Les pages wiki anglaise et française étant déjà bien remplies, Le Tigre s’efforcera d’être extrêmement subjectif. Alors autant le dire tout de suite : dès le premier tome, j’ai trouvé que cette série est une vraie petite bombe. Rire, dégoût, intelligence, c’est du grand art. Dessins parfaitement en phase avec la direction cyberpunk de la série, c’est le genre de livres subversifs et drôles dont on peut être fier de posséder.
Il était une fois…
Six tomes, six paragraphes, je vais tâcher de rapidement les résumer, sachant qu’il vaut mieux les lire dans l’ordre. Pour le lecteur qui souhaite se faire une cure de Transmetropolitan, lisez juste le résumé du premier tome. Ne vous spoilez pas en découvrant la suite.
TOME 1 : le Come-back du siècle
Spider Jérusalement (SJ) était un grand journaliste qui avait son petit succès. On l’oblige à sortir de sa retraite (pas dorée du tout) et retourner dans l’enfer de la ville pour couvrir certains évènements. Malgré lui il se replonge dans la corruption (drogues, désirs,…) de la métropole et commence à donner un solide coup de pied dans la fourmilière en couvrant la révolte des transités, des illuminés qui pour moitié ont l’apparence d’extra-terrestres.
Tome 2 (et début du SPOIL) : La Nouvelle Racaille
SJ couvre les élections présidentielles. Pour contrer la Bête, le candidat président qui a fait du pays un endroit dégueulasse, des primaires sont mises en place dans le parti adverse. Ces candidats seront méticuleusement scrutés par le journaliste. Et contre la politique pourrie en place, SJ découvre et fait vite découvrir à quel point les petits arrangements et grands scandales sont légion. Il faut rajouter l’arrivée d’une nouvelle assistante, quelques éléments sur la passé de SJ (l’enfant sans tête kamikaze qui l’attend pendant le livre 1 par exemple), les addictions toujours plus fortes du héros, les mouvements néo terroristes contre le système en place, etc.
Tome 3 : Seul dans la ville
Le plus dense en termes de pages de la série. SJ est une star, mais déjà il va enquêter sur celui qu’il a aidé à faire élire, et ce qu’il découvre n’est pas joli joli. Utilisé à ses dépens comme une marque (films X, accessoires pour enfants, marques SJ et pseudo téléfilms le montrant comme sympathique), SJ se sent humilié et doit se racheter une anti conduite. Il faut ajouter les exactions policières du Sourire, les découvertes toujours plus dérangeantes, bref cela se termine en apothéose par son éviction du journal.
Tome 4 : Éloge funèbre
Viré du Word, SJ avait tout anticipé et continue son travail au sein de la presse underground (webcanal pirate). Son ex rédacteur l’aidant plus ou moins, SJ parcourt les bas fonds de la ville et récupère les témoignages d’une population miséreuse. Tout ça pour arriver à l’insoutenable, et la découverte des agissements éhontés des soutiens du président en exercice, ce dernier se révélant toujours plus fou. Tentatives d’assassinat, tempêtes de proportion biblique, fausses grèves des flics, un politicien prépare quelque chose de terrible.
Tome 5 : Le Remède
SJ est malade, il ne reste pas beaucoup de temps avant qu’il ne perde la raison. Le chef de l’État, qui a réussi à effacer les archives de tous les journalistes, sera son dernier scalp, ce dernier tentant de tout faire pour discréditer SJ (et effacer les preuves de sa démence). Lâché par le Word, seul avec ses assistantes, le journaliste, libre de toute éthique, saura-t-il contourner les pièges tendus par le Président ?
Tome 6 (avec gros SPOIL) : Une dernière fois
Le président étant dos au mur, SJ rassemble ses dernières forces pour le faire tomber, happy end forcément. SJ finit ses vieux jours en tant que légume à la campagne, et la scène se finit sur la visite de son rédacteur.
Critique de Transmetropolitan
Le premier épisode démarre en trombe, et sur six tomes ça ne veut plus s’arrêter. Humour dévastateur, bêtise ambiante, avec un anti-héros pas si antipathique que ça si on considère son environnement. Un réel plaisir sur toute la ligne, et ce sans longueurs.
Le scénario est simple : avec son acuité légendaire le journaliste dévoile la face cachée de la ville et met en ligne directe ses articles, savoureux et acides.Les deux derniers tomes sont plus sombres, où la maladie de SJ lui tient lieu de deadlines. Les scandales sexuels et politiques deviennent plus glauques, la disparition de toute barrière morale est présentée de manière brute et sans prendre de gants.
Quant à la fin, qui est magnifique, toute en puissance, c’est un plaisir pur ! La chute précipitée du vilain politique, son dernier esclandre, sont très appréciés. Mais c’est surtout le premier tiers du livre qui apporte un « plus » important, avec les articles de SJ qui retracent cinq années de retour à la Ville, cinq années de haine, de folie et de génie.
L’individu SJ et les personnes qui l’entourent sont de vrais gags sur pattes. Violent, soumis à des rages folles, inénarrable usager de drogues,…Le journaliste est loin d’être un exemple. Son entourage non plus, par exemple une de ses « sordides assistantes » est là pour vérifier qu’il se shoote suffisamment. L’attitude scandaleuse du héros rend la lecture jubilatoire, où le respect fait grandement défaut.
Ellis n’ose toutefois pas tout, et parvient à rendre SJ digne d’être soutenu : celui-ci fait parfois preuve d’une grande humanité, et en général de gentillesse envers les « 99 % » (démunis, minorités, enfants).
Le dessin, ah le dessin. Tout ce que Le Tigre préfère : lignes claires, assistance de l’ordinateur, couleurs flashies. A l’image du visage du personnage, avec ses lunettes roses et vertes qui enregistrent tout. Assez proche d’un dessin de l’éditeur « les humanoïdes associés », où les perspectives et décors sont finement ciselés et tout en couleurs « chimiques ».
Cette collection est à lire et à relire, on en sort pas vraiment indemne. A éviter si vous recherchez du crédible, voire du sérieux, et que la violence gratuite vous écoeure à partir d’un certaine dose.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Tout d’abord le genre particulier qu’est le cyberpunk, sous catégorie de la SF. Je ne vais pas vous expliquer ce qu’est le cyberpunk, pour ma part c’est juste une vision sombre et passablement bordélique de l’avenir. Avenir où les lois ont moins de prise, les puissants verrouillant le système et laissant la populace utiliser intensivement le système D. Avenir visuellement flippant, comme le visage des « transités », à moité hommes de roswell. Exactement ce que présente Transmetropolitan.
Contrairement à un Philip K. Dick où on démarre souvent du bas, ici SJ est un privilégié. Profitant du système qui ne sera jamais indifférent à lui, le journaliste a de nombreux passe-droits bien amusants. Par exemple, l’utilisation d’un clone avec transfert de personnalité pour éviter un voyage en Californie où il se serait fait vite arrêté dès l’aéroport. Ce n’est pas sans rappeler au Tigre l’idée présente dans Carbone modifié (et suivants) de Richard Morgan.
Ensuite, le politiquement incorrect. Le héros n’en est pas vraiment un, et finit, après avoir rempli son office, assez piteusement. Ses actes et paroles, notamment sous l’emprise de la colère, sont orduriers comme on en voit / entend rarement. En outre, constituant une critique à peine voilée du monde contemporain fait de corruption et de trafics divers, le monde politique décrit dans ce comics est une vraie catastrophe. Faire tuer femme et enfants pour assoir son capital sympathie en période d’élections, Le Tigre ne voit pas comment mieux atteindre le fond.
La frontière avec l’insulte gratuite et le vulgaire n’est jamais franchie puisque le scénario, la philosophie des protagonistes et les dialogues restent en tout point intelligents, du moins intéressants. Par exemple lorsque SJ se lâche dans le troisième tome, ce n’est pas pour faire plaisir au lecteur, seulement reprendre sa stature subversive honnie par les masses et ne pas finir comme un objet marketing.
Enfin l’éthique particulière du journaliste, protagoniste d’exception. SJ est un chantre de ce qu’il nomme La Vérité, et en particulier la transparence pure exigée selon lui par son métier. Cela n’est pas sans rappeler la faction des Universitaires (information libre et ouverte à tous) dans Sid Meier’s Alpha Centauri (le vieux jeu vidéo des années 90) ou plus récemment Wikileaks et consorts. D’ailleurs, lorsque viré du journal, le trublion se met à émettre à partir d’un web canal pirate insaisissable, la résonance avec le début des années 2010 est plus forte que jamais.
Paradoxalement SJ abhorre les suiveurs, mêmes ses propres « followers » qui ne prennent pas assez de recul. SJ excelle ainsi lorsque détesté, en éternel outsider qui doit sans cesse réinventer des manières de choquer. Un petit côté Mélenchon / Le Pen. Pour cela il n’hésite pas utiliser les armes de l’ennemi, comme par exemple créer une zone exempte de réseaux où les gens paniqués n’ont plus accès à l’information. Assez proche du principe de la TAZ (temporary autonomous area), les connaisseurs apprécieront.
…à rapprocher de :
– Avec Darick Robertson au dessin, il y a Happy ! (Grant Morrison au scénario), très sombre et pas aussi réjouissant que Transmetropolitan. Quant à The Punisher : Au Commencement, juste parfait.
– Megalex, le visuel est assez proche ainsi que la description d’une civilisation décadente. BD plus courte et de moins bonne qualité, ça se laisse lire ceci dit.
– L’immoralité la plus totale se retrouve dans Six-Gun Gorilla, version western déjantée par Spurrier et Stokely.
– Hunter S. Thompson, grand journaliste « gonzo » qui serait l’équivalent des années 70 de notre ami Spider Jerusalem. D’ailleurs le personnage du premier Président, cynique et malhonnête, n’est pas sans rappeler Nixon. Le Tigre le dit sans avoir lu wikipedia.
– Ainsi, les relations en SJ et ses boss ressemblent de temps à autre à ce que décrit H.S.T. dans Gonzo Highway, recueil de missives du journaliste.
– Les autres œuvres d’Ellis, pas forcément aussi décalées.
Enfin, si le titre n’est plus disponible, vous pouvez trouver cette saga en ligne ici : tome 1, tome 2, tome 3, tome 4, tome 5 et tome 6.
VO: même titre. Œuvre tout à fait à part dans la (longue) bibliographie du Bat, Harvest Breed est différent : histoire assez bizarre et décevante, dessin inhabituel mais intéressant, il est dur d’émettre une appréciation sur cet opus. Aucun super vilain qu’on connaît, juste le commissaire Gordon comme personnage connu, on n’est pas loin du « one shot » qui n’engage que son auteur.
Fouché, pas si bien connu et pourtant quel parcours ! L’image de couverture représente un homme placide, à la limite du noble « fin de race » mais dont les actes furent souvent sans appel. Toutefois en plus d’une bio, c’est l’histoire de l’évolution de la police dans un environnement changeant qu’on découvre, avec une exhaustivité qui risque de perdre le lecteur.
VF : les seigneurs de Bagdad. Acheté sans attendre une seconde la traduction française (qui a l’air de bon aloi par ailleurs), voilà un roman graphique qui mérite d’être lu. Idée originale parfaitement mise en forme, les auteurs ont su faire montre de poésie et de drame, et présentent un émouvant plaidoyer contre la guerre en montrant ses conséquences les plus inattendues.
VO : Suloinen myrkynkeittäjä. Primordial représentant de la littérature populaire scandinave, Paasilinna nous offre ici un bon petit roman sans prétentions. Drôlissime et tendre, le lecteur passe un excellent moment sur un sujet certes révoltant, mais traité avec la légèreté qui sied à l’esprit nordique. Quelques blousons noirs, une vieille femme trop gentille, mélangez le tout, et voilà !
VO : Crimson Mist. Puisque je me faisais une petite cure de Batman, autant lire ce qui semble le plus original concernant l’homme chauve-souris. Impressions mitigées au final. Certes j’ai passé un bon moment, mais j’ai vécu bien plus intéressant avec ce héros. Wayne en tant que vampire, l’exploitation du thème est correcte. Encore faut-il commencer par le début…
VO : The Prince of Deadly Weapons. Très sympathique à nouveau de la part de Teran, bien que moins renversant que Satan dans le désert. C’est l’histoire d’une personne seule, très seule dans une ville pas très nette, qui doit absolument trouver ce qui se trame. Sur fond de mystère total, on peut trouver ça parfois longuet.
Trouvé dans une librairie dédiée aux œuvres anglo-saxonnes (un magasin d’expatriés en somme), ça avait l’air pas mal. Et compréhensible surtout. Après lecture, on se dit même qu’on vient de prendre une belle claque scénaristique. Idée intelligente, références historiques plaisantes, et dernier chapitre formidable. Et dire que ce n’est que le premier tome.
VO : Life on Another Planet. Je ne pouvais passer à côté de ce roman graphique d’un illustre auteur et au titre alléchant. Sujet ambitieux, le contact avec une espèce extra-terrestre, ça promettait grandement. Malheureusement la déception fut immense, peut-être est-ce parce que l’ouvrage a très mal vieilli. A éviter pour le lecteur passionné de SF.
VO : The Golden Dawn. Continuant sur une belle « bat-lancée », entendez je prends tout ce qui a été publié en français sur le personnage, j’ai été agréablement surpris par cet opus qui fait la part belle au fantastique. Petite romance où le chevalier noir montre quelques faiblesses supplémentaires, ça se lit vite et bien, en attendant (encore) les suites.
VO : God Is A Bullet. Premier roman de Teran, premier lu par Le Tigre. Et bah le 4ème de couv’ ne ment pas, cette histoire marque. Et pas qu’en bien tellement c’est sombre et crédible. Histoire d’un père qui va traverser l’underground pour récupérer sa fille, satan se trouve réellement dans le désert du Nouveau-Mexique. Mais qui est Boston Teran pour écrire ça ?
Un titre alléchant, un quatrième de couverture qui propose une idée révolutionnaire (éliminer le salarié pour postuler à son poste fraîchement vacant), on ne peut rester indifférent à l’objet-roman. Après lecture (puisqu’achat), bilan très mitigé. L’histoire est certes amusante, il n’empêche qu’en 220 petites pages ça semble un poil bâclé et léger.