Un détective alcoolo et peu reluisant doit traverser une zone belliqueuse en vue de libérer une otage – qui, au passage, ne sert à rien. Accompagné d’un journaliste empêtré dans un métier pourri, Canardo ne sera pas au bout de ses surprises : les anciens protagonistes font leur apparition tandis que la bêtise humaine se montre sous son plus beau jour. Vive la guerre.
Il était une fois…
Le paysan, plus son malheur est grand, plus il est taiseux. Et le porc vendant des céréales avariées au no man’s land et dont la fille a été kidnappée en est un bel exemple. A peine il explique son cas qu’il fait la tronche parce qu’un pauvre journaleux, attiré par la belle Cadillac du détective Canardo, a vent de l’affaire. La fameuse Cadillac, qui consomme plus que le héros, lui permettra de voyager d’un monde à l’autre, et même de négocier avec les plus grands.
Critique de la Cadillac blanche
Sixième opus des pérégrinations du nonchalant Canardo, et le rythme reste globalement satisfaisant. Nul besoin d’être fin connaisseur de l’univers du héros, même si les rencontres de personnages d’antan (Clara, le lapin flic, ou encore la délicieuse Carmen rencontrée dans l’album précédent) restent des clins d’œil qui se laissent apprécier.
Un fil directeur ici : la recherche d’une gosse ignare prisonnière d’une faction armée qui sévit, parmi tant d’autres, dans une région en plein conflit depuis Mathusalem. Notre héros remonte lentement le fil, néanmoins ses recherches l’amènent à découvrir tout un univers surprenant tournant autour de cette guerre. Et le scénario s’épaissit. D’abord, une ville qui tient à la fois du Sarajevo (pour les tueries aveugles et la notion de siège) et d’une île française (dont je tairais le nom) par la multiplicité de ses factions de combat.
Ensuite, il y a le brave Klapov, journaliste de son état qui végète comme un gland dans un village où les seules informations à publier concernent la disparition du chat de la voisine. Klapov est niais, gentil, ne tient pas l’alcool et est limité question répartie. Mis à part la sympathie qu’on peut éprouver, tout l’oppose à Canardo, Le journaliste évoluera progressivement au fil des pages, jusqu’à faire montre d’initiative et de courage, avec ce qu’il faut d’opportunisme pour tirer son épingle du jeu. Enfin, énième rencontre avec Carmen, jeune femme devenue séduisante en diable, mais victime et surtout participante d’une boucherie à ciel ouvert.
Le tout étant serti d’un humour presque malsain, sur le ton badin de la normalité, portant sur des actes plus ou moins glorieux de l’Homme (ici, des animaux anthropomorphes) en période d’intense conflit. Ce décalage entre les enjeux (de vie et de mort) et la rengaine de « la vie continue » est constant, que ce soit un match de football en fond sonore pendant l’aventure ou l’existence des journalistes, gentiment parqués dans leur hôtel de luxe au milieu d’une ville à feu et à sang – quant à l’otage, son cerveau s’est fermé à toutes les nouvelles choses vues, son paradigme ne pouvant prendre en compte ce qui se passe au-delà de la rue où elle habite.
Bref, encore un tome à lire, assez noir sur le ton, mais revigoré ici et là par des illustrations plus que correctes. Les visages des animaux/personnages trahissent rapidement les caractères, le lecteur saura rapidement à qui et à quoi il a affaire, sauf en ce qui concerne le lieu de l’action – on passe du désert à la ville, des geôles moyen-orientales à l’opulence occidentale le temps d’une balade en voiture. Au surplus, toujours le quatrième mur qui est parfois tranquillement brisé – on s’y fait.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Amusant comme Sokal sort quelques « clichés » sur les conflits tels qu’on les voit à la télé pour les appliquer à une zone de tension au beau milieu d’une campagne qu’on devine aisément occidentale. Avec les mêmes vautours qui rôdent. Des tireurs embusqués prêts à canarder pour un oui ou pour un non, jusqu’à oublier les raisons de leurs combats – rien que le mec qui attend l’heure de départ des hostilités tel un fonctionnaire qui ne peut commencer avant l’horaire syndical… Les nombreux individus qui ont tout à gagner et profitent largement de la situation, que ce soient les participants à une curieuse « école de guerre » où tout le monde vit en paix pour mieux apprendre à tuer (sans compter les vendeurs d’armes) ou des soi-disant terroristes désireux de faire parler d’eux.
Comme souvent dans les aventures canardesques, le journalisme en prend gentiment pour son grade. Ici, les deux extrêmes de ce métier montrent leurs plus jolis travers. Déjà, le journalisme consistant à ne titiller que les instincts primaires des masses : les jeux (ici, le football) et le sensationnel sans pour autant élever l’esprit aux problématiques qui dépassent le canton (le journalisme de clocher). Tout ceci personnifié par l’employeur de Klapov, un rédac’ chef d’un journal juste juste assez bon pour emballer le poisson. De l’autre côté, il y a le grand reporter, celui dans tous les bons coups et qui n’hésite pas à profiter de sa notoriété. L’immense Ballingway est parfait dans le rôle du reporter reconnu qui fait autant plier les rédactions que les femmes, et parvient par s’octroyer la blanche Cadillac d’un Canardo qui ne peut faire le poids (si le nom du personnage vous rappelle un correspondant de guerre U.S., c’est normal).
…à rapprocher de :
– Pour l’instant, et avec le même héros, Le Tigre peut vous entretenir, dans l’ordre, de : Noces de brume (ai moins aimé) ; L’Amerzone (un classique) ; Marée noire – une de mes préférées, sans doute parce que plus récente. D’autres Canardo arriveront sur le présent blog.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette BD en ligne ici.
Gregory Mion nous emmène au pays de l’Oncle Sam, là où tout n’est qu’’excès (grandeur et décadence) et opportunités. En cinquante courts chapitres (un par État fédéré) soigneusement rédigés, ce sont plusieurs personnages aux destins imbriqués que le lecteur suivra – destinées dramatiques, drôles, et parfois extraordinaires. De la production du maïs aux orchestres symphoniques, bienvenue dans un monde où l’individu ne s’appartient plus.
Sous-titre : Baroudeur. Dans un pays soumis à des menaces aussi diverses que terribles, il est un surhomme auquel les pouvoirs publics font automatiquement appel. Car Brit est invincible et tape avec une régularité de métronome sur qui d’un E.T., qui d’un manipulateur mental, etc. Alors, forcément, quand il semble saigner du nez, ça fout les jetons à ses employeurs qui veulent à tout prix préserver son don…
[avec la préface du Docteur Georges Duhamel, s’il-vous-plaît]. Rien que le titre présage d’excellents moments de convivialité. La bière, c’est bien. Avec modération certes, mais n’importe quel élément de la population (du nourrisson au vieillard) y trouvera son compte. Voici l’ouvrage parfait à lire à une audience passionnée durant de longues soirées d’hiver.
Sous-titre : La vraie vie [oui, parce qu’en ville, on ne vit pas réellement ]. Lorsqu’un citadin pur et dur quitte Juvisy pour s’installer dans la campagne dite profonde, l’acclimatation promet d’être aussi délicate que marrante. BD épurée mais complète sur les affres du changement, avec en prime quelques moments d’une rare émotion.

J’ai fait un rêve marrant cette nuit. J’ai rêvé que le pays était à feu et à sang. A cause d’une idée que j’avais eue et qui a été appliquée par magie. Au fur et à mesure que celle-ci prenait forme, elle était mise en œuvre. L’idée ne me semblait pas vilaine au premier abord, mais elle a tout fait péter. Et plutôt bien. Voilà comment.