Douglas Preston - T-RexVO : Tyrannosaur Canyon. Carnet de notes à déchiffrer, plein de vilains agents gouvernementaux à la gâchette facile, mystérieux spécimen préhistorique aux propriétés surprenantes, Preston dose tout ceci avec une facilité déconcertante. Thriller scientifique avec une bonne dose d’action (un peu trop hollywoodienne sur les bords, genre hélicos + explosions), cet ouvrage se laisse dévorer.

Il était une fois…

Tom Broadbent se fait une petite balade dans le désert du Nouveau-Mexique lorsqu’il tombe sur un mec agonisant qui lui remet un carnet. Tom commet alors l’erreur classique (péché de curiosité) qui consiste à garder le document et à chercher de quoi il retourne. Or, les informations contenues dans le carnet intéressent beaucoup de monde, notamment la NSA (plus vilaine que jamais) ou un paléontologue peu scrupuleux.

Critique de T-Rex

Le Tigre connaît surtout Douglas Preston pour ses impressionnants romans écrits à quatre mains avec son compère Lincoln Child. Et avec le seul Doug aux manettes le résultat est peu ou prou le même, cependant ne comptez pas sur moi pour faire une analyse comparée. Bref, encore un joli pavé (un demi millier de pages) découpé en un nombre incalculable de chapitres, encore plus de paragraphes et suffisamment de dialogues pour lire chaque page en moins de 20 secondes. Si au bout de 10 jours vous ne l’avez pas terminé, posez-vous donc des questions.

Le roman commence par la disparition d’échantillons de roches prélevés sur la lune au début des années 70 – prologue qui aura son importance. Retour au présent avec Tom Broadbent, héros presque normal qui a tout pour lui et se retrouve embarqué dans une histoire qui le dépasse. Broadbent fait rapidement appel à un ancien de la CIA retiré dans un monastère (le gus a vécu de terribles choses dans le passé) qui va lui donner la première clé de l’énigme – n’en dirai pas plus. Ainsi, nos compères vont trouver le fameux trésor pour lequel un homme est déjà mort – l’image de couverture et le titre donnent un léger indice sur ce que c’est…

A partir de là, tout s’accélère pour notre plus grand plaisir avec deux histoires se télescopant : Broadbent continue ses recherches et, par la même occasion, met sa femme en danger puisque le tueur la prend en otage pour récupérer le carnet. Parallèlement, un échantillon de la « chose » récupéré par l’assassin est envoyée à son commanditaire qui entreprend de l’analyser – du moins il laisse faire une de ses assistantes. Ce qu’elle découvre dépasse l’entendement, forcément ça parvient aux oreilles de la NSA qui se met en mode « chercher/trouver/supprimer-témoins ».

Ne vous inquiétez donc pas : malgré la délicate position de nos héros (dont la laborantine), chacun s’en tire indemne (les ficelles sont parfois grosses, dans la réalité il en serait autrement) pour un happy ending qui laisse de quoi rédiger un bon roman de SF. Dernière chose : le félin vous conseille de ne pas lire le 4ème de couverture (du moins celui de mon édition), mélange particulièrement réussi d’informations inexactes et de spoil pleinement assumé.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Si vous n’êtes pas trop calé question préhistoire, T-Rex aura l’avantage de vous remettre rapidement à jour. Car Doug’ P. parvient à distiller, l’air de rien, ses larges connaissances dignes d’un paléontologue grâce à un héros bien placé pour déblatérer sur cette période de l’histoire de la Terre. Méthode de datations, analyse du squelette des dinosaures, mais également conséquences scientifiques (et économiques) des découvertes dans ce domaine, vous pourrez briller en soirée.

Néanmoins, si les derniers chapitres basculent dans quelque chose de plus « fantastique », j’avoue avoir refermé le bouquin en ayant une terrible dalle, celle qui donne envie de torturer l’auteur pour qu’il rédige une suite : [attention SPOIL] Ce qui fait particulièrement paniquer les protagonistes (la NSA en perd les pédales) est la présence, sur le dinosaure, d’organismes provenant de Vénus [ricanez pas, ce n’est pas fini]. Et ces cellules extra-terrestres sont encore en vie [une dernière révélation pour la route ?]. Et semblent agir contre les cellules des reptiles. Donc la théorie finale qui valait bien toute la peine endurée par nos héros est la suivante : et si une lointaine civilisation avait envoyé ce bouillon de culture sur la Terre pour tuer les grosses bêtes pour laisser une autre espèce (nous, par exemple) s’épanouir ? [fin SPOIL].

Outre l’aspect thriller bourrin avec des retournements de situations à faire tousser n’importe quel agent double, j’ai été assez surpris par un des antagonistes, à savoir le responsable du muséum. Le vil Iain Corvus (« Iain », c’est son prénom) est un petit salaud de première qui ne recherche que les tunes et la gloire pour son institution, quitte à oublier toute bienséance – vol des recherches de ses collaborateurs ou embauche d’un tueur à gages. Bref, encore une vénérable institution se comporte comme une organisation criminelle sous couvert du développement de la science. Venant de la part d’un auteur qui y a bossé, je trouve le clin d’œil osé.

…à rapprocher de :

– Comme on le devine, Preston est à l’aise dans l’environnement paléontologique, ayant été rédacteur dans le fameux Muséum de Washington. Il a d’ailleurs écrit un essai sur ce dernier : Des dinosaures au grenier : une excursion dans le Muséum d’histoire naturelle.

– L’écrivain américain a d’abord écrit le roman Le Codex, avec le même protagoniste principal – ne pas le lire avant T-Rex ne pose pas de problème particulier.

– La fin qui ouvre des perspectives me rappelle celle de Ice Limit, petit bijou de techno-thriller écrit avec Lee Child.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

L'encyclopédie des félins« James, je ne trouve pas les mots… – Laisse moi donc élargir ton vocabulaire » Ouais ouais, on ne la fait pas au Tigre. Sous couvert d’un chouette métier et parce qu’il enfile ses vodka-martini au rythme d’un Polonais, James Bond passe pour un homme à femmes. Bourreau de félins, agent secret de troisième zone, le matricule 007 est pourtant l’ennemi récurrent d’une saga cinématographique qui doit être largement réinterprétée.

James Bond contre les félins

Bien-aimé lecteur,
avant de démarrer ce passionnant  billet (enfin c’est ce que m’a dit papa-tigre), il te faut savoir deux petites choses. Premièrement, Le Tigre ne traitera que de l’univers cinématographique du Commander Bond. Je n’ai pas assez lu de romans de Fleming (et ses successeurs) pour prétendre maîtriser l’historiographie bondesque à un niveau satisfaisant. Quant aux autres médias, à part SilverFin en BD (en lien) mes connaissances sont des plus minces.

En revanche, j’ai dû regarder chaque James Bond Movie au moins douze fois. L’époque de la cassette VHS, âge de plomb où streaming et pire-tou-pire étaient hélas inconnus, m’obligeait à prendre ce qu’il y avait de disponible dans ma légère bibliothèque. Or, à partir d’un certain âge les dessins animés de ma jeunesse ne suffisaient plus – et je n’avais toujours pas trouvé la collection de boulards dans le dernier tiroir dans la chambre de mes vieux.

Deuxièmement, autant te dire que si l’agent double-zéro-sept t’en touche une sans faire bouger l’autre, ce qui va suivre risque de moyennement t’intéresser. Tente toutefois de t’accrocher, le félin va essayer de rendre ce voyage le moins chiant possible. Au surplus, James Bond ne sera abordé que sous l’angle des félins (blog d’un tigre oblige), ma prose étant mâtinée de photos certes largement repompées mais adaptées à mon petit univers.

Un intrus s'est glissé. Tout à fait :

Un intrus s’est glissé. Bien vu : Sean Connery est souriant et ne prend donc pas son job au sérieux

Voici donc la première partie qui tentera de répondre à deux premières questions suivantes : 1/ En quoi 007 maltraite la gente féline ? 2/ Dans quelle mesure, à l’inverse, son ennemi juré semble attaché à son chat ?

A toutes fins utiles, sachez que j’ai la flemme de mettre, en liens, les vidéos de ce dont je m’apprête à causer. Faites moi confiance pour une fois.

James Bond n’aime pas les félins

Après des centaines d’heures de visionnage, le verdict : ce malapris de Bond ne semble pas porter les félins dans son cœur aride. Plus d’une fois j’ai même avisé ce pitoyable individu martyriser un pauvre minet. Littéralement même : dans Les diamants sont éternels, Sean Connery (il n’en était plus à une près – désolé fallait que ça sorte, referai plus) a l’ingénieuse idée, avant de flinguer un des deux Blofeld, d’envoyer valser un des deux chats vers l’ennemi. Vous lisez bien : zéro-zéro-sept fout un retentissant coup de pied dans le derrière d’un animal qui n’a rien demandé, ce dernier s’écrasant piteusement dans les bras de son maître – pour la petite histoire, James s’est trompé de propriétaire.

Moonraker - Drax & chatLorsqu’un ennemi ressemble trop à un chat, même punition ! Un des sous-fifres de Drax (film Moonraker), avec sa coupe au bol et ses moustaches de niais, tente maladroitement d’occire l’agent secret. Notamment en mettant la machine à G au maximum. Quelques heures plus tard, lors d’un combat minable où le maître d’art martial pousse des cris de tenniswoman sous méthamphétamines (l’acteur, Toshiro Suga, est expert ès Aïkido), James le défenestre en plein Venise en lui souhaitant « bonne nuit chat ». A l’occasion, il nique un vitrail et une horloge géante qui ont dû coûter une blinde et poutre allègrement un piano de belle facture.

Et ce n’est pas tout ! James ne fait pas que maîtriser les petits tigres, il met également à genoux les tigresses. Plus elles courbent l’échine, plus il est satisfait. Plus il est dur avec elles, mieux ça passe auprès des téléspectateurs apparemment. Beaucoup de Bond Girls finissent ainsi mortes avant la fin du scénario : la petiote entourée d’or dans Goldfinger, la bourgeoise dans Rien que pour vos yeux, quelques alliées après avoir retourné leurs vestes (L’homme au pistolet d’or, Dangereusement vôtre avec la somptueuse Grace Jones), les secrétaires de certains méchants après s’être ouvertes à Bond (Corinne Dufour in Moonracker, etc.).

Tigre donnant des cours de natation

Tigre donnant des cours de natation

Quant aux autres poulettes qui résistent à l’agent secret, direction l’allée 8, numéro 30 du cimetière. La vilaine Marceau (Elektra) qui se fait froidement butter par Pierce B., la bombasse brune qui part en fumée dans Jamais plus jamais, la nympho tendance sado-maso qui termine les quatre fers en l’air contre un tronc dans Goldeneye, la pauvre Rosie Carver qui prend une balle dans le dos en fuyant James (Vivre et laisser mourir), etc.

Ces exemples piochés au petit bonheur la chance ne montrent que des belles femmes à l’allure félines, et qui clôturent leur carrière entre quatre planches en bois pour la seule raison de ne pas s’être rangées aux côtés de l’Angleterre victorieuse. Ou, au moins, elles se prennent une vilaine taloche. Sans un semblant d’offre de réhabilitation pour ces demoiselles, Bond adopte fièrement la maxime « sois tu es avec moi (entendez : je suis en toi), soit tu es contre moi ».

Pour finir ma démonstration, il y a une scène aussi improbable que scandaleuse dans Octopussy (en VF : huit chattes). Vers le milieu du film, cette blondinette sans couette de Roger Moore se fait courser par une armée d’excités indiens en pleine jungle. Et là, entre deux buissons apparaît un majestueux tigre. Vous savez ce que fait le héros ? Il regarde l’animal dans les yeux et lui balance un « couché ! ». Et le fauve de s’exécuter. Si la plupart des actions de ce film à petit budget laissent à Bond une insolente chance, les scénaristes ont ici fait montre d’un foutage de gueule qui mérite la mort.

Les ennemis de 007 aiment les chats

Blofeld en grande formeA contrario, LE méchant dans les films est toujours affublé d’un délicieux chaton. Je parle bien sûr de Ernst Stavro Blofeld, personnage tellement distingué et classieux que, gosse, j’étais persuadé qu’il s’agissait du vrai héros. Blofeld, c’est un peu le pauvre bouc émissaire des services secrets de sa frétillante Majesté.

En fait, les réalisateurs et le producteur de 007 (Brocolli de son p’tit nom) voulaient gagner des pépètes en diffusant leurs films aux quatre coins du monde (rien de plus normal), or il était dommage de se foutre à dos le marché russe et de ceux des alliés de l’URSS. C’est pourquoi taper sur les Soviétiques avait ses limites, il fallait parfois insister sur un ennemi anti-étatique, insaisissable et qui se régénère facilement.

Et l’organisation S.P.E.C.T.R.E., sorte de supermafia mondialisée et souterraine (ils adorent les bases secrètes soi-disant inexpugnables), est le protagoniste parfait pour que James se défoule à loisir. Vu les dégâts occasionnés par l’agent britannique, et considérant que les armées d’un État mettent du temps à se régénérer, détruire les membres d’une pieuvre n’implique pas que celle-ci soit morte…et peut donc revenir en force plus tard.

[court interlude : je me dois maintenant de rappeler que l’objectif ultime du S.P.E.C.T.R.E. est la paix dans le monde. Alors certes cela passe par bombarder les grandes puissances (exemple de Les diamants sont éternels), voire provoquer des explosions nucléaires pour que celles-ci se foutent sur la gueule (L’espion qui m’aimait), mais il faut bien casser quelques œufs pour faire table rase et repartir sur de paisibles bases non ? Un nouvel ordre mondial sous l’égide d’une seule autorité motivée par les profits seulement, ça me met l’eau à la bouche.]

On retrouve d’ailleurs l’esprit de ménager les dictatures avec le film la bouse Demain ne meurt jamais, où Anglais et Chinois marchent main dans la main contre un magnat de la presse aussi flippant que trois bisounours se câlinant. Il en est de même des films avec Daniel Craig, où une organisation terroriste tient la dragée haute à la perfide Albion – voire un loup solitaire édenté et vraisemblablement homo, sûrement un clin d’œil à Mr. Kidd dans Les diamants sont éternels .

Charles Gray Vs.Tigre

Charles Gray, un des meilleurs Blofeld – et regardez son chat, mais quel jeu d’acteur !

Revenons à nos lolcats surentraînés. Blofeld est donc immanquablement représenté avec un chat entre ses pognes et dont la zénitude force le respect. On a tous essayé de tenir son animal de compagnie entre ses genoux, une clope au bec, tout en martelant avec application sa télécommande comme si on donnait des ordres à ses sbires en faction au milieu d’une jungle vénézuélienne. Et on est tous venus à cette conclusion : soit le chat d’Ernst est neurasthénique, soit le producteur lui a administré une solide dose de bromure pour le maintenir en place pendant les prises – ou, moins probable, Spieldberg a testé ses jouets articulés avant de tourner Jurassic Park.

Car un personnage dont le chat reste si longtemps sur les genoux montre qu’il est un vrai amoureux des félins. Un pur esthète qui menait son petit business tranquillou avant qu’un lourdaud portant un Walter PPK ne vient lui chier dans les bottes. C’est également le signe d’une incommensurable sagesse, le col Mao contribuant à cette légitime impression. En vérité, James Bond ne mérite pas ce genre de Némésis, tous deux jouent dans une différente catégorie.

Maintenant je vous le demande : un homme blanc (huhu) qui fait des phrases recherchées, classement sapé, possédant un chat qui ne le quitte pas, et cherche à détruire les deux superpuissances activement belligérantes, est-il foncièrement mauvais ? Vous avez deux heures.

A signaler enfin que cette icône du méchant-flattant-son-chat-angora a été reprise dans d’autres œuvre, notamment le Docteur Denfer qui lutte contre ce malade d’Austin Powers (pour une fois, la dentition anglaise est respectée) ou le vilain qui souhaite ardemment démonter l’Inspecteur Gadget.

Conclusion de la première partie

Dès qu’il parle de James Bond, Le Tigre est hélas intarissable. Pire, je peux tellement m’écouter déblatérer pendant des heures que ma tigresse, tard le soir, me demande souvent de lui parler de 007 – pas parce que ça l’excite, mais ça a l’avantage de l’endormir.

Je m’aperçois que, à force de se regarder écrire, je n’ai même pas développé le meilleur : les ennemis de James sont en vérité des félins, et 007 a tout du chien – c’est pourquoi ce dernier doit être abattu comme tel. La suite dans ce prochain billet en lien.

Manu Larcenet - BlastGrasse Carcasse, L’apocalypse selon Saint Jacky, La tête la première, et Pourvu que les bouddhistes se trompent. Ces quatre opus forment une masse terrible sur un homme qui, sur un gros coup de tête, quittera tout chemin balisé. Jusqu’à se perdre, sans espoir de retour à la normalité. Série qui pousse au suicide, ne vous attendez pas à avoir ne serait-ce que l’ébauche d’un sourire.

Il était une fois…

Dans un commissariat, Polza Mancini est interrogé par deux policiers. Ceux-ci cherchent à savoir ce qu’a fait l’obèse individu (en fin de trentaine) à une certaine Carole Oudinot. Polza accepte de raconter ce qu’il s’est passé, pourvu qu’on le laisse commencer son histoire par le début – ce qui arrange les flics, le gros n’étant pas réputé bavard. De la mort de son père à la rencontre de la famille Oudinot, en passant par un hôpital psychiatrique et les forêts en compagnie de laissés pour compte, Mancini livre son terrible parcours.

Critique de Blast

Quatre bandes dessinées sur plus de cinq années, quatre monstres illustrés de 200 pages, une histoire terrible et sans espoir, rien que le boulot abattu par l’auteur mérite la meilleure note. Le Tigre a tellement adoré poursuivre cette série (lue d’une traite après être en possession de tous les tomes) qu’il s’est permis d’acheter le troisième opus en allemand pour entretenir son bilinguisme (au moins) de salon. Disons que ma tigresse, qui voulait me l’offrir, m’a rapidement montré sur la toile le titre (Augen zu und durch), j’ai dit banco, pensant que cette expression teutonne sied bien au personnage principal – si tu me lis, apprend donc à commander en ligne grognasse.

Venons-en donc à Polza. Tout prend forme dès qu’il assiste au décès de son père : sorti de l’hosto, notre héros fait l’expérience d’un état nouveau, une félicité de quelques secondes pendant laquelle son corps, à la fois léger et profondément ancré à la terre, lui présente des hallucinations colorées et oniriques. Souhaitant retrouver cette « déflagration » corporelle, il part dans un road trip écœurant à travers la nature – mais de belles rencontres champêtres il n’est point. Jusqu’à la rencontre de Roland et Carole Oudinot, famille décomposée plus que bancale qui précipitera une chute attendue.

Le scénario se décompose en deux parties, le lecteur basculant régulièrement entre le présent (la garde à vue de l’anti-héros) et le chemin qui l’a mené à se retrouver face à la flicaille (histoire heureusement livrée dans l’ordre chronologique). Parallèlement, l’auteur réussit à souffler sur le chaud et le froid entre passages intensément narratifs (digérer les mots de Polza prend parfois du temps) et passages plus contemplatifs. Et c’est là la force de ces romans graphiques, je me suis senti plus d’une fois transporté dans un univers aussi violent que, paradoxalement, envoûtant. Le dernier tome, d’ailleurs, sans apporter de grandes révélations, en laissera toutefois plus d’un sur le cul.

Quant aux illustrations, le père Larcenet a produit des planches qui forcent le respect. Noir et blanc oppressant tour à tour sobrement crayonné, luxuriant avec moults détails ou encore ne cachant rien de la misère humaine, chaque double page apporte son lot de génie. Les protagonistes, excessifs à souhait (et à la mesure de leur folie). Et que dire des épisodes de Blast ou des délires illustrés de Roland Oudinot ? Une petite tuerie de mélange de dessins enfantins (coloriés par le gosse de Larcenet ?) et d’iconographies dérangeantes, comme si Jackson Pollock s’était perdu dans les parages.

En fait, Le Tigre est extrêmement gêné aux entournures. D’un côté, je sais que Manu a beaucoup donné de sa personne dans cette saga qui, à presque tout point de vue, est pleinement réussie. Mais de l’autre, je suis sorti avec une impression de vide, comme si tout espoir m’avait quitté et que je n’avais retenu de Blast que le glauque et l’envie de passer à quelque chose de plus gai – si vous me connaissez, vous savez que peu d’auteurs me provoquent cet effet. Quoiqu’il en soit, il doit s’agit d’une des plus belle bifle intellecto-visuelle prise par Le Tigre.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Je sais que chaque lecteur aura quelque chose qui le marque dans cette œuvre, aussi je vais piocher (seulement) deux aspects qui sautent particulièrement aux yeux.

Déjà, il y a la démence. Le (anti)héros en tient certes une belle couche, mais il n’est pas le seul. Si Polza a quelque chose de définitivement pourri dans son esprit, force est de constater qu’il manque plusieurs cases aux différents individus rencontrés. Jacky, notamment, est un protagoniste de qualité qui donne à Blast une dimension encore plus tragique, à la limite du fantastique même : vieux dealer meurtrier à l’existence décalée, Jacky contribue à déverrouiller ce qu’il pouvait rester de « normal » dans la tête de Polza Mancini. Considérant les Oudinot (le père surtout), celui-ci renvoie à un futur plausible de Polza, une éventualité de son avenir que l’on n’envisagerait pas à son pire ennemi.

En fait, Blast apparaît comme une histoire d’hommes ayant décidé de se retirer de la civilisation. Le scénario n’est pas vraiment un road movie sans voiture, plutôt une longue suite d’errements sans autre but que la recherche du plaisir à tout prix – et ce aux dépens des règles élémentaires de civisme ou de vivre-ensemble. Parce que le protagoniste principal est un montre d’égoïsme et d’excès (alcool, nourriture, médocs, drogues en tout genre) que rien ne semble arrêter, il représente une forme de liberté gênante, un droit largement dévoyé dans un environnement (même naturel) qui le rejette.

Polza, c’est l’Homme par essence, celui qui déconne dans les grandes largeurs et dont le mode de vie, insoutenable pour ses proches, ne peut qu’entraîner désastres sur désastres. Ironiquement, la seule accusation qui pèsera sur ses épaules à son arrestation sera la seule dont il peut se targuer d’être, dans une certaine mesure, innocent.

…à rapprocher de :

– De Manu Larcenet (avec Ferri), y’a également Le retour à la terre (tome 1 sur le blog), destiné aux ados à mon sens.

– Dans la catégorie des BD monstrueuses dont il est difficile d’avoir un avis, Le Tigre fut correctement secoué par Le Roi des Mouches, de Mezzo et Pirus.

Lambil & Cauvin - Des Bleus et des dentellesSur-titre : Les tuniques bleues. Enfin un peu de romance dans un monde guerrier. Quand des infirmières prennent pied dans le camp des Nordistes, il y a des alliances (certaines contre-nature selon certains) dans l’air. Entre Un mariage et une pétée d’enterrements et Miss Priscilla folle du désert nordiste, il y a largement de quoi sourire.

Il était une fois…

L’armée nordiste est dans une sale posture : des obus tombent à deux pas du QG, or ils n’ont pas encore l’ordre d’attaquer ! Le nombre de soldats valides est tendu comme un string, et le haut commandement a une idée chaudement accueillie : des infirmières pour soigner tout ce petit monde. Est-ce une si bonne idée ?

Critique de Des Bleus et des dentelles

Ne vous étonnez pas si le félin déblatère sur quelques vieilles BDs prises au pif’, je fais en fonction de ce qui traîne dans mon bouge. Et ne comptez pas sur moi pour attaquer tous les albums d’une série, j’ai une vie en dehors de cette suite d’octets qui se déroule sous vos yeux ébahis.

Les « Bleus », ce sont nos deux amis qui voient autour d’eux pleuvoir des bombes. Quant aux « dentelles », il s’agit de la poignée de midinettes dépêchées par Washington, sur demande du général Alexander. Et leur arrivée provoque un certain remous : imaginez, même le furibond Stark se fait porter pâle afin de rejoindre les rangs des blessés prêts à être dorlotés par les miss. Heureusement qu’il y a Melle Bertha, peu féminine comme rarement (et à juste titre) pour faire le ménage là dedans.

Néanmoins, ça ne suffit pas pour remettre de l’ordre. Blutch, sévèrement blessé (on pense à l’amputer, c’est dire), tombe amoureux de Miss Jenny – et, malgré l’allure du soldat rachitique, c’est réciproque. Un mariage est rapidement organisé, nos deux tourtereaux s’envolent ensuite vers des cieux plus cléments. Bien évidemment, quelques rebondissements sont à prévoir. En vrac et dans le spoil le plus total : le mariage est un fake, les Sudistes font de grandes manœuvres dans le coin, et Miss Bertha est un soldat chargé d’espionner pour le compte du QG.

En guise de conclusion, ce 22ème tome est rondement mené, le sujet original et les péripéties plaisantes. Néanmoins, concernant les illustrations, Le Tigre reproche une légèreté choquante dans la représentation de ces dames : on dirait des brutasses à peine dégrossies, question féminité il est difficile de se rendre compte de leur attrait. En rajoutant la grosseur des textes (exagérément ponctués en points d’exclamation), tout cela ne fait guère fin.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Soyons sérieux – enfin c’est selon. L’arrivée de femmes dans une telle communauté overtestostéronée (chouette comme adjectif non ?) est un pari assez risqué dont les enjeux et conséquences sont assez bien traités. D’une part, le moral des soldats remonte à vitesse grand V, il y a comme de l’excitation dans l’air. Or, discourir des bombes à vingt mètres permet d’oublier les vraies bombes qui explosent aux côtés des soldats. Et un mariage…rien de mieux pour se concentrer sur quelque chose de positif. Mais d’autre part, certains tire-au-flanc sont tentés d’abuser de l’hospitalité infirmière pour se sentir louchement patraques – sans compter les mises en scène pour échapper à l’appel du drapeau.

A titre secondaire, le travestisme est un sujet plutôt osé de la part des auteurs. Qu’un mec se déguise en femme sur ordre de sa hiérarchie, ça fait bien marrer il est vrai – surtout que chaque protagoniste principal est, à son tour, concerné. Néanmoins, quand Stark en personne caresse le projet de proposer Miss Bertha (le soldat déguisé) en mariage, ça fait bien moins rire le Général de la petite brigade. Et ce dernier (qui ignore encore la manœuvre dolosive de ses soldats) manque de s’étrangler quand la grosse Bertha annonce qu’il/elle acceptera la prochaine demande en mariage. Des Bleus et des dentelles mélange les genres avec un humour potache avec, en guise de mot de fin, l’idée que tout ce cirque a sauvé les miches de nos héros.

…à rapprocher de :

– Dans cette série, vous trouverez également (dans l’ordre) sur le blog Black Face (un bon cru) et Les Cousins d’en face (sans plus, mais drôle au demeurant).

– En bande dessinée toujours, il y a cette histoire (étonnante mais vraie) d’un soldat qui se grime en femme pour échapper à la Grande Guerre – Mauvais genre, de Chloé Cruchaudet. Du beau travail.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Collectif - Les contes roses, Vol.1Les Artistes Fous s’attaquent (enfin) à ce qui fait tourner toute civilisation qui se respecte. L’image de couverture, fort bien réussie, annonce du coquin traité avec un certain humour à visée dédramatisante – et ce malgré des nouvelles plutôt trashouillettes. Du beau, hélas en nombre insuffisant – et rien qui ne fasse bander.

Il était une fois…

Le quatrième de couv’ m’a fait doucement marrer. Autant en profiter :

« Parlons peu, parlons sexe ! On vous a fignolé un recueil entièrement dédié au sujet, pour tout ceux qui ont envie de regarder sous les jupes des filles et celles qui rêvent de mettre la main dans le slip des garçons ! Et fi de la censure, elle ne nous fait pas peur, ce n’est pas ça qui m’empêchera de vous dire que ce livre, rempli de **** qui se font *******, de ****** trempées et de jet de ****** sur des *******, est comme un ***** qui vous ***** le ***** sur un **** maculé de ***** »

Critique des Contes roses

Contes roses - DédicaceC’est devenu un jeu avec cette association de malfauteurs : à chaque nouvel ouvrage, le félin réclame une dédicace de qualité. Immanquablement, les AFA dépêchent leur pire dessinateur (le meilleur en fait) qui en profite pour se foutre de ma gueule, mais avec courtoisie et tendresse. Pour une fois, autant Le Tigre que Marc Levy se font dérider l’arrière-train, et pour le thème le dessin est magnifique – sûrement la symétrie, à laquelle je suis extrêmement sensible.

Passons à la critique des textes. Je vais les traiter un par un, parce que je sais qu’à ce moment précis les auteurs (qui me lisent avidement) serrent furieusement leurs fesses.

L’Origine de l’enfer (Julien Heylbroeck)
Vers la fin du XIXème siècle trois frères siamois (un tronc, trois têtes, six mains, vous voyez le tableau ?) sont utilisés comme freaks sexuels dans un cirque particulier. Miss Milton, qui leur propose un contrat vers les States, est si innocente que cela ? Gentiment déjanté, totalement inattendu, toutefois question cul ce n’est guère la joie.

Le rapport du veilleur (Vinze)
Duclos est un veilleur qui avait fait appel à une catin pendant que l’entrepôt se faisait dévaliser. L’auteur a magnifiquement géré la métaphore entre la violation de la propriété privée et les coups de reins assénés à la dame, en trois pages à peine rien à dire.

839 (Gallinacé Ardent)
Histoire du 839ème homme qui entreprend de fourrer Déborah Reeves, star du X qui veut battre le record de gang-bang mondial. Sauf . Ecriture acide où les termes crus (on se croirait dans une boucherie) tranchent avec la naïveté d’un jeune homme amoureux de Miss Reeves. J’attendais un chouette retournement final, qui n’est jamais venu.

CliXXX (Corvis)
Comme Corvis a publié le plus long texte de cette antho, le félin ne dira rien sur ces quelques lignes que votre petite nièce (celle avec son chromosome de trop) aurait pu écrire. Clin d’œil au Déclic de Manara à peine subtil.

Denis Noodle et le sexe (Southeast Jones)
Noodle est un richissime érotomane qui ne peut s’empêcher de sauter sur tout ce qui a deux (voire plus) pattes. Parce que sa condition le pèse, il fait appel au plus grand chirurgien pour modifier son corps – n’en dirai pas plus. J’ai connu mieux de Southeast J. qui semble avoir lâché le minimum syndical.

Le Jardinier du sultan (Nelly Chadour)
Nelly est la seule à être parvenue à mélanger l’érotisme pur (même avec des fleurs) avec une poésie nostalgique des grands temps anciens. Nazrédine se fait violemment draguer par les roses du 101ème jardin du Sultan, et le pauvre homme en perdra progressivement la tête. Mignon tout plein et conclusion triste, ça ne déplaira à personne.

L’Heureux Tour (Vincent T.)
Imaginez que vous vous réincarniez en un vêtement que, en tant qu’homme, vous aviez un certain mal à ôter chez votre copine. Pas vraiment accroché, ça m’a semblé trivial et un tantinet vulgaire – disons que les références au cycle de la mort connaissent de meilleurs textes.

Vibrato (Corvis)
Le plus long texte de l’ouvrage, avec la petite Suzie (25 ans) qui ne parvient pas à avoir un orgasme. Jusqu’à ce qu’on lui envoie un godemichet de combat. Une fois actionné, ce dernier propulsera la belle à d’incroyables niveaux de jouissance. Le problème ? Coincé dans la chatte à Suzanne, il est impossible à retirer. Style enlevé qui se concentre sur les sensations de l’héroïne, la maîtrise du vocable orgasmique est plus que satisfaisante.

Soudain j’existe (Maniak – c’est l’inélégant qui m’a fait la cassdédi)
Le recueil se clôt sur une anticipation robotico-péripatétitienne avec le point de vue d’un être créé pour le plaisir. Sauf que cet objet paraît avoir des sentiments (une âme), et les coups de butoir subis lui font péter les plombs. Court et mystérieux, Maniak tenait quelque chose mais n’ose pas aller jusqu’au bout de son idée – nous laissant imaginer la suite.

En conclusion, Le Tigre a retrouvé, non sans plaisir, la petite bande de joyeux décalés avec quelques textes de qualité. Toutefois, il m’est apparu que certains se sont moins foulés : plus de textes pour un même nombre de pages que le précédent opus, vous croyez que je ne vous ai pas grillés ?

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Comme il est annoncé en préface, tout est censé être abordé dans le recueil. L’acte sexuel dans toute son extase, avec ce que ça comporte d’excessif ; le pénis (de chair ou de plastoc) comme vecteur de violence, etc. Toutefois, il apparaît que toutes les nouvelles ont leur lot de souffrance, ne cherchez pas d’histoire à l’eau de rose avec de bons sentiments et une scène de cul épanouie et respectueuse. La marque des Artistes Fous.

Sinon, Le Tigre n’a pu s’empêcher de noter l’apparition en force du fantastique et de l’ésotérique. Djinns malfaisants, sorcières africaines aux pouvoirs déconnants, inquiétants transformismes, laissez votre esprit cartésien à côté de vos vêtements en lisant (tout nu, comme c’est recommandé) Les contes roses.

…à rapprocher de :

– De cet éditeur doux-dingue, vous pouvez dévorer quelques nouvelles de Fin[s] du monde, assez inégal. La suite, intitulée Sales Bêtes !, est d’une rare qualité, ça m’a profondément ravi. Puis Folie(s) est globalement correct. Quant aux Contes Marron, eu égard la taille ça passe crème (excusez l’expression). Quant à L’Homme de demain, c’est nettement plus mitigé.

– Pour des textes vraiment bandant, j’ai écrit un petit top (en lien) où vous pourrez trouver de quoi avoir la quille.

– Concernant le texte de G.A. (sur le gang bang qui prend des airs d’abattoir), Le Tigre a vite repéré le clin d’oeil à Snuff, de l’immense Palahniuk.

Enfin, si vous souhaitez juger de la chose par vous-même, c’est disponible sur le site de l’asso (en lien). Attention si vous réclamez une dédicace dédicace.

Collectif - Marseille NoirDans le cadre d’un large tour d’horizon criminel des capitales, place à la cité marseillaise, point de rencontre entre différentes cultures dont les époques s’entremêlent dans un joyeux bordel. Quelques belles nouvelles et des auteurs prometteurs, hélas le rythme decrescendo laisse un souvenir mitigé de cet ensemble certes cohérent, mais sans la petite claque continue que j’attendais.

Il était une fois…

Après Londres, Washington, etc., Asphalte Editions s’occupe de Marseille, ville rebelle et à la poétique violence. Entre tradition et modernité, french connection et grand banditisme sans foi ni loi, corruption à tout niveau et nettoyage en règle, Cédric Fabre nous présente une vingtaine de textes qui sont autant de visions de la cité phocéenne.

Critique de Marseille Noir

Moins de quinze nouvelles, je peux les résumer une par une !

Josette m’aimaient bien (Christian Garcin)
Souvenirs d’un jeune homme né dans le Milieu. Un de ses amis (Ange) a quatre sœurs, toutes dingues. Une s’offrira à lui, et à cause de ça notre héros devra finir les jours en sa présence. Pas mal du tout, vocabulaire soigné pour une histoire mystérieuse et fataliste.

Extrême-onction (François Thomazeau)
Un gosse effectue de nombreuses visites du stade Vélodrome avec Dédé, son grand-père chéri. Le vieux lui apprend la signification des noms des tribunes, et ce que peut renfermer le stade d’un point de vue historique. Triste et instructif, ça passe très bien.

Le silence est ton meilleur ami (Patrick Coulomb)
Être quelqu’un de cool (prof’ de géo de surcroît) n’est pas si aisé lorsque son voisin met la musique à fond les ballons. On s’énerve, on prend un bouquin pour taper sur l’indélicat…qui avale son bulletin de naissance. Pas très crédible mais réjouissant.

Les Vivants au prix des morts (René Frégni)
Néné, je le connais bien. Avec son histoire vengeresse digne du Compte de Monte-Cristo, l’auteur marseillais nous entraîne dans un univers solaire (la récolte des olives) mais désespéré (la prison, la trahison des proches) dans lequel le héros n’est que ressentiment et envie d’en découdre. Rapide à lire et envoûtant, Le Tigre a regretté qu’il n’y en ait pas plus.

Je partirai avec le premier homme qui me dira je t’aime (Marie Neuser)
Une femme encore belle vient de zigouiller son époux infidèle et tape la discute avec sa tête planquée dans une valise qu’elle compte jeter à la mer. Il y a un peu de Nothomb dans cette nouvelle, notamment sur l’incessant dialogue qui constitue le gros du texte. Et ça fait de sacrés longueurs, malgré quelques moments sympathiques – particulièrement les sentiments de l’épouse qui apprend qu’elle est cocue.

En sursis (Emmanuel Loi)
Trop court. Scénario potentiellement intéressant sur fond de crise calédonienne (au cours de laquelle les gendarmes se seraient fait plaisir), hélas il y a un manque flagrant de rythme. Lu en quatre minutes, oublié en dix.

Que dire ? (Rebecca Lighieri)
Un de mes préférés. Une dizaine d’années de la vie d’un homme, bon à rien intelligent qui devient presque naturellement dealer. Le second protagoniste, Alice, est la fille dont il a toujours été amoureux. Témoignage poignant d’un meurtre pas comme les autres sur fond d’addiction aux drogues, Que dire ? n’est pas loin du petit bijou. C’est marrant, mais à l’aveugle (sans mauvais jeu de mots) je n’aurais pas pu déterminer que l’auteur est une femme.

Katrina (François Beaune)
Une journée dans un bus racontée par un cynique de premier plan, avec une petite surprise finale. Méli-mélo bonard pseudo bordélique, entre visite guidée et descriptions de nos contemporains (vocabulaire plutôt riche, belles expressions), ça aurait pu être excellent si ça ne partait pas dans tous les sens. Au final, j’ai terminé ce truc en diagonale.

Le Problème du rond-point (Philippe Carrese)
Différents protagonistes, chacun ayant une difficulté qui le perdra. Équivalent littéraire d’un film comme Magnolia ou Babel, avec en conclusion la rencontre de tous ces destins sur le point d’être brisés. Écriture tranchante et efficace mâtinée d’un pessimisme à peine camouflé, Le Tigre a feulé de plaisir.

Sous peine de poursuites (Pia Petersen)
La seule nouvelle que je n’ai pas pu terminer. Involontairement foutraque, peut-être pour souligner la pollution subie par le protagoniste, mais c’était trop pour moi. Tout ça pour un mec qui se fait sauter en mode attentat-suicide.

Verts, légèrement grisés (Serge Scotto)
Maurice, jeune à la limite de la légalité (euphémisme), rencontre une très très chouette fille (Sarah je crois bien). Leur premier « vrai » rencard est ponctué par un mini-drame qui va les mettre dans un état d’incertitude insupportable. Sans prétention et réaliste, on en redemande.

La Mule rouge (Minna Sif)
Kevin est un coursier pour trafiquants impitoyables. Un de ses missions l’amène à Marseille, ville qu’il apprend à détester entre deux prises de selfies. Un poil trop dans l’anticipation criminelle (des narco-djihadistes, franchement…), mais une empathie pour le héros relativement efficace. En court métrage, ça pourrait très bien le faire.

L’Entrepôt pour gens d’avant (Salim Hatubou)
Du sud de la France aux Comores, le lieutenant Samba va régler une complexe enquête en deux coups de cuiller à petit pot. Un peu gavé par ces pages sur la politique « françafricaine », et ce à cause d’un scénario improbable qui renverrait San-Antonio à ses histoires d’un vibrant réalisme. Atmosphère couillue mais too much, dommage.

Joliette Sound System (Cédric Fabre)
Le petit dernier pour la fin. Ambiance anticipation sociale sur fonds de shutdown version phocéenne, je n’ai pas accroché du tout malgré un style fort plaisant. Le titre, à peine subtile référence à un groupe marseillais de premier plan, conclut plutôt bien le recueil dont l’éditeur, comme à son habitude, – désolé pour la phrase à rallonge.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Outre les quelques avantages de l’objet romanesque (forme soignée, proposition de playlist qui sied à la lecture), il est offert au lecteur un grand tour d’horizon de la géographique marseillaise. En effet, chaque nouvelle fait appel à un quartier de la ville, avec son historique (un tel abritait un zoo, un autre a encore l’âme d’un petit village) et sa faune locale – gentrification ou irrémédiable déréliction ? L’Estaque, Belsunce, Endoume, etc., bienvenu dans une cité avec différentes âmes.

S’il fallait retenir un point commun à ces textes, ce doit bien être une certaine nostalgie. Anciens brigands qui se désolent de la délinquance actuelle, invasions touristiques/de bobos, amours passées qui partent définitivement en vrille, très franchement les thèmes abordés ne sont que rarement gais. Selon Le Tigre, tout semble être que souvenirs ressassés face à un présent insupportable, à la limite du « c’était mieux avant » cher aux vieux cons – je ne dis pas que les auteurs le sont, hein.

…à rapprocher de :

– L’éditeur Asphalte s’est fait plaisir en prenant les meilleurs textes relatifs à une capitale (Paris, Londres, Washington, L.A., etc.) en vue d’un noir recueil. Dès que ça sort en poche je me jette dessus.

– A part l’immense Izzo (pas encore dispo sur le présent blog), Le Tigre peut vous conseiller l’auteur marseillais René Frégni, notamment Lettre à mes tueurs. Y’a aussi André Fortin et son Restez dans l’ombre – moins aimé.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Les Voyages du TigreAprès s’être rendu à Leshan, y avoir passé la nuit dehors et puis payé son ticket pour visiter le Grand Bouddha (tout ça en lien), le puissant Tigre décidait de traverser, lentement mais sûrement, le parc menant à l’imposante sculpture. Entre menues considérations sur le monumental objet et quelques rappels historiques, je vous propose de visiter la plus grande sculpture de Bouddha assis au monde.

Le passage par le parc bouddhiste oriental

Escalier vers le haut du temple de leshanUne fois la visite du « rez-de-chaussée » du temple effectuée, je me dirigeais enfin vers le large escalier menant à d’autres réjouissances. C’était encore la matinée et le nombre de touristes rôdant aux alentours était, pour l’instant, relativement limité. Toutefois, malgré un temps néo-glauque qui aurait dû faire fuir toute personne sensée, j’avisais un groupe de Chinois s’éparpillant un peu partout dans les cavernes faisant office de temples. Il était temps de passer à l’étage supérieur.

200 marches. Easy

144 marches. Easy

La petite prise photographique pour la gloire. Cette photo a un double avantage : d’une part, vous pouvez remarquer les nombreux rubans, tradition largement rencontrée lors de mes pérégrinations asiatiques. Pour ce que j’ai compris, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une sorte d’escalier des lamentations, avec une liste de prières soigneusement rédigées à l’intention de je-ne-sais-qui. Vous remarquerez que quelques individus à l’esprit dérangé ont cru bon accrocher des cadenas, allez savoir comment ils ont pu avoir pareille idée…

Mini temple falaise LeshanD’autres part, l’état global de ces marches vermoulues vous donne une indication sur la difficulté à grimper vers le reste des joyaux de l’Empire du Milieu sans se casser la gueule. Ce fut en s’accrochant aux cordes comme un veau au pis de sa vache de maman que Le Tigre entreprit de gravir les marches – ce que j’avais bouffé le matin n’aidant pas à mon auguste équilibre. Je profitais de quelques secondes de repos pour jeter un œil sur ma droite, et prendre à la dérobée le cliché ci-contre. Je suis encore surpris que l’image ne soit pas de traviole.

Si vous cherchez un coin où pousser mémé...

Si vous cherchez un coin où pousser mémé…

Voici un aperçu de la vue de la première partie du parc bouddhiste. Je ne le répèterai jamais assez, cependant il me faut souligner un aspect particulièrement retors des visites en Chine : l’enfer, c’est les autres. Sartre savait de quoi il causait, en effet le but suprême de tout touriste qui se respecte est de pécho une image où les figurants sont absents. Pour la présente prise photo, je m’étais appliqué comme un gueux pour éviter que d’odieux connards ne figurassent sur ma pellicule. Je crois même avoir balancé une bordée d’injures en Mandarins pour qu’ils me laissent le champ libre. Quelque chose du genre « ta petite sœur se fait violer par un soldat japonais dans la grotte à ta gauche ! ».

Je m’égare. Continuons.

En route vers le Bouddha taillé dans la pierre

Encore un temple...

Encore un temple…

Au jugé, il devait bien me rester une quinzaine de minutes avant de rencontrer le fameux Bouddha. J’espérais vivement que, d’ici là, le temps se fût levé (ou se levasse), ce qui m’aurait permis de capter des images solaires, sinon dignes de qui je m’apprêtais à rencontrer – oh putain, je ne réponds pas de la concordance des temps. Hélas, mille fois hélas, ce n’était guère la saison pour ça. Après, les visites touristiques sont comme un contentieux judiciaire : il faut mieux une mauvaise transaction qu’un bon procès. C’est-à-dire que s’extasier tout seul comme un gland alors qu’il pleut des cordes est plus régalant que faire la queue sous un soleil radieux – c’est pourquoi les Voyages du Tigre à Venise ont eu lieu en décembre.

Histoire de vous faire patienter, je vais rapidement vous raconter ce que quelques brochures (dans un anglais assez sommaire) ont pu me dévoiler. 乐山大佛. Leshan Tafo. = grand – pas duraille à saisir. Inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Objet de toutes les attentions. Érigé en plein 8ème siècle sous la dynastie Tang. Les seules sculptures à rapprocher du Leshan Tafo sont les Bouddhas de Bamiyan – ceux qui ont été détruits début 2001 par un bande d’enragés.

Putain, on y est bientôt

Putain, on y est bientôt

Encore un jardin avant un énième temple. Revenons à nos moutons Tang. Il s’agit d’une dynastie qui se situe le cul entre deux périodes assez troubles de ce qui allait devenir un empire uni – du moins sur le papier. Pour faire simple, les Tang ont succédé aux Sui, dynastie qui n’a pas régenté bien longtemps les provinces chinoises – campagnes militaires foireuses, paranoïa ambiante, etc. Pour être clair : les Sui ont fait de la merde pendant une vingtaine d’années. A l’inverse, pendant le règne des Tangounets le pays a connu une période très prospère où les arts et les sciences ont pu correctement s’épanouir. Une sorte de prélude à la dynastie des Song qui, deux siècles après, unifiait sans coup férir les Hans et d’autres peuples mineurs.

Sculpture buddha temple LeshanSi l’Histoire nous apprend quelque chose, c’est que la félicité ne dure jamais. Les Tang ont beau mené le pays pendant presque trois siècles (imaginez deux secondes l’UE qui existe encore en 2250), rien ou presque n’a pu empêcher la déréliction de leur règne. Après eux, le continent chinois est entré dans une quasi anarchie à la saveur guerrière, partagé entre une dizaine de royaumes et des dynasties qui n’ont pas pu asseoir leurs pouvoirs plus longtemps qu’un rototo de belle facture.

Dernier temple avant le monumental Bouddha

Dernier temple avant le monumental Bouddha

Au beau milieu de cette dynastie Tang bénie des dieux, un moine un peu jeté (Hai Tong de son p’tit nom si j’ai bien suivi) a eu l’idée de bâtir un énorme Bouddha à même la falaise. Le temps qu’a duré ce boulot et les raisons de cette titanesque entreprise sont légèrement flous, d’après ce qu’on m’avait raconté il s’agissait de calmer le susceptible flot de la rivière qui borde la ville. Et vous ne savez pas le meilleur ? Apparemment ça a marché : il semblerait que les tonnes de gravas jetés à la flotte à cause d’un telle sculpture auraient permis de stabiliser le lit du fleuve. Ainsi, un joli paquet de crues ou de vagues scélérates ont pu être évitées.

Le voilà, enfin !

Le voilà, enfin !

Après un siècle de dur labeur, voilà le travail ! Contrairement à ce que l’image suggère, notre ami n’était pas atteint d’une grippe carabinée. La couleur de son pif et la traînée verdâtre qui descendait à la commissure gauche de sa lèvre sont le résultat de la pollution et de l’humidité, un mélange de mousse et de suie qui aurait très bien pu irrémédiablement le détériorer – l’inscription en 1996 au patrimoine mondial a aidé à prendre conscience de ce problème. Pas de chance pour ma pomme, j’étais arrivé avant la partie la plus visible du ravalement de façade de Boubou qui avait commencé au début des années 2000.

Descente du Bouddha de Leshan

Il en impose non ?

Il en impose non ?

Comment reconnaître un Bouddha ? Le Tigre va encore radoter comme une vieille pute, néanmoins il est quelques traits distinctifs de Gautama S. Ici, du haut vers le bas :
1/ La protubérance au sommet du crâne, signe de grande sagesse.
2/ Les milles tresses en guise de coiffure.
3/ Les yeux larges et noirs, qui annoncent une intense réflexion.
4/ Les oreilles allongées, comme si son prof de Yoga les lui avait tiré – ça prouverait qu’il est un prince, un vrai.
5/ La bouche large et mince, exempte de botox.
6/ Les trois replis de chair/graisse au niveau du cou.
7/ La poitrine anormalement proéminente pour un mâle de l’espèce humaine – et oui, il est inspiré.
Et y’en a d’autres…

Grand Buddha de LeshanPar exemple, les doigts se doivent d’être longs, fins et ronds et ce sans manucure. Rien que ses mains dépassent les cinq mètres, néanmoins je n’ai pas pu vérifier si son zizi était dans le même ordre de mesure – jamais vous ne verrez la bite de Bouddha, toujours protégée par un vêtement.

Il faut savoir que les Asiatiques aiment les records, et pour chaque statue d’un bouddha il est possible de lui attribuer un laudatif que les autres n’auront pas. Concernant celui-ci, sa hauteur de 71 mètres en fait la plus grande statue (de bouddha évidemment, sinon la Corée du Nord et les States auraient tous les prix) jamais construite avant le 21ème siècle. Car le Boubou de Leshan a été dépassé, en 2008, par le Bouddha du Temple de la Source qui affiche fièrement ses 128 mètres de hauteur. Ce à quoi les Leshanais vous répondront que leur statue reste le « plus grand Bouddha assis au monde » – ce qui est une maigre consolation car s’il lui venait à l’idée de se lever, il n’est pas certain qu’il dépasserait les 130 mètre.

[ohhhh…je tiens une idée de film : le Bouddha se levant et marchant vers Pékin pour déposer le Bureau politique du PCC…main dans la main avec Godzilla, monstre issu des eaux territoriales de l’ennemi héréditaire de la République populaire]

Vos serviteurs

Vos serviteurs

Petite photo pour vous prouver que c’était bien moi qui m’amusait à mater la sculpture. J’avais demandé au seul péquin présent de bien vouloir me prendre en pleine action, celui-ci s’exécuta rapidement avant de me tenir sa carte de visite. Par politesse, j’en fis évidemment de même en lui refilant la carte que j’avais dans la poche – ici, ma carte de fidélité du Carl’s Jr, mais avec mon nom inscrit dessus.

Photo rapide avant débarquement touristique

Photo rapide avant débarquement touristique

Voici ce que j’avais descendu, un dénivelé d’à peu près 80 mètres. Comme vous le voyez, la falaise a été creusée à de nombreux endroits pour laisser place à des représentations notamment bouddhistes. Mais il n’y en a pas que pour cette religion qui, sous les Tang (surtout vers la fin de leur règne), avait progressivement fait l’objet de persécutions. Étant donné que la civilisation chinoise aime l’équilibre et l’harmonie, le Grand Bouddha est entouré de figures propres aux deux autres « arts de vivre » orientaux, notamment des guerriers censés être les aïeux protégeant la place – respect des anciens propre au confucianisme.

Derniers instants à Leshan

Pour vous donner une idée de la taille du truc

Pour vous donner une idée de la taille du truc

Après vingt bonnes minutes à admirer la chose, le félin se retrouva au bas du monument. Déjà que le voir de côté est impressionnant, alors à ses pieds Le Tigre s’est senti telle une insignifiante fourmi à la merci d’un gamin turbulent. Sur les côtés ont été sculptés deux statues représentant des guerriers, presque impossibles à immortaliser sur pellicule puisque ceux-ci sont gravés dans la falaise et donnent directement sur le fleuve.

Fin du voyage

Fin du voyage

Une dernière photo pour la route : en revenant sur mes pas discrétos, je suis tombé sur ce monument. Il s’agit de la pagode Lingbao, qui se trouve de l’autre côté du Bouddha – grossièrement, si j’ai bonne mémoire, sur sa gauche en le regardant de face. Celle-ci fait près de 40 mètres de hauteur et aurait été construite quelques décennies après la statue – en fait j’ai entendu tout et son contraire au sujet de cette construction.

Bon, c’était bien beau tout ça, mais deux heures étaient passées et je commençais à sérieusement crever la dalle. Heureux hasard, un vendeur de pastèques m’attendait à la sortie du parc oriental. J’en bouffais un sixième comme je lis un roman de Max Chattam : sans mâcher.

Pour conclure, à onze heures j’avais terminé. Trente minutes plus tard, un tacos me déposait à la gare routière. Avant 14 heures j’étais à Chengdu. Prêt pour donner mes cours – la tête et l’appareil photo pleins de souvenirs.

Philippe Claudel - L'EnquêteUn homme, chargé de mener une enquête dans un univers kafkaïen, sera éjecté du système. Objet littéraire difficilement identifiable, ça peut déplaire dans la mesure où l’abstraction y est poussée extrêmement loin. Pour ma part, malgré un début fort prometteur, la fin pose plus de questions qu’elle n’en apporte – sans compter que Tigre n’est pas sûr d’avoir tout compris.

Il était une fois…

Dans une ville pluvieuse et sombre débarque l’Enquêteur. Celui-ci est chargé d’en savoir plus sur les suicides qui ont endeuillé l’Entreprise – 23 suicides, ça vous dit quelque chose ? Cependant rien ne semble se passer comme prévu : la Géante de l’hôtel aux requêtes insensées, le Policier trop bon dans son rôle, rien n’est simple dans la Ville. Que fout-il donc dans ce merdier ?

Critique de L’Enquête

Philippe Claudel n’est pas un auteur français comme les autres, il n’y a pas vraiment de discussion sur ce point là. Au surplus, Le Tigre ne sait guère sur quel pied littéraire danser avec Fifi, en particulier avec cet ouvrage qui, à l’instar de certains protagonistes, souffle à la fois le froid (le rhume de la compréhension du texte) et le chaud – quand le lecteur se dit qu’il a potentiellement saisi de quoi il retournait. Quoiqu’il en soit, ce n’est définitivement pas un feel-good book...

A mon humble avis, ce roman peut se décomposer en deux parties. Dans un premier temps, le héros (que le narrateur, à la troisième personne, présente comme l’Enquêteur) arrive dans un lieu dont il ignore tout, si ce n’est qu’il doit savoir pourquoi tant de suicides ont eu lieu dans la grosse boîte. Or, au cours de ses pérégrinations, il y a autant d’antagonistes que de personnes croisées. Ces dernières, nommées d’après le poste (ou le rôle) qui est le leur, entretiennent une ambiance froide et hostile complètement déshumanisée. Pendant ce temps, la fameuse Enquête n’avance que tchi.

Ensuite, et après quelques déconvenues assez frappantes (il y a du Zero Dark City dans l’air, que ce soient les chambres d’hôtel comme l’architecture d’autres lieux), l’Enquêteur est rapidement pris en charge par le Psychologue. A ce moment, le scénario aisé à suivre (un chapitre toutes les 5 pages, imaginez donc) se révèle plus retors que prévu, avec des considérations oniriques qui m’ont gâché le plaisir de la lecture. Car Claudel paraît trimbaler le lecteur où il veut, jusqu’à verser dans un « métaphysicisme » de belle facture certes, mais au verbiage qui pourra en énerver plus d’un.

Par conséquent, ce qui s’annonçait comme un roman rondement mené (avec, à la clé, un dénouement satisfaisant) devient progressivement un ouvrage laborieux, la clarté des débuts laisse la place à un grand n’importe quoi ouvert à toutes les interprétations. Le félin, plus d’une fois, s’est dit que comme il n’était pas sûr d’avoir vraiment tout saisi à la portée finale du roman, alors c’est que c’est forcément génial. Pas si sûr en l’espèce.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Phil’ C. livre ici une vision sociétale des plus sombres où la conformité et le « reste donc à ta place mon bonhomme » sont les maîtres mots. Déjà, l’anonymisation (sans qu’on sache qui, du héros ou de la Société, l’a décrétée) des protagonistes laisse une sensation de vide : en effet, la fonctionnalité par le métier qui décrit les êtres humains tend à nier l’individu dans ce qu’il a de plus riche. De plus, la plupart de ces personnes aux rôles définis présentent rapidement des faiblesses (plus d’une pète les plombs, soyons clair), miroir de la faiblesse d’un monde ultra-libéralisé où chacun n’est considéré qu’à l’aune de son utilité. Et dans ce monde utilitariste, la position de l’Enquêteur est sujette à caution.

A bien y réfléchir, l’enquête en question est avant tout une quête de soi. L’Enquêteur, à mesure du déroulement (sic) de sa douloureuse mission aussi tortueuse que vaine, sera amené à regarder une certaine réalité en face. Qui l’a envoyé, que cherche-t-il au juste ? N’est-il pas qu’un produit déficient de son époque et destiné à la casse ? Hélas, les derniers chapitres sont à la limite de l’imbitabilité : vous vous souvenez des dialogues entre Néo et l’Architecte dans Matrix ? Bah tentez d’imaginer une conversation avec de pires autistes entre le héros et le Fondateur. Merde, moi qui m’attendais à quelques révélations finales, j’ai eu encore la dalle après avoir refermé le bouquin.

…à rapprocher de :

– De Claudel, Le Tigre a lu La petite fille de Monsieur Linh. Même genre d’écriture abstraite sans noms ni références. Beau mais bizarre.

– Ce roman a été d’abord publié chez la maison d’édition Stock. C’est marrant, mais en 2014 ils ont sorti un roman qui reprend quelques thèmes de L’Enquête, à savoir l’anonymisation et le glauque qui n’aide pas à se sentir mieux : c’est La chance que tu as, de Denis Michelis.

– Puisque tout le monde a su faire le parallèle, autant jeter ses deux patounes dans le plat : L’Enquête, c’est du Procès made in Kafka en puissance.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

DodécaTora« Salut ma poule. Depuis mon parc du Moulin où je repose paisiblement, j’ai eu vent de ton magnifique gueblo. Et là, tout à coup, m’est venue une illumination : puisque j’avais mille idées pour autant de romans que j’aurais voulu initier, pourquoi ne parlerais-tu pas des romans inachevés ? Ce serait cool non ? Bises. Louis A. PS : qu’est devenu le communisme depuis tout ce temps ? »

Douze livres qui n’ont pas pu être terminés

Quel farceur, ce Louis Aragon. Sous prétexte qu’il a écrit un poète intitulé Le roman inachevé, voilà-t-y pas qu’il me pousse à l’exploit en recensant quelques titres qui n’ont pu être correctement finis. Très honnêtement, je me passerais volontiers de telles correspondances. Un DDT à rédiger, ça me prend au moins deux heures !

Pourquoi un roman reste-il inachevé ? Les raisons sont tellement nombreuses que j’écrirai un billet sur ce sujet précis, toutefois quelques idées peuvent venir à l’esprit fécond du félin : censure brutale, décès inopiné, envie de faire particulièrement chier le lecteur, suite du manuscrit perdue parmi les 20 000 feuillets laissés par l’écrivain, etc. Quoiqu’il en soit, on peut attendre une année comme un siècle pour que le roman, publié à titre posthume évidemment, daigne sortir chez un éditeur.

Il faut cependant poser quelques frontières. Déjà, Le Tigre n’évoquera que des auteurs à peu près connus. Vous ne risquerez donc pas de retrouver le nom de votre grand-père qui a trois manuscrits non terminés dans la commode du grenier – là où sont planqués les Playboys. Ensuite, j’éviterai d’évoquer ceux qui ont fait exprès de ne pas terminer leurs trucs littéraires, mais uniquement les auteurs qui ont eu certains empêchements – la mort, entre autres choses. Enfin, il s’agira de romans, et pas de poésie ou d’essais (désolé Karl M.).

Tora ! Tora ! Tora ! (x4)

1/ Franz Kafka – Le Château

Si l’état d’inachèvement du Procès pose problème, il n’en est rien du Château puisque Franz, courant année 1922, a clairement exprimé son souhait de faire une pause sur ce roman. Néanmoins, il n’aura jamais le temps de reprendre le scénario de K., héros qui débarque dans un village régi par un fameux Château dont on sait peu de choses. L’administration imbitable, le flou artistique de la condition d’administré, le on retrouve là quelques thèmes chers de Kafka.

2/ José Rizal – Makamisa

J’ai souvent retrouvé ce nom lors de mes pérégrinations aux Philippines. Et à juste titre, José est un des héros de l’indépendance de ce pays ! Qui dit héros, dit mort prématurée pour le bien de sa patrie. Exécuté à 35 piges par les Espagouines, notre José national (qui était aussi novéliste, docteur, poète même) a laissé un chapitre (à peine dix pages) d’un roman où apparaît Père Agaton, personnage paternaliste dans sa petite ville – et qui a tout pour plaire.

3/ C.S. Lewis – The Dark Tower

Dès la fin des années 30, Clive Staples s’est attaché à écrire une sympathique trilogie de SF (disons fantasy) où il est question de visites de Mars, puis Vénus. Entre le premier et le deuxième tome, il y a la Tour Sombre (traduction libre), opus qui se présente différemment des autres avec un voyage dans une autre dimension. A signaler les menus gougnafiers (façon de parler) qui, régulièrement, remettent en cause l’authenticité de ce manuscrit.

4/ Albert Camus – Le Premier Homme

Avouez que vous l’attendiez celui-ci ! Les conditions de la découverte du début d’une longue autobiographie (prévue en trois tomes il me semble bien) sont affolantes à souhait : les feuillets du roman incomplet ont été trouvés dans la voiture accidentée où Camus a trouvé la mort, en janvier 1960. Qu’à cela ne tienne, tout a été remis en ordre pour la publication partielle d’une histoire à forte charge autobiographique.

5/ Robert Musil – L’homme sans qualités

Commencé en 1930, cette longue saga s’annonçait sous les meilleurs augures. L’écrivain autrichien s’attache à y décrire, de manière aussi complète que précise, la société de Vienne avec différents personnages issus de milieux hétérogènes – parmi les protagonistes, le bon Ulrich, dit « l’homme sans qualité ». Toutefois, Musil le Berlinois (il avait quitté sa natale Österreich) devra prendre ses clics et ses claques vers la capitale autrichienne, puis filera en Suisse après l’invasion nazie. La cinquantaine passée, sans le sou et gravement malade, Robert M. décédera sans avoir eu le temps de terminer le troisième tome.

6/ Marivaux – La vie de Marianne

Aussi nommé Les aventures de Madame la comtesse de *** , Marivaux s’est arrêté à la onzième partie au début des années 40 (18ème siècle bien entendu), alors que l’héroïne, à la suite d’une énième demande en mariage, se demande si elle ne devrait pas entrer dans un couvent. Marianne, dont les parents ont été tués par des brigands, est recueillie par un vieux monsieur qui en veut pour son cul. S’ensuivent des péripéties assez truculentes mais instructives sur l’époque – pour près de 800 pages, y’a sacrément intérêt.

7/ Natsume Sōseki – Clair-obscur

Quittons la vieille Europe pour voir ce qui se passe du côté extrême-oriental avec un auteur représentatif de l’ère Meiji – la période à partir de laquelle les Japs se sont sortis les doigts du cul pour les mettre dans les nôtres. L’auteur est remarquable dans la mesure où il a su faire le grand écart entre le Japon pré-1868 et la période de la fin du 19ème siècle, au cours de laquelle il commence à être connu. Tombé rapidement malade, il ne pourra finir le fameux Meian. Dommage, il s’agissait, même inachevé, du roman le plus long jusque là écrit par Natsume.

8/ Paul Scarron – Le Roman comique

Scarron est un écrivain pas tout à fait comme les autres : atteint d’une terrible affliction, l’auteur du milieu du 17ème siècle a commencé à perdre l’usage de tous ses membres antérieurs. Et il a pris le parti de rire de sa position de cul-de-jatte non sans un certain esprit. Si son grand ouvrage demeure Le Roman comique, qui est notamment constitué de petites saynètes au burlesque éprouvé, force est de constater que le troisième tome n’a pu être publié.

9/ Vanessa Duriès – L’Étudiante

Enfin. Un peu de sexe dans ce billet. Avec Vanessa (Katia Ould-Lamara de son vrai blaze), jeune femme ayant vécu de torrides aventures BDSM pendant les années 80, il y avait de quoi reléguer Cinquante nuances de gris à de la lecture pour bourgeoises coincées du derche – comment, c’est déjà le cas ? Hélas, après le succès de son premier essai (Le Lien), Miss Duriès s’est piteusement crachée en bagnole alors que L’Étudiante en était à quelques courts chapitres.

10/ Jules Verne – Voyage d’étude

Jules Verne était un sacré stakhanoviste, tellement qu’il avait des romans d’avance pour les deux-trois années à venir. Du coup, quand Julot a clamsé, une dizaine de romans posthumes a été publiée par les bons soins de sa famille. Sauf Voyage d’étude, qui a eu un traitement particulier : pour la petite histoire, le fiston à Jules a repris ce manuscrit (le seul inachevé de l’auteur), l’a allègrement expurgé de certaines références (notamment les passages sur l’espéranto) avant de le publier, l’air de rien.

11/ Marcel Proust – Jean Santeuil

Proust, c’est pas vraiment ma tasse de thé. Désolé. Commencé à la fin du 19ème siècle, Santeuil est un roman autobiographique de jeunesse que Marcel n’a jamais eu l’idée de reprendre. Faut dire qu’ensuite l’auteur s’est mis à pondre sa monstrueuse saga et qu’il n’avait plus trop le temps de déblatérer sur sa vie…à moins que des éléments de A la recherche du temps perdu continuent la première œuvre inachevée…

12/ Jane Austen – Sanditon

Une dernière blagounette pour terminer. Tigre vous prie de bien l’excuser, mais jamais il n’est parvenu à lire le quart du centième d’un titre de la romancière anglaise – je reste bien plus éveillé en regardant une saison entière de Derrick. Y’a un truc qui passe pas, je n’y peux absolument rien. En revanche, pour Sanditon, qui fait à peine 50 pages (et ce grâce à la foudroyante maladie de Jany), là je peux le lire !

Mais aussi :

J’ai putainement conscience d’avoir zappé plein de titres, et ce d’autant plus que ce DDT est fortement franco-centré – qui me blâmerait pour cela ? En outre, certains ouvrages ont été délibérément exclus. Par exemple :

– Crébillon et ses Égarements du cœur et de l’esprit n’a pas été pris en compte puisque la faculté se fout sur la gueule pour déterminer si l’inachèvement du titre est volontaire ou non.

Le Bureau des assassinats, de Jack London, a été sciemment exclu puisque Robert L. Fish, à la suite de la mort de Jacky, a finement complété le roman.

Etc.

Russel Banks - De beaux lendemainsVO : The Sweet Hereafter. Lorsqu’un accident vient endeuiller une modeste communauté américaine, lorsque les enfants meurent avant leurs parents, nul ne sait ce qu’il pourra advenir ensuite. Long au démarrage, mais tellement excellent par la suite. Avec ce petit bijou de justesse et de tristesse, le romancier américain a donné sa petite claque au Tigre.

Il était une fois…

Sam Dent, dans le Nord des États-Unis, la population est en émoi : le bus transportant les petits nenfants vers l’école s’est lamentablement craché dans un ravin. Tous se sont presque transformés en anges, et leurs parents sont sous le choc. C’est à ce moment qu’un avocat particulièrement doué leur propose ses services. Entre colère légitime, tentation de faire un procès et grosses merdes sous le tapis, le village constitué de gens modestes ne sera plus jamais le même.

Critique de De beaux lendemains

Je ne sais pas pourquoi, mais à l’époque où j’ai lu ce roman, j’ai souvenir d’une certaine difficulté à en venir à bout. Les 150 premières pages, laborieuses comme rarement, m’ont presque fait abandonner. Et puis Le Tigre s’est accroché, jusqu’à parvenir à un état de pleine félicité largement justifié par le talent de Russel Banks. Quelle empathie, quel vocabulaire, quelle immersion, c’en est purement génial.

La principale qualité de cette œuvre est, à partir d’un fait terrible, de américain nous entraîne très loin : grâce à quatre protagonistes, la narration (à la première personne du singulier) offre une richesse peu égalée de différentes sensibilités. Qu’il s’agisse d’un père doublement éploré (perte de la femme, puis de ses jumeaux), de la conductrice du bus (Dolorès de son petit nom) qui ne sait pas si elle roulait trop vite, d’un avocat décidé à venger les familles ou encore une jeune survivante ayant perdu ses jambes, Russel B. parvient à entrer dans l’esprit de personnages complexes et aux motivations qui se brisent à celles des autres.

Certes le lecteur pourra reprocher deux ou trois aspects, notamment la longueur des chapitres (à peine six pour 300 pages) ou un intérêt qui met un certain temps à se mettre en place. Néanmoins, il y a une superbe montée en puissance dans la multi-narration, chaque protagoniste apportant une nouvelle pierre à un édifice instable qui menace de livrer un terrible secret – et croyez-moi, ça vaut largement le détour. L’histoire de la petite Nicolle Burnell, notamment, sublime la problématique de l’histoire qui bascule, sans pitié, vers la tragédie. Quelles sont les raisons de l’accident ? Mais surtout, pourquoi Nicolle décide de mentir en vue du procès ?

Bref, foncez. Petit coup de gueule final pour la traduction du titre qui se veut ironique : s’il est vrai que les lendemains ne sont point beaux après un tel drame, l’idée d’un « doux au-delà » (traduction approximative) me paraît plus pertinente : non seulement on va au-delà de la douleur, du ressenti de la part d’individus qui sont face à l’illogique (la progéniture qui clamse avant les parents), mais le titre original renvoie plus trivialement à la mort et à la place désormais occupée par les jeunes victimes.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La douleur qui touche la petite communauté est d’une rare violence, et dans ce genre de cas chaque habitant est susceptible de perdre la tête. Comme Mitchell Stephens (le baveux) le remarque vite, les locaux de Sam Dent peuvent être qualifiés de « petites gens » vite dépassé(e?)s par ce qui leur tombe sur la gueule. Une petite ville qui perd ses enfants est une ville sans avenir, selon certains, et pourtant la vie continue. Et ce en vertu de la désignation d’un bouc émissaire (le pauvre), quelque chose de pas trop compliqué à comprendre et qui évitera de poser d’autres questions – le préalable à une longue procédure judiciaire à l’américaine.

Plus généralement, l’écrivain américain parvient à nous introduire très intimement auprès des protagonistes, un sacré tour de force. Les problématiques de tel ou tel individu, comment il voit son existence se dérouler, ses souvenirs qui conditionnent ses réactions à venir (en particulier Billy qui en tient une sacrée couche), jusqu’aux décisions à prendre après la tragédie, tout cela est finement rendu. Après avoir posé ses pions, Banks les met en scène dans une sorte de tableau illustrant ce que peut être la théorie des jeux : tous ont un but (ou un écueil dans lequel ne pas tomber), et la divergence des intérêts fait que ça peut péter dans tous les sens – sans compter qu’il n’y a pas vraiment de bonnes décisions à prendre, toutes se valant.

…à rapprocher de :

– Le Tigre a découvert qu’un film, réalisé par Atom Egoyan, en 1997. Vous en parlerai dès que je l’aurai pirat…euh visionné.

– Au risque de paraître hors sujet, la communauté dont les enfants sont les cibles rappelle La tempête du siècle, du bon Stephen King.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Chris & Julien Flamand - Vacances à Saint-PrixAaaah…les vacances à la campagne, y’a que ça de vrai ! Souvenirs mitigés cependant, l’enfance garde trace des bons moments comme des périodes difficiles, aussi bleu que soit le soleil. Partielle autobiographie d’auteurs sensibles et mesurés, pourquoi se plaindre ? Sympathique tout plein, ça ne casse toutefois pas trois pattes à un pauvre petit canard.

Il était une fois…

Kiki…euh Christian, depuis bientôt 5 années, passe ses vacances à Saint-Prix chez ses grands-parents – ne me demandez pas où c’est, un tas de patelins portent ce nom. Sauf que papy a précipitamment englouti son bulletin de naissance et mémé est mise en jach..maison de retraite. Et c’est Dédette et Marcel, tante et oncle de notre jeune héros, qui vont l’accueillir avec son frérot. Tout est pareil, mais tout a changé [cette dernière expression n’est pas du Tigre].

Critique de Vacances à Saint-Prix

Ce doit être la couverture rouge sang qui m’a invité à lire cette petite sucrerie. Deux êtres, le père et le fils, marchant main dans la main dans une sombre forêt, le félin a espéré un petit dénouement version La classe de neige de Carrère. Il n’en est rien, si vous attendez un petit retournement ou un mot final étonnant, passez votre chemin. A peine si le destin de la cousine sera rapidement évoqué, et encore…

Christian, donc, livre au lecteur les réminiscences de son enfance qui l’ont marqué. Via cette bande dessinée exclusivement autobiographique, ce seront deux séjours à la campagne, séparés de cinq années, qui seront décrits. Si en 1960 tout n’est que bonheur, premiers émois (la nature, une camarade de jeux) et environnement aimant, en 1965 un autre son de cloche se fera entendre. A un tel point que Chris et son frangin téléphoneront à leurs vieux pour qu’ils viennent les chercher au plus vite.

Le trait généreux et large, serti de couleurs chatoyantes (presque criardes), n’est point désagréable à l’œil. Les caractères et leurs mimiques attachantes, vivantes à souhait, se fondent plutôt bien dans une campagne bucolique où tout semble plus grand. La vision d’un enfant y est profondément respectée car s’attachant à toute sorte de détails qui leurs sont propres. Il y a comme du Zep dans ce que fait Flamand père (sauf erreur de ma part), mais avec plus de matière question décor et architecture.

Tout ça pour gazouiller que, s’il faut saluer l’effort de transmission de ses expériences, Vacances à Saint-Prix n’apporte rien de plus de notable. Ah si : les photos finales permettent de voir (en vrai) les différents protagonistes et lieux visités – il est toujours fandard de comparer la réalité à la vision qu’en avait l’auteur.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Ce qui m’a semblé particulièrement juste est la façon dont les souvenirs heureux peuvent amener à de profondes déceptions. Entre les vacances de 1960 et les autres, le changement d’habitants provoque une remise à niveau de l’estime que Kiki porte aux lieux. Car Dédette l’alcoolo à la main lourde n’a rien à voir avec la gentille mamy à l’incomparable cuisine. Le héros et son frère auront beau faire, la villégiature prend une tournure plus angoissante. Un peu quand Le Tigre, six années plus tard, tente de ressortir sa NES du grenier pour s’amuser avec des jeux de légende…qui se révèlent être de parfaites bouses – et avec lesquelles jouer plus de cinq minutes relève du cauchemar.

Le bon air des champs et la vie « simple » sont à l’honneur, pour une histoire se situant pendant les années 60 c’est bien légitime d’ailleurs : entre les petits bocaux et le lait de chèvre à récupérer même leur pis, on frise l’autarcie s’il n’y avait pas les courses à faire au village du coin. Et tout ce petit monde se contente de peu : avions en papiers au lieu d’un drone ; longues randonnées à la place d’une tablette numérique ; bouilloires en brique réchauffée ; pas de TV ; pas de wifi ; pas l’ombre d’un ordinateur (donc pas de possibilité de bloguer), pas sûr que c’était mieux avant.

…à rapprocher de :

Un été du tonnerre, avec le sempiternel Jojo et son poto Gros-Louis, autre BD un peu plus destinée aux tout-petits.

Le retour à la terre (tome 1 sur le blog), de Manu Larcenet et Ferri, destiné aux plus grands.

– En mode BD plus mignonne avec tout plein de souvenirs, je ne saurais trop vous aiguiller vers Paul à la campagne, de Michel Rabagliati.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette BD en ligne ici.

Eddie Little - Encore un jour au paradisVO : Another Day in Paradise. Eddie Little, gangster trop vite rattrapé par ses vilains penchants, a pu écrire quelques textes qui sont glaçants par leur réalisme. En suivant un jeune homme qui prend le plus mauvais chemin, fait de paradis artificiel et d’enfer, il y a de quoi se sentir mal. Violent et sans concession aucune, ne vous attendez pas à un happy end d’aucune sorte que ce soit.

Il était une fois…

Bobbie est un gamin qui n’est pas à la fête. A peine treize ans et déjà sa vie est un foutoir pas possible à cause d’un environnement familial d’une rare violence. Au milieu de la rue, Mel, brigand aguerri, lui sauve la vie et le prend sous son aile. Cambriolages, tabassages en règle, drogues dures, trahisons, amours perdues, Bobbie est pris dans un engrenage d’où s’extirper semble impossible.

Critique de Encore un jour au paradis

Eddie Little est le genre d’auteur que Le Tigre affectionne avec une allégresse certaine : délinquant, drogué, écrivain, nul besoin de demander au mecton ses lettres de recommandations lorsqu’il publie un titre mettant en scène un personnage qui pourrait être son jeune alter-ego.

Ce « héros », un jeune voyou au prénom assez banal, devient propulsé à un autre niveau de criminalité. Parrainé par confrère d’une autre trempe, notre ami va connaître l’ivresse et la dureté d’un univers dont il est, par défaut, intimement attiré. De quelques larcins à des coups d’éclats d’une étonnante audace, Bob’ va tranquillement se diriger vers l’innommable. Si le lecteur se dit au début que son avenir est à peu près rattrapable, force est de constater qu »il n’y’  plus rien à espérer de l’existence du protagoniste.

Il faut convenir que le style de Little est passable, sans être d’une outrageante richesse littéraire. En outre, l’intrigue, classique, manque peut-être de « punch » même si une relative linéarité permet de mieux rendre compte de la descente aux enfers des personnages. Pour ma part, ce sont les quelques scènes relativement choquantes qui m’ont régalé, le fauve a de suite repéré la suave saveur des péripéties réellement vécues par l’écrivain américain – ce qui, en soit, fait plutôt peur. En rajoutant quelques scènes presque tirées des pires actes d’un film comme Scarface, il y a de quoi désespérer de la condition humaine.

En conclusion, ne lisez pas ce roman si vous vous sentez un peu patraque et êtes en quête d’un petit truc bisounours. Car cette œuvre, que je considère à part dans les polars (car horriblement crédible), a un côté sombre qui enchante parce que ça se termine en eau de boudin – c’est suffisamment rare pour être signalé. Certes l’histoire est humaine car lucide sur les attentes et menus espoirs d’un être humain, mais ce dont sont capables ces hommes (sans compter leurs limites vis-à-vis de la facilité) donnera plus d’une suée au lecteur.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La drogue – titre oblige. Si le héros touche à quelques plaisirs chimiques dans ses jeunes années (colle, clopes, alcool, rien de bien méchant…), il y a une inquiétante accoutumance qui se développe par la suite. Notamment lorsque, à la suite d’une blessure, Bobby est « soigné » à l’héroïne : à partir de ce moment, l’usage récréatif fait place à une impérieuse nécessité au centre de toutes autres motivations. Au surplus, il n’y a pas que la dope : la violence pure, l’adrénaline des situations borderlines, la mise en danger du corps par l’injection d’héro se double d’une franche propension à se foutre dans des situations périlleuses, à la limite du suicide en fin de roman.

L’espoir moribond. Bobby, qui fait péter tous les compteurs de la violence avec une régularité qui force le respect, abandonne progressivement toute possibilité de s’en tirer. L’impression que laisse Encore un jour au Paradis est celle d’un énorme gâchis, d’une vie qui, au final, n’aura servi qu’à peu de chose. Pourtant, les premiers chapitres de l’ouvrage laissaient espérer une certaine libération, en plus accompagnée d’une histoire d’amour avec une femme plus âgée et en galère. Hélas, l’histoire de la fille, encore plus glauque (âmes sensibles s’éloigner), agira telle une ancre dramatique à celle de Bobby.

…à rapprocher de :

– Le film de 1997, Another Day in Paradise, de Larry Clark, est tiré de ce roman – qui, alors, a été jugé digne d’être traduit en français.

– La drogue, la criminalité, tout ça par un « enfant du sérail », jetez un œil à Ne mourrez jamais seul, de Donald Goines.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.