VO : Void Trilogy. Plus de 2.500 pages de SF, et Le Tigre n’a pas vu le temps passer. Manipulations en tout genre, armadas de vaisseaux prêts à se foutre sur la gueule, tout cela pour une poignée d’intervenants aux pouvoirs surprenants. Hamilton est parvenu, après une saga déjà excellente, à pondre une trilogie qui semble aller encore plus loin.
Il était une fois…
Vide qui songe : le fameux Vide est un trou noir massif d’origine artificielle et construit il y a fort longtemps. En 3320, Inigo (un colonel du Commonwealth débarqué sur une planète proche de la zone) a fait un rêve au sujet du contenu du Vide, un monde fabuleux où les lois de la physique sont quelque peu différentes. Moins de 300 ans après, la secte « Le Rêve Vivant » souhaite faire un pèlerinage dans ce trou noir qui semble être en expansion. Tous les intervenants fourbissent leurs stratégies et armes pour aider / empêcher ce voyage.
Vide temporel : le pèlerinage avance bon train, sauf qu’un Second Rêveur (après Inigo) fait des siennes dans le Champ de Gaïa (sorte d’ionosphère quantique pour partager les émotions). Si on ajoute les Osciens fermement décidés à stopper les pèlerins, et la Marine du Commonwealth qui se fait botter le cul par un vieil ennemi, comprenez le malaise. Parallèlement, on en apprend plus sur Edeard, le héros du Vide dont les pérégrinations montent en puissance dans la ville de Makkathran.
Vide en évolution : on y est, le bordel est presque complet. Une faction du gouvernement numérique humain crache dans la soupe, jusqu’à enfermer le système solaire dans un champ de force impénétrable. Et que dire de tous les adeptes qui brûlent d’atteindre la complétude et aller au cœur du noyau du Vide ? Chaque protagoniste lâchera sur le tapis ses dernières cartes, pendant ce temps Edeard agit comme un demi-dieu sur la planète Querencia.
Critique de la Trilogie du Vide
Magnifique. Tigre a encore hésité à résumer les trois bouquins en autant de billets, mais pour de telles sagas autant dépasser mon cahier des charges de 1.000 mots et livrer tout d’un bloc. Peter F. Hamilton a encore fait montre d’ingéniosité pour concevoir un monde cohérent et d’une rare violence.
Pour planter le décor, il faut savoir que cette trilogie se passe quelques centaines d’années après La saga du Commonwealth (en lien à la fin de billet). Le Commonwealth s’est plutôt bien remis de la guerre contre l’Arpenteur et on retrouve certains personnages de cette époque (la flic Paula Myo, la dynastie Brunelli) tandis que d’autres sont presque passés au statut de demis-dieux (« Par Ozzy ! » étant une expression du langage courant). Seulement un nouveau problème surgit, et comme la barrière de Dyson qui cachait les vilains Primiens on ne sait pas trop ce qu’il y a derrière le vide.
La technologie a correctement évolué, et l’humanité se décompose en plusieurs groupes. « Naturels » ; multiples qui ont plusieurs corps pour un même esprit ; branche avancée (améliorations partout) ; culture branche haute avec des bioniques de belle facture, armés comme des porte avions, ceux-ci étant destinés à terme à quitter leur enveloppe corporelle pour s’installer dans un monde numérico-quantique. Les combats entre vaisseaux sont souvent imbitables, mais entre humains ça dépote gravement avec les champs de force, exovisions en mode « fight », activation de logiciels stratégiques, programmes pour pirater les bioniques de l’ennemi, etc. Une vraie réjouissance. Avec, comme point d’orgue, la recherche de la transcendance.
La problématique de l’œuvre est le Vide, univers auto suffisant et se pensant unique vis-à-vis duquel quelques happy fews (trois à peine) rêvent la vie d’un de ses habitants. Avec Hamilton, la beauté et le rêve sont souvent associés à un « mais » de grande envergure. Car à l’instar d’un Ilium de Dan Simmons, on ne met pas long à s’apercevoir que les fabuleuses propriétés de cet univers ne sont pas sans terribles dangers : cet immense et antique espace bouffe de l’énergie en avalant les systèmes avoisinants. Si les moyens pour trouver une solution m’ont scotché, les trois cents dernières pages sur la résolution du conflit ont été hélas décevantes (comme lors de la guerre contre les Primiens dans la précédente saga).
Comme toujours dans les longues sagas de l’Anglais, on pourra déplorer le nombre de protagonistes principaux qui dépasse la quinzaine. Au moins, dès le premier opus, on les connaît tous. Le lecteur suivra pas mal d’individus aux objectifs et états d’esprit différents, que ce soit un scientifique travaillant pour une faction ou un militaire tout bien galonné, une tueuse qui se nomme la Chatte (miam), en passant par un agent spécial qui ne sait rien de sa mission (sinon que son cerveau lui indique de nouvelles choses à faire dès qu’une étape est passée). Souvent j’ai attendu une page pour me remémorer le cadre narratif, ce qui est parfois ennuyeux quand on a le même narrateur sur à peine cinq pages avant d’en changer.
Heureusement que l’auteur a su proposer quelque chose de nouveau grâce à une partie de récit très « fantasy ». L’histoire de Celui-qui-marche-sur-l’eau, disséminée grâce aux « rêves d’Inigo », est réellement fabuleuse. Le Vide étant un univers où les lois de la physique sont différentes, c’est l’esprit qui est le maître des lieux : « troisième main » qui est de la télékinésie ; modifications génétiques des animaux (les fameux génistars) ; mythes relatifs aux premiers habitants descendus du ciel (on devine les premiers colons à avoir traversé le vide), on va même jusqu’à gravement titiller le voyage dans le temps. Edeard a un talent certain et son évolution dans ce lieu mi-moyenâgeux mi-héroïc fantasy prendra une tournure de quête épique. Une épopée, notamment lorsque de l’autre côté du Vide les habitants font de nombreuses références au héros.
Sur le style, bah c’est toujours sacrément long. Blague à part, j’ai trouvé les descriptions peu chiantes et presque nécessaires pour s’immerger dans les différents mondes visités. Néanmoins les derniers chapitres m’ont paru être rédigés à la va-vite, on sent que Peter voulait vite en terminer. Sinon, ça fourmille de bonnes idées et quelques révélations finales (je m’y attendais un peu, du moins je savais qu’Hamilton allait traiter ces sujets) valent le coup de terminer les trois tomes. Les nombreux happy ends de la fin, résolument optimistes, laisseront une impression de légèreté assez inattendue. Pour conclure, encore une jolie claque de SF/Fantasy.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Corollaire de ce que le génial Ozzie (devenu « ami des Silphens », c’est important) a découvert dans un autre cycle de l’écrivain anglais, il est possible dans le futur décrit de partager ses émotions via le fameux « Champs de Gaïa ». Ajouté à l’unisphère (sorte de super-internet où son ombre virtuelle peut se balader), ce Champs permet une empathie accrue entre les membres de l’espèce humaine. Hélas, en partageant le rêve qu’il a eu de la vie qu’on mène dans le Vide, Inigo a corrompu l’idée d’Ozzie : le Champs de Gaïa était censé éviter les conflits en obligeant les individus à se mettre à nu, contribuant ainsi à l’émergence d’une espèce où la confiance serait totale. Sûrement pas à mettre en place une nouvelle religion.
Dans cette saga, on aura peu de contacts avec l’I.A. classique (sauf vers la fin) puisque le « gouvernement » du Commonwealth s’est quelque peu robotisé. En fait, il y a maintenant l’ANA (Activité Neurale Avancée), sorte de melting-pot de tous ceux qui ont bien voulu charger leurs esprits dans cet endroit numérique. Le gouvernement n’est alors que la somme des esprits téléchargés, ces derniers s’organisant selon leurs sensibilités politiques. Les difficultés qui apparaissent chez nos héros sont avant tout le résultat de terribles luttes de faction qui peuplent l’ANA.
Et oui, grâce à ces guerres larvées le début du troisième tome démarre sur les chapeaux de roue. Sans spoiler, une des factions décide de foutre la merde, et y parvient au-delà des espérances du lecteur. La structure globale n’est qu’une démocratie de façade, il ne se passe que très peu de temps avant que les leaders d’autrefois émergent.
L’existence d’Edeard (une cinquantaine de rêves) est digne d’un grand roman d’apprentissage d’un gosse de la campagne qui finit héros de toute une planète. Pour arriver jusque là, le protagoniste va pas mal souffrir. On est extrêmement loin des contes Disney, en effet la ville où séjourne le héros est en proie à une corruption terrible et acceptée de tous. Certains antagonistes sont réellement flippants, que ce soient de puissantes mafias ou des canons de beauté manipulant à distance le cerveau primitif. « Pour faire le bien, il faut parfois faire le mal » revient souvent, et le lecteur se surprendra à comprendre les motivations de l’ennemi et comment la croisade du héros est excessive. Quand, bien plus tard, Edeard remonte à plusieurs reprises le cours du temps afin d’éviter les erreurs passées, la tristesse est presque infinie.
[Attention thème SPOIL] Tigre est tenté de vous expliquer quelques révélations qui en laisseront plus d’un sur le cul, toutefois je vais plutôt me concentrer sur le principal : si Inigo s’était réfugié dans un endroit caché et n’avait pas partagé son dernier rêve, c’est que celui-ci est franchement dérangeant. On y voit un descendant d’Edeard, capable de voler et au savoir infini. Cette « entité » se félicite du glorieux passé, toutefois il semble qu’il n’y ait rien à découvrir. L’ennemi total, au final, est tout simplement l’ennui, la perte d’élan vital (par autosatisfaction) qui empêche de se créer un avenir. [Fin SPOIL]
…à rapprocher de :
– Comme je le disais, au risque d’avoir quelques références qui vous passent au-dessus du ciboulot, je conseille de lire La Saga du Commonwealth d’abord. Entre Ozzie, Oscar, les Burnelli, Paula Myo qui reviennent, ça évitera d’être largué.
– La Grande Route du Nord (tome 1 et tome 2 sur le blog) est également une quasi réussite, même si les ingrédients de l’auteur n’ont pas changé – l’efficacité reste presque au rendez-vous.
– A la limite, l’histoire seule d’Edead aurait pu constituer un magnifique roman, puisqu’on suit ce héros de sa jeunesse jusqu’à sa mort (d’un chapitre à l’autre, il peut prendre 50 ans dans la gueule). Et ça fait penser au Tigre que, pour l’instant, seul Terremer m’avait passionné en terme de fantasy.
– La fin de La Tour Sombre (Stephen King) reprend quelques éléments de l’existence d’Edeard, c’est assez surprenant.
– J’en parlais rapidement, dans Ilium (suivi d’Olympos) de Dan Simmons, des « dieux » qui s’amusent à faire péter les voyages quantiques foutent une merde pas possible dans la galaxie. Le bonheur a ses limites.
Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ces romans (tome 1, tome 2 et tome 3) via le net en lien.