Rosinski & Van Hamme - La Chute de Brek ZarithSur-titre : Thorgal. Le Viking venu de l’espace va mieux, il sait où se trouve sa poule et compte bien la ramener au bercail, quitte à détruire le vioque boursoufflé par le pouvoir qui la garde en otage. Mais il ne sait rien de son gosse Jolan qui possède des pouvoirs surnaturels. Une bande dessinée puissante, porteuse d’un message aussi universel que trivial : le pouvoir corrompt.

Il était une fois…

Shardar mène sans partage sur Brek Zarith, royaume que domine un château perché au-dessus des falaises. Le tyran, qui a enlevé la belle Aaricia (l’épouse de notre héros), espère bien utiliser le pouvoir de Jolan (fils d’Aaricia, donc de Thorg’) pour créer un empire. Pendant ce temps, plusieurs forcent se dirigent vers Brek Zarith : Jorund le Taureau, à la tête de dizaines de drakkars, veut s’accaparer l’or ; le prince Galathorn, venant de la terre, souhaite reprendre le trône ; quant à Thorgal, il veut seulement retrouver sa chère et tendre. Mais l’ignoble Shardar semble avoir tout prévu. Tout ?

Critique de La Chute de Brek Zarith

Un des rares Thorgal qui accompagnait ma jeunesse, comprenez que ça reste, à mes yeux, un des meilleurs – même si d’autres m’ont, depuis, davantage époustouflé. A l’époque, j’ignorais que cet album clôt le Cycle de Brek Zarith – et cela n’a pas porté préjudice au félin. Pour faire simple, dans le tome précédent Thorgal était au désespoir à cause de la perte de sa bien aimée, et apprenait en fin d’histoire où elle se trouve. Ignorant qu’il a un garçon, ce tome est particulièrement important dans la mesure où il s’agit de la première rencontre entre le père et le fils.

Jean Van Hamme, le mecton en charge du scénar’, a ici commis un quasi sans faute, avec une maîtrise des canons du genre qui force le respect : tout commence par une présentation de l’infâme roi de Brek Zarith qui règne tel un sadique esthète sur ses sujets. Puis la découverte, grâce à son magicien, des menaces qui s’annoncent. Sauf que le vieux roi a de la suite dans les idées afin de laisser une victoire amère à ses ennemis – le dernier bal empoisonné, quelle somptueuse idée. A ce moment intervient le protagoniste principal, et après diverses péripéties éprouvantes (un parcours d’obstacles savamment préparé) il sortira vainqueur.

Quant aux illustrations de cet excellent Grzegorz Rosinski, Le Tigre s’est tout simplement régalé. Certes pas de ligne claire et des couleurs parfois fades, mais quel trait ! Des décors sublimes, une forteresse qui en impose, des personnages plus vrais que nature (sauf sans doute le héros et sa famille, curieusement), il y a quelque chose de définitivement tragique qui ressort des planches. En rajoutant l’intrigue assez sombre, pas sûr que ce soit une BD à l’attention des tout petits.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

En premier lieu, le royaume de BZ rejoint précisément l’idée qu’on peut se faire d’un monde décadent prêt à s’éteindre. Ironie du sort, le roi fou fera en sorte que la pourriture de son royaume participe, seule, à sa chute. Mais, avant de disparaître, le grand méchant au visage sec se fendra d’une remarque pertinente à son « successeur », en expliquant à Galathorn que quoi que soient ses intentions, le pouvoir grisant le transformera en un nouveau Shardar – difficile de lui donner tort.

Bref, c’est la bêtise humaine dans toute sa splendeur, celle que justement cherche à éviter notre jeune Viking. En effet, chez notre héros, la victoire consiste à rester en famille, loin des hommes et de leur folie – une chimère, selon certains. Car Thorgal, c’est le refus de la facilité et l’égoïsme altruisme qui choqueraient tout homme politique normalement constitué.

En second lieu (et c’est là que le félin encule les mouches), il est question dans cet opus du renouveau et du cycle naturel de toute civilisation – vie et mort. Shardar, et c’est là sa perversion ultime, a bien compris que Brek Zarith a fait son temps. Non content de précipiter la chute du royaume, Shardar a l’espoir de recommencer et charger une nouvelle partie. Cette espérance est permise grâce à Jolan dont les capacités sont susceptibles de forger un nouvel empire. Sauf que l’Histoire, à de rares exceptions près, n’écoute pas les paroles d’un vieil homme qui décrète que son « protégé » sera un Romulus, et ce à son unique profit. Shardar, par son orgueil démesuré, n’a pas compris qu’il doit s’éteindre avec Brek Zarith qu’il incarne personnellement.

En conclusion, si c’est bien dans les vieux pots qu’on fait les meilleures confitures, ce n’est pas dans ceux-là qu’une nouvelle recette s’épanouira – comprenne qui voudra.

…à rapprocher de :

– Comme je le disais, ce cycle démarre parLa Galère noire, puisAu-delà des ombres,. Mêmes auteurs.

Riad Sattouf - L'Arabe du futurSous-titre : Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984). De manière aussi fine qu’humoristique, l’auteur nous conte sa (pas si) tendre enfance dans deux belles dictatures militaires arabes – et les séjours en France. Scénario et dessins produits par un seul homme qui sait de quoi il parle. En un mot : intelligent. Plus qu’un roman graphique, un essai autobiographique-graphique.

De quoi parle L’Arabe du futur, et comment ?

« Ce livre raconte l’histoire vraie d’un enfant blond et de sa famille dans la Libye de Kadhafi et la Syrie d’Hafez Al-Assad ». Pour une fois qu’un quatrième de couv’ donne l’impression de tout dire, celui-ci mérite d’être rapporté. En effet, relater les six premières années de sa vie n’est pas donné à tout le monde, surtout dans les conditions qui ont été les siennes. Naissance en France, premières années en Libye, puis re-France avant d’aller en Syrie, et dernier aller-retour, la famille Sattouf a beaucoup voyagé.

Pour chaque pays, Riad a choisi d’utiliser une coloration différente (couleurs froides pour l’Europe notamment), et ça se marie parfaitement avec le dessin adopté par l’auteur : trait généreux et large, minimalisme (figures des protagonistes principal) associé à des cases assez petites, ça pourrait rappeler du Guy Delisle mais sans grand plan d’ensemble ni grandes fresques architecturales – tout est observé du point de vue d’un enfant.

Pour tout vous avouer, j’étais plutôt habitué, avec Riad S., à de courtes bandes dessinées passablement déconnantes, du genre à me provoquer quelques ricanements, si ce n’est de gras rires. Et là, non seulement il y a quelques longueurs, et la mortification touchera plus d’une fois le lecteur face aux descriptions réalistes et souvent dures – exemple du chien torturé à mort. Toutefois il y a, au détour des pages, cette petite tendresse et prise de recul agréablement surprenantes. Son père, en particulier, est un personnage avec certaines faiblesses qui suscite la sympathie par le décalage entre sa situation enviable (c’est relatif) et ses réactions parfois conservatrices.

En conclusion, c’est un roman graphique qui fait montre d’un impressionnant boulot d’introspection, même si certains souvenirs à cet âge doivent plus relever du fantasme que d’autre chose – mais il gère cet aspect très bien. Fin du fin, Riad Sattouf ne juge pas ni se pose en moraliste : il se contente de relater, tout simplement, le début d’une existence bien remplie.

Ce que Le Tigre a retenu

C’est dingue, le félin a l’impression que n’importe quel aspect (aussi insignifiant soit-il) mérite d’être rapporté sur ce blog. Je vais en prendre trois qui me viennent à l’esprit :

Déjà, qu’est-ce que signifie le titre ? Il faudra attendre l’avant-dernière page du bouquin pour lire la remarque de son père (d’origine syrienne) : l’Arabe du futur, c’est celui qui va à l’école. Certes, mais laquelle ? Parce que les institutions fréquentées par Riad ne font pas rêver – lorsqu’il a le droit d’y aller. Entre la Libye et la Syrie, on ne saura que très peu des enseignements dispensés (à croire qu’on y apprend rien, mais savoir lire et écrire suffit). Du coup, on a la sensation que l’apprentissage éthique et moral des jeunes Arabes se fait dans la rue, et ce n’est pas glorieux. Haine des juifs, bagarres incessantes, bigotisme excessif, tutti quanti. Mais ne riez pas trop vite, parce que l’école élémentaire en Bretagne a de quoi également foutre les jetons : on dirait un asile de chiards tous nés de parents frères et sœurs alcooliques.

Bien sûr que la politique s’invite dans l’ouvrage, et le modeste compte rendu de la politique socialiste des deux pays arabes n’est guère reluisant. L’abrutissement de la population par une bande de dictateurs aussi mégalomanes qu’incompétents et paranoïaques existait dans ces années, et la vie quotidienne des habitants était certes paisible (tant qu’on ferme sa gueule), mais misérable. Comme l’analyse le père (non sans tristesse), les pays occidentaux sont dans l’erreur à souhaiter aux pays du Moyen-Orient d’adopter la démocratie à l’européenne. Les Arabes auraient besoin d’hommes forts pour les obliger à s’éduquer, à se bouger le cul en quelque sorte, et ensuite ces derniers se débarrasseront naturellement de leurs dictateurs. Triste, vous dis-je.

Dernière remarque et je m’en vais : la maman de Riad, belle Bretonne responsable de la blondeur de ses cheveux, m’a époustouflé par sa force de caractère. Même si le système de l’époque n’a rien à voir avec un État régi par la plus impitoyable des charias, la femme n’était pas destinée à un grand avenir dans ces pays. Clémentine (c’est son prénom) a bien tenté d’avoir un travail, mais ça n’a pas duré plus d’une heure. En outre, la mère a su rester digne et stoïque face au nouvel univers dans lequel elle a vécu (confort général amoindri, arrivée d’un second enfant, journées sans pouvoir sortir, aucune lecture possible, presque pas de TV), sans compter les positions parfois rétrogrades (d’un point de vue français du moins) de son époux. Bravo à elle, je ne serais pas arrivé à sa cheville.

…à rapprocher de :

– Il paraît que cette série est en trois tomes. Je trépigne d’impatience pour les autres.

– De Sattouf, Le Tigre a beaucoup lu : La Vie secrète des jeunes (flemme de les résumer ici), mais surtout la grandiose trilogie de Pascal Brutal.

– On ne peut s’empêcher de penser à Persépolis, de Marjane Satrapi – même si Marjane n’a pas, à la base, la double casquette Orient-Occident.

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Adrien Bosc - ConstellationLe 27 octobre 1949,  l’avion Constellation décolle de Paris-Orly un peu après 20 heures. A son bord, 11 membres d’équipage et 37 passagers dont le boxeur Marcel Cerdan et la violoniste émérite Ginette Neveu. Atterrissage prévu aux Açores avant de filer vers les States. Sauf que le destin en a décidé autrement. C’est leur histoire qu’Adrien Bosc se propose de conter, non sans une certaine fluidité – mais guère plus.

De quoi parle Constellation, et comment ?

Adrien Bosc, c’est le gendre idéal qui a l’heur d’horripiler Le Tigre tellement il semble parfait : éditeur à succès de plusieurs revues, premier roman extrêmement documenté, belle gueule pour ne rien arranger, plus jeune que votre serviteur, bref c’est la classe. Si en plus il écrit plutôt bien, alors que dire de plus ?

Le titre, certes évident, renvoie néanmoins à plusieurs niveaux de lecture – ici bien expliqués. Le Constellation, c’est trivialement le nom du coucou (conçu par le doux dingue Howard Hugues) qui va prématurément mener tout ce petit monde au paradis. Une constellation, c’est aussi un ensemble d’étoiles suffisamment rapprochées pour que l’observateur averti puisse les relier par des points imaginaires. Et voilà, si cet ouvrage fait la part belle à l’imagination, je n’ai pu m’empêcher de le classer parmi les essais – malgré l’indication « roman » en couverture. Parce que ce qui relie nos protagonistes est tellement fort, violent, que la constellation s’impose d’elle-même.

Nous allons donc suivre, sur moins de 200 pages (plus de 30 chapitres judicieusement aérés), quelques tranches de vie de ses 37 passagers, sans compter la bonne dizaine de membres d’équipage. L’essayiste-écrivain, par courtoisie et curiosité, ne fait pas que relater le pedigree des VIP – il y en a beaucoup, prendre un tel zinc n’était pas à l’époque réservé au quidam de base. Il est alors question de la paire de bergers basques qui ont un contrat de ranching de l’autre côté de l’Atlantique ; Ernest Lowenstein, sur le point de se réconcilier avec son ex-femme ; ou encore quelques menus commerciaux faisant la navette Amérique-Europe-Afrique du Nord.

Quant au style d’Adrien (tu permets ?), il y a ce petit quelque chose qui rend la lecture complète, mais sans la limpidité ni le rendu d’un Dugain – ce dernier étant moins poétique sans doute. Si l’écrivain prend presque le lecteur par la main pour lui faire parcourir la surprenante mosaïque de ces individus unis dans la tragédie, il n’hésite pas non plus à faire montre d’un certain lyrisme qui va croissant – et à mon sens non forcément nécessaire. Au surplus, j’avoue avoir lu d’un œil torve le post-scriptum, intitulé « Le voyage des deux amants », qui déblatère sur Blaise Cendras, auteur que je ne connais guère – bel euphémisme. 200 pages instructives, le lecteur ne se sentira guère floué.

Ce que Le Tigre a retenu

Comme tout bon élève qui a fait sa prépa scientifique, le félin n’a pu s’empêcher de se souvenir des spécificités d’un avion assez particulier. Le Lockheed Constellation est à l’image de son créateur : une quasi malédiction. Il arrivait au quadrimoteur de tomber tellement en rade que certains le nommaient le « meilleur » trimoteur du monde (hu hu). Et puis faut avouer que les causes et conditions (météorologiques et techniques) ayant amené à un tel désastre sur le mont Redondo ont coulé dans les mirettes tigresques, c’est comme lire un rapport du BEA rédigé par un littéraire – sans compter le « vol témoin » pour retracer ce qui a bien pu se passer.

Ensuite, il y a les femmes et les hommes de cet « écrasement d’avion » (traduction américaine) qui n’a laissé aucun survivant. Et grâce à deux personnages en acier trempé, il y a matière à intéresser le lecteur :  Marcel Cerdan, bien sûr, le champion du monde de boxe maqué avec la Piaf et qui a une revanche à prendre contre LaMotta – il a été, il est vrai, mis K.O. par un vilain concours de circonstances. Ginette Neveu, également, musicienne précoce qui a ébloui ses contemporains. N’oublions pas non plus Kay Kamen, commercial de génie sur le point de se faire entuber par Disney. Mais tous avaient une solide raison pour prendre l’avion (qui n’en a pas une), et sous la plume de Bosc ça prend une tournure douce-amère – sans verser dans le glurge.

Enfin, quelques anecdotes découlant du crash, sans être putassières, sont savoureuses au possible – oui, le fauve a l’esprit mal tourné. Par exemple, la populace portugaise environnante des lieux du clash qui pille les restes de l’avion – un archer appartenant à Neveu découvert chez un habitant, et le mystère entourant le violon. Et que dire de cette Autrichienne qui, apprenant la nouvelle du décès de Neveu, mettra fin à ses jours ? – la fameuse quarante-neuvième victime. Quant à la mère de Ginette Neveu, celle-ci a refusé de reconnaître le corps de sa fille, à juste titre. Il fallait un cran incroyable pour persister.

…à rapprocher de :

– Pour vous donner une idée de la difficulté à piloter de tels engins à cette époque, n’hésitez pas à lire Vol de nuit, de Saint-Exupéry.

– Dans un tout autre registre, il y a un roman qui reprend le terme du présent. Il s’agit de Carnage, Constellation, de l’immense Marcus Malte.

– Dans un tout autre registre encore, une anthologie de trois romans de Piers Anthony a été publiée…et porte le nom de ConstellationsClusters en VO. Au pluriel, oui. Jamais lu.

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Keith Ablow - Psycho killerVO : Projection [pourquoi donc ne pas garder cet excellent titre, nom de Zeus ?]. Retrouvons le héros récurrent Frank Clevenger dans une mission qui est, sûrement, une des plus éprouvantes qu’il n’aie jamais affronté(e?). Un petit retour aux fondamentaux de la folie, même si le scénario possède des ficelles aussi grosses qu’un baobab californien. Mais ça reste bon.

Il était une fois…

Le chirurgien Trevor Locas, hospitalisé une demie année dans une unité pour dingues, vient de prendre en otage quelques internés et le personnel. Déjà, il s’était brisé un bras, car c’est le « bras du diable » – pour donner une idée du genre d’individu à gérer. Il annonce à la cantonade qu’il ne veut que parler à Franck Clevenger, médecin spécialisé sur les criminels. Or, Trevor a quelques idées sur le devenir de cette rencontre.

Critique de Psycho killer

Le Tigre a eu sa période « Keith Ablow », et je ne regrette aucunement ce petit penchant pour les romans mettant en scène de dangereux psychopathes, avec le protagoniste récurrent qui est loin d’être clean. De tous les romans lus, c’est loin d’être le meilleur (parfois too much), toutefois le niveau général reste pluuuussss que correct.

Dans cette histoire, il faut savoir que le « méchant docteur », Trevor Lucas, accusé de l’assassinat de plusieurs femmes, a été reconnu coupable. Sauf que Frank C., qui aide de temps à autre les flics dans leurs recherches, sait pertinemment que l’homme n’est pas complètement responsable de ces horribles morts – une partie des meurtres ayant eu lieu pendant que Lucas était en prison. Cela signifie-t-il qu’il est totalement innocent, ou qu’un gus s’amuse à copier-coller son macabre travail ? En outre, le gars cherche absolument à se séparer d’un de ses bras, qu’il juge responsable de tous ces maux. Qu’en penser ?

L’écrivain américain ajoute une élégante (quoique violente) dose de piment avec les exigences du preneur d’otages – qui, depuis, a fait subir toute sorte de sévices à ses prisonniers. Clevenger, malgré les mises en garde du policier en chef Emma Hancock (oui oui, c’est son nom), va à la rencontre de Trevor et découvre qu’il devra mener une enquête dans des circonstances qu’il n’aurait pas souhaité à son pire ennemi. Outre la quête qui va, à mon sens, trop loin dans le délire médical, Keith Ablow parvient à rendre compte des pensées d’un mec à qui plusieurs cases manquent, et le style (nombreux chapitres) reste d’une fluidité déconcertante. Sans parler du bouquet final.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Franck Clevenger se voit poser des conditions par Trevor (grand mystique à l’influence surprenante) assez surprenantes : il faut qu’il se drogue avant de quitter l’asile mener ses recherches. Sachant que Clevenger a un sérieux problème avec les amphèt/héroïne/etc., c’est comme demander à un diabétique de faire ses devoirs dans une confiserie… Tout ça pour dire que le protagoniste principal, éclaté jusqu’à l’os, va en chier un max pour garder sa raison. Si, en plus, Clevenger fait la rencontre d’une nana un peu paumée (dont il est difficile de savoir s’il lui faut faire confiance), il a de quoi avoir de bien vilaines surprises.

[Attention, je vais sévèrement gâcher l’intrigue dans ce dernier thème. Vous voilà prévenus.] Les démons intérieurs dus à la drogue ne sont que peu de choses face à ceux du chirurgien en disgrâce. Par on ne sait quel miracle, quelques souvenirs profondément enfouis refont surface, cependant pas suffisamment pour qu’il puisse mettre le doigt dessus. Pour tout vous balancer, Trevor a été impliqué, dans sa tendre jeunesse, d’un accident suffisamment choquant pour qu’il soit occulté de sa mémoire (mais pas d’une autre personne). Et, devinez quoi, son « bras du diable » est à l’origine de ce drame. Pas étonnant qu’il veuille le découper…

…à rapprocher de :

– La série du Dr Clevenger, c’est : L’amour à mort, le présent titre, Compulsion, Psychopathe, Suicidaire et L’Architecte. Je vous déconseille de faire comme moi et les lire dans le plus parfait désordre – surtout pour suivre l’évolution du fils adoptif du héros.

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Denis Michelis - La chance que tu asUn jeune homme, à sa grande chance, est admis (pistonné plutôt) au sein d’un renommé établissement gastronomique. Chance ? C’est plutôt une plaie, l’univers dans lequel il débarque est d’autant plus révoltant qu’il ne semble pouvoir rien y faire. Le lecteur, saisi d’effroi (enfin, c’est relatif), n’aura qu’une envie : sortir de cet enfer imaginé par l’auteur.

Il était une fois…

« Tu te rends compte de la chance que tu as ? ». C’est ce que la mère du narrateur lui dit dans la voiture, avant de le déposer au Domaine où il travaillera en tant que serveur. En temps de crise et sans expérience pro, pourquoi cracher sur cette opportunité ? Mais dès les débuts, y’a comme quelqu’chose qui cloche : aucun contrat signé, présentation minimaliste du boulot qui l’attend, travail plus de douze heures par jour, etc. Notre ami a-t-il réellement le cul bordé de nouilles, comme son entourage veut lui faire croire ?

Critique de La chance que tu as

Avec Denis Michelis, journaliste parisien qui en est alors à son premier roman, autant vous dire que Le Tigre est parti sur un a priori mitigé. J’ai eu tort. Je n’ai même pas fait attention à la citation, avant la première partie, de Dame Holle, un conte des frères Grimm qui revêt une morale aussi logique que dure : si tu te plies aux règles et remplis bien les tâches confiées, alors tu seras entouré d’or. Sinon, des plumes et du goudron (de la poix, dans le conte original).

Le narrateur, dont on ne saura ni l’âge ni le nom, arrive donc dans un grand restaurant qui, selon ses parents (dont on n’entendra guère parler), est le nec plus ultra de ce qui se fait de raffiné. Sauf qu’en l’espace de quelques mois, le Domaine s’est modernisé pour devenir une machine de guerre économique avec des processus dignes des pires cauchemars du taylorisme. L’odieux chef de rang Virge, le Chef cuisinier au comportement erratique, les autres serveurs qui se payent la gueule du protagoniste, voilà l’environnement. Et quoi que fasse le protagoniste, tout est interprété de travers.

Le lecteur pense qu’il sera difficile de tomber plus bas, néanmoins la seconde partie du roman va plus loin dans l’ignominie. Et c’est à cet instant que le félin a trouvé que ça devenait du grand n’importe quoi. Dommage. La crédibilité de l’intrigue, déjà émoussée, se barre aux quatre coins de la rose des vents. Sans doute cet excès est voulu, comme pour montrer l’absurdité de ce qui tombe sur la gueule du héros : après plusieurs semaines (mois ? années ? on se perd en conjectures), l’échec est complet, et l’existence du narrateur n’en est plus une – on va même jusqu’à lui mettre une espèce de muselière, et ça dure trop longtemps pour que ce soit un bizutage.

Sinon, l’écriture de Denis M. est assez efficace : phrases courtes qui font mouche, format sec qui souligne la violence des échanges (chapitres courts, dialogues non annoncés par le traditionnel tiret), ces 150 pages peuvent se lire en moins d’une heure. Le final est plutôt bizarre (je vous laisse découvrir), même si l’apparition d’un chat apporte une touche définitivement dramatique. Début qui démarre en fanfare, vitesse de croisière maintenue, et fin déroutante, voilà sans doute à quoi vous attendre. Pour ma part, j’ai été agréablement surpris.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Tout d’abord, il y a la résilience d’un protagoniste qui supporte, malgré lui, des vexations s’apparentant, progressivement, à de l’esclavage. Pire que l’expérience de Milgram, le héros subira mille tourments, de la moquerie de ses contemporains au viol, en passant par un rythme de travail effréné. A ce moment, le lecteur normalement constitué se dira « mais pourquoi ne démissionne-t-il pas, ou qu’est-ce qu’il attend pour brûler au lance-flammes le Domaine – dont la cuisine, au passage, est industrielle ? ». Peut-être parce qu’il n’a pas de lance-flammes ou la possibilité de pouvoir se révolter lorsque tous, autour de lui, sont bien imprégnés de cette danse macabre.

En effet, l’apprentissage du narrateur a tout de ce que vivent, chaque jour, des milliers de travailleurs/stagiaires/free-lances dans le monde professionnel. Le poids des traditions, la reproduction de ce qui se fait autour de soi, la volonté d’une institution à être performante et compétitive, tout ceci participe à la mise en veilleuse de la personnalité intrinsèque à chacun. Bref, c’est la résignation générale dans un monde impitoyable que plus personne ne paraît contrôler.

Cette résignation générale est rendue possible par un cycle de la violence savamment mis en place. Le larbin en prend plein la gueule à cause de ses chefs, et dans ce bouquin les autres serveurs ne sont pas en reste. Ne pas sortir du moule, se faire discret et se la jouer « corporate » (même si cette définition dépend des supérieurs) est plus que conseillé, car on ne saurait mettre en péril une affaire qui marche. Au-dessus des petits chefs, il y a les propriétaires, et au-dessus d’eux, il y a le client-roi. Hélas, dans le monde de la restauration décrit par l’auteur, n’attendez pas d’un consommateur qu’il défende un serveur – un journaliste, à la rigueur, mais Le Tigre prend ça sur la déformation professionnelle de Michelis.

…à rapprocher de :

– La violence inouïe qui secoue l’entité économique du Domaine n’est pas sans rappeler celle d’Alain Weigscheider dans son roman Mon CV dans ta gueule – moins bien écrit cependant. Voire L’Enquête, de Claudel (anonymisation en plus).

– Sur la créativité ou l’envie de changement tuées dans l’oeuf, avec ce qu’il faut de dénonciation de l’hypocrisie générale et abrutissante du monde contemporain, 99 francs de Beigbeder reste une petite référence.

Von Kummant & Von Eckartsberg - Gung Ho, Tome 1Sous-titre : Brebis Galeuses. Dans un futur apocalyptique où une menace mystérieuse entoure des communautés humaines fortement fortifiées, deux adolescents débarquent dans un de ces villages. Il s’ensuit des péripéties sur la vie de groupe assez insipides, que des illustrations bien pensées ne parviendront guère à rattraper. BD dispensable.

Il était une fois…

Jugez un peu comment le quatrième de couverture vend cette chose :

« Les règles sont essentielles pour survivre dans la zone de danger. Même un enfant sait cela. Jusqu’à ce qu’il devienne adolescent… ».

Tu sens bien monter la pression là ? Hein ? Moi non plus.

Critique de Brebis galeuses

Je n’ai rien contre cette BD, que cela se sache. Surtout que je ne l’ai pas achetée. Je veux juste signaler au malotru qui me l’a offerte qu’il aurait pu y adjoindre la facture pour un éventuel remplacement. Parce que ce n’est pas du tout mon genre. Pas de SF, une apocalypse qui fait doucement sourire, des héros insupportables, je vous épargne la suite.

Revenons à nos moutons. L’environnement : futur proche, maladie qui a décimé l’humanité, des vilaines bêtes qui rôdent. Le lieu : Fort Apache, forteresse avancée dans la forêt d’où peuvent surgir ces méchants animaux. Les héros : les frères Goodwoody, musicos beaux gosses à qui la vie semble réussir. L’intrigue : ils vont devoir s’adapter et prouver leurs valeurs dans la « zone de danger » où toute erreur se paye cher.

Le résultat : une bande dessinée poussive et trop gentille qui se foire sur les deux tableaux. Ça n’interpelle ni ne fait peur ; en outre le réalisme des personnages (à part un ou deux) et leur franche camaraderie (ponctuée de quelques coups de pression) ne m’ont arraché aucun sourire. Allez, un point positif tout de même : Thomas Von Kummant a produit un dessin très agréable à l’œil. Le trait, assisté par ordinateur, laisse la place à de grandes planches qui représentent, souvent, de beaux paysages. Les couleurs, solaires, sont généreuses et offrent une belle bouffée d’air. Mais ça ne suffit pas à rattraper un scénario pâlot.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Forcément, le noble art de ce que je nomme le « survival engineering » est très présent. Et, en premier rang, il y a la nécessaire discipline justifiée par des impératifs d’une situation de guerre. Stress omniprésent, importance des routines, rationnement scrupuleux (médicaments, alcool, armes) de la populace, en fait un écart de travers et le risque de se faire bouffer tout cru augmente exponentiellement. Hélas, dix mille fois hélas, lorsque Le Tigre a vu arriver (en fin d’ouvrage) les ennemis, ce n’étaient qu’une bande de macaques blancs certes furieux, mais pas de quoi se faire pipi dessus.

Évidemment, ce n’est pas que la race humaine se meurt que les protagonistes vont changer en bien. A deux doigts de l’extinction, chacun a gardé ses vils réflexes, montrant par la même que la nature humaine reste une belle salope. L’antagonisme avec le conseiller municipal (corrompu jusqu’à la moelle), les minables histoires de cul, les programmes « prostitution contre médicaments », tout ça fait que je me suis plus d’une fois surpris à vouloir que la BD se termine par un carnage. Juste histoire qu’on en finisse.

Voilà. Les deux poncifs de ce genre de scénarios ont été allègrement pompés. Désolé de n’avoir pas fait plus d’efforts.

…à rapprocher de :

– Le titre est une sorte d’onomatopée sino-américaine qui marque un enthousiasme délirant, un peu comme nos deux héros avant qu’ils en prennent plein la gueule.

– Qui dit tome 1, dit deuxième tome. Très peu pour moi.

– A tout réfléchir, nos deux auteurs nous ont fait un ersatz de Walking Dead. Je préfère l’original, même dépourvu de couleurs.

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Emmanuel Carrère - La Classe de neigeAu sein d’une paisible classe de neige, le mystère s’invite peu à peu, jusqu’à l’horreur subite, comme un coup au plexus. Roman court et poignant, heureusement que l’auteur ne s’est pas épanché, ça aurait pu devenir chiant. Emmanuel Carrère a le don de nous entraîner dans son univers en apparence banal, mais au sein duquel un tel ronronnement ne saurait durer.

Il était une fois…

Nicolas n’est pas vraiment à la fête. Ses camarades partent en classe de neige, et dès le début il se fait salement remarquer : déjà, son père tient absolument à l’emmener lui-même en voiture – ça lui permettra de rester dans le coin au cas où en plus. Ensuite, le daron a oublié de lui laisser sa valise. Déjà que Nic’ est plutôt timide et taciturne, la disparition d’un gosse du village environnant est l’occasion pour le jeune héros de laisser libre court à son univers imaginaire d’une glauquitude certaine. Mais la réalité dépassera sa propre fiction.

Critique de La Classe de neige

Le Tigre croit bien que ce fut le premier Emmanuel Carrère lu, et le félin ignorait que l’auteur a publié des romans bien meilleurs depuis – avis tout personnel je le reconnais. Néanmoins, avec La Classe de neige, il y a matière à être surpris.

Le petit Nicolas (rien à voir avec Goscinny, mais pas du tout) est un gosse relativement mal dans sa peau, le genre d’enfant qui a du mal à s’imposer et reste étouffé par un père omniprésent à qui rien ne semble pouvoir être refusé. C’est dans cet état naturel qu’il arrive dans la colonie scolaire, et s’apprête à être encore plus à la ramasse dans un groupe où faire preuve de différences (arrivé en retard, oubli de ses affaires) est mal vu.

Parallèlement, le petit René disparaît, et tout s’agite autour des écoliers : les gendarmes en vadrouille et les villageois qui établissent des suppositions font qu’il plane dans l’atmosphère quelque chose de très vilain et dont le lecteur sent, presque malgré lui, que Nicolas n’est pas totalement étranger à ce qu’il va advenir. Mais qu’est-ce donc ? L’écrivain français, avec des chapitres courts et un style limpide, va faire basculer le lecteur vers quelque chose d’intensément sombre et choquant (j’éviterai dans ce paragraphe de spoiler).

Très gentil, sobre et limite ennuyeux au début, le roman bascule donc lentement mais sûrement vers l’inénarrable, pour finir en apothéose. Une excellente surprise qui amène à repenser ce titre à l’aune du terrible dénouement, quitte à vouloir le relire pour déceler, ici et là, quelques indices – je n’ai pas réussi pour l’instant .

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La peur, la vraie. Nicolas est, plus qu’à son tour, transi de trouille face aux aléas de son statut d’enfant (la dizaine d’années, pas plus). Peur d’être rejeté, peur d’être ridiculisé par ses camarades, sa peur est tellement forte qu’il arrive à se pisser dessus le premier soir – si ce n’est vous-même, qui n’a jamais eu un camarade s’oubliant dans son pieux en classe de neige ? Vous imaginez sa mortification alors?

Chez Nicolas, ce mal-être entraîne le renfermement vers soi, la création de scénarios qui ressemble à un nihilisme assez inquiétant chez un gamin de cet âge : son fantasme morbide d’être reconnu en tant que victime (par exemple disparaître à l’instar de René) est dérangeant au possible, l’écrivain sait réveiller le petit garçon apeuré qui sommeille en chacun de nous.

Sauf que ces peurs infantiles sont, en fin d’ouvrage, violemment balayées par le dur monde adulte qui s’invite. Le chef Hodkann autoproclamé parmi les jeunes, c’est de la pisse de nouveau-né par rapport à ce qu’il est arrivé à l’enfant disparu, et la révélation du nom du tueur présumé a de quoi faire froid dans le dos. [SPOIL !] Si les pires craintes de Nicolas ne se matérialisent pas, c’est qu’un évènement qu’il n’aurait pu imaginer a de quoi dépasser ses cauchemars les plus intimes – comme, par exemple, le fait que son père soit un dangereux psychopathe. [Fin SPOIL].

…à rapprocher de :

– D’Emmanuel Carrère, disons que Le Tigre a dévoré pas mal de romans : L’Adversaire (mouais), Limonov (pas mal), etc.

– Claude Miller a adapté ce roman en film, je vous promets de le regarder un de ces quatre mes amis.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Hurwitz & Finch - Batman : Le Chevalier noir 3Sous-titre : Folie furieuse. VO : mad [en toute simplicité]. Batman, The Dark Knights #16-21 + The Dark Knight Annual #1. Après l’Épouvantail du tome précédent, c’est au tour du Chapelier fou d’être l’anti-héros qui donne du fil à retordre à Bruce Wayne. Et ce vilain est particulièrement violent, la case qui lui manque causera bien des soucis à Gotham.

Il était une fois…

C’est encore et toujours le bordel à Gotham City (pour changer). Quelques évènements particuliers intriguent Batman, que ce soient de nombreux enlèvements ou des réactions de zombies parmi la populace. Rien de bien vilain, jusqu’à ce que ça prenne une tournure plus dramatique. Pendant ce temps, la lune de miel entre Bruce et sa jolie pianiste ukrainienne est sur le point d’évoluer – si Wayne souhaite la garder.

Critique du troisième tome de Batman : Le chevalier noir

Le deuxième tome des aventures du Chevalier noir dans le nouvel univers du début des années 2010 nous avait laissé avec un chapelet de rare violence et de glauque. Et le bon Gregg Hurwitz a décidé de poursuivre dans cette voie avec un Chapelier plus sanguinaire que fou.

C’est sans doute là le premier point négatif de cet opus : Jervis Techt, alias le Chapelier, n’a plus rien de l’ennemi haut en couleur et raffiné que j’imaginais volontiers. C’est un dingue capable, par ses artifices technologiques, de prendre le rôle contemporain du Joueur de flûte de Hamelin en entraînant les Gothamites vers une mort certaine. Le second point noir est la petite amie de Bruce Wayne. Et là, chose extrêmement rare, Brucie balance tout à la belle Trusevich : qui il est, sa batcave, il la dépose même à l’opéra en batwing ! Or, cet aspect fondamental a été cavalièrement abordé, c’est arrivé comme un cheveu sur la soupe.

Quant aux illustrations, Hurwitz s’est vu attribuer de nouveaux compères, en l’espèce Ethan Van Sciver et Szymn Kudranski. Néanmoins, le rendu de ces deux hommes est trop noir, pas une seule planche ne semble se dérouler en plein jour. Si les différentes palettes des couleurs sombres sont riches et larges, Le Tigre a eu mal aux yeux à déchiffrer tous les petits détails. Même le dernier chapitre est trop dark, alors que l’histoire, indépendante et plus enlevée, aurait mérité un autre traitement. Un bel opus en somme, mais pas suffisamment dégrossi pour en apprécier pleinement les subtilités (s’il y en a).

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Il serait dommage de ne pas évoquer le méchant de l’histoire, car le Chapelier a eu le droit à une belle présentation – notamment sous forme de flashbacks. Individu capricieux, sec et passablement secoué, Jervis traîne toujours avec différentes concoctions de thé (des drogues, plutôt) à boire selon son humeur. Plus on avance dans le scénar’, plus son histoire apparaît aussi triste qu’inéluctable. Sujet à des troubles de croissance et rejeté par une fille (Alice, forcément) dont il était éperdument amoureux, le jeune Jervis a choisi de suivre un traitement pour grandir. Comme les médocs pour gosses atteints de suractivité, les effets secondaires vont le transformer en un psychotique bon à enfermer à Arkham (alors qu’il n’est encore qu’un ado).

Encore plus pitoyable, il y a les illusions dont se berce le Chapelier. En particulier cette journée parfaite avec Alice qu’il tentera, envers et contre tous, de recréer. Sauf que son Alice est aussi irréelle que celle de Lewis Carroll, aussi son projet (sa lubie plutôt) prend une tournure criminelle. Même lorsqu’il retrouve la blonde de son enfance, c’est devenue une vieille femme qui ne ressemble à rien. Même face à la réalité, il se réfugie toujours dans son monde – il en profite pour la tuer. Un fou furieux (d’où le titre) qui tourne en boucle en somme, sans l’intelligence nécessaire pour réellement poser problème à Wayne.

En fait, le Chapelier s’illustre surtout en tuant un protagoniste qui, à mon sens, n’avait rien à foutre dans cette histoire. [Mini SPOIL !] Si toutes les marionnettes du Chapelier terminent mal, il y a une mort en particulier qui touche Batman. Et oui, en déposant sa belle pianiste dans un engin de Batman, ce con de Bruce la met illico en danger. Et comme Batou ne saurait avoir d’épouse (signe de la fin de sa carrière), il fallait tuer ce dangereux (hé hé) personnage. Mort violente, autant vous dire que le chevalier noir était à deux doigts de définitivement niquer la gueule du méchant – et violer ses règles. [Fin SPOIL].

…à rapprocher de :

– Pour ne pas s’emmerder, je vous propose de lire la saga dans l’ordre. En guise de « tome zéro », Batman : La Nouvelle Aube (bof, vous pouvez la zapper). Ensuite, le tome 1 (Terreurs nocturnes, assez sexuel) ; puis le deuxième (Cycle de violence, très légère déception légère) ; et le présent opus.

Enfin, si votre librairie à comics est fermée, vous pouvez le trouver en ligne ici.

VIncent Virgine - Marvin, saison 1 : Le Poiçonneur des Lilas... et d'ailleursFormat original, histoire qui ne l’est pas moins, voilà de quoi passer un agréable moment où sourires et grimaces feront bon ménage. La référence du titre au dégueulasse Gainsbourg annonce au lecteur quel genre de héros il s’apprête à rencontrer, le psychopathe Marvin tient en effet une belle couche – et le flic alcoolo n’est pas en reste.

Il était une fois…

J’aime bien la manière dont l’ouvrage est présenté en quatrième de couv’, au moins les jalons sont posés :

« D’un côté, y a Marvin, un jeune gars qui pète un câble, un jour, dans l’métro. Et qui bute un mec parce que ce mec s’est assis sur lui sans s’excuser. La fois de trop, quoi. Genre la goutte d’eau qui fait déborder l’vase. Du coup, ça lui donne des idées. Radicales et extrémistes. Alors ce crime promet d’être le premier d’une longue série.

D’un autre côté, y a Miles. Ex-flic, aujourd’hui alcoolo, dont la femme s’est sauvagement fait assassiner quelques années auparavant. Mais il garde ses entrées dans son ancien commissariat. Et le chef le rappelle, quand le tueur du métro fout le bronx dans Paris. »

Critique du Poinçonneur des Lilas… et d’ailleurs

Déontologie du Tigre oblige (mon code est en lien), le félin signale que l’auteur a, non sans tremblements (du moins je l’espère), contacté le geôlier du présent blog pour proposer son œuvre d’un noir de jais. Moi qui aime ce qui est intensément glauque, refuser aurait été malvenu. Et, en effet, c’est sombre. Juste ce qu’il faut, mais pas au point de finir l’ouvrage en pleurant amèrement, nu dans sa douche dans une posture néo-dépressive.

Car il y a quelque chose de jouissif à lire les pérégrinations des deux protagonistes qui, au fil des chapitres, gagnent assurément en profondeur. Si on sent l’énorme traumatisme infantile chez Marvin (dont on se demande comment il parvient à ne pas se faire virer du taf), le passif de Miles justifie, dans une certaine mesure, son état – femme atrocement assassinée. Pendant que Marv’ dégoupille (façon de parler) l’âme d’individus plus ou moins sélectionnés, Miles s’intéresse de près à ces meurtres, sans pouvoir mettre le doigt sur ce qui cloche. Le dénouement, quasi absent, laissera toutefois le lecteur en plan – tsss….

Quant au style de l’écrivain, c’est du condensé de chez sec. Les phrases sont courtes et rageuses, comme si la violence ne pouvait souffrir d’expression écrite et voulait sortir des pages. Au risque de me perdre dans les premières pages d’ailleurs, Marvin comme Miles accusant le même franc parler qui rend la distinction parfois difficile. L’impression de lire vite est aidée par des paragraphes bien aérés d’où s’invite, étonnamment, de la poésie : mots esseulés, expressions hallucinées, art des rimes et des vers foulés au pied, c’est de la poésie pulp pour écorchés.

Pour conclure, si l’éditeur annonce quinze à vingt minutes par épisode, de mon côté ce fut plutôt une heure de lecture pour les six. Et je n’ai pas vu passé ces soixante minutes. Certains lecteurs pourraient reprocher un style parfois peu fouillé et livré dans un langage parlé, mais ça me semble être le souhait de l’auteur qui renoue avec la tradition dite « pulp » (cf. partie suivante).

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le pulp, donc. Pour faire simple, il s’agit d’un genre de magazines américains un peu cheap qui connu un certain succès dans les années 60. Intrigues policières, sagas épiques de science-fiction, romance à l’eau de rose, la belle littérature classique (celle qui est, pour un ado, plutôt chiante) n’était pas l’apanage de ces papelards. Dans notre cas, Vincent Virgine est allé plus loin en proposant un court roman qui se lit comme une série télévisuelle moderne : le roman est une saison subdivisée en six épisodes (temps de lecture équivalent au visionnage d’une série), eux-mêmes structurés en quelques chapitres. Et, à quelques exceptions près, trois chapitres – soit deux coupures pub !

Un autre thème qui m’a marqué, outre la noirceur intrinsèque à l’humanité (thème souvent rabâche sur QLTL hélas), est la presque institution du métro parisien – j’imagine que ça s’applique à tous les subways, sauf celui de Singapour. Des usagers blafards qui tirent une gueule d’enterrement, la puanteur omniprésente, l’incivilité chronique, les attouchements de partout, en fait on prendrait presque Marvin en sympathie dès qu’il occis un indélicat. Les mots pour décrire les infâmes lignes métropolitaines sont trop justes pour que Vincent V. n’en aie pas personnellement souffert. Pas vraiment le genre de bouquins sponsorisé par la régie des transports parisiens…

…à rapprocher de :

– La seconde saison s’intitule La Collection des morts. Cela reste correct même si c’est moins nerveux que le présent roman.

– Le principe des romans livrés sur le net sous forme de feuilleton a le vent en poupe, à l’instar des aventures du copiste de François Szabowski (premier tome et second ici).

– C’est amusant, mais vers la moitié du roman, Tigre s’est dit « putain, si ça se trouve Marvin et Miles sont une seule personne. L’auteur ne respecte rien, il va jouer sur les plates-bandes de Fight Club, écrit par mon petit protégé Chuck Palahniuk. ». En fait, j’avais tort – pour l’instant.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici. Ou, mieux, via le site de l’éditeur – qui propose même les épisodes un par un, en numérique.

2035 : L’'humanité a connu la plus grande révolution agricole de son histoire. Les USA, l’'Inde, l’'Afrique et l’'Amérique du sud ont opté pour la culture de plantes génétiquements modifiées, sans même attendre d'’en connaître les conséquences à long terme. Les résultats sont terrifiants : pollutions génétiques, mutations animales et instabilité politique chronique sont maintenant le lot des populations concernées. Seule l’'Europe est partiellement épargnée par la catastrophe.Sous-titre : visionary reality. Un monde apocalyptique qu’on ne souhaiterait pas à ses enfants, le corps humain qui se détracte à cause de la bouffe génétiquement modifiée, l’avenir fait froid dans le dos. Au milieu de cet inquiétant bordel, il y a la Biosphère, havre de soins pour les écorchés de la vie. Mais la menace fait rage. Grandiose. Je plaisante : cette BD est foireuse.

Il était une fois…

Aucune envie de me fouler à rédiger une intro. Voici celle de l’éditeur, aussi dépassionnée qu’expéditive.

« Kérian est ce qu’on appelle un mutagène. Après avoir testé pendant des années des aliments génétiquement modifiés, il s’est transformé. Malade ou monstre, il est l’exemple de ce qu’il ne faut pas devenir, alors que la planète est désormais un vaste terrain de jeu génétique. »

Critique de Visionary reality

Réalité visionnaire. En anglais. Pour une BD française. Dès qu’un titre offre un titre putassier anglo-saxon, il y a de quoi légitimement s’inquiéter sur la qualité de l’ouvrage. Et ça n’a pas manqué : le désastre est presque parfait.

Le scénario d’abord. Nous sommes en 2035, et l’’humanité a connu la plus grande révolution agricole de son histoire. La plupart des continents ont décidé depuis quelque temps de cultiver des légumes/fruits génétiquement modifiés, et les conséquences sont terribles : outre la dissémination de ces plantes, des mutations ont eu lieu dans le corps humain. Des crises politiques ont suivi, et seule l’Europe est relativement épargnée par le bordel – elle a pourtant autorisé l’importation d’OGM venant des États-Unis, brrrr.

Heureusement pour la populace malade, il y a l’espoir d’être recueilli par la Biosphère, à l’instar du petit Jerzy que notre héros Kiéran accueille fort gentiment. Il s’ensuit une suite de présentations de l’univers de Biosphère, et de ses ennemis qui comptent l’attaquer – je ne sais plus pourquoi. Si Anne Ploy est partie d’une idée porteuse, force est de constater qu’elle s’est lamentablement perdue dans des intrigues inutiles (un couple qui cherche à atteindre Biosphère notamment) et scientifiquement peu crédibles – j’y reviendrai.

Quant aux illustrations de Sébastien Damour, ce n’est pas mon genre du tout. Faciès peu expressifs, paysages et architectures approximatives, franchement ça ne m’a pas fait rêver du tout. J’ai bien peur que cette BD soit un scandale. Je pensais que les Humanoïdes Associés, en tant qu’éditeur, avaient du nez pour éviter de publier des daubes dessinées. L’exception qui confirme la règle.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La biotechnologie est en première ligne de l’ouvrage, et les auteurs introduisent des concepts hélas peu novateurs. Les gênes qui se détractent et offrent des symptômes surprenants (retour à une agilité de singe par exemple) ; des plantes modifiées pour produire des organes humains (c’est Swamp Thing ça) ; des organes humains qui poussent sur des bêtes, voilà pour l’avenir. Néanmoins, le pire reste qu’on cherche ici à faire passer ces trouvailles scénaristiques comme révolutionnaires. Alors que ça ne casse pas six pattes à un canard – génétiquement modifié.

Le dernier thème est la manière dont les OGM ont été traitées. Je n’ai pas envie de polémiquer ici, mais la vision des auteurs sur ce sujet m’a rendu furieux. En 2035, la Terre est en piteux état à cause des organismes génétiquement trafiqués ? Les êtres humains ont leur code ADN déglingué à cause d’avoir ingéré des OGM ? Sérieusement ?! Faut redescendre sur terre là. Comme le dit mon prof de lobbying, « ce n’est pas que tu manges de la gazelle, cher Tigre, que tu vas te transformer en cette espèce ». L’ADN est dissous quand on digère, les guerriers qui mangent le cœur de leurs ennemis, ce n’était guère utile.

Mais si ça se trouve, la scénariste a souhaité être excessive sur cette problématique, comme pour souligner l’absurdité de certains combats dits « écologistes ».

…à rapprocher de :

Franchement, y’a rien à dire d’autre.

Bernard Werber - Le Cycle des angesUne bande d’aventuriers (aidés par l’État, certes) dépassent la mort et livrent les secrets du paradis, de la réincarnation. Quelle insolence, ils se respectent vraiment rien. Peut-être parce qu’ils sont français madame ! Ne vous inquiétez pas, l’auteur est consensuel, et son cycle regorge de bons sentiments et de découvertes convenues mais fort bien amenées.

Il était une fois…

Ce cycle se décompose en deux romans de taille à peu près égale. Pour faire simple, le premier évoque comment les héros découvrent la possibilité d’un quelque chose après la mort. Ensuite, le protagoniste parvient à devenir un ange, et devra s’occuper d’une poignée d’humains. C’est parti :

Les Thanatonautes. Michael Pinson est un gentil docteur, et avec son pote Raoul Razorbak (sic) ils vont fouler une nouvelle terre inconnue de la population. Pour faire simple, le président français, à la suite d’un attentat foiré, a vu un magnifique tunnel pendant qu’il mourrait. Mais il a été ramené à la vie. Et le politicien met en place une unité spéciale pour savoir qu’est-ce qui se cache derrière la mort. Les thanatonautes (tsoin tsoin) sont nés.

L’Empire des anges. Michael, notre affable héros, est décédé dans un accident d’avion. Le gus aurait dû se réincarner, sauf que son ange-gardien est venu plaider sa cause. Résultat, Michael P. est devenu un Ange, et pour passer au niveau supérieur (genre, acquérir 600 points) il faut que les humains qu’on « protège » puissent voir leurs vœux exaucer – gagner des bonus fait prendre des décisions en effet surprenantes. Game is on.

Critique du Cycle des anges

Après la Trilogie des Fourmis (cf. infra), notre Nanard en chef a abordé des thèmes aussi porteurs que fondamentaux. Enfin c’était son intention, et le résultat est relativement mitigé. Sans aucun doute un ouvrage qui donnera goût à la lecture pour un ado, toutefois je ne suis guère certain que le lecteur chevrâgé (chevronné et/ou âgé) apprécie.

Le premier roman (voire le début du second) est extrêmement séduisant, il faut dire que notre Werber national a sorti l’artillerie lourde. Un univers exclusif que le lecteur découvre en même temps que les protagonistes ; la manière dont ils y sont arrivés (expériences sur des prisonniers, forcément) ; des idées finement trouvées sur la manière dont la réincarnation fonctionne ; la visite des sept « zones » du paradis ; les réactions excessives (mais attendues) des contemporains ; et surtout les chapitres « historiques » sur les expériences de différentes civilisations sur ce sujet.

Puis Bernard W. se lâche, quitte à ouvrir cette fois-ci la boîte à n’importe quoi. La gestion des trois humains par le héros updaté en chérubin est relativement ennuyeuse, franchement l’histoire du trio n’a pas été loin de me gaver : la grasse Venus qui ne maîtrise pas son statut de star (tellement éculé), le militaire russe qui évolue dans un monde sans loi, et le dernier gus (insipide), Le Tigre n’a ressenti que très peu de sympathie face à ces personnages caricaturaux. En conclusion, un Cycle un poil léger mais qui porte des enseignements – auquel on aimerait croire.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Pour une fois, jamais un diptyque n’a aussi bien porté son nom. S’il est question d’un cycle, c’est que le macchabée, suivant ses actes sur Terre, aura le droit de se réincarner dans une nouvelle vie plus ou moins enviable – le must étant d’évoluer en un ange. Lorsqu’un homme à peu près sage peut prétendre renaître en Occident dans une heureuse famille, le vilain Hitler est devenu un végétal. Et oui, il y a hiérarchie entre les « états » d’existence : minéral, végétal, animal, humain, ange, qu’y a-t-il après ? Tous ces états sont associés à des chiffres, et il convient de dire que la symbolique de ces numéros fait mouche. Presque de la philosophie.

Enfin, Le Tigre a cru déceler dans ces romans une ode au dépassement de soi, et surtout du franchissement de frontières (même morales) établies par la société. Poser le pied sur un nouveau territoire est aussi exaltant que frustrant dès que la populace ne réagit pas comme on l’imaginait. Mais ce dangereux jeu (oser se tuer pour visiter l’au-delà) se révèle payant, tout comme Colomb qui souffre comme une mule avant de trouver l’Amérique. Au surplus, en divulguant à tous la thanatonautie, l’Humanité a franchi une étape tellement importante que certains proposent que l’espèce humaine évolue, sur sa taxinomie, en homo thanatonautis. Sauf que l’Homme n’a guère changé.

…à rapprocher de :

– De Bernard Werber, le jeune Tigre s’est plus ou moins régalé. La trilogie des fourmis, évidemment. Le Cycle des Dieux, qui clôt la présente saga – c’est pire. Puis d’autres romans, comme Le Père de nos pères (mouais), L’ultime secret (bof), Le Papillon des étoiles (horreur, malheur), etc.

– Sur la réincarnation, Eric-Emmanuel Schmitt a produit le très touchant Milarepa, qui se laisse agréablement lire.

Philip Kerr - Vert-de-grisVO : If The Dead Rise Not [faudra que l’éditeur français m’explique à quoi il joue].  Traque des communistes dans la France occupée, capture par les Russes puis les Américains, l’historiographie d’un homme pris dans la tourmente du Troisième Reich se complète. Gunther, le héros récurrent de Philip Kerr, doit avoir 1 000 vies, le pedigree du personnage commence à être chargé.

Il était une fois…

Les dernières aventures avaient laissé Bernie Gunther goûter à un repos mérité à Cuba, en 1954. Toutefois Bernie souhaite dégager du pays, et est arrêté au milieu de sa fuite. Il est alors retenu par la CIA qui l’envoie à la prison de Landsberg à Berlin, après un court passage à New-York. La guerre froide fait rage et les Américains, qui ont besoin d’informations sur l’Allemagne de l’Est et les Soviétiques, passent un marché avec Gunther : sa liberté dépendra de ce qu’il leur révélera sur un ancien de la SS, Erich Mielke, qui monte en grade au sein de la jeune Stasi.

Critique de Vert-de-gris

Le roman se présente sous la forme de deux récits chronologiques plus ou moins égaux. Premièrement, le présent, à savoir l’année 1954 : le protagoniste, tranquillement installé à Cuba, se fait pincer par l’Oncle Sam. Retour à NYC, puis l’Allemagne, un peu la France, bref le grand voyage. Ces excursions le mèneront à Berlin où une (ou plusieurs) mission(s) l’attend(ent) – non sans quelques beaux retournements de situation.

Deuxièmement, les flashbacks de Gunther, qui peuvent se décomposer en trois parties : un épisode particulier au début des années 30 lorsqu’il était à la police de Berlin (l’assassinat de deux policiers par un communiste, Erich) ; la recherche d’Erich en France (notamment un camp où étaient notamment « entreposés » les malheureux Républicains espagnols) pendant les années 40 ; et enfin le passage dans les geôles soviétiques et le retour au pays – partie la plus intéressante.

Très honnêtement, j’ai trouvé ces 600 pages bien longues, le plaisir est amenuisé par les passages dans la prison de Landberg : les dialogues entre le héros et ses geôliers sont fastidieux et poussifs, et ça ne fait guère avancer l’intrigue. Ça aurait pu devenir plus intéressant lorsque Bernie se fait envoyer en France puis œuvre avec le SDECE et la CIA dans un Berlin éclaté (suspense prometteur), toutefois l’auteur s’éparpille sans qu’on puisse réellement y voir l’intrigue première, à savoir Erich Mielke – qui est un personnage historique. En revanche, les souvenirs de Bernie pendant les années 40 sont prenants à souhait, notamment son « séjour » en URSS en tant que prisonnier de guerre.

La force de Kerr, encore une fois, est de romancer et transformer en polar haletant des pans de l’Histoire, obligeant Le Tigre à consulter une encyclopédie pour savoir si tel ou tel protagoniste a réellement existé. Un titre correct, un peu longuet parfois, mais hélas décevant de la part de l’auteur britannique.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La question de la responsabilité de chacun en ces temps troubles est le fil d’Ariane. Gunther n’est pas un mauvais bougre, mais il devait sauver sa vie. C’est pour cela qu’il a très souvent fermé sa gueule – notamment son passage aux renseignements de l’armée (l’Abwehr), protester l’aurait mené droit à la déchéance la plus totale. Le titre du roman renvoie dès lors à l’uniforme des militaires dont la couleur Feldgrau était reconnaissable. C’étaient des militaires, et dans leurs rangs les nazis n’étaient pas si nombreux – rien à voir avec la SS qui sévissait derrière le front. Mais surtout, le vert-de-gris fait à mon sens référence à l’alliage du même nom qui constitue un poison – influence de l’uniforme sur l’âme ?

L’auteur retranscrit plutôt bien l’énorme maelström qu’est l’Allemagne d’après-guerre, et les luttes entre les quatre puissances occupantes – les Britanniques semblant être à la ramasse. Tout le monde cherche à sodomiser son voisin, et Gunther n’est pas en reste. L’intrigue se complexifie dans le dernier quart du roman, il faut en retenir que les petits arrangements des pays alliés (notamment les Américains), derrière les belles idées de démocratie et de liberté, sont profondément discutables – volonté de réconciliation et guerre froide obligent certes, mais ça ne légitime pas tout.

Sinon, ce roman fait la part belle à la vie dans les prisons de ce monde, que ce soit en France (camps de Gus et du Vernet, la Santé), aux States ou en U.R.S.S. (les pires endroits, à part bien sûr les camps nazis). Phikip Kerr, en fin d’ouvrage, donne au lecteur de nombreuses références à ce titre, et il y a matière à trouver son bonheur. Pas comme le héros qui en prend tellement plein la gueule que c’est à se demander comment il n’est pas devenu dingue.

…à rapprocher de :

– De Kerr, la saga avec Gunther reste très agréable. Pour la première fois, j’ai abordé ce titre avant son prédécesseur, et j’ai eu un certain mal à raccrocher les wagons dans les premiers chapitres. C’est pourquoi il faut mieux lire tout ça dans l’ordre : La trilogie berlinoise ; La Mort, entre autre ; Une douce flamme ; Hôtel Adlon ; le présent titre ; Prague Fatale ; Les Ombres de Katyn ; La Dame de Zagreb.

La Paix des dupes se doit également d’être lu (longue uchronie sans conséquences sur la conf’ de Téhéran).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.