VO : idem. Première publication, en français, de quelques planches de Bode, voici les prémices de la BD underground à l’américaine. Cet essai ne fait pas que livrer des illustrations (dans les deux langues), mais traite aussi de l’auteur et de son œuvre en général. Un peu frustrant question taille, mais Tigre se contente de peu.
De quoi parle Dǎs KämpF, et comment ?
Avant de commencer, Tigre signale qu’il a « participé » à la publication de ce roman via un modeste financement en ligne (de quoi avoir deux exemplaires à offrir). Le fauve a payé plein pot, que cela se sache.
Vaughn Bode (Bodé, son nom d’artiste) n’est pas un illustrateur semblable à d’autres et mérite un paragraphe à lui tout seul : né je ne sais où aux states au début des années 40 ; enfance plutôt difficile (papa a la main lourde) ; engagé tôt dans l’armée (expérience très éprouvante), marié à vingt piges ; premiers dessins dès sa jeunesse ; disparition prématurée, voilà un artiste presque maudit comme Tigre les aime.
L’autre malédiction, c’est le titre. S’il n’y avait pas l’indication de l’auteur et la gueule rigolarde au milieu de la croix de fer de la couverture, je peux vous assurer que jamais ce bouquin n’aurait été ouvert dans les transports en commun. Car entre « Dǎs KämpF » et « Mein Kampf », les différences sont ténues de loin. Avant d’attaquer le fond de l’œuvre astucieusement compilée par l’éditeur, Le Tigre se sent obligé de discourir sur la forme.
Premièrement, cet ouvrage a la particularité d’être bilingue. Mais pas comme vos titres de jeunesse (une page sur deux), car il faut retourner l’objet à l’instar d’une crêpe Suzette pour basculer d’une version à l’autre. Du coup, ne vous laissez pas berner par le nombre de pages (160 toutes mouillées) que vous pouvez d’ors et d’orgeat diviser par deux. Sinon, on sait bien que l’éditeur s’adresse au marché français puisque le code barre est côté couverture angliche.
Deuxièmement, le titre se décompose de seulement 50 planches de l’artiste américain. Et, tout à fait franchement, c’est très peu comme matière même si j’imagine qu’un dessin ne se faisait pas au coin d’une nappe entre l’Irish Coffee et l’addition. Chaque illustration met en scène les mêmes têtes, avec l’unique introduction « la guerre c’est. […] » « ‘war is […] ») Heureusement qu’il y a le gros bonus, à savoir une quinzaine de pages de la part de Jean-Paul Gabilliet. Ce dernier, non content de nous éclairer sur le fameux Bodé (cf. partie suivante), donne des clés d’interprétation qui sonnent juste.
En guise de conclusion précoce, Das KampF (sans les accents bizarres) est une curiosité intellectuelle aussi intense que brève : toute à fait le genre d’illustrations qu’on lit rapidement, et en moins de cinq minutes c’est déjà fini. Bodé n’a pas produit que ces dessins, et attacher d’autres travaux du mecton n’aurait pas été de trop.
Ce que Le Tigre a retenu
C’est quoi la guerre papa ? Les réponses de Vaughn ne sauraient constituer une réponse, celles-ci étant désopilantes par l’humour véhiculé et la justesse de certains propos. Au choix, la guerre, c’est : tirer sans faire exprès sur ton enfoiré de sergent, s’amuser à torpiller les phrares ; couler avec son navire pour ne pas avoir à le rembourser ; se poser en catastrophe et découvrir une piste d’atterrissage ennemie, etc. Air, terre, mer, les protagonistes sont partout.
Quant au trait de Bodé, un pur plaisir. Les « héros » se ressemblent tous : visière bien enfoncée (leurs regards se sont pas visibles), air goguenard, apparence lourde et maladroite, de vrais bras cassés. Une sorte de tendresse et de dérision résignée (la mort, omniprésente, est traitée avec une légèreté feinte) en ressort, comme pour souligner l’absurdité du conflit. Il s’agit de la seconde guerre mondiale ou de la guerre froide, à en juger les uniformes. Tigre tient à signaler qu’il aurait pu trouver ces thèmes seuls, sans l’aide de Gabilliet et de sa postface.
Enfin, ce comics est l’occasion d’évoquer, dans l’essai qui accompagne les planches, pourquoi Dǎs KämpF est considéré comme une des premières BD underground : les historiens semblent encore se foutre sur la gueule au sujet de ces books particuliers publiés au début des sixties, toutefois Bodé s’est rapidement érigé en grand ordonnateur du bon goût underground (après l’immense Crumb). Vaughn aurait pu aller très très loin s’il n’était pas connement décédé étouffé lors d’un jeu auto-érotique, comme un ado américain lambda de nos jours.
…à rapprocher de :
– En plus récent, y’a La guerre de Bastien Vivès (lien). Mouais.
– Dans la catégorie « la guerre, c’est mal » (je plaisante hein), Le Tigre pense trivialement à ce bon vieux Tardi et son C’était la guerre des tranchées.
– Puisque l’essayiste évoque Robert Crumb et Art Spiegelman dans les auteurs U.S. dits « underground », je vous rappelle que ce dernier auteur a produit Maus, que vous ne pouvez pas ne pas connaître.
– Le décès de Bodé, par « pendaison érotique », c’est également le thème de Respire, superbe roman d’apprentissage de Tim Winton. Un autre point commun entre les deux titres ? Le désir de liberté.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette BD en ligne ici. Ou sur le site de l’éditeur (c’est mieux).
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