J’ai eu une révélation : pendant les vingt premières années de ma vie, j’ai vécu sous deux (oui, seulement 2) présidents de la République. Non seulement ça m’a interpellé, mais tel un vieux con en devenir j’ai envie de gueuler. Certes il faut mieux s’esbaudir devant les bonheurs qui nous entourent, toutefois je n’y parviens pas toujours.
A toi qui a squatté ma petite lucarne
Salut copain,
Désolé de t’invectiver de la sorte, j’espère que tu n’es pas en train de déjeuner tranquillement avec ta bourgeoise (ou une journaliste, mais tu vas me dire que c’est la même chose) et que tu es en train de lire ton fil d’actualité où, par un heureux hasard, le présent article t’a sauté à la gueule.
Mais je manque à tous mes devoirs. Je te prie de bien vouloir m’excuser – c’est dingue, tu vois l’effet que tu me fais : à peine deux paragraphes que je suis en train de te sucer le boule en implorant ton pardon. Je me dois de me présenter : Tigre, né au milieu des années 80 à Paris, de nationalité française, éducation moyenne, culture moyenne (jusqu’à ce que je découvre l’existence d’une bibliothèque municipale au coin de ma rue), famille heureuse, pas de gros traumas à signaler. Bref, quelqu’un de normal que tu ne connais pas.
En revanche, moi, je te connais bien. Intimement même. En fait, j’ai grandi avec toi. Ta voix à la radio a bercé mon enfance. Gosse, lorsqu’il m’arrivait de tomber sur les infos quotidiennes (par erreur, je cherchais les dessins animés), tu étais là. Je devais te supporter, au jité du 20 heures, quand mes darons découvraient l’état du pays, de l’Europe (pourtant tu t’en fous), du monde. Ta présence dans mon champ visuel et auditif était alors synonyme de solennité, et rimait avec gravité. Presque un recueillement. En quatre mots comme en cent : tu étais un boss. Ou cherchais à l’être.
« So what ? », je t’entends dire. Nous y venons.
Je voulais t’annoncer que quelque chose me turlupine depuis des années, sans que j’arrivais à mettre la griffe dessus. Tu dois connaître ce genre de malaise, non ? Quand tu regardes un film historique et que, subtilement, tu pressens l’existence d’un anachronisme. Un artefact qui n’a rien à foutre là, des dialogues en décalage, voire le doux ronronnement qui annonce un air de déjà-vu, un gag couru d’avance. Pour ma part, je crois avoir trouvé ce qui cloche : tu es toujours là.
Tout d’abord, sache que ma première prise de conscience du terme « politique » et de ce que ça pouvait impliquer date d’avant mes dix ans. Et ça m’est venu, comme beaucoup, par la famille et mes copains. On connaissait les noms des leadeurs des partis, leurs idées nous étaient grossièrement esquissées, et votre bouille faisait partie du paysage. 20 ans après, je te voie toujours faire ta pute face aux caméras et courir le gui doux auprès des électeurs. Mais comment est-ce humainement possible ? Où sont non pas ceux de ma génération proche, mais les trentenaires/quarantenaires qui ont de l’avenir ?
Tu es alors tenté de me répondre de me sortir les deux doigts de mon derrière pour prendre la relève. Tu n’as pas complètement tort, je suis nullement impliqué dans la chose publique (la fameuse res publica), mis à part glisser un bulletin dans une urne avec la même morgue que je glisse ma langue dans celle de ma tigresse avant de partir au taf. Pire, je ne me mobilise que lorsque je me sens directement visé. L’égoïsme contemporain.
Mais, à bien regarder les moins vieux qui se démènent, j’ai bien l’impression qu’une partie de ta carrière consiste à tout faire pour qu’ils restent à leur place – c’est-à-dire tous derrière toi comme le petit cheval blanc. Il faut convenir que la régularité avec laquelle tu as brutalement élagué les jeunes pousses force le respect. L’animalité du procédé est frappante, néanmoins chez Mère Nature (la vraie) le vieux lion se fait plus rapidement dégagé manu militari.
En outre, je n’ignore pas que faire de la politique est une gageure. Tu acceptes d’être en première ligne et d’en prendre plein la gueule tandis que tes administrés crachent tels autant de Chinois face à leur écran de télévision plus qu’ils ne t’acclament lors de meetings. Je sais que c’est un métier, qu’on ne part pas la fleur au fusil en voulant tout changer et que tout n’est que compromis. On a tous, à un moment ou un autre, appris que les nobles idées se heurtent rapidement à la réalité. Plus que tout, l’Histoire, cette belle salope, n’inscrit dans ses petits papiers que ceux ayant eu une carrière nationale complète, à savoir avoir atteint le but ultime. Le tout haut.
Ensuite, parlons-en du haut. Le poste suprême. Tu as beau faire tes petits ronds de jambe et glousser comme une vieille conne quand les journalistes t’en parlent, toutefois personne n’est dupe : tu désires ardemment poser ton royal séant sur le fauteuil présidentiel et ne rêve que d’une suite de concours de circonstance (qui d’un adversaire en prison outre-atlantique, qui d’une série de sondages fort favorables) t’autorisant à envisager de fouler la cour des Grands. Et là, il faut reconnaître que tu te donnes à fond. Putain, tu vends tellement de rêve, de droite comme de gauche, tu t’escrimes comme un beau diable que j’ai la conviction qu’il ne te reste plus de jus quand tu es enfin parvenu à représenter le pays.
Rien que les réjouissances post-électorales dont tu fais montre me font gerber. Discours lénifiants, félicitations de rigueur, on dirait le capitaine d’une équipe qui vient de remporter le trophée ultime. Alors que le match n’a à peine commencé – et que les dopants ne font plus effet.
A propos de dopage, je t’ai plus d’une fois pensé drogué, et me demandais sérieusement à quoi tu pouvais bien carburer. Parce que ce que tu prends, c’est de la bonne. Parvenir à te lever à 5h pour démarrer sur une matinale à l’heure où le Français moyen prend sa voiture, cavaler comme un cinglé la matinée sur les marchés de ta ville, déjeuner avec le préfet, puis une petite commémoration avec quelques croulants qui ont un pied dans la tombe (et écrivent avec l’autre), pour enfin diner avec quelques individus de la pétillante société civile, tout ça pendant des années ininterrompues. Je t’admire. Peut-être que la réponse est finalement simple : ta came, c’est le pouvoir. Celui qui permet de ne pas s’inquiéter pour son avenir pour mieux s’occuper de celui des autres. Une forme de philanthropie de bon aloi mais dont l’exercice est conditionné au maintien de ton statut d’homme politique.
Mais tu sais ce qu’est le pire ? Ce n’est pas lorsque tu atteins le précieux sésame et que, tel un patriarche peureux et imbécile (j’ai même écrit un exemple ici), tu n’en fous pas une. A la rigueur, je peux facilement imaginer à quel point tu as les mains liées par des considérations auxquelles tu n’osais même pas penser (genre rembourser la dette tout en évitant une guerre civile prête à péter).
Non. Le fin du fin, c’est quand tu n’as pas l’air de comprendre que la populace ne veut plus entendre parler de toi. Tu dégustes tôles sur tôles…et cependant continues à te présenter, à sourire devant les caméras en prétendant avoir entendu le message de tes compatriotes. Tu es un génie de la persévérance, à croire que « quitter » la politique n’est pas programmé dans ton logiciel de campagne – très rares sont ceux qui lâchent l’affaire, qui d’un exil sur une île, qui d’un abandon car sachant que leurs idées n’ont que peu d’écho dans l’Hexagone.
Dans toutes les démocraties « normales », quand un mec (ou une femme, n’ayons pas peur des mots) se mange un joli râteau, bah il se retire et laisse la place à ses potos. Souvent, ses mêmes « amis » ne lui laissent pas vraiment le choix, notamment si son parti politique fonctionne à peu près correctement. Pas chez toi. Je ne vais pas citer de nom, mais dans mon pays y’a un corniaud, ni à droite ni à gauche (enfin ça dépend des jours), qui est à la tête de son petit parti depuis que je suis tout gosse. Ça m’inquiète d’autant plus qu’il n’a pas l’air de vieillir.
Attends attends, on me susurre à l’oreille qu’il existe quelque chose de plus infâme encore. J’ai peine à y croire. A moins que…oui, ça me revient. Tu connais l’histoire de celui qui, une fois Président, veut absolument le redevenir pour terminer (je dirais commencer) le boulot qu’il s’était pompeusement assigné ? Un vrai chiard privé de son jouet qui gueule comme un putois pour revenir sur le devant de la scène, just a fucking last time. Ouais, si je parle anglais, c’est que ses adversaires le surnommaient « l’Américain », sauf qu’il n’a rien d’un Amerloque. Outre atlantique, celui qui ne perd QUE les primaires retourne dans sa maisonnée et ferme sa grande gueule pour le reste de ses jours.
Non, tu n’es hélas pas de cette race. Toi, tu es un seigneur, l’Homme providentiel que la Nation désire inconsciemment de toute son âme. Heureusement que tu es le potentiel roi qui la mènera vers un nouvel âge d’or à côté duquel le règne de ce gros Louis XIV n’est qu’une insignifiante mandature dans un village du Schleswig-Holstein. L’Élysée n’est pas un palais pour rien, n’est-ce pas ?
Merde, c’est l’heure. Ai déjà atteint un nombre indécent de mots dans ce billet. Du coup, je n’ai guère envie de m’entretenir avec toi de l’état dans lequel tu as laissé ton pays. Après tout, nos parents (et moi, dès le milieu des années 2000) ont constamment voté pour ta gueule et celle de tes « collègues » qui relèvent plus de compagnons de beuverie que d’adversaires politiques. C’est donc de leur faute. Ouais, si je veux te tuer, il me faut également tuer le père.
Comme tu t’en doutes, je n’en ai aucune envie.