Caryl Ferey - Plutôt creverPris un peu par hasard parce qu’en tête de gondole savamment présentée, lu assez vite sans grand plaisir. Mc Cash, c’est la nouvelle création de Ferey, étoile qui serait montante dans le polar français. Style pas désagréable mais peu décoiffant ; histoire souvent lourde, bref il y a bien mieux en France et ailleurs.

Il était une fois…

Fred a commis une grosse connerie. Alice, sa meilleure amie, lui a offert les mémoires d’un inconnu et un flingue dans une boîte à chaussures. Ce même objet avec lequel Fred a tué un député avant de prendre la fuite à travers la Bretagne. Ils seront traqués par des basques d’où provient le pistolet et par l’inspecteur Mc Cash, flic drogué et borgne. Tous en piste !

Critique de Plutôt crever

Ce ne fut pas le grand délire, surtout au début du roman. Disons que je me suis un peu ennuyé sur les 200 premières pages, quasiment tout au long en fait…

Premièrement, l’histoire : ça a l’air complexe, alors qu’il ne s’agit que d’un malheureux concours de circonstances. Pour faire simple, Alice vole une arme à son frangin qu’elle prête à un ami qui tue par accident un député. DST, police, tous se penchent vers cette affaire, en particulier Mc Cash qui traite à l’origine avec le grand-père du meurtrier et se retrouve à poursuivre le couple en cavale.

Mc Cash, c’est en fait le héros de ce roman. Heureusement que le titre donne un indice, parce que le lecteur suivra surtout la cavale des deux jeunes. Cavale chaotique et pas très bien rendue au demeurant.

Deuxièmement, le style : pour un Français, il faut convenir que c’est parfois bien léché dans les descriptions. L’auteur parvient à rendre crédible certains personnages (le protagoniste en cavale et le héros d’accord, mais les deux truands, moins bien) dans leurs faiblesses et pensées. Chapitres courts, avec un titres associés (quelques clins d’œil) et police d’écriture plutôt grosse.

Pour Le Tigre dont l’exigence va, au cours des années, en grandissant, ce roman sera vite oublié. Le temps qu’on se dise que c’est quand même ennuyeux, il reste bien 80 pages et là ça commence à devenir réellement intéressant.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’antihéros qu’est Mc Cash : drogué à la meth, alcoolique sur les bords, le personnage ressemble en sus fortement à un pirate. Ni très fin ni sportif, notre héros jouit bien sur d’une solide intuition. Derrière son air bourru se cache avant tout un homme dévasté (deux mariages foireux, avec la même personne) qui ne demande qu’à être cajolé. Personnage principal un peu convenu donc.

La maltraitance des enfants. Le Tigre ne pensait pas que de tels problèmes seraient traités dans cet ouvrage, et que ceux-ci soient assez finement abordés. Au point de relancer l’intérêt du roman sur sa fin. Fred, le pauvre trentenaire en cavale, a eu des parents pas très présents. A la mort de ces derniers il ne veut pas laisser ses vioques (grands parents qui l’ont élevé) récupérer la garde de sa sœur. Et à juste titre lorsque de profonds souvenirs feront surface.

Dernier thème, plus marketing : comment vendre un auteur ? Pour présenter Caryl, l’éditeur égrène un paquet de soit disant qualités. Florilèges :

Caryl Férey […] s’est imposé comme l’un des meilleurs espoirs du thriller français

Traduction libre : depuis Jonquet, Manchette et Pouy, on est bien emmerdé de voir que seuls les auteurs anglo-saxons assurent. Alors on place beaucoup, trop même, d’espoir en cet écrivain qui n’est déjà plus tout jeune.

[…]prix Sang d’Encre 2005, prix Michel Lebrun 2005 et prix SNCF du polar 2006, Prix Elle des lectrices […]

Traduction libre : bon, trois romans et déjà tant de titres, il faut absolument faire du « price dropping », au risque d’y mettre des récompenses qui feront sourire [j’en parle ici].

…à rapprocher de :

– L’antihéros total dans un roman policier, c’est aussi Jack Taylor dans les romans de Ken Bruen. Par exemple ici, ou encore par ici.

– La suite, La jambe gauche de Joe Strummer, est nettement meilleure.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez ici trouver ce roman en ligne ici.

VO : Hydrology (facile). Suite du tome 0 de Batwoman dans le cadre des DC Comics Renaissance (on reprend les mêmes à zéro), Le Tigre a dénoté une amélioration par rapport à l’opus précédent. Un peu moins de fantastique (mais une présence toujours très visible), plus de réalisme, pas mal du tout.

Il était une fois…

Batwoman continue son petit bonhomme de chemin sous le regard inquisiteur de Batman qui l’évalue. Un nouvel ennemi, fantôme inquiétant, fait son apparition tandis qu’une organisation (avec à sa tête un squelette, et oui) souhaite recruter Kate. Cette dernière va devoir enfin gérer sa cousine qui veut être une super-héroïne et Maggie, officier de police qui lui plaît bien.

Critique de Batwoman : Hydrologie

Paradoxalement, Le Tigre a plus apprécié cet opus que le précédent, alors que celui-ci est moins long et un plus « expédié ». Le scénario est en effet un peu léger malgré un début très prometteur où on pressent chez le chevalier noir un rôle de mentor – comme si l’héroïne ne pouvait voler de ses propres ailes.

Légèreté de l’histoire policière et fantastique, mais indéniable profondeur du personnage principal qui n’a pas l’aisance d’une double-vie à la Bruce Wayne. Plusieurs niveaux d’histoires, on peut être parfois un tantinet perdu tout en saluant la complexité de cet art.

D’un point de vue purement visuel, mes critiques seront peu ou prou celles de Batwoman : Élégie. Code couleur selon les protagonistes, dessin sombre et parfois glauque. La lecture des cases reste assez chaotique, surtout que certains vilains les débordent allègrement. Enfin, il est intéressant de voir comment les auteurs gèrent les différents niveaux de narration (Batman, la flic, mais avant tout Batwoman et Kate).

Pour conclure, concernant ce tome et le précédent, on peut les zapper en considérant que Batman et Catwoman font suffisamment l’affaire. Pour l’inconditionnel de Gotham ou le curieux en quête de narrations visuelles originales, ça peut être intéressant d’avoir cette série.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La famille dans tous ses états. Lors du précédent tome, Kate finissait en très mauvais termes avec son colonel de père. Ici, la cousine veut en être sous le doux nom de Flamebird. Refusant comme Batwoman d’être une victime et souhaitant donner vite du fil à retordre aux méchants, la cous’ devra être entraînée, réfrénée parfois. Bref on dirait Batman et Robin à leurs débuts.

La double (voire plus) narration. Comme il a été dit, le petit plus de ce comics, c’est qu’on se rend mieux compte de la différence du monde de Kate et de celui de Batwoman. En effet, si le style reste « aéré » et assez underground lorsque le lecteur suit Batwoman, les passages avec Kate ont plus l’air de la BD classique, à savoir nombreuses couleurs, trait un peu plus grossier et personnages au physique plus crédible.

Le terme « bat ». En vue de faire un troisième thème également. Le Tigre arrête les frais sur le monde de Gotham City, Batman et Catwoman ça me semble amplement suffire. Le petit Robin à la rigueur, mais les autres super-héros comme Batwoman ou Batgirl, je deviens très vite largué. Restons donc sur les bases solides.

…à rapprocher de :

Batwoman : Élégie, certes moins bien mais fort utile pour se familiariser avec le personnage. Le tome suivant, En immersion, m’a plus gavé qu’autre chose, mais la suite (L’élite de ce monde) a bien relancé l’intérêt de la série.

– Vous pouvez retrouver Blackman au scénario dans le premier tome d’Elektra version 2014. Moyen hélas.

Enfin, si vous n’avez pas de « librairie à BD » à proximité, vous pouvez trouver ce comics en ligne ici.

Rucka & Williams III - Batwoman : Elégie VO : Elegy. M’y connaissais pas trop question Batwoman. Alors quand on reboote la série, Tigre saute sur l’occasion. Et même si ce n’est pas tout à fait mon genre de comics, il faut avouer que c’est finement illustré au service d’une histoire où le fantastique a toute sa place. Expérience intéressante, il y a mieux toutefois.

Il était une fois…

Kate Kane a une enfance très particulière : mère et sœur assassinée au cours d’un kidnapping ; élevée par un père colonel qui lui a enseigné le respect des valeurs militaires ; meilleure cadette de l’école de police ; bref pleine d’avenir jusqu’à ce que son homosexualité soit révélée. Voulant à tout prix protéger et servir, elle le fera sous le costume de Batwoman, et avec l’aide du papa colonel.

Critique de Batwoman : Elégie

Avant tout, ce comics est publié dans l’édition DC Renaissance, qui reprend à la sauce du jour les plus grands héros. Du coup, malgré quelques super-vilains qui se pointent la bouche en cœur comme si on les connaissait, on peut suivre le héros dans ses nouveaux débuts et bien comprendre le personnage.

Batwoman, dans notre cas, n’a rien à voir au premier abord avec Batman, qui ne la connaît point. C’est une héroïne résolument moderne, avec ses faiblesses assez touchantes. Homosexuelle juive qui a du mal à garder ses petites amies, quelques blessures malgré son entraînement drastique, disputes courantes avec ses proches, tout ça reste très crédible. Le dessin du personnage, avec ses cernes et sa peau blanche à la limite de l’ectoplasme, rajoute dans la diversité d’une super-héroïne.

Le dessin. Les auteurs ont de la suite dans les idées, et apportent quelques novations assez sympathiques : les couleurs d’abord : chaque personnage a son « filtre » de couleur. Batman est bleu, Batwoman rouge, avec beaucoup de noir pour les deux. Lorsqu’en plus le scénariste met en scène des plans parallèles entre les deux héros (avec des dialogues parfois croisés), et bien on n’est pas vraiment loin du roman graphique.

Les cases, ensuite. Roman graphique en effet, car peu de logique dans la lecture : il faut de temps en temps lire la pleine double page ; Le Tigre (qui n’a pas l’habitude) a été souvent perdu. Ça peut faire un poil fouillis, dans les premières pages je me suis dit « ah non pas moyen de finir ce truc qui part dans tous les sens ». Surtout avec les ennemis démoniaques qui font décidément too much. Au final, c’est moins pire que ce à quoi je m’attendais.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

« Don’t ask, don’t tell ». La raison de l’abandon par Kate de l’école de police est cette politique U.S. qui a depuis disparu : le principe est de ne pas montrer sa vie privée si on est gay, parallèlement l’armée ne posera pas de question. Parce qu’elle a été vue avec une autre, Kate Kane a le choix entre se dédire ou quitter la police de Gotham. Voilà pourquoi elle n’est pas un simple flic.

Le « traumatisme originel » du héros. Le Bat voit ses parents se faire tuer. La Bat voit presque sa mère et sa sœur jumelle assassinées. Sœur dont elle était plus que proche, d’ailleurs Le Tigre peut imaginer que l’homosexualité de l’héroïne ne serait qu’une façon de retrouver sa moitié perdue. Quoiqu’il en soit, les évènements amenant à la création du personnage sont assez similaires à ceux de Bruce Wayne, ce qui est un peu léger.

…à rapprocher de :

– On retrouve rapidement Batwoman (et son « boss » de père) dans le troisième tome de Grant Morrison.

Batman Year One, de Miller & Mazzucchelli, pour les débuts d’un super-héros. Un must see.

– La suite, Batwoman : Hydrologie est un peu plus agréable à lire. Si le troisième (#2 En immersion) m’a franchement gavé, la suite L’élite de ce monde a bien relancé l’intérêt de la série.

– Le héros gay et un peu borderline, c’est aussi Leonard dans les romans de Joe R. Lansdale. Par exemple dans Vanilla Ride.

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Michel Kazatchkine - La consultation du soirPetite balade dans une grande librairie parisienne, dans le rayon « essais » un livre tout rouge attire l’attention du Tigre. Témoignage d’un médecin qui a vécu les premières années du SIDA, voilà quelque chose de fort instructif. Texte tout personnel et intelligent, assez plaisant.

De quoi parle La consultation du soir, et comment ?

La consultation du soir, c’est une consultation donnée tous les mercredi, pendant une douzaine d’années, par l’équipe de Michel Kazatchkine. Consultations données aux premières personnes atteintes du SIDA, témoignages assez poignants d’êtres en proie à une maladie dont on ignore tout au début.

Ce Michel K., c’était un jeune chef de clinique dans un hôpital de Paris. Chercheur en plus d’être médecin, il a ensuite pris la direction d’une équipe dans le très prestigieux hôpital Georges-Pompidou. Tout ça de 1988 à 2000, douze années qu’il va écrire.

Écriture très simple et plus qu’abordable pour le non initié, rien à dire. On suivra l’évolution de la maladie, les enjeux qui se mettent en place et découvertes successives. Les termes utilisés par les patients et le médecin lors de ces consultations font de cet ouvrage un monument d’humanité assez émouvant, et contre-balançant efficacement les considérations d’ordre purement médical.

Toutefois, on pourrait reprocher à cet essai un début bien trop long sur l’enfance et le parcours professionnel de Kazatchkine, et ce bien avant 1983 (année où les premiers symptômes apparaissent). De plus, tout au long du texte nous sont donnés quelques petites « interludes » musicales ou picturales qui plantent uniquement le décor. Pas forcément nécessaire.

Enfin (au bout d’un bon tiers) l’auteur entre réellement dans le vif du sujet, à savoir la genèse du SIDA.

Pour conclure, ouvrage quasiment indispensable pour la « culture G » relative à  cette maladie. Quasi indispensable puisqu’il s’agit d’un document unique, il n’y a pas vraiment d’équivalent dans la littérature française.

Ce que Le Tigre a retenu

Au risque de répéter ce que tous savent déjà, il reste délicat de dire ce qu’on a retenu sans avoir un ton professoral.

Les débuts de la maladie sont décrits sans prendre en compte les découvertes futures. Prise de distance limitée ; symptômes nouveaux que le docteur / chercheur découvre ; publications scientifiques qui se révèlent fausses voire dangereuses,… C’est une période fascinante (si je puis me permettre d’utiliser ce terme) mais surtout terrifiante qui s’annonce pour l’équipe du bon docteur.

En outre, l’auteur de cet essai nous présente la situation fort délicate des malades qu’il reçoit. Nombreux témoignages où se mêlent déceptions, espoirs, sentiment d’extrême vulnérabilité et réactions desdits malades. Courage, abandon, tout y passe. Plus que de simples témoignages, ce sont de vraies confidences.

En effet, il ressort de cet essai que peut-être pour la première fois une maladie met en cause un aspect humain presque sacré, du moins très sensible : la sexualité. Ne plus la vivre comme on le souhaite, être « brocardé » de la sorte lorsque SIDA rimait avec drogué et homosexuel, tout un tas de nouveaux questionnements où le médecin sait parfois se faire psychologue.

à rapprocher de :

Pilules bleues, de Peeters, en roman graphique fort intimiste.

Black Hole, de Burns, autre BD tout aussi émouvante.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez le trouver sur Amazon ici.

Robert Charles Wilson - Blind LakeVO : idem. En pleine cure des premiers romans de Wilson, Le Tigre a été ravi par ce « one shot ». Toujours aussi poussé sur la psychologie des personnages, l’histoire est en sus totalement déjantée. Celle-ci fait appel à de complexes notions de physique tandis qu’on suivra un extra-terrestre dans une quête relativement fascinante. Du très bon.

Il était une fois…

États-Unis, Minnesota, dans un futur proche. Blind Lake est une ville créée de toute pièce pour accueillir un complexe scientifique de haut vol qui repose sur une technologie que personne ne semble vraiment comprendre. Grâce à l’Oeil, Marguerite Hauser regarde un E.T. sur sa planète. Le Sujet, comme on l’appelle,  se prépare à un voyage assez long et potentiellement dangereux. Parallèlement, Blind Lake est mis en quarantaine. Que s’est-il passé, le danger vient-il de l’intérieur ou de l’extérieur ? Que referme en fait cette fabuleuse technologie ? Et que peut bien foutre le Sujet ?

Critique de Blind Lake

Mieux que Mysterium, moins bien qu’Axis ou Les Chronolithes. Mais ça reste de la bonne came. Sur près de 500 pages il est sûr que notre bon Robert Charles aurait pu faire un petit peu plus cours, au moins la lecture en diagonale est faisable sur plus d’un chapitre.

L’histoire est excessivement complexe, moi-même je ne suis pas sûr d’avoir tout saisi (cf. infra). En outre, à l’instar de Darwinia, la description d’une entité non terrienne fait proprement rêver.  Enfin, il convient de saluer la traduction, qui passe inaperçue (si ça vous parle comme compliment).

Comme toujours, ce sont sur la psyché des protagonistes que Wilson excelle : femme divorcée dont la fille semble perdre la boule (la Fille-Miroir à qui elle parle, c’est plus qu’inquiétant) ; ex-mari fort assez malsain, blindé de testostérone et accroc aux gateaux ; journaliste cynique et un peu salope sur les bords ; deuxième journaliste qui porte le poids de la culpabilité pour avoir soigneusement détruit le piédestal d’un héros de la science ; et dernier journaliste qui paraît avoir abandonné toute dignité scientifique pour publier un ouvrage mêlant ésotérisme et vulgarisation scientifique. Superbe.

Le lecteur sera (également) content dans la mesure où Wilson ne le prend pas pour un con. Loin de là. Contrairement à certains auteurs de SF, le pourquoi du comment est distillé avec d’infinies précautions, au point de frustrer Le Tigre qui veut en savoir plus, tout de suite. Les révélations sont au final bien dosées, et auréolent ce roman d’un suspense assez plaisant. Il convient d’être patient.

C’est plus que de la SF, c’est de l’anticipation réaliste (les menus gadgets technologiques existent quasiment aujourd’hui) et dont les merveilles scientifiques élèvent la littérature à un niveau de spiritualité rarement atteint dans ce genre de romans.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’exobiologie. Mot joliment barbare qui dans ce roman regroupe deux aspects. D’une part, le rendu de ce que peut penser un E.T. en plus de la très correcte description de son environnement. Symbiose avec d’autres espèces, communication,… D’autre part, le travail nécessairement objectif de l’étude par des scientifiques humains : aucun postulat, aucune comparaison avec la biologie humaine (« ingérer », et non « manger » par exemple), pas d’attachement en fait. Contre ces strictes obligations, le besoin de « raconter une histoire » se fait vite sentir.

Petite anecdote : les points communs entre toutes les espèces selon l’Oeil ? L’ignorance, la curiosité, la douleur, l’amour. Subtil équilibre.

Le huis clos, cher à Wilson. Blind Lake est rapidement mis en quarantaine, avec tous les problèmes logistiques que cela comporte. Travaillant sur des matériaux plus que sensibles et même incontrôlables, il semble que cette mise à l’écart est ce qu’il y a de plus « soft » comme décision à prendre. Comme le dit un scientifique, « tout ça peut s’arrêter n’importe quand ». Les machines qui fonctionnent, pour l’instant, et autorisent l’étude du Sujet. La vie comme on la connait également.

La physique quantique. Il appert que l’Oeil, sur lequel reposent toutes les observations (qualité parfaite de l’image, inquiétant déjà) d’un être situé à des années-lumières, est plus qu’une machine. Un organisme qui auto-conçoit ses logiciels et les fait évoluer à raison de milliards de générations par jour. De quoi dépasser tout ce que les cerveaux humains réunis peuvent imaginer. Si on rajoute le (très connu) principe selon lequel toute observation d’un sujet (quantique) altère son état, alors on peut vite saisir ce qui peut clocher chez le « homard » (surnom de l’E.T.).

…à rapprocher de :

Mysterium, même auteur. Toujours ce petit mystère qui vous tient tant en haleine dans une communauté qui fait face à l’impensable.

Spin (suivi d’Axis et Vortex), Les Chronolithes, que du bon. Le vaisseau des Voyageurs se défend bien au demeurant (moins de SF), tout comme Julian – plus long, mais un peu en deçà de ce qu’on peut attendre de Wilson.

– Sur les conséquences étonnantes de la physique quantique, Flashforward de Sawyer se laisse lire.

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Moynihan & Soderlind - Black metal sataniqueVO : Lord of Chaos: The Bloody Rise Of Satanic Metal Underground. Ouvrage qui interpelle par son titre et l’image de couverture, Le Tigre en quête de sombre littérature a été servi. Mêlant musique métal, satanisme et meurtres sordides, j’ai découvert tout un environnement. Nombreuses images, et références, une grosse friandise.

De quoi parle Black metal satanique, et comment ?

Les Seigneurs du chaos, c’est une petite balade dans le monde très nordique de ce qu’on appelle le « black metal satanique ». Pour plus de 500 pages, cet ouvrage s’adresse avant tout aux fins connaisseurs ou curieux extrêmes comme Le Tigre. Traduction d’un ouvrage qu’on nous vend comme « culte », l’avantage de ce document en français est qu’il s’agit d’une nouvelle édition enrichie de nouveaux témoignages et photographies.

Black metal, c’est un sous-genre du metal, musique assez bruyante mais ne manquant pas de mélodie (je pense notamment à Nightwish). Le lecteur va suivre les débuts, puis succès de grands groupes comme Burzum, Emperor ou Mayhem. Querelles de personnes, éditions et publications de leurs albums, comment l’inspiration vient,…

Satanisme car les auteurs vont également s’attacher à suivre les dérives de certains membres de ces groupes, entre anti-christianisme virulent à postures néo-nazies (à mon sens on peut retirer le « néo », plutôt des nazillons). Derrière ces douces idéologies, il y a des actes d’une violence inouïe : incendies d’églises, agressions, meurtres.

Le style, journalistique, ne pose pas de problème particulier. On pourra peut-être (à la limite hein) leur reprocher, en traitant ce sujet, de se concentrer excessivement sur les criminelles facéties du leadeur de Burzum qui jusqu’à la fin des années 2000 croupissait en prison. Car le black metal, c’est de la musique ; toutefois dès qu’on rajoute « satanique », les auteurs semblent pouvoir se permettre de faire une fixation (près de la moitié de l’essai) sur un personnage en particulier. Pas inintéressant certes, mais un peu réducteur.

Ce que Le Tigre a retenu

Le Tigre a avant tout retenu l’histoire d’une bande de tarés sélectionnée par les auteurs. Varg Vikernes surtout, du groupe Burzum. Ce très « paganiste » extrémiste a quand même tué le leader d’un groupe concurrent, Aarseth, ce dernier d’ailleurs aurait cuisiné une partie de la cervelle d’un de ses amis qui s’était suicidé. Rien de moins. C’est édifiant et aussi navrant : les photographies de Virkernes et ses acolytes (un choix de mot judicieux), tee-shirts à l’effigie du metal satanique, signes des cornes (différent du signe de la bête, rien à voir). Le tout ça pris de leurs cellules de prison, ce n’est pas vraiment à leur avantage…

Le nord de l’Europe, qui semble propice à un tel sujet. Avant même de parler de musique, les auteurs nous offrent quelques images du paysage du nord de la Norvège, et celles utilisées dans les pochettes d’albums des groupes cités : grandes plaines stériles dignes de figurer dans le Seigneur des Anneaux, on ne serait pas étonné d’y voir débarquer une horde de banshees passant à très basse altitude. Il semble alors compréhensible que cette topologie relativement onirique (rappelant l’âge d’or Viking ?) sur laquelle s’appuient nos artistes peut leur monter à la tête. Et avoir des considérations et idées qui tranchent nettement avec la culture de tolérance de la social-démocratie nordique.

Le satanisme. Tout au long des pages Le Tigre en a appris pas mal sur cette idéologie. Déjà il faut se dire que le terme est sans doute mal choisi, parce que les croyances de nos métalleux ne vont pas à l’encontre du christianisme. Celles-ci exposent simplement le retour à l’état pré chrétien, c’est à dire le paganisme fait de mythologies germano nordiques toutes plus épiques les unes que les autres. Le satanisme, c’est l’idéologie de Satan comme principe du mal, certes associé aux anciennes croyances ; alors que le paganisme, c’est juste la réfutation de 2 000 ans de christianisme allant à l’encontre de la violence, de l’héroïsme et des nombreux dieux des mythes d’autrefois.

à rapprocher de :

– Les écrits d’Anton LaVey, certains étant publiés chez le même éditeur. La Bible Satanique par exemple. Bof.

– Si le satanisme vous intéresse plus en général (mais que vous aimez bien la musique) , il y a L’essor de Lucifer, de Baddeley. Trop long à mon gout.

– Si vous souhaitez en savoir plus sur l’aspect musical seul, allez donc lire Anthropologie du metal extrême, chez le même éditeur.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez le trouver en ligne ici. Ou via le site de l’éditeur.

Jiro Taniguchi - Le journal de mon pèreVO : Chichi no koyomi. Bon petit opus de Jiro T., rien à dire. Un homme va (enfin) retourner dans le village de son enfance pour l’enterrement de son père, et en profiter pour ressasser de vieux souvenirs à la lumière de ce que ses proches lui apprendront. Dessin et texte nickel, pour une histoire pas trop longue et séduisante.

Il était une fois…

Yoichi Yamashita vit à Tokyo et bosse dans dans le design. Trouvant toujours une excuse pour ne pas aller dans sa ville natale, Tottori, il n’a pas vraiment le choix lorsque son père y décède. Pendant la veillée funèbre alcoolisée, tous ses souvenirs d’enfance ressurgissent. Aidé par ses proches qui livrent leurs versions de leur enfance, le héros saur-t-il changer son avis sur son paternel ?

Critique du Journal de mon père

Le Tigre l’annonce, le présent post ne sera pas bien différent de Quartier lointain, du même auteur. Ça faisait également un petit bout de temps que j’avais lu ce roman, que j’ai rapidement parcouru avec le même plaisir.

L’histoire est sympathique, faite de flash backs et souvenirs lors de l’enterrement du père du narrateur. Le texte est concis et sans difficulté à lire, en moins de 250 pages on peut dire que ça passe très vite. Quant à la fin, assez surprenante et qui pourrait arracher une larme au lecteur un peu émotif.

Le dessin mérite qu’on s’y arrête. Noir et blanc, Ligne claire, détails superbes constituant parfois de vibrantes (j’aime bien cet adjectif) fresques d’un village japonais, je dirai même que le tracé dans son ensemble fait montre d’un zen bienvenu. Du pur Taniguchi. Rien à voir à ce qu’on pourrait imaginer en pensant au terme « manga ».

Bref, un ouvrage séduisant mais qui comporte de nombreux doublons et redites avec Quartier lointain. Tant qu’à lire une seule œuvre, préférez cette dernière.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’enfance comme déterminant de l’homme à venir. Le Tigre ne dévoilera point le fin mot de l’histoire, cependant ce roman peut s’analyser en un florilège de souvenirs assez difficiles vécus par le héros. Père mystérieux qu’il accuse de tous les maux, incendie détruisant la totalité du village (en particulier le salon de coiffure du père), la reconstruction difficile des biens et des âmes, imaginez la souffrance. Ces petits traumatismes ont alors façonné le narrateur : reproduisant parfois le schéma de ses parents, air bien tristounet, secret sans s’en rendre compte, le lecteur comprendra mieux pourquoi le héros est ainsi.

La forme de l’ouvrage. J’en parle dans les thèmes, question d’équilibre. Il faut avouer que l’objet qu’on achète atteint des sommets de beauté : couverture solide et cartonnée, marque page en ruban rouge comme si on tenait le code civil entre ses mains, c’est indéniablement un bel objet à offrir. Mêler qualité digne de la pléiade et auteur mangaka de renom, chapeau. Hélas, difficile de trimbaler dans son petit sac la chose. Plutôt à lire au coin du feu, sur son fauteuil Louis XVI.

…à rapprocher de :

Quartier lointain est de la même veine. Au point de ne plus savoir différencier les deux quelques années après (ça se ressent dans les deux posts non ?).

– Taniguchi s’est également essayé au western avec Sky Hawk, et le résultat fut, à mon sens, fort décevant.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce manga en ligne ici.

Les Sutras du TigreÇa y est, gentil lecteur, tu as dépassé ta condition de monomaniaque et t’es enfin décidé à prêter un ouvrage de ta collection. Un grand honneur exigeant une grande responsabilité, un livre ne saurait être emprunté sans garde-fous fermes mais nécessaires. Pour toi, ami à qui Le Tigre a prêté un livre, étudie attentivement ce post.

Pourquoi douze principes avant d’emprunter ?

Des commandements. Ni recommandations, ni directives. Encore moins des conseils. Un contrat unilatéral, une charte d’adhésion à côté de laquelle les conditions générales d’utilisation de l’iTune store ne sont que rigolade. Et contrairement auxdites CGU, c’est court et compréhensible.

Pourquoi être si pointilleux ? Un livre de poche, c’est six euros en moyenne. Déjà acheté, il perd au moins deux euros. 33% de moins-value, vlan. Ensuite, si détérioré, on peut encore retirer deux euros, re-vlan. Pour qu’un libraire vous l’achète cinquante cents et le revende deux à trois euros. Voilà l’aspect économique, car en multipliant mes prêts par deux euros, j’arrive vite à des sommes que je préfère taire. Si je prête des romans, BD ou essais de grands formats, alors le manque à gagner potentiel est terrifiant.

Esthétiquement parlant, une belle bibliothèque est dans l’imaginaire du Tigre un alignement régulier et homogène d’ouvrages immaculés. Ça a plus de gueule qu’un immonde fatras de torchons. Je me complais à penser que la postérité s’émerveillera devant une telle qualité de regroupements de livres si finement sélectionnés que c’est à se demander s’ils n’ont pas été laissés là juste pour elle.

Douze. 12. XII. Zwölf. Yishi er. Le numéro préféré du Tigre. J’aurais pu pondre dix ou quinze articles, mais l’impact émotionnel aurait été moindre.

Ce que tout lecteur doit faire

Pas d’attendu, ni de considérant, la justification n’est point l’apanage du Tigre. Pour des raisons évidentes l’objet livre sera ci-après dénommé « le précieux ». Accrochez-vous.

  1. Le Glorieux Tampon Protecteur tu respecteras.
  2. Pas plus d’un précieux tu emprunteras.
  3. Dans un délai raisonnable tu le liras.
  4. Quoiqu’il en soit, au bout d’un mois le précieux tu retourneras.
  5. Jamais dans les WC le précieux tu ne liras.
  6. Soin du précieux tu prendras.
  7. En cas de détérioration le précieux tu garderas.
  8. Si le précieux tu gardes, le même titre intact tu me trouveras.
  9. Si le même titre tu ne trouves pas, un autre d’après une liste ad hoc tu achèteras.
  10. Ton impression sur le précieux tu laisseras.
  11. Le site du Tigre tu visiteras.
  12. Jamais trois fois à l’encontre de ces Commandements tu n’iras.

L’exégèse des Commandements (par article)

1/ A l’envers, c’est offert. A l’endroit, c’est à moi. Si le GTP est à l’envers, ce n’est pas un prêt mais un cadeau. Faites donc ce que vous voulez.

2/ Le Tigre aime les exceptions et prête de temps à autre plus d’un titre. Particulièrement quand il s’agit de séries où plus d’un tome est recommandé pour apprécier l’œuvre. Si aucune relation entre plusieurs items prêtés, c’est un honneur significatif qu’il convient de savourer à sa juste valeur.

3/ et 4/ Appréciation in concreto, en fonction de la taille et de la difficulté du roman, des capacités intellectuelles de l’emprunteur (hum) et du temps disponible qui s’offre à ce dernier. Après un mois Le Tigre gueule feule un peu, à moins de ne pas avoir eu l’occasion de rencontrer l’emprunteur ou s’il s’agit d’un roman de plus de 1.000 pages (Les Bienveillantes par exemple).

5/ et 6/ La littérature de WC, ce sont des magazines ou de vieux Tintin qui traînent dans une armoire antédiluvienne. Pas un roman, même si certains très courts peuvent se finir en l’espace d’un seul lâcher de ballons. Anyway, vous rendrez le livre dans le même état que je vous l’ai prêté.

Pour cela, quelques notions à connaître : transporter le livre dans un sac plastique, ne pas l’ouvrir à plus de 45°, ne pas le laisser dans un environnement humide ni ensoleillé. Bref, si vous l’utilisez en tant que livre de chevet, Le Tigre est content.

7/ à 9/ Que se passe-t-il si vous caviardez l’objet prêté ? L’idéal est de dire que vous l’avez tellement adoré que vous le gardez, et m’offrez le même titre. Comme ça je ne saurais pas que vous êtes un sagouin. Si vous ne trouvez pas le même titre, j’ai une liste à votre disposition d’ouvrages que je dois me procurer. Je n’assure en aucun cas que vous vous y retrouverez financièrement. Surtout si vous avez dégueulassé un livre qui s’avère rare.

10/ et 11/ relèvent de la plus élémentaire courtoisie. Et de la bonne tenue des statistiques du présent site.

12/ Le Tigre vous laisse en moyenne deux chances, selon la gravité des violations des Commandements. C’est arbitraire, dépendant de petits à côtés pas vraiment définis.

Conclusion du commandeur

Certains aiment avoir des ouvrages qui ont vécu, sont cornés, annotés et excessivement jaunis par une forte exposition au soleil. Je comprends, je valide même. Présenter de tels objets fortement usés, c’est un peu montrer qu’on les a lus, aimés même et ce au-delà de l’aspect purement matériel dont vous vous fichez.

Le Tigre n’a pas cette grandeur d’âme, et s’attache, en sus de la valeur émotionnelle de l’ouvrage, à sa valeur comptable. A partir de 3.000 entrées, croyez-moi, on devient très vite chiant.

Ne m’obligez donc pas à procéder à des provisions excessives pour dépréciation d’actifs, car dans le même temps votre nom alourdira le passif. Au risque d’être affublé, à terme, du titre peu envieux de « mauvais emprunteur ».

Robert Charles Wilson - MysteriumVO : idem. Wilson a émerveillé Le Tigre par sa série Spin, et d’autres romans assez géniaux. Dans notre cas, œuvre originale sur un monde parallèle et assez bien menée. Comme toujours, c’est le travail de l’auteur sur les personnages qui est remarquable, faisant de Mysterium un ouvrage agréable à lire. Sans plus.

Il était une fois…

Two Rivers, petite bourgade des États-Unis. Une usine d’armement fraîchement installée subit une avarie, et ce à cause d’un mystérieux fragment prélevé en Turquie quelques années auparavant. L’accident est tout ce qu’il y a de plus original : Two Rivers semble avoir été transportée dans une autre dimension. Rien que ça.

Critique de Mysterium

Écrit en 1994, juste après la guerre froide, Mysterium n’est pas vraiment de la SF à proprement parler. A la rigueur, au début, lorsqu’un fragment est découvert et possède de surprenantes propriétés physiques, la SF pointe le bout de son nez. Mais quand l’intégralité du bourg est transporté on ne sait où, on est plus dans du fantastique.

L’intrigue due à cette « translation », pourquoi et comment, fait appel à des notions assez complexes où se mêlent grands constructeurs, dimensions parallèles et ésotérisme poussé. Toutefois, le véritable coup de force de cet ouvrage est la qualité (que je qualifierai de « wilsonienne ») du rendu des différents protagonistes : un physicien, une mère un peu perdue et son gamin, une femme qui décide de nouer des contacts plus « intimes » avec un étranger,…

Le lecteur est à leur place, et même si parfois on peut avoir certaines difficultés à se remémorer qui est qui (le roman fait à peine 400 pages, et beaucoup d’espace), c’est terriblement prenant. Le Tigre l’a parcouru en deux heures en diagonale pour se (re)faire une idée de l’œuvre, et ma critique n’a pas changé.

En effet, si l’idée est séduisante, on a parfois l’impression de lire un roman des années 70. Peut-être la description du monde parallèle offre un aspect légèrement suranné au texte dans son ensemble qui n’a parfois pas l’envergure qu’on attendrait d’un tel écrivain. Un bon moment ceci dit.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’invasion par une force étrangère. Two Rivers déboule de nulle part dans un monde différent, il est normal que les militaires prennent les choses en main. Il s’ensuit une période d’occupation qui se déroule comme beaucoup d’exemples historiques : pillage du savoir local (des bibliothèques entières sont prélevées, puis étudiées) ; petits arrangements avec l’habitant (Le Tigre ose dire « collaboration »), notamment une femme fréquentant un des étrangers ; couvre-feu délicat à faire respecter ; coercition en tout genre, allant jusqu’à pendre des jeunes ayant simplement manifesté,… Très réaliste pour du fantastique.

Le noble thème de l’uchronie est ici poussé à un niveau extrême. Two Rivers bascule dans un monde particulier. Wilson fait de l’excellent boulot en distillant au compte-goutte les informations d’une planète différente, mais pas trop. Technologiquement plus arriérée déjà, et on peut en dire autant des mœurs. On y apprend la data de l’évènement divergent (une histoire d’empereur romain qui ne s’est pas converti au christianisme), justifiant la religion pseudo catholique saupoudrée de mythologie grecque et païenne.

Le système politique est intelligemment esquissé : celui-ci fait penser à une théocratie doublée de l’autoritarisme d’un gouvernement en guerre. Les États-Unis n’existent pas, seul un grand territoire où cultures française et anglaise semblent se mélanger (le pouvoir religieux pour les uns, le pouvoir civil pour les autres). Le paradigme religieux, les termes utilisés pour désigner certains objets, ou fonctions politiques et de police,…l’auteur a une imagination débordante et parvient à nous y inviter correctement.

…à rapprocher de :

– Même si je ne l’ai pas lu, le sujet de Dôme, de Stephen King, me semble assez proche.

– Les chouchous du Tigre sont Les Chronolithes et Spin (avec ses suites Axis et Vortex). Le vaisseau des Voyageurs se défend bien au demeurant (moins de SF). Quant à Julian, c’est certes plus long, mais un peu en deçà de ce qu’on peut attendre de l’auteur.

– Quelques nouvelles qui se laissent lire de l’auteur, du genre YFL-500 ou La cabane de l’aiguilleur.

– Sur la fin, lorsqu’on se rend compte qu’un monde possède la marque « neurologique » d’une personne, Le Tigre pense à Kestus, second tome de Days Missing – BD de Phil Hester.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Jiro Taniguchi - Quartier lointainVO : Haruka-na machi e. Jiro Taniguchi offre plus que du manga, de la BD européenne mais avec six fois plus de pages. Dans cette œuvre, une sorte de retour aux sources tout à fait salutaire. Dessin impeccable, scénario génial, immersion parfaite dans le Japon d’après-guerre, l’auteur a sorti un ouvrage d’une finesse exemplaire.

Il était une fois…

Hiroshi, la quarantaine, est mystérieusement plongé dans la peau de son alter égo 25 ans plus jeune. Dans un corps de jeune avec son esprit plus affuté, Hiroshi va pouvoir à nouveau revivre une année scolaire et développer de nouvelles relations avec ses proches. Et surtout revivre ce jour terrible au cours du quel son père s’en ira sans laisser de traces. Pourra-t-il le comprendre, voire l’empêcher, ou revivra-t-il impuissant son passé ?

Critique de Quartier lointain

Le Tigre l’annonce, ça fait un petit bout de temps que j’avais lu ce roman. Encore une fois… Oui, roman, n’ayons pas peu des mots : plus qu’un manga, on est plutôt dans un roman graphique d’une longueur assez conséquente.

L’histoire est belle, aucun autre terme ne me vient à l’esprit. Un homme qui se retrouve dans son enfance et tente de « ressouder » sa famille afin d’empêcher le départ de son père. Le texte est intelligent, en aucune manière Taniguchi fait étalage de bons sentiments ni dénouement attendu.

Le dessin mérite qu’on s’y arrête. Noir et blanc, Ligne claire, détails superbes constituant parfois de vibrantes (j’aime bien cet adjectif) fresques d’un village japonais, je dirai même que le tracé dans son ensemble fait montre d’un zen bienvenu. Du pur Taniguchi. Petit plus : les chapitres commençant par un dessin où certains protagonistes semblent poser.

Ça se dévore donc plutôt bien, disons que les presque 500 pages coulent facilement, au point de pouvoir relire l’opus un an après avec le même plaisir.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le fameux « esprit de l’escalier ». En revenant dans le passé, notre héros a l’opportunité de se comporter différemment avec sa famille ou ses amis. Connaissant certains moments importants de sa vie, peut-on agir différemment au point de tout changer ? Le Tigre utilise le terme « esprit de l’escalier », utilisé en français dans le texte par Chuck Palahniuk : lorsqu’après une discussion délicate, vous vous apercevez « à froid » (souvent en montant les escaliers) que vous auriez du répondre ou agir différemment, mais évidemment c’est bien tard.

Les traumatismes familiaux. Le Tigre ne dévoilera point le fin mot de l’histoire, cependant ce roman peut s’analyser à la lumière d’un difficile évènement qu’à subi le narrateur. Si on rajoute d’autres péripéties, telles qu’un incendie détruisant la totalité du village, la reconstruction difficile des biens et des âmes, le père distant mais aimant, imaginez la souffrance de l’enfant. Au final, c’est l’histoire d’une famille comme les autres, avec ses zones d’ombre qui sont autant de faiblesses humaines et que le narrateur finira par comprendre.

La forme de l’ouvrage. J’en parle dans les thèmes, question d’équilibre. Il faut avouer que l’objet qu’on achète atteint des sommets de qualité : couverture cartonnée et solide, marque page en ruban rouge comme si on tenait le code pénal entre ses mains, c’est indéniablement un bel ouvrage à offrir. Mêler qualité digne de la pléiade et auteur mangaka de renom, chapeau. Hélas, difficile de trimbaler dans son petit sac la chose. Plutôt à lire au coin du feu, sur son fauteuil Louis XV.

…à rapprocher de :

Le Journal de mon père est de la même veine. Au point de ne plus savoir différencier les deux quelques années après. Ainsi, ne vous inquiétez pas si les deux posts vous paraissent similaires.

– Taniguchi s’est également essayé au western avec Sky Hawk, et le résultat fut, à mon sens, fort décevant.

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J. D. Salinger - L'Attrape-coeursVO : The Catcher in the Rye. J. D. Salinger aurait produit un chef d’œuvre. Roman vendu à des dizaines de millions d’exemplaires, largement étudiés dans les collèges et lycée, comment passer à côté ? En faire une critique est délicat, surtout quand on a rien trouvé de spécial à ce bouquin mal écrit.

Il était une fois…

Holden Caufield, issu de la bourgeoisie de NYC, vient de se faire virer de sa prépa. Craignant le dire à ses parents, il va errer trois jours dans la ville. Rencontrant des personnages et des situations qu’il n’aurait pu imaginer, va-t-il pouvoir tirer quelque chose de sa fugace fuite ?

Critique de L’Attrape-coeurs

Pas compris l’engouement pour ce truc, point barre. Lecture difficile voire insupportable, toutefois je suis content de l’avoir lu. Plus facile dans les dîners chics en ville.

Le Tigre a mis au point certaines théories pour justifier l’exécrable note attribuée au bouquin : ne pas le lire dans la langue originale peut faire que l’harmonie, le « scandage » de lecture sont mal rendus. Rien que la traduction en français du titre peut annoncer le pire. La publication, au tout début des fifties, était visiblement un must à l’époque, hélas 60 piges plus tard ça peut être moins renversant.

Surtout que Salinger, à part quelques nouvelles, n’a pas publié grand chose : il aurait donc juste eu un monumental coup de chance et a su, à un moment propice, créer quelque chose qui a trouvé un certain écho auprès du public. Et si les ventes explosent dès le début, en plus d’une ou deux polémiques ici et là, alors rien ne peut arrêter ce roman.

Ce que je reproche avant tout, c’est le style. Le style, aïe aïe aïe…Certes la narration olé-olé de la part d’un jeune homme peut être séduisante, mais c’est gavant à la fin. Bref, à lire avant ses vingt ans.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le roman d’apprentissage. Le héros est naïf, le lait lui coule du pif et ces trois jours vont en quelque sorte constituer son passage à l’âge adulte. Découvertes amusantes, glauques, difficiles, le contact avec le « vrai » monde extérieur sait être brutal. En outre, la narration à la première personne renforce l’aspect « quête personnelle ».

Pour autant que je  s’en souvienne, la moralité du roman est plus ou moins sauve dans la mesure où le héros est temporairement aidé par une figure d’autorité, à savoir un ancien professeur. Plus ou moins, parce que ce dernier est surpris par Holden en train de lui caresser la tête, ce qui peut prêter à confusion. Jusqu’au bout subversif, en abordant tout ce qui pourrait arriver au narrateur.

Le dernier thème plus personnel est la difficulté à ne pas aimer un « classique », et le dire. Déjà, résumer un roman largement étudié et livrer son analyse est bien futile. Ensuite, ce n’est pas pour se démarquer que Le Tigre fait cette critique. Loin de là, ça m’aurait arrangé de faire comme si L’attrape-cœurs m’était inconnu. Enfin, c’est à se demander, lorsqu’on s’est à ce point emmerder sur un soi-disant chef d’œuvre, si notre goût en matière de littérature ne laisserait pas à désirer.

…à rapprocher de :

– Les classiques ou livres qui ont eu un certain succès mais qui déçoivent, citons en vrac Les Bienveillantes, de Littell, ou encore

– Quelqu’un qui écrit comme il parle, avec un résultat tout à fait sympathique, c’est La Vie de ma mère !, de Thierry Jonquet.

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Karen Traviss - La Cité de perleVO : Wess’Har. Bragelonne s’attaque à du lourd, à savoir un space opera qui a eu outre manche son petit succès. Ce cycle est original et très intelligent. Du moins les trois premiers romans traduits et lus sur les six prévus. Écologie politique, insondable bêtise de l’espèce humaine, transhumanisme, ça change des gros vaisseaux type star wars.

Il était une fois…

Le cycle débute par trois romans, chacun faisant moins de 500 pages. Le Tigre les résume brièvement, en évitant autant que faire se peut de spoiler le potentiel lecteur.

Tome 1 : la Cité de perle

Shan Frankland, officier de police de la fédération européenne, est envoyée dans une colonie (lointaine de 25 années lumières) peuplée il y a très longtemps. Il n’y subsiste qu’un petit groupe d’humains, évoluant sous la bonne garde d’un Wess’har, alien aux caractéristiques particulières même au sein de son peuple. Shan ne sait pas vraiment en quoi consiste ses missions et la situation va vite empirer.

Tome 2 : Transgression

Karen Traviss - TransgressionComme prévu, la situation est partie en sucette et Shan a fait un choix qui certes l’honore mais provoque l’ire de certains humains. Ceux-ci, pour obtenir le secret de l’immortalité seront prêts à affronter d’autres races. Il reviendra à notre héroïne, atteinte par une étrange maladie qui est aussi une force, d’empêcher un carnage.

Tome 3 : le Monde d’Avant

Karen Traviss - Le Monde d'AvantLe carnage a eu lieu, une race E.T. a été détruite. Les Wess’har sont colère et bien décidés à châtier les humains responsables (et pourquoi pas la Terre dans son ensemble). Le Monde d’Avant, c’est le monde d’origine de ces êtres, qui semblent encore plus « écolo-protecteurs » que les Wess’har déjà vus. Or le tribunal qui statuera sur le sort de l’humanité provient de ce monde. Le salut viendra peut être de Shan, dont le corps s’était abimé dans l’espace.

Critique des Guerres Wess’har (première partie)

Très bonne entrée en matière, puis tout se déroule facilement jusqu’à ce que près de 1.500 pages aient été avalées. Ces guerres, c’est la lutte entre trois civilisations E.T. fascinantes, avec les humains qui rajoutent au bordel en plus de ne pas vraiment comprendre les enjeux.

La situation empire vite et les humains se montrent encore plus idiots que d’habitude (jusqu’à mériter une violente cure écologique), pendant que l’héroïne, Shan, est infectée par un virus qui la transforme et lui fait découvrir les joies de la quasi immortalité. Le personnage principal est complexe et assez fascinant à suivre, notamment son histoire d’amour avec le gardien Wess’har.

Bien sûr le style de l’écrivaine n’est pas optimal, certains reprocheront des longueurs ou approximations qui rendent certains protagonistes moins vivants que souhaité. Mais autant le dire tout de suite : ce n’est pas pour la qualité des tournures de phrases et leur enchaînement qu’on poursuit ce cycle, seulement pour le scénario bien ficelé et plein de bonnes idées.

De même, Le Tigre a un peu ragé contre les Wess’har, qui au fil des romans apparaissent comme de plus en plus parfaits. Anti-religiosité (un peu too much) qui ferait rougir de plaisir le Canard enchaîné, gestion impeccable de l’écosystème, philosophie en générale respectueuse et logique,… La description de leur société est réaliste et crédible, c’est à se demander si Traviss ne nous a pas discrètement pondu une petite utopie…

En conclusion, rien que pour la fin qui est de pure beauté, il faut s’accrocher à cette saga. Fin au demeurant frustrante, car à l’époque Le Tigre ne savait pas qu’il restait autant de tomes à lire pour clore l’histoire. J’attends donc.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Certains thèmes, propres à la SF, sont finement développés et apportent un plus indéniable à l’œuvre de Karen T. : politique écologique de l’avenir ; influence (forcément néfaste) des grandes entreprises qui rivalisent avec les grandes fédérations terriennes (encore une fédération européenne, chouette), d’où l’insupportable privatisation de la vie ; transhumanisme de certains personnages ; appréhension de l’éternité, tout y passe ! C’est sensé, c’est beau, c’est généreux, bref on nage dans le vert.

Le Tigre a été particulièrement satisfait de la description des espèces rencontrées. Par exemple, les Wess’har dont la biologie, le système social et la structure de pensée (entendez philosophie) sont suffisamment détaillés pour que le lecteur se croit dans leur société. Le peuple des mers, dont on se rend compte de l’extrême vulnérabilité, est accessoirement là pour renvoyer à la folie des hommes, seuls méchants de la trilogie. Du coup, les relations diplomatiques entre ces espèces suivent le mouvement et sont d’un réalisme plus que correct.

En outre, la notion wess’har de responsabilité est philosophiquement intéressante : peu importe les motivations, seul le résultat compte. Un peu comme la sanction pénale résultant des violences volontaires, mais en pire : dans Les Guerres Wess’har l’élément intentionnel (à savoir la volonté de blesser) n’est pas nécessaire. Bien sûr seuls les responsables directs subissent la loi du Talyon, proportionnellement à leurs méfaits. Là où le bât blesserait, c’est quand les Wess’har considèreraient que les ordres proviennent d’un gouvernement élu. Vous suivez le raisonnement ? Pure spéculation…

Du coup le lecteur prendra vite pitié des Isenj, race qui ressemble à de gros homards et vit dans des villes surpeuplées. On peut, au début, les suspecter d’être passablement vilains ; puis on s’aperçoit que ce qui leur est arrivé, et bien l’humanité n’est pas loin de subir le même sort. Pitié, voire sympathie à l’encontre de ces pauvres bêtes, il n’est plus à démontrer que le développement désordonné fait de sacrés dégâts. Le parallélisme avec certaines civilisations humaines assez évident.

…à rapprocher de :

– L’écologie à l’échelle de la planète et de ses habitants est un thème du film Avatar. Sauf que Karen T., contrairement à Spielberg, présente une civilisation protectrice extra-terrestre un peu plus crédible et bien plus dégourdie que les schtroumphs du film.

– La société « nickel » et qui fait rêver, c’est un peu celle des Moravec, civilisation mi-organique mi-mécanique du bouquin Ilium, de Dan Simmons. Comme les Wess’har, tellement en avance sur la technologie (l’air de rien toujours).

– Certains aspects sociétaux des Wess’har font penser à l’utopie de la phalanstère poussée à son comble, notamment les enfants éduqués par tous.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette saga via Amazon ici : tome 1 d’abord (c’est mieux), puis le 2, on termine par le 3.