John Updike - BrésilVO : Brazil. John Updike est une valeur plus que sûre, encore un roman qui en est la preuve. L’histoire, qui parle d’une somptueuse histoire d’amour, est sombre au possible. Deux univers en pleine collision, deux êtres amoureux qui vont jusqu’à tout abandonner pour rester ensemble. Peu de longueurs en effet, on se surprend à le finir rapidement, comme pour se débarrasser de cet environnement glauque.

Il était une fois…

Brésil, Rio, fin des années soixante. Sur la plage la riche Isabel se prélasse avec une amie. Elle croise Tristao (avec un accent bizarre sur le « a »), jeune noir issu des favelas, et là c’est le coup de foudre. Bien sûr les parents de la jeune fille n’acceptent pas cette liaison, aussi les tourtereaux seront obligés de s’enfuir, toujours plus loin à cause du père d’Isabel qui met tout en œuvre pour récupérer cette dernière.

Critique de Brésil

Updike est un grand écrivain, Le Tigre ne le répètera jamais assez. Moins de 350 pages, c’est à la fois passé très vite et plutôt dense. John U., dont les œuvres sont intellectuellement assez poussées, a su faire quelque chose de fantastique et simple.

Deux mondes opposés au Brésil se rencontrent, s’aiment, et vont vivre une aventure magique. Mais aussi assez dure, plus d’une fois le lecteur pourra se sentir passablement mal à l’aise. Le Brésil, fort contrasté, est un endroit où tout espoir semble vain. Le nouvel enfer version Updike.

Le Tigre a gardé peu de souvenirs du style, c’est forcément bon signe. Le genre d’objet qui peut se lire d’une traite, sans forcer. La fin, sublime, est d’une tristesse sans nom (à part celui des héros) et change du happy end hollywoodien. Digne d’un Updike, en fait.

Au final, à lire quand vous êtes dans une bonne passe, ce n’est pas un texte destiné à remettre quelqu’un à flot (niveau moral). Personnellement, si j’ai eu un peu de mal à poursuivre le roman (vraiment pas joyeux), je n’ai en revanche jamais eu du mal à le reprendre, car ça se lit de source.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Updike présente assez rapidement les deux principaux protagonistes, néanmoins il décrit clairement leur environnement respectif. D’un côté la misère des favelas, de l’autre la scandaleuse opulence des riches familles de Rio. Ces disparités sociales semblent irréconciliables, d’ailleurs il est triste de voir Tristao (oh mince redondance) être au début le plus sceptique quant à l’avenir de sa relation avec Isabel. Il n’y croit pas, et c’est par les instances répétées de sa nouvelle petite amie que l’histoire d’amour va se poursuivre.

Updike, dans le style « romance », a sorti l’artillerie lourde. La grosse bertha même. L’amour est puissant dans ce bouquin, et fait faire à Isabel et Tristao des choses pas très catholiques (grave pour des Brésiliens). C’est par amour qu’Isabel abandonne sa famille (jusque là ça va), par amour que Tristao farfouille des mois durant dans un trou pour trouver de l’or (un peu plus sombre), par amour que sa femme pense à se prostituer ou même provoque un petit threesome (plus dérangeant déjà). Deux êtres qui s’aiment sans concessions, à l’encontre du monde environnant, on n’est pas tout à fait loin de la naïveté.

Hélas de naïveté il n’est point quand Updike souligne la dureté de l’environnement de nos deux jeunes héros. Au début, c’est la famille qui s’oppose à leur relation, et ce de manière relativement violente. Ensuite, la fuite des deux amoureux, avec de multiples étapes où les rencontres faites seront loin d’être heureuses. La cupidité des hommes, éduqués ou non, semble sans limites. Enfin (et après la mémoire du Tigre rendra l’âme), les plateaux du Mato Grosso, où Tristao accompagné de sa femme cherche la fortune (l’or) dans sa mini concession de terrain, sont loin d’être accueillants. Endroit terrible de violence, la ruée vers l’or en mode grosse curée.

…à rapprocher de :

– D’Updike, il est un autre roman (noir également) plus récent qui mérite d’être lu : Terroriste.

– Dans la catégorie SF, il y a Brazyl de Ian McDonald. I’m loving it ! (désolé).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman via Amazon ici.

Didier van Cauwelaert - L'évangile de JimmyRien à voir avec La légende de Jimmy, de Diane Tell, je préfère annoncer. Néanmoins ce livre est la pièce maîtresse de Van Cauwelaert qu’il convient de lire. Humour, considérations religieuses assez justes, c’est une belle histoire qui ne laissera pas indifférent. Lu hélas avant les années 2010, difficile parfois de tenir mon cahier des charges de 500 mots par post…

Il était une fois…

Janvier 2001. Clinton cède la place à Bush Jr, et lui glisse à l’oreille « ah au fait, on a cloné le Christ ». Ce clone, c’est Jimmy, 32 ans, modeste réparateur de piscines dans le Connecticut. Quelques « men in black » s’amènent chez cet anti-héros qui va voir sa vie irrémédiablement basculer. Jimmy suivra-t-il l’exemple de son illustre prédécesseur ?

Critique de L’évangile de Jimmy

Lu il y a longtemps déjà, Le Tigre ne se rappelle pas vraiment du fin mot de l’histoire, seulement d’avoir passé un moment plus que correct. Si bien qu’avec Rencontre sous X, c’est un des rares romans de l’auteur dont je me souviens de pas mal de scènes.

L’histoire est plaisante, juste ce qu’il faut d’original sans tomber vers le bizarre ou l’absurde. Un homme découvre qu’il a été conçu d’après un fragment d’ADN récupéré du Christ, l’information va s’ébruiter et cet héros tout ce qu’il y a de commun sera naturellement au centre d’un réjouissant foutoir. Non sans humour l’auteur présente les différents acteurs d’un tel bazar de manière perspicace, que ce soient les politiques, média ou personnalités religieuses.

L’auteur, que Le Tigre associe sans doute à tort à Éric-Emmanuel Schmitt, voire Nothomb, a produit ici quelque chose de dense et assez élevé en tout point : plus de 400 pages, peu de longueurs, un final bien « léché » et un chapitrage qui fait qu’on peut se surprendre à dévorer ce roman. Valeur sûre donc, pour découvrir le talent de l’auteur notamment.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le monde contemporain qui ne respecte plus grand chose. Van Cauwelaert met donc en scène tous les acteurs intéressés par cette fabuleuse découverte : scientifiques, religieux, médias, hommes politiques, tout ce joli monde participe à une foire d’empoigne qui n’est pas sans rappeler les heures les plus glorieuses des querelles de très grosses chapelles. Le lecteur, en plus de rire, sera effaré en réalisant que ça pourrait se passer de la sorte. On est pas loin de l’anticipation sociale, c’est bien Didier !

Le sacrifice. Petit sujet qu’on ne peut laisser passer, puisqu’il semble que ce Jimmy retient de son « parent », c’est l’esprit de d’abnégation. Abnégation totale, à savoir s’effacer par amour devant les autres. Effacer, au sens premier du terme tant qu’à faire. Je n’en dirai pas plus parce que d’une part je ne vous gâcherai pas le plaisir de le découvrir soi même, d’autre part je ne me souviens pas du tout comment le héros met en œuvre ce principe. Au moins c’est honnête.

Attention petit SPOIL ! Le dernier thème, assez surprenant, est le pouvoir de suggestion. Déjà l’auteur s’amuse à poindre les incohérences scientifiques et théologiques qui contribuent à rendre le lecteur sceptique. Jusqu’à la fin, où le principe de l’auto-suggestion est magnifiquement abordé : Jimmy apprendra sur la fin qu’il n’est pas tout à fait celui qu’on croit, ce qui rend ses actes précédents d’autant plus honorables. Inné c/ acquis, un point supplémentaire pour la dernière option.

…à rapprocher de :

– De Cauwelaert, je crois (enfin c’est mon impression) avoir tout lu. Notamment Rencontre sous X (bon), Hors de moi (surprenant mais décevant), Un objet en souffrance (fort correct), etc.

– Le clonage du messie, c’est exactement Punk Rock Jesus, de Sean Murphy.

– Sur le déracinement et nombreux rebondissements, par le même auteur, il y a Hors de moi.

– L’aspect religieux, d’un autre auteur français bankable, Eric-Emmanuel Schmitt et sa Secte des égoïstes reste un bonne base. Ou alors L’évangile selon Pilate, qui est touchant.

– C’est tout pour l’instant. A part Rencontre sous X, qui est sympa.

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Loeb & Sale - Batman : Amère victoireVO : Dark Victory. Gros pavé de la fin des années 90, fondateur d’un nouveau Batman adapté au monde contemporain, Amère Victoire (je préfère le titre original, Dark victory) est un condensé de suspense et de ténèbres. 400 pages, il fallait le faire. Comme Le Tigre ne prend pas la peine de lire ce genre de sagas dans l’ordre, j’en profite évidemment moins.

Il était une fois…

Quelques mois après « l’affaire Holiday », Gotham City est toujours en prise aux familles mafieuses et doux dinges de l’asile d’Arkham. Malgré l’arestation du petit Falcone, les meurtres façon Holiday continuent. Pour nettoyer sa chère ville, Batman aura besoin de toute l’aide possible, voire de prendre sous son aile un nouveau partenaire à mesure que les super vilains font leur apparition…

Critique de Batman : Amère victoire

Publiée en 1999, après les surenchères catastrophiques cinématographiques de l’époque, cette œuvre d’une taille impressionnante a été lue en l’espace de moins de deux heures. Violent, sombre, sans trace d’humour, l’ennui dans cet ouvrage ne pointe pas trop souvent le bout de son nez, et jamais pour longtemps. Le titre original renvoie au chevalier noir, alors que l’adjectif « amère » ne rend pas compte de l’association d’idées.

Le scénario est maîtrisé de bout en bout, avec ce qu’il convient de suspense et de peur. Plusieurs intrigues évoluant autour du Bat, on n’est jamais longtemps perdu dans le déroulement des intrigues. Les luttes entre familles mafieuses et au sein même d’une de ses familles sont captivantes et possèdent leur lot de tragédie. En outre, le mystérieux tueur qui laisse des indices bien énigmatiques ne laisse pas indifférent, surtout sa manière assez dure de procéder.

Le dessin est un peu plus « oldschool », à l’image des premiers méchants que doit affronter l’homme chauve-souris. Cases régulières, assez grandes et à dominance gris / bleu sombre, paroles succinctes (rien à voir avec un Blake & Mortimer), tout est fait pour donner une impression de pragmatisme et de crédibilité, malgré des jeux d’ombre parfois plus artistiques que réalistes.

En conclusion, à lire absolument pour à la fois l’amateur de Batman mais également de polar, dans la mesure où les premiers chapitres, sans compter le dessin sobre, correspondent à ce qu’on peut faire de mieux dans le polar illustré. Avec ce qu’il suffit de péripéties et de retournement final, ce dernier étant finement amené. Et puis couverture solide et consistante, peu de risque d’avoir un torchon dans une dizaine d’années.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La disparition de la criminalité « ordinaire » au profit des super vilains. Le nombre de pages, étonnamment élevé pour un comics de cette qualité, retrace de manière plus que crédible l’ascension des « méchants fantastiques » au détriment des grandes familles mafieuses qui possédaient Gotham City. Un peu comme dans The Dark Knight, second opus de la saga de Nolan. Grundy, Double-face, Joker, Catwoman,… toute la belle famille se construit autour d’un Batman plus débordé que jamais. Pour contrebalancer cette configuration, un Robin qui ressemble à un gamin de douze ans. Super.

Les (très) longues sagas pas forcément annoncées dans le monde de l’édition française. Le Tigre voit quelques comics de ce super-héros (j’ai choisi celui-ci parce que je ne saurai jamais tous le suivre) en rayon, sans logique de présentation par rapport à la chronologie des histoires. Certes le 4ème de couv’ rappelle parfois l’ouvrage d’avant, mais rien de plus. Du coup, comme la philosophie, le quidam qui veut se mettre à explorer l’univers d’un super-héros devrait sûrement s’arranger les services d’un guide : savoir où commencer, dans quel ordre, quoi ne pas lire,… Ça peut être un vendeur, un ami, un-ternète (jeu de mot nul). Mais certainement pas QLTL.

…à rapprocher de :

– Avant le présent titre, il faut mieux d’abord se taper Batman : Un long Halloween. A bon entendeur,… Parallèlement, les deux auteurs ont produit Des Ombres dans la Nuit, pas mal du tout (surtout grâce à Catwoman).

– De Loeb, il y a le fort correct Silence également.

– Le retournement de la fin, [Attention petit spoiler] me fait, je ne sais pourquoi, penser à Usual Suspect, le film.

– Tim Sale, avec Darwyn Cooke (au scénar’), a aussi dessiné Superman Kryptonite, qui se laisse largement lire.

Enfin, si vous n’avez pas de « librairie à BD » à proximité, vous pouvez trouver ce comics en ligne ici.

John Burnside - La maison muetteVO : The Dumb House. Mais qu’est-ce qui me prend de lire des trucs pareils ? Au moins le quatrième de couverture est complet, on a une idée de ce qu’on achète. Pour l’esprit néo-dérangé du Tigre ce roman fut superbe. Superbe car froid, méticuleux et horrible, malgré ça la curiosité invite à continuer puis finir la chose. A ne pas mettre entre toutes les mains donc.

Il était une fois…

Un homme, déjà pas très sain mentalement, décide de mener une expérience peu ordinaire : étant père de jumeaux (la mère décédant dans des circonstances peu racontables), le « héros » décide d’élever ses enfants coupés du monde, sans leur parler ni les mettre en contact avec le langage. Tout ça afin de savoir quel « langage originaire » pourra bien sortir.

Critique de La maison muette

Ce livre est magique. En effet le glauque, mâtiné de « scientisme » (au demeurant instructif), se lie paradoxalement avec le ton suave, parfois poétique de l’auteur. Beaucoup peuvent ne pas aimer du tout, être trop mal à l’aise, je préfère prévenir. Il n’empêche que Le Tigre, habitué à du très « hard », a été servi : j’ai même trouvé des passages franchement dérangeants, c’est dire !

Le scénario est le suivant : un homme, plutôt un psychopathe doublé d’un pseudo-génie, fait une fixation sur sa mère et une des histoires qu’elle lui racontait : quelle serait la langue commune à deux jumeaux élevés sans la parole ? Vaste programme. Et là on salue l’auteur, qui ne présente ladite expérience que dans les dernières cinquante pages, d’avoir bien amené l’idée concrète de cette folie.

Le pire est que d’une part on aimerait avoir la réponse à cette question, et d’autre part progressivement John Burnside distille dans nos esprits l’acceptation même de cette idée monstrueuse. Bref, à ne pas offrir à une femme (ou alors une bonne copine), plutôt à un pote (si possible scientifique) qui n’a pas de frère / sœur jumeau(elle).

L’auteur, en introduisant l’expérience de manière hélas naturelle, jouit d’un style qui fait souvent mouche. Chapitres assez longs parfois, ne vous trompez pas sur le nombre de pages : c’est écrit assez petit en plus d’être dense (entendez concis et sans fioritures).

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Science c/ morale, 1-0. La démarche du narrateur est selon lui ce qu’il y a de plus noble. Avide de connaissance, il ira jusqu’à commettre l’inacceptable. La justification du crime est évidente pour le protagoniste, et les actes qu’il commettra par la suite aussi. Par exemple, parce qu’il est à l’écart, voire « moqué » des jumeaux, le narrateur pense ôter les cordes vocales d’un d’eux. Approche scientifique certes, mais quelle horreur ! Se pose ainsi la question de l’éthique scientifique : si un homme parvient à mettre en place une telle folie, qu’en est-il des groupes bien plus organisés ?

Ce qui rend le « héros » encore plus détestable est sa condition de père des « sujets d’expérimentation ». On sent que cet individu est un peu jeté, avant même le commencement de sa petite entreprise des éléments concordants annoncent qu’il ne fait pas grand cas de la valeur de la vie et dès qu’il en aura l’opportunité ça va être sanglant. Son attirance morbide peut faire de temps en temps sourire (surtout quand on voit comment il passe au travers des mailles du filet), mais dès qu’il initie son projet, avec ses propres gamins, là le lecteur peut être interdit. Perversion du père, c’est un peu la folie d’un dictateur considéré comme le (petit) père de son peuple qui accepte les expériences sociales les plus délirantes.

Thème SPOILER, attention. Alors, vous voulez savoir quel est le langage que vont utiliser nos jumeaux ? Et ben c’est à la fois décevant mais logique. L’erreur du narrateur est de leur faire écouter de la musique classique : le résultat est que leurs discussions ne semblent être qu’un flot continue de chants mélodieux. Sûrement un langage complexe, mais impossible d’en déceler le sens. Un des enfants sera ensuite « empêché » de chanter, et le désespoir aura raison d’eux (à moins que ce ne soit la maladie). Le langage universel ne semble donc pas exister, l’environnement serait l’unique paramètre à prendre en compte.

…à rapprocher de :

– Un roman d’une telle richesse au niveau du vocabulaire, avec des mots soigneusement choisis, Le Tigre a rencontré Le seigneur des porcheries, d’Egolf.

– Auteur français, titre proche, histoire légèrement dérangeante également (mais tellement belle), c’est La maison de Jaillet.

– Des expérimentations plus que douteuses, jusqu’au crime contre l’humanité, je pense à Regrets d’hiver, de Romain Slocombe.

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Joey Goebel - Torturez l'artiste !VO : Torture the Artist. Empilez les difficultés sur le dos d’un créateur, et celui-ci épanouira son art (à défaut d’être heureux). Rien à dire, percutant et un peu « borderline » sur le principe développé par le scénario, ça fait du bien de lire de l’inattendu. Idée géniale, style imparfait parfois, le lecteur n’en voudra pas à l’auteur. Surtout en moins de 400 pages.

Il était une fois…

Face à la pauvreté de la création artistique américaine, une bande de doux dingues décide de créer Nouvelle Renaissance, grande école censée former des enfants artistes qui vont déchirer. Vincent fera partie de cette école, et « aidé » par Harlan, son manager et « catalyseur » de sentiments, il souffrira plus que de raison pour créer. Car l’art, selon l’école, se développerait à la mesure des déboires de l’individu.

Critique de Torturez l’artiste !

Conseillé par une amie, Le Tigre se pointe à la librairie, ô bonheur le livre est disponible. Le lendemain, tout a été lu. Cette œuvre m’a agréablement surpris par son côté atypique et légèrement subversif même. Politiquement incorrect, chapitres aisés à suivre, vocabulaire « libéré » (comprendre, non châtié), tout est fait pour passer un moment agréable, bien que les thèmes abordés soient exigeants.

Le concept du livre est tout bonnement génial : le « manager », plutôt grand frère de l’artiste en herbe s’évertue à pourrir la vie de son élève afin que celui-ci devienne un grand auteur. En plus de cet alléchant scénario, l’état des lieux de la culture occidentale est expliqué, certes de manière excessive mais néanmoins juste. On espère que l’auteur, à terme, se plante dans les grandes largeurs d’ailleurs.

Certains pourraient reprocher au roman un style politiquement outrageux, à la limite du vulgaire. Cela n’a point dérangé Le Tigre, disons moins que les quelques redondances vers le milieu de l’œuvre sur les nombreuses manières de faire souffrir l’artiste. Le lecteur comprend, nul besoin d’asséner encore plus de péripéties. La fin, tragique, est parvenue à m’arracher une petite larme.

Ouvrage intéressant pour tout artiste qui sommeille en nous, il n’en reste pas moins que Torturez l’artiste ! s’adresse à une population jeune et large d’esprit.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La création artistique à la pelle, de qualité quasiment nulle. Le livre nous parle d’auteurs, d’œuvres qui auraient pu exister (si ce n’est pas en cours) et qui sont d’une médiocrité affligeante. Plus que ça, la description de l’indigence culturelle de l’Occident est saisissante. Séries, films, scénarios, livres, tout est produit selon un modus operandi éprouvé, notamment par des études marketing, et destiné avant tout à vendre rapidement et sans difficulté. Flatter les bas instincts de la plèbe sans susciter chez celle-ci de trop délicates pensées, on a jamais été aussi proche de la réalité hélas.

La manipulation cérébrale. Et oui, manipulations de tous (et par une poignée) dans ce roman : intoxication des masses par un art léger et addictif (ça s’applique au monde artistique cet adjectif ?), comme précédemment évoqué ; mais avant tout manipulations perverses de l’artiste dans l’académie qui recherche le meilleur. Pour cela le tuteur de Vincent usera de tous les artifices en vue de mettre son élève en condition de produire : lui faire trouver une petite amie, faire en sorte qu’elle le quitte (salement de surcroît), s’arranger pour faire du héros un paria, tout est bon à prendre du moment que le principal intéressé ne perçoit pas la patte de son « bienfaiteur ».

L’art comme découlant de la souffrance. Le sujet, le titre même du roman invite à un certain pessimisme : c’est en créant d’intenses déchirements psychologiques (physiques parfois) chez l’artiste en herbe que ce dernier produira quelque chose de valable. Le bonheur, ça rendrait mièvre, seuls quelques évènements horribles seraient en mesure de susciter chez Vincent soit un sursaut de création (comme pour tenter de survivre), soit des œuvres d’une intensité inégalée. Tout ça proportionnellement à son désespoir. Le Tigre pense tout de suite (peut-être suis-je le seul) au tuteur de Vincent comme l’aboutissement de la figure paternelle, à savoir Dieu, être omnipotent ferme mais juste qui veut façonner son rejeton à son image (du moins celle qu’il aurait aimé montrer).

Bref, heureusement que l’humour dans ce roman est bien présent, sinon le dégoût se serait rapidement mêlé à la tristesse.

…à rapprocher de :

Pas évident de constituer un rapprochement avec ce roman tellement c’est à part. Essayons tout de même :

– Tout ce que vous avez voulu savoir sur l’art (sans jamais oser le demander), apprenons ensemble avec Sarah Thornton, et son très instructif Sept jours dans le monde de l’art.

– Mettre la misère à un jeune pour qu’il excelle dans son domaine, ça me rappelle un peu le colonel Graff vis-à-vis d’Enders dans la superbe saga de SF d’Orson Scott Card.

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John Updike - Un mois de dimanchesVO : A Month of Sundays. Premier contact du Tigre avec Updike, qui est sans conteste un auteur contemporain majeur outre atlantique. Roman pas très récent, on le sent au style, toutefois ce fut une excellente surprise : un cureton se livre et explique comment il a pu succomber aux plaisirs de la chair. Updike parvient à créer un texte intelligent et non sans humour.

Il était une fois…

Le révérend Thomas Marshfield est dans une situation plus que délicate : ayant à plusieurs reprises pêché avec quelques unes de ses paroissiennes, Thomas n’a pas d’autres choix qu’être mis au repos forcé dans une maison pour ecclésiastiques « borderline ». Obligé, chaque jour, d’écrire un journal, ce sont ces 31 chapitres que le lecteur découvrira.

Critique d’Un mois de dimanches

Pas mal du tout : fin et amusant, très bien écrit et rapide à lire. Moins de 8 pages par chapitre, le rythme est plaisant même si quelques considérations théologiques peuvent paraître parfois ennuyeuses. Mais rien qui ne puisse gâcher la lecture du journal.

Un curé, écarté de la vie active, couche sur papier ses pensées l’ayant amené à sa sa « mise à pied » temporaire. Au-delà de sa condition d’ecclésiastique, le protagoniste livre certaines considérations sur ses proches et également l’utilité de sa « cure de désintox » qu’on lui a imposée. 31 chapitres, un par jour, journal intime des plus original et sympathique.

Là où j’étais surpris, c’est le ton souvent léger et plein d’humour « pince-sans-rire » du roman qui traite un sujet que certains considéreraient comme grave. On m’avait conseillé Updike à lire, je prends un roman au hasard (un des plus anciens au demeurant), et aucune de déception, bien au contraire. A signaler que d’autres ouvrages de l’écrivain sont meilleurs, même si je suis encore loin d’avoir découvert la « panoplie » de John.

Le Tigre, lorsque grandement satisfait d’un livre, ne lit pas forcément les dernières pages quand tout a été révélé. De grâce ne le faites pas, la fin offre une ultime surprise des plus coquine, quelque chose qui clôt en beauté ce livre qui mérite grandement d’être lu.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’autocritique. Les dimanches, ce sont tous ces jours du mois où le héros écrira, tout en se reposant (golf & co). Cette œuvre, disons du moins les raisons qui ont poussé le prêtre à écrire ces chapitres, ont une portée avant tout thérapeutique. L’écriture comme remède, voilà un sujet largement traité non ? Et c’est tout à fait réjouissant de lire ce que pense Thomas de sa mise à pied, comment il a pu en arriver là. Le personnage se juge sans complaisance, voire crument et présente les paramètres qui l’ont entraîné à une telle déchéance. Updike n’y va pas par quatre chemins et montre tout, y compris la luxure…

La faiblesse de la chair, en effet. Les raisons de l’éloignement de l’homme d’église sont simples : celui-ci a forniqué à tout-va avec certaines ouailles, le démon de midi du quarantenaire ayant fait des ravages. Le lecteur va être mis en relation avec un homme entre deux âges, en position de supériorité morale et profitant allègrement de celle-ci. Il n’y a pas que du bon dans la sexualité débridée du personnage bien sûr, l’exercice étant parfois périlleux et menant à une double-vie qu’il sera difficile de justifier. Et forniquer pour avoir juste son quart d’heure de jouissance (Le Tigre pompe Warhol), à quoi bon au final ?

Le conformisme. Ballotté entre ses obligations religieuses de célibat et sa libido renversante, Thomas Marshfield a temporairement choisi la luxure. Non seulement il se livre à son autocritique, mais en plus le protagoniste principal analyse ses proches, et le constant n’est décidément pas tendre : enfermés dans les carcans de leur statut social, ses collaborateurs, maîtresses, femmes, parents,…lui paraissent lâches et dépourvus de toute spontanéité. La liberté d’agir, au risque d’être mis à l’écart comme cela arrive au héros, fait face à la convenance, ennuyeuse mais tranquille. Quelle voie choisir alors ?

…à rapprocher de :

– Un roman sous la forme d’un journal intime, je pense « de go » à Diary, de Chuck Palahniuk.

– La religion dans tous ses états, avec de délicats interdits qui seront, pour le plus grand plaisir du lecteur, transgressés, Le Tigre vous renvoie vers La lamentation du prépuce, de Shalom Auslander.

– Roman assez dur d’Updike, plus récent et très différent, lisons ensemble Brésil. Juste pour apprécier l’étendue de son talent.

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Didier van Cauwelaert - Hors de moiAllez, il est temps de résumer du bon auteur français qui jadis a vendu au Tigre beaucoup de rêve. Hors de moi, c’est un peu la base de Van Cauwelaert : un scénario peu commun, une facilité de lecture appréciable, et quelques déceptions. En effet des longueurs là où il n’en faudrait pas, et un épilogue qu’on aurait souhaité mieux amené.

Il était une fois…

Un homme reprend connaissance dans un hôpital. Sa femme ne se pointe toujours pas pour lui rendre visite, aussi rentre-t-il chez lui. Et là, grosse katastrofe : quelqu’un qui porte son nom habite chez lui, est avec sa femme, a son boulot. Comment prouver qu’on est soi-même, et l’est-on réellement ?

Critique d’Hors de moi

Du bon « fast food reading », « on the beach » style même : rapide et arrachant quelques palpitations (si si), avec une dose de suspense qui fait que ces 200 pages seront très vite lues. Nombre de chapitres et de pages, vocabulaire, protagonistes, tout est fait pour passer un moment plaisant, avec ce qu’il convient de fantastique. Mais pas trop pour effaroucher le lecteur hein.

L’histoire est originale, tellement d’ailleurs qu’il me semble qu’un film a été tiré de ce scénario. Martin Harris existerait en double, et va tout faire pour savoir ce qu’il lui arrive, jusqu’à un retournement finement imaginé.

Tout n’est pas rose bien sûr, on pourrait reprocher à l’écrivain de s’être débarrasser du fin mot de l’histoire comme une vilaine patate chaude. A croire qu’il y avait un cahier des charges (négatives ici) à respecter. N’est hélas pas auteur de science-fiction qui veut, néanmoins en moins de 300 pages il me semble difficile de construire un texte de SF/anticipation sociale suffisamment immersif.

En outre, et pour conclure, ce roman a la tare d’être trop « français », en considérant que cela puisse être un défaut : début qui met du temps à trouver un rythme, manque d’action en général, bref ce n’est pas très « punchy ». Le Tigre ne pinaille pas eu égard la production littéraire de l’auteur.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Délicat de développer des thèmes sans se livrer, sans vergogne, à un spoil que l’internaute ne mérite pas.

Le sujet principal est bien sûr la perte d’identité doublée d’une solide paranoïa. Didier V.C. (ah non ça va pas comme abréviation) présente un individu dont les bases même de sa vie sont remises en cause. Situation cauchemardesque, qui n’a déjà pas rêvé d’arriver chez soi et voir qu’on est plus reconnu par ses proches ? Dans ce roman ça arrive, bien sûr la configuration initiale, à savoir le réveil depuis une salle d’hôpital, met la puce à l’oreille sur le fait qu’il y a quelque chose qui cloche gravement.

Ensuite (et enfin même, n’ayons pas peur des mots), il faut rapidement parler de la gestion hasardeuse du rythme d’un bouquin. R.A.S. sur le scénario, on reconnaît un bon écrivain à ce genre de créations imaginaires. Sauf que certains « accessoires » nécessaires à un merveilleux roman font défaut : se faire porter sans avoir le temps de se dire que c’est un peu chiant ; être progressivement mis en contact avec le dénouement (voire nous laisser le temps de le découvrir), et pas en une paire de pages. C’est grâce à ce type d’œuvres qu’on peut voir à quel point ces éléments sont primordiaux.

…à rapprocher de :

– Situation ubuesque, perte de repères, on pense à La moustache, d’Emmanuel Carrère.

– Le meilleur de l’auteur, avec plus de « fantastique », c’est bel et bien L’évangile de Jimmy. Pour l’instant. Sinon, Rencontre sous X reste bon, et Un objet en souffrance tient la route.

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