Brugeas & Toulhoat – Chaos Team, Tome 1.1[ou épisode 2 de la 1ère saison]. Après un premier tome relativement banal malgré une idée originale marrante, les auteurs se sont un peu plus lâchés pour entrer de plain-pied dans la SF militaire qui tâche. Illustrations loin d’être dégueu, rythme qui n’est pas sans rappelé les plus putassières des séries de thriller, c’est du bon. Vive la France. 

Il était une fois…

Nous avons terminé le premier tome avec la Chaos Team (menée par l’odieux paternaliste Clem) dans une bien piètre situation : les mercenaires étaient censés protéger Raul, le chef des Zêtas, pendant une entrevue avec un chef péruvien. Mais c’est gravement parti en sucette, notamment à cause d’un des membres qui voulait tuer le vilain. Prêts à se faire solidement canardés, nos amis sont sauvés par un bien mystérieux bienfaiteur. Finalement, l’Humanité est-elle vraiment menacée d’extinction ? Dans le cas contraire, peut-on se fier à ses nouveaux alliés ?

Critique de Chaos Team, Tome 1.2

Le Tigre avait quitté le premier tome avec une certaine déception, néanmoins les questions laissées en suspens étaient suffisamment intéressantes (exaltantes, même) pour décider de poursuivre. Et j’ai plutôt bien fait, y’a du très gros potentiel dans l’air, c’est devenu évident. A mi-chemin entre comics libéré et roman graphique en mode « cas d’école », Chaos Team est un fort joli bâtard littéraire qui a su m’apprivoiser.

Parce que Le Tigre préfère spoiler dans la dernière partie du présent billet, on va tâcher d’évoquer ce scénario plein de surprises sans vous gâcher le plaisir de le découvrir vous-même. Il est ici question de protagonistes nouveaux qui apparaissent (dont Agathe, la sœur de John Clem) et qui vont permettre, par leurs technologies, de permettre à la Chaos Team de monter d’un cran dans leurs missions – hélas je n’ai guère ressenti plus d’approfondissement dans la psyché des héros. Sauf qu’une telle puissance attire forcément l’attention, et les Zêtas (la mafia sud-américaine) sont plus que jamais sur les dents.

Quant aux illustrations, il faut reconnaître à Ronan Toulhoat un investissement qui force le respect : même si le dessin, assisté par ordinateur, ne m’a pas laissé sur le cul (le format de la BD n’aidant pas), le dynamisme général des planches et le réalisme des personnages sont saisissants – sans parler des corps nus, j’ai lâché une ou deux petites gouttes de bave. Les couleurs, tour à tour solaires, froides (notamment le bleu dominant en présence des E.T.) ou grisâtres donnent l’impression d’un tome complet où l’arc-en-ciel des émotions serait correctement représenté. Du bel art.

Parce qu’il faut bien donner un avis ultime, il m’est (enfin) apparu que les deux gus ne se prennent pas au sérieux. Et le scénario bourré de références reste plaisant à lire dans la mesure où le lecteur pressent que ça peut partir plus rapidement en orbite que prévu. Le résultat est un joli lot d’astuces narratives (à la manière des séries B) : ainsi que les auteurs l’expliquent (enfin je l’ai compris comme tel), ils laissent le scénar’ se développer quasiment tout seul. Du coup, on peut légitimement se demander s’ils ont une idée où tout ce réjouissant charivari va mener.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Cette histoire se veut longue, à l’instar de toute série contemporaine dont les scénaristes souhaitent réserver la possibilité de rajouter des saisons au petit bonheur la chance – gosse je matais Les feux de l’amour avec grand-mère Panda, et peux vous dire qu’il y a des génies dans ce domaine. Pour cela, le félin a l’impression qu’il est avant tout question d’équilibre à préserver de la part des aliens. Un groupe (ici les mafieux) devient trop puissant, alors les mercenaires violent leur contrat pour renverser la vapeur. Et puis de curieuses alliances se forment, comme pour éviter qu’un groupe (même Blackfire) prenne le pas sur l’Humanité.

[Attention les amis c’est à partir de là que je spoile comme un goret]. Le tome devient extrêmement intéressant dès lors qu’on découvre que les Etees (E.T., z’avez saisi ?) ne sont pas complètement vilains (on le supputait) dans la mesure où l’Humanité a tiré la première. Ces grosses méduses sont en fait « prisonnières » de leurs corps et ont besoin de fonctionner en symbiose avec d’autres espèces, de ce fait elles ont aménagé des bases (qui flottent) avec certains rescapés homo sapiens. Cette alliance humains/E.T., en plus de permettre des scènes de combat type mechwarriors (le scénariste Vincent Brugeat semble ne pas pouvoir y résister) ou avec une combi ultra moulante (faut bien justifier l’apparition de seins), pose de nouvelles problématiques : puisque les Etees ont la faculté de suggérer des idées directement à l’intérieur des cerveaux humains, comment éviter de faire flipper à cause de ces influences tout en préservant ses intérêts ?

…à rapprocher de :

– Il faut évidemment commencer par le premier tome (en lien). Et le 2.1 (en lien) n’est pas mal non plus.

– De ces deux auteurs, Tigre vous conseille également Block 109. Ce roman graphique est excellent, et les connaisseurs reconnaîtront dans le héros la même gueule que Kyle, perso qui vient de débarquer dans la Team Chaos. Si vous voulez du court (pas forcément aussi bon), quelques BD trainent autour de l’univers : Étoile rouge (mon préféré), Opération soleil de plomb (correct), New York 1947 (chouette), Ritter Germania (mouais).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette BD en ligne ici.

Lemire & Sorrentino & Cowan - Green Arrow T2 : La Guerre des OutsidersPublié sous Green Arrow #21-35. Les ennemis du héros vert se dévoilent progressivement, obligeant Green Arrow à entrer de plein pied dans un conflit qui prend des proportions qu’il ne pouvait imaginer. Scénario qui s’intensifie et sur lequel il faut s’accrocher, néanmoins les illustrations sont une régalade constituant une agréable surprise. 

Il était une fois…

Oliver Queen, devenu Green Arrow, compte bien rétablir l’ordre à Seattle. Toutefois la menace des Outsiders (réunion des clans contestataires) se fait plus pressante, contraignant notre jeune ami à retourner sur l’île qui l’a formé. Aidé de Magus (l’aveugle aux pouvoirs surnaturels) qui recrute de nouveaux alliés, Green Arrow devra terminer son combat contre Komodo (puis Golgotha), chef du clan de l’Arc qui a élevé une jeune guerrière, demie sœur de Queen…

Critique de Green Arrow : La Guerre des Outsiders

Tiens, j’ai changé d’avis. Après un premier tome qui m’avait terriblement déçu (et également le peu ébouriffant Année Un de Diggle et Jock), le félin ne jugeait pas utile de continuer dans la voie des Green Arrow. Histoire trop complexe à mon niveau de néophyte, dessins qui ne pètent pas deux pattes à un caneton, je ne voyais pas l’intérêt de m’accrocher à ce héros se baladant avec sa capuche verte et armé d’un arc qui n’est même pas à poulies.

Ce qui m’a agréablement surpris ? Le dessin d’Andrea Sorrentino. Presque une leçon que nous donne l’Italien en démontrant les différentes possibilités offertes par son trait assuré : le réalisme est poussé à son comble, offrant un luxe de détails (nature foisonnante, environnement immersif, habits des protagonistes, architecture de belle facture) qui m’ont ravi – ce qui a pour effet de rallonger la lecture, deux heures pour ma part. Sorrentino parvient à passer de petites cases nerveuses augmentant l’intensité à de grands tableaux (sur double page parfois), voire des pages entières plus « expérimentales », à l’instar de la page à dominante verte qui réussit à rendre compte des visions du héros, lequel tient enfin la flèche totem de son clan.

Flèche totem, guerre des clans, etc. Il n’est pas évident de discuter du scénar’ sans spoiler le lecteur, j’expliquerai juste que la lutte pour le bien du héros prend une tournure plus épique (voire antique) alors qu’une puissante surprise débarque au milieu de l’histoire. On en apprend un peu plus sur le système des sept clans (point, bouclier, flèche, lance, etc.) et la façon dont ils formaient un subtil équilibre planétaire – qui est en train de s’effondrer. En rajoutant des trahisons (certaines n’étant pas vraiment) et des problématiques annexes qui ont leur importance, je ne saurai trop vous conseiller de relire rapidement le premier tome avant d’attaquer ce deuxième.

Le Tigre a bien fait de poursuivre, (ré)apprenant de nouveaux aspects d’un héros qui fait montre de surprenantes faiblesses. Si l’intrigue est bien amenée et le début du comics prend le soin de présenter les personnages rencontrés, j’ai eu quand même la confirmation que, n’étant pas fin connaisseur d’Arrow, une pétée de clins d’œil ou hommages à la légende de l’archer me sont passés bien au-dessus de la crinière.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Ce qui m’a particulièrement plu, vous l’aurez compris, est l’ampleur prise par l’histoire qui dépasse la stricte lutte pour le contrôle de la ville de Seattle (même si le mystérieux dealer Richard Dragon est plus que jamais dans la course) pour celle de la planète. J’ai ainsi découvert l’existence des autres clans (et de l’importance de leurs armes « totem »), et comment Green Arrow n’est qu’un autre surhomme parmi tant d’autres. En portant le conflit en Europe grâce à une bombe sale à lancer sur Prague (ça me rappelle un film, je ne sais plus très bien…), la guerre d’origine antique se poursuit dans une modernité de bon aloi.

La Guerre des Outsiders est aussi une histoire compliquée de famille. En effet, le personnage de Shado, qui accompagne et guide le héros dans une grande partie de ce tome, avait un lien très fort avec le père de Queen (qui reviendra brièvement dans l’aventure). Et la fille de Shado et de Queen Sr., recueillie par Komodo, a été conditionnée à haïr la famille Queen. Aussi le thème de la manipulation des jeunes pour en faire des « machines de guerre » (oui, c’est le titre du premier opus) revient sur la table, et ce d’autant plus qu’Oliver Queen a été la victime nécessaire de telles manœuvres. Et il y a quelque chose de violemment tragique avec une fin sanglante relativement triste, avec certes des ficelles grosses comme des troncs de baobabs.

…à rapprocher de :

– Comme je l’expliquais, commencez par le premier tome (en lien).

Green Arrow : Année Un de Diggle et Jock, mérite sans doute d’être lu – d’autant plus que c’est relativement court.

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Orson Scott Card - Ender : PréludesRecueil de nouvelles, enfin regroupées, sur la préparation de la riposte mondiale contre une menace inédite, voici de quoi compléter le fascinant tableau des conflits (entre humains) provoqués par la première attaque E.T. Toujours aussi cérébral, autant empathique que la saga d’origine, d’un humanisme déconcertant (voire too much), ces préludes sont dans l’ensemble très bons. Néophyte de la saga Ender, passez hélas votre chemin.

Il était une fois…

Un officier « prisonnier » d’une capsule spatiale pour participer à une lointaine guerre, de très jeunes enfants (avec des relations parfois difficiles avec leurs parents) sélectionnés pour leur intelligence, une station spatiale faisant office d’école de guerre, yes : l’Humanité se prépare activement pour la deuxième phase de la guerre contre les Doryphores, extra-terrestres qui ont bien failli lui filer une monumentale raclée.

Critique d‘Ender : Préludes

Faisons simple. La première nouvelle est de toute beauté ; les trois suivantes sont courtes et prenantes ; toutefois le dernier texte (plus proche de la novella), lancinant de bons sentiments mêlés à de savantes manipulations, m’a laissé un goût assez bizarre dans la gueule.

Ce recueil permet, pour l’aficionado d’Ender que Le Tigre est (excepté ses voyages post-doryphores), de retrouver quelques personnages connus et de les compléter. Notamment Mazer Rackham (le Maori, par le Rouge), victorieux malgré lui des Doryphores, qui croupit dans l’espace afin de bénéficier de la relativité du temps. C’est grâce à lui que Graff (alors lieutenant), aura les mains libres dans une joute verbale avec la Terre assez savoureuse.

Ensuite, le lecteur découvrira notamment quelques futurs élèves de l’école de guerre (Bonzo Madrid, alias Bonito, Han Tzu, Zeck) pendant que le dispositif permettant de les suivre leur est installé – à partir de quatre ans si ma mémoire est bonne. Il y en a pour tous les goûts, même si l’auteur américain prend parfois du temps à planter son décor. Comme d’habitude, l’aspect S.F. est réduit à sa portion congrue, seuls comptent les pensées et échanges des personnages (sur la politique, la foi, le pouvoir, la famille, le sacrifice) et quelques indices des grandes formations politiques qui se tiennent par la barbichette sur Terre.

Quant à la novella finale, il est davantage question de religion et les rapports avec l’identité, le nationalisme et surtout comment ça peut foutre le bordel au sein d’une institution militaire. Car avec le très puritain Zeck (dont je ne me souvenais guère), la Flotte Internationale semble se trouver dans une impasse, le gosse semblant exclu en raison de ses idées arrêtées auxquelles s’ajoute un pacifisme forcené – presque à contre-sens. Et Ender, éternel génie, réussit encore à renverser la vapeur avec une improbable stratégie aux relents christiques.

A part ce léger bémol tenant certainement à la confession mormone d’Orson Scott Card (lorsqu’il sort de son rôle d’écrivain, c’est globalement pour dire de la merde), le félin a eu grand plaisir à retrouver l’univers et les protagonistes torturés (disons intelligents et froids) dont la finesse d’esprit permet une narration agréable.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’empathie et l’analyse de la situation du point de vue de l’interlocuteur. Chacun a ses relations particulières à l’autorité, donc à ses parents, et se trouve dans des configurations qui ont pour point commun le statut mi enfant-roi, mi surdoué surprotégé. Ces futurs leaders militaires (puis politiques) découvrent rapidement les mensonges des adultes (du père noël à l’adultère en passant par la triche), la manipulation omniprésente et parviennent à s’adapter tout en gardant une certaine candeur. Sauf pour certains, à l’instar de Peter Wiggin qui à l’approche de Noël fait une découverte sociologique fondamentale pour lui – c’est le frère d’Ender, et il jouera un rôle central sur Terre quelques années plus tard.

De même, le lecteur saura se régaler de précisions sur la stratégie de la Terre après la première attaque des Doryphores. Tout part d’une double idée : aller coloniser d’autres planètes d’une part, ainsi en cas de nouvelle guerre l’extermination de la race humaine sera rendue impossible. D’autre part, immédiatement lancer une flotte d’attaque pour porter le coup fatal à l’ennemi. Sauf que celle-ci ne débarquera pas avant des décennies, laissant le temps de former des commandants aguerris sur Terre (idée magnifiquement imposée par Mazer depuis sa mini-station), leaders qui communiqueront en temps réel à l’aide de l’Ansible – technologie non comprise mais utilisée.

…à rapprocher de :

De Scott Card, pfffioouu y’a tellement à dire :

La stratégie Ender (indispensable avant de lire le présent ouvrage). La suite laisse de côté l’aspect militaire pour mieux se concentrer sur des problématiques universelles comme la culpabilité et le relativisme de nos civilisations humaines. Envoutant mais, pour ma part, chiant (Xénocide, etc.) (dispensable en général).

– Du coup, continuez plutôt par la saga de l’ombre : La Stratégie de L’ombre, puis L’Ombre de l’Hégémon, ensuite Les marrionnettes de l’Ombre, suivi de L’Ombre du Géant (une tuerie celui-ci). Et ce n’est pas fini.

– Sinon, Les Maîtres Chanteurs (moins SF) reprend le thème de l’enfance-martyre de manière encore plus dure (et c’est somptueux).

– En revanche, évitez Robota, roman graphique que je n’ai su terminer.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Les textes du TigreLe Tigre ne parle que de littérature. C’est-à-dire de mots qui se suivent et cherchent à faire naître un sentiment, un univers, bref quelque chose qui émeut. Le félin ne se risque pas à évoquer la chose politique, faut savoir rester dans son domaine de prédilection. Mais quand la politique empiète sur les mots, je me dois de remettre les choses à leur juste place.

Changeons le nom, ne changeons rien d’autre

Salut mon ami,

Permet moi de te tutoyer et de t’imaginer en tant que mâle dominant éructant ton antienne dans tous les médias mainstream de notre Royaume. Impossible que tu sois une femme, ce qui est en jeu ne peut être l’œuvre que d’un homme – ce qui explique notamment pourquoi je ne suis pas homosexuel. Sinon, nul besoin de m’introduire. Représente-toi seulement un esprit libre, un peu (certains susurrent beaucoup) con sur les bords, qui n’écoute rarement ce que les autres lui disent, à plus forte raison quand l’interlocuteur porte une cravate.

Mais je m’égare. Si je prends le clavier en ce moment, c’est pour te donner mon modeste avis sur une tendance francophone qui me navre – et ce d’autant plus que j’ai parfois le sentiment d’être le seul à gueuler comme un putois dans mon coin.

Avant de te parler de cette fâcheuse habitude, je vais t’entretenir brièvement d’un sujet qui m’est cher : la presque intangible signification des mots. Pour faire simple, quand je parcours un roman (en français ou en mandarin – ah merde, ce dernier exemple ne fonctionne pas), je sais ce que « maison » signifie. Mieux, certains termes qui décrivent des notions plutôt que des objets restent globalement stables dans le temps. C’est d’ailleurs pourquoi les dictionnaires ont tendance à ajouter de nouveaux mots qu’à redéfinir des anciens – à la rigueur, l’ajout d’un adjectif tel que « argentique » pour rappeler qu’il existait quelque chose avant le numérique question appareil photo. Et ne m’entourloupe pas avec le mot « libéral », terme que vous avez plus maltraité que les libertés fondamentales, ça va m’énerver.

Revenons au sujet principal de ce billet : tu veux changer la dénomination de ton parti politique. Je t’ai certes entendu dire bon nombre d’âneries, toutefois cette dernière constitue la douce confirmation que tu es un indécrottable opportuniste. Du genre à porter chance quand on marche dessus du pied gauche. Mais qu’est-ce qui ne cloche pas chez toi ?

Je n’ignore pas que les nobles idées que l’Homme Politique prend sous son aile sont changeantes, que tout dépend de l’environnement présent, voire des personnes clé qui composent le parti. Cette même formation est, quoiqu’on en dise, au centre du débat sociétal d’un pays. Celle-ci occupe les principaux titres des journaux (papier ou TV), le citoyen du monde un peu renseigné sait de quoi on cause au premier coup d’œil.

Et toi, tu veux biffer (j’ai failli dire « bifler ») quinze années d’histoire politique de ton pays, et pour quels motifs ?

Tu invoques, sans ciller, l’exigence de « rompre avec le passé ». Savoureux, quand toi-même représente ce passé honni. A moins de virer tout le staff en poste (profites-en pour t’autolicencier) et recruter de nouvelles gueules, l’artifice que tu proposes va faire illusion pendant six mois au grand max. Vois ton parti comme une entreprise. Soit tu liquides la boîte et en recrée une nouvelle ex nihilo (un certain Général l’avait fait), soit tu choisis la facilité : changer de nom. Mais personne ne sera dupe. Regarde Blackwater, la société de mercenaires. Ils avaient beau renommer leur compagnie plus souvent que tu déclenchais une guerre, et les juges n’ont pas pour autant stoppé leur poursuite.

Ne crois pas que le fait de nommer différemment ton organisation va provoquer un heureux détachement des nombreuses casseroles qui lui collent au cul – imagine sinon le florissant business consistant à trouver des nouveaux noms de syndicats.

Je t’entends déjà couiner un chevrotant « mais tous les autres le font ! » . Petit con, ce n’est pas que tes incompétents d’amis au centre ou à l’opposé de ton spectre politique changent le nom de leurs engins (je m’y perds moi-même) qu’il faut les copier. Pose tes œillères deux secondes et contemple les States, l’Allemagne ou la Suisse. Des formations politiques vénérables dont certaines ont le même sigle depuis le 19ème siècle. La grande classe. Mieux, succombe aux leçons chinoises ou singapouriennes : un parti, un seul nom, et en route pour la croissance Simone !

Tant qu’à rigoler, pourquoi ne pas renommer l’agence nationale pour l’emploi en un truc vaseux du style pôle-de-compétences-pour-l-emploi, tu crois que ça aidera les chômeurs ?…oh, attends voir…non, rien.

Après d’intenses réflexions, je crois avoir compris d’où vient cette détestable propension :

Premièrement, le système politique français pousse à la personnification. A chaque institution est attaché un personnage politique, un être qui a su s’imposer dans le pays à un instant charnière pour mieux le sauver. Avouons-le, tu aimerais bien notre homme providentiel de ce début de siècle qui aura son gros chapitre dans les bouquins d’histoire des générations suivantes. Hélas, tu sais que ce sera impossible, alors tu te contenteras d’apposer à ta formation politique une marque au fer rouge. Ce sera ta contribution au débat public, mes félicitations-

Deuxièmement, et corollairement ai-je envie de rajouter, il faut convenir que le compatriote kiffe bien ces nouveautés. Un petit coup de peinture sur le rafiot étatique, ça occupe facilement 30% du temps d’antenne – les mauvaises langues diront que ça laisse un certain répit. Notre Grande Nation adore expérimenter, jouer avec la Constitution, inventer de délicieuses initiales pour d’inventifs impôts, légiférer sur des faits divers pour calmer la populace, voire renommer nos Conseils généraux. C’est un peu plus modeste, cependant l’intention y est – et puis c’est trop tard pour changer de République. Quant à un nouvel empire, le fait que ce serait le troisième exclut de facto cette fabuleuse idée (je vois d’ici la gueule de nos voisins outre-Rhin).

Bref, avec des clampins de ta trempe, l’U.E. aurait déjà eu quatre acronymes différents.

Troisièmement, et étant donné que je ne suis pas totalement de mauvaise foi, je dois reconnaître que le blaze de l’organisation de bras cassés (toi au sommet) est bien mauvais, il était temps de passer à autre chose. Franchement, dès qu’il est question de République, de Mouvement, d’Union, de Rassemblement, de Populaire, ça fleure bon le consensuel de bas niveau destiné à regrouper un maximum de moutons qui flippent leur race dès que ça clive un peu trop. Sans compter les vilains jeux de mots qui sabordent votre message, quel gâchis.

En outre, j’arrive à comprendre que l’ancienne dénomination, choisie par un immense rival politique, justifie de lui faire un gros bras d’honneur – à défaut de tuer le pèr..euh mentor.

Le gros souci reste que tu accordes aux mots un pouvoir qui n’est pas le leur. Ça s’appelle du verbalisme, et c’est une manie peu recommandable. Réveille-toi, prononcer les syllabes de ton parti ne te fera pas gagner plus de voix, même Rowling n’en parle pas dans l’univers d’Harry Potter. Et ce n’est pas parce que les temps sont troubles et que ton parti n’est pas au beau fixe qu’une mesure symbolique renversera la vapeur.

Allez, tentons une dernière comparaison que Marcel m’a récemment glissée dans le bistrot de ma ville : ta formation, c’est une rue bien pourrie (disons une avenue, vu les moyens dont tu disposes) : celle-ci est mal fréquentée, les impasses qui la perpendicularisent sont des coupe-gorges fréquentés par tes seconds couteaux ; le tout à l’égout n’a pas été installé vu les immondices qui débordent du caniveau, les habitants jetant leurs ordures directement par la fenêtre ; les fondations ne sont guère fermes, une magistrale (tu saisis le jeu de mots ?) inondation de plus rendrait la zone infréquentable ; et que dire des copropriétaires de l’avenue qui règlent à peine leurs charges de copropriété (t’obligeant à solliciter d’exceptionnelles participations) ? Tu vois le topo ? A ta place, je déménagerais ou entreprendrais une politique de grands travaux. Mais non, tu te contentes de dévisser la plaque et renommer ta rue. T’as tout compris, y’a pas à dire.

Un tel changement se justifierait une fois que vous en auriez fini avec vos mauvaises habitudes, ou au moins quand votre doctrine politique (s’opposer n’est pas une doctrine, attention) sera plus clairement définie. Prends conseil auprès de Lolo F. qui a choisi son prénom (décrivant une partie de son anatomie) après être passée sur le billard. Je sais que ce n’est pas facile pour les individus de votre espèce, mais tente d’être logique. Dis toi qu’un parti, c’est comme un navire de guerre : si tu le renommes, celui-ci n’aura que des avaries. Et tu t’apprêtes simplement à descendre sur la poupe du bateau, ton pinceau à la main, alors qu’une dizaine de torpilles se dirigent vers ce-dernier.

Puisque tu fatigues de me lire et que tu aimerais connaître le fond de ma pensée, le voici : au lieu de modifier l’appellation de ton parti, dégage de celui-ci et créé le tien, à ton image. Non seulement tu mangeras un râteau comme un certain ancien premier ministre à particules, mais en plus tu laisseras à des nouvelles têtes l’opportunité de changer de nom ET de façon de faire de la politique.

Je plaisante, tes successeurs seront aussi bêtes que toi, ils ne mettront pas très longtemps à étaler leur merde sur le nouveau logo.

Si j’étais à leur place, et quand j’utiliserai ton parti de merde pour être au pouvoir, je profiterais évidemment du moment de grâce automatiquement attribué à tout nouveau gouvernement pour renommer la formation. Ce ne sera pas une « machine à gagner les élections » comme vous vous plaisez à le repéter, mais plutôt un mouvement fugace qui foutra un bordel monstre dans le pays avant de disparaître. Tu seras tellement heureux de voir quelqu’un faire ce que tu n’as jamais osé entreprendre que tu poseras ta rolex quelques secondes afin de flatter la demie-molle qui naîtra dans ton slip.

Tiens, figure-toi que j’ai déjà un nom pour la formation. Mais ça, je t’en parlerai dans un autre billet.

Sur ce, je t’autorise à reprendre une activité normale. Du genre sucer le derche de ton banquier pour demander le financement de ta très cosmétique décision. Et va pas dépenser 40 000 euroboules dans une agence de design, étonnamment dirigée par un pote, et qui ira pomper un Comic Sans Serif couleur bleu roi – ça fera encore désordre.

Jean-Pierre Andrevon - Le monde enfinDans un futur extrêmement proche, l’Homme est sur le point de s’éteindre à une vitesse surprenante. Tableaux d’un monde extirpé du cancer humain, texte sublime et contemplatif (trop ?) avec une poignée de survivants, la SF laisse rapidement la place au drame. Une puissante claque qui fait douloureusement comprendre que la Terre serait mieux sans nous. 

Il était une fois…

La bonne vieille Terre a réussi à se débarrasser de la plupart des êtres humains (genre un prion qui tue 1999 hommes sur 2000). Quelques uns tentent de survivre dans ce nouvel environnement où la Nature redevient reine. Un homme seul à cheval qui parcourt la France vers le Sud afin de voir une dernière fois la mer, une femme fertile qui veut absolument procréer, des astronautes dont la mission a pitoyablement échoué, un militaire sorti d’un programme de survie, et d’autres clampins qui se démènent également seuls…. mais ça sent globalement le sapin pour l’Humanité dans la mesure où les survivants sont (pour la plupart) stériles.

Critique de Le monde enfin

Je vais encore sortir mon bazooka à clichés : cette œuvre est le roman de la maturité d’Andrévon, rien de moins. Un texte qui marque, qui laisse songeur malgré la facilité avec laquelle un virus fout en l’air la populace humaine en moins de temps qu’il faut pour finir un sudoku. Mais une fois que les gens tombent comme des mouches, la tuerie laisse la place à une sérénité assez troublante – j’ai gravement kiffé.

Le roman se décompose en deux facettes bien distinctes, qui vous intéresseront plus ou moins selon vos préférences. D’une part, il y a différentes histoires avec le monde depuis les prémisses de la contamination (du genre Paul Soverino, un militaire enrôlé pour prendre la relève) jusqu’à l’extinction du monde dominé par l’homme – les canidés, curieusement, sont agressifs à souhait. D’autre part, dans un futur indéterminé, le lecteur suivra un vieil homme et son canasson qui descendront vers le sud. Des chapitres en italique, très contemplatifs, où en dépit de rencontres ici et là l’espoir de la survie se meurt régulièrement.

Sur le style, y’a du bon et du moins cool. Quand ça a parlé au Tigre, franchement ce fut un régal : le mecton qui a son cul posé sur un satellite et peut décider du sort d’une région en Chine ou ailleurs, le gus qui se balade dans un Paris désert (un plaisir pour connaisseur), le militaire au beau milieu d’un complexe surprotégé dont il tente de s’échapper, etc. Toutefois, il est quelques moments bien plus longs, presque chiantissimes, mais qui peuvent être zappés sans rien perdre de la puissance du bouquin – et oui.

Ainsi, pour ma part, si j’ai un poil baillé sur les menues descriptions naturalistes (certes instructives mais gavantes, surtout vers la fin), je garde du Monde enfin un souvenir ému, un pavé d’une rare intelligence qui mélange plusieurs thèmes avec une facilité déconcertante. Car, outre la SF ou de drame, Andrévon parvient à distiller une certaine tendresse, en-cela aidée par un humour qui fait mouche quand il faut. Du grand art.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La première chose évidente à raconter est à quel point l’absence de l’Homme n’a rien à voir avec la fin du monde. La vie reprend son court, et il est dingue (on s’en doute) de remarquer comment une espèce en moins (l’homo sapiens, pour ne pas le nommer) permet à d’autres de revivre alors qu’elles étaient promises à une mort certains – ours, tigres, pandas, etc). D’où le titre, qui selon moi signifie que tous ces êtres vivants ont, peur eux, le monde – enfin. L’homme n’est qu’un passage douloureux mais fugace, surtout eu égard la façon dont il a disparu (d’ailleurs, bizarre que d’autre espèces n’aient pas été touchées).

Ainsi, Le monde enfin paraît être une œuvre terriblement écologiste. Voyez comme les trois ordres vivent en bonne harmonie, la chaîne alimentaire se remet naturellement en place et les déséquilibres apporté par l’Homme, ce gros connard, sont vite oubliés – à part le réchauffement climatique subsistant. Le seul aspect intéressant (disons salvateur) qui apparaît est le fameux don, celui qui permet à certains protagonistes de communiquer avec la faune. C’est le cas de Sébastien qui tente de survivre à Paname en trouvant sa nouvelle place parmi les animaux, mais surtout la Princesse des rats, personnage squattant quelques chapitres qui retourne à un troublant état sauvage – et dont l’histoire occupe une place centrale dans la narration.

Comme Andrévon tend à le souligner dans les derniers chapitres, l’Homme n’est qu’un enfant qui joue avec des objets d’acier et de mort (les chars, les fusils) dont la portée le dépasse. Un gosse aussi bête que vilain qui s’est pris une mandale (définitive hélas) par Mère Nature qui a tout bonnement décidé de reprendre les choses à zéro. Et le résultat n’est pas si dégueulasse que cela – putain, c’est si évident de le reconnaître.

…à rapprocher de :

– Du bon Andrevon, la base reste Le travail du Furet (terriblement humain). Puis Sukran, qui est d’une rare tristesse (et sympathiquement orienté à gauche).

– Sur la fin de notre monde, je vous encourage vivement à lire ce qu’à fait le bon Ballard. Sur le blog, il y a Le monde englouti. Juste excellent.

– A tout hasard, je vous signale qu’une maison indépendante a publié Fin(s) du monde, y’a de très bonnes choses (gratuites en plus).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Noé - L'accordeur, Tome 1Dans les belles demeures de la bourgeoisie trône souvent un piano. Objet vieillot qu’il faut de temps à autre réparer. C’est là qu’intervient un accordeur, personnage au membre viril démesuré qui ne laisse indifférent la gente féminine locale. Le reste, l’affiche vous laisse le deviner aisément. Un pur plaisir de rigolade, plus que de l’érotisme, pourquoi s’en priver ? 

Il était une fois…

Y’a rien à rajouter ni à retirer de la présentation de l’éditeur :

« Mariano est accordeur de piano. C’est un garçon sérieux, qui cherche à faire au mieux son travail. Malheureusement, il se trouve toujours une maîtresse de maison ou une nymphette délurée pour le détourner du clavier. Mariano est entraîné malgré lui dans des coucheries effrénées et cocasses qui lui font quitter les lieux dans la précipitation… sans avoir fini d’accorder. »

Critique du premier tome de L’accordeur

L'accordeur - tome 1 extrait 1Ha ha. Belle découverte que ce tome, plein de promesses, de l’argentin Ignacio Noé. Voilà un artiste que je devine rigolard derrière ses crayons bien affutés, le mecton sans prise de tête qui, avec une lubie facilement déclinable, laisse libre cours à sa scripturale libido. Avec sa bonne dizaine d’histoires en mode déconne et relativement variées, il y en aura pour tous les goûts.

Cet ouvrage repose sur un running gag dont Le Tigre ne s’est jamais lassé : Mariano a beau être consciencieux (talentueux même), continuant le métier de son daron, toutefois il ne parvient pas à accorder convenablement un piano. En fait, on ne lui en laisse jamais le temps, ses clients s’arrangeant pour vider ses bourses. Soit la maîtresse de maison est chaude comme une baraque à frites (ou froide genre omelette norvégienne qui explose) ; soit dans un environnement peu avenant (par exemple chez un ponte de la pègre) traîne, jamais bien loin de l’objet de son métier, une poulette assez open.

Noé - L'accordeur, Tome 1 extrait2Quant aux dessins, encore des grosses barres. Le héros n’est pas franchement beau, et que dire des protagonistes féminines ? Leur plastique reste irréprochable, toutefois leur minois accuse quelque chose de brutal, sinon masculin – faut dire qu’elles ne se comportent guère comme des midinettes effarouchées. Et puis leur nez rosacé, y’a comme un truc qui dérange et donne l’impression d’avoir affaire à des poupées vicieuses plutôt qu’à des êtres de chair. Concernant les décors, ceux-ci restent classiques mais efficaces, et participent à une immersion aux relents presque fantastiques – les positions sexuelles fantaisistes et les couleurs vivaces aidant.

Bref, y’a peu de choses à déplorer dans L’accordeur. Attention toutefois : l’auteur dépasse l’érotisme (voire le porno) vers une œuvre plus libre et décomplexée. Aussi le potentiel bandant est moindre que dans d’autres textes coquins, ne vous attendez pas à avoir une gaule de tous les diables – pour tout vous dire, le vît tigresque n’a à peine gonflé que de 24 pourcents (au jugé hein).

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Noé - L'accordeur, Tome 1 extrait3Comme je le disais, notre ami accorde autant les pianos que je danse du charleston dans les maisons de retraite chaque mercredi soir. C’est à se demander comment il gagne sa vie. Les merdes (façon de parler dans la mesure où il baise à couilles rabattues dans des positions aussi diverses que variées) qui lui tombent dessus ne sont pas de son fait. On a quasiment affaire à un homme-objet (à quelques exceptions près), voire une victime. C’est là toute l’intelligence de Noé qui met en scène des femmes qui, outre leurs idées bien arrêtées, prennent les choses en main pour faire tourner en bourrique le héros. Délicieux.

Le félin termine par une remarque qu’il ne fait guère souvent : il s’agit d’une bande dessinée sacrément bruyante. Sploch, slurp, splatch & Co sont au-rendez-vous. Les filles ne sucent pas, elles lèchent avec avidité. La bite ne s’insère pas dans un vagin discrètement, il y a des sons mouillés qui se mêlent aux claquements des chairs. Les partenaires ne gémissent point en se vouvoyant, ça crie fort à renforts de points d’exclamation. De l’humain, en somme. Si vous rajoutez des cases assez erratiques, entre gros plans bien gras et tableaux de pure beauté, le constat suivant s’impose : Noé s’amuse et régale son lecteur.

…à rapprocher de :

– Y’a un deuxième tome. Si. Et celui-ci est génial (lien). Sinon, le meilleur de cet auteur me semble bien être Exposition. Carrément.

– Dans l’esprit sexe jubilatoire assez marrant, je ne peux m’empêcher de penser à Chambre 121, de Boccère – même topo, sauf que l’employé est payé entre autre pour ça.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette BD en ligne ici.

Moon & Bá - L'AliénisteVO : O Alienista. Un docteur qui se met en tête de soigner l’esprit malade de ses contemporains, avec une technique hasardeuse qui connaît de sérieux abus… L’histoire d’une escalade médicale est intéressante, toutefois je n’ai pas été foutu d’accrocher l’œuvre. Sans aucun doute la faute aux illustrations. Dommage.

Il était une fois…

Fin 19ème siècle. Simon Bacamarte, fraichement diplômé, pose ses pénates dans un village sis on ne sait où au Brésil. Il décide d’y construire un asile d’aliénés, un truc à la pointe de la recherche médicale d’où il pourra, à loisir, étudier la folie humaine. Pour cela, le bon docteur a la main lourde : il enferme plus de personnes par jour qu’une péripatéticienne brésilienne fait de passes au bois de Boulogne. Mais qui est le plus dingue dans cette histoire ?

Critique de L’Aliéniste

J’ai comme qui dirait un énorme souci avec cette bande dessinée. 72 pages, et près de 10 jours pour en venir à bout. L’envie de continuer l’ouvrage s’amenuisait de jour en jour, infoutu que j’étais d’apprécier les dessins des frères jumeaux Ba et Moon. Les deux Lusitaniens, qui ont repris un classique de leur pays, ont profondément déçu Le Tigre.

Car tout vient de Joaquim Maria Machado de Assis (oui, c’est son nom), écrivain décédé au début du 20ème siècle et dont je ne connaissais rien. Avec son court texte L’aliéniste, Machado de Assis créé un monde hors du temps, un lieu isolé et complet où sévit un homme qui, par son statut de médecin, bouleverse l’existence de tous les habitants. Le mec comme de manière soft en amenant les dingues les plus « incontestables » dans sa Maison Verte, et une nouvelle forme de dictature se met en place (avec l’accord de la municipalité) pour enfermer toujours plus de personnes – certaines paraissant saines d’esprit. Sa femme, éperdument amoureuse, bronchera à peine quand elle sera « invitée » à séjourner dans l’asile.

Les gens se rebellent un peu, l’armée intervient, et tout rentre dans l’ordre (assez invraisemblable). Au surplus, les illustrations n’ont guère trouvé grâce à mes yeux exigeants. Si les traits sont indéniablement réussis (la finesse des traits apportant aux décors et personnages une touche d’une rare poésie), les tons marrons/jaunes choisis par les auteurs m’ont filé une migraine à damner un saint, une vraie plaie où lire le texte ne fut pas une partie de plaisir. Imaginez un film de Jeunet (avec le filtre jaunasse) puissance dix, le flou en plus, et vous aurez une vilaine impression de brumeuse noyade ouatée, onirique mais difficile à saisir.

En guise de conclusion, la valeur ajoutée de la mise en images est, à mon humble niveau, aussi importante que l’apport de Basile Boli à la philosophie herméneutique. Faire de cette nouvelle un roman graphique était parti d’une bonne intention, néanmoins la voie prise par les illustrateurs n’est pas du tout mon genre, le résultat est lourd à digérer pour les yeux – même si celui-ci a un certain cachet.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Désolé, ça va progressivement spoiler. Pour un roman des années 1880, ça pose toutefois moins de problèmes non ?

Mais où se trouve cette putain de frontière entre la folie et la santé mentale ? A partir de quand peut-on considérer que son prochain est fou à lier ? On sent bien qu’il y a comme un crescendo odieux dans le comportement de Simon Bacamarte, en outre ses proches (dont l’apothicaire, sorte de Sancho Pansa brésilien) mettent du temps à lui dire qu’il fait de la merde. Lorsque Simon a mis une belle partie de la populace dans l’asile, aucun traitement ne sort du lot, faute de diagnostic bien établi. Le docteur finit par estimer que le déséquilibre mental fait partie prenante de tout être humain, aussi ce sont les individus les plus sains d’esprit (sans passions, neutres) qui seraient les plus malades. L’idée d’un tel renversement de la médecine, certes basique, n’en est pas moins rendue avec une puissance dramatique qui laisse des marques.

L’auteur brésilien va plus loin lorsque le doctor a une révélation : il a traité tout le monde, n’a avancé en rien dans le traitement de la folie, tous semblent normaux…sauf lui, car sa perfection doit forcément être une forme d’atteinte de l’esprit. C’est pourquoi il finit par décider d’être le propre cobaye de ses expériences de pensées les plus absconses, pensant qu’il est le sujet parfait de ses études. Oui, j’ai eu le même double constat que vous : le héros est un doux dingue qui a achevé de tourner en rond, en plus de mettre sur pied, loin d’Europe, l’ébauche du noble art de la psychanalyse. Sacré Simon !

…à rapprocher de :

– Du père Ba, Tigre a lu Daytripper (superbe dessin, scénar’ un poil chiant) ou The Umbrella academy (avec Gerard Way, décevant également).

– Le sujet de ce titre m’a furieusement rappelé l’essai Les plus fous ne sont pas ceux qu’on croit, de Manfred Lutz.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman graphique en ligne ici.

Frederick Forsyth - L'AfghanVO : The Afghan. Lorsqu’une organisation terroriste se prépare à envoyer du gros pâté, les barbouzes occidentaux décident  ne répondre par une opération d’une rare audace. Réaliste à souhait (même si l’idée principale va trop loin), le lecteur lira ce roman en moins de deux. Ouais, L’Afghan, c’est de la bonne – désolé, fallait que ça sorte. 

Il était une fois…

Les services secrets américains, britanniques et pakistanais sont sur les dents : Al Qaeda s’apprête à foutre un daroi monstre en Occident. Genre un gros attentat qui tâche bien. Et là, au milieu d’un briefing en mode putain-keskon-va-bien-faire », une idée germe : pourquoi ne pas simuler la sortie d’Izmat Khan, un commandant taliban détenu à Guantanamo ? Et le remplacer par un soldat anglais qui maîtrise la langue et les coutumes de l’ennemi ? Allez zou, allons préparer notre ami – qui, bonne poire, accepte.

Critique de L’Afghan

Y’a des romans qui n’ont pas le quatrième de couv’ (et l’image associée) qu’ils méritent. Acheté un peu au pif, et au final une excellente surprise Faut dire aussi que je ne connaissais guère cet auteur outre-manchois qui semble avoir son petit succès – et n’est pas manchot quand il s’agit de tenir un stylo.

Deux camps s’affrontent. Les méchants, d’une part, mettent en place une complexe opération pour porter un coup fatal aux States et à leurs alliés. Et le lecteur découvrira, au fil des pages, ce qu’il en est d’Al-Isra (tant qu’à livrer le nom de l’attentat en préparation). Face à cette terrible menace, please welcome Mister Mike Martin, colonel de son grade, ancien SAS, mâle ultraburné mais à l’intelligence rare. Vétéran de la guerre d’Irak (la première je crois bien), parlant plusieurs langues, le mec va se déguiser en chef de guerre afghan (pas de la gnognote, bien sûr) pour infiltrer les lignes ennemies.

Dans ce thriller agréablement rythmé à l’anglo-saxonne (chapitres courts et nerveux, descriptions suffisantes qui ne s’attardent pas au superflu), Forsyth fait étalage de ses connaissances dans l’univers de l’espionnage et des grandes manœuvres des soldats de l’ombre. L’écrivain en sait des choses, le résultat est plutôt réussi dans la mesure où la crédibilité de l’intrigue n’est pas trop salopée, on se surprend même à flipper pour le héros lorsque, plusieurs fois, sa couverture est prête à griller tel un feu de joie.

Bien évidemment, il convient de ne pas se poser trop de questions sur l’attaque que préparent les vilains islamistes, un poil too much par l’ampleur du résultat (touchons du bois) et des différentes étapes que ça implique. De même, la « réponse » de la CIA fait confiance à un nombre inimaginable d’étoiles bien alignées pour que ça réussisse, j’espère qu’ils préparaient, avec la même application, quelques plans B, C et D en loucedé.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le succès de ce roman tient sans doute au fait que l’écrivain aborde tout ce qui terrifie (et, paradoxalement, fait bien bicher) l’Américain, à savoir The big attentat. Le truc imaginé avec des moyens du bord, utilisant les artefacts de l’Occident (technologie, armes) avec une ruse de…chacal (d’ailleurs c’est le titre d’un autre des romans de l’écrivain, et pas le surnom de Khan, l’antagoniste principal). Je n’en dirai pas plus, à part qu’il s’agit d’une attaque par les mers plutôt que par les airs – on connaît déjà, hélas. En revanche, la manière bourrin dont le roman se termine, avec le colonel Mike qui décidément en fait trop, a laissé le félin sur sa faim.

Dans le monde des agents secrets, inutile de vous rappeler que la méfiance est de mise. En particulier quand on se fait passer pour un caïd du terrorisme. Le héros a beau avoir une peau hâlée, parler parfaitement l’arabe et se remémorer à vitesse grand V le pachtoune (ou le pachto, sais plus trop), notamment comment prier dans cette langue, il n’en reste pas moins que le moindre détail de travers aura pour résultat un décollement de sa tête depuis le reste de son corps. Au moins on voit du pays : le lecteur en profitera pour avoir un aperçu relativement solide de la géopolitique de la région Afghanistan-Pakistan, des relations entre intervenants, que ce soient d’étonnantes alliances locales ou des problématiques menant, presque naturellement, à des actes d’une violence exacerbée.

…à rapprocher de :

– Le gros attentat qui fait bien mal m’a fait penser au début de Politika, de Tom Clancy. Ce dernier est moins sérieux il est vrai.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Les textes du TigrePendant quelques semaines, je croisais assez régulièrement la même personne dans ma ville. Jusqu’à ce que celle-ci disparaisse. Entre temps, cet individu a tellement creusé mon esprit que je me suis imaginé mille choses à son sujet. Voici un de ses avatars, librement conté certes, mais à mon niveau il faut bien égayer l’ordinaire.

Walkin’ in the white night

La première rencontre fut placée sous le signe de l’éthanol.

Ce fut un vendredi soir après un diner avec des amis. Dernière pinte pour la route habituelle. Puis l’ultime train qui passe par ma ville. J’étais pris d’un incontrôlable hoquet, me transformant en hipster hirsute rotant/hoquetant des mètres cubes de gaz houblonné – ce qui m’avait permis, au demeurant, de terminer le voyage seul dans le wagon. Tellement pété que j’avais attendu pendant 20 secondes que la porte du train s’ouvre automatiquement, me pensant encore dans le métro.

Autant vous dire que le trajet station/maison était laborieux. Heureusement que je le connais par cœur. Je fermais donc les yeux et me laissais emporter par la musique qui vrillait mes tympans, tachant de me rappeler de boire à l’arrivée un litron de flotte avec deux alka seltzer.

Étant donné que la route est légèrement sinueuse, je m’autorisais à ouvrir les yeux tous les vingt mètres. Au cas où. J’ouvrais les mirettes. Personne. Les refermais. Marchais yeux fermés. Puis vérification visuelle. Etc. Ce fut au bout de trois minutes de ce régime que ça se matérialisa devant moi. Je dessoulai en moins de temps qu’il ne faut à un homme politique pour dire une connerie :

La première chose qui me traversa l’esprit fut « nous y sommes, on va voir si mes six années de karaté vont me servir à quelque chose ». Ces deux secondes furent utilisées à des fins connement guerrières, comme évaluer la surgissante menace et chercher une issue de secours. Sauf que je ne distinguais qu’une ombre vaguement blanche, un magma énorme entre un baleineau albinos et un bibendum habillé. Le visage, dont j’étais infoutu de deviner les traits, était rond comme une couille dont les poils auraient été arrachés. Toutefois, le temps de correctement reprendre mes esprits, la forme blanche était hors de portée.

Cela s’était tellement passé vite que je me suis demandé si l’homme (car il ne pouvait que s’agir d’un être humain) n’était pas issu de ma fertile imagination. Néanmoins, je n’étais que peu sujet aux hallucinations – à part de régulières paralysies du sommeil. Pas le genre du Tigre.

C’est pourquoi, lorsque l’ébauche du commencement de l’idée d’aller consulter prenait peu à peu racine dans mon esprit, j’étais tout de joie quand je crus le voir à nouveau. Encore un début de week-end, la nuit tombait. Sauf que, contrairement à notre premier contact, je le vis arriver de loin. Il allait vite le salopiaud, aussi j’ai à peine eu le temps de le dévisager. Deux mètres cubes au bas mot, tout de blanc vêtu à l’exception de deux touches de couleur : des lacets noirs recouvrant des baskets immaculées et une casquette des 49ers de Frisco sous laquelle s’esquissait une calvitie très bien avancée.

Qu’est-ce qu’il avait l’air gentil. Un air renfrogné, certes, mais une candeur (voire une certaine simplicité) affichée malgré une trentaine bien tassée. Tel un benêt, je lui décrochais mon plus beau sourire, prêt à lui serrer les pognes, le prendre dans mes bras et le remercier d’exister. Hélas, l’Homme Blanc (voilà, je le majusculais) semblait incapable de suivre mon regard, je n’étais rien pour lui. Moi, un majestueux tigre, étais donc laissé en plan, au milieu du trottoir, désespérément seul. A peine si j’avais eu le temps de discerner les marmonnements lourdement extirpés de son gosier.

Depuis ce second (que j’espérais deuxième) abord, je faisais un peu plus gaffe aux piétons que je croisais et tâchais, même en revenant de soirée, de garder les yeux ouverts. Et ça a payé. La semaine qui suivit, j’entre-aperçus l’Homme Blanc dans une ruelle perpendiculaire à celle que je traversais. C’était un samedi après-midi, la forme blanche qui zébrait mon horizon me provoquait quelques frissons, je me sentais tout chose de le croiser, enfin, à la pleine lueur du jour. Je le regardais avec une intensité toute féline, avec une insistance à peine maîtrisée qui confinait à la gourmandise.

Ce fut sans doute trop pour Lui parce qu’il décida de changer de trottoir. Au moins je pus le voir de profil, et confirmer qu’il était presque aussi haut que large. Son tee-shirt – polyester, une telle extensibilité ne pouvait être l’œuvre d’un 100% coton – épousait son large estomac à la perfection, et ce avec classe : aucun débordement de panse ni bourrelets disgracieux qui se dessinaient, son ventre accusait une rondité toute sphérique sans faux plis. En outre, on ne pouvait que remarquer, de profil, sa marche déterminée, une volonté sans faille à tel point qu’une petite vieille avec son chariot rempli de victuailles s’était respectueusement écartée de l’imperturbable trajectoire de l’Homme Blanc. Quelle puissance de la nature pouvait de la sorte mater les petites vieilles ? Forcément un génie.

Ce mec était devenu une obsession. Il déambulait dans les artères de la ville rien que pour moi. Un éléphant rose personnalisé, un spectre de fin de soirée qui apportait une touche résolument fantaisiste à mon morne quotidien. Le gus était au centre de mes quêtes post-labeur, ce qui rendait passablement jalouse ma tigresse qui se demandait comment je pouvais rentrer du boulot, le sourire béat, alors que je n’empestais pas le parfum.

Car tomber sur l’Homme Blanc me ravissait, le plaisir était aussi pur que débusquer le dernier œuf de Pâques qu’avec mes cousins nous avions cherché pendant trois quarts d’heure. Dès que je distinguais une forme mate et candide au loin, mon cœur avait des ratés. Un réflexe de Pavlov s’était instauré dans mon esprit étriqué et me rendait fou dès qu’un individu white-dressed pointait le bout de son nez. Le genre d’affection qui vous empêchait d’aller aux fêtes de Bayonne à moins de terminer, terrassé par une quinzaine d’anévrismes successifs, la bave aux lèvres.

J’étais tant obnubilé par cet individu sorti de nulle part que, à l’acmé de ma dangereuse monomanie, je me mis souverainement à le baptiser. En fait, parler de « l’Homme Blanc » ne me plaisait guère. Trop commun, un ersatz de légende urbaine pour pétasses en manque de sensations. Mon personnage était bien plus que cela, il fallait que je lui trouve un nom à la mesure des sentiments que j’éprouvais – et pas un surnom cheap. Un être imposant, obèse, qui me snobait malgré mon air avenant ne pouvait être qu’un noble. Était-ce un duc, voire un prince ? Il semblait trop mal élevé pour prétendre à telle position dans la hiérarchie des sangs bleus. Au surplus, le territoire qu’il foulait de ses pieds était trop restreint pour représenter ne serait-ce qu’un comté. Non, mon homme blanc (sans majuscule) était un Baron.

Et pas n’importe quel baron. Puisque notre première rencontre était un vendredi, il ne pouvait que se nommer « Baron Vendredi ». Ouais, exactement ça : c’était mon Baron Vendredi. Dans le culte vaudou, le Baron Samedi est un esprit ultrasexué chargé, entre autres choses, d’accompagner les morts vers leur ultime chemin. Je ne vous instruits pas pour me la raconter, mais parce que je suis fan de 007, et dans un des films avec Roger Moore il s’agit d’un des ennemis.

Sauf qu’ici, à l’inverse du Bawon Sam’di, mon Baron me réveillait d’entre mon état de léthargie alcoolique et son aspect ferait débander une armée d’acteurs pornos en séance de repérage dans un bordel thaï. D’autre part, contrairement au commun des mortels qui cherche à tout prix à éviter le Baron, je souhaitais ardemment le voir, lui parler, l’écouter. Une fois, j’allais jusqu’à le suivre dans ses pérégrinations nocturnes. Hélas, le B.V. marchait vite, et il me fut d’autant plus délicat de rester derrière ses pas que j’étais pris d’une irrésistible envie de pisser. Le temps de me soulager, il m’avait semé. Chapeau bas l’artiste.

Mais ce qu’il devait arriver arriva. A l’instar de toute créature légendaire, le Baron Vendredi disparut.

Je ne le revis plus jamais. Et ce n’était pas faute d’avoir essayé. En effet, je l’ai cherché de longues heures durant, allant jusqu’à concevoir d’improbables itinéraires pour rentrer chez moi. Je prenais des rues jusqu’alors inconnues, abandonnais le bus pour chausser mes baskets les plus robustes, guettant comme un gueux myope la populace et espérant le croiser par un heureux hasard provoqué. Mais point de Baron Vendredi.

Toutefois, j’ai découvert grâce à lui des rues dont je ne soupçonnais pas l’existence. J’apprenais (ou réapprenais plutôt) les vertus de la marche à pied, entre insoupçonnés trésors de la cité offerte au public (le nombre de cartons en bois que j’ai récupérés pour ma cheminée…) et maisons à l’architecture créative (de la merde, souvent). Mieux, j’ai même perdu deux kilos à le quérir dans les brumes de ma cité. Les crampes dans les mollets se raréfiaient tandis qu’une peau plus dure (presque tannée) naissait de mon talon.

J’étais devenu, malgré moi, un randonneur hors pair. Mais ça n’a pas suffi.

Six semaines de bonheur entre la première et la dernière apparition, et puis zou, l’indélicat s’était volatilisé. A un tel point que je me demandais si je n’avais pas confabulé toute cette histoire, si je n’avais peut être pas pris mes désirs pour la réalité, habillant n’importe quel clampin en surpoids des lumineux oripeaux du Baron Vendredi. Me voilà donc dans la peau du petit vieux qui, dans sa maison de retraite, croit voir son petit-fils au loin chaque jour – alors que celui-ci ne se pointe qu’à Noël ?

Sauf qu’il a bel et bien existé.

Alors que je reprenais mes habitudes (et quittais la marche à pied), mon coiffeur m’a, par accident, donné la réponse. J’aurais préféré qu’il ferme sa gueule. J’ai eu un prénom. Une histoire. Une tristesse. Un violent retour à la réalité.

[La suite dans un autre billet en lien. Un texte qui peut se lire indépendamment du présent]

Martin Veyron - Executive WomanCitation : « aimer les femmes intelligentes est un plaisir de pédéraste » (Charles Baudelaire, tout simplement). Environ 7 histoires courtes qui se suivent grossièrement, et cherchent à illustrer la condition d’un couple pas comme les autres. Hélas, tout ceci sent mauvais la sueur et le labeur des années 80, la déception est totale face à cette chose pondue par Veyron.

Il était une fois…

Claire Hette-Michard (putain, rien que ce nom aurait dû m’alerter) est une femme d’affaires resplendissante (sauf lorsqu’esquissée de profil) dont le mari est attaché à la fonction de père au foyer – qui, entre deux monologues, cherche un emploi ou tente de tromper son épouse.

[ça va, on ne remarque pas trop quand je n’ai pas grand-chose à dire sur l’ouvrage ?]

Critique d’Executive Woman

Des saynètes de qualité médiocre avec lesquelles nul moyen de savoir où l’auteur veut en venir : cette bande dessinée ne présente strictement aucun intérêt. Sauf que comme je l’ai lue jusqu’à la lie, je me dois d’en parler. Enfin presque : « Cultiver son jardin », septième histoire, qui bascule dans un grand n’importe quoi avec un monologue à l’intention des Américains, n’a été que très partiellement terminée.

Difficile de dire ce que le lecteur va lire, car il s’agit d’un mash-up mal foutu d’historiettes de boulevard où interviennent tour à tour nos deux protagonistes, des collègues de travail, des inconnus de passage ou encore la maîtresse d’école du chiard. Tout n’est pas à jeter, par exemple la gueule des personnages qui tient globalement la route par rapport aux dialogues émis.

Sinon, question dessin, c’est fade. Aucun érotisme (alors que je m’y attendais plus ou moins légitimement), à peine les nanas à oilp suscitant un vague intérêt. A signaler la mise en couleurs d’une certaine Christine Couturier, mais alors de quelles couleurs parle-t-on ? De la palette de couleurs 8 kilobits, à peine 10 teintes (en comptant les primaires) vite oubliées ?

Les images et les dialogues, voilà le diptyque gagnant de ce que je nomme la « malédiction des années 80 », ou la résilience artistique néo-mitterrandienne (sans prise de risque) qui obère toute fantaisie, se contentant de mal parler du quotidien. Comble du mauvais goût, il y a le sempiternel gosse avec une répartie d’adulte, comme si le petit con, dont les parents sont sur le point de divorcer, avait tout compris à la vie. Mais oui.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Il reste toutefois possible de tirer une constante de Executive woman : le quasi mal-être de l’homme qui ne travaille pas, cantonné dans un rôle qu’il n’arrive ni à définir, ni à correctement remplir. Face à cette symbolique émasculation, l’époux continue à se comporter comme le dernier des salauds, espérant ainsi qu’une de ses couilles pousse plus vite que celles de son épouse. Le plus triste restant son incapacité à être un père aimé, l’enfant préférant visiblement sa maman.

Ce qui m’a surpris est la misogynie ambiante qui fait dire, par exemple, que gagner moins que sa femme vous octroie le statut d’untermensch de troisième zone. En fait, n’étant guère habitué aux œuvres de Martin Veyron, je ne sais pas dans quelle mesure il condamne (ou adhère) les comportements des individus décrits. D’un côté, l’auteur a l’air assez connu et drôle dans son genre, y’a moyen que ce soit du gros second degré qui tâche. Mais de l’autre, lorsque l’Echo des Savanes participe à ce genre d’édition, je me méfie un peu plus que d’habitude.

En fait, sans doute que cet objet graphique non identifié est l’équivalent des blagues potaches nullissimes de certains comiques du XXIème siècle et illustrées à la va-vite : quelque chose de passable à un moment bien déterminé, acceptable pendant un intervalle extrêmement court, puis destiné ensuite à allumer le feu de cheminée d’une maison de campagne.

…à rapprocher de :

– Ce genre de bouses publiées pendant que je ne savais pas encore lire (heureusement pour eux) me rappelle, non sans effroi, la BD Tous les chemins mènent au rhum, de Collaro. Dans tous les cas, y’a strictement rien à en tirer.

Collectif - Créatures AnthologieRecueil de nouvelles sur les choses bizarres de ce monde, c’est dans l’ensemble varié même si peu de textes se démarquent. Créatures imaginaires, bandantes pour certaines, d’autres tout bonnement repoussantes. De la SF, du fantastique, de l’horreur, du drame, y’en a pour tous les (dé)goûts. 

Il était une fois…

Dans cette plaisante anthologie, dix-neuf (non, pas vingt) textes ont été choisis par l’éditeur autour du thème des « créatures ». Easy job.

Critique de Créatures

A chaque fois qu’un recueil met en scène différents auteurs (avec autant de styles), je préfère les traiter un par un. Certes je n’expédie chaque texte qu’en une paire de lignes, toutefois cela permet à chacun d’avoir une idée de ce que je pense d’eux. En outre, c’est le meilleur moyen d’être lu par au moins 19 personnes qui, forcément, guettent avec anxiété mes bons mots – j’attends qu’elles changent de culottes pour l’occasion. Et ne venez pas pleurer à mes côtés, dites-vous que je passe plus de temps à parler de vous qu’à vous lire. Alors respectez-moi un peu, merde.

Le Chant des baleines, la nuit sous les étoiles (Luce Basseterre)

En l’an de grâce 2029, d’énormes animaux volants ayant un lien avec les cétacés font un petit happening sur Terre. Luce met à l’honneur le noble art des Gaikus, cette fois-ci plus contemplatifs que destructifs, dans un texte mi-amère qui n’est pas sans rappeler Robert Charles Wilson. Très correct.

Grand-veille (par Southeast Jones, toujours dans les bons coups celui-là)

L’évènement dont parle l’auteur est une sorte de revival d’un être humain remplacé par un clone – rien ne change, sauf l’enveloppe corporelle. Pas forcément délirant ou novateur (notamment le style), toutefois le final (la seconde partie) offre sa petite surprise qui donne à la nouvelle une dimension plus qu’appréciable. A lire rien que pour les dernières phrases.

Le Gardien (ouais, c’est mon pote Guillaume Lemaître qui l’a écrit !)

Etienne (ouais, comme la merde musicale de Guesch Patti), un jeunot puceau qui se fait gravement chier dans une pension, découvre par hasard une jolie boîte. Laquelle réclame du sang et le récompense en faisant apparaître des bonasses qui lui extirpent jusqu’à la dernière goutte de sperme. Mais il leur faut toujours plus de « nourriture »… L’aspect politico-pipeau-sociétal est inutile, mais le reste envoie suffisamment de pâté pour regretter que l’écrivain n’en ait pas fait une novella – l’écriture, soignée, l’aurait permis.

La Poupée (négligemment livrée par Dean Venetza)

Une poupée dans un magasin, un être de porcelaine à qui rien n’arrive. Mouais. Si le vocable est admirablement maîtrisé, j’ai trouvé le tout un peu court et incomplet dans l’ensemble. Lu en deux minutes, douche bukkake (pour rester dans l’esprit japonisant) comprise.

Crève-poitrine (pompeusement chiadé par Raphaël Boudin)

Histoire d’un serial-killer qui, au passage, bouffe les nibards de ses victimes. Me suis emmerdé à finir ce truc (j’ai même zappé des passages) qui fait appel à des notions de criminologie et autres poncifs sociologiques faussement scientifiques (à moins que…) destinés à être autant de caches-misère d’une narration décousue. Merde, j’ai eu l’impression de revenir à la fac. Désolé mec, n’ai vraiment pas accroché.

Crise in chrysalide (texte et jeu de mots foireux par Stéphane Croenne)

Un être naît, toutefois celui-ci ne correspond pas vraiment aux standards communément admis – c’est une putain de larve. Vu le titre, on sait à peu près à quoi s’attendre question déroulement de l’intrigue. Intéressant sur la question du refus de maternité et de la souffrance que peut ressentir un être ignoré, mais rien de plus dans cette narration attendue à la première personne.

Le Miracle de la vie (Morganne Caussarieu, je t’ai reconnu !)

Marie Durand, issue d’une famille ultra-catho, est en cloque. Elle devra accoucher, peu importe l’horreur qui sortira de son bide. Simple, efficace, relativement dérangeant, c’est court et relativement correct. Le Tigre ne s’attendait pas à une telle fin, aussi improbable que dégueu. Merci Morganne.

Zoomorphes (délicatement pondu par Pascale Bayle)

Un vieil homme passablement philanthrope (oui, un vieux con comme moi) a « récupéré » un être mystérieux qui ressemble plus à un piaf qu’à autre chose. L’histoire invraisemblable prend heureusement une tournure plus mignonne grâce à l’intervention d’un gosse qui donne à ce texte un aspect chevaleresque, presque de l’amitié à la Stephen King. Ça aurait pu être pire les amis.

Les Poupées brunes (Mathias Cannariato est aux manettes, le coquin)

Voilà le genre de pépites que j’affectionne particulièrement. Un mec lève une pépée dans un bar, laquelle revient chaque soir avec une copine qui lui ressemble trait pour trait. Lorsque la brune fatale qui recèle quelques doux secrets fait la gringue à un doux loser au vocabulaire libéré, le résultat n’est pas si mauvais. Une idée qui n’est pas sans rappeler L’incal, avec ce que ça comprend comme franc-parler. Bravo.

Vanessa (Vincent Tassy)

Quentin fait la rencontre de Vanessa, jeune fille à la peau presque translucide qui subit les mauvais traitements de ses vieux. Non seulement c’est long et sans grande surprise, mais en outre le lien avec le thème du recueil est salement tiré par les cheveux – il est plutôt question de la vision de l’enfant mâtinée de maltraitance.

Créatures de l’asphalte (Gaëlle St-Étienne)

Fée-Pochette est un clochard passé par l’Inde, « Troque Monsieur » une grosse femme qui donne beaucoup de plaisir aux hommes (pas une putain pour autant). Ce sont les créatures du bitume, ceux qui apportent une touche colorée à la ville morne où les gens se comportent en autistes. Encore un texte limite chiant, sans compter qu’à un moment faut s’en tenir un peu plus au thème principal non ?

L’Organiste (de Sébastien Parisot, un chouette gars qui me doit trois cosmopolitans)

Un joueur de pipeau change à jamais la face du monde, tous les membres des Humains se désolidarisent. Les Yeux, Poumons, Rates, etc., tous mènent leurs propres existences après avoir buté les quelques « entiers » restants. Bonne idée usée jusqu’à la moelle, Parisot nous abreuve de ses bons mots jusqu’à l’écœurement – c’est trop. Sous couvert d’un certain n’importe nawak assumé, allégorie à peine cachée de la politique et de ses travers, voire du principe de vivre-ensemble.

Lou carcholh (Laurent Pendarias, je te connais toi non ?)

Le carcholh est un escargot géant qui mène sa vie pépère dans les forêts de Gascogne. C’est d’ailleurs le narrateur de cette mignonne (quoiqu’un peu fade) historiette sur la manière dont il voit son environnement. Pour une fois que le lecteur vit dans l’esprit d’une créature sympathique, montrant une certaine façon l’art de créer des légendes locales.

Manuel d’observation à l’usage des amateurs de rouge gorge (by Marie-Anne Cleden)

Un mec se fait mordre par un rouge-gorge, et se transforme de temps à autre en ce ridicule piaf. Parallèlement, Robin (son prénom, très logiquement) rencontre une jeune fille qui lui plaît fortement. Mais comment gérer ses transformations ? Écriture légère et plaisante, sertie d’un scénario mignon qui termine en eau de boudin, bref tout ça ne mange pas de pain (ou d’araignées, hé hé).

XXL (gazouillé par ce bon Mathieu Flux)

Un homme, doté d’une énorme bite, découvre les avantages de bosser dans le porno. Un terrible engrenage s’installe (zoophilie à la clé) et qui le contraint à repousser les limites de son engin qui prend des proportions dantesques… Le principe du mâle dominant qui en veut une toujours plus grosse est, de la part d’un auteur, finement traité, avec une pincée d’humour bienvenue. Sympa.

S’élever au dessus du bitume.. (Anthony Boulanger)

Bof. Bien trop bref, sujet bancal (je ne spoilera pas), intrigue qui arrive aussi grosse qu’un régiment d’éléphants boulimiques, ce fut loin d’être le panard.

Un Heureux évènement (de Sébastien Parisot ? Encore ?)

Un couple débarque chez un gynéco, lequel trouve bizarre que ce soit l’homme qui répond à toutes les questions, comme s’il était enceint… Qui, du toubib ou des patients, est dans la normalité ? Assez bizarre en fait. On sent l’écrivain (je suis gentil sur ce terme) qui est docteur à ses heures perdues. Heureusement qu’on se laisse facilement porter.

Corps Étranger (droppé en toute simplicité par Thomas Baronheid)

Mouais. Un lycée sous l’emprise d’une force E.T. aux relents d’insecte, un vocabulaire volontairement « djeune » qui finit par gaver, sérieusement on dirait le scénar’ d’un tee movie de douzième zone passant en seconde partie de soirée. Même pas le temps de flipper, sans compter que les personnages, interchangeables, ne me parlent guère. Pas mon genre – même si ça se décante sur la fin.

Cagliostro (mystérieusement déposé par Olivier Caruso)

Ces dernières pages m’ont surpris. J’ai bien cru, au début, que j’allais salement m’ennuyer tellement le style de l’auteur, fantastico-ampoulé, est lourd à suivre. Mais il se dégage une certaine poésie dans la lutte contre un mage qui fait se baigner les gosses dans du sang de baleine (voui). Cela ne m’a pas laissé indifférent, en moins de six pages j’ai très vite changé mon point de vue sur cette nouvelle.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Qu’est-ce qu’une créature ? D’après ce que j’ai lu, c’est plus ou moins malveillant, souvent multiple, ça grouille de partout et ça fait peur. Peu d’exemples d’êtres qui s’élèvent au-dessus de l’Humanité (à la rigueur, la monstruosité interpelle, en bien, un seul protagoniste), la créature inquiète par défaut. Si celle-ci est multiple, alors il y a de quoi s’inquiéter. Encore plus si elle est séduisante – le cul se mélangeant rapidement au dégout.

Le second thème me semble bien être les joies (hum) de la maternité et, plus généralement, la trouille de mettre bas quelques horreurs. Entre une ribambelle de fœtus aspirant le bide d’une jeune mère à des gosses informes qui ne demandent qu’à s’épanouir (littéralement), j’ai trouvé cet aspect certes marrant car glauque, mais hélas fort redondant.

…à rapprocher de :

– De cet éditeur, il y a également l’anthologie Robots, qui est plutôt convaincante.

– Sinon, le principe des « créatures » n’est pas sans rappeler une autre anthologie, chez la maison des Artistes Fous Associés, de Sales Bêtes.