De Metter & Lacoste - Le curéUn jeune curé débarque, avec sa candeur et ses belles idées, dans un village qui possède ses histoires pas nettes. Roman graphique / bande dessinée contemplatrice et douce-amère, il y a une certaine beauté (surtout au niveau du dessin) malgré un scénario aussi chiant qu’un dimanche en Angleterre. Tigre a connu pire ceci dit.

Il était une fois…

Au milieu des années 30, dans une campagne indéfinie, arrive le père Vincent, lequel prend ses nouvelles fonctions. La population est affable, chacun fait du mieux qu’il peut, toutefois une certaine tension est entretenue par le docteur du village. Lequel, croyant un jour qu’il est sur le point de mourir, confesse un crime. Le curé, malgré lui, se retrouve au milieu d’un joyeux bordel qui pourrait bien mal finir.

Critique du Curé

Bon, ça ne casse pas trois pattes à un canard, néanmoins parcourir les pages de cet illustré ne fut pas un chemin de croix pour autant. Et ceci grâce aux illustrations de Christophe de Metter. Le mec a des doigts de fée et réussit à transformer n’importe quelle scène classique (une discussion autour d’un verre, un banal voyage en train) en un joli tableau typé « aquarelle » où les couleurs, discrètes, sont sublimées par un trait précis et enjoliveur.

De Metter & Lacoste - Le curé extrait 1Les visages des personnages sont étonnamment vivants tandis que le décor (voire l’architecture) a ce quelque chose d’immersif et de familier…sinon rassurant – on se croirait chez soi dans cette BD qui pourtant prend place avant la seconde guère mondiale. Quant à l’histoire, le félin a cru décerner trois grands temps. D’abord, la « pose » des personnages avec la découverte, par le curé, des habitants du village. Et notamment l’obligatoire « bouffeur de cureton » qu’est le Docteur Tadrowski, imposant protagoniste relativement bourru qui n’est pas sans rappeler un certain Pasteur.

Ensuite, et c’est là que le lecteur « sort » de l’ennui, le Docteur dévoile, sur ce qu’il pense être son lit de mort, un terrible égarement qu’il a eu avec une femme dont la disparition n’a toujours pas été résolue. Sauf que Tradowski se remet de sa maladie et devient nettement plus aimable avec ses congénères. Pour le père Vincent, cette soudaine philanthropie n’est que poudre aux yeux pour acheter la crédulité des gens. Lesquels ne peuvent imaginer le secret glauquissime de leur bon docteur.

Enfin, un dénouement en plusieurs temps. Le daron du héros décède, ce dernier a comme des moments de doute sur sa vocation, psychote sur le lieu où aurait été tuée la jeune Camille (celle que le docteur aurait violée), avant de se faire cueillir comme un vilain petit fruit mûr par des flics peu amènes l’accusant dudit meurtre. Les couleurs deviennent plus fades jusqu’à être carrément sombres, tout n’est qu’obscurité et tristesse jusqu’à un dénouement aussi rapide que l’éjaculation précoce d’un adolescent boutonneux. Et pis c’est fini. 100 pages qui passent trop vite, le félin ne sait pas si c’est bon signe ou non.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

De Metter & Lacoste - Le curé extrait 2Cette bande dessinée présente sur le ring de la narration le sempiternel combat entre la religion et le « réalisme » prôné par certains. Ici, le principal contradicteur du père Vincent est le docteur du village, figure d’autorité aussi stable (aux yeux d’autrui) que cynique. Le seul gars dans le coin qui semble avoir des manières (il est d’une rare courtoisie, quoique acerbe, avec le curé) et une belle bagnole, bref un interlocuteur qui fait office de quasi contraire de Vincent : vieux, désabusé, très souvent assertif, voire catégorique dans ses idées. Le genre de gus qui pourrait être élu maire en trois coups de cuiller à pot.

Car le Docteur Tradowski sait quelque chose qu’ignore le jeune prêtre : l’Homme est mauvais par nature et il faut l’appréhender tel quel. Pourtant, après son épisode maladif, le médecin fera montre d’une gentillesse qui confine à une sorte d’absolution. Curieusement, le père Vincent ne songe pas une seconde que le vioque ait pu changer et ne s’y trompe pas : ce n’est pas en arrosant le village de ses bienfaits que le doc’ se fera pardonner. Hélas, Vincent est comme bloqué : ne pouvant trahir le secret de la confession, il tentera seul de déterrer (au sens premier du terme) les cachoteries de celui qui est vite considéré comme un ennemi, jusqu’à perdre temporairement la boule. Et de se retrouver interrogé comme un vulgaire violeur par une odieuse flicaille.

La moralité de cette histoire ? Tradowski, sans doute impressionné par la ténacité du jeune prêtre, se dénoncera puis se tirera une balle dans la tête. Être bien vu des autres malgré ses péchés, oui. Faire condamner un innocent, sûrement pas.

…à rapprocher de :

– Avec De Metter, vous seriez susceptible d’aimer Piège nuptial, adaptation graphique d’un roman de Douglas Kennedy. Pas mal du tout.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette BD en ligne ici.

Peter F. Hamilton - La Grande Route du Nord, tome 1VO : Great North Road. Dans un futur pas si lointain, où l’Homme est capable de se télétransporter d’un monde à l’autre, le meurtre d’un homme met l’Europe en émoi. Pourquoi, mais surtout comment est-ce arrivé ? Tandis que l’enquête policière piétine, les autorités décident de mener doublée une expédition scientifico-militaire. Premier opus terriblement efficace, même si de la part de cet auteur le sense of wonder se fait attendre.

Il était une fois…

En l’an 2143, la ville de Newcastle (pas loin de l’Écosse) vit dans l’opulence grâce à un portail transpatial menant vers St. Libra, planète immense dont les conditions climatiques sont proches de la Terre – et où est cultivé un biocarburant fort précieux. C’est dans cette ville au nord de l’Angleterre qu’est tué un North, membre d’une puissante famille. Chose bizarre, cet assassinat ressemble fort à une autre affaire datant d’une vingtaine d’année.

Critique du premier tome de La Grande Route du Nord

[D’habitude le fauve traiterait le roman dans sa globalité, surtout que celui-ci est sorti en un seul tome en VO. Mais y’a tellement à dire sur les ouvrages de Peter F. H. que je préfère lâcher mes impressions dès maintenant]

Très souvent avec l’auteur anglais, les premières pages offrent quelques dates importantes permettant de savoir où en est l’Humanité. Voilà ce qu’il faut savoir :
1) Les connexions transpatiales existent, et grâce à elles des portails permettent de passer de la Terre à n’importe quel endroit de l’univers. Très vite les nations (les U.S.A., la Chine, la Grande Europe) mettent en place leur propre organisation pour explorer le vaste monde.
2) Hélas, il y a comme une sorte de virus/ennemi E.T. qui commence à attaquer les colonies humaines dispersées aux quatre coins de l’univers. Le Zanth, menace aussi vive qu’impossible à appréhender, consiste en une corruption des lois de la physique qui détruit tout sur son passage en dégringolant du ciel tels des anges de cristal de taille imposante – un exemple vibrant sera donné en fin d’ouvrage.

Maintenant, la petite constante propre à l’auteur anglais (il y en a d’autres) : le pouvoir au main des grandes dynasties, en particulier les North. Prenez un richissime vétéran de la guerre d’Afghanistan, Kane North, qui entreprend au cours du XXIème siècle de se cloner. Plus d’un siècle après, vous avez une famille de clones répartie en trois catégories (A, B et C) : les descendants d’Augustine (lequel s’occupe de l’industrie familiale, à savoir le biocarburant de St. Libra) ; ceux de Baltram, personnage attaché à obtenir les clés de l’immortalité ; et ceux de Constantine, lequel s’est exilé autour de Jupiter pour travailler sur l’interface homme-machine.

Si le félin vous parle de cette famille, c’est parce que malgré les dizaines de personnages que le lecteur suivra, il y a toujours un lien avec les North. Aussi, lorsque le roman démarre par le décès d’un inconnu qui n’est pas sans rappeler l’assassinat de Baltram deux décennies auparavant, la police de Newcastle (chapeautée par Sidney Hurst) ne met pas longtemps à identifier la victime : c’est un North, mais lequel ?  Aussi une grosse partie du roman consistera à l’évolution de l’enquête, passages assez longuets sur lesquels le félin n’aimait guère s’appesantir – Tigre a connu mieux question techno-thriller .

Plus intéressants sont la mise en œuvre et le déroulement de l’expédition scientifique sur la planète St. Libra. Suivant tour à tour un pilote d’hélicoptère, un soldat ou une consultante, le lecteur aura l’occasion de sentir l’aspect SF inquiétant du roman, à savoir une menace sourde qui fait que des membres de l’équipée passent régulièrement l’arme à gauche, sans doute à cause d’une entité extra-terrestre dont on ne sait rien. Pour renforcer l’immersion dans un univers qui n’est pas sans rappeler ceux déjà développés par Peter F. Hamilton (les impressions de déjà-vu sont nombreuses), quelques flashbacks sont dosés ici et là dans la narration.

Ce sont ces courts passages qui démontrent, si besoin est, la créativité de l’écrivain. Des problématiques pas si futuristes que ça sont posées : la manière dont il a été mis fin à un cartel, mais surtout la vie immensément riche d’Angela Tramelo, véritable héroïne du roman. Car cette jeune femme, outre le fait qu’elle est une « 1 sur 10 » – c’est-à-dire qu’elle ne vieillit que d’une année tous les dix ans -, semble en fait être le rare protagoniste qui a une idée de ce que s’apprête à affronter ses camarades. Présente lors de l’assassinat de Baltram, prisonnière des geôles anglaises pendant 20 ans, libérée en vue de participer à l’expédition, Angela mériterait un roman rien que pour elle.

Bref, encore un titre qui appelle à lire sans attendre la suite. Laquelle a intérêt de répondre à quelques questions.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le titre renvoie à la route bâtie par les Romains et menant vers le mur d’Hadrien. Cette construction avait pour objectif de protéger l’Empire contre l’ennemi venant du Nord, à savoir les hordes barbares écossaises dont les Romains ignoraient beaucoup. Dans le présent roman, la situation est encore plus diffuse pour nos héros : il appert de plus en plus probable qu’un E.T. avec des mains faites de griffes se balade sur Terre – même si la thèse du règlement de comptes par gangs interposés reste séduisante. Pourquoi tuer un North, et surtout comment s’y-est-il pris ? L’autre question peu abordée (donc potentiellement cruciale) concerne la planète St. Libra : d’où sort ce grand paradis ? La planète paraît avoir été façonnée en un temps extrêmement court, et seule une civilisation extrêmement puissante peut réaliser tel exploit. Face à autant d’inconnues, une certitude : l’Humanité est immensément fragile, notamment à cause des portails dont l’efficacité en termes de protection est similaire au mur d’Hadrien.

A toutes fins utiles, Peter F. Hamilton décrit un futur relativement optimiste avec des contingences pas si différentes d’aujourd’hui – trouver un appart’, composer avec les politiciens, mener une enquête policière. La différence concerne les moyens dont disposent les autorités pour surveiller ses concitoyens, en particulier les particules intelligentes disséminées dans les villes et qui fonctionnent comme des millions de caméras. L’auteur donne un exemple d’utilisation de ce maillage pour créer une simulation aidant à savoir ce qui a bien pu se passer avant un meurtre. Bien évidemment, les flics se heurtent à l’intelligence des criminels qui ont une longueur d’avance sur eux. Le citoyen lambda n’est pas totalement démuni face à la toute puissance de la surveillance dont il peut s’échapper : comptes bancaires secondaires cachés de l’administration fiscale (même les flics y ont recours) ; discrets logiciels espions (Saul et Angela ont la chance d’en posséder) ; identités multiples ; etc.

…à rapprocher de :

– Vous vous doutez que je suis un habitué de cet auteur. Jugez plutôt : L’Aube de la nuit, (la base, c’est de la bonne) ; La Saga du Commonwealth (miam) ; La Trilogie du Vide (suite directe de la dernière saga qui envoie du très lourd) ; voire La Grande Route du Nord (tome 1 et tome 2 sur le blog), un tantinet décevant. Sans oublier les one-shot que sont Dragon déchu (un putain de must !) ou Misspent youth (sans plus).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Olson - JuliaPendant une bonne vingtaine d’années, les aventures d’une certaine Julie (devenue Julia) ici regroupées en unique tome ! D’une ingénue désireuse de sortir de sa cambrousse à une péripatéticienne de luxe (et de talent) usant et abusant de ses charmes aux quatre coins du monde, voici l’histoire d’une femme qui ne craint pas pour son cul. Marrant mais dispensable.

Il était une fois…

Julia en a marre de traiter vaches et cochons dans sa campagne qu’elle abhorre. La belle paysanne bien en chair décide donc de quitter sa campagne et monte à la capitale histoire de voir si l’herbe n’est pas plus verte à Paris. Non seulement l’herbe y est plus verdoyante, et ce grâce à ses atouts qu’elle utilisera sans vergogne…

Critique de Julia

L’éditeur Dynamite a bien voulu envoyer à votre serviteur l’intégrale des aventures de Julia, qu’un certain Olson a publié dans l’International Presse Magazine depuis le milieu des années 80. Le résultat, à savoir une demie douzaine de chapitres, aurait pu se laisser relativement bien lire… sauf que les pérégrinations de Julia ne sont, à mon humble avis, pas faites pour être parcourues aussi vite. Et oui, Julia est destiné à être picorée comme une petite paire de Mon Chéri lors de grandes occasions – sinon c’est la crise de foie.

Olson - Julia extrait 1Rien que les illustrations provoquent un certain écœurement dont il est difficile de se départir. Le noir et blanc, que l’on retrouve souvent dans l’univers de la bande dessinée, est décidément classique dans le X le plus libéré…ici, la pornographie est franchement assumée, que ce soient la préparation de l’héroïne (rasage de fouf’, suçage en règle) et ses performances autant que les partenaires qui, à plusieurs (punition = gangbang), font montre d’un entrain qui dépasse les cases sensées délimiter le terrain de la narration. Car tout semble excessif chez Olson, les personnages (surtout certaines parties de leur anatomie) débordent du cadre de la bienséance même visuelle.

La bienséance voudrait aussi qu’une jeune fille venant de la campagne prenne sa vie en main. Au lieu de ça, l’opulente Julia se laisse entraîner dans des expériences sexuelles aussi jouissives que dégradantes. Repérée puis embauchée par un certain « Major », l’héroïne se fera ramoner le fion plus d’une fois par son nouvel employeur (dont la lieutenante, Barbara, prend en charge les opérations) pour se transformer en une pute de luxe capable de charger un max les clients. Du yacht du Major à Venise, en passant par des sous-sols remplis d’hommes libidineux, Julia vendra son corps de déesse à des inconnus prêts à payer très très cher.

En conclusion, voilà une BD dont le maître mot reste l’excès : les seins sont lourds, les bites sont exagérément gonflées d’un plaisir inextinguible, les désirs des protagonistes paraissent inarrêtables, bref l’idée de la grosse salope qui en veut est développée à un niveau aussi crédible qu’un homme politique vous annonçant qu’il va baisser vos impôts. Ainsi, soit Julia vous fait doucement sourire, soit grimacer avec ce petit quelque chose qui met mal à l’aise. Au-delà des péripéties assez obscures et dont la logique a parfois échappé au félin, découvrir la prochaine scène « hard » est la seule chose censée à espérer d’Olson.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Olson - Julia extrait 2Le sujet premier est celui de la pute de luxe qui paraît concilier plaisir et boulot. Certes Julia ne pensait pas quitter sa ferme pour se faire triturer le clitoris à ce point (et le trou de balle, entre autre), toutefois Olson dépeint notre héroïne comme une femme qui, progressivement, prend un sacré panard à exercer son activité. Outre les beaux endroits visités et l’argent facile (même si cela prend un certain temps), Julia paraît accepter les menus désagréments d’un métier aussi exigeant que demandeur. Sans compter que le dessin, à chaque chapitre plus léché, promet davantage et accompagne des aventures plus coquines.

[second point de vue] Pour être franc, cet illustré peut être également analysé comme un condensé de vilenies machistes (et, dans une certaine mesure, sadomasochistes) où le consentement féminin est aussi bienvenu qu’une tranche de jambon dans une synagogue. Plus d’une page est glauquissime (les punitions de Julia ou ses congénères ne sont guère enviables), et comme par magie la douleur fait rapidement place au plaisir coupable, à un sentiment libérateur qui a tout de l’orgasme de l’absolution. De temps à autre la Julia tentera de s’échapper, et toujours au bercail rentrera. Car cette dernière finit par réellement aimer ça – du moins ça semble le cas -, le lecteur croyant honnêtement que notre amie, en plus de l’avoir bien méritée, apprécie cette dure (dans tous les sens du terme) leçon de plaisir.

La morale de ces différentes épreuves, quoique puante (viol, agression voulue, plaisir immense, bref j’en veux encore), ne doit pas faire oublier qu’il s’agit de fiction où les fantasmes les plus inavouables (et donc peu réalistes) sont présentés avec la bonhommie qui sied à une BD érotique.

…à rapprocher de :

– De cet auteur, le félin a également parcouru Mi-anges, Mi-démons. Assez sale et brouillon, mais non sans un certain succès.

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Jean Amila - Jusqu'à plus soifLorsqu’une jeune femme débarque dans un village normand fait dont la spécialité est la production clandestine d’alcool à plus de 90°, soit elle s’adapte et ferme sa gueule, soit elle lutte contre la rude campagne où les écoliers biberonnent leur café alcoolisé. Pas mal pour un polar sociétal vaguement humoristique des années 60, mais pas de quoi bander comme un cochon.

Il était une fois…

Marie-Anne, jeune institutrice, prend ses fonctions à Nomville, village paumé en Normandie où les pommes et les distilleries sont reines. Nomville est également connue pour ses nombreuses noyades de jeunes femmes dans les inoffensives marres… La nouvelle connaît seulement un cousin, Augereau, gendarme jouant au chat et à la souris avec des habitants pour qui les lois contre la distillation clandestine n’ont pas lieu d’être. Parmi eux, le fougueux Pierrot, qui va bientôt participer à son premier chargement d’alcool non déclaré vers la capitale. Tant de nouveautés, ne sont pas bonnes pour la stabilité…

Critique de Jusqu’à plus soif

Un polar pris au hasard, et en voiture Simone ! Bon, pour ce qui est du style, la limpidité et le franc-parler sont au rendez-vous, et malgré l’absence de chapitres le félin s’est surpris à avaler le roman en une paire de jours. On peut juste déplorer le manque de réalisme (ou du moins la difficulté à se représenter) quelques personnages dont les caractères ne m’ont pas paru assez distinctifs ; ainsi que les scènes de poursuites automobiles un poil confuses dans l’esprit de votre serviteur.

Pour ce qui est de l’histoire, bah c’est comme à l’entraînement. Le lecteur suivra deux protagonistes. Marie-Anne, d’abord, épouvantée face au degré d’abrutissement de ses élèves qui s’envoient régulièrement plus de 90 degrés de gnôle derrière le gosier. En balançant dans la cour les précieux breuvages, Marie-Anne se met forcément le village à dos – dont la directrice, perfide garce. Quant à Pierrot, c’est le finaud de la bande qui très vite, en étant plongé dans le bain de la vente clandestine, découvre le haut niveau de truanderie dans lequel il s’implique – là où la mort est une donnée comme les autres.

L’équilibre qui veut que personne (ni le maire, ni la hiérarchie des gendarmes) ne bouge le petit doigt face à la « tradition » de Nomville vole ainsi en éclat et prend une tournure de descente aux enfers. Pour Marie-Anne, il s’agit d’une terrible humiliation où on la force à boire, avec la bénédiction de la vache mal bai..euh la directrice de l’école. Quant à Pierrot, il  veut péter plus haut que son cul – tout comme Bardin, aubergiste qui en veut toujours plus. Sauf qu’en souhaitant monter son affaire trop vite (et sans les intermédiaires comme Rousseau qui lui ont fait confiance), Pierrot se fera sévèrement remonter les bretelles. Si vous rajoutez quelques accrochages, des perquisitions (une première à Nomville !) et des règlements de compte de dernière minute, vous avez largement de quoi provoquer une insurrection dans une bourgade prête à exploser.

Que penser de Jusqu’à plus soif ? Il convient de noter que l’ambiance bon enfant ne dure pas. La légèreté ambiante fait rapidement place à quelque chose de plus sombre, glauque et tristement connu : la bêtise humaine. Difficile, pourtant, de ne pas avoir en tête quelques scènes des films de Jean-Luc Godard, et bien évidemment les fameux Tontons Flingueurs – mais ici du côté revers de la médaille.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La corruption des esprits (distiller ne serait pas si grave) et des corps est totale, les habitants ne s’en rendent d’autant pas compte qu’ils évoluent au sein d’une communauté fermée. Les seules manifestations extérieures restent des forces de l’ordre pas bien inquiétantes et l’arrivée d’une Marie-Anne justement liée à un des gendarmes, son cousin. Une partie de cette corruption s’étend également à des plus hautes sphères, en particulier la « Rue Miromesnil », à Paris, en charge de la lutte contre la contrebande d’alcool et où certaines personnes tirent des ficelles pas nettes. La différence entre la campagne normande et la grande ville est alors une question d’envergure de corruption, et des moyens de gérer les conflits potentiels – agressivité sournoise et grande gueule d’un côté, négociation et distribution de pots de vin de l’autre.

Le titre renvoie au fléau qui secoue Nomville, à savoir un alcoolisme qui n’a rien de mondain. Du genre à se servir des verres comme on discute de la météo, ou à remplir les gourdes des gamins avec du café mélangé à de la goutte. Les enfants sont abrutis d’alcool et certains, pour des raisons qu’on ne veut savoir, finissent noyés la tête la première dans les mares aux alentours. Un bel exemple de la dangerosité de ce produit est l’abbé du village : celui-ci, pour prouver à Marie-Anne que la goutte n’est point un vice, se promet de ne pas y toucher pendant une semaine. Cette promesse est plus qu’une épreuve dès le deuxième jour lorsque le delirium tremens se manifeste : l’abbé explose tout bonnement en vol et termine entre deux planches.

…à rapprocher de :

– Paraîtrait que Jean Amila a d’autres œuvres à son arc. Le félin s’y intéressera prochainement.

– Beaucoup font la comparaison avec Fantasia chez les ploucs, de Charles Williams. Franchement, faut pas exagérer, le roman de l’Américain est un peu plus fun et gouailleur.

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Sokal - L'AmerzoneSous-titre : Le Testament de l’explorateur. Dans un pays sud-américain doté de grands espaces, l’inspecteur Canardo accompagne un scientifique malade à la recherche des fameux oiseaux blancs de l’Amerzone. Personnages hauts en couleurs, beauté et tristesse des endroits visités, il est difficile de ne pas rêver face à cette moderne épopée. Envoûtant et cynique.

Il était une fois…

La capitale de l’Amerzone, Alvarezopolis, est en pleine ébullition. La révolution est allée à son terme, et le dictateur honni est remplacé par un militaire…qui ne tardera pas reprendre les bonnes habitudes de son prédécesseur. Dans ce joyeux bordel, un aventurier libéré de prison veut absolument reprendre sa quête – une chimère selon certains. Le voyage est semé d’embûches, et ce d’autant plus que quelques uns voient dans l’objet des recherches de l’aventurier de quoi prendre le pouvoir.

Critique de L’Amerzone

Ceci est le cinquième tome des aventures d’un canard anthropomorphe porté sur la clope et la boisson, et qui est suffisamment complexe et belle pour être le matériau d’autres œuvres tout aussi excellentes – jouez ne serait-ce qu’une fois à un jeu imaginé par Sokal, et vous comprendrez. Rien que le dessin, qui peut paraître parfois brouillon et écrasé par un texte décidément bavard, est d’un réalisme rare, qu’il s’agisse des paysages ou les gueules des personnages – mazette, ça suinte la misère des hommes et la grandeur de dame nature.

Sokal - L'Amerzone extrait1Tout n’est dans ce tome que péripéties menées tambour battant et amère rigolade sur la piètre condition de l’Homme. Car tout va vite dans L’Amerzone, en moins de deux planches le scénario est posé : Canardo est chargé de ramener Alexandre Valembois au bercail, sauf que ce dernier veut à tout prix partir dans la jungle dégoter des mystérieux piafs condamnés à voler éternellement – tout ça sur les bases d’un vieux carnet de voyage. Canardo, en tuant (par accident) un soldat amerzonien, est contraint de quitter la ville et de contribuer à la quête d’un vieil Alexandre Valembois en proie à des attaques toujours plus virulentes.

L’équipée n’aurait pas cette saveur sans la pléthore d’individus surgissant dans la narration. Certains apparaissent le temps d’un aparté plus ou moins long (le brave Joseph Kaltenbunker, une allure de vautour mais à la carrure de poulet mal nourri, comploteur malgré lui ; ou un missionnaire paumé dans la jungle hostile et dont le visage luit d’une folle férocité), d’autres ont vocation à devenir (s’ils ne le sont pas déjà) des personnages récurrents, en particulier la fourbe Clara (toujours aussi classe que vénéneuse) ou la prometteuse Carmen – première apparition, et déjà elle fait peu de cas de la vie humaine.

Et que dire de la fin ? Parce que ces putain d’oiseaux existent bel et bien, aussi l’ambition de quelques uns devient sans limite alors que d’autres perdent définitivement la tête. Les dernières pages achèvent, non sans beauté, le sort des protagonistes dans un mélange d’absolution et de tristesse, avec une touche d’espoir presque dérisoire. C’est notamment pourquoi il est difficile à votre humble serviteur de ne pas coller la meilleure note aux œuvres de Benoit Sokal. Et cette grandiose épopée ne fait pas exception, même si le lecteur pourra déplorer des scènes qui se succèdent avec l’impression que le héros subit davantage qu’il créé son aventure – peut-être est-ce la marque des grands.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le félin s’est souvent demandé si le « vrai » héros de L’Amerzone ne serait pas ce doux dingue d’Alexandre Valembois, fier aventurier qui va au bout de sa passion. Le genre de gars, après des mois en prison, à reprendre la route au lieu d’aller cocooner avec ses petits enfants – qu’il n’a jamais vus. Un homme obnubilé par un mythe auxquels les Amerzoniens même ne croient pas, un être maladif que la découverte de son but privera de raison de vivre, bref le digne représentant d’un métier qui se perd. Enfin, il convient de remarquer l’ébauche d’une passation de pouvoir entre Valembois et Carmen : ces deux personnages ne semblent pas faire dans la demie-mesure, et ont suffisamment de rage au fond d’eux pour faire des étincelles – la dernière planche montre comment la rage de la jeune fille/femme a nature à être régulièrement nourrie.

Sokal - L'Amerzone extrait2Le second thème qui importe est, tout simplement, les rêve. Les oiseaux blancs d’Amerzone représentent les rêves d’une nation qui ne sait plus à quel saint se vouer. Lorsque les habitants d’un pays sont prêts à suivre le premier couillon qui pond un discours sur fond de créatures semi-légendaires, c’est qu’il y a vraisemblablement un problème. En outre, ces créatures se comportent comme nos songes : elles sont insaisissables, incontrôlables (disons qu’elles ne jouent pas le jeu) et ont, visuellement, ce quelque chose de vaguement triste et inquiétant. Sans compter que ces oiseaux, outre le fait qu’ils ne peuvent se poser, ont vocation à voir leurs ailes grandir continuellement. La mort ne les arrête pas, ils continuent à voguer dans les courants d’air chaud – la vision de leur cimetière est une expérience très forte.

Vous voyez où le fauve veut en venir : l’Amerzone héberge des rêves vivants. Pour rétablir l’équilibre, les habitants ont transformé ce pays en cauchemar.

…à rapprocher de :

– Pour l’instant, et avec le même héros, Le Tigre peut vous entretenir au sujet de Noces de brume (ai moins aimé) ; La Cadillac blanche (pas mal du tout) ; ou Marée noire – une de mes préférées, sans doute parce que plus récente. D’autres Canardo arriveront sur le présent blog.

– Les décors, l’histoire, l’ambiance, imaginez un jeu vidéo tiré à partir du présent opus. C’est arrivé en 1999, et pour y avoir passé (perdu selon maman-lynx) des heures dessus, Le Tigre peut vous confirmer que Sokal est un mini-génie.

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Christophe Lartas - SatanachiasSous-titre : suivi de Howard Phillips Lovecraft bloc d’éternité. Un début en fanfare, une suite plus que correcte avant de terminer par un fatras de textes déglingués du cerveau conformément au grand Lovecraft. Lartas a une écriture riche quoique bavarde, et ce qui sort de son clavier ne risque pas de plaire à tout le monde.

Il était une fois…

Untel (c’est son nom) à la recherche du Créateur de notre monde ; dame Nature décide de reprendre ses droits non sans violence ; un homme atteint enfin la fameuse Tour noire et s’apprête à découvrir son secret séculaire ; sans oublier quelques textes hallucinés rendant un hommage appuyé au sieur Lovecraft.
[pour ceux qui se demandent s’ils n’auraient pas vu passer un titre ou deux sur le net, c’est parce qu’il s’agit d’une édition, revue, corrigée et augmentée des productions de l’auteur]

Critique de Satanachias

En démarrant ce recueil de nouvelles, il est difficile de ne pas se régaler face à l’imagination torturée d’un auteur auquel vous hésiteriez à confier votre gosse. Le premier texte, titre de l’ouvrage, est tel un coup de poing avec la rencontre entre un quidam et Satanachias, individu à la puissance indicible qui, pourtant, refuse de porter le nom du diable. Il est plutôt une sorte d’accompagnateur de l’Humanité (dans les bons et mauvais moments) et, à ce titre, donne à notre héros la clé qui lui permettra de rencontrer le vrai créateur… Autant envoûtant que noir, Tigre était content.

Votre serviteur l’était presque autant en lisant Un Cycle, sorte de contre-utopie écologisante où il est question du retour en force d’une faune et d’une flore soigneusement annihilées par l’Homme. Efficace. Mais rien à côté de Marssygnac, épopée raccourcie qui n’est pas sans rappeler le cycle de la Tour sombre de Stephen King – la fin, toutefois, se termine en cul-de-sac que c’en est dommage. Et puis vient Megalopolis, voyage monologué d’un homme isolé dans une ville abhorrée qu’il tente de fuir. Le protagoniste décrit, avec un style halluciné et virulent, une cité en perdition sur tous les plans – culture décadente et idiote, pollution à hurler en dégueulant, corruption des chairs et des âmes, etc.

On sent que Cricri Lartas se fait davantage plaisir dès cette nouvelle en accumulant des phrases à la fois longues (les points sont rares, les points-virgules ayant pris le pouvoir) et sèches, des suites d’adjectifs et autres métaphores pour enfoncer le clou du dégoût ressenti par les personnages. Ainsi, la palette du vocabulaire, certes extrêmement large, tourne autour des émanations du mal, que ce soient la bêtise crasse de la populace ou le cynisme des grands de ce monde. Il se dégage ainsi des deux tiers de l’œuvre une forme de poésie franchement désabusée (et richement dotée) qui opère tel un cri d’ivrogne lucide au milieu d’un congrès du Medef.

En revanche, la poésie tourne largement à l’aigre dans l’hommage à H.P. Lovecraft. La maîtrise de l’univers et du langage semble au fauve, du haut de sa relative incompétence dans ce domaine, presque parfaite. Les termes sont féconds, brutaux et forcément excessifs, et racontent soit l’histoire d’un nécromant qui découvre l’horreur (Al Azif), soit le pedigree de telle ou telle créature lovecraftienne (Yog-Sothoth), dans une narration qui souvent invective vertement le lecteur.

Heureusement que l’auteur a foutu ce génial verbiage en fin d’ouvrage parce que c’est assez hard à suivre. Le style, ampoulé à souhait et alourdi de nombreuses figures de style pseudo-liturgiques (quand ce ne sont pas des répétitions) a tout l’air de la version littéraire d’une généreuse masturbation à laquelle s’adonnerait un auteur dont la testostérone déborde par la plume. Je plaisante à peine, c’est une orgie de termes sertis d’adjectifs que je lis rarement, et la compréhension ne sera point au rendez-vous chez ceux pour qui Lovecraft fait penser à un barre chocolatée.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La constante de l’écrivain, à savoir vomir son époque et ce qu’elle tend à devenir, ressort clairement des premiers textes. Avec des situations globales et déplorables (c’est-à-dire sans noms ni exemples précis), Lartas grossit le trait de ce qui peut clocher dans notre civilisation. Corruption des élites, abêtissement par les médias, destruction systématique des ressources de la planète, maladies incontrôlables, misérables existences dans des H.L.M., tout participe à la perte de l’élan vital de l’individu, lequel n’est même plus en mesure de protester. Et tout empire tranquillement tandis qu’une poignée s’auto-lèche les boules et vit dans l’opulence la plus choquante.

Le félin terminera par une énième qualité de cet ouvrage : le quatrième de couverture ne ment pas : l’auteur « poursuit avec toute la lenteur que cela requiert l’élaboration d’une œuvre qui se moque royalement des exigences commerciales, des tendances et des usages littéraires de ces temps, ou des goûts du public« . En effet, Megalopolis  s’est construit en plus de dix ans, une telle constance est remarquable. De même, les exigences commerciales et usages littéraires sont correctement malmenés, c’est admirable. Néanmoins, sur les goûts du public, et même si c’est partiellement faux (en tout cas pour le félin), le paradoxe n’est pas loin :  le but premier d’un bouquin est de plaire au lecteur – même s’il faut parfois éduquer ce dernier – ou du moins le surprendre.

…à rapprocher de :

– Chez le même éditeur, il y a le très glauque A chaque jour suffit sa haine, de Sébastien Chagny. Violence également dans ces textes qui n’épargnent personne.

– Toujours chez les Éditions de l’Abat-jour, y’a le recueil Avant terme, de Serge Cazenave-Sarkis (davantage versé dans la folie) et son Sans Partage (très très glauque).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Fred Uhlman - L'ami retrouvéVO : Reunion. Dans une Allemagne sur le point de s’en remettre à un certain Adolf, deux adolescents développent une amitié qui ne peut survivre au nouvel ordre à venir. Avec un roman aussi court qu’efficace, Fred Uhlman saura marquer n’importe quel lecteur normalement constitué. Un mini chef d’œuvre qui ne doit pas rester au fond de sa bibliothèque.

De quoi parle L’ami retrouvé, et comment ?

Commençons par les présentations d’usage. Uhlman, c’est un vrai cas. Une émeraude scintillante, de l’Allemagne où il envisageait d’étudier le droit jusqu’à l’Angleterre dont il maîtrise la langue en moins de temps qu’il faut à une V2 pour atterrir en plein Londres, en passant par les États-Unis où il est devenu avocat (en étudiant à Harvard, s’il-vous-plaît). Et on retrouve suffisamment d’éléments concordants dans son ouvrage pour que le félin s’est autorisé à classer le présent ouvrage en tant qu’essai.

Cette autobiographie romancée peut se découper en deux parties. La première, de loin la plus longue (plus des trois quarts), se concentre sur la douce année 1932 (si j’ai bien suivi) dans un Gymnasium à Stuttgart où étudie Hans Schwartz, fils d’un docteur juif [vous voyez arriver le souci ?]. La presque morne existence du bon Hans s’éclaire dès lors que débarque Conrad von Hohenfels, jeune aristocrate mystérieux mais doté d’une allure d’une classe folle. Le genre qui donne le tournis au protagoniste qui fera tout pour attirer son attention.

Forcément, Hans parvient, lentement mais sûrement, à gagner la confiance du bien-sous-tout-rapport Conrad avec lequel il devise des heures durant. Il l’invite même chez lui, c’est dire le degré d’intimité ! Hélas, mille fois hélas, la République de Weimar moribonde laisse la place à un régime que semble soutenir la mère von Hohenfels. Cette dernière vomit suffisamment les Juifs pour que Conrad ne puisse plus fréquenter le protagoniste et se fende d’une lettre à son attention. Dans cette missive, Herr Conrad ne manque pas d’ailleurs d’expliquer tout le bien qu’il pense du nouveau chancelier.

Et puis tout s’accélère. Hans est envoyé par ses parents inquiets étudier aux États-Unis (ses premiers pas dans une université allemande donnaient suffisamment de frissons) pour y étudier le droit. Il devient naturellement avocat, trouve une femme et s’installe en Angleterre. Jusqu’à ce que, par curiosité, il regarde un fascicule contenant la liste de quelques anciens élèves de son lycée…et ce qu’ils sont devenus. A cet instant, la tristesse est à son comble et l’auteur décide, intelligemment, de clore cette biographie.

Concernant le style, le félin se contentera d’ânonner ce que l’immense Arthur Koestler a dit de ce bouquin : il s’agit d’un chef d’œuvre mineur. « Mineur » dans le sens où votre serviteur a lu un « mini chef d’œuvre » qui tient en une centaine de pages. Les mots sont précis, la fluidité du texte est ahurissante (surtout quand on se rappelle que l’Anglais n’est pas la langue maternelle d’Uhlman) si bien que les chapitres s’enchaînent à une allure remarquable. Ni fioritures ni mots excessivement léchés, Fred U. va droit à l’essentiel. Il avait quelque chose à dire, et l’a fait de la manière la plus efficace qui soit – avec une honnêteté savamment dosée de quelques pincées d’intimisme.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Ce qui peut surprendre (sinon ennuyer) est la manière dont le héros se pose des questions sur le sens (et les signes) de l’amitié naissante avec Conrad. Car Hans a un idéal tout chevaleresque de l’amitié, un sentiment extrêmement puissant qui a l’air de le ronger – en bien, rassurez-vous. Il faut également savoir que les présences féminines se limitent aux mamans et quelques hideuses cousines, aussi Le Tigre se demande si l’absence de stimulation sensuelle (entendez : y’a pas de pépées) n’a pas entraîné chez Hans une forme de « report » vers un camarade dont la beauté est manifeste. Attention, je ne dis pas que notre ami est un gay un tantinet refoulé, seulement qu’il parvient à donner toute sa mesure à la phrase « j’aime mon ami ».

Même si on peut s’en douter, la violence du comportement de la vieille noblesse vis-à-vis de leurs compatriotes d’ascendance juive est frappante. Parce qu’il ne pourra jamais être accepté par les parents de Conrad (lequel ne cherchant pas à maintenir ses liens avec son pote juif), Hans a perdu un ami. Or, le titre français, loin de l’original, est judicieusement choisi : certains ont retourné leur veste au cours du conflit, et se sont même sacrifiés pour faire valoir leurs nouveaux idéaux. C’est notamment le cas de Conrad dont on apprend qu’il a participé à l’attentat manqué contre tonton Adolf. De personnage sans grande profondeur (du fait de sa jeunesse) dont on ignore beaucoup de choses, Conrad se mue, dans la dernière page, en héros recevant l’absolution la plus complète.

…à rapprocher de :

– Tigre a beaucoup de romans sur cette période trouble, s’il ne fallait en choisir qu’un ce serait Seul dans Berlin, de Hans Fallada.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Les textes du TigreVotre serviteur avait parié qu’il serait capable de demander à son beau vendeur de librairie de quartier s’il lui reste des Agnès Martin-Lugand en stock. Pari encore perdu, je ne voulais pas lire la déception dans les yeux de l’Apollon. La sanction ? Prendre la plume, La Fontaine’s style, pour vous raconter une blague dont la finesse n’a d’égal que le talent de cet auteur. Dont acte.

Fable de La Fontaine 2.0

Maître Tigre en revenant de soirée
Un peu plus que d’habitude aviné
Tient au bout d’une laisse un drôle d’animal
En l’espèce, une brebis guillerette quoique pâle

En ouvrant la porte de sa maisonnée
Tigre se prépare à une solide avoinée
Car la tigresse a l’air un peu grognasse
Et sur le futon l’attend de guère lasse

« Tiens, voilà de retour mon volage mari,
Tu n’as pas honte de rentrer à minuit ? »
La phrase habituelle, le félin en fait fi

« Tu vois ma chérie, je te présente la grosse truie
que je baise dès que tu n’es pas dans le lit »
Annonce le félin soutenant le regard de sa mie

« Si con que tu fais plus la différence entre truie et brebis »
Assène crânement la tigresse, les détaillant avec soin
« Tais toi connasse tu vois pas que je ne te causais point ? »

[je reviendrai]

Azzarello & Bermejo - LuthorVO : Luthor : Man of Steel. A rebours des aventures de Superman, le créatif Azzarello s’intéresse à la Némésis du héros, à savoir Lex Luthor. Le brillant homme d’affaire craint que Superman ne décide tout à coup de ne plus protéger les humains, et entreprend d’agir contre le Kryptonien. Scénario relativement décevant, heureusement que les illustrations de Bermejo sont là.

Il était une fois…

Dans l’opulente cité de Metropolis, un certain Superman comble la populace de sa présence. Tout le monde il est content, le héros sauvant leurs fesses plus d’une fois. Tout le monde ? Non. Lex Luthor, riche entrepreneur réaliste et potentiellement cynique, a fait de l’Homme de fer son ennemi juré. Luthor, qui a ses raisons, compte bien définitivement péter la gueule de l’homme à la cape rouge. Quitte à détruire son seul espoir…

Critique de Luthor

Le félin n’est pas un inconditionnel de Superman et ne tiendrait pas plus de douze minutes face à un fan aguerri. Toutefois, même le touriste le plus honteux comprendrait ce one-shot où le héros est un humain normal qui a comme alliés son argent et son intelligence suprême. Superman ? Le Kryptonien n’apparaît qu’ici et là dans toute sa muette splendeur – ce dernier ne pipe pas un mot et est doté d’yeux rouges inquiétants : on dirait qu’il évolue dans un autre univers.

Revenons à L. Luthor. Chauve, vieillissant, bien conservé, le mecton semble dévouer sa vie à faire tomber Superman. Les quelques contingences de la vie des affaires le rebutent, et il traite ces dernières avec une distante efficacité qui s’éloigne souvent de la légalité (s’il traitait de la même manière les syndicats en France, je peux vous assurer que les trains auront tous trois minutes d’avance).

Azzarello & Bermejo - Luthor extrait1Du haut de sa supériorité intellectuelle, Luthor mobilise tout ce qu’il peut : il sauve un savant des griffes de Tchétchènes, prend contact avec un certain Bruce Wayne à Gotham City pour accélérer ses recherches, tout ça pour créer une créature capable de rivaliser avec Superman. Laquelle créature, judicieusement dénommée Hope, ne tient évidemment pas longtemps face à l’Homme de Fer. La narration est largement agrémentée, dans des cases colorées en bleu clair (en opposition avec le rouge d’un Superman largement dépeint comme une sourde menace), par les pensées intimes d’un homme cherchant à convaincre le lecteur de son combat.

Hélas, et même si le fauve est content de voir un super-méchant à peu près sain d’esprit, le cheminement intellectuel de Luthor n’a pas la logique et l’implacabilité attendue. En effet, Le Tigre a eu l’impression d’avoir affaire à un être qui fait montre de sensibilité et dont l’idéal de liberté divague vers un sentiment de persécution. Lex est dur en affaires, cynique et très souvent impitoyable, toutefois ce comportement insensible et froid ne cadre guère avec les moyens baroques mis en œuvre pour « protéger » la population de Superman – lesquels ont des conséquences avant tout symboliques.

C’est notamment la raison pour laquelle la fin a ce petit goût d’inachevé. « Tout ça pour ça » a-t-on envie de dire, même si la force de la démonstration est appréciable. Mais la petite touche de ce tome réside, à mon humble avis, dans les dessins de Bermejo. Ce dernier n’a plus besoin de confirmer son talent, la maturité du trait est complète : personnages charismatiques d’un rare réalisme (signalons que les corps sont parfaitement harmonieux), jeu des couleurs pour souligner les oppositions (bleu/rouge par exemple), subtile position du champ visuel (délicieuses contreplongées souvent à but sensuel), architecture plus que soignée, etc. Alors imaginez un mélange de ces éléments, du genre un Lex Luthor bien dessiné qui contemple, en maître, une ville aux reflets orangés d’où surgit une trainée rouge…

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Azzarello & Bermejo - Luthor extrait2Luthor, c’est un vrai libéral. Au sens premier du terme. L’idée selon laquelle l’Homme ne peut que compter sur lui-même et ne doit pas s’en remettre à une déité quelconque. Superman, E.T. aux pouvoirs incommensurables, est-il à même de montrer la voie à l’Humanité ? Celle-ci doit-elle mettre entre les mains d’un total inconnu les clés de sa destinée ? Imaginons par exemple que Superman décide que pour sauver l’environnement il faille zigouiller une personne sur dix (la « dîme verte » pour enrayer la pollution, hé hé), qui l’en empêchera ? Luthor, en gardant à l’esprit que Superman peut changer de bord à tout moment, se torture l’esprit et choisit la fuite en avant contre l’Homme de fer. Ce dernier le sait, et intervient de temps à autre pour montrer à Luthor qu’il voit clair dans son jeu – voire, il peut lire son âme.

Et comme on ne peut faire d’omelette anti-superman sans casser ses chers œufs, Lex n’hésite pas à sacrifier les siens. Déjà, on voit comment il fait peu de cas de la vie de ses semblables si cela permet de faire avancer son plan – par exemple, lâcher un pédophile dans la nature pour mieux le faire arrêter. Mais son plus bel ouvrage reste Hope, un robot d’apparence humaine capable de voler et, accessoirement, de baiser comme une déesse. En quoi « donner » à la populace une héroïne digne d’une superwoman mais moins puissante que Superman permettra-t-il de sauver Metropolis ? En montrant que l’Homme peut se passer de l’E.T. en slip rouge ? Cela semble l’objectif (fort patriotique) au début.

[Attention SPOIL] Non, et c’est là qu’on prend la mesure de l’intelligence retord et manipulatrice de Luthor : le but est d’égratigner l’image de Superman, peu importe que cela passe par la destruction d’une tour emblématique et l’autodestruction de Hope. L’espoir est mort, mais pas en raison des agissements du héros – superman/luthor, selon votre point de vue, la phrase reste correcte.

…à rapprocher de :

– Des mêmes auteur/illustrateur, il faut surtout lire Joker (en lien). Du très grand art.

– A tout hasard, Bermejo, seul, a imaginé l’intéressant Batman : Noël.

– Autre aventure centrée autour d’un ennemi important de Batman : La revanche de Bane, de Dixon et Nolan. Édifiante, et visuellement plus « gaie ».

– Un autre méchant (mineur) de DC Comics est le Pingouin. Qu’on retrouve dans La Splendeur du Pingouin, d’Hurwitz et Aaron. Correct.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce comics en ligne ici.