Ken Bruen - Le martyre des MagdalènesVO : The Magdalen Martyrs. Troisième opus des petites enquêtes de Jack Taylor, nous voici plongé dans l’Irlande catholique où sauver la face est plus important que le bien-être d’un individu. Au-delà de l’histoire l’évolution du personnage principal est toujours si prenante, et les références de Bruen en matière artistique sont un vrai plaisir pour le lecteur curieux.

Il était une fois…

Taylor, populaire et exténué après sa dernière affaire, doit rembourser la dette auprès de Bill, malfrat assez tordu dont il ne peut se dépêtrer. Il doit alors retrouver une femme qui a un lien avec un terrible couvent catholique dont les pratiques n’ont rien à envier avec l’esclavagisme. Notre antihéros est sur le point d’accepter, contre son gré, une mission bien plus infernale qu’il n’aurait pu l’imaginer.

Critique du Martyre des Magdalènes

Suite de Toxic Tremens, voici un roman tout en progrès. Le Tigre, déjà très satisfait de l’opus précédent, ne pensait pas qu’on pouvait faire mieux, en particulier dans la profondeur des personnages. Deux énigmes, quelques liens entre elles, et un dénouement d’une rare finesse qui m’a semblé moins « bâclé » que d’habitude.

Comme toujours, c’est ce qui se passe en dehors de l’intrigue policière qui ravira le lecteur : luttes alcooliques, essai de nouvelles drogues, relations avec l’autorité (une mère qu’il déteste par exemple), politiciens véreux, et même MILF (eh oui !). Si en plus l’intrigue se clôt avec l’émotion d’un grand roman, que demander de plus ?

En outre, ce livre est un puits de références tant en matière littéraire que musicale. Grands auteurs, bons petits morceaux de musique, Ken Bruen se lit avec Youtube à portée de main. Bref, à lire absolument, après les deux romans précédents de l’auteur de préférence.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le titre et l’image de couverture, qui méritent une explication (allez hop c’est parti pour les 30 secondes de culture G du Tigre). Les martyrs de l’oeuvre, ce sont ces jeunes femmes qui ont subi un viol, souvent par l’un de leur proche. Mises enceintes au surplus, ces personnes sont envoyées dans des couvents, notamment celui des Magdalènes. Et pour laver leur péché (voyez l’état d’esprit déjà), elles le feront littéralement en lavant le linge à longueur de journée, à l’image de Marie-Madeleine ayant lavé les pieds du Christ.

A ce titre, la statue de la couverture, enfoncée dans la neige qui n’est pas sans rappeler de la lessive, ajoute à la dureté de l’environnement frissonnant, profondément catholique.

La descente toujours plus en profondeur de John Taylor dans le monde des drogues. Après l’alcool, la cocaïne, les amphétamines font une apparition très remarquée. Notamment lorsque, pour se remettre d’aplomb, l’ancien flic prend des « super poppers ». Son cerveau en légère surchauffe prend le temps, sur le chemin, de rédiger un roman policier, constater que c’est un best-seller, et s’imaginer les retombées de son succès. Trop bien décrit, assisterait-on à un court passage biographique de l’auteur ?

Ce qui pointait déjà dans les romans de Bruen est ici encore mieux rendu : le tableau sociologique du pays du narrateur. Décalage de générations grandissant (les jeunes vont rarement dans les pub), la période dorée pré crise de l’Eire, la culture irlandaise en général, Le Tigre a eu droit au tableau grandiose d’un pays qui va vite, trop vite parfois. Jack Taylor, au milieu de tout ça, se retrouve tantôt comme un « vieux con » à qui tout échappe, tantôt comme révélateur des vices du pays.

…à rapprocher de :

– Les nombreuses péripéties du détective dans les autres romans de Bruen, à ne pas rater. Dans l’ordre :  Delirium Tremens, Toxic Blues, Le Dramaturge, La Main droite du diable (ce dernier traite encore de la religion).

– Sur l’évolution sociologique de l’Irlande, oubliez Tromper la mort de Maryse Rivière. C’est nullissime.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Christiane F. - Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée... VO : Wir Kinder vom Bahnhof Zoo. Classique de la littérature germanique, le sujet est extrêmement dur. Le titre annonce clairement le sujet. L’héroïne principale (excusez le jeu de mot) a un parcours digne des pires romans de Zola : relations difficiles avec sa mère, emménagement dans une sombre cité, nombreuses soirées et drogues, prostitution, rien n’est épargné.

Il était une fois…

Années 70, deux journalistes rencontrent à la sortie d’un tribunal Christiane, qui progressivement leur livre son histoire. Jusqu’à en faire un roman. Vivant dans une cité à Berlin, Christiane bascule progressivement vers le monde de la drogue, puis la prostitution pour payer ses doses. Toujours plus, plus fort, plus glauque, ses proches vont-ils rester impuissants face à la situation de la jeune fille ?

Critique de Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée…

Attention, ça secoue et ça dégouline de loose comme roman. Cité Gropius dans Berlin Ouest, une fille perdue qui traîne avec les mauvaises personnes et met le doigt (et le reste de son corps) dans un terrible engrenage. On est mal à l’aise en lisant ces pages, regardant une adolescente se détruire si facilement et rapidement.

Haschich, alcool, pilules, héro, prostitution,… La descente aux enfers est superbement racontée, et est d’autant pire à suivre que l’histoire est ce qu’il y a de plus vrai. Quant à l’individu sujet du titre, depuis la parution du roman elle n’est pas à la fête. Chaque page Christiane repousse les limites de l’acceptable, tout ça avant ses 14 ans.

Le style est simple, ça se lit plutôt vite malgré une police d’écriture, dans l’édition Folio, assez rebutante. Chapitres pas trop longs, à acheter les yeux fermés. Mais à ne pas offrir à son enfant, disons qu’avant 20 ans nul besoin de se taper une telle lecture anxiogène.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La drogue. Ce livre devait être à l’époque un parfait lexique des drogues présentes en Europe occidentale avec leurs effets. Alcool, cannabis, LSD, crack, héroïne, Christiane les essaie, passe d’une à l’autre jusqu’à l’addiction finale à l’héroïne et ses nombreux substituts. Les états d’excitation ou de manque sont bien sûr décrits avec un réalisme fou, Le Tigre se souvient encore du passage (page 138 si j’ai bonne mémoire) où Christiane subit le syndrome de « cold turkey », signe qu’elle est bel et bien accroc.

Corolaire de cette addiction fort coûteuse, Christiane se livre à la prostitution. Parce qu’un de ses amis paye ses doses de la sorte, l’adolescente l’aide un peu, puis s’y met plus franchement. Argent rapidement gagné, très vite la cadence doit être augmentée. Christiane se pose certes des limites, avec ses amis, mais les repousse et en invente de nouvelles : que des clients Allemands, proscription de certaines pratiques, lieux à ne pas fréquenter,… Descente aux enfers terrifiante et apparemment si aisée sans que ni sa famille ni l’État puissent faire quelque chose.

Enfin, ce roman est également une diatribe bien argumentée contre les cités telles qu’imaginées autour de Berlin. Blocs de béton omettant tout espace vert, gros bâtiments puant la pisse (eh oui, à cause du temps de prendre l’ascenseur où un petit malin aura eu la gentillesse d’appuyer sur tous les boutons), l’inhumanité de ces endroits est renforcée par la narratrice habitant avant à la campagne. L’envie de dépaysement est forte, et peut pour certains passer par les paradis artificiels.

…à rapprocher de :

– La déchéance totale due à la drogue se retrouve dans les romans de Donald Goines, toxicomane, notamment dans L’accroc. Ou alors chez Burroughs avec Junky.

Yakuza moon de Shoko Tendo, Tigre ayant lu la version manga par Wilson et Morikawa. Autre histoire tragique d’une fille d’un boss déchu, avec du sexe sordide et tout plein de drogues.

– Le film tiré du livre, que Le Tigre n’a pas vu, tourné dans les années 80.

– Une suite est prévue : Moi, Christiane F., la vie malgré tout. Apparemment elle est toujours vivante.

L’accroc, de Donald Goines. Glaçant.

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Ken Bruen - Toxic BluesVO : The Killing of the Tinkers. Suite du très bon Delirium Tremens, Le Tigre a noté de multiples progrès dans cet opus : plus de matière, personnages approfondis, guide culturel littéraire et de l’Irlande, on sent la maturité grandissante de l’auteur. Quant à l’intrigue, qui n’est pas vraiment le centre du roman, celle-ci rend le tout encore plus humain. Encore une friandise.

Il était une fois…

Jack Taylor, ancien flic reconverti en détective privé, revient au bercail après quelque temps passé à Londres. Encore plus mal en point qu’auparavant, c’est au bord du gouffre que des gens du voyage (les Tinkers) lui demandent son aide. Logé et nourri en échange de ses recherches, Jack va s’enfoncer dans l’Irlande underground.

Critique de Toxic Blues

Ken Bruen fait de mieux en mieux, réjouissons nous. Comme d’habitude l’enquête n’est pas si importante, ce sont les références culturelles et le style de l’auteur qui font tout. Car c’est un livre à lire d’une seule main, l’autre tenant un stylo pour noter les bouquins dont Taylor nous parle (et pas que des polars). Le titre en Anglais, hélas traduit par des sagouins vers la langue de Molière.

Sur le scénario en lui-même, la mémoire sélective du Tigre lui fait des tours. Ce dont je me souviens est un Taylor plus bas que jamais, avec une évolution intéressante, notamment lorsqu’il en prise avec les femmes. Ses proches, en outre, sont parfois sujets à des crises monumentales. A noter une seconde petite enquête, pas forcément nécessaire à cette œuvre mais nous arrachant plus d’un sourire.

Les chapitres sont un peu plus longs que le précédent titre, le tout permettant plus de profondeur. Pour conclure, indéniable progression chez Bruen qu’il ne faut pas rater.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le Tigre a beaucoup appris sur l’Irlande, loin de ce que pourrait offrir un lonely planet. L’œuvre se passe en pleine effervescence économique. Ces années folles caractérisent la montée du « Tigre celtique ». Enrichissement de partout, nouvelles opportunités, le lecteur est plongé dans une ambiance plus qu’optimiste. On y croit, on est en plein dedans.

Hélas le reste de l’ambiance n’incite pas, autour du héros, à l’optimisme. Outre certains personnages bien atteints, c’est notamment l’incompétence affolante de la police locale qui fait peur dans ce roman. Flics bedonnants, à l’intelligence rare (à prendre au premier sens hein), aussi corrompus que dans le précédent polar de Bruen, on n’est pas loin du cliché de film de série B si ce n’était pas aussi bien décrit.

L’ambiance générale est également plombée par le protagoniste principal qui n’est pas à la fête. Avant c’était tout simplement un alcoolique. De retour de Londres, le Jack est aussi cocaïnomane. Son (ses plutôt) enquête(s) ont lieu entre quelques bières et rails de coke, je vous laisse imaginer l’état du personnage. Intéressant sur les descriptions de l’effet du produit, qui ne donne définitivement pas envie, et fort intelligent de la part de l’auteur puisqu’on est plus que tenté de savoir comment le héros va gérer après cet épisode.

…à rapprocher de :

– Les autres enquêtes de Jack Taylor, bien sûr. Chronologiquement ça donne :  Delirium Tremens, Toxic Blues, Le Martyre des Magdalènes, Le Dramaturge, La Main droite du diable.

– Sur l’évolution sociologique de l’Irlande, vous pouvez ne pas lire Tromper la mort de Maryse Rivière.

– La façon dont les problèmes et solutions vont au-devant de Taylor est très San-Antonio, tout comme les monologues du personnage.

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Robert Charles Wilson - YFL-500VO : idem. Deux courtes nouvelles du très imaginatif auteur de SF Wilson, Rien de grandiose certes, mais on reste en présence de deux petites histoires rondement menées qui ne laisseront pas indifférents. L’artiste dans le futur, l’identité d’un personnage dont le cerveau a été reconstruit, ça se lit vite et c’est plus qu’abordable pour le lecteur hostile à la SF.

Il était une fois…

Deux nouvelles donc : d’une part au XXIIème siècle, Gordon Fisk est un artiste bien particulier qui hélas ne rêve plus. Incapable de concevoir d’autres œuvres, il achète YLF-500, représentation d’un rêve fait par une femme qui l’a auparavant vendu. D’autre part, bien plus loin, sur une planète à l’environnement hostile, Chaïa se prépare à épouser un homme avec qui elle était marié avant son accident. Étant une dryade, son cerveau a été totalement reconstruit depuis et Chaïa a eu une vingtaine d’années pour grandir à nouveau.

Critique de YFL-500

Le Tigre aime bien Wilson, qui par ses nombreux romans le lui rend très bien. Toutefois j’ai été relativement déçu par ces deux nouvelles, qui du fait de leur leur taille font montre d’un manque d’envergure caractérisant l’écrivain (l’envergure hein).

Comme souvent chez cet illustre écrivain, ce n’est pas tant les descriptions des technologies et possibilités du futur qui sont abordées, mais les interactions sociales et états des personnages dans cet univers. A titre d’exemple, dans la première nouvelle, le progrès technologique permet l’existence de « Chomeville », cité où des individus ne sont plus obligés de travailler et vivent d’une modeste rémunération.

Quant à la seconde nouvelle, nettement plus « ésotérique »,on rejoint le style « hard science » avec les difficultés pratiques à évoluer dans un monde où l’ensemble de la faune / flore / air constitue une grave menace pour le corps humain. A cela il faut rajouter des considérations (assez obscures certes) sur l’esprit d’une planète et son comportement en tant qu’être unitaire. Assez proche de la théorie Gaïa, appliqué à un monde extra-terrestre, un peu comme Chiron dans le jeu Alpha Centauri (fin années 90).

Deux nouvelles à ne pas sauter pour le lecteur fan de Robert Charles Wilson, néanmoins lisons d’abord Spin et Axis ou Les Chronolithes pour mesurer les pleines capacités de l’écrivain. C’est sûr que pour moins de 100 balles euh pages (merci aux Inconnus), rien à dire.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La condition de l’Homme dans le futur. D’un côté on a une société qui semble basée sur l’hédonisme, les seuls personnages croisés sont soit des artistes soit de gentils hippie. Un docteur aussi, dont la déontologie laisse d’ailleurs à désirer. De l’autre côté (l’autre nouvelle), on a une société futuriste qui transforme le corps humain pour l’adapter à un autre environnement (ce qui reste plus simple que la terraformation). Société apparemment apaisée, transhumanisme, le futur de Wilson donne envie.

La page blanche de l’artiste. La première nouvelle présente un homme atteint d’un mal bien étrange : il ne rêve pas. Or les rêves sont la matière première de ses œuvres, issues du très intéressant courant le « transreprésentationnisme ». Artiste assez moyen au demeurant, le protagoniste principal ne va pas hésiter à acheter le rêve d’une autre, puis faire en sorte d’en « capturer » d’autres, et ce en cachette. La fin, légère, sonne le rappel du capitalisme et de la redistribution des « royalties ».

Les origines du monde vivant. Deuxième nouvelle, Isis est une planète à l’écosystème bien développé. Et dangereux. Une femme en fait les frais, et dans son agonie « délire » et parle de conscience planétaire, de liaisons intra-cellulaires entre les êtres vivants, et ce dans toutes planètes habitées. L’héroïne, qui commence à subir les mêmes symptômes, sera traitée comme si elle est atteinte d’un banal virus. Assez jeté, à la limite de l’ésotérisme, le lecteur pourra vite lâcher à la fin du roman tant c’est parfois obscur.

…à rapprocher de :

– La nouvelle Le mariage de la dryade semble être dans la lignée de Bios (même auteur), avec les manipulations génétiques effectuées pour survivre sur une planète hostile.

Le vaisseau des Voyageurs, du même auteur, se défend bien au demeurant (moins de SF). Spin, Axis, Vortex, c’est la trilogie à ne pas manquer. Quant à Julian, c’est certes plus long, mais un peu en deçà de ce qu’on peut attendre de Wilson.

La cabane de l’aiguilleur, autre nouvelle assez bien foutue de cet auteur.

– L’artiste en perdition, obligé de faire appel à la matière humaine pour créer, ça rappelle au Tigre Lorsque j’étais une œuvre d’art, d’Éric-Emmanuel Schmitt.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Ken Bruen - Delirium TremensVO : The Guards. Premier tome d’une série toute acidulée, Delirium Tremens pose des bases qui poussent rapidement à acheter les suites. Car il semble qu’il s’agisse avant tout pour Bruen de planter un décor. L’intrigue policière, légère, ne semble que cette modeste décoration d’un manège de personnages et problèmes personnels du héros très marquants.

Il était une fois…

Parce qu’il a frappé un ministre en pleine face (et ne le regrette aucunement), Jack Taylor n’est plus policier. Viré comme un malpropre, Jack a désormais pour bureau un petit bar pas loin de chez lui, en tant que détective privé en herbe. Et ça marche, puisqu’une femme lui demande d’enquêter sur la mort de sa fille. Cette dernière aurait été noyée, selon un mystérieux coup de fil reçu, alors que la police a classé l’affaire. Bien sur c’est bien pire que prévu.

Critique de Delirium Tremens

Le premier des enquêtes de Jack T., ça promet. Réellement. L’histoire est sympathique, avec quelques rebondissements, mais sans plus. Le Tigre a d’ailleurs oublié le fin mot de l’histoire. Ce sont surtout les jolis à cotés de ce petit polar qui valent le coup.

D’abord, meet Jack Tailor, ancien flic Irlandais alcoolique solitaire (beaucoup de pléonasmes peut-être), engagé par une femme assez « veuve et orphelin ». Notre individu est le parfait anti-héros : porté sur la bouteille, ayant du mal avec les femmes, Taylor est néanmoins un détective hors du commun. Jouissant d’un flair qui confine au scandaleux coup de chance, on a affaire à un un empêcheur de tourner en rond.

Le style, enfin, est plus qu’adapté à ce type de polars : humour noir qui fait mouche, réflexions corrosives de Jack proche de l’insolence, ça se déguste. Avec des chapitres plus que courts, Le Tigre rajoute que ça se lit comme une friandise.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’alcoolisme. Le protagoniste Jack Taylor est un alcoolo, avec des épisodes peu glorieux après quelques Guiness de trop. Ce roman fait la part belle à sa lutte contre cette maladie, qui curieusement n’empêche pas Jack de mener à bien sa mission. L’excitation de la première pinte, l’esprit qui part vite seul en vadrouille, l’horrible sensation du lendemain, les descriptions de Ken Bruen rendent le héros terriblement humain et attachant.

Le microcosme d’une bourgade. Ici c’est Galway, petite ville un peu perdue en Irlande. Et une fabuleuse occasion pour l’auteur d’offrir une galerie de portraits plus crédibles les uns que les autres. Flics véreux, piliers de bars, petite punk qui a de l’énergie à revendre, etc. Une visite guidée dans l’Irlande profonde. Et les romans suivants sont encore plus poussés dans ce domaine.

…à rapprocher de :

– Les autres polars de Ken Bruen, par ordre de publication :Toxic Blues, Le Martyre des Magdalènes, Le Dramaturge, La Main droite du diable.

– Le Tigre trouve quelques ressemblances (la bouteille notamment) avec le très nonchalant Canardo, l'(anti) héros de BD (Marée noire étant un de mes préférés).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Valerio Manfredi - La tour de la solitudeVO : La torre della solitudine. Lu il y a quelques années déjà,l’œuvre m’a marquée comme jamais. Suspense, un peu d’horreur, du mystère en veux-tu en-voilà, on est vite pris dans l’engrenage d’un roman pseudo-historique qui envoie de la grandeur. Tout ça donne franchement envie de découvrir les autres opus de l’auteur italien.

Il était une fois…

Desmond Garrett, grand anthropologue contemporain, disparaît dans les déserts d’Afrique. Son fils, Philip, part à sa recherche et devra parcourir plus d’une contrée (de Pompée à Antioche en passant par la ville sainte) pour savoir ce qu’il en est. A côté de tout ça, qu’arrive-t-il à l’héritière des reines noires en plein Atlas, victime du très énigmatique peuple des Blemmis, eux-mêmes obstacles à la Tour de la solitude où un mystérieux signal est attendu ?

Critique de La tour de la solitude

Attention chef d’œuvre ! Certes Le Tigre n’est pas avare de ce qualificatif, mais à l’époque où le jeune carnivore l’a lu, ce fut une sublime révélation. 400 pages qui donnent envie de lire, un peu comme un collégien qui se met à lire du Werber. Sauf qu’ici on est dans un registre bien plus mature.

Le scénario, compliqué, est plus que prenant. Disons qu’en plus de la recherche d’un homme disparu, je me souviens surtout d’une mystérieuse armée plus qu’inquiétante, une femme à la langueur totale qui reste inconsolable, et le Vatican prêt à tout pour recueillir ce qu’à à dire la fameuse Tour.

Ce roman jouit avant tout d’un suspense de haut niveau, avec quelques sueurs froides bien dosées. Polar historique et archéologique où il est parfois difficile de distinguer la fiction de la réalité, on est face à quelque chose qui fait passer Dan Brown pour un écrivaillon de troisième zone. Car Valerio Massimo Manfredi, en évitant écriture trop accessible et accompagnement total du lecteur jusqu’à la dernière ligne, sait apporter sa petite touche de poésie et d’imagination.

Assez court au final, très sec et bien mené, ce roman semble difficile à trouver dans les librairies en cette année 2012, sans doute signe de sa qualité.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le grandiose et la poésie. Rien à voir avec le « pseudo-scientisme » d’un auteur nommé Brown par exemple. Ici Manfredi assume le fantastique, et à partir d’évènements historiques imagine une épopée qui envoie du très lourd. En sus, certaines situations (la reine à la ramasse ou l’armée des ombres en pleine action) donnent quelques frissons lors de la lecture. On approche du sens premier du mot « formidable », avec la notion de crainte sous-jacente bien agréable. La poésie, également, par l’imagination de Manfredi, qu’on aimerait être parfois réalité.

Le mystère. Dans La tour de la solitude, l’auteur ne livre que rarement toutes les réponses, même progressivement. L’écrivain italien distille quelques réponses qui apportent plus de questions encore, et ce même jusqu’à la fin. Parlons-en de la fin : celle-ci paraît incomplète, apportant à la fois déception et frustration. Notamment le fameux signal que la Tour reçoit de l’espace, correspondant à un message que le lecteur ignorera en refermant le livre. « Ô rage, ô désespoir, mais merde de quoi s’agit-il ? ».

…à rapprocher de :

– De Valerio Manfredi, Le Tigre vous conseille surtout sa grandiloquente trilogie Alexandre Le Grand, mais est plus réservé par rapport à La dernière légion (fort décevant).

– Le Vatican sur le pied de guerre, Dan Brown a tout pompé. A laisser de côté comme dernier auteur lorqu’un Manfredi existe. Même si Le Tigre a, par erreur, pu résumer Anges et Démons.

– Dans le même genre de titre, ou avec une tour au centre de l’intrigue, plongeons-nous dans la grandiose saga de La Tour sombre, de King, ou Diamond Dogs, Turquoise Days, d’Alastair Reynolds.

Enfin, si votre librairie est fermée (de toute façon le bouquin n’a pas été réédité), vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Yukio Mishima - Le soleil et l'acierVO : Taiyō to Tetsu. Court essai de Mishima, sombre et beau à la fois. L’auteur est dans un registre très personnel, et livre les raisons de sa transformation en tant qu’ « homme fort ». Et en profite pour annoncer et justifier le très théâtral suicide qu’il commettra dans des circonstances inégalées. Arguments dérangeants, éloignés de notre culture occidentale, Le Tigre a été plus que dépaysé.

De quoi parle Le soleil et l’acier, et comment ?

Pessimiste et poétique, Mishima se livre et explique sa vision de l’Homme, du but vers lequel il doit aspirer. Mais c’est avant tout de lui-même dont l’auteur parle : sa transformation, comment il est passé d’un personnage chétif en un guerrier bien musclé apte à rejoindre les forces d’autodéfense (où il n’est pas passé inaperçu d’ailleurs), et enfin pourquoi quelqu’un peut décider de commettre un seppuku dans le Japon contemporain.

Petit mot au sujet du titre, qui décrit assez bien l’esprit de notre écrivain dans cet essai. Le soleil, c’est l’outil permettant d’avoir une peau bien tannée, quelque chose ressemblant à une carapace à même de protéger l’esprit. Quant à l’acier, c’est tout simplement la fonte soulevée, avec à la clef de majestueux muscles. Musculeux et bronzé, voici le nouveau Mishima.

Toute cette perfection est tournée vers l’illustration de la pensée de l’auteur, aspirant à la perfection autant pour lui qu’à sa patrie. Le style tend aussi à cette perfection, en étant dépouillé, sec (comme les muscles de Yukio) et étonnamment abordable pour le jeune lecteur que fut Le Tigre.

Ce que Le Tigre a retenu

Assez proche d’un autre essai de Yukio (cf. Infra), Le Tigre a gardé une certaine impression de malaise. On est très loin de la littérature et de la pensée contemporaine, assez ouverte et humaniste. Ici rien de tout ça, c’est l’abnégation et le sacrifice qui priment, et le tout au service d’un suicide. Mais ça m’a terriblement donné envie de découvrir l’auteur.

Pourquoi ce suicide ? En partie parce que sa patrie ne prend pas le chemin qu’il souhaitait. Et comme Mishima le dit si bien, c’est au faîte de la jeunesse qu’il faut ouvrir son cœur, comme une pomme qu’on éventrerait pour apprécier son noyau parfait. Magnifique et dérangeant, le lecteur ne sera pas indifférent.

Pour la petite histoire (et ceux que ça intéresse), le seppuku de l’auteur (en 70 je crois bien) s’est fait dans des conditions rocambolesques. Yukio prend en otage le chef des forces d’auto-défense du pays, fait un discours qui ne rencontre pas le succès attendu, se retranche sous les huées et met fin à ses jours.

…à rapprocher de :

Le Japon moderne et l’éthique samouraï, autre essai plus politique et intransigeant. Sur l’auteur à proprement parler, la biographie/autobriographie de Christopher Ross mérite d’être abordée.

– La fin de Mishima est rapidement abordée dans Un été japonais, premier tome de la Crucifixion en jaune de Romain Slocombe.

– Le style, parfois abscons et très personnel, n’est pas sans rappeler les réflexions philosophiques de Maurice G. Dantec.

– Culture du corps, corps sain dans esprit sain, auteur japonais…Le Tigre se remémore Autoportrait de l’auteur en coureur de fond, d’Haruki Murakami. Bien plus abordable et…sain.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez le trouver en ligne ici.

Yukio Mishima - Le Japon moderne et l'éthique samouraïVO : Hagakure Nyūmon. Le Tigre est fin lettré, et n’hésite pas à résumer les ouvrages dont le titre interpelle. Il n’y a pas que le titre, le contenu est assez particulier, le lecteur n’aimera pas forcément. Simple et exigeant, antimoderne et « chevaleresque », c’est tout un pan de la philosophie japonaise qui est à portée de mains. Et surtout c’est rapide à lire.

De quoi parle Le Japon moderne et l’éthique samouraï, et comment ?

Acheté et lu il y a fort longtemps, il arrive au Tigre de lire un chapitre ici et là, histoire de savourer la prose japonaise d’après-guerre. En particulier celle d’un auteur assez polémique, qui a vu le Nobel de littérature lui passer sous le nez.

Ayant lu quelques essais du Japonais, grand auteur sulfureux, celui-ci mérite d’être abordé pour le paradigme (Le Tigre est fan de termes compliqués) qu’il expose. En plein boom économique japonais d’après-guerre sous l’aide et la protection américaine, Mishima descend méthodiquement la nouvelle société japonaise, qui selon lui a renié ce qui faisait sa force.

Le style est clair, précis et sans concessions. 130 pages où rien ne manque, peut-être des passages pas forcément nécessaires mais illustrant les sombres idées de l’auteur. A noter le titre original, qui signifie « la voie du samurai », titre plus parlant à mon sens : car Yukio est comme un samurai de la seconde moitié du XXème siècle, quitte à disparaître volontairement quand il voit que ça ne tourne pas à son avantage.

Intéressant et obligatoire pour tout curieux de la civilisation japonaise, aucun livre ne peut égaler le contenu certes polémique de cet essai. Pour mieux comprendre les dires de l’auteur nippon, Le Tigre vous recommande de lire préalablement le bushido (cf. infra). Et de prendre du recul en général.

Ce que Le Tigre a retenu

La force (rien à voir avec Star Wars) du pays serait l’éthique samouraï, dont le peuple japonais est en train de se dépourvoir. Corruption des esprits, des mœurs en général, selon Mishima tout partirait à vau-l’eau dans son glorieux pays. L’occidentalisation d’un pays longtemps occupé par les Etats-Unis qui ont su le pacifier autour de son empereur, la constitution économique de la seconde puissance mondiale, Mishima balaie d’un revers de main ces avancées en exprimant son abhorration (ce mot existe ?) de ce nouvel ordre local.

Le Tigre se souvient par exemple d’un Mishima qui écrit tout le mal qu’il pense de l’éducation à l’américaine, où l’enfant a voix au chapitre et peut exprimer ce qu’il pense dans certains domaines. Alors qu’au Japon le gamin, ou l’élève ne devrait avoir nullement l’occasion de formuler ses impressions sur la façon dont il est éduqué. Ayant étudié en Asie, je confirme l’étonnement d’un étudiant local lorsque le professeur faisait passer une feuille d’évaluation sur le contenu et la forme de son cours. « What the f*** am I supposed to write ? », me demandait-on alors.

Néanmoins des pistes sont intéressantes sur le monde des affaires au Japon, qui parfois s’inspire de l’éthique tant vantée par Mishima. Le salarié qui reste toute sa vie dans la même entreprise n’est-il pas un samouraï moderne au service de son seigneur ?

Au final, j’ai gardé l’impression d’un essai profondément réactionnaire écrit par un écrivain nationaliste glissant lentement, mais surement, vers la folie.

…à rapprocher de :

Le soleil et l’acier, autre essai lu de Mishima, qui est introspectif mais on retrouve ses idées. Sur l’auteur à proprement parler, la biographie/autobriographie de Christopher Ross mérite d’être abordée.

– Le bushido, code des samouraïs. Recueil de phrases intéressantes qui fournissent un ensemble cohérent (que Le Tigre n’oserait adopter).

Ghost dog, film américain avec le très éclectique Forest Whitaker, qui parvient à peu près à illustrer l’esprit d’un samouraï.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez le trouver en ligne ici.

Sofi Oksanen - PurgeVO : Puhdistus. Oksanen, écrivain finlandaise ayant d’évidentes souches estoniennes, livre un ouvrage assez poignant sur l’histoire de l’Estonie des années 40 jusqu’à la chute de l’URSS. Roman âpre et dur, Le Tigre a eu le temps de trouver le temps long, même si l’ensemble est de fort bonne facture. Ne vous attendez ni à de l’humour ni à de la fantaisie.

Il était une fois…

Fin année 1992, Estonie. Une jeune femme, Zara, échappant à ses macs la prostituant en Allemagne, échoue dans une ferme tenue par la vieille Aliide. Cette dernière est plus que méfiante eu égard aux bouleversements géopolitiques en cours dus au départ des Russes. Pourtant la jeune prostituée va se faire accepter, progressivement le lecteur découvrira le lien très spécial unissant les deux femmes, sur fond de résistance estonienne et de trahisons en tout genre.

Critique de Purge

429 pages, ça peut sembler court et pourtant l’immersion est parfaite. Se concentrer sur un petit pays d’Europe et suivre quelques personnages sur une cinquantaine années, peu d’ouvrages peuvent se targuer de faire de même. Le titre laisse songeur. On pense tout de suite aux purges que le père Staline affectionnait particulièrement, mais aussi au fait de purger son esprit de tout ce qui peut ronger les protagonistes.

L’histoire est loin d’être rose. Une vieille femme craintive et seule, une jeune fuyant l’esclavage moderne. Tour à tour victime ou bourreaux, le lecteur suivra ces deux personnages, surtout Aliide, à des moments particuliers de leur existence. Et l’histoire de l’Estonie avec.

La narration est loin d’être chronologique, et le lecteur étourdi qui oubliera les dates indiquées au début de chaque chapitre ne passera pas un bon moment. Le Tigre a cru parfois sauter du coq à l’âne, impression fugace qu’il manque quelques chapitres au roman. L’histoire s’accélère dans les cent dernières pages, rendant le chapitrage un peu plus court, voire plus digeste.

Car le style, hélas, est loin d’être parfait. A moins que ça ne soit la traduction, où l’estonien et le Russe se mélangent. Sophie (il m’arrive de franciser les noms) Oksanen expose un sujet qui semble lui tenir à cœur (l’explosion d’une famille sous un régime dictatorial), et Le Tigre a eu parfois du mal à suivre ses envolées lorsque notamment une des héroïnes est au bord du désespoir. Sans parler des miséreuses descriptions des faits et gestes de la vieille, sacrément longues, et de l’omniprésence des odeurs.

Au final l’histoire de Zara semble être surtout un faire-valoir destiné à faire écho à celle d’Aliide, et le déséquilibre entre les scénarios de ces deux protagonistes est évident. Quant aux « rapports » des services soviétiques livrés à la fin de l’œuvre, soit j’ai zappé quelque chose, soit je deviens de plus en plus difficile sur les révélations dans un roman.

Bref, à lire sans grande conviction, et surtout en moins d’une semaine.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le Tigre n’hésite pas à honteusement piller deux thèmes soufflés par le 4ème de couverture.

Les totalitarismes, surtout le communisme dans un petit pays qui tente tant bien que mal de lutter. Pays assez anti-communiste dans les années 30, la République d’Estonie a eu très peu de moments de pure liberté, un peu à l’image de la Pologne. Le totalitarisme à l’échelle du pays est ici peu abordée, on est avant tout dans la répression vue par une famille. Rumeurs, suspicions qui ne partent que d’un détail, interrogatoires au cours desquels les tchékistes laissent s’exprimer leurs bas instincts, c’est révoltant tellement l’existence ne tient à pas grand chose.

La prostitution. L’histoire de Zara, plus courte car bien plus jeune qu’Aliide, n’en est pas moins bien construite. Promesse de travailler à l’Ouest, (très) loin de Vladivostok, désillusion, difficile apprentissage du métier, dette vis-à-vis de ses deux patrons qui n’est pas censée se résorber, passeport confisqué, clients douteux, blessures (physiques et psychologiques), honte réprimant la force de fuir, détachement progressif, usage de drogues pour tenir, on attend de lire les épisodes sordides, ceux-ci arrivent en temps et en heure, sans fard.

La trahison, et la peur en résultant. L’histoire d’Aliide est celle de la jalousie, de l’envie et au final du coupable silence. Tout ça en famille ! Et derrière la convoitise la poussant à de tels actes, c’est un engrenage de mensonges et d’actions encore plus moralement douteuses pour ne pas plonger dans la catastrophe. Le sentiment de culpabilité, la peur du retour des déportés, les raisons de mal dormir ne manquent pas. Sans spoiler, on peut dire que l’histoire de Zara et son arrivée chez la vieille dame permet en partie de « purger » la dette de la vieille femme envers les siens. D’où peut-être le titre.

…à rapprocher de :

– Sur la vie même sous le totalitarisme soviétique, il y a d’excellents extraits dans La trilogie des jumeaux, d’Agota Kristof. Encore plus sombre.

– Des flashbacks historiques sur fond d’empire soviétique, le tout mâtiné d’une petite trahison, Le Tigre se souvient du Club des incorrigibles optimistes, de Jean-Michel Guenassia, roman un peu plus haletant.

– Pour comprendre un peu mieux l’URSS, et pourquoi les soviétiques ont, entre autres, « satellisés » sans vergogne les pays baltes, je vous renvoie à Que reste-t-il de notre victoire ?, de Natalia Narotchnitskaia.

– La méthode de double narration temporelle n’est pas sans rappeler L’homme du lac (auteur islandais).

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Tristan Egolf - KornwolfVO : idem. Egolf a fait grande impression au Tigre. Ce roman, un peu moins hélas. Histoire certes originale, néanmoins on peut avoir la sensation de tenir entre les mains un pauvre doublon de son génial premier roman. Faire l’impasse de cette œuvre n’est pas déconseillée, sauf pour l’inconditionnel de la littérature américaine d’exception.

Il était une fois…

Le Kornwolf, c’est une vieille légende de loup garou qui bouffe les cultures locales. C’est aussi Ephraim, qui se transforme à chaque lunaison,en une bête qui n’est pas sans ressembler à Nixon. Le Kornwolf est hélas poursuivi par un journaliste féru de boxe et en phase de transition qui va faire mousser la légende et créer un joli foutoir au sein d’une communauté amish, en pleine Pennsylvanie aux origines germano-danoises.

Critique de Kornwolf

Fort décevant comme roman de la part de Tristan. Ne nous trompons point, à ce stade cela signifie que l’œuvre reste plus que correcte. Hélas Le Tigre, après avoir lu le premier roman d’Egolf, s’attendait à beaucoup mieux. Les cent dernières pages environ ont été même survolées, tant j’avais l’impression de tourner en rond et d’avoir globalement fait le tour du roman.

Un monstre légendaire qui n’est pas si terrible, des personnages dont on espère qu’ils ne sont pas ainsi dans la réalité (peu de chance hélas), une sombre histoire de parenté, et hop on obtient un n’importe quoi bien sympathique, sans plus pour les impérieux besoins du Tigre.

Le style est celui d’Egolf, à savoir très long et dense. Chapitrage certes plus court, toutefois la prose est bien moins réjouissante qu’on pourrait s’y attendre. Au final, c’est un titre dispensable. Et là, l’ultime question : qu’aurait donné cet auteur comme autres œuvres s’il ne s’était pas suicidé ? N’aurait-il pas, en fait, tourné en rond ?

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le Tigre ayant été (assez) déçu par ce roman, dont il a lu les dernières (100, 150 ?) pages un peu par-dessus la patte (visuellement douteux), les thèmes sont plutôt limités.

Ce qui m’a marqué est la dénonciation de la bêtise campagnard qu’on retrouve dans Le seigneur des porcheries, à savoir le « redneck » pas très futé : redneck car nuque rouge à force de travailler au soleil, rougeaud en général par une consommation excessive de bière, propre à vite s’emporter pour défendre son pré-carré d’égoïste. Ici l’excitation populaire est poussée à son comble, transformant une société relativement paisible en ce que la civilisation américaine peut faire de pire (trash metal, orgies,…).

La limite entre la légende et la réalité. Au moins le lecteur se sera familiarisé avec une version intéressante du loup-garou, et à la sauce amish ça vaut réellement le coup d’œil. Dans le vase clos qu’est le territoire où évolue Kornwolf, ce n’est pas tant le monstre que les réactions des autochtones qui est ici une jolie satyre du monde contemporain. L’existence avérée (sans que le journaliste ne pût l’imaginer) de la bête semble au Tigre l’excuse parfaite pour tous les débordements des habitants, excès propres à nos sociétés modernes.

…à rapprocher de :

Le seigneur des porcheries, seul roman d’Egolf à lire absolument.

Le Tigre voit plus ce roman comme un adendum au pavé pré-cité, sans réelle autonomie.

– Cependant l’exagération des habitants du cru est assez proche et aussi cocassement rendue (sexuellement parlant surtout) que Le lézard lubrique de Melancholy Cove, de Christopher Moore.

– Sur les croyances du populo qui font des dégâts, y’a L’Homme à l’envers, de Fred Vargas. Pas fameux hélas.

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Tristan Egolf - Le seigneur des porcheriesVO : Lord of the Barnyard: Killing the Fatted Calf and Arming the Aware in the Corn Belt. Une des lectures préférée du Tigre. J’ai dévoré ce petit chef d’œuvre méconnu en une nuit, et me suis promis de le relire prochainement. Original, des passages qu’on lit trop rarement. Long, et très dense, le héros est magistralement épluché. Généreux, car vocabulaire jubilatoire et hilarant.

Il était une fois…

Sur 600 pages le lecteur va suivre la vie de John Kaltenbrunner, cas associable et plus qu’intelligent. Vivant seul avec sa mère, John se fait remarquer dès sa petite enfance en étant le vendeur de volailles le plus efficace de la région. Bien sûr ça attire les convoitises et exacerbe la bêtise de son entourage, si bien que John doit partir de Baker. C’est dans la fleur de l’âge qu’il reviendra dans sa ville natale, pour se venger.

Critique du Seigneur des porcheries

L’histoire de John, de sa petite enfance déjà hors du commun à la fin de sa vie, qui se termine en explosion d’humour et de tendresse, est une épopée comme on en lit rarement. Seigneur des porcheries car le héros, en plus d’être souvent dans la mouise, utilisera pour survivre et faire plier les obscurantistes de tout poil la saleté : travail dans une usine à bétail ou ramasseur d’ordures, son passage ne laissera aucun endroit indemme.

Un petit mot rapide sur l’auteur, dont Le Tigre n’a lu que deux titres (il n’y en a pas plus de trois semble-t-il) : Tristan a écrit ce roman au milieu des années 90, et la puissance de cette œuvre est telle qu’il semble qu’elle soit une sorte de catharsis. Sans compter que quelques thèmes se retrouvent dans Kornwolf, roman qui a suivi. Dix ans après Egolf commettait un suicide, alors au faîte du succès. Un auteur torturé, trois romans dont un sublime. Aurait-il pu continuer dans cette voie ?

Sublime, une grande claque, il n’y a pas d’autres termes. En plus de l’histoire abracabrantesque (merci Jacques), ce sont les descriptions d’Egolf et son vocabulaire exceptionnel qui constituent un plaisir sans cesse soutenu. Les termes, métaphores, images rendues sont le travail d’un orfèvre, chaque mot fait mouche et chaque page parvient au moins à nous arracher un sourire de contentement. Remercions également le traducteur, qui a su rendre à César ce qu’il lui appartient.

Livre assez ambitieux, où les descriptions sont légion, si vous accrochez ça peut se lire en une petite semaine. Un auteur américain pas forcément très connu, qui jette un pavé d’originalité dans la marre littéraire américaine. Le risque est de trouver toute littérature un peu fade après ça.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’obscurantisme de la populace. John K. va être confronté à des personnages hélas représentatifs de ce qu’on peut trouver dans n’importe quelle campagne arriérée de tout pays. Villes aussi. Méthodistes fanatiques, jeunes idiots attaquant sa ferme, petits chefs peu soucieux d’efficacité, l’image donnée par Egolf de la Corn Belt est loin d’être reluisante.

Peur du changement, rejet automatique de la différence, hypocrisie à pleurer, attaques sournoises contre John, le cœur du Tigre balance entre dégoût pour la bêtise incessante et rire par rapport au style de l’auteur et le fin mot de l’histoire, forcément réjouissante.

La « niaque » d’une personne hors du commun. John Kaltenbrunner (pourquoi je pense à Paul Kalkbrenner ?) a de la ressource, et est de la race à faire méthodiquement péter tout système mal conçu. La mise en place de la grève des éboueurs, notamment, est une ode à la persévérance et à la lutte contre l’imbécilité de la masse, aussi nombreuse soit-elle.

Volonté de fer (et de faire), charisme pour joindre les ouvriers qui souffrent comme lui, résistance active et passive contre l’autorité, Tristan Egolf semble prendre également une revanche en écrivant ce livre. On peut lire cette œuvre comme un manuel de résistance civile contre tous les travers d’une communauté et des membres clé qui la composent, surtout quand on découvre les réjouissantes conséquences des actes du héros.

…à rapprocher de :

– Si ça vous dit, j’ai recopié le premier paragraphe du roman ici.

Kornwolf, second roman lu par Le Tigre d’Egolf. Décevant hélas.

– Avec un vocabulaire riche et chantant, Robert McLiam Wilson et son Ripley Bogle présentent des similitudes frappantes avec Egolf.

– Après la Corn Belt, vous pouvez faire un tour du côté de la Bible Belt, superbement racontée par Douglas Kennedy dans Au pays de Dieu. Très bon pour retrouver un peu de crédibilité et effacer quelques préjugés.

– Quelques San-Antonio, pour les descriptions à se taper sur les cuisses. Les Vacances de Bérurier, par exemple, avec ses personnages savoureux à souhait.

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Delphine de Vigan - Un soir de décembreLe Tigre apprécie en vacances lire du de Vigan, avec son vocabulaire simple et vivant. Le genre qui prend aux tripes sans mobiliser l’ensemble des fonctions du cerveau. Hélas c’est raté sur cette œuvre, assez poussive et triviale. Pas de réel plaisir à lire, excusé en partie par la plume encore neuve de l’auteur.

Il était une fois…

Matthieu n’est pas à plaindre : la quarantaine bien tassée, une femme qu’il aime, deux enfants, un roman certes écrit tardivement mais à succès, la belle vie quoi. Jusqu’à ce qu’il reçoit une série de lettres d’une ancienne connaissance, amante de quelques mois. A partir de là une phase difficile commence, l’écriture sera-t-elle le salut espéré ?

Critique d’Un soir de décembre

Déception totale, j’annonce. Pas étonnant lorsque Le Tigre a récupéré ce livre comme un matou se verrait donner un reste de poisson passablement frais.

L’histoire aurait pu être bonne, hélas le suspense fait cruellement défaut. Les lettres de l’amante d’autrefois apportent certes un petit break, mais ne parviennent à élever le roman. Le Tigre a eu peur les cinquante premières pages de s’ennuyer sévèrement, heureusement la dépression en devenir du protagoniste rend l’œuvre intéressante. Pas assez néanmoins puisque les dernières pages laissent une impression d’inachevé, en plus de casser le rythme qui était auparavant correct.

A l’origine de la déception, le style de l’auteur. On aurait dit que de Vigan, en publiant son second roman, voulait à tout prix faire dans l’intense et le dramatique. Quitte à se répéter dans les grandes largeurs, en mitraillant les synonymes, les idées associées, les métaphores, etc. Un peu comme cette dernière phrase.

Le Tigre est peu habitué (ou a la flemme, au choix) à délivrer des passages d’un roman, mais il y a des phrases que je ne peux laisser passer tellement celles-ci illustrent le problème. Par exemple ce début de chapitre :

La nuit est silencieuse. Elle se pose sur les meubles, glisse sur les tapis, elle s’infiltre sous les portes et remplit l’air d’une torpeur moite.

Par défi, ou curiosité, si vous le voyez dans les rayons, prenez une page au hasard et lisez la malheureuse prose. Presque la collection rose d’un éditeur dont je tairai le nom. Vous pouvez donc passer votre chemin sur cet ouvrage, et en découvrir d’autres de Delphine.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La dépression. Si dans le roman suivant, Les heures souterraines, de Vigan décrit le mal-être chez une femme, reconnaissons que le thème de la dépression chez un homme est difficile à trouver en littérature (celle du Tigre en tout cas). L’élément déclencheur, l’atonie, les heures qui passent on ne sait comment, les douze heures de sommeil qui ne suffisent plus, la perte de l’élan vital, le lecteur a un bref aperçu du problème. Hélas ce n’est pas assez, jamais le protagoniste ne touchera le fond dans le roman.

L’écriture comme thérapie. Le sujet du roman, outre la résurrection d’une ancienne aventure qui va caviarder le moral du héros, est la façon dont celui-ci va chercher à s’en délivrer. Extériorisant ses sentiments, de manière maladroite mais intense, par le biais de l’écriture d’un nouveau roman, voici la solution proposée. Si ce n’est pas du journal intime (allez donc lire Diary de Palahniuk by the way), alors je donne ma langue au Tigre. Néanmoins plus il écrit, plus il délaisse les autres fonctions vitales telles qu’aimer, se nourrir, ou s’occuper de sa famille

Les premiers romans d’un auteur. Amélie Nothomb, Tristan Egolf, Boston Teran, Bernard Werber, Haruki Murakami,…autant d’écrivains qui ont frappé un grand coup avec leur première (et les suivantes) œuvre. Parfois la suite est décevante tellement le premier (quand ce n’est pas le seul) pavé a fait l’effet d’une bombe par son style ou son histoire. De Vigan ne fait pas partie de cette race, sans que ça soit une critique. Heureusement que l’éditeur est plus patient que le lecteur, car je n’aurai peut-être pas osé acheter d’autres livres d’elle (très bons parfois) après avoir lu celui-ci.

…à rapprocher de :

– Autant lire tout de suite Les heures souterraines, bien meilleur car sans doute écriture plus mature. Quant à No et moi, passable.

Journal intime, de Palahniuk, puisque j’en parlais rapidement.

– L’amour-passion sans raisons apparentes, l’abandon soudain, puis la douleur de la séparation, lisez plutôt Tours et détours de la vilaine fille de Llosa.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez ici trouver ce roman via Amazon.