[VO : The rabbit factory (étonnant)]. Un truand un peu trop nerveux, une coureuse de remparts en difficulté, deux couples mal assortis, une unijambiste dog-sitter, mélangez le tout avec une solide dose d’humour noir et vous avez une œuvre frisant certes le demi millier de pages, mais qui sont avalées sans un début d’indigestion – hop, ai réussi à tout caser en une phrase.
Il était une fois…
Comme il est question de destins croisés et que le quatrième de couv’ résume bien les personnages, le voici reproduit :
« Arthur est un septuagénaire qui ne bande plus ou presque et qui refuse pourtant le Viagra. Helen, sa femme bien plus jeune, s’ennuie et se console dans l’alcool et les coucheries. Domino, de son côté, livre de la viande suspecte à des lions et deale de l’herbe en butant les flics qui le dérangent. Son patron n’en sait rien, ne s’occupe que de ses affaires de mafia et traque un homme qu’il voudrait bien donner à ses gros chats. A l’autre bout de la ville, un type se fait buter dans un salon de coiffure, un marin tombe amoureux et Anjalee, jeune fille traquée par la police, fait tout ce qu’elle peut pour survivre tout en portant une poisse mortelle à ses amants… »
Critique de L’usine à lapins
Premier chapitre : un tueur à gages de seconde zone se fait remonter les bretelles par son commanditaire parce qu’il aurait buté la mauvaise cible. Et ces pages annoncent la couleur : il s’agira d’un roman drôle, sans pitié mais avec une tendresse manifeste pour les indécrotables losers dépeints. Il ne faut pas se fier à l’aspect impressionnant du pavé ou à l’apparente myriade de protagonistes que le lecteur suivra.
En effet, seulement trois grands arcs narratifs sont à signaler : Wayne, militaire (et boxeur à ses heures perdues) en poste sur un porte-avions qui vient de percuter une baleine et Anjalee, strip-teaseuse qui a tapé dans l’œil du premier ; le couple bancal que représentent Helen (la quarantaine, alcoolo et sensuelle) et Arthur (plus vieux, ne bandant plus, et pardonnant beaucoup), sous le regard effaré d’Eric, jeune vendeur qui se balade avec un chien attrapeur de chats et tentant de résister aux assauts d’Helen ; Merlot le professeur filant un début d’amour prometteur avec une flic, néanmoins Merlot cache chez lui un hôte qu’il n’ose présenter à sa nouvelle copine. Quant à Miss Muffet ou Domino, leurs histoires m’ont paru moins féroces et accrocheuses.
Ceci dit, il y a dans cet ouvrage quelques pépites d’humour noir avec des personnages savoureux et – avant toute chose – attendrissants. Certains sont de braves benêts, d’autres essayent de tromper l’ennui ou subissent une fuite en avant qui ne peut que salement se terminer – Domino, paranoïaque en puissance, illustre ce dernier travers. En virevoltant d’un protagoniste à l’autre, Larry Brown nous sert diverses problématiques, différents modes de pensée pas toujours glorieux où la candeur se heurte à la dureté d’un monde dominé par des malfrats sans états d’âme.
Pour terminer, il faut souligner la force de l’écrivain américain qui est d’enfiler les chapitres avec une vitesse d’exécution satisfaisante, tout en maintenant une certaine cohérence narratrice avec la demi-douzaine d’intrigues qui se touchent de près ou de (très) loin. La quintessence du roman noir, avec une plume sèche qui va droit au but. Bref, presque du hard boiled des années 60, et le peu de références technologiques ou même culturelles donnent à L’usine à lapins un cachet intemporel, voire classique.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Ce roman pourrait être ainsi sous-titré : « les magnifiques perdants ». Des hommes et des femmes, déjà mal partis dans la vie (telle femme a une jambe en bois, une autre est vraisemblablement bloquée dans son mariage, tel gars amoureux d’une escort girl, etc), qui vont maladroitement s’efforcer d’améliorer leur ordinaire. Sauf que rien ne se déroule comme espéré, un grain de sable (quand ce n’est pas toute la plage) enraye une machinerie déjà fragile. Larry Brown ne torture pas complètement ses héros, toutefois il leur fait tomber suffisamment de merdes sur la gueule pour que ceux-ci nous montrent leur vraie face, les rendant attachants au possible.
Attachants…en effet, la seconde chose qui saute aux yeux est l’extrême solitude des personnages. Chacun semble manquer de quelque chose, voire d’être à la recherche d’un partenaire à sa mesure – à l’exception d’Anjalee, dont les amants connaissent des destins tragiques. L’écrivain, sadiquement, parvient même à faire capoter l’histoire la plus prometteuse entre Merlot et Pénélope, d’une façon si improbable et lapidaire que le lecteur peut légitimement hésiter entre en rire ou en pleurer. De pauvres hères esseulés qui n’ont pas l’occasion de partager (voire simplement communiquer) avec autrui, et cherchent par d’autres moyens à combler ce vide – l’alcool, la violence, le sexe, voire les trois en même temps.
…à rapprocher de :
Je crois bien qu’il s’agit du premier roman de cet auteur que je lis. Vais devoir sans aucun doute en attaquer d’autres au vu de la qualité du présent ouvrage.
Dans l’esprit du roman-mosaïque où se rejoignent plusieurs protagonistes, le félin avait été agréablement surpris par L’Amérique cinquante et des poussières de Gregory Mion.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.