Collaro & Match3 - Tous les chemins mènent au rhumTrouvé par hasard dans une vieille cave moisie à côté de deux Jéroboam de Veuve Cliquot. J’ai donc potassé par curiosité cet antique illustré, pas plus. Style lourd et laborieux, illustrations de basse extraction qui fatiguent les yeux, jeux de mots foireux à tous les étages, la satire politique n’est pas à l’honneur.

Il était une fois…

Nous sommes en 1678, et sur l’océan atlantique c’est un joli foutoir : une guère sourde a lieu à cause d’une cargaison de rhum que le capitaine Raymond Jean-Barre embarque en vue de renflouer la société V.G.E. (Very Good Enterprise). Sauf que cette cargaison attire bien des convoitises. En effet, le capitaine Marchains-deux-dents (accompagné de son second Seguiliguili et de sa maîtresse Sheila Lutte-finale) est bien décidé à taper dans les réserves du gros Babar. Et que dire de François L’Ermite-Errant qui veut sa part du gâteau, du vaisseau Pire-Nana tenu de main de fer par Simone Veille-au-grain, ou encore du jeune corsaire Chirackham qui entre dans la danse ?

Critiques de Tous les chemins mènent au rhum

Après le pseudo-succès d’une émission parodique sur la politique qui reprend les codes de la course solitaire transatlantique, Collaro a eu l’ingénieuse idée de tirer la pompe à fric et d’en faire une bande dessinée. Merdum calamitumque.

L’histoire est désolante, je n’ai absolument rien capté aux péripéties. En même temps, faire le rapprochement avec des évènements datant du milieu des seventies n’est pas aisé et les retournements de situation semblent avoir été très exagérés. Pour tout dire, ça part dans tous les sens et dès la dixième page j’ai été largué. Si vous rajoutez les nombreux calembours (cf. infra) et bons mots qui amusent au début, il appert que ça devient vite insupportable.

Insoutenable, c’est aussi la mise en images qui a été bâclée. Couleurs criardes, personnages grossiers qui trop souvent se roulent par terre pour rire (en tapant des poings sur le sol, très important ça), pas une seule phrase qui ne se termine pas par un point d’exclamation, bref c’est franchouillard-bas-de-gamme et pas fin pour un sou. Je ne sais pas qui sont derrière Match3 Studio, mais je ne leur confierai pas la charte graphique de mon blog.

Au final, une BD que je n’hésite pas à qualifier de nullisime, en même temps en faire un billet n’est pas forcément utile. Même en 1979, les éditeurs osaient sortir des trucs comiques mal dégrossis juste pour surfer sur la vague de l’actualité. Pour ma part, je n’ai pas encore vue la couleur des planches sises après la page 25.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Je ne sais pas vraiment l’intention de l’auteur, mais le macaron bleu de la BD fait état des « z’héros du feuilleton d’Europe1 ». Une émission devait avoir lieu à la fin des années 70 et qui se faisait plaisir à dénoncer le pitoyable spectacle de la politique. Tous les chemins mènent au rhum reste bien dans la lignée d’un Guy Debord et de sa « société du spectacle ». S’il faut convenir que transformer nos zéros en brigands des mers reste une excellente idée, celle-ci a été hélas sauvagement torpillée par le ratage tant au niveau des scénar’ que des illustrations.

Définitivement un thème, à vous de voir si c’est un bon point ou non, j’ai nommé les nombreux calembours. Trop, c’est trop. Florilèges : eau de javel pour Jean-Barre (du Barre-Javel, arf) ; arrête ton char, Dassault ; le mousse allemand Helmut Schmitt qui me sert (Messerschmitt) ; ce n’est qu’une histoire d’eau. Dernier exemple : à Deferre, Marchais sort un « soit pas dépité, débouche du Rhum ! », car il était député des Bouches-du-Rhône (merci à la note de bas de page, je n’aurais pas saisi sans ça).

…à rapprocher de :

– Très franchement, sur la satire politique, et dans la même époque, j’ai nettement préféré Le songe d’Atthalie, de Louis Le Mutin . Que des trucs de grands-pères en somme. Bien plus sympa qu’Executive woman, de Veyron – à éviter, ce dernier.

– Dans un esprit polar franchouillard bien déguaulasse comme il faut, il y a Olé ! San-Antonio, bande dessinée qui pique les yeux.

Carabal - Les gosses, tome 8Sous-titre : c’est qui qu’a prouté ? [dès l’annonce de ce titre, j’aurais dû arrêter la lecture. Mais comme une guigne j’ai continué] Nom de Zeus. Qu’est-ce que c’est lourd et chiant. Dessin très moyen, historiettes insignifiantes et qui pas une seconde ne m’ont arraché un sourire, ce n’est définitivement pas mon genre de BD.

Il était une fois…

Les gosses, c’est Carabal (qui est à la base un caricaturiste de talent) qui a eu la sotte idée de raconter l’histoire de sa petite famille dans la vie de tous les jours. Welcome donc to le père, la daronne, les deux gosses Cyril et Romain (d’où le titre) et quelques autres individus : la tante, le grand-père, etc.

Critique des Gosses (le tome 8 seulement)

Comment Le Tigre a pu se retrouver avec un tome des Gosses entre les pognes ? Accident de parcours, malheureuse coïncidence, erreur de casting littéraire, achat impulsif sous L.S.D., je cherche encore des excuses. Car je me suis emmerdé sec.

Premièrement, les scénarios. Chaque page est l’occasion d’avoir un aperçu d’un sketch plus ou moins fin qui se passe dans la mansarde familiale. Je n’ai pas une seule fois ri. Une vraie catastrophe, les responsables sont nombreux : déjà, les gamins rigolards, sinon égrillards qui se permettent des remarques et réparties qu’aucun chiard ne saurait sortir. L’amour du père qui tend à donner à ses enfants de telles paroles intelligentes peuvent expliquer ce vice, mais il y a des limites à respecter. Rien à voir donc avec un Cédric ou Titeuf, qui me paraissent rester dans leurs rangs.

Deuxièmement, les illustrations. Attention, ce n’est pas nul : Carabal est parvenu à donner une expression agréable à ses personnages avec de satisfaisants détails qui les entourent. On est à mi-chemin entre les gueules des héros de Wolinsky et l’air néo-blasé d’une Brétécher, ça ne pique pas trop les yeux. Je n’évoquerai pas l’absence d’arrière-plan en général ou le fait que ça ne se situe que dans l’appart’ de la famille, l’auteur souhaitait avant tout se concentrer sur les dialogues (avec le ratage que j’ai expliqué).

Au final, une BD sans grand intérêt qui, en ce qui me concerne, ne sortira pas de la cave. A la rigueur, le lecteur pourra mater quelques planches pendant que ses intestins font des siennes, et encore. Peut-être qu’un tome s’en sort mieux que les autres, j’attends vos commentaires.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Det lilla livet. Pour tout dire, pendant que je lisais cette daube, le morceau de musique de Familjen (un Scandinave que j’adore) me trottait régulièrement dans la tête. Et pour cause, « Det lilla livet » signifie « la petite vie ». C’est exactement le sujet de cet illustré ! L’existence de tous les jours, quelques menues situations cocasses qui sont mignonnes et plaisantes, c’est sacrément fade. Je n’ai pas remarqué de sujets qui fâchent ou portent sur des aspects peu glorieux (drogues, violence, etc.). Du consensuel à offrir à une pote un peu légère.

Enfin, pour ceux qui veulent vraiment se branler le mou vit (ça passe comme expression ?), on pourra déceler ici et là quelques passages sur les différences générationnelles : les jeux vidéos ; papy et mamy hors du coup ; maman qui tente de jouer au foot, dans tous ces cas les héros de la série me semblent rester Romain et Cyril. Ces deux djeunes à la complicité indéfectible ricanent de concert et montrent, plus d’une fois, à quel point ils sont « in ». Avec des réponses qui frisent le fake et l’insolence.

…à rapprocher de :

– Puisque j’en parlais rapidement, Brétécher et ses épisodes d’Agrippine m’avaient semblé plus marrants.

C’est tout. Vais pas me creuser la tête pour un tel album non plus.

Gunnar Staalesen - La femme dans le frigoVO : Kvinnen i kjøleskapet. Sous-titre : Une enquête de Varg Veum, le privé norvégien. Une enquête classique, un environnement bien décrit, bref un bon roman tout « nordique ». Toutefois trop : longueurs insupportables, fin décevante, un héros détective privé un poil tarlouze sur les bords, ça devient vite gavant.

Il était une fois…

Ancien salarié à la Protection de l’enfance devenu détective pour avoir eu la main lourde sur un type qui prostituait une gosse en perdition, Varg Veum est mandaté par une vieille dame pour retrouver son fils, qui travaille sur une plate-forme pétrolière et dont elle est sans nouvelles. C’est, bien évidemment, plus complexe que prévu.

Critique de La femme dans le frigo

Il fut un temps où j’ai été fort glouton sur les polars venus du nord. Une vraie manie, je faisais même des rêves dans lesquels les protagonistes avaient un nom se terminant en « son », c’est dire… Je me souviens parfaitement de Staalesen dans la mesure où je me suis dit que ça commençait à bien faire, le filon semblait s’épuiser.

Sur le scénario, notre héros Veum s’imagine que sa mission serait un gentil travail de routine. Il débarque donc à Stavanger, petite ville côtière où il y découvre une faune nouvelle, corrompue par la richesse pétrolière. Ne perdant pas une minute de son temps, le détective se rend chez un certain Arne Samuelsen, et découvre chez lui, dans le réfrigérateur, le tronc démembré d’un corps de femme. La grande classe. Surtout quand il est assommé en même temps et que la police locale s’en mêle.

Deux défauts à ce roman. Tout d’abord, on découvre l’intrigue, on attend les développements, et on espère des péripéties. Mais lorsque l’on commence à accrocher, Staalesen fait son Balzac (si ça vous parle) : il est d’interminables descriptions qui ne rajoutent rien à l’ambiance, empêchant le décollage de l’œuvre en tant que thriller rythmé (ça arrive vers la moitié). C’est souvent le problème de ce genre de titres nordiques, à savoir la propension à taper dans ce que je nomme la « contemplation scandinave ».

Ensuite, le personnage de Varg Veum n’a pas réussi à me convaincre : peu expressif, sujet à de ridicules crises d’angoisse, le mec m’a paru trop fadasse et excessif dans sa « normalitude ». Quant à la fin, c’est presque du bâclage d’usine, et la révélation finale (je n’ai même pas envie de vous spoiler) est un vilain pétard mouillé. Pour conclure, Le Tigre est gravement resté sur sa faim.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Tigre va faire un peu de socio économique de bon aloi, notamment ce qui a trait à la ponction de l’or noir aux larges de la Norvège. Le pétrole devenant plus cher, il est vite apparu qu’aller l’extraire sur les côtes est devenu rentable. Et la tunes a littéralement coulé à flots dans ce pays considéré comme sobre par rapport à tout signe extérieur de richesses. Dès les années 90 (le roman date d’un peu plus tard si je ne me trompe pas) le royaume s’est transformé en monarchie pétrolière, avec les mêmes ressources qu’un pays du golf. L’intrigue du roman, basiquement, ne tourne qu’autour des tunes.

Corolaire de ces pépètes, et sachant que le lieu de l’action est assez éloigné de la capitale, c’est un peu le far ouest version scandinave. Prostituées qui soulagent les travailleurs carburant à deux grammes dans le sang, petits caïds (Ole Johnny, archétype too much), flics marrons, y’en a pas un pour rattraper l’autre. Mais plus encore, j’ai cru déceler dans ce roman la critique du capitalisme sauvage. L’argent est roi, les patrons sans foi ni loi, la croissance du village incontrôlable, bref j’ai eu l’impression que tout le monde se gavait pendant que la mer crachait sa merde fossile.

…à rapprocher de :

– Seul roman lu de cet auteur, désolé.

– Dans les « polars scandinaves », il est bon de jeter un œil du côté d’Arnaldur Indridasson (exemple ici) ou Henning Mankell.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman via Amazon ici.

Chiang & Scott Card - RobotaVO : idem. Doug Chiang, Orson Scott Card, ça a tout d’une dream team qui allait envoyer du pâté. Hélas il n’en fut rien, je me suis arrêté en plein milieu. L’histoire d’une terre sous contrôle de robots, avec de mystérieux protagonistes dont on ne sait rien, des animaux qui tchatchent, ce n’est pas du tout ma came. Dessins superbes toutefois.

Il était une fois…

Copier-coller de la présentation de l’éditeur, juste pour que vous savouriez les premières phrases de la chose :

« Il ne comprenait pas son propre rêve. ni ce double sens. Il ne savait pas davantage où il se trouvait. A l’intérieur d’une machine. De cela au moins, il était sûr. Mais il ne vouait de toute part que signes incompréhensibles, ainsi que nombre de leviers et de manettes dont il ignorait la fonction. Ses vêtements étaient confortables. Il était heureux d’être en vie, mais las aussi, et un peu effrayé sans savoir pourquoi. Comme si elle avait remarqué un mouvement – car il n’avait rien touché – une partie de la machine s’ouvrit et déploya un appareil qui finit par dessiner une forme. Il y reconnut un visage, qui n’avait pourtant rien d’humain. La machine parla. »

Critique de Robota

Trouvé dans une brocante, la couverture de Robota m’a naturellement invité à un voyage d’exception. Un roman graphique, vrai de vrai, alternant entre textes et images illustrant l’histoire. Cependant, sur plus de 160 pages, je me suis arrêté en plein milieu. C’est amusant comme des mayonnaises peuvent ne pas prendre malgré d’excellents ingrédients.

L’ingrédient principal, c’est le grand Doug Chiang. L’illustrateur américain a un style personnel qu’il a pu développer en tant que spécialiste d’effets spéciaux dans de grands films (Star Wars, notamment, qui lui a bouffé pas mal de temps). C’est là le seul aspect correct de ce roman : les illustrations. Des tableaux plutôt, avec des personnages (humains ou non) aux faciès vivants et surtout de somptueuses architectures (qui ne sont pas sans rappeler Rork, d’Andreas) où le futur rejoint l’ancien. Par exemple, les soucoupes volantes effilées et racées voletant au-dessus des imposantes frégates du 17ème siècle font rêver.

Néanmoins, Doug C. explique en intro comment lui est venue l’idée de cette oeuvre. Et on pressent que ça a été un drôle de fouillis dans sa tête, bref ça allait partir dans tous les sens. Aussi lorsqu’il s’est fait assister de l’immense Orson Scott Card, ce dernier n’a pas réussi à transformer le scénario en quelque chose de prenant. Je n’ai rien donc rien bité à l’histoire de Caps, humain amnésique qui se réveille dans une capsule et fait la rencontre de Juomes (une sorte de Yéti parlant), pas plus que la planète Orpheus ou encore l’endroit d’où débarquent ces vilains robots (dont le dessin est certes envoutant).

Au final, trois fois j’ai lu une trentaine de pages, trois fois je n’arrivais pas à retrouver le fil de l’intrigue, trois fois je me suis dit que ça n’allait pas le faire. Et un beau soir, j’ai définitivement refermé Robota.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le robot. L’illustrateur rappelle que ce terme, qui date quand même de 1912 (la même année, un gros bateau coulait connement au large de l’Atlantique), a été trouvé par un certain Karel Kapet. « Robota » signifie « travail éprouvant », ce qui ne m’a pas sauté aux yeux dans ce roman. Tout ce qu’on sait, c’est que ces fameuses machines ont une personnalité distincte et qu’elles sont en voie d’extinction, incapables de se répliquer. Me suis arrêté là.

La propension des auteurs à en dire le moins possible est également un souci de Robota : le lecteur se retrouve avec un tas de paramètres à intégrer et qui ne seront jamais explicités (du moins jusqu’à la page 100, mais je subodore qu’il n’en sera pas plus après). D’où sort Font Prime, comment a disparu la civilisation humaine, qu’est-ce que peuvent bien foutre ces robots dans tel ou tel endroit, qui est ce putain de Caps, etc. ? Démerdez-vous avec votre imagination, semble répondre Chiang. Sauf que la narration n’est pas propice (à mon humble avis) à un tel effort.

…à rapprocher de :

– D’Orson Scott Card, tournez-vous plutôt sur la Saga Ender (premier opus ici) ou celle des Ombres : ça commence par La Stratégie de L’ombre, un must. Voire Ender : Préludes qui est loin d’être inutile. Ou alors Les Maîtres Chanteurs, qui est d’une rare originalité.

– Le héros sans mémoire qui ne sait pas où il va, les romans ne manquent pas : La Cité du Gouffre de Reynolds, un protagoniste de la Trilogie du Vide de Peter F. Hamlton.

Enfin, si votre librairie est fermée et que vous souhaitez posséder un joli roman (pour la forme), vous pouvez le trouver en ligne ici.

Les Sutras du TigreEncore une fois, Le Tigre va courir au secours du vaste monde de l’édition en s’attaquant à une de ses infâmes coutumes. J’ai nommé la rentrée littéraire, qui est à la littérature ce que Noël est au Christianisme. Mais comme je ne suis pas un Ayatollah des lettres, une porte de sortie honorable sera proposée.

Qu’est-ce que la rentrée littéraire ?

La RL (comme ReLou, c’est plus aisé à retenir) est un instant particulier dans la vie des éditeurs. Si on parle d’une « rentrée », c’est parce que pendant celle de tout écolier/élève/lycée/chôm..euh salarié, il existe des professionnels des lettres qui sont fermement décidés à vous la pourrir un peu plus.

Le voilà, le principal problème de la RL : c’est le mot « rentrée ». Arrivée, retour, une brochette de synonymes aurait pu être dégotée à la place. Ce n’est pas que ça se déroule en septembre qu’il faut rentrer dans le rang et associer à un évènement heureux d’autres moins sympathiques. Les auteurs et éditeurs sont infantilisés en étant, de la sort,e intimement liés à un évènement si scolaire. A ce stade, autant faire cette foutue rentrée le jour du solstice d’hiver, ça serait moins triste.

Aussi, dès mon plus jeune âge, lorsque j’entendais parler de la RL, je m’imaginais une armée d’auteurs forcés, comme moi, d’aller au turbin après de savoureuses vacances. Du coup, dans mon esprit fécond, écrivain = gratte-papier laborieux contraint à faire le con, une plume dans le fondement, en vue de vendre son truc (pendant que je reprenais le chemin de l’école). Et franchement, qui a envie de se taper des kilos de lecture alors que son chef l’emmerde, les gosses reprennent le chemin de l’école et le tiers payant doit être réglé le 15 ? Pas moi (mais par pour ces raisons).

Mais mon avis compte bien peu ici, il y a pire.

Pourquoi décaler la rentrée littéraire ?

Jetons un œil averti sur le net : la RL est, selon une célèbre encyclopédie en ligne (article datant de fin 2013), « une période commerciale comportant un grand nombre de parutions de nouveaux livres ». Voilà, les mots qui fâchent sont salement lâchés :

Une période commerciale. A la rigueur, ça ne me dérange pas, il faut bien gagner sa croûte. Sauf que y’a comme un gros complot qui se trame dans les rotatives : 1/ Les auteurs les plus connus sortent, avec un désolant rythme de métronome, leurs bouses de rentrée. Et attendent que ça mousse. Et si la merde mousse, ce n’est qu’en tirant la chasse hélas. 2/ Dans les semaines qui suivent, comme par hasard y’a une flopée de prix et autres récompenses incestueuses qui sont allègrement distribués (ça fera l’objet d’un autre billet, oh que oui). 3/ Ensuite, intensif squat des plateaux télés les plus aguicheurs. 4/ Et là, comme par magie, c’est Noël ! Mais que vais-je donc offrir ? [une réponse potentielle en lien]

Parutions de nouveaux livres. Quelques centaines de romans publiés. La blague. Prenez Le Tigre, qui dans ses plus beaux mois avale une dizaine de romans. Pour quelqu’un de ma trempe, y’en a neuf qui n’en glandent pas une. Au doigt mouillé, c’est donc un million de lecteurs potentiels capables pendant l’automne de lire dix nouveaux romans (ils liront moins vite que moi, grâce à ma technique). Je suis optimiste en disant que 10% le fera. Soit 1 000 000 livres achetés. Règle de 3, accrochez-vous : ça fait 20 000 tirages en moyenne par roman. Et merde, ça ne colle pas avec les stats officielles…à moins que ces livres ne sont pas lus ?

Après ces calculs fantaisistes et tirés de ma fourrure, intéressons-nous plutôt aux critiques. Les romans dont « on » parle, ce sera à peine un dixième de la masse de nouveaux titres. Forcément provenant de grands éditeurs, je n’ai que trop rarement entendus parler dans les médias (des trucs plus gros que mon blog hein) d’éditeurs indépendants. Et si vous prenez un critique littéraire au pif qui parle de la RL, j’ai du mal à imaginer qu’il aura lu, dès fin aout, ne serait-ce que le quart des romans publiés. Comment détermine-t-il alors ce qui vaut le coup d’être dévoré en un si court laps de temps ?

Au final, on est en présence de près de quatre mois d’effervescence où plus d’un pigeon achètera un roman grand format (et c’est mal, je me tue à le répéter). Soit il ne le lit pas, soit il l’offre. Dans tous les cas, vous pouvez le racheter en ligne à moitié prix.

Rentrée en juin ?

Sur QLTL, vous aurez noté que la partie la plus importante arrive vers la fin. C’est celle où je ne dois pas me planter en faisant place nette sur les ruines de la rentrée littéraire pour construire quelques chose de neuf, souriant et frais.

En premier lieu, déplacer ce foutu évènement auquel tient tant les éditeurs avant l’été serait une marque de respect infini pour le lecteur : lui offrir l’opportunité de passer de bonnes vacances littéraires, d’une part. Les vacances, c’est un des rares moments où je suis prêt à tenter du nouveau, sortir de mes petites habitudes et, pourquoi pas, lire le dernier Musso. Après cinq mojitos certes.

D’autre part, faut pas prendre ledit lecteur pour un superman de la lecture. Lui laisser le temps de lire est important, c’est le meilleur moyen de se faire son propre avis. Je ne sais pas pour vous, mais sur la plage / montagne je suis plus incisif et n’hésite pas à lâcher un roman en cours de route : il fait beau, les amis sont là, ce n’est pas le moment pour se laisser emmerder par une prose hasardeuse ou un scénario aussi plat que BHL !

Ensuite, c’est à mon sens la période parfaite pour vérifier, à la rentrée, que les critiques littéraires ont bien effectué leurs devoirs de vacances (d’ailleurs, on pourrait remplacer ceux des gosses par des romans). Aussi je propose, pour chaque article prêt à être publié, l’obtention préalable d’un agrément pour cela. Cet agrément sera excessivement simple : il faut que le bouquin critiqué accuse une détérioration adéquate. Du sable entre les pages, le dos de couverture dézinguée, les pages jaunies par le soleil, banco ! Mais un objet aussi propre qu’un bébé-cadum, comme s’il sortait à l’instant de chez l’imprimeur, c’est que le monsieur se fout de notre gueule (ou qu’il foutu un films plastique sur le roman parce que c’est un grand malade).

Conclusion décalée

Et voilà le travail ! Grâce à mes bons soins l’éditions pourra tourner à un petit rythme de 8% de croissance annuelle, et ce au moins pendant six piges ! Après on avancera de nouveau la date, car changement d’herbage réjouit le troupeau. Le mieux serait de transformer, dans l’immédiat, la fête de la musique du 21 juin en une party culturelle englobant la littérature.

L’avantage ultime est que cela obligera tous les écrivains à faire le trottoir pendant l’été afin de vendre et promouvoir leurs titres. On aura des vacances où la culture sera à l’honneur, le Français moyen n’aura plus mal à la tête en retournant au taf sous prétexte qu’il n’est plus habitué à lire. Fin du fin, ces écrivaillons en manque de reconnaissance nous lâcheront la grappe pour la reprise du championnat de foot. Ce serait bien mérité non ?

Conclusion de la conclusion, pourquoi le numéro 21 du présent billet ? Sur ce coup je ne me suis guère foulé : vingt-et-un, c’est le nombre maximum de livres qu’un critique littéraire peut sérieusement prétendre lire de juillet à septembre. Au-delà, ça suinte l’inavouable connivence.

Dernière conclusion : il faut mieux supprimer la rentrée littéraire (le pourquoi ici).

Boileau-Narcejac - MaléficesUn thriller sans les flics, l’Afrique sans la chaleur, un guépard sans la savane, une passion sans confiance, c’est correct eu égard la date de publication. Une dizaine de chapitres que le lecteur trouvera plus ou moins long, pour ma part j’ai lu bien pire. Boileau & son compère Narcejac ont du faire mieux toutefois.

Il était une fois…

François est véto dans Gois, près de Noirmoutier, au sud de la Bretagne (je dis juste ça pour faire gueuler les Vendéens). Il ne se passe strictement rien dans sa vie, il soigne les bêtes des paysans du coin et son épouse Éliane l’attend chaque soir avec un petit plat. Jusqu’à…ce qu’un médecin lui demande d’aller voir une certaine Mme Huller (si ai bonne mémoire) et son guépard qui est en mauvaise santé. La belle Myriam envoûtera notre ami qui va subir mille et un tourments.

Critique de Maléfices

Extrait du dialogue avec le libraire :

– C’est quoi, Boileau-Narcejac ? – Quoi ? Tu ne connais pas ?!? Merde, c’est une référence du polar noir french-touchée ! – Bon, bah donne m’en un pas trop long et sympathoche… – Monsieur est servi… – Met-le sur mon compte. – J’ai bien peur que votre ligne de crédit ne soit épuisée…

Plaisanterie à part, je connais peu Pierre Boileau (celui qui pense le scénar’) et Thomas Narcejac (celui qui fait met en page). Le titre Maléfices annonce bien de quoi il retourne, et dans un environnement aussi froid et glauque que la côte atlantique ça rajoute une part de mystère, pour ne pas dire de glauque. Avec une femme presque sorcière qui s’en prend à l’épouse de François, j’ai hésité entre qualifier l’intrigue de vaguement occultiste plutôt que parler d’un thriller.

Pour un roman du début des années 60, le style m’a laissé une impression mitigée : d’une part, l’ensemble paraît avoir un peu vieilli : la « transformation » amoureuse du héros qui se découvre une incommensurable passion pour la jeune Myriam offre des passages presque à l’eau de rose, du moins un peu too much eu égard les sentiments exaltés du protagoniste. En outre, le roman ne serait qu’une lettre envoyée par le narrateur à un de ses amis avocats (et académicien de surcroît), ainsi lorsque ce premier s’excuse pour le manque de richesse de son vocabulaire, on n’y croit pas une seule seconde.

Car, d’autre part, le style reste bien travaillé, voire délicieux sur les quelques portraits livrés par les auteurs. En fait Narcejac, apparemment seul derrière la plume, sait la manier correctement et fait plus d’une fois péter quelques termes savamment choisis. Quant à Boileau, il a imaginé une fin que je craignais oldschool, mais qui s’est révélée assez surprenante. En conclusion, ce ne fut pas la grosse découverte, seulement la confirmation que les deux compères méritaient leur succès.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’amour dévorant. Prenez un vétérinaire dans sa campagne marié à une femme légèrement éteinte, mettez-le face à une jeune débarquée du continent noir avec son guépard, artiste en plus, je vous laisse vous représenter la fête du slip que c’est pendant quelques semaines. C’est trop, même, la donzelle se révèle étonnamment possessive. La question finale est de savoir si François va finir connement écrasé au bas d’une falaise comme l’ex mari de son amante (vous suivez ?)…à moins que la cible ne soit que la femme de François, et ce afin qu’il soit définitivement libre.

L’Afrique est à l’honneur, et oui ! La bonne Myriam a vécu quelque temps au Congo (ou dans ces eaux-là) et a été pleinement intégrée. Il ne faut pas long pour qu’on pressente quelque chose relevant de la magie noire chez elle, et le héros se monte correctement le bourrichon : il s’est procuré quelques essais sur ces terres et tente, tant bien que mal, à rester rationnel face aux sortilèges, guérisseurs, féticheurs et autres joyeusetés décrites dans les ouvrages. Juste pour la blague, une comptine destinée à retenir un amant volage :

Mundia mul’a Katéma

Silumé si kwta ku angula

Mundia mul’a Katéma…

…à rapprocher de :

– De Boileau-Narcejac, Tigre a en magasin Les Veufs. Pas terrible.

– Quelques maléfices, des sorciers/sorcières en France, c’est un peu la BD Silence, de Comès. A lire absolument.

Sinon, l’air de rien, l’animal de compagnie répondant au doux nom de Nyété m’a brièvement donné envie d’adopter un guépard. Mais ce serait contre-nature. Et mon chat risque de chier de trouille.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Boris Vian - Les morts ont tous la même peau

Vian a fait fort à l’époque, la fin des années 40 a du grandement apprécier ce travail d’artiste. Un mulâtre (ce terme est assez bizarre à écrire) qui pète plusieurs durites à cause de la potentielle irruption d’un secret. Violent, amoral, d’une noirceur sans pareil, le petit twist final, ce fut un agréable moment. Sans plus toutefois.

Il était une fois…

Dan est un heureux videur dans une boîte de nuit en plein New-York. Père d’un tout petit et mariée à une belle femme, sa vie se résume à péter la gueule de quelques clients récalcitrants et baiser deux-trois michetonnes dès que l’envie lui prend. La good life, jusqu’à ce que Richard, son frère, se manifeste. Or ce dernier est noir, et est susceptible de révéler au monde le quart de sang noir de Dan.

Critique des Morts ont tous la même peau

Un des rares romans que j’ai lu lire en entier à nouveau en vue de pondre un billet pas trop dégueulasse aux entournures, et je pensais en prendre plus dans le cerveau. C’est bien, certes, mais la grande claque littéraire n’était pas aux rendez-vous. Disons que l’immersion n’est pas optimale, il semble manquer quelques éléments de description de Big Apple.

L’histoire, on la connaît presque tous : Dan est immensément troublé par le chantage de son frère (de lait, mais on l’apprendra à la fin), et perd progressivement les pédales. Tout s’accélère lorsqu’il se met à coucher avec une noire, il appert rapidement que Dan n’est plus en mesure d’honorer sa belle femme (blanche) sans avoir des images d’Afro-américains forniquant à tout-va. Pris dans un manège qu’il ne peut maîtriser, l’anti-héros ira jusqu’à commettre l’irréparable (les irréparables, plutôt).

Le style est plaisant : précis (sauf sur la ville, comme je l’ai dit), dense, la narration à la première personne passe comme un recommandé à la poste. Pour un roman écrit après la guerre, il faut convenir que c’est sobre et intense (c’est-à-dire sans fioritures ni dialogues longs comme un dimanche en Angleterre). Vian innove même en changeant, sur les derniers chapitres, le point de vue narratif (signalé parce que le chapitre en entier est en italique) afin de nous offrir de nouvelles voix.

Ah oui, j’allais oublier, je suis impardonnable ! Vers la 130ème page le roman s’arrête, et le lecteur découvrira une vingtaine de pages intitulées Les chiens, le désir et la mort. Souvenirs d’un chauffeur de taxi sur le point d’être exécuté, ce dernier développe la rencontre de celle qui le perdra, une dingue hypersexuelle qui lui fait faire n’importe quoi en caisse. En conclusion, un classique à lire au moins une fois dans sa vie.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le racisme est fort prégnant dans l’univers du héros, lui-même en est victime et à la fois le bourreau. Toute sa vie il s’est efforcé de devenir « blanc », se comporter ainsi en assénant mandales à ses pairs et coups de vit aux femmes mariées. Hélas, au fond de lui, il sait avoir du sang noir et cela lui pose un sacré problème dans cet environnement « racialisé ». Le regard de l’autre est d’une importance capitale, cela étant confirmé par exemple avec ces quelques mots du flic justifiant le comportement des Afro-américains : il a du sang noir tout de même. Cela explique bien des choses. [Attention mini SPOIL]. La dénonciation du racisme ambiant par Vian sera d’autant plus forte que Dan n’est pas noir pour un sou, ayant été trompé par un maître chanteur. Tout est alors dans l’auto-suggestion. [Fin SPOIL].

Corolaire de cet état d’un cul entre deux chaises, l’abaissement de Dan a comme résultat (selon lui) la manière dont il se livre aux joies du sexe avec une prostituée noire, puis plusieurs. Se vautrant dans la luxure la plus sordide (du moins pour l’époque), le narrateur se sait irrémédiablement atteint : son incapacité à faire l’amour à sa femme et les artifices utilisés en vue d’y remédier (alcool, voyeurisme) démontrent le lien étroit entre le racialisme et le sexe. Pour faire simple, il s’imagine être confronté à cette peur primaire du black qui n’ose toucher une femme à la peau claire, d’où la perte de moyens.

…à rapprocher de :

– De Vian, il faut que je me mette à sérieusement les relire, notamment J’irai cracher sur vos tombes.

– Sur la condition d’un noir aux States, il y a l’édifiant Dans la peau d’un noir, de Griffin, pour mieux se rendre compte.

– C’est drôle, mais la dernière nouvelle me rappelle le thème de Crash, roman tout aussi glauque et dérangeant de Ballard.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce petit classique via Amazon ici.

Patrick Süskind - Le PigeonVO : Die Taube. A mi chemin entre le roman et la nouvelle, Süskind fait (encore) montre d’un grand talent. Malgré un début qui met un certain temps à me faire frisonner l’échine, la montée en puissance du scénario, simple mais efficace, apportera à tout lecteur une intense satisfaction. Voici comment la phobie peut confiner au suicide, du moins celui de ses plans de vie.

Il était une fois…

Jonathan Noël est un homme aux gouts simples et à l’existence d’une rare banalité, pour ne pas dire monotone. Tout est bien réglé dans sa vie, jusqu’à un terrible (sic) incident : un pigeon est dans le couloir où se trouve sa chambre de bonne. A partir de ce moment, la journée va sérieusement partir en quenouille.

Critique du Pigeon

J’ai rapidement lu ce roman après le majestueux (quoique fort violent) Le Parfum, et encore une fois je m’émerveille comme une collégienne du talent concentré de l’auteur germanophone. Ce n’était pas gagné, car le début est loin d’être exceptionnel, heureusement que Patrick S. a eu la bonne idée d’expédier les trente premières années du héros en une paire de pages.

L’histoire commence réellement pendant le mois d’aout 1984 (nom de Zeus, je n’étais même pas né à l’époque), avec un minuscule intrus près du non moins petit appartement de Jonathan. La description du pigeon, animal anodin dont l’œil est « monstrueusement ouvert », est superbe à côté de la réaction extravagante du héros. Car ce dernier, non paré à cet accident, va devoir faire preuve d’initiative comme jamais. Du calcul des conséquences matérielles et financières du fait de ne pas retourner temporairement chez lui à la perte de ses moyens pendant son taf d’agent de surveillance, l’auteur a pensé à tout.

Ce qui m’a autant surpris que légèrement déçu est le fin mot de l’histoire : je m’attendais à quelque chose de terrible et grandiose, et en fait non. Süskind s’est finalement amusé avec nous le temps d’une journée exceptionnelle, et ça ne m’étonnerait pas que derrière cette grosse nouvelle il faut simplement retenir que peu importe ce qui nous tombe sur la gueule, il y aura toujours pire ou plus original ailleurs.

Moins de 100 pages, des chapitres au final assez longs, comptez deux bonnes heures pour en venir à bout. Certains passages descriptifs peuvent être rapidement lus, toutefois ce n’est pas réellement le but de ce genre de lecture.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La vie pépère (et surtout comment tout ça peut être brisé) est au cœur du Pigeon. Jonathan Noël a un « business life plan » de toute beauté : pas de mariage (mauvais souvenir auparavant) ; même logement (si on peut appeler ça ainsi) loué sur Paris qu’il est sur le point d’acheter ; la retraite qui arrive bientôt, en fait les années qui arrivent comme chaque journée sont soigneusement minutées et ne laissent aucune place à l’improvisation. A la limite, le pigeon serait le héros du roman que ça ne m’étonnerait pas.

Le plus choquant, dans l’existence de Noël, est qu’il a introduit le paramètre humain comme source d’emmerdements. Pour faire simple, il est d’une misanthropie à couper le souffle. Rien que le peu d’estime qui porte en la concierge (grosse, au teint blafard, je vous laisse imaginer le tableau) est révélateur de sa paranoïa : celle-ci saurait tout de lui, ses habitudes, ses manies, ce qui le dérange profondément. Ses collègues de boulot, le patron de banque à qui il ouvre le portail ? Apparemment inconnus au bataillon. Un loup solitaire, mais sans ce petit aspect « élitiste » d’un Hermann Hesse.

Corollaire de ce comportement intensément égoïste, Suskind m’a intensément fait sourire avec le passage sur le clochard. Pour être bref, le protagoniste enrage de voir un tel bonhomme ne rien foutre, mener une vie dissolue et manger à sa faim en plus d’être toujours en vie. Là où ça devient franchement fun, c’est quand Jonathan s’aperçoit, avec soulagement, que sa vie est bien meilleure dans la mesure où il n’a pas à devoir s’abaisser à chier en pleine rue. Voilà à mon sens le parfait exemple du petit confort bien propret de l’époque d’après-guerre.

…à rapprocher de :

– De Süskind, Le Tigre s’est notoirement régalé avec Le Parfum. Atemporel, et encore une histoire qui se passe en France.

– Puisque j’y faisais référence, Le Loup des steppes, de Hesse. Même si me suis sévèrement ennuyé dessus.

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John Vaillant - Le TigreSous-titre : Une histoire de survie dans la Taïga. VO : The Tiger: A True Story of Vengeance and Survival (amusant, la vengeance a été zappée en français, alors que celle-ci est à la base de l’intrigue). Le Tigre, avec une majuscule : c’est de moi dont il s’agit ! Donc c’est forcément excellent. La confirmation par la lecture en fut d’autant plus délicieuse.

De quoi parle Le Tigre, et comment ?

Vous vous l’imaginez bien, quand j’ai vu ce roman qui traînait dans une librairie, je n’ai même pas cherché à savoir de quoi ça parlait. Un tigre, une majuscule au « T », c’est de la provocation ! Je me foutais de tomber sur un navet littéraire, et il semble que dès qu’on appose le noble nom du félin à n’importe quel roman, ça devient une bombe.

Journaliste et essayiste américain, habitué des prix dans la catégorie des essais, John V. a fait fort avec son deuxième titre (ai pas lu le premier). Le vrai héros est ce tigre de Sibérie (nommé aussi tigre de l’Amour) : le lecteur ne mettra pas longtemps à avoir en pitié du majestueux animal acculé par les hommes dans un environnement luxuriant  – mélange d’hiver glacial, du genre -40°, et de jungle. Majestueux, il l’est sans équivoque : puissance (sexuelle notamment, d’ailleurs « tigre » en sanscrit se dit vyaaghra, ça ne vous dit rien comme médoc ?) ; férocité et feulement qui fait croire en Dieu ; rare intelligence (adaptabilité, esprit de vengeance, distinction des humains), bref je suis encore plus tombé amoureux.

La base de l’essai est le « meurtre », en 1997, par un tigre, de Vladimir Markov à Sobolonié, petit village perdu au milieu de la la région de Primorié, qui elle-même se trouve dans l’extrême-orient russe. Aussi Iouri Trouch et ses hommes de « l’inspection Tigre » sont appelés pour enquêter et décider de la marche à suivre. Pour faire simple, le protagoniste principal humain va dérouler le fil des évènements, jusqu’à prendre la décision qui s’impose (évidemment tuer l’animal, blessé et incontrôlable).

John Vaillant est un conteur de qualité, et son analyse historique, sociologique et politique de cette zone est aussi limpide que terrible. Le vocabulaire, chatoyant et digne d’un thésard, m’a rapidement accroché. Bien sûr, rien n’est parfait dans Le Tigre : outre les noms des intervenants et lieux qui m’ont écorché les lèvres, l’essayiste américain commet beaucoup trop de flashbacks. Pour évoquer une situation ou introduire un nouveau personnage, on reviendra souvent dans un passé plus ou moins lointain (de la Guerre Patriotique à quelques mois). Sauter ainsi du chat à l’hanneton pourra en dérouter plus d’un, même si ça ne dépasse rarement quelques pages. Hélas Vaillant se garde de nous signaler quand on retourne à nos moutons.

Tout cela pour dire que j’ai eu mal au cœur en lisant l’essai, en plus la fin n’aide pas vraiment (la protection du panthera tigris n’est rien à côté de ce qui se faisait dans les années 90 et 2000). La conclusion de l’auteur tend à dire que le tigre est comme l’homme, un prédateur sûr de lui. Sauf que tigrou ne chasse et n’agit jamais par excès, alors que l’empreinte de l’Homme est irréversible. Pour que le tigre existe, il faut que nous le voulions.

Voilà donc très certainement un des billets les plus subjectifs sur ce blog. Car comme le dit si bien l’essayiste, l’admiration de certains pour l’animal peut « confiner à l’identification ». Dont moi.

Ce que Le Tigre (moi, pas celui de l’essai) a retenu

Ce qui m’a correctement marqué tient en un mot : le gâchis. La Primorie est une magnifique région extrêmement riche : bois rare, minerais, mais surtout une faune à nulle autre pareil. Tigres, ours, léopards, lynx, pour ne citer que les animaux bien connus. Et c’est là le problème : ces fabuleuses ressources attisent les convoitises. Par exemple, le bois est découpé à la sauvage (main d’œuvre nord-coréenne peu chère) pour être ensuite exporté dans les usines chinoises, direction ensuite les magasins américains de meubles. Pour un kraï (subdivision de la fédération de Russie) aussi incroyablement doté, le dénuement de ses habitants est autant choquant que triste. Tristesse quand on rappelle que la protection de cette espèce dépend avant tout de fonds privés occidentaux.

Il faut dire que les habitants ne mesurent pas l’importance de ces dons de la nature et ont une vision à court terme exaspérante. Moscou et ses lois sont bien loin, et entre fournir des fourrures d’animaux protégés contre un camion Toyota ou s’abstenir de détruire la région le choix est vite fait. Si vous rajoutez l’idéologie communiste qui veut que la nature doit se faire dompter par une pétée de blocs de béton, la région a aujourd’hui des airs de far-west américain version 1885. Avec souvent, comme justification, autre chose que l’argent, à savoir la simple survie.

Enfin, John V. développe de belles notions d’éthologie, ou comment se mettre à la place du bestiau en vue de tenter de le comprendre. J’ai surtout retenu le scientifique allemand (qui répond au doux nom d’Uexküll) et son analyse sur l’Umwelt : il convient d’avoir à l’esprit que ce qui est invisible pour nous ne l’est pas pour un animal. La vision, le paradigme du félin est tout autre que le notre, et quelque chose d’anodin de la part d’un humain peut constituer un casus belli. Depuis, je ne tape plus dans les croquettes de mon chat : il n’y touche plus, retient mon geste, et pisse trois jours après sous mon lit.

…à rapprocher de :

– Même si je ne m’en souviens guère, il y a un petit truc définitivement « Londonien » (le bon Jack, celui qui a écrit L’Appel de la forêt) dans Le Tigre.

– En manga, il faut relever les titres éponymes de Ahn Soo-Gil . Bientôt sur QLTL.

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Eric-Emmanuel Schmitt - Les dix enfants que madame Ming n'a jamais eusSchmitt écrit beaucoup de titres qui dans l’ensemble restent corrects, hélas cette historiette sur la rencontre entre un commercial occidental et une dame-pipi chinoise et traitant du confucianisme est un peu light. Un titre long comme le bras pour un roman relativement pauvre, c’est plus que dommage.

Il était une fois…

Célibataire endurci et polyglotte sachant suffisamment manier le mandarin pour taper une discute avec un Chinois, le narrateur est envoyé dans dans la province de Guangdong (vers Yunhaï il me semble) pour négocier sévère avec les locaux. Une de ses techniques consiste à partir tel un pet sur une toile cirée, et ce en pleine négo, juste pour presser un peu plus le citron [désolé du jeu de mots raciste]. C’est en allant aux chiottes dans ce cadre qu’il croise Mme Ming, avec qui il aura de nombreuses conversations.

Critique des dix enfants que madame Ming n’a jamais eus

Cela doit être environ le sixième opus du cycle de l’Invisible, nom donné aux romans traitant d’une religion (ou quelque chose s’y rapprochant). Pour être franc, j’ai été comme titillé par l’impression que l’auteur tire sur la corde à idées comme un ado attardé qui a trouvé le bon filon pour choper dans les booms. Sauf que les nanas commencent à être au jus.

Le scénar’ est presque trop évident à suivre. Le héros fait la rencontre d’une vieille dame assez énigmatique, dont la dignité et la résilience vont l’interpeller. Rapidement il appert qu’elle a eu une dizaine de gosses, ce que le narrateur a du mal à comprendre vu la politique de l’enfant unique en Chine. [Attention mini SPOIL] Au final, la vieille travaillait chez Pearl River Plastic Production, la même boîte avec qui le héros négocie. Il est question de création de poupées (le passage dans l’usine est bien rendu, presque le seul intérêt du bouquin), ce qui résonne étrangement avec les 10 potentiels gosses de la dame Ming. Est-il possible que Ming dise la vérité ? Ou comment le lui faire croire ? [Fin SPOIL]

La narration, à la première personne, ne m’a paru que peu vivante, pour ne pas dire fade. S’il faut reconnaître un progrès de la part de Schmitt dans la construction de chapitres une peu plus longs que d’habitude, hélas cela reste un roman de 100 pages bien aérées. Lecture trop rapide, pas le temps de s’immerger totalement. Quant à l’Empire du Milieu, les descriptions sont quasiment inexistantes. Bref, il y’a beaucoup mieux chez Eric-Manu.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le confucianisme est à l’honneur, vous l’aurez compris. Pour Le Tigre, c’est avant tout un tout cohérent de codes portés sur l’équilibre et le respect des autres, en particulier de la hiérarchie (parents, supérieurs, voire la nature). Schmitt se concentre plutôt sur le décalage entre la vie excessive et impitoyable d’aujourd’hui et la sérénité d’une dame pipi qui balance tranquillement ses proverbes à chaque questionnement du narrateur.

Du coup, et c’est sans doute l’intention de l’auteur, j’ai été franchement agacé par ces proverbes souvent vides de sens. C’est facile de répondre à une question par quelques bons mots, seulement hors contexte (comme cela arrive pour un des gosses de Mme Ming) le ridicule n’est jamais loin. Voici un florilège de phrases toutes confucianistes, parfois confusionnistes (je suis content de ce dernier calembour) :

L’expérience est une bougie qui n’éclaire que celui qui la tient. Difficile pour le pauvre de n’éprouver aucune rancune ; facile pour le riche de ne pas s’enorgueillir. Appliquez- vous à garder en toute chose le juste milieu. C’est quand le froid de l’hiver surgit que l’on note que le pin et le cyprès se dépouillent de leurs feuilles après les autres arbres.

L’affabulation. Ce n’est pas moi qui vous dévoile la fin, c’est le titre avec cette négation un peu lourdaude. Toutefois, entre le narrateur et la digne dame, on ne sait pas qui commet les plus gros mensonges. Car pour nos deux compères, c’est parfois le meilleur moyen de supporter la réalité : Ming se créé une famille pour combler un certain vide tandis que le narrateur aura, progressivement, l’envie d’en fonder une. How cute, je sais.

…à rapprocher de :

– D’Eric-Manu S., il faut rapprocher ce roman des autres qui font partie du Cycle de l’invisible : Milarepa, Oscar et la Dame rose, Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran, Le Sumo qui ne pouvait pas grossir, L’enfant de Noé, etc.

– Les dernières pages m’ont, dans une certaine mesure, rappelé Goodbye Lenin !, excellent film à regarder au moins une fois dans sa vie.

– En guise de conclusion musicale, j’ai souvent eu en tête les dernières paroles de Mon frère, par Maxime Le Forestier :

Je t’ai dérangé, tu me pardonnes,
Ici quand tout vous abandonne
On se fabrique une famille.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce titre en ligne ici.

DodécaTora« Bien le bonsoir noble félin. J’ai enfin trouvé comment envoyer ce que vous appelez un mail, et ce n’est pas au staff de meetic à qui j’ai d’abord pensé. Non, à toi. Voilà mon problème : depuis des décennies que je choppe, j’ai toute une pétée de potentielles belles-mamans qui me harcèlent. Tu n’aurais pas quelques trucs en rab pour les faire patienter ? Don J. »

Que veut la belle-mère ?

Le titre et la missive de Don Juan ne sont pas évidents à saisir, je vous l’accorde. Toutefois, c’est sûrement un des billets les plus utiles que vous vous apprêtez à lire. Combien de fois vous est-il arrivé de buguer comme un(e) con(ne) à l’approche de Noël ou de l’anniversaire de belle maman jolie ? On a envie de surprendre, de plaire, bref de ne pas passer pour un rustre de premier plan. Hélas, l’inspiration peut momentanément vous faire défaut.

Se rabattre sur un bouquin n’est pas franchement glorieux, toutefois cela peut vous sauver. A condition de faire le bon choix. C’est ainsi que les caractéristiques retenus pour un chouette cadeau à la presque ancêtre seront les suivantes : un truc long, vaguement historique, mais surtout quelque chose qui la cale dans un coin de la pièce d’où vous ne l’entendrez plus. Maman par défaut qui ne l’ouvre pas, c’est souvent le bonheur assuré.

Voici donc une douzaine de romans à offrir à sa belle doche. Non seulement vous pourriez devenir, à ses yeux, un être d’une rare finesse dont la culture n’aura d’égale que la gentillesse, mais si ça vous chante vous serez également en mesure de faire plus ou moins subtilement passer un message.

Tora ! Tora ! Tora ! (x 4)

1/ Daniel Sibony – Les sens du rire

Si la vioque sourit aussi souvent que votre inspecteur des impôts vous accorde une remise gracieuse, il peut être tentant de lui refiler un essai qui décortique ce qui nous fait marrer. Beaucoup de théorie, en fait ne vous attendez pas à l’intégrale des blagues de Toto. Attention, offrir un tel essai peut prendre une vague tournure de déclaration de guerre.

2/ Mary Higgins Clark – [n’importe quel foutu titre]

Ah, sacré Mary…une institution à elle toute seule, quelle classe ! Vous lui prenez un titre au pif, et direction la plage pour le dévorer. Faites gaffe cependant, il y a fort à parier que la vieille dame en a lu pas mal dans sa (longue) existence, personne n’est à l’abri d’une petite cure de Clark. Checkez vite fait ses chiottes, c’est souvent là que ce genre de roman termine.

3/ Susan Abulhawa – Les matins de Jénine

Mi-essai, mi-fiction, Susan a pondu un titre envoutant et à la saveur amère. Le lecteur suit deux familles, deux camps opposés dans un conflit qui est avant tout territorial. L’écrivaine penche nettement du côté palestinien, ce qui est intéressant quand on est peu au fait des problématiques vues sous cet angle. Éviter si belle-maman penche (politiquement) à droite toute.

4/ Jane Austen – Orgueil et Préjugés

Je ne sais pas pourquoi, mais sur internet il y a un paquet de dondons mouillées qui n’en peuvent plus de baver sur Jane Austen. C’est que cette histoire doit être correcte, entre personnages bien travaillés et humour tout british pour l’époque. Un classique même, qui semble être redécouvert à de nombreuses reprises. Bref, le cadeau parfait pour avoir la paix. Le Tigre en parle d’autant plus facilement qu’il n’a jamais approché à moins de six mètres de ce lourd pavé.

5/ Amin Maalouf – Les identités meurtrières

Amin, franco-libanais rompu aux conflits ethniques, est le parfait interlocuteur pour nous entretenir des tensions communautaristes qui peuplent l’Occident et le Proche-Orient. Un vrai intellectuel qui prend parti et expose la voie de la raison. Avec ça, vous êtes le tolérant/laïc (doué d’un solide bon sens) de service. Hélas ça ne pèse que 200 pages, profitez-en pour offrir l’intégrale (Le dérèglement du monde, Samarcande qui est superbe, etc.).

6/ Jonathan Litell – Les Bienveillantes

Voici le cadeau de la dernière chance. Grosse belle-mère vient squatter avec vous en vacances, et vous êtes fermement décidé de ne pas la laisser gâcher les instants coquins que vous préparez avec votre douce moitié. Avec cette monstruosité littéraire de plus de 1.000 pages, vous ne serez pas dérangés pendant au moins 10 jours. Lisez au pif un passage sur la fin, et demandez lui de vous en toucher un mot quand elle sera tombée dessus. Elle sera bien obligée d’en venir à bout.

7/ Marcel Rufo – Grands-parents, à vous de jouer !

L’ai rapidement parcouru à cause du titre, bah ce n’est pas fameux du tout. Le mecton raconte sa petite vie et demande aux vieux (de moins en moins gâteux il est vrai) d’aider à prendre la relève de l’éducation. Je ne vais pas en dire plus, le synopsis n’est pas si important. Le titre, oui. Si vous n’avez pas encore de gosses, attention à l’interprétation que peut avoir un tel présent.

8/ Craig Thompson – Blankets

Idéal pour montrer à belle-maman que la BD, ce n’est pas pour les gamins. Une sublime autobiographie dans un environnement neigeux et qui saura titiller la fibre sentimentale de tout individu normalement constitué. Fin du fin, l’environnement ultra religieux des protagonistes saura rassurer belle-maman jolie dans la mesure où il n’est question que d’amour platonique.

9/ Olivier Chaline – L’année des quatre dauphins

Olivier C., c’est le gendre parfait : éducation complète, érudition de gros connard (chez Le Tigre, c’est un compliment), et belle gueule pour ne rien gâcher. Pas étonnant qu’il réussisse à rendre un essai historique (sur un sujet chiant au premier abord) super sympa à découvrir. Le bon roi Louis XIV se fait vieux, et il sa descendance tombe comme autant de mouches. Pas trop d’humour, des faits bruts, Maman sera contente.

10/ Arto Paasilinna – La douce empoisonneuse

Ce roman est plus une petite sucrerie pour calmer le récipiendaire. D’une part, cet auteur plait à la gente féminine et il n’est pas rare de vouloir les lire tous. Après le running gag, il y a le running gift, où vous lui donner l’intégrale (5 années de repos pour vous). D’autre part, cette histoire en particulier est touchante au possible, avec une dame digne qui, sans vraiment le vouloir, se débarrasse de son petit-fils (et ses amis) junkies et indélicats. Une réjouissance.

11/ Donna Tartt – Le maître des illusions

Donna Tartt, c’est un peu du Bret Easton Ellis mais en plus complet et moins glauque. Roman d’apprentissage, protagonistes bien décrits et aux défauts bien humains, on est à mi-chemin entre Le cercle des poètes disparus et un thriller en milieu clos. Le Tigre a eu du mal à détacher ses yeux des pages, alors imaginez ce que ça peut donner avec la marâtre. 700 pages, une semaine de répit.

12/ Mario Vargas Llosa – Éloge de la marâtre

Tigre aime terminer sur une petite blague, surtout quand celle-ci a de vilains relents d’amours interdites, voire incestueuses. Dans ce fabuleux roman, l’auteur sud-américain explique, par le menu, comment un enfant d’une rare innocence va parvenir à niquer sa belle-mère. Presque un message d’amour que vous ferez passer, mais soyez prudent hein.

…mais aussi :

– Tom Wolfe s’en sort très bien, à l’image d’un Bucher des vanités ou Moi, Charlotte Simmons. Pour ce dernier, le vocabulaire faussement « djeune » de l’écrivain américain est tout indiqué.

Aïe aïe aïe, je n’ai plus d’idées. A part tous les Carlene Thompson, qui en tient une belle couche question polars-de-vieilles-mamans. Par exemple Ne ferme pas les yeux.. Et je reste peu fier de quelques trucs inscrits ci-dessus. Je reste donc preneur de bons plans.

Peter F. Hamilton - La Trilogie du VideVO : Void Trilogy. Plus de 2.500 pages de SF, et Le Tigre n’a pas vu le temps passer. Manipulations en tout genre, armadas de vaisseaux prêts à se foutre sur la gueule, tout cela pour une poignée d’intervenants aux pouvoirs surprenants. Hamilton est parvenu, après une saga déjà excellente, à pondre une trilogie qui semble aller encore plus loin.

Il était une fois…

Vide qui songe : le fameux Vide est un trou noir massif d’origine artificielle et construit il y a fort longtemps. En 3320, Inigo (un colonel du Commonwealth débarqué sur une planète proche de la zone) a fait un rêve au sujet du contenu du Vide, un monde fabuleux où les lois de la physique sont quelque peu différentes. Moins de 300 ans après, la secte « Le Rêve Vivant » souhaite faire un pèlerinage dans ce trou noir qui semble être en expansion. Tous les intervenants fourbissent leurs stratégies et armes pour aider / empêcher ce voyage.

Vide temporel : le pèlerinage avance bon train, sauf qu’un Second Rêveur (après Inigo) fait des siennes dans le Champ de Gaïa (sorte d’ionosphère quantique pour partager les émotions). Si on ajoute les Osciens fermement décidés à stopper les pèlerins, et la Marine du Commonwealth qui se fait botter le cul par un vieil ennemi, comprenez le malaise. Parallèlement, on en apprend plus sur Edeard, le héros du Vide dont les pérégrinations montent en puissance dans la ville de Makkathran.

Vide en évolution : on y est, le bordel est presque complet. Une faction du gouvernement numérique humain crache dans la soupe, jusqu’à enfermer le système solaire dans un champ de force impénétrable. Et que dire de tous les adeptes qui brûlent d’atteindre la complétude et aller au cœur du noyau du Vide ? Chaque protagoniste lâchera sur le tapis ses dernières cartes, pendant ce temps Edeard agit comme un demi-dieu sur la planète Querencia.

Critique de la Trilogie du Vide

Magnifique. Tigre a encore hésité à résumer les trois bouquins en autant de billets, mais pour de telles sagas autant dépasser mon cahier des charges de 1.000 mots et livrer tout d’un bloc. Peter F. Hamilton a encore fait montre d’ingéniosité pour concevoir un monde cohérent et d’une rare violence.

Pour planter le décor, il faut savoir que cette trilogie se passe quelques centaines d’années après La saga du Commonwealth (en lien à la fin de billet). Le Commonwealth s’est plutôt bien remis de la guerre contre l’Arpenteur et on retrouve certains personnages de cette époque (la flic Paula Myo, la dynastie Brunelli) tandis que d’autres sont presque passés au statut de demis-dieux (« Par Ozzy ! » étant une expression du langage courant). Seulement un nouveau problème surgit, et comme la barrière de Dyson qui cachait les vilains Primiens on ne sait pas trop ce qu’il y a derrière le vide.

La technologie a correctement évolué, et l’humanité se décompose en plusieurs groupes. « Naturels » ; multiples qui ont plusieurs corps pour un même esprit ; branche avancée (améliorations partout) ; culture branche haute avec des bioniques de belle facture, armés comme des porte avions, ceux-ci étant destinés à terme à quitter leur enveloppe corporelle pour s’installer dans un monde numérico-quantique. Les combats entre vaisseaux sont souvent imbitables, mais entre humains ça dépote gravement avec les champs de force, exovisions en mode « fight », activation de logiciels stratégiques, programmes pour pirater les bioniques de l’ennemi, etc. Une vraie réjouissance. Avec, comme point d’orgue, la recherche de la transcendance.

La problématique de l’œuvre est le Vide, univers auto suffisant et se pensant unique vis-à-vis duquel quelques happy fews (trois à peine) rêvent la vie d’un de ses habitants. Avec Hamilton, la beauté et le rêve sont souvent associés à un « mais » de grande envergure. Car à l’instar d’un Ilium de Dan Simmons, on ne met pas long à s’apercevoir que les fabuleuses propriétés de cet univers ne sont pas sans terribles dangers : cet immense et antique espace bouffe de l’énergie en avalant les systèmes avoisinants. Si les moyens pour trouver une solution m’ont scotché, les trois cents dernières pages sur la résolution du conflit ont été hélas décevantes (comme lors de la guerre contre les Primiens dans la précédente saga).

Comme toujours dans les longues sagas de l’Anglais, on pourra déplorer le nombre de protagonistes principaux qui dépasse la quinzaine. Au moins, dès le premier opus, on les connaît tous. Le lecteur suivra pas mal d’individus aux objectifs et états d’esprit différents, que ce soit un scientifique travaillant pour une faction ou un militaire tout bien galonné, une tueuse qui se nomme la Chatte (miam), en passant par un agent spécial qui ne sait rien de sa mission (sinon que son cerveau lui indique de nouvelles choses à faire dès qu’une étape est passée). Souvent j’ai attendu une page pour me remémorer le cadre narratif, ce qui est parfois ennuyeux quand on a le même narrateur sur à peine cinq pages avant d’en changer.

Heureusement que l’auteur a su proposer quelque chose de nouveau grâce à une partie de récit très « fantasy ». L’histoire de Celui-qui-marche-sur-l’eau, disséminée grâce aux « rêves d’Inigo », est réellement fabuleuse. Le Vide étant un univers où les lois de la physique sont différentes, c’est l’esprit qui est le maître des lieux : « troisième main » qui est de la télékinésie ; modifications génétiques des animaux (les fameux génistars) ; mythes relatifs aux premiers habitants descendus du ciel (on devine les premiers colons à avoir traversé le vide), on va même jusqu’à gravement titiller le voyage dans le temps. Edeard a un talent certain et son évolution dans ce lieu mi-moyenâgeux mi-héroïc fantasy prendra une tournure de quête épique. Une épopée, notamment lorsque de l’autre côté du Vide les habitants font de nombreuses références au héros.

Sur le style, bah c’est toujours sacrément long. Blague à part, j’ai trouvé les descriptions peu chiantes et presque nécessaires pour s’immerger dans les différents mondes visités. Néanmoins les derniers chapitres m’ont paru être rédigés à la va-vite, on sent que Peter voulait vite en terminer. Sinon, ça fourmille de bonnes idées et quelques révélations finales (je m’y attendais un peu, du moins je savais qu’Hamilton allait traiter ces sujets) valent le coup de terminer les trois tomes. Les nombreux happy ends de la fin, résolument optimistes, laisseront une impression de légèreté assez inattendue. Pour conclure, encore une jolie claque de SF/Fantasy.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Corollaire de ce que le génial Ozzie (devenu « ami des Silphens », c’est important) a découvert dans un autre cycle de l’écrivain anglais, il est possible dans le futur décrit de partager ses émotions via le fameux « Champs de Gaïa ». Ajouté à l’unisphère (sorte de super-internet où son ombre virtuelle peut se balader), ce Champs permet une empathie accrue entre les membres de l’espèce humaine. Hélas, en partageant le rêve qu’il a eu de la vie qu’on mène dans le Vide, Inigo a corrompu l’idée d’Ozzie : le Champs de Gaïa était censé éviter les conflits en obligeant les individus à se mettre à nu, contribuant ainsi à l’émergence d’une espèce où la confiance serait totale. Sûrement pas à mettre en place une nouvelle religion.

Dans cette saga, on aura peu de contacts avec l’I.A. classique (sauf vers la fin) puisque le « gouvernement » du Commonwealth s’est quelque peu robotisé. En fait, il y a maintenant l’ANA (Activité Neurale Avancée), sorte de melting-pot de tous ceux qui ont bien voulu charger leurs esprits dans cet endroit numérique. Le gouvernement n’est alors que la somme des esprits téléchargés, ces derniers s’organisant selon leurs sensibilités politiques. Les difficultés qui apparaissent chez nos héros sont avant tout le résultat de terribles luttes de faction qui peuplent l’ANA.

Et oui, grâce à ces guerres larvées le début du troisième tome démarre sur les chapeaux de roue. Sans spoiler, une des factions décide de foutre la merde, et y parvient au-delà des espérances du lecteur. La structure globale n’est qu’une démocratie de façade, il ne se passe que très peu de temps avant que les leaders d’autrefois émergent.

L’existence d’Edeard (une cinquantaine de rêves) est digne d’un grand roman d’apprentissage d’un gosse de la campagne qui finit héros de toute une planète. Pour arriver jusque là, le protagoniste va pas mal souffrir. On est extrêmement loin des contes Disney, en effet la ville où séjourne le héros est en proie à une corruption terrible et acceptée de tous. Certains antagonistes sont réellement flippants, que ce soient de puissantes mafias ou des canons de beauté manipulant à distance le cerveau primitif. « Pour faire le bien, il faut parfois faire le mal » revient souvent, et le lecteur se surprendra à comprendre les motivations de l’ennemi et comment la croisade du héros est excessive. Quand, bien plus tard, Edeard remonte à plusieurs reprises le cours du temps afin d’éviter les erreurs passées, la tristesse est presque infinie.

[Attention thème SPOIL] Tigre est tenté de vous expliquer quelques révélations qui en laisseront plus d’un sur le cul, toutefois je vais plutôt me concentrer sur le principal : si Inigo s’était réfugié dans un endroit caché et n’avait pas partagé son dernier rêve, c’est que celui-ci est franchement dérangeant. On y voit un descendant d’Edeard, capable de voler et au savoir infini. Cette « entité » se félicite du glorieux passé, toutefois il semble qu’il n’y ait rien à découvrir. L’ennemi total, au final, est tout simplement l’ennui, la perte d’élan vital (par autosatisfaction) qui empêche de se créer un avenir. [Fin SPOIL]

…à rapprocher de :

– Comme je le disais, au risque d’avoir quelques références qui vous passent au-dessus du ciboulot, je conseille de lire La Saga du Commonwealth d’abord. Entre Ozzie, Oscar, les Burnelli, Paula Myo qui reviennent, ça évitera d’être largué.

La Grande Route du Nord (tome 1 et tome 2 sur le blog) est également une quasi réussite, même si les ingrédients de l’auteur n’ont pas changé – l’efficacité reste presque au rendez-vous.

– A la limite, l’histoire seule d’Edead aurait pu constituer un magnifique roman, puisqu’on suit ce héros de sa jeunesse jusqu’à sa mort (d’un chapitre à l’autre, il peut prendre 50 ans dans la gueule). Et ça fait penser au Tigre que, pour l’instant, seul Terremer m’avait passionné en terme de fantasy.

– La fin de La Tour Sombre (Stephen King) reprend quelques éléments de l’existence d’Edeard, c’est assez surprenant.

– J’en parlais rapidement, dans Ilium (suivi d’Olympos) de Dan Simmons, des « dieux » qui s’amusent à faire péter les voyages quantiques foutent une merde pas possible dans la galaxie. Le bonheur a ses limites.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ces romans (tome 1, tome 2 et tome 3) via le net en lien.