Serge Cazenave-Sarkis - Avant termeUne dizaine de nouvelles d’un glauque assumé qui dépeint l’âme humaine en une teinte noir de jais, miam. Heureusement que cette compilation se lit à la volée, car la compréhension est parfois délicate à saisir. Même s’il ressort de la prose de Cazenave-Sarkis une intrigante beauté. En attente de confirmation de son talent. 

Il était une fois…

Petit copier-coller éhonté du quatrième de couv’ par votre serviteur ici :

« C’est d’abord un orphelin qui ne sait pas comment vivre, puis un homme qui ne cesse de mourir et de renaître ; c’est ensuite un enfant qui a grandi trop vite, et d’autres disparus trop tôt ; ce sont enfin des voix obsédantes, des visions de cauchemar, et un artiste que l’art n’intéresse plus : le tout forme ces onze histoires singulières, récits de rencontres avortées, de morts précoces et de trajectoires interrompues, où le temps brusquement s’arrête et les souvenirs demeurent scellés par le sang et la pierre. »

Critique d‘Avant terme

Voilà un bouquin comme je les aime ab initio. Couverture qui annonce la couleur, aucune prétention particulière si ce n’est divertir, une centaine de pages à lire en moins d’une heure, et la promesse de contempler quelque chose de relativement inattendu. Pour un premier livre reçu de la part de d’un éditeur indépendant, ça aurait pu être nettement pire. Car sur onze textes, y’en a au moins cinq qui m’ont particulièrement ravi (mes préférés étant Le Cube et Les Chenilles).

Ce qui est délicieux, avec Serge Cazenave-Sarkis (SCS par la suite), reste la polyvalence de sa façon de raconter ses histoires. Car la délivrance narratoire est variée (oh putain ne viens-je pas inventer un adjectif ?), entre texte intimiste et analyse plus objective. Certes l’utilisation de la première personne est la norme, toutefois les situations et maux sont suffisamment différents pour ne pas avoir l’impression de lire la même chose. Hélas, une bonne moitié des textes ne m’ont guère transporté. Ces derniers m’ont même semblé amphigouriques, comme si l’auteur voulait perdre le lecteur tout en lui offrant la possibilité d’interpréter ces suites de phrases – mon imagination de fonctionnaire européen m’en a hélas empêché.

Pour tout vous avouer, à peine si ma couille gauche a réagi à la lecture d’Agrégats, Avant terme ou Une Imposture. J’aurais pu bâiller si ça n’était pas correctement écrit. Et, au-delà de l’émotion (presque un envoûtement) provoquée par une suite de mots soigneusement choisis, la joie et l’optimisme se sont résolument fait la malle sous la plume de SCS. Décès, regrets, envies d’autotermination, dévoiement de ce qui est censé être doux (notamment la jeunesse ou l’amour), hallucinations maladives, pulsions primaires,… N’en jetez pas plus, c’est dans le pire de l’être humain que la littérature paraît le mieux s’épanouir.

Mon avis final ? J’ai été surpris. Globalement, dans le bon sens du terme puisque Serge est parvenu à parfois me rendre mal à l’aise. A chacun de ses textes, le fauve a pu apprécier une prose plus que correcte qui, par la seule disposition des mots, pardonnait des maladresses d’écriture (voulues ou non, aucune idée). Une forme de verbalisme qui place l’écrivain dans la position du Tout-Puissant délivrant ses textes obscurs, charge au lecteur de les comprendre selon ses sensibilités – en clair : ne lisez pas cet ouvrage en étant déprimé.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La maladie mentale reste une constante et atteint parfois de jolis sommets. D’un côté, des protagonistes subissent et tentent, tant bien que mal, de résister à leurs délirants cerveaux (par exemple dans Caisse n°7). On les sent au bord du précipice, à cause de leurs actions (prise de drogue dans Épitaphe) ou un mal plus profond, et prêts à salement finir en couille. De l’autre côté, il en est qui restent plus lucides par rapport à ce qu’il leur arrive, quitte à se laisser porter par leurs vices (Le Cube, ou baise facile avec une voisine fofolle). Voire aller plus loin afin d’avoir une idée du niveau de monstruosité où ils peuvent verser – Le cul des Yeux notamment, histoire assez dérangeante).

De même, les unités de temps de l’œuvre se situent souvent pendant l’enfance des protagonistes. Nous avons quelques exemples de péripéties peu communes justifiant qu’un homme tourne mal (Avant terme illustrant ce problème) ; d’autre part des adultes (toujours des hommes, c’est curieux) un peu barrés et pour lesquels on sent que la racine du problème est bien profonde. S’il y a de nombreuses références à l’adolescence ou les souvenirs, ce n’est jamais pour évoquer des moments heureux. Soit le narrateur les a oubliés face à la marée de merde qui s’est ensuite abattue sur lui, soit cette période censée heureuse ne l’a jamais été.

…à rapprocher de :

Sans Partage (très très glauque), second recueil qu’il a fait publier par les Éditions de l’Abat-Jour.

– Chez le même éditeur, j’ai préféré le recueil A chaque jour suffit sa haine, de Sébastien Chagny. Voire Satanachias, de Christophe Lartas.

– Les nouvelles glauques comme je les aime également se retrouvent dans Un fauteuil pneumatique rose au milieu d’une forêt de conifères (paye ton titre), de Thibault Lang-Willard. Du très grand art.

– En plus violent et désespéré, mais avec des cas sociaux du même acabit, y’a Monstres de Mike Kasprzak qui squatte l’olympien blog.

– Du côté d’autres éditeurs indépendants, essayez Palissade, de Frank Villemaud – ça se laisse lire si vous n’avez pas peur du quatrième mur brisé, et la fin est plus que sympathique.

– Dernier truc rigolo : y’a une blague dans une des nouvelles qui m’a fait tilter puisque je l’avais déjà lue dans En moins bien, d’Arnaud Le Guilcher : « une couille dans le potage, c’est un problème. Deux, c’est une recette ». Qu’est-ce que j’ai pu me prendre des râteaux avec ce bon mot. Un filtre à connasses, diront certains.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce recueil en ligne ici.

Piyoko Chitose - Close to me…et plein d’autres histoires. (en VO, ça ressemble à peu près à Kimi ga Ichiban Soba ni Iru). Quelques brèves saynètes qui se terminent (ou commencent) par des scènes de cul endiablées dans le même rapport maître/apprenti, dessin basique, scénario au ras des pâquerettes, sentiments dégoulinants de foutre, ce n’est pas vraiment ma came. 

Il était une fois…

Ozumi est un beau blondinet un peu neu-neu qui se fout dans d’inextricables situations où on en veut à son joli cul. Même s’il sait se défendre (il oeuvre dans un club d’Aïkido), sa candeur est heureusement contrebalancée par son meilleur ami, Minato. Ami avec lequel Ozumi a des sentiments diffus…serait-ce l’homme de sa vie ?
[Le scénar’ de Close to me, première histoire qui occupe plus du quart, n’est pas bien différente de ceux qui suivent]

Critique de Close to me

Faudrait que le fauve arrête de lire tout ce qu’on lui prête… A tout hasard, je vous rappelle ce qu’est le genre « Yaoi » : des histoires assez poignantes entre deux (jeunes) hommes très beaux, l’un se découvrant tandis que l’autre guide le premier vers des plaisirs encore ignorés. C’est le fameux rapport seme/uke qui ici constitue l’architecture dominante (sans jeu de mots), quitte à laisser en plan d’autre aspect – j’y reviendrai.

Il n’y a pas que Close to me. Hélas non, la mangaka accompagne la rencontre entre Ozumi et Minato d’autres histoires d’amour : La déclaration (du sexe dans une école d’arts martiaux) ; La punition du Tout-Puissant (la punition charnelle nécessaire suite à la destruction de bonzaïs…) ; Un souhait irréalisable seul (saine compétition se transformant en baisouilles entre deux étudiants) ; enfin Ensemble pour l’éternité (ai plus la force de vous dire ce dont il s’agit). Dans tous les cas, la structure est à peine inchangée :
1/ un jeune premier côtoie un bel éphèbe ténébreux (mais plus expérimenté) qui a des vues sur lui
2/ il se fait lourdement draguer et résiste un premier temps (pas plus de 20 secondes)
3/ il se fait rapidement triturer le trou de balle et trouve que cela est bon
4/ il jouit avant son nouveau copain et demande à ce que ce dernier se vide dans son cul
5/ les deux loupiaux se promettent un amour aussi pur qu’infini à base de nombreux « c’est magnifique » et « je t’aime »

Piyoko Chitose - Close to me ExtraitAu-delà de ces lendemains remplis de sper…euh de promesses, faut que je vous parle des illustrations. Trois remarques mes amis. D’abord, la gueule des protagonistes. Ils sont certes beaux et imberbes, mais leurs visages taillés à la serpe (c’est-à-dire en V) leur donnent des airs androgynes qui confinent à des E.T. dépourvus de menton. Bof. Ensuite, il convient de déplorer l’absence de décor. A peine une porte ou une fenêtre rapidement esquissée, le dessin se concentre sur ces mâles en rut seuls au monde. Enfin, les moments X sont les seuls à peu près soignés. Mis à part les zizis pudiquement suggérés, le stade anal est pleinement abordé avec de multiples insertions dans cet orifice dégoulinant de…(les mecs mouillent comme des dingues).

Le summum de ces péripéties reste le fameux instant « pénétrant » fait de tchak !, Pif et autres Vlam. A noter la mignonne utilisation d’accessoires tels que des godes ou encore la fameuse tige de fer à insérer dans l’urètre pour démultiplier la jouissance de son partenaire. Cependant, rien de glauque dans la mesure où les amants terminent par des mamours qui annoncent des unions plus pures que jamais. Heureusement qu’il s’agit de la première publication de l’auteure qui requiert, en préface, notre bienveillance, sinon le félin aurait été plus corrosif.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Ce qui m’a profondément consterné est la naïveté des protagonistes. Un vrai scandale. Le héros se fait attacher sans broncher, puis a l’air surpris de ce qu’il advient ? Rien que l’Ozumi de Close to me est à chialer de candeur, sans son ami (amant par la suite) pour le remettre dans le droit chemin nul ne sait ce qu’il aurait pu devenir. Le jeune Apollon reçoit des propositions trop belles pour être vraies (tourner dans un film « court » pour quelques milliers de Yens) et ça ne le fait guère tilter. Pareil pour un chef d’entreprise rencontré avec qui il consent dîner…puis accompagner à l’hôtel…où attend un autre homme (un créancier en fait) à qui on a promis…bref vous voyez le genre.

Sinon, il reste fascinant de voir à quelle vitesse vient le plaisir puis l’amour homosexuel. Dans l’esprit de Chitose, il semble que l’apprenti homo prenne rapidement son pied (et les devants) lors de sa première expérience gay. Certes il a un peu mal, mais en moins de deux les deux amants s’abandonnent (d’ailleurs, où sont les préservatifs ?) dans une chorégraphie visuellement satisfaisante. On retrouve l’idée (assez japonaise à mon humble sens) du plaisir extrême qui passe par un premier stade douloureux. Comme un dépucelage de collégiennes, mais avec des hommes qui ont plus de quinze ans.

Au moins, il faut reconnaître que Pitoko Chitose est parvenue à apporter un certain équilibre entre les sentiments et moments plus physiques dont la complémentarité (l’indissociabilité, que dis-je) laisse rêveur – la fin de chaque épisode promet un avenir radieux.

…à rapprocher de :

– Pour l’instant, y’a Café gourmand (ohhh…you touch my tralala), de Noboru Takatsuki qui squatte sur le blog. Et puis Junjo Romantica de Shungiku Nakamura (pas réussi à dépasser la 30ème page punaise).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce manga en ligne ici.

Snyder & Capullo - Batman : L’An Zéro 2ème partieVO : Batman Vol.5 : Zero Year – Dark City. Batman #25-27 et #29-33. Une fois le gang de Red Hood défait, c’est le Sphinx qui vient foutre sa merde. Pauvre Batman, tiraillé entre ses souvenirs d’une Gotham corrompue et la nécessité de sauver la ville. Illustrations plus que passables, hélas le scénario demeure globalement décevant.

Il était une fois…

Un an après la lutte l’ayant opposé à Red Hood, Batman a à peine le temps de mettre ses pantoufles pour siroter un martini devant la cheminée du manoir Wayne qu’une nouvelle menace se fait sentir. Edward Nygma, alias le Sphinx, entretien le désir de prendre la tête de Gotham City. Pour cela, il organise un énorme black-out de la ville, alors transformée en jungle où la seule loi est celle de ce vilain adepte des devinettes en tout genre.

Critique de la seconde partie de L’An Zéro

Scott Snyder à l’écriture continue, dans ce cinquième tome, de faire évoluer un chevalier noir décidément bien différent de ce que le félin a l’habitude de lire. Traits plus bourrins, rage entretenue contre certains alliés (Gordon notamment), ceci dit l’aspect « détective » est gardé intact. Si le présent opus se décompose en deux parties bien distinctes, il s’agit bien d’une histoire unique dans laquelle l’ennemi (dont le plan machiavélique est progressivement révélé) porte un pyjama vert et ne fait pas si peur que ça.

Sombre cité démarre sur les chapeaux de roue grâce aux bons soins du Docteur Karl. Ce scientifique recherchant de quoi renforcer les os a été éjecté des entreprises Wayne (il bossait avec Lucius Fox) en raison de son comportement erratique. Faut dire qu’il s’est injecté son produit, et ses os ne font pas que se régénérer, ils poussent sans arrêt ! L’individu est flippant à souhait, et sa force surhumaine donne du fil à retorde à un chevalier qui met du temps à saisir les motivations sous-jacentes de Karl. Car il est question de plonger Gotham dans le noir pour mieux la contrôler.

Dans Cité sauvage, le lecteur retrouve notre héros un an après (il était dans le coaltar), esseulé dans un Gotham sous l’emprise d’E. Nygma. Lequel, avouons-le, tient plus du bouffon malingre que de l’inquiétant cerveau susceptible de nous retourner le cerveau. Il y a certes la position de Wayne (survivant et résistant) reste intéressante, toutefois le chantage et les moyens du méchant (drones, gaz prêt à être relâché) ont quelque chose de risible. La spécialité de cet individu étant les devinettes de bas niveau avec des sons & lumières de carnaval, on est loin du grand frisson que seuls certains super vilains peuvent faire ressentir.

Deux choses à saluer toutefois : de nombreux flashbacks tombent à pic et apportent une dimension appréciable à un Bruce Wayne plus sombre et torturé – amoureux transi, gosse effrayé, etc. En outre, il faut convenir que Greg Capullo a assuré sur le visuel : que ce soient les couleurs d’une jungle urbaine (avec des animaux) ou dans les luttes de Batou sous un orage déchaîné, ou la forme cauchemardesque du docteur fou aux excroissances gothiques, il y a largement de quoi être content. Néanmoins, cela n’a guère suffi à ne me pas faire regretter d’avoir acheté ce volume – double négation, ça sort les pincettes.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Certains flashbacks de Bruce Wayne sont ceux d’une ville qui semble toujours corrompu ses habitants, au premier rang duquel l’inspecteur Gordon. Et oui, le jeune richard garde un souvenir précis du flic qui, avec ses collègues, faisait la tournée des popotes pour récolter ses pots de vin. L’informe imperméable de Gordon en est un. D’où une animosité tenace contre le représentant de la police en qui la confiance met un certain temps à être restaurée. Au surplus, Wayne ignore les motivations de l’inspecteur à cette époque, entre peur des représailles et lâcheté face à un système qui a toujours ainsi fonctionné – le commissaire Loeb, en particulier, est plongé jusqu’à la moelle.

D’un point de vue plus confidentiel, la relation entre Wayne et Alfred apparaît sous un jour très touchant. Déjà, il est toujours étonnant de voir des larmes perler sur la joue du majordome lorsqu’il apprend que Maître Bruce est vivant. Ensuite, en l’absence d’Oracle (Lucius Fox n’aide pas longtemps), Alfred revêt le costume de principal aide d’un Batman dos au mur (remarquez, il les avait depuis toujours). Enfin, voici un vrai père de substitution qui parvient à bien cerner son employeur et lui assène ses quatre vérités lorsque Wayne en a besoin – rien à voir avec Nygma qui se plante sur toute la ligne sur l’identité du Bat. Et Alfred résume le mieux son rôle lorsque le tome se termine sur ses mots : je serai toujours là pour vous rafistoler.

…à rapprocher de :

– Ce tome s’inscrit dans le reboot initié par les deux compères, qui commence par l’excellent Cour des hiboux et La Nuit des hiboux (ce dernier en-deçà de mes attentes). Quant au troisième, Le deuil de la famille, malgré l’arrivée du génial Joker, c’est également dispensable. La première partie de l’An zéro (lien) ne m’a pas plus émoustillé.

– Si vous préférez quelque chose de plus sec à lire et tourné « polar », y’a Batman : Year One (Année Un), de Miller & Mazzucchelli.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce comics en ligne ici.

Orson Scott Card - Les Marionnettes de l'ombreSous-titre : la saga des ombres, tome 3. VO : Shadow of the Puppets. Troisième opus décrivant des tensions entre grandes nations sans guerre mondiale déclarée, il y en a pour tous les goûts : histoire d’amour malgré une lourde épée de Damoclès génétique, intervention de la religion, trahisons, voyages aux quatre coins de la planète, jamais l’avenir de la Terre n’a été aussi précaire. Style qui parfois s’égare mais l’histoire reste prenante.

Il était une fois…

Le lecteur avait clos le dernier tome avec le vilain Achille qui réfugie ses petites fesses en Chine, laquelle a envahi l’Asie du Sud Est et l’Inde. Sauf que, ce con de jeune Hégémon, Peter Wiggin (le frère du héros maintenant lointain) a préféré sauver Achille pour le surveiller au siège de l’Hégémonie au Brésil – le loup est dans le poulailler. Pendant ce temps, Bean et Petra (on sent qu’ils vont se choper ces deux-là) poursuivent la résistance contre les dictatures tout en caressant l’idée d’avoir une descendance – accessoirement non atteinte de la tare génétique du papa.

Critique de L’Ombre de l’Hégémon

Après un premier opus presque parfait (SF militaire mâtinée d’une épopée toute antique), et un second plus que bonnard (de la stratégie militaire, miam !), les acteurs semblent se reposer et fourbissent leurs armes (et leurs réseaux) tout en s’occupant de problèmes plus personnels. En particulier Bean, héros considéré par beaucoup comme n’appartenant pas à l’espèce humaine : il est loin le temps du nain, le gars commence à dépasser d’une bonne tête ses congénères – et la clé génétique d’Antov fait que sa croissance ne s’arrêtera pas.

Avant que le corps de Bean ne lâche, sa copine Petra aimerait bien avoir un (ou plus) enfant de lui. Il s’agit d’un des fils directeurs de ce tome puisque les tourtereaux feront appel à d’anciens condamnés pour crimes contre l’Humanité (manipulations génétiques) en vue de sélectionner des embryons « sains ». La seconde problématique concerne Peter Wiggin, à la tête d’une Hégémonie dont l’utilité et l’influence ne ressemblent à plus grand chose. La Chine occupe une grosse partie de l’Asie, l’Occident se cure négligemment les oreilles, et Peter a introduit Achille au sein de l’Hégémonie…funeste décision : le psychopathe essaie de renverser (puis tuer) Peter et sa famille qui se réfugie dans une station orbitale dirigée par Graff, le ministre de la colonisation.

Voilà pour le décor. Je dois vous avouer que le deuxième tiers de l’œuvre m’a fortement inquiété dans la mesure où Scott Card a repris ses travers, à savoir des dialogues et considérations politico-religieuses à n’en plus finir entre Bean et Petra, ou Peter Wiggin et ses parents (plus futés qu’il n’y paraît). Pendant ce temps, l’intrigue n’avance guère si ce n’est quelques fulgurances stratégiques ou espionnage numérique qui me manquaient temps. Puis, bonheur suprême, Bean rejoint la ligue des États Musulmans (dont un ancien de l’École de Guerre est le calife) qui se prépare à enculer à sec la Chine. Retour donc aux fines décisions tactiques et grandioses manœuvres militaires auxquelles s’ajoute la lutte pour la survie de Wiggin contre Achille – qui a gardé certaines ressources.

Bref, après un début plus contemplatif avec nettement moins d’action, Les Marionnettes de l’ombre (tous les intervenants en fait) renoue avec la réflexion, que celle-ci soit philosophique, empathique ou tout simplement de survie. A signaler que l’aspect purement SF s’est définitivement fait la malle, et ce n’est guère étonnant puisque l’écrivain américain se concentre sur ce qu’il sait faire de mieux…pas sûr que ça plaise au Tigre dans les opus à venir.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Sans spoiler, le lecteur des aventures du jeune Ender Wiggin (qui est en passe de devenir une légende) sait que Peter sera un Hégémon respecté, chef de l’Humanité. Sauf que pour l’instant, ça ne se présente pas bien du tout. Les dictatures ont le vent en poupe, et à part quelques menues résistances (Virlomi et sa grande muraille d’Inde par exemple, excellente idée), l’Hégémonie a tout de l’institution sur le point de disparaître. Car plus le temps passe, plus l’allégeance à l’espèce humaine dans le cadre de la guerre contre les Doryphores (dont on ne parle presque plus) fait place à une dévotion à son État-nation (souvent consternée, l’histoire d’Han Tzu étant édifiante). Pour des enfants commandants séparés de leurs pays très tôt, c’est la manière la plus logique de se recréer des racines. Comment alors renverser la vapeur ?

Le point potentiellement négatif reste la vilaine propension de l’auteur à étaler ses opinions religieuses et à les intégrer, avec de moins en moins de subtilité, dans l’intrigue. La décadence des U.S.A. et de l’Europe dénués de couilles, on a compris. L’Islam apaisé qui a abandonné toutes velléités de conquête, c’est mignon mais présenté de façon condescendante. L’Empire Chinois impie gravement corrompu et au fonctionnement byzantin inefficace, ce n’est pas bien. Non, le nec plus ultra selon l’écrivain reste la procréation et l’amour de ses enfants (malgré leurs défauts), quitte à faire parfaitement personnifiées par les parents de Wiggin : le papa John Paul en bon catholique associé à sa femme, Thérésa, d’obédience mormone. Ces deux-là offrant un équilibre familial tout ce qu’il y a de plus bucolique.

…à rapprocher de :

– Cette saga doit évidemment se lire dans l’ordre, c’est-à-dire La Stratégie de l’ombre, L’Ombre de l’Hégémon, le présent titre, puis L’Ombre du Géant (une tuerie celui-ci) – paraît que ce n’est pas fini.

– Je rappelle qu’il faut urgemment lire La Stratégie Ender en premier lieu. Et si cet univers post-attaque doryphore vous botte, je vous renvoie vers quelques nouvelles ayant lieu avant les deux sagas. C’est Ender : Préludes.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Ennis & Dillon - Preacher Livre 2VO : idem. La quête vers Dieu du révérend Jesse Custer est semée d’embûches, une puissante organisation se dressant face à lui. De l’Amérique déjantée à un petit village perdu en France, l’histoire est toujours aussi plaisante malgré quelques passages nettement plus verbeux. Illustrations sans reproches, ça donne envie de continuer la saga.

Il était une fois…

Jesse Custer, sa nouvelle camarade de jeux Tulip (son ex, d’ailleurs) et le vampire Cassidy continuent leur road trip pour connaître les raisons de la démission de Dieu – rien que ça. A la suite de nombreux quiproquos et péripéties sans lien apparent entre elles, la situation se complique un peu plus : Cassidy est retenu par un psychopathe dépourvu de bite qui se plaît à le cribler de balles pour le plaisir de le voir ressusciter (et sur autorisation d’un homme d’église), Custer entreprend de le délivrer tout en sauvant ses fesses face aux assassins qu’on lui envoie (même s’il est plus utile vivant que mort). Face à lui, une congrégation de tarés aux moyens colossaux.

Critique du second livre de Preacher

Après un premier opus qui avait troué un second trou de balle au félin, il était difficile d’imaginer comment Garth Ennis et Steve Dillon allaient entreprendre d’en creuser un troisième. Heureusement pour moi, ce comics n’a pas la même puissance de son prédécesseur (la surprise passant) même si celui-ci perpétue la délectation qui habitera tout lecteur normalement constitué.

Il y a encore beaucoup à dire sur l’évolution de la situation d’un modeste pasteur habité par une créature mi-ange mi-démon qui affole les hautes autorités célestes et spirituelles. Les premiers chapitres sont correctement bordéliques, composés de circonstances improbables et hasards du destin déconcertants : Staar, nouveau personnage aux trousses du héros, se fait sodomiser par erreur puis retrouve deux dealers devant approvisionner le plus grand organisateur de soirées perverses de l’Amérique (j’y reviendrai), où Custer est attendu. Fusillade évidemment, suivie d’un coup de bluff où Cassidy se fait passer pour le pasteur et est emmené, à ce titre, à Massada – dans le sud de la France, pas en Israël hein. En effet, le pouvoir de Jesse, à savoir se faire obéir par sa voix seule, en fait bander plus d’un.

Le chapitre suivant comporte une petite pause émotion avec Custer qui se fait conter (putain de hasard encore) l’histoire de feu son père au Viet-Nam par un ex-camarade de guerre, pendant ce temps le vampire (Cassidy) est percé à jour par ses ravisseurs qui appartiennent au Graal, sorte d’organisation de fous furieux préparant depuis des siècles la venue du Christ – et dirigée par l’éminemment obèse Archipère d’Ardonique. Si Custer veut libérer son pote, il n’entend pas emmener sa copine dans le traquenard, et les discussions entre les tourtereaux (des States à Paris) m’ont apparu très ennuyeuses même si la profondeur des deux protagonistes s’en trouve renforcée. Toutefois, le dernier assaut sur la forteresse de Massada est un spectacle de qualité avec des intervenants hauts en couleur (rien que le jeune héritier du Graal, fini à la pisse) et un satisfaisant bain de sang final – sans compter l’apparition fugace du Très-Haut.

Sur les illustrations, rien à déclarer : le trait naturel est mis en valeur par des couleurs franches qui savent rester sobres par rapport aux savoureux dialogues qui peuvent survenir. En revanche, et c’est tout à l’honneur d’Ennis, le félin a cru remarquer que la narration se faisait parfois lente, comme un temps de repos avant la tempête. Car il en faut pour parvenir à faire une saga composée de six tomes de près de 250 pages chacun. Or, Tigre n’aime pas se reposer.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Comme à leur habitude, les auteurs mettent en scène quelques perversions dont il est souvent question dans le courrier des lecteurs (avec réponses des intéressés). Avec cette lancinante question : jusqu’où aller sans risquer de se prendre une claque par son éditeur ? En effet, quelques scènes pourront en faire tousser plus d’un, même si la violence et l’humour tordant sont souvent plus suggérées que véritablement illustrées. En vrac : quoi de plus normal qu’un gosse déclamant « chatticaca » parce qu’issu d’une lignée pure (donc débile) ; comment s’étonner des tortures subies par Cassidy lorsque le commanditaire est un énorme écclésiastique à l’esprit dérangé ? A ce titre, Seigneur Jésus n’est pas là pour rien : ce grand albino malingre représente parfaitement la décontraction dans la dégueulasserie avec cette pincée de bon goût qui fait de Preacher un comics d’exception (enculer tous les mammifères de la création, organisation d’infâmes orgies où se faire pomper par un mouton est la norme).

Il convient de garder en tête l’esprit « western » mâtiné de road trip de cette BD. Western à la Tarantino avec des gueules qui ne doutent que rarement de leurs missions respectives, à l’image du tueur envoyé par le Ciel et déterminé comme jamais. Road trip, dans des paysages époustouflants, parsemé de discussions à bâtons rompus au sein de couples (collègues, amants) qui se livrent réellement. Notamment Cassidy qui, sur un chapitre entier, raconte (de manière désabusée) son existence de vampire dans une Irlande du début du XXème siècle (sa transformation en vampire également) avant son émigration aux U.S.A. Et de jouer les sentimentaux avec une vision touchante de New York vers laquelle il revient toujours.

…à rapprocher de :

Le premier tome est sur le blog (en lien), bonne éclate. Quant au troisième, ce n’est pas le meilleur.

– Tigre a découvert Garth Ennis grâce à son impressionnante maîtrise du Punisher, héros renversant s’il en est : Au Commencement (somptueux redémarrage du perso) ; Mère Russie (putain de claque) ; Kitchen irish (sobre et un poil décevant).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce comics en ligne ici.

Romain Ternaux - L'histoire du loser devenu gourouRegardez-moi cette image de couverture : la couleur est annoncée. Méchant, déjanté, improbable et délicieusement irrespectueux. Malgré un début assez poussif, le loser finissant gourou connaît des péripéties qui montent furieusement en puissance, pour un résultat assez déconcertant.

Il était une fois…

Notre antihéros est un alcoolo feignant, veule sur les bords, passablement impulsif et lorgnant pitoyablement sur Sylvie, sa voisine – devant les amis de laquelle il s’est masturbé au passage. Lorsque les parents de l’infâme lui dégotent un job de nettoyeur dans une riche fondation, il ne pouvait s’attendre à débarquer dans une secte aux fortes tendances orgasmiques. Et s’il prend la place par erreur, de leur gourou, ça ne peut qu’empirer.

Critique de L’histoire du loser devenu gourou

Avant de commencer la tikrique à proprement parler, il faut savoir que le félin a rencontré Romain T., à plusieurs reprises – le terme « plusieurs » étant entendu d’après sa définition en droit pénal, c’est-à-dire « deux ».  Lorsqu’il m’a remis ce roman, la dédicace enjoignait le fauve de le souiller et lui faire mal. C’est demandé avec tant de gentillesse, comment résister ? Sortons donc les griffes :

La première moitié de l’œuvre, si elle présente précisément l’antihéros, n’en demeure pas moins assez pénible et manquant cruellement de rythme. A part quelques scènes qui valent le détour (la branlette avortée, l’assassinat d’un chat), il est dommage de devoir attendre la centième page avant que le « quiproquo » loué par l’éditeur ait bien lieu. En revanche, dès que le protagoniste décapite le tôlier de la secte, à savoir le priapique Bougaga, le fier n’importe qui peut commencer ! Les péripéties s’enchaînent alors à vitesse grand V, le héros tirant plus que de raison sur la CB de la secte, tandis que le masque du grand bougaga est balloté de droite à gauche jusqu’à l’Aisne (entre autres).

De même, le style déconnant se réveille dans cette seconde moitié qui fait la part belle à une savante forme d’excentricité où le crade entame un rock endiablé avec des scènes surréalistes où les personnages ont des réactions imprévisibles. Le vocabulaire et interjections familières passent nettement mieux, et c’est avec un plaisir non feint que le lecteur pourra se laisser entraîner jusqu’à un final haut en couleurs qui détonne avec le début du bouquin – même si les dernières pages m’ont paru bacleusement expédiées. Dernière chose : ce bouquin ne comporte AUCUN chapitre et les sauts de lignes se font plutôt rares, ce qui au premier abord rend le texte fade…jusqu’à participer à l’impression de vivre les aventures du narrateur à cent à l’heure.

En effet, la narration est servie à la première personne, et j’avoue avoir demandé à Monsieur Ternaux la part d’autofiction dans son travail. Après avoir refermé la dernière page, Le Tigre regrette d’avoir osé posé ce genre de question. Quoiqu’il en soit, si j’étais capable d’écrire le quart de la moitié de ce qu’il fait, je serai un félidé comblé.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Pourquoi un anti héros ? Parce qu’il a tout ce qui peut nous exaspérer. Aucun talent, aux fréquentations douteuses, infoutu de seulement chercher du boulot, improvisation totale, ne pensant qu’à la satisfaction immédiate, incapable de réfléchir à long terme, veule, bref un vrai gâchis sur pattes. Le narrateur tellement de tares associées à un culot monstre (une forme de j’m’en foutisme ressort du texte) qu’il perd son capital sympathie à mesure de sa crédibilité en tant qu’individu réel. Autre revers de la médaille ? Ce personnage principal est susceptible de vous horripiler.

Une lecture plus attentive (guère mon genre, certes) de cette histoire fait prendre conscience que le foutage de gueule est immense à l’encontre des croyances « légères », à savoir celles considérées comme des sectes. La façon dont notre individu réussit à entrer comme dans du beurre abandonné au soleil dans le saint du saint d’une organisation en dit long sur le niveau de ses adeptes – et, par conséquent, sur ce qu’elle propose. Le trait est certes grossier (ça baise et ça tire des tunes), toutefois imaginer que la scientologie puisse être concernée n’est pas désagréable. Et comme dit je-ne-sait-plus-qui, une secte est une religion qui a réussi. Voilà pour le l’anticléricalisme teinté de whisky bon marché.

Romain Tournaux enfonce le clou en s’attaquant, à sa manière, à la manifestation de toute religion/secte qui sait se faire respecter : son « livre saint ». Le protagoniste étant un écrivain (raté), c’est tout naturellement qu’il tente de refourguer son premier (et seul) roman, lequel monte rapidement en grade pour être considéré comme porteur d’une prophétie. L’imagination des adeptes étant sans limite, ceux-ci réussissent à interpréter (comme des sagouins) ce qui est écrit pour porter la mort dans la campagne française.

…à rapprocher de :

– Le premier romain de Roman (hu hu) se dénomme Croisade apocalyptique. J’ai cru dénoter un certain progrès depuis.

– Dans le genre du vilain personnage alcoolique, mais qui vomit avec plus de verve l’univers dans lequel il évolue, je vous renvoie vers Monstres, du facétieux Mike Kasprzak (je n’arriverai jamais à écrire son nom proprement).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Toshifumi Sakurai - Ladyboy vs Yakuzas, Vol.1Sous-titre : L’île du désespoir. VO : 絶望の犯島―100人のブリーフ男vs1人の改造ギャル (hé hé, le 100 n’est pas là par hasard). Un homme, transformé en une sublime femme, coincé dans une île peuplée de dépravés sexuels. Humour barré, dialogue à se pisser dessus, illustrations à prendre au second degré, ce manga coup de poing est parfait pour se détendre tout en étant agréablement surpris.

Il était une fois…

Kôzô Kamishima est un jeune Yakuza travaillant pour Masayoshi Akutô, boss d’un puissant clan japonais. Hélas, Kôzô a failli à sa mission de protecteur de la famille de son patron en forniquant avec la femme de ce dernier…et, pour ne rien arranger, sa fille de dix-huit ans. Or, les explications jeune Yakuza ont pour résultat d’exaspérer Akutô qui décide d’une punition aussi retorse que terrible… Le supplice peut commencer.

Critique du premier volume de Ladyboy vs Yakuzas

toshifumi-sakurai-ladyboy-vs-yakuzas- extraitQuand le félin est tombé sur quelques tomes déjantés qui semblaient repousser toujours plus loin les limites du bon goût, grande était la tentation de faire un unique billet sur cette saga d’exception. Cela s’est vite avéré impossible tant l’intrigue se développe, apportant de nouveaux éléments et péripéties qui valent, parfois, un chapitre de commentaires de la part de votre serviteur.

Concernant le scénar’, il faut savoir que le mangaka ne s’embarrasse pas question narration et place rapidement son héroïne sur le champ de bataille. Avec des règles du « jeu » relativement simples : une centaine de pervers sexuels prisonniers d’un endroit et qui n’ont pas baisé une femme depuis des lustres. La promesse de partir pour ceux qui défloreront le jeune créature siliconée et au minou tout frais et bien rasé. Sauf que le ladyboy puni tire son épingle du jeu pendant les premières heures, et ce notamment grâce à un des habitants déterminer à passer, seul, un moment d’exception avec la « cible ».

toshifumi-sakurai-ladyboy-vs-yakuzas-extrait3Avec une telle idée aussi géniale qu’improbable, Sakurai dresse naturellement quelques portraits de mâles en rut, à la moralité plus que douteuse et aux mains baladeuses qui se trouvent majoritairement dans leurs slips pour flatter la marchandise. Dialogues, humour noir, situations embarrassantes, chaque page est susceptible de provoquer un éclat de rire tellement ça va loin question bêtise et glauquerie – bêtise assumée et sur laquelle l’auteur joue avec succès. Et que dire du registre de langage, familier (voire injurieux) sans être gratuitement grossier ?

Ces dialogues et situations sont délicatement mis en images par des illustrations provocantes et franchement marrantes : le trait, plutôt fin et finement détaillé, est en décalage avec la bestialité des personnages dont les expressions ont tout d’un City Hunter déglingué : veines apparentes qui crachent du sang, fumée (ou morve) qui sort de leurs oreilles/nez/bouches, tout ce petit monde devient fort sympathique malgré leurs statuts d’antagonistes – au premier rang duquel le boss Yakuza, plus pitoyable que jamais. Bref, un premier tome totalement prenant qui ne peut qu’inciter à poursuivre la lecture.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

toshifumi-sakurai-ladyboy-vs-yakuzas-extrait1L’élément déclencheur de l’intrigue est la vengeance dans toute sa splendeur, imaginée par un esprit malade et humilié. Car l’aménagement du châtiment obéit à une logistique lourde, je n’ose imaginer combien ça peut coûter de faire libérer cent prisonniers, les transporter et les nourrir uniquement pour les voir gang banger ce pauvre ladyboy – à l’aide de caméras soigneusement placées un peu partout. Comme si ça ne suffisait pas, Akutô-san convie, de force, sa femme (qui refuse de coucher avec lui depuis 18 ans) et sa jeune fille à assister au spectacle en direct. Les passages où on le contemple en train de rager face à la chance de sa victime sont exceptionnels, ça fait très méchant de James Bond mais sans la classe ni le chat sur les genoux.

Il convient de signaler que l’auteur en profite pour faire un panorama des différentes perversions ayant amené certains des psychopathes à avoir leur place sur l’île du désespoir. Notamment la pédophilie, ici traitée avec un humour doublement corrosif : quelques flashbacks décrivent un professeur non seulement porté sur les petites filles, mais une fois celui-ci grillé il fait tout pour se protéger, quitte à accuser son fils et le supplier de le couvrir. La cerise sur le gâteau ? Cet homme est le père de Kôzô. D’où cette géniale idée : le boss Yakuza offre la possibilité d’être sauvé si le ladyboy se fait sauter par son père détesté. Lequel n’est guère excité par la jeune « femme », jugé(e) trop âgé(e). La façon dont ceci est amené rend cette circonstance hilarante – et pas si lugubre que ça.

…à rapprocher de :

Le second tome est un délice (en lien). Le troisième l’est moins (lien également). Le quatrième est couci-couça. A suivre.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce manga en ligne ici.

Robert Crais - Le dernier détectiveVO : The Last Detective. Le détective Elvis Cole n’a guère le temps de se reposer avec sa nouvelle petite amie que le gosse de cette dernière se fait kidnapper. Et le truand semble en vouloir à notre héros. A juste titre ? Action, suspense, flashbacks édifiants permettant de mieux connaître le héros, la machine littéraire est bien huilée.

Il était une fois…

Elvis coule un weekend pépère avec Ben, le gosse de Lucy qu’il apprivoise peu à peu (pas la donze hein). La félicité ne dure pas longtemps, le morveux est enlevé. Quelques heures après, un appel mystérieux d’un homme qui semble en savoir long sur le passé de Cole au Vietnam – et l’accuse de tous les maux. La machine policière se met en branle, assistée du taciturne Joe Pike. Plus les heures passent, plus la situation devient tendue : l’ex de Lucy monte sur des chevaux de plus en plus grands, les suspicions se tournent vers Cole, sans compter que le petit Ben (moins de dix piges quand même) est dans une situation très inconfortable.

Critique du Dernier détective

Je vous ai déjà dit que Bobby C. est une valeur sûre ? Le mec parvient, avec sa paire de protagonistes au pedigree chargé, à les foutre dans des situations variées et passablement stressantes. Et qu’y-a-t-il de plus flippant de voir le gosse de sa petite amie manquer à l’appel à cause de son passé ? Cela signifie la fin de notre détective préféré ? [référence au titre, done]

Voilà donc la situation : Ben kidnappé alors qu’il jouait dans le jardin, le crime revendiqué par quelqu’un qui est au jus des faits d’armes de Cole au Vietnam, sinon c’est le brouillard total. Avec des compétences et coups de chatte qui frisent le foutage de gueule (spotter l’endroit où les ravisseurs étaient, prélever quelques brins de tabac, récupérer deux poils de cul planqués dans la forêt – j’exagère à peine), nos amis remontent inéluctablement le fil pendant que le lecteur aura, de temps à autre, le point de vue de la victime et des méchants. Jusqu’à la dernière surprise du chef qui vaut le coup de lire ce polar jusqu’au bout.

Comme toujours, Crais fait montre d’une écriture sacrément efficace malgré quelques facilités de narration (l’enquête qui avance grâce à peu de choses) ou certains clichés certes amusants mais peu nécessaires. Tigre pense notamment à la policière Carol Starkey, mise au placard et n’attendant qu’à exploser, mais surtout au technicien de la police scientifique, un Asiatique frustré qui ne pense qu’à baiser et fait furieusement penser à celui de Dexter, de Jeff Lindsay. Heureusement que les chapitres sont courts et le style sec (sans que cela ne nuise à l’immersion), on croirait lire le script d’une série rondement menée.

Si le félin a apprécié Le dernier détective, c’est autant pour l’intrigue prenante que les nombreuses informations délivrées sur Elvis Cole. Lorsque d’autres titres se concentrent sur le parcours de Joe Pike (père violent qui l’a contraint à connaître la forêt comme dans sa poche), cet ouvrage permet de lever pas mal du brouillard entourant Cole – tellement que je parlerai que de ça dans les prochains chapitres.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Y’en a que pour Elvis Cole, et les petits interludes (flashbacks plutôt) sont nombreux et donnent au récit une dimension supplémentaire de grande volée.

Tout d’abord, c’est un jeune Cole dont nous suivons les premiers pas en présence d’une mère correctement folle. Du genre à décider, sur un coup de tête, à changer le prénom de son gosse. A partir sans raison pour revenir des semaines après, laissant le petit Elvis seul – lequel prévient un voisin qui l’emmène chez son grand père. Le type de maman à l’esprit jeté, instable au possible, qui fout la honte à son fils et le met dans des situations qu’à son âge il n’a pas à connaître. Comment se construire avec un tel passif ?

Ensuite, c’est presque tout naturellement que Cole s’engage dans l’armée et, fort de ses capacités à survivre, va sauvegarder les intérêts de l’éternelle Amérique au Vietnam. Une partie de plaisir. Sauf quand son unité, la 51, lors d’une mission où toute l’équipe est trucidée, à l’exception de Cole qui parvient à prendre un hélico en traînant le corps déjà froid d’un de ses camarades de jeu. De quoi constituer des liens très forts avec les familles de ses coéquipiers, où le terme « soutien » n’est pas un vain mot.

Plus généralement, c’est le thème de l’abandon qui lie ces deux expériences. Traumatisme de l’abandon par une mère à l’esprit aussi absent que le père est physiquement inexistant, et abandon d’équipiers d’infortune dans une guerre sale. Dans les deux cas, Cole n’y est pour rien, mais ne peut s’empêcher de se sentir comme responsable. Alors lorsque Ben est porté disparu, c’est la goutte de trop. Sans compter que la fuite reprend au cours du roman, avec la belle Lucy qui également remet en question son engagement avec Elvis – y’a que Joe Pike qui fait preuve d’une inébranlable fidélité. .

…à rapprocher de :

– Il fut un temps où votre serviteur avait fait une razzia sur Crais. Dans l’ordre de parution, ça donne : Indigo Blues ; L.A. Requiem ; le présent roman ; L’homme sans passé (mouais) ; Mortelle Protection (ne vous fiez pas au titre pourri) ; A l’ombre du mal ; Règle numéro un ; etc.

– Sans les héros habituels, vous avez Otages de la peur ( plutôt marrant) et Deux minutes chrono (à éviter).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Jérémy Fel - Les loups à leur porteHistoires de bourreaux qu’on n’aimerait pas rencontrer, expériences de leurs victimes dos au mur, le malaise est omniprésent avec ces multiples scénarios formant une mosaïque au teint sombre et inquiétant. Style plus que passable, péripéties à glacer le sang (même si certaines sont attendues), comment mieux illustrer le dicton qui veut que l’homme est un loup pour l’homme ?

Il était une fois

Une partie du quatrième de couverture ne peut pas faire de mal :

« Une maison qui brûle à l’horizon ; un homme, Duane, qui se met en danger pour venir en aide à un petit garçon qu’il connaît à peine ; une femme, Mary Beth, serveuse dans un dîner perdu en plein milieu de l’Indiana, forcée de faire à nouveau face à un passé qu’elle avait tenté de fuir ; et un couple, Paul et Martha, pourtant sans histoires, qui laisseront un soir de tempête, entrer chez eux un mal bien plus dévastateur. »

Critique des Loups à leur porte

Conseillé par une éminente connaissance du félin, cet ouvrage se décompose en une bonne douzaine de chapitres ayant pour titre le nom du protagoniste autour duquel sera concentrée l’action. J’avoue avoir eu régulièrement la trouille d’être largué par ces histoires en apparence indépendantes mais qui s’avèrent intimement liées. Aussi m’a-t-il fallu effectuer plus d’un retour en arrière pour confirmer que tel personnage cité est bien celui, plusieurs années avant, au centre de la narration de tel chapitre.

D’une France savoyarde aux Etats-Unis (NYC, Kansas en particulier), l’auteur nous convie à contempler plusieurs destins qui s’entremêlent, avec comme fil conducteur la monstruosité de certains. De l’autre bord, nous avons les victimes et quelques beaux chevaliers blancs (certains portant la double casquette), composant une poignée de duos tragiques où la prédation est reine. La trame temporelle s’espace sur une génération et met en scène autant de jeunes enfants que des individus plus aguerris qui ont connu l’enfer.

La plume de Jérémy Fel n’a rien d’exceptionnelle et reste souvent convenue, sa force résidant plutôt dans l’architecture de son bouquin. Son texte aurait même pu être franchement simple et efficace s’il ne perdait pas le lecteur avec des rêves (cauchemars plutôt) qui, outre de tuer le rythme, apportent une touche fantastique (et inquiétante) dont on aurait pu se passer car ajoutant à la confusion. La lecture n’en demeure pas moins plaisante et les scènes décrites prennent facilement vie dans l’esprit félin qui s’attendait à plus de stupeur.

Le bref avis du Tigre tiendra en une longue phrase : Jérémy Fel a pondu à notre intention un premier roman tout à fait correct, avec de solides représentations du mal à l’état pur serties d’une écriture sobre quoiqu’exagérément éthérée, sans compter un arc narratif original invitant à relire quelques passages pour en saisir la belle architecture ; mais de là à le comparer à un Stephen King made in France, faut un moment que la maison d’édition se retienne de prendre sa bite pour un mât de cocagne.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

C’est quoi ces loups ?? Ces vilains bestiaux soi-disant à la porte en ont déjà franchi le seuil (parfois laissé entre-ouvert) et ne laissent que désolation dans le corps et l’esprit de ceux qu’ils croisent… Il convient de remarquer que Jérém’ (tu permets Monsieur Fel) va dans le crescendo question noirceur de l’âme humaine : violences conjugales, mère infâme, ex copains devenus dingues, beau-papa tueur en série, pédophilie en colonie de vacances, réseau de fous furieux séquestrant et violent de jeunes ados pendant qu’ils les filment, ad nauseam.

Hélas, ces ignobles individus n’apparaissent qu’en surface et accusent parfois un déficit de réalisme (Le Tigre est, malgré lui, friand d’horribles descriptions). A l’exception remarquable de Walter, un psychopathe de talent qui n’hésite pas à rechercher un fils bientôt majeur dont il ignorait tout et établir de grands projets (peu légaux) pour lui, quitte à l’enfermer. Néanmoins, le travail littéraire rendant compte des points de vue des persécutés est d’une appréciable qualité. Panique totale lorsqu’elles tombent entre les mains du croquemitaine, déroulement des tortures subies, sauvetage (lorsqu’elles en ont la chance), comment elles surmontent ces épreuves dont, évidemment, elles ne sortent jamais indemne,…la finesse/justesse des états de ces hères est saisissant, en particulier le cas de Scott et sa mère.

Dans les derniers chapitres, l’écrivain se lâche (scènes plus dures par exemple) et ouvre de nouvelles perspectives quant à la mince frontière entre le statut de bourreau et celui de martyr. Lorsque d’affreux jojos finissent salement, on ne peut que se réjouir – surtout quand cela participe à la reconstruction d’autrui. En revanche, nettement moins optimiste est le cas de l’agneau qui prend un immense plaisir à anéantir son tortionnaire et entretien en quelque sorte l’héritage de ce dernier. Nous retrouvons alors, pleinement exposée, la question de la reproduction de la violence extrême à l’échelle de l’individu, même si l’auteur se garde bien de développer les ressorts psychologiques complexes qui font qu’un souffre-douleur se mue en donne-douleur – le cas de Damien reste un contre-exemple à signaler.

…à rapprocher de :

– J’ai souvent pensé à Magnolia, de Paul Thomas Anderson (récits indépendants se rejoignant, certains thèmes abordés, l’Amérique excessive).

– Un personnage est un sociopathe pur jus, et a quelque chose du méchant de Psychopathe, de Keith Ablow (plus chiadé question psychologie des protagonistes). Ou, encore plus proche, du vilain dans Satan dans le désert de Boston Teran – attention c’est ultra glauque.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Les textes du TigreIl faut que je vous parle d’un temps que les jeunes n’ont jamais connu. Lorsque la technologie ne s’était pas insinuée à ce point dans vos vies et que des esprits purs devaient faire preuve d’initiative pour aller quérir d’émoustillantes images. Voilà comment ça fonctionnait à l’époque [mode vieux con on/] Car c’était forcément mieux avant.

Ode à la recherche qui n’est plus

Début des années 90. Les billes laissent progressivement la place aux pogs dans la cours de récréation où se disputent quelques styles de musique. D’un côté, les punk rocks/skateurs à la démarche chaloupée et dont l’hygiène discutable ne dérange que les parents. De l’autre, les surexcités ne jurant que par les premières musiques électroniques, hélas seule l’eurodance est à l’honneur – en attendant mieux. Voilà comment Julien analyse son école primaire, espace qu’il maîtrise parfaitement eu égard les quatre années à fouler les couloirs d’un bâtiment dont les objets rapetissent à chaque rentrée scolaire.

En termes de technologie, les connaissances de Julien se limitent à la différence de processeur entre sa vieille Famicon et la SuperNes que certains parents ont accepté d’offrir. Julien n’en fait pas partie, pas comme son meilleur ami Sébastien avec qui il passe des après-midi endiablés à se balancer des carapaces vertes et rouges sur un circuit auto. Ils ont du arrêter de jouer à des jeux de football, le mauvais caractère de Seb’ ayant plus d’une fois coupé court la séance vidéoludique.

Ah si, il y a comme une mode passagère qui a débarqué dans sa ville. Cela a commencé par d’inquiétants bips sortant d’un artefact accroché à la ceinture de son médecin. Lequel prenait le téléphone le plus proche et rappelait son interlocuteur. Magie. Puis des indications sur certains lampadaires, tels des signes de chemins de grandes randonnées réservées aux vrais initiés. Jamais très loin, quelques hommes visiblement énervés hurlaient dans un petit téléphone sans fil. Sans fil. Dans la rue. Comme ça. Les premiers Bi-pops ont de la gueule, y’a pas à dire. Les ordinateurs se limitent à un monde professionnel que Julien ignore, il n’apprend dans les seuls cours reçus dans ce domaine qu’à rédiger des histoires pré-remplies qui, l’air de rien, sabordent sa créativité.

Quant à la sexualité, ce n’est pas encore le moment. Certes quelques jeux dans le préau ont pour résultat de rouler de solides patins à la fille désignée par le tournoiement d’une bouteille de soda capricieuse ; certes quelques rêves se finissent étrangement bien en apportant une douloureuse félicité qu’on ne saurait définir ; certes tirer sur la gaule du matin pour pisser droit procure de bizarres sensations, mais rien de bien révolutionnaire. Il y a bien un mystère persistant dans les hauteurs des librairies et papèteries, des formes dorées et rebondies qui agissent tels des aimants, toutefois le regard comme-si-de-rien-n’était mais puissamment torve du vendeur dissuade Julien d’y prêter plus attention.

Il sait évidemment comment on fait les gosses et a une solide idée de l’anatomie de ses contemporains, cependant lui et ses amis n’ont jamais été confrontés à des exemples concrets sur lesquels disserter. Tout n’est que supputations à partir d’informations plus ou moins fiables glanées auprès des grands frères ou expériences (restant à démontrer) de certains.

Jusqu’à ce moite après-midi de mai. Le jour où son ami Kevin annonce (ou avoue) la grande nouvelle à la bande. Sacré Kevin, dire que c’est le plus discret du groupe.

Le stress du VHS

Il y a deux semaines, Kevin a entrepris de savoir où ses cadeaux d’anniversaire ont bien pu être cachés par ses vieux. Ces derniers s’étaient absentés de 14 heures à 19 heures le samedi pour le concours hippique de sa sœur. Cinq heures pour retourner (et remettre en place) l’appartement et avoir la réponse à sa question : recevrait-il oui ou merde le dernier CD d’Unlimited System et/ou le dernier Street Fighter ? Si Kevin n’a pas eu la réponse à ces légitimes questions, il en a eu une autre d’importance.

En effet, Kev’ a débusqué nettement plus intéressant : dans un tiroir en hauteur (au-dessus des slips du daron) de la chambre parentale, sa main a buté sur une dizaine de cassettes VHS. Parce que le rangement est placé trop haut, il n’a vu la jaquette d’une cassette que lorsqu’il l’a saisie. Il aurait pu ramasser une grenade fumante que sa réaction aurait été la même : il l’a jetée au loin en poussant un cri de victoire. Puis a intensément réfléchi aux conséquences de cette exquise découverte. Vite oubliés, les cadeaux.

Avec une précaution qu’il s’est étonné posséder, Kevin a ôté quelques vidéos encastrées, tout en notant sur un bloc note la position de chacune d’elle en vue de les remettre en bon ordre. Sur le lit king-size sentant bon le papa, il a passé en revue son butin en lisant avec un intérêt non feint la présentation des acteurs et synopsis des aventures dans lesquelles ceux-ci évoluent. Un nouvel univers venait de s’ouvrir, encore plus exaltant que de savoir ce qu’il se passait dans les toilettes des filles. Plongé dans ses rêveries, Kev’ n’a repris conscience qu’à 18 heures. Impossible de prendre le risque de voir ses parents arriver, il a tout remisé dans le tiroir en veillant à respecter la disposition initiale.

Kevin finit d’exposer sa trouvaille face à une dizaine d’yeux globuleux, certains accusant un début de larmes reconnaissantes. Julien, Sébastien, Irénée, Adil et Stéphane n’en peuvent plus. Le mieux qu’Irénée et Sébastien aient connu se trouve sur une chaîne cryptée où, au-delà des froufrous électrisants, ils jurent avoir entendu des cris de femmes. Concernant Julien et Sébastien, ils ont eu chacun la chance, deux fois, d’escamoter la surveillance parentale pour contempler, le dimanche soir, un film de seins sur une petite chaîne hertzienne qui n’en finit pas de monter – leurs regards hagards le lundi matin étant une bonne indication de la réussite de leur entreprise.

Bref, les cinq compères veulent en savoir plus. Il veulent voir pour y croire. Demandent ardemment à ce que Kevin fasse tourner la cassette comme il fait la tournée des claques aux petits cons de CP. Leur camarade proteste, hors de question qu’une telle bombe se balade dans la nature. Merde, imaginez ce qu’il peut arriver ! Soit son père (ou, pire, sa mère) s’en rend compte rapidement et il passera un putain de mauvais quart d’heure. Soit un de leurs parents tombera dessus et demandera des comptes. Et là, Kevin sait pertinemment que la juste pression exercée fera de ses amis des petites balances. Que tous les doigts se pointeront vers lui et sa famille. Son père qui ne protège pas assez ses travers et laisse le fiston les louer à ses camarades. Toute une réputation qui vole en éclat, entre postures bien entendues de vierges effarouchées et ricanements dans les dîners mondains – chaque pater familias pensant à préalablement verrouiller un peu plus sa cachette à coquineries.

Deuxième solution, tout le monde va chez Kevin se repaître de ces vidéos. A proscrire. Déjà, la maman du jeune enfant est femme au foyer, et à part les concours de canassons de Julie (une fois par trimestre) il y a toujours quelqu’un dans la maisonnée. Ensuite, il habite en marge de la ville, Sébastien et Adil mettraient plus d’une heure pour faire l’aller retour. Enfin, et plus embêtant, il n’y a pas de lecteur VHS chez Kevin. Cette dernière excuse a correctement fait marrer le groupe, hélas c’est la stricte vérité : papa K. a bel et bien des cassettes de cul chez lui, néanmoins il n’a pas de quoi en profiter. « On confie bien le sérail à l’eunuque », dit Sébastien. Si personne ne comprend la remarque, le groupe sent bien que papa Kevin en a pris pour son grade.

Les voilà donc dans une impasse.

Hymne à l’esprit d’entrepreneuriat du pornographe

Irénée prend alors la parole. Irénée, enfant unique d’une famille catholique traditionaliste, fermement papiste à la limite de Saint-Pie-Dix, semble être le plus motivé pour débloquer la situation – et, par conséquent, son excès de testostérone. Or, par un heureux hasard, ses parents se rendent à une congrégation ce vendredi après-midi. D’après le tract de présentation qu’il a rapidement parcouru, la messe sera suivie par un frugal apéritif (à base de poisson évidemment) jusqu’à 19 heures. Le créneau est idéal et ne risque pas de se reproduire à moins que d’autres aient une meilleure option. Julien et consorts, plus attirés par l’appât de l’immédiateté que de la saine émulsion du faire-durer, acceptent. Plus que quatre jours.

Quatre jours seulement, c’est bien peu pour mettre en place une stratégie un tant soit peu crédible. La semaine est dévouée à préparer un vendredi après-midi d’exception. Chacun étant libre à partir de 15 heures, une fenêtre de tir (sans jeu de mots) s’offre à eux pendant quatre heures. Disons trois, le temps d’arriver chez Irénée et rentrer chez soi discrètement. Plutôt deux, en assurant une confortable marge de manœuvre au cas où les parents de l’hôte se décidaient à écourter leur messe.

Tout d’abord, trouver les excuses. Pas une seule seconde la possibilité de faire l’école buissonnière n’est née dans l’esprit des amis. Ce serait une première, et ils se feront prendre la main dans le sac à foutre aussi sûrement que s’ils se pointaient à un contrôle habillés de post-it d’antisèches. Normalement, de seize heures à dix-huit heures, cinq des compères jouent au foot dans le parc sous les yeux attendris de leurs mamans respectives. Comment leur faire comprendre qu’ils comptent mater un porno plutôt que taper dans le ballon ?

Pour compliquer la chose, Sébastien ne joue pas au foot et a pour habitude de faire ses devoirs du weekend le vendredi après-midi sous le regard ferme mais juste de son paternel. Pour lui, l’idée est simple : il ira chez Adil réviser, ce dernier n’étant au parc qu’une fois sur deux. Adil, officiellement, ira chez Sébastien bosser aussi. Leur famille ne se connaissant pas, l’alibi n’aura pas à être motivé. Reste Kevin, Julien, Stéphane et Irénée. Extrême complexité.

Après des heures de réflexion, la solution optimale est trouvée : Julien et Steph’ iront finir un projet d’histoire-géographie chez Samuel, un copain proche dont la baby-sitter a autant de neurones qu’un couple de drosophiles asexués ; tandis qu’Irénée rentrera sagement chez lui pour attendre ses parents. Le plus délicat fut d’informer ce bon Samuel sans lui avouer la finalité du mensonge. Sam, très porté sur la bonne chair, se laisse corrompre par trois paquets de barres chocolatées. Aussi simulera-t-il un contre-temps dans le devoir à rendre et annoncera à la connasse qui le garde qu’il avance le projet tout seul.

Les alibis trouvés, il convient ensuite de se diriger vers le lieu du crime. Et c’est plus retord qu’il n’y paraît. Cinq garçons se dirigeant chez un de leurs amis alors qu’il sont censés faire autre chose. Y aller tous ensemble reviendrait à louer un char doté d’une enceinte de 400 MW et au-dessus duquel un néon afficherait un tonitruant « doing something dirty ». Même par paire, ce serait forcément suspect. C’est à l’aide de l’équivalent d’une carte d’état-major (le plan de la ville prélevé dans l’agenda d’Adil) que, dans les couloirs de l’école pendant la récréation du jeudi, nos amis mettent en place les itinéraires de chacun.

Pour faire simple, Irénée ne change rien ; Adil le suit à quelques encablures de là en s’arrêtant sporadiquement dans les commerces avoisinants ; Sébastien passe par le nord pas loin des terrains vagues avant de redescendre plein pot ; à l’inverse de Kevin qui emprunte la route sud sur quatre cents mètres ; pendant ce temps Julien et Stéphane prennent un bus pour se diriger chez Samuel mais s’arrêtent à une autre station en vue de faire demi-tour vers la piaule d’Irénée. Si tout se déroule comme prévu, les six débarquent au point de rendez-vous dans un intervalle d’une dizaine de minutes à peine. Et si quelqu’un croise une connaissance de ses parents respectifs, il est réputé grillé et accepte de rentrer chez lui.

Enfin, et très certainement plus éprouvant est le rôle de Kevin. Celui qui apporte le « paquet ». Car il n’aura pas, de toute évidence, le temps de rentrer chez lui et repartir chez Irénée. Aussi doit-il avoir la cassette sur lui toute la journée de vendredi. Le supplice commence dès le mercredi soir, seul moment où l’absence ponctuelle de ses géniteurs (dix minutes pour prendre les courses livrées au rez-de-chaussée) l’autorise à subtiliser une cassette de cul. Qu’il cache sous le matelas de son lit pendant deux jours, telle une ogive nucléaire qu’un simple pet suffirait à déclencher. Pourquoi sous le lit ? Car il s’était déjà fait gauler en y camouflant un Echo des Savanes, et sait que c’est bien le dernier endroit où on le suspecterait de réitérer ses cachoteries.

Cependant, dès que maman se penche pour lui faire son bisou-du-dodo, Kevin serre les fesses à avoir des crampes monstrueuses, partagé entre l’envie d’écourter le câlin et la nécessité de n’éveiller aucune suspicion. Sans compter les allées et venues de sa famille pour aller aux toilettes. Il se découvre alors une finesse d’ouïe qui confine au paranormal, chaque pas ou porte qui se ferme fonctionnant mieux que son réveil matinal.

Et ce n’est rien par rapport à savoir la VHS au fond de son cartable pendant toute une journée d’école. Kevin a très sûrement touché de très près la définition du terme « paranoïa psychotique ». Ce mal qu’il expérimente n’est pas pour rien à son choix de carrière de psychiatre qu’il prendra d’ici dix ans. Cette sensation d’être épié, que son monde peut s’écrouler à tout instant, voilà qui est nouveau. Pour la seule et unique fois dans son existence d’écolier, entendre la maîtresse l’appeler, lui répondre un timide « oui Madame ? », puis devoir aller au tableau réciter la leçon est un soulagement. Kev’ vérifie cent fois si son cartable est bien fermé, et ne sortira pas plus d’un cahier à la fois. Il manipule son sac comme un démineur un objet suspect trouvé dans un aéroport syrien. Il se sent plus alerte, vivant et les petits soucis du quotidien lui paraîtront bien faibles en comparaison, il en est persuadé.

Kevin sait être l’artisan principal de leur entreprise, le héros méconnu alors que tous les regards se portent sur Irénée.

Finalement, tout s’est déroulé selon leurs plans : 16 heures et 24 minutes, tous sont chez Irénée. Une heure et demie devant eux. Pas le temps de prendre un apéritif-cola, la vidéo est enclenchée dans le magnétoscope. Néanmoins, celle-ci n’est pas mise en route avant que Kevin, armé d’un stylo et de son habituel bloc note, renseigne précisément la position du timer afin de rembobiner exactement la cassette sur la même scène. Il pense à tout. Vraiment ?

Le premier faux porn

Déception. La sélection a porté sur une VHS sur laquelle les femmes étaient nombreuses et aguicheuses. L’absence de mecs sur la jaquette aurait dû l’avertir. Une heure trente de porno chic lesbien dont l’acmé consiste à l’insertion d’un pauvre canard en plastique dans un bain rempli de mousse. On ne voit donc rien. Le reste du film ? Des cocktails sur une plage d’Acapulco agrémentés de regards fuyants et d’une narration verbeuse, in petto, par la plus niaise des héroïnes. Un film français, indubitablement.

Les six compères ont beau répéter que c’est de la merde et attendre patiemment que le barman de la plage soit mis à contribution, rien n’y fait. Mais ça ne les a pas empêché de bander comme des ânes. Tout le week-end.

Brubaker & Rucka & Lark - Gotham Central Tome 3VO : On the freak beat. Publié sous Gotham Central #23-31. Investigations classiques mais rondement menées, apparition fugace de Catwoman, une pincée de savants et collectionneurs fous, les flics sont seuls à résoudre ces mystères. Roman graphique plus qu’un comics de super-héros, ce troisième plongeon dans le quotidien du GCPD reste satisfaisant, même si l’ennui pointe rapidement le bout de son nez. 

Il était une fois…

Comme je résume les intrigue dans le corps du billet, autant en profiter pour copier ce que gazouille l’éditeur :

« La fine fleur des inspecteurs de Gotham reste toujours sur la brèche, alors que des soupçons de corruption remontent à la surface. Crispus Allen enquête sur le douteux expert Corrigan, tandis que Catwoman et le Dr Alchemy compliquent la tâche de ses collègues. »

Critique du troisième tome de Gotham Central

La première histoire, intitulée Corrigan, fait référence à un expert à la moralité douteuse à qui il arrive de vendre des preuves à forte charge affective. Sauf que la disparition d’une balle ayant servi à tuer Black Spider (par un flic en légitime défense) est de nature à mettre en danger le duo Montoya-Allen. Ambiance polarde sombre assez plan-plan, rien à dire. Plus contemplatif est Extinction des feux, où le maire décide de démonter le batsignal, avec ce que ça implique pour les médias/politiques/policiers qui ont chacun un avis bien tranché.

Le troisième scénario, Boulevard des tordus, consiste à découvrir quel est le meurtrier d’un révérend – tout indique Catwoman en tant que responsable. Dénouement attendu, bof bof. Heureusement que la suite est nettement plus « fantastique » avec un sauvetage qui tourne mal d’un gosse dans une cave : le policier sur les lieux est aspergé par une mystérieuse substance aux effets dévastateurs et il faudra le concours du Dr Alchimie (bien connu de Flash) pour sauver les meubles. Ce dernier souhaite se rendre à Gotham pour soigner le pauvre flic – s’agit-il de nobles sentiments ou a-t-il une idée derrière la tête ?

Le lecteur terminera par une sorte de prequel mettant en scène Josie McDonald, flic de caractère à l’instar de Renée Montoya. Ce chapitre sorti de l’imagination de Winick et Chiang a réellement réévalué l’estime que je portais à ce comics dans la mesure où celui-ci est plus intense et complet. On y découvre la particularité de Josie qui est de retrouver les objets perdus auxquels tiennent les autres (mais pas les êtres humains), ce qui finit forcément par la desservir. Étant éjectée des enquêtestes pour s’occuper de la brigade des mineurs, elle se retrouve impliquée dans un crime de grande envergure, à savoir le kidnapping d’un ponte de la mafia. Et quel dénouement (plein de surprise et choquant) !

Concernant les illustrations, le lecteur restera dans la veine des tomes précédents, avec comme différence des tons encore plus sombres associés à des couleurs froides. Rien de joyeux ne ressort des planches, et je ne parle pas des visages fermés des protagonistes dont le boulot et/ou les histoires personnelles (l’homosexualité de Montoya est encore en première ligne) creusent les traits. En outre, mis à part le dernier chapitre sur Josie Mac, le félin a été comme blasé, au bout de 200 pages, de ces illustrations réalistes et dialogues servant des polars sans grande ampleur dramatique.

Le trait sobre et sans artifice, les enquêtes à la papa dont les dénouements sont rarement surprenants, tout ceci participe à la dénaturation d’un comics qui a tout du roman graphique sans concession et où les superhéros/méchants interviennent le moins possible. C’est pourquoi lire ces tomes d’une traite n’est sûrement pas recommandé, et Batman vient vite à nous manquer.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

J’ai pris du temps à m’en rendre compte, mais si Batman intervient si peu, c’est parce qu’il n’en a rien à battre des pérégrinations de Renée Montoya et consorts. Pas de plans diaboliques susceptibles de foutre la ville à feu et à sang, seulement de minables meurtres, luttes intestines et petits faits de corruption de la part de la maison poulaga. Bref, rien de bien affriolant pour un Chevalier Noir qui a sûrement d’autres chats à fouetter, au mieux quelques vacances méritées avec Alfred. Lorsque le naturel et le réalisme de l’enquête policière prend le pas sur le fantastique, il convient de rester dans cette ambiance terne et désespérée qu’incarne si bien une Gotham ronronnante – business as usual.

En guise de conclusion, dites-vous que Gotham Central est une série uniquement sur les Gothamites, en particulier la population policière face à des criminels plus ou moins retors. De nature méfiante à l’égard du Chevalier noir, les forces de l’ordre apparaissent tels des individus « normaux » habités par les mêmes espoirs et craintes que le commun des mortels…et leurs travers. Ces policiers doivent également faire des concessions, du flic franchement ripoux au lieutenant qui accepte d’avoir temporairement recours à un vilain pour avancer dans ses enquêtes. Cela permet de relativiser, dans une certaine mesure, la soi-disant menace d’un Batman.

…à rapprocher de :

Le premier tome (ici) et le second tome (par là) sont en lien. Comme je le suggérais, pas besoin besoin de les lire dans l’ordre piochez donc à votre convenance.

– A toutes fins utiles, la présente saga a lieu après le gros bordel qui a failli détruire Gotham, conté dans No Man’s Land (tome 1 sur le blog, tome 2 également).

– A toutes fins utiles, cet arc narratif se place bien après le gros bordel qui a failli détruire Gotham, partie qui est contée dans No Man’s Land (tome 1 ici).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce comics en ligne ici.