction chez Marvel, inutile de rappeler toutes ses contributions… En revanche, faut pas confondre Stan Lee et Jim Lee, ce dernier s’étant particulièrement illustré dans Batman : Silence (DC Comics, pas Marvel).

– De Moebius, la référence qui vient à top of the head est Blueberry. Bien sûr. Pour ma part, je me suis surtout régalé avec L’incal. Voire L’homme est-il bon ?, court recueil qui se laisse dévorer.

– Concernant le Surfeur d’argent, Le Tigre a nettement préféré Requiem, de Straczynski et Ribic. Une pure beauté qui a bien failli m’arracher une larme. Le tome 1 de Slott & Allred  sorti en 2014 (en lien) est également bon.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce comics en ligne ici.

Robert Charles Wilson - SpinVO : idem. Premier tome d’une trilogie qui s’annonce sous les meilleurs augures, Spin est bien plus qu’un roman de science-fiction renversant. Il y est question de la mort de notre monde tel qu’on l’a connu, des moyens mis en œuvre pour le sauver et d’une seconde chance sans doute offerte. Tout cela avec une paire de protagonistes que le lecteur connaîtra intimement.

Il était une fois…

Dans un futur extrêmement proche, une imprévisible catastrophe (en est-ce une ?) s’abat sur la planète : une membrane noire et forcément artificielle se met à entourer la Terre, sans crier gare. Les satellites se cassent la gueule et les communications sont bloquées tandis qu’un soleil artificiel remplace l’astre habituel. Ça aurait pu en toucher une à l’Humanité sans faire bouger l’autre, toutefois il apparaît que le temps s’écoule des millions de fois plus vite dans le Spin (le nom donné à la membrane). Tellement que d’ici quarante ans, le soleil pètera en une belle supernova. La fin du monde arrive donc plus vite que prévue.

Critique de Spin

Le Tigre a l’impression de crier, telle une pucelle enragée, au chef d’œuvre dès qu’il s’agit de l’auteur américain. Mais Charles Wilson est bon, et comme toujours le qualificatif « science-fiction » ne semble être qu’un misérable cache-sexe à un ouvrage qui, à mon sens, tient plus de la grande tragédie.

Outre la tragédie généralisée de la planète, l’auteur s’intéresse à l’existence de trois individus que nous verrons évoluer. Il s’agira de Tyler Dupree, à l’enfance difficile et qui deviendra un talentueux médecin ; puis les jumeaux Lawton, à savoir Jason (scientifique qui reprendra le business de papa) et Diane (dont Tyler est amoureux, mais qui suivra une voie plus « religieuse »). Non seulement l’auteur nous montrera comment les réactions au spin peuvent varier (suivant une approche scientifique, religieuse ou médicale), mais les relations entre les trois individus (ensemble lorsque le soleil a été caché) sont finement décrites, presque mélodieuses.

Revenons à notre spin. L’Homme dispose de quelques décennies pour survivre, et pour une fois les nations s’accordent à lancer un vaste programme de…colonisation de mars. Sans spoiler, Jason (qui a rejoint Perihelion, la boîte de son père) est un des artisans de la terraformation préalable de la planète rouge. Hélas, celle-ci, une fois pleinement habitée, ne tardera pas à « recevoir » son propre spin. Mais l’aventure martienne a eu pour bénéfice d’en savoir un peu plus sur la membrane, notamment les trucs (nommés les « Hypothétiques ») qui l’auraient mises en place. Car Jason (trahi par sa copine puis reclus) a reçu un traitement à base de nanomachines lui permettant de voir aux confins de la galaxie.

Bref, une pépite dont la progression scénaristique surprend, et offre un dénouement qui annonce une suite haute en couleurs. Un peu d’Alastair Reynolds dans la grandeur de l’idée du Spin, mais surtout des relations humaines traitées de façon magistrale, comme le fait le grand Stephen King – déroutants flashbacks et place accordée à l’enfance notamment. Comme King, quelques longueurs sont à déplorer, toutefois l’intensité demeure, comme un angoissant bruit de fond.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Il ne s’agit pas vraiment de SF, mais plutôt d’une sorte d’uchronie qui, chaque jour, ne se met pas en place. Le spin pourrait apparaître à n’importe quel moment. Le cas échéant, on serait en présence d’un catalyseur de l’aventure humaine à venir. La colonisation de mars, ce serait « classique » si c’était l’objectif premier sur Terre. Et ce qu’il advient dans le roman est crédible, notamment quant à la création d’une civilisation martienne qui a peu de rapport avec la nôtre. A ce titre, Wun Ngo Wen, premier ambassadeur martien qui débarque sur Terre, ne ressemble plus vraiment à un terrien : petit, peau d’aspect lézardée, presque un petit homme vert !

Wilson m’a autant régalé que frustré avec le pourquoi et le comment du Spin. C’est l’apocalypse sur Terre, et l’auteur semble se jouer de nous avec des aller-retour dans le temps parfois déconcertants. Cependant, contrairement à la vision biblique d’une fin du monde (Diane en fait les frais d’ailleurs), l’espoir et la beauté sont omniprésents. [Attention SPOIL] Tout part à vau-l’eau, et intentions du Spin paraissent insaisissables. En particulier lorsque la membrane s’affaiblit et provoque des dégâts climatiques de grande ampleur. En fait, ce rétrécissement a permis le déploiement d’une immense arche en plein océan indien et menant vers un nouveau monde. Une sorte d’absolution pour une Humanité à jamais changée. [Fin SPOIL]. Autant vous prévenir, les derniers chapitres de ce roman ne donnent pas de réponse satisfaisante sur l’origine du spin, Robert C. Wilson en gardant pour la suite.

…à rapprocher de :

– La suite de cette fabuleuse trilogie est Axis, suivie de Vortex (dont j’attends la sortie poche).

– De ce fantastique auteur, les chouchous du Tigre sont Les Chronolithes et Le vaisseau des Voyageurs. Et puis quelques nouvelles bien sympatoches, du genre YFL-500 ou La cabane de l’aiguilleur. Mysterium est moins bon (même si l’idée de la communauté séparée du monde est un thème assez proche). Quant à Julian, c’est certes plus long, mais un peu en deçà de ce qu’on peut attendre de Wilson.

– Bien évidemment, j’ai pensé à Dôme, de Stephen King. Pas encore lu.

– La « logique » qui habite les Hypothétiques m’a dans un premier temps fait penser aux Inhibiteurs de la saga éponyme d’Alastair Reynolds (premier tome ici). Juste au début hein, car ce n’est pas vraiment la même chose.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

L'encyclopédie des félinsUn beau lundi, j’ai reçu cet étrange courriel : « Cher Maître Tigre, je vous contacte parce que Loana, mon animal de compagnie, a été écrasée par une voiture ce week-end. Ne désirant pas faire appel à un vétérinaire ou autre charlatan qui me soulagerait de quelques euros, j’aimerais savoir comment me débarrasser du macchabée en respectant la loi. Merci ! PS : ci-joint une photo de mon problème. Pourriez-vous m’aider à titre gratuit ? »

Mon animal de compagnie est décédé, que dois-je faire ?

[PREFACE : les gens qui pensent que je vais leur répondre gratis, ils ne doutent de rien. En plus, la photo jointe à la demande de cette femme pour « illustrer le problème » est d’une violence rare – c’est pourquoi j’ai crypté les endroits les plus dégueulasses. Comme la cliente voulait que je l’aide pro bono, je lui ai dit d’aller sur mon blog, sur lequel un jour peut-être je lui répondrai. Autant faire profiter de mes lumières au plus grand nombre. Voici donc la consultation juridique de Maître Tigre].

Pour une consultation juridique, une telle image est porteuse de nombreux enseignements

Quand on vous demande quoi faire de ça, une telle image est porteuse de nombreux enseignements

Chère Madame,

Je fais suite à votre message par lequel vous m’interrogez sur les différentes alternatives que la loi offre aux propriétaires d’un animal récemment décédé.

Avant toute chose, je vous prie de recevoir mes condoléances les plus sincères pour la perte de votre animal. Je sais combien ce malheur vous atteint et tiens à ce que vous sachiez toute la part que je prends à votre douleur, aussi vive soit-elle.

Je vous remercie de l’image que vous avez pris la peine de m’envoyer, celle-ci me permettant d’avoir de plus amples informations quant aux dispositions susceptibles de s’appliquer.

1. L’état général de votre animal

A titre liminaire, il faut savoir que les possibilités sont nombreuses quant au sort des restes de votre animal. Même si vous l’écartez, la solution à privilégier est de déposer ce dernier chez votre vétérinaire habituel. Le zootechnicien s’occupera des différentes formalités et vous proposera des références d’entreprises pour se débarrasser, en toute légalité, du cadavre.

En outre, si l’amour que vous portiez à votre chat l’impose, sachez qu’il existe des cimetières à animaux où pourrait reposer Loana. De même, vous pouvez toujours faire appel à un taxidermiste afin d’en garder un souvenir ému. Néanmoins, la photographie que vous avez prise semble indiquer que la plastique de votre chat a été soumise à rude épreuve. Aussi l’artisan taxidermiste risque de ne pas pouvoir le traiter correctement.

J’ai bien entendu que, en bonne grosse radine étant soumise à des aléas financiers, vous souhaitez effectuer ces démarches sans assistance. Je vous prie donc de trouver, ci-dessous, l’état du droit en la matière.

2. La loi applicable aux cadavres d’animaux

Parmi la cinquantaine de codes juridiques français, le Code rural et de la pêche maritime (avant 2010, celui-ci se nommait Code rural) vise les dépouilles d’animaux. En particulier le chapitre VI (sur les sous-produits animaux) du Titre II (intitulé « Mesures de prévention, surveillance et lutte contre les dangers zoosanitaires ») du Livre II de ce code.

Il est important, lorsqu’on évoque le terme « animal de compagnie », de préciser lequel. Car si cet animal pèse plus de 40 kg, alors vous devriez suivre les dispositions de l’article 226-2 du code rural. Celui-ci est particulièrement strict (je souligne) :

Constituent une mission de service public qui relève de la compétence de l’État la collecte, la transformation et l’élimination des cadavres d’animaux ou lots de cadavres d’animaux d’élevage de plus de 40 kilogrammes morts en exploitation agricole, outre-mer, ainsi que, en tous lieux, des catégories de cadavres d’animaux et de matières animales dont la liste est fixée par décret, pour lesquelles l’intervention de l’État est nécessaire dans l’intérêt général. La gestion de tout ou partie de ce service peut être confiée par décret à l’établissement mentionné à l’article L. 621-1. Cette substitution n’entraîne aucun droit à résiliation des contrats ou à indemnisation des cocontractants.

Les propriétaires ou détenteurs des cadavres d’animaux et des matières animales visés au premier alinéa doivent les mettre à la disposition de la personne chargée de l’exécution du service public de l’équarrissage.

L’exécution de ce service public de l’équarrissage est assurée selon les modalités fixées par décret.

Il s’ensuit des textes relatifs au noble art de l’équarrissage, indispensable activité consiste à récupérer et traiter les carcasses et autres déchets d’animaux morts. Ces articles sont motivés par un souci d’éviter, autant que faire se peut, tout risque sanitaire et environnemental.

Les chats les plus gros au monde dépassant rarement la vingtaine de kilogrammes, vous n’êtes pas soumise aux dispositions relatives à l’équarrissage. Sous réserve que vous n’avez pas une flopée de Loanas dont le poids total dépasserait cette limite, c’est l’article 226-4 qu’il convient d’appliquer (je souligne encore) :

Par dérogation à l’article L. 226-2, dans les zones de pâturage estival en montagne et en cas de force majeure, ou en cas de nécessité d’ordre sanitaire, constatées par l’autorité administrative, il est procédé à l’élimination des cadavres d’animaux par incinération ou par enfouissement. L’élimination sur place des cadavres mentionnés à l’article L. 226-1 relève du service public de l’équarrissage.

Il peut également être procédé à l’enfouissement des cadavres d’animaux familiers et de sous-produits de gibiers sauvages.

Les conditions et les lieux d’incinération et d’enfouissement sont définis par arrêté du ministre chargé de l’agriculture et, le cas échéant, des autres ministres intéressés.

L’incinération obéit à des règles spécifiques définies par un arrêté relatif aux centres d’incinération de cadavres d’animaux de compagnie. Vous relater ces règles ne me semble pas opportun dans la mesure où vouloir brûler dans son coin la dépouille de Loana nécessite des procédures de sécurité et un matériel qui vous coûteraient quatre reins et trois bras.

C’est pourquoi, en l’état du droit, vous ne pourrez que procéder à l’enfouissement de Loana.

3. Les règles pour l’enfouissement d’un animal

L’article 226-4 du Code rural et de la pêche maritime expose clairement qu’un arrêté ministériel définit les conditions d’enfouissement de son animal de compagnie. Cette situation concorde avec l’article L. 1311-1 du Code de la santé publique qui dispose notamment que les règles générales d’hygiène sont prises par décrets en Conseil d’État – même portée réglementaire qu’un arrêté, mais avec une procédure différente.

Or, pour l’instant, aucun arrêté ni décret sur l’enfouissement d’un chat (ou chien) n’a été publié. Dans l’attente d’un tel texte, il convient donc de se référer aux anciennes dispositions. En particulier l’ancien article L1 du Code de la santé publique qui disposait :

Dans tous les départements, le préfet [*autorité compétente*] est tenu, afin de protéger la santé publique, d’établir un règlement sanitaire applicable à toutes les communes du département. […]

Il faut donc que vous vous consultiez le règlement sanitaire de votre département. Vous pourrez trouver celui-ci en consultant le site du Conseil général.

Néanmoins, il est très probable que le préfet n’a pas jugé utile d’établir un règlement. Dans ce cas, il faut se reporter au « Règlement sanitaire départemental type » – seulement pour les domaines non couverts par les décrets en Conseil d’État.

A ce titre, une circulaire du 9 aout 1978 a révisé ce règlement sanitaire départemental type, document qui a été publié au Journal Officiel du 13 septembre 1978.

[pas d’impatience, on y est bientôt les amis]

Le titre IV de ce règlement, intitulé « élimination des déchets et mesures de salubrité générale », porte l’article 98 (à la page 7211 si cela vous intéresse) qui expose :

Il est interdit de déposer les cadavres d’animaux sur la voie publique ou dans les ordures ménagères ainsi que de les jeter dans les marres, rivières, abreuvoirs, gouffres et bétoires, ou de les enfouir d’une façon générale à moins de 35 mètres des habitations, des puits, des sources et dans les périmètres de protection des sources et des ouvrages de captage et d’adduction des eaux d’alimentation prévus dans la réglementation des eaux potables.

Leur destruction est assurée conformément aux prescriptions des articles 241, 264, 265 et 274 du code rural et compte tenu des dispositions prises en vertu de la loi du 10 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l’environnement.

Outre l’interdiction totale de jeter Loana n’importe où, vous pouvez donc procéder à l’enterrement de votre chat à plus de 35 mètres de tout ce qui se rapproche, de près ou de loin, à de l’eau potable. Évidemment, vous ne pouvez procéder à cet enfouissement que sur votre propriété.

Enfin, j’attire à nouveau votre attention sur le fait que, si un règlement sanitaire départemental spécifique existe, celui-ci viendrait s’appliquer en lieu et place du règlement type. A titre d’exemple, le règlement du département de Paris est nettement plus strict, y compris sur l’enfouissement des cadavres d’animaux :

Il est interdit de déposer les cadavres d’animaux sur les voies publiques, dans les lieux publics et dans les ordures ménagères ainsi que de les jeter dans les cours d’eau et leurs dépendances, dans les pièces d’eau, carrières et terrains vagues.

Il est, en tout lieu, interdit d’enfouir les cadavres d’animaux ; leur enlèvement est assuré par le service spécialisé de la Préfecture de police.

Tout ceci étant dit, je vous conseille vivement de porter à la connaissance des autorités la disparition subite de votre animal de compagnie. Cela peut être fait par votre vétérinaire auquel vous remettrez, en douce, le carnet de santé de Loana avec un petit mot explicatif. Charge à lui de prévenir le Fichier National d’Identification des Carnivores Domestiques – ou toute autre agence idoine.

Je reste bien entendu à votre disposition pour revoir tout ceci à votre convenance.

Bien à vous.

Maître Tigre

Conclusion

Lors d’une consultation, Le Tigre ne met jamais les liens vers les articles/arrêtés, et fait plutôt confiance au sacro-saint copier-coller. Cependant, je préfère vous signaler que ce billet, écrit courant 2014, ne sera certainement plus valable à moyen terme. Et ne comptez pas sur le félin pour le mettre à jour.

Enfin, je vous prie encore de bien vouloir me pardonner pour avoir publié la photo. L’exhaustivité et la qualité d’une consultation l’exigeaient.