L'encyclopédie des félinsContraindre son chat à faire le trottoir. Oui, Le Tigre n’a aucune limite en ce qui concerne le référencement de son éclectique blog. Que ce soit un fier mâle ou une aguicheuse femelle, je vais vous apprendre à transformer votre obèse animal en une pimpante poule aux œufs d’or de l’autre fable. Tout cela en restant à peu-près dans les clous de la légalité la plus stricte.

Pourquoi votre chat doit faire le tapin

La première réaction de ma tigresse lorsque je lui ai exposé l’idée de ce billet, elle ne m’a répondu qu’un tremblotant « mais pourquoi ? ». Ma réponse initiale, qui vaut pour l’intégralité de certains billets à l’inutilité patente, est que personne n’en a parlé – du moins sur les blogosphères française, anglaise et allemande. Et savoir qu’une terra incognita n’attend que moi est un délice de fin gourmet.

La seconde réponse se veut plus terre à terre : entre le vétérinaire, la nourriture, la femme de ménage qui ramasse ses merdes et son vomi, en fait Lola (le nom du chat pour le présent billet) commence à vous revenir sacrément cher. Et il est toujours décevant d’apprendre que la chatte ne vous rembourse pas. Naïvement, je pensais qu’elle pourrait rapporter quelque chose. C’est là la différence d’avec un gosse : ce petit con, indirectement, va vous payer la retraite – ou voter pour quelqu’un qui vous incitera à sortir de votre maison de repos pour empaqueter les courses dans un supermarché coincé entre deux portions d’autoroutes. Le chat, niet ! Pire, à l’âge de 16 ans, ça ne servira à rien de l’émanciper : il sera mort.

Comment jouer à « pimp my cat »

A titre liminaire, il faut que vous sachiez qu’après des années d’intenses recherches, je suis venu à la conclusion qu’il n’y a pas mille manières de rentabiliser son chat.

Alors oui, si vous êtes l’heureux propriétaire d’une belle race qui coûte une blinde, il est toujours possible de monnayer chèrement la saillie. Ou alors, si un balai vous pend désespérément du cul, vous pouvez toujours inscrire votre magnifique animal à un concours de beauté. A l’inverse, si votre Lola est particulièrement moche et hargneuse, organiser des combats de chats (en lien) est envisageable.

De même, et après de nombreuses tentatives dont je tairais le déroulement, produire des films pornographiques mettant en scène des chats (exclusivement hein, ne versons pas dans l’infâme) s’est révélé être un retentissant échec. D’une part, mes films étaient excessivement courts. J’avais beau coacher les acteurs, ceux-ci ne connaissent ni les préliminaires, ni le changement de position. L’acte dure douze secondes en tout. D’autre part, et ce fut une certaine déception, je n’ai jamais rencontré de clients suffisamment barges pour acheter mes VHS.

Non, il faut faire jouer ce qui gouverne le monde depuis la nuit des temps, à savoir le sexe. Mais comment utiliser les aguichants atours de votre animal pour gagner des tunes autrement qu’en produisant des films ? La conclusion de mes expériences consiste en deux étapes : ameuter le félin client, et le faire payer – qu’il consomme ou non, cela importe très peu en fait.

First step : attirer le client

Cette première étape est la plus simple. Il faut qu’un matou soit ferré autour de Lola. Si celle-ci est en chaleur, aucune difficulté n’est à prévoir. Il suffit de se balader, le chat en laisse, et laisser faire la nature. Vous reviendrez chez vous avec une demi-douzaine de mâless affamés apparemment désireux de pratiquer une feuille de rose – et plus si affinités.

Comment appelle-t-on six chattes catins sur une BMW ? Une "six sauteuses boche..."

Comment appelle-t-on six chattes catins sur une BMW ? Une « six sauteuses boche… »

Si Loan…euh Lola n’est pas dans une période propice à l’accouplement, pas de problème non plus ! Il n’y a qu’à « simuler » la période de chaleur à l’aide d’artifices biologiques issus de la technicité humaine. Je parle de phéromones. Pour faire simple, procurez-vous de la copuline, substance secrétée par tout mammifère qui se respecte et qui a envie de perpétuer le genre. C’est en vente dans tous les sex-shops de France et de Navarre. Au pire, prélevez de la cyprine (ne me demandez pas comment faire) chez un humain, sur un malentendu l’odeur pourrait passer.

Ces phéromones en votre possession, badigeonnez confortablement le derrière de votre chatte avec. Encore mieux : dispersez quelques gouttes, crescendo, des rues avoisinantes jusqu’à votre domicile – comme la gentille sorcière qui attire Hansel et Gretel, les deux meurtriers qui auront raison d’elle. Ça marche même avec un mâle ! Pour déconner, j’ai même essayé d’en mettre sur Sophie la girafe, que j’ai ensuite laissée dans un jardin : figurez-vous qu’elle a subi le gang-bang de sa vie, j’ai dû la passer trois fois au lave-vaisselle pour retirer la bave/semence des animaux du quartier. [imaginez alors ce que vous pouvez faire comme blague à vos copains, mais je m’égare]

Maintenant que le client est partant pour une séance de jambes en l’air, enfermez-le chez vous.

Second step : faire payer le client qui a eu recours à une féline prostituée

Voilà, vous avez un (ou plusieurs) squatteur(s) chez vous. Vous tenez, potentiellement, une petite fortune dans votre antre. A partir de ce moment, deux solutions s’offrent à vous, selon le degré de connerie que vous seriez prêt à faire.

I. Attendre que le propriétaire se manifeste

Allez, ne faites pas semblant de ne pas savoir de quoi Le Tigre va parler. On l’a tous fait. Le chien qu’on séquestre dans sa cave. Les affiches A4 avec une photo pixellisée qui sont placardées sur les arbres. Le numéro de portable à appeler. L’innocent mensonge de la manière dont vous avez trouvé le chien. La légitime somme d’argent que vous finirez par accepter, à contrecœur, alors que « ma plus belle récompense est de voir deux êtres qui s’aiment à nouveau réunis ».

Pour cette méthode, essayez de choper des chats racés, de préférence dans un quartier bourgeois de votre ville. N’oubliez pas de rapporter le chat à son propriétaire dans un panier (dites que vous l’avez acheté pour l’occasion), tout en étant classieusement habillé – un beau pantalon avec des griffures au bas serait du plus bel effet. Et laissez la monnaie tomber dans votre poche.

II. Rançonner le propriétaire

En vue du bon déroulement du rançonnage, on va faire un peu de droit, si ça ne vous dérange pas. Tout ce qui suit s’articule autour de l’article 1385 du Code civil qui dispose que :

Le propriétaire d’un animal, ou celui qui s’en sert, pendant qu’il est à son usage, est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que l’animal fût sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, avouez que les législateurs de l’époque (début 19e siècle) savaient écrire. Putain, ça plaçait de l’imparfait du subjonctif l’air de rien, jaugez la clarté et la précision du texte ! Avec les gros incompétents qui digèrent sur les bancs de l’assemblée, aujourd’hui on aurait eu droit à une section entière avec 32 imbitables articles insérés dans le code de l’environnement.

L’objectif est donc de faire appel à la responsabilité du fait des animaux, qui est un cas particulier de responsabilité délictuelle. La responsabilité, c’est trois éléments : la faute, le dommage, et le lien de causalité.

1/ Le truc bonard, avec les animaux, est qu’il n’y a pas besoin que leur maître commette une faute. Si le chat s’évade, les conneries qu’il fera seront à la charge de son propriétaire.

2/ Le dommage. Alors là, vous faites comme vous voulez. Le titre du billet veut que votre Lola tombe enceinte et que vous réclamiez au propriétaire les frais d’accouchement et de soins des petits chatons pondus. Toutefois, vous pouvez imaginer les scénarios qui vous passent par la tête. A titre personnel, j’imaginerais plutôt abréger les souffrances de ma Lola vieillissante. Puis maquiller ça en combat entre la vieille chatte et l’animal que vous aurez attiré : mettez du sang partout, éventrez votre bête avec un objet qui passerait pour des griffes, etc. Puis appelez, en chialant, les flics. Le préjudice moral, pour la perte d’un animal de compagnie, peut atteindre quelques centaines d’euros au bas mot.

3/ Le lien entre le fait du chat et ce qui est advenu à Lola n’est pas difficile à démontrer, mais soyez relativement prudent : comme dans tout régime impliquant le fait d’un être vivant, les hypothèses d’exonération (totale ou partielle) de responsabilité existent. Au débotté, on pourrait penser à la faute de la victime (donc vous) qui aurait laissé sa petite chatte dehors – sachant qu’elle est en chaleur. Voire en raison de votre maison, aussi ouverte qu’un moulin, rendant irrésistible l’arrivée de mâles prêts à baiser. Je n’ai pas eu le temps de regarder les jurisprudences sur ces cas bien particuliers, et ce sera sans doute à vous de la faire – entendez : cela n’a pas été encore jugé.

Conclusion du félon maquereau

Moi, Hello K., 13 ans, droguée, prostituée

Moi, Hello K., 13 ans, droguée, prostituée

En suivant les précieux conseils du Tigre, vous gagnerez vos lettres de noblesses jusqu’à, peut-être, acquérir le titre du « Grand Ordre de Makacha », Plus qu’un entremetteur, c’est presque une industrie qui peut être mise en place.

Je vois quelques esprits contrits avoir quelques gros mots en tête, tel que « criminel » et autres « proxénétisme ». Le Tigre, un proxénète ? Malgré le vocabulaire obstinément sexuel et graveleux utilisé, et au vu de la définition de proxénétisme à l’article 225-5 du Code pénal (d’où le numéro du billet), cela n’a rien à voir. Car il ne s’agit pas de faire raquer le client, mais son propriétaire.

Blague à part, le thème de la prostitution est extrêmement complexe. Lisez notamment 23 prostituées, de Chester Brown, roman graphique qui est à même de faire douter n’importe quel abolitionniste convaincu – dont je fais partie.

Marc Levy - Mes amis Mes amoursDeux amis. Un architecte, un libraire qui ne sert à rien. Deux êtres perdus dans ce nouveau monde qu’est le célibat forcé, deux hommes qui vont ravir le lecteur par leurs aventures. Tout ça dans un Londres ravissant où la culture et l’amour ont pleinement leur place. Quel plaisir. Je plaisante. J’ai beau avoir tout essayé, je n’ai pu dépasser le premier quart. Et je m’en fous.

Il était une fois…

Voici la présentation de l’éditeur, histoire de ricaner un peu :

« Quand deux pères trentenaires réinventent la vie en s’installant sous un même toit, ils s’imposent deux règles, pas de baby-sitter et pas de présence féminine dans la maison… Dans le village français, au cœur de Londres, une histoire d’amitié, des histoires d’amour, les destins croisés des personnages d’une comédie drôle et tendre ».

C’est faux !

Critique de Mes amis Mes amours

Voici le sixième roman du bon Levy, et sans doute (c’est relatif) un de ses pires que j’ai pour l’instant lu. Sans déconner, j’y suis allé avec les meilleures intentions du monde, en me disant que le monsieur musclerait un peu plus son jeu après un début poussif. Que dalle, le cinquième chapitre refermé (soit un quart de cette daube – appelons un chat un chat – littéraire), à peine si les deux papas se sont enfin installés sous le même toit.

Au stade de ma lecture, y’en a un des deux qui rejoins son pote dans la capitale londonienne et, tel un insupportable bobo, reprend une librairie française dans LE quartier le plus chiant de Londres – celui où sévissent les french expatriés. Ils sont divorcés à des degrés plus ou moins traumatisants, et les compères sont sur le point d’emménager ensemble avec leurs gosses respectifs. Je ne sais pas si à partir de là le roman gagne en intérêt, n’hésitez pas à me dire que je me suis lourdement trompé en remisant cette chose dans mon armoire.

Chose éminemment bizarre chez un auteur de cet acabit, j’avoue (non sans honte) avoir été perdu avec les personnages de l’histoire. Car ceux-ci sont aussi vivants que dans un musée de cire parisien (ou londonien, puisque c’est là que se joue le roman), impossible de mettre un visage ou un comportement chez Antoine, Mathias (les deux papas) ou Valentine, Emily et compagnie. Plus d’une fois je me demandais qui était qui, et apprendre au détour d’une ligne que Louis couche avec Antoine ne m’aurait pas plus alerté que cela pendant dix pages – ça devrait pourtant, car l’un est le fiston de l’autre.

Mais, plus important, c’est le style de Levy qui m’a ici dissuadé de continuer. Descriptions attendues et d’une niaiserie rarement atteinte (faites comme moi, essayez de deviner les adjectifs et comparaisons douteuses en fin de phrase, vous toucherez juste une fois sur deux) ; dialogues plus ennuyeux que la messe du dimanche (mais vides de sens) ; name droping (marques des bagnoles, noms de rues, etc.) qui agace plus que ça ne rend l’univers immersif, n’en jetez plus. Et je ne vous parle pas de l’intrigue, qui, si celle-ci existe, se met en place à une allure de sénateur sous bêtabloquants.

Le Tigre, qui a lu de très correctes nullités dans sa modeste carrière, ne vous cache pas que celle-ci n’est pas loin de figurer sur le podium. Un concentré de tout ce qui me déplaît. Et, à moins d’un retournement de situation dont je sais l’écrivain à succès ne pas être capable, finir ces 400 pages aurait relevé des plus vicieuses tortures interdites depuis que l’électricité a été inventée.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Ne comptez pas sur moi pour faire de la philo dans cette partie, il y aura autant de paragraphes que de noms communs au titre du roman :

Mes amis, qu’est-ce donc ? Ton ex-femme te lâche, et plus tu fais des efforts et des mamours, plus cette petite ingrate s’éloigne – c’est un peu normal, faut être réaliste et accepter qu’elle couche ailleurs. Mais, ah ça oui, il n’en est pas de même des amis, toujours prêts à te soutenir et à te donner un nouveau but, à t’offrir l’occasion de te dépasser afin de, en partie, oublier la mère de tes enfants. Du moins ça semblait parti pour. Franchement, ce monde de bisounours m’a empli le bide, à peine cent pages lues j’ai cru être en mesure de vomir de la barbe à papa.

Mes amours, keskecé ? Aucune idée, car je ne suis pas arrivé à ce niveau, mais j’ai cru déceler deux marottes chères à ce bon Marc. Déjà, un des héros est un architecte de talent (du moins il en a l’air), du coup il n’est pas difficile de repérer le clin d’œil à peine appuyé de Levy à ses confrères de la profession. Ensuite, il y a le monde de l’édition, en particulier le noble métier de libraire qui s’installe, avec trois rangées de bouquins en guise de stock, dans soixante mètres carrés où, le lecteur le suppute, se pressera le tout Londres francophone – bande de blaires.

…à rapprocher de :

– Le Tigre est un animal curieux, et a lu quelques Marc Levy pour savoir ce qu’il en est. Du moins quelques uns : Et si c’était vrai…, Où es-tu ?, Sept jours pour une éternité…, etc.

– A tout hasard, j’ai tenté d’imaginer à quoi pourraient ressembler ses prochains romans (en lien ici).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette chose en ligne ici.

Christian Garcin - Selon VincentLe fameux Vincent a quitté sa vie d’avant pour faire son ermite au fin fond de la Patagonie, tout en laissant derrière lui un carnet sur les raisons de son départ. Ses neveux partent à sa recherche, entraînant derrière eux d’autres histoires. Complexe et souvent too much, voilà un roman sans doute plus riche qu’il n’y paraît, il faut ouvrir grand son cerveau.

Il était une fois…

Allez zou, je copie-collie la présentation qu’en fait l’éditeur, parce que ça part dans tous les sens :

« Dans les années 1990, un homme qui se croit possédé quitte métier, maîtresse, femme et enfants pour s’exiler au bout du monde. En 1812, juste avant le passage de la Bérézina, un soldat napoléonien est fait prisonnier par les Russes et confie à des feuilles volantes le détail de ses deux terribles années de captivité. En 2013, deux amis, l’un franco-chinois, l’autre franco-argentin, partent en Patagonie à la recherche de l’oncle de l’un d’eux, disparu depuis vingt ans, et rencontrent le propriétaire de la Lune. En 1882, un médecin astronome participe à une expédition internationale vers la Terre de Feu pour observer les mouvements de la planète Vénus, et établit des contacts avec les Indiens Yahgans, dont le peuple fut exterminé quelques décennies plus tard. »

Critique de Christian Garcin – Selon Vincent

Premier roman que j’ai lu de Garcin, et il ne fait pas les choses à moitié. Le salopiaud, il m’a bien mené en bateau sur 300 pages, tantôt courtes, tantôt presque interminables. Le point fort de l’œuvre ? Une écriture multiple bien maitrisée par l’écrivain qui, non content de changer la forme (police d’écriture, chapitrage) selon le narrateur, parvient à faire croire que nous sommes en présence de plusieurs romans.

Si le repère chronologique de Selon Vincent est l’histoire de son neveu Rosario (accompagné de Paul), le vieux Vincent est bien au centre de l’intrigue. Il a laissé un carnet rédigé avant de filer à l’autre bout du monde. Ce fichu carnet est complété par les souvenirs d’un soldat français en pleine bérézina – le pauvre gars en chie un max, entre le froid et les Russes qui le traitent salement. Les deux compères partiront vers les lieux de l’ermitage de Vinc’ et feront quelques rencontrent qui viendront enrichir une narration déjà complexe.

De ces autres « rencontres », on se demande parfois d’où elles viennent. Le scientifique Augustyn Hyades en mission en Amérique du Sud en 1882 (bon, le rapport avec les Indiens est réel) ; l’excentrique De Brea qui vend des terres sur la Lune, Mars et Vénus (tiens, la médaille du grognard) et qui réveille l’attention d’une Allemande expatriée, il y a de quoi être circonspect jusqu’à ce qu’un lien, aussi ténu soit-il, apparaisse pour former une toile cohérente. Hélas, et voilà qui est paradoxal, les aspects les plus sympas sont justement ceux-là, qui sont en outre les plus courts – les pérégrinations de Rosario et Paulo m’ont paru bien moins intéressantes, sinon ternes.

Le bilan est donc mitigé : d’une part, c’est un titre souvent triste (le premier qui décèle une blague, je lui file mon poids en adamantium) avec des considérations ésotériques assez obscures ; mais de l’autre côté, y’a comme un truc qui fait que ça prend aux tripes. A vous de voir donc.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’identité et son contraire (à mon sens, l’aliénation) constitue la trame d’un roman. Les deux protagonistes principaux, qui sont issus de deux cultures (française et chinoise/argentine), se laissent embarquer dans une aventure qui s’avère, au fil des chapitres, éprouvante. Quant au « mal » qui ronge Vincent, c’est un mélange digne du Horla de Maupassant et d’un délire « chamanique » animalier. Pas tant délirant que cela en fait, la fin est relativement surprenante, j’avoue ne m’y être pas attendu – je sais que j’aurais dû deviner ce qui se cachait, c’est logique en fin de compte.

Intimement liées au premier thème, la fuite et la solitude en sont avant tout les conséquences. Fuir le monde tel qu’on le connaît, désir de se retrouver ; partir littéralement aux antipodes ; et mourir seul, tel est le programme du héros. Si pour certains, on ne trouve que l’ennui au bout de ce chemin, d’autres parviennent à dégoter la paix intérieure. Pour Vincent, l’acceptation de son passé (et de ses actes) n’est que le résultat de cet éloignement – pour éviter de péter un câble. Entre oublier (quitte à se sentir possédé) ou se souvenir (et être rongé de remords), Christian Garcin semble préférer la seconde option.

…à rapprocher de :

– Sans spoiler, ce qui arrive à Vincent peut se rapprocher d’amnésie traumatique qui ressurgit salement, un peu comme dans Psycho Killer, de Keith Ablow.

– Quant à la multi narration et les histoires qui s’imbriquent, mais dans un registre nettement plus grandiose, La Maison des feuilles de Danielewski reste ma coquette référence.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Michel Gérard - Bloody KillerEntre le Brésil et la France sévit un impitoyable tueur, et rien ne semble pouvoir l’arrêter – c’en est même louche. Souvent excessif, violent à souhait, ce titre fait la part belle à la vengeance la plus aveugle où les innocents sont les premiers à trinquer. Écriture fluide et efficace, Michel Gérard livre un roman noir et sans espoir d’absolution.

Il était une fois…

Paul Clément, un Français susceptible (ce n’est pas un pléonasme, parce qu’il l’est beaucoup), vivote à Rio de Janeiro, loin de son pays natal où il a été tant déçu. De chef d’une milice locale appuyée par les policiers à gérant de bar, Paul ne laisse pas insensible la mafia locale qui décide d’employer ses services – et en profite pour parfaire ses techniques. Hélas, ses relations avec la pègre brésilienne et son histoire d’amour se détériorent rapidement. Clément ne s’en inquiète pas, d’ailleurs il doit retourner en France régler une affaire toute personnelle…

Critique de Bloody Killer

Première fois que je découvre le sieur Gérard, et ce fut loin d’être une perte de temps – j’ai eu pourtant peur au début dans la mesure où le titre anglais, d’une certaine banalité, faisait racoleur sur les bords, ce qui est dommage. Thriller sur fond de tragédies personnelles (certes provoquées par le héros), l’originalité réside en un protagoniste principal franchement vilain, un salaud de première dont le dénouement n’étonne guère.

Tout commence par le Brésil où Paul Clément, la vingtaine, parvient à entrer de plein pied dans l’univers interlope de Rio : à la tête d’un groupe privé de « protection », Paul développera ses talents grâce au concours de la mafia et d’un riche homme d’affaires – dont il saute la fille, Maria. Cette partie occupe à peine un quart de l’œuvre, et se termine par quelques exactions plutôt savoureuses et une histoire d’amour brisée. Ce dernier évènement ravive de plus belle quelques douloureux souvenirs chez notre héros qui est fermement décidé à faire payer le mépris dont a fait montre son « premier amour » français, Carole. Chassez le naturel, celui-ci revient en première classe.

Ainsi, la seconde partie (dans l’Hexagone) ne sera que meurtres des proches de la fameuse Carole Bricoud née Palin : non content de zigouiller les gosses de la bourgeoise (et quelques autres, parce que leurs gueules ne lui reviennent point), le tueur fera en sorte que son époux soit suspecté…du moins jusqu’à ce qu’il disparaisse. Parallèlement, le commissaire Pierron, amant de Carole (c’est du joli), tentera d’y voir clair. Les scènes d’action, d’infiltration, de camouflage et d’enquêtes policières se suivent à un rythme effréné (sans compter le Brésil qui s’invite à nouveau), suffisamment pour oublier que ces 200 pages sont plutôt denses – police d’écriture assez petite.

Voici donc l’archétype d’un thriller rondement mené avec d’indéniables qualités (personnage principal insaisissable, style nerveux et accessible) à peine tâchées d’invraisemblances. Certains individus, à l’instar du criminel bouddhiste Momo en charge de faire les faux papiers, sont too much, et il est parfois difficile de se représenter des situations qui tournent toujours en faveur du psychopathe. Toutefois, les scènes de sexe bestiales à souhait, mais finement suggérées ont suffi à ravir, de temps à autre, Le Tigre.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La vengeance et le ressentiment sont à l’honneur, et les raisons de la colère ne sont que d’ordre romantique. Paul Clément a dans son esprit un amour de jeunesse idéalisé, amour à sens unique qui ne peut que l’enfoncer dans ses illusions – sans compter la trahison de certains. Si ces échecs lui montent à la tête, il est surprenant de remarquer que Clément n’est pas le genre de gus à foncer tête baissée en mode « vendetta » – c’est-à-dire avec sa bite et sa machette à la main. Les sentiments, les pulsions meurtrières, en fait l’auteur alterne entre Eros et Thanatos (pénétrations sexuelles et du couteau), tout en mélangeant les deux à l’instar de l’utilisation du nœud de laguis, nœud coulant qui peut s’apparenter à une strangulation érotique… Jusqu’à réunir le sexe et la mort dans la scène finale – que j’ai trouvé un peu convenue.

Au surplus, Michel Gérard a essayé de créer un antihéros sociopathe. Calculateur et méthodique, sans remords lorsqu’il torture et/ou occis sa victime (avec une nette propension à la mise en scène), toute personne croisant son chemin le regrette amèrement. Ses relations avec autrui ne sont qu’à sens unique, il n’y a qu’à voir comment, régulièrement, il saute à la hussarde la belle Maria. Avec une ingéniosité qui force le respect, le mec pourrait être un talentueux tueur à gages s’il n’était pas si dingue.Toutefois, le lecteur peinera à bien entrer dans la tête d’un tel individu dont le cerveau fonctionne à l’envers à cause d’une histoire de cœur contrariée. Trop froid, trop impersonnel, délicat de s’imaginer P. Clément vivant hors littérature.

…à rapprocher de :

– Sur l’ambiance brésilienne en mode « violence & injustice », allez donc jetez un œil à Brésil, de John Updike.

– Pour le plaisir, Eros et Thanatos se retrouvent dans L’amour, la mort, de Dan Simmons. Cinq récits plutôt sympathiques.

– Pour des exemples de psychopathe à la crédibilité effrayante, les romans de Keith Ablow apportent de quoi se régaler – Psychopathe ou L’Architecte.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Ennis & Braithwaite - The Punisher : Mère RussieVO : Mother Russia. Punisher #13-18. Lorsque l’impitoyable Punisher accepte de foutre le bordel en Russie, il y a de quoi souhaiter ne pas être à la place de Moscou. Une petite fille qui possède seule un vaccin dans le sang, le S.H.I.E.L.D. qui s’en mêle, une mission dans un silo nucléaire, c’est le méga panard.

Il était une fois…

Frank Castle est à la recherche de Leon Rastovitch, qu’il parvient rapidement à butter – Leon le méritait. Comme par magie (nous sommes en Russie pourtant) apparaît Nick Fury…oui, Nick, le boss du S.H.I.E.L.D. qui aimerait bien reprendre la main dans le Grand Jeu. Nicky propose (contre renseignements) au Punisher d’aller récupérer un agent biologique au fin fond de la Russie. La mission est plus complexe qu’il n’y paraît : l’arme bio est dans une fillette ; elle est gardée dans une base souterraine destinée à lancer des missiles nucléaires ; et un terrible général ruskoff s’oppose aux Américains.

Critique de The Punisher : Mère Russie

Marvel, dans le cadre de sa collection « Max », a repensé ce bon vieux Punisher dans un univers un peu plus actuel, et le présent opus envoie du très très lourd. Ici, place à l’éternelle Russie contre laquelle combat (ou coopère ?) un homme au culot incroyable, c’est tout bonnement délirant.

On retrouve Garth Ennis au scénario, et cette fois-ci il n’est nullement question de minables organisations criminelles ou d’ennemis plus ou moins solitaires. Que nenni, Franck Castle (avec l’aide d’un mec des Delta Force, une tapette à côté du héros) va devoir s’occuper de bataillons entiers de russes colériques. Et quand le général Zakharov prend en main les opérations, la lutte prend une tournure bien plus violente avec des commandos en veux-tu en-voilà – notamment un super combattant qui mettra une correcte raclée à un Franck sanguinolent.

Quant aux illustrations, le bon Braithwaite a le trait dur vis-à-vis de protagonistes qui apparaissent plus durs et marqués que jamais – ça colle bien avec les personnages, en particulier Fury qui fait part de son projet d’aller voir les putes à New-York. Le dessin léché offre un rendu saisissant question troisième dimension, et pour ma part l’expérience fut une plongée spectaculaire dans un univers excessivement burné et sombre – malgré la présence de la fillette.

Bref, cet opus fut un gros coup de cœur tigresque, j’y ai vu la quintessence des aventures d’un Punisher certes violent mais qui sait faire preuve…oui oui…d’une certaine finesse. Le dénouement est à ce titre une petite pépite scénaristique, se sortir d’une base militaire sans issue et sans se faire exploser la gueule paraissait pourtant impossible.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Pour une fois, ce sera un sujet par mot du titre :

La mère. Je sais que c’est dur à imaginer, toutefois Franck Castle fait montre d’une gentillesse extrême vis-à-vis d’innocents qui n’ont rien à faire parmi la folie des hommes de pouvoir. La petite Galina verra Franck comme un père, et cela renvoie tragiquement aux propres enfants du héros, précédemment assassinés. Tout ça pour dire que la relation entre ces deux personnes apporte un souffle de tendresse et de pureté assez bienvenu. Rien à voir avec les militaires américains qui poussent l’infamie jusqu’à programmer une attaque terroriste sous fausse bannière, à savoir des méchants islamistes qu’ils ont financés – histoire de rendre l’attaque contre les Russes crédible, ce qui provoque une monumentale colère de la part de Nick Fury.

La Russie. C’est le retour aux fondamentaux de la guerre froide, et pour une fois les Russes ne sont pas présentés comme des brutes prêtes à tout faire péter. Le Punisher qui viole salement leur territoire (ils ne savent pas qu’il est américain), le risque qu’un missile nucléairement chargé parte d’une de leur base,…et pourtant certains hauts-gradés (surtout un) savent raison garder. J’y ai vu une forme d’hommage à Stanislav Petrov, officier soviétique qui a su en 1983 analyser une situation complexe et a évité le pire. Le général Zakharov est de cette trempe et apparaît alors comme un allié potentiel, à savoir un homme à l’empathie éprouvée et soucieux de ne pas déclencher de guerre nucléaire.

…à rapprocher de :

– Il faut savoir que Marvel a repris les aventures de Punisher, avec Born et Au commencement, qui sont dans une mini intégrale sur ce blog. Ensuite, il y a Kitchen irish, un poil décevant à mon sens. Et la série MAX est loin de se terminer…

– Garth Ennis a également fait fort, avec Dillon, dans Preacher : Livre 1, Livre 2 (lien aussi), Livre 2 (ici), etc.

– Daredevil a rapidement affaire à notre héros dans le second tome (lien) des aventures de Daredevil, de Frank Miller. Vieille BD, ai eu du mal à en venir à bout.

– Visuellement parlant, la gueule de Castle me rappelle celle de certains protagonistes illustrés par Enki Bilal, notamment dans Les Phalanges de l’Ordre noir.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce comics en ligne ici.

Les Sutras du TigreQue celui qui n’a jamais assisté à un geyser de restes de repas lors d’un voyage me jette le premier livre. Pour celui qui n’a jamais regretté l’absence de sacs en papier, passe ton chemin, ce billet n’est pas pour toi. Pour les autres, voici comment lire dans n’importe quel transport sans se salir prématurément – de l’avion au rickshaw en passant par la sempiternelle voiture.

Pourquoi est-on malade dans les transports ?

Le Tigre a beau avoir abandonné son doctorat de neurobiologie au bout de deux ans, il a encore de beaux restes pour ne pas passer pour un immonde touriste sur le sujet. [Pour ceux que ça intéresse, le titre de ma thèse était Variance probabiliste de la perte de neurones selon la lecture de Pancol.]

Autant que je me souvienne, la raison de ces épanchements fort désagréables se trouve dans l’oreille interne. Si, chez le chat, cet organe permet de retomber sur ses pattes ou retrouver le chemin de la maison après avoir été abandonné sur une aire d’autoroute, il faut convenir que chez l’Humain, ça fout surtout la merde. Grosso merdo, tout est affaire de décalage entre ce que vous voyez et ce que vous ressentez.

Regardons un peu ce qui se passe dans votre cerveau : d’un côté, vos yeux sont en train de parcourir les lignes d’un bouquin. Le bouquin, comme l’habitacle de la caisse, ne bouge guère. R.A.S., me direz-vous. Pas du tout. Car de l’autre côté, le système vestibulaire (c’est un truc dans l’oreille interne qui ressent les mouvements) crie à votre cerveau que vous êtes dans un lieu qui bouge. Un tournant, un dos d’âne, le choc sur une prothèse de hanche accrochée à une petite vieille, tout ceci n’arrange pas la cohésion des informations reçues par le cerveau.

Curieusement, ces infos discordantes trouvent un écho dans la région du area postrema, celle qui donne comme instructions d’aller démanger. Ah, elle est belle la mécanique du corps humain ! Mais pourquoi bouger dans tous les sens donnerait envie de vomir ? Entre ça et recevoir un coup dans les parties génitales, je n’ai jamais compris pourquoi certaines actions doivent absolument entraîner de tels odoriférants reflux.

Mes premières expériences en voiture n'ont pas été heureuses

Mes premières expériences en voiture – je n’étais pas prêt

Ne vous inquiétez donc pas. Grâce au Tigre, cela ne saurait arriver. Vous serez le nec plus ultra du lecteur, le seul gars dans la région à dévorer ses romans pendant un rallye, bref l’incontestable maître de la lecture tout-terrain.

Comment lire dans la voiture sans dégueuler ?

En première partie, les méthodes des feignasses. En seconde, celle des vrais chefs.

Les solutions de facilité

Comme souvent, la première idée qui vous viendrait à l’esprit est la mauvaise. Puisqu’on est sûr de vomir, pourquoi ne pas tromper Dame Nature en ne mangeant rien avant de partir ? Réfléchissez à la portée de ce non-acte. Pour ma part, je préfère rendre mes pâtes carbonara que de la bile. Vous avez déjà vomi comme un dingue jusqu’à ce qu’il ne reste que ce liquide jaunâtre ? Non seulement ça tue l’estomac, mais en plus vous puerez du bec pendant deux jours. Et je ne parle pas de la couleur, plus chatoyante (donc difficile à cacher) sur le siège de la tutur.

Ensuite, il y a l’option biologique – pour les petits tricheurs médicamentés. Ce sont ceux qui se baladent dans une parapharmacie comme Le Tigre dans une librairie : la bave aux lèvres avec de légitimes pulsions kleptomanes. Ce blog ne tient pas particulièrement à faire de l’ombre à l’incontournable Duval, aussi le félin évoquera deux produits qui produisent leurs petits effets.

Pour ma part, jeune j’utilisais quelques antihistaminiques, voire quelque chose de plus puissant comme la scopolamine. Concernant ce dernier principe actif, allez-y mollo, sinon vous pourriez vous retrouver, à moitié nu, dans une aire d’autoroute, au milieu d’une demie-douzaine de routiers polonais visiblement satisfaits. Dans tous les cas, il existe un risque (hélas non négociable) de sombrer dans un profond sommeil entre deux chapitres. C’est pourquoi doubler ces médocs de caféine, voire d’amphétamines, est vivement recommandé.

En outre, il peut être extrêmement tentant de reporter le risque sur autrui, à savoir se faire lire le roman en bagnole par quelqu’un. Comme un fusible qu’on utiliserait, et si plusieurs personnes consentantes (et suffisamment idiotes) sont d’accord, alors vous pourrez en avoir suffisamment pour tenir le temps du voyage. En ce qui me concerne, on ne peut compter sur les humains pour lire une histoire, je préfère m’en tenir à un livre audio en version numérique.

Oui, le numérique. La technologie offre quelques pistes intéressantes, que les individus de la pire espèce (j’ai nommé les geeks) sauront exploiter afin de contourner la fragilité de leurs estomacs nourris de chips. Je pense tout particulièrement à faire comme dans les avions de combat, à savoir un système permettant de lire le bouquin en mode « affichage tête haute ». Cela peut aller de la rudimentaire liseuse accrochée au dossier de devant, jusqu’à l’affichage luminescent sur le pare brise – si vous avez la chance d’être assis à l’avant.

Enfin, et en plus évolué, le codeur du dimanche pourrait inventer un système connecté au gyroscope de sa tablette : les lignes du roman à lire bougent en même temps et dans les mêmes sens que l’habitacle, diminuant le décalage d’informations reçues par le cerveau – ooohhh…idée de brevet non ?

La méthode du Tigre pour lire en voiture

Ma technique fut peaufinée au fil des années, et je dois vous avouer que ce fut souvent catastrophique niveau résultat.

Premièrement, j’y suis allé avec prudence, c’est-à-dire que je demandais à être assis devant (même dans le bus, je demandais à m’asseoir sur les genoux du conducteur), là où ça bouge nettement moins. Je tenais alors le livre bien haut et regardais régulièrement à l’horizon. Et, lorsque les virages se faisaient insistants, j’abandonnais la lecture pour profiter du paysage. Un peu comme lire en marchant : quinze secondes pour lire une demi-page, autant pour m’en remettre en levant le nez.

Deuxièmement, mes proches se sont aperçus de mon petit manège : Le Tigre, lorsqu’il est à l’avant du véhicule pour dévorer un roman, est un bien piètre interlocuteur – et ne parlons pas de ses talents de copilote, quasiment inexistants. C’est pourquoi on m’a remisé à l’arrière, avec les passagers lambda. Du coup, je faisais en sorte d’être le premier à monter pour me foutre au milieu – et reproduire la première technique. Hélas, avec mon mètre 85 je me suis rapidement fait virer de cette place, réservée à sœur-panthère, bien plus discrète.

Troisièmement, j’ai tenté d’échanger la lecture avec l’horizon en fond par la vue côté fenêtre. Mauvais idée, le décor défile trop rapidement, je me suis senti partir au bout d’une heure à peine. Tâcher de distinguer les mots tout en ayant un défilé de couleurs et de formes en vision périphérique, c’est loin d’être le pied. Néanmoins, je suis parvenu à obtenir, après moult essais, l’ultime position : joue collée contre la vitre, regard vers le sens de la marche. J’ai remarqué que la place à droite offre un confort supplémentaire, car les yeux croiseront majoritairement des paysages assez monotones.

Ne pas avoir mal au bide tout en lisant est une subtile alchimie, et j’en ai tiré trois enseignements :

  1. Ne pas avoir la tête penchée en avant, donc placer le bouquin à hauteur du visage.
  2. Être en mesure d’avoir, dans son champ de vision, un paysage en adéquation avec les mouvements de la voiture – ce qui implique un minimum d’objets extérieurs mobiles pour polluer le signal.
  3. Demander, avec courtoisie, aux passagers de fermer leur gueule.

Conclusion du Thunder Tiger

Voilà, j’espère que vous avez pu piocher une ou deux idées valables – je plaisante, ça m’est égal. N’hésitez pas à me faire part de vos glorieux retours d’expérience et/ou conseils supplémentaires, sachant que je décline (bien naturellement) toute responsabilité quant au destin funeste qui s’abattrait sur le cuir du véhicule.

Quant au numéro du présent Sutra, la réponse se trouve dans la loi. En effet, le port de la ceinture de sécurité est devenue obligatoire à l’avant des véhicules en juillet 1973 – juste avant les vacances, histoire de sauver quelques vies en plus – il a tout de même fallu attendre 1990 pour que cette obligation concerne l’arrière du véhicule.

Ah, il est bien loin le temps où, à huit ans, je pouvais m’asseoir à l’avant, non ceinturé, sautillant comme un cabri dans l’habitacle trop grand pour moi d’une Maserati filant à 220 km/h sur l’autoroute, tout cela sous l’œil bienveillant et tranquille de papa-tigre – tranquille, car il ne risquait pas de prendre une prune.

Joe Hill - The Cape 1969VO : idem. Lorsqu’un soldat américain, en plein conflit vietnamien, se voit pousser des ailes, il y a de quoi ne pas savoir comment juger une telle histoire. Mignonne fable aux enseignements nombreux ou vaste fumisterie, mon cœur balance. Roman graphique sans prétention, c’est certes agréable, mais il n’y a pas de quoi fouetter un gentil chat.

Il était une fois…

A la fin des années 60, certains aiment à croire que la guerre au Vietnam va peut-être toucher à sa fin. Même le capitaine Chase, pilote d’hélicoptère qui survole le pays dévasté. Hélas, son hélico se fait canarder, et il se tire miraculeusement du crash avec un soldat. Je ne sais pas s’il faut parler de miracle dans la mesure où les deux Amerloques sont vite rattrapés par la patrouille vietcong. L’éphémère partenaire est abattu sur le champ, et le capt’ain emprisonné. A partir de là, Chase va vivre une bien étrange expérience…

Critique de The Cape 1969

Pour votre gouverne, Joe Hill n’est rien d’autre que le fiston de Stephen King. Et le rejeton semble avoir du talent, du moins je vous le confirmerai après avoir lu un de ses titres. Joe a notamment écrit une nouvelle dont s’est inspiré le scénariste Jason Ciramella pour la présente histoire.

Revenons au protagoniste principal, Chase. Il est dans un bien mauvaise posture, situation qui n’est pas prête de s’arranger dès lors qu’il doit, pour survivre, faire une course dans la gadoue avec un vieil homme sec aux tatouages mystérieux – le même rapidement croisé après le crash. Ce dernier individu a quelque chose de particulier puisqu’il a certains pouvoirs, celui qu’on découvre consiste à s’envoler comme si la gravité était une légende.

C’est à cet instant que l’histoire prend une tournure déroutante car versant dans un fantastique plutôt surprenant : Chase, parce que le vieux magicien lui roule une galoche avant de clamser, acquiert son pouvoir consistant à voler dans les airs. Rien que ça putain ! Et notre héros, dont la famille (quelques flashbacks à ce sujet) l’attend non sans fébrilité, souhaite utiliser ce don pour assouvir une vengeance contre le boss du camp viet cong. Sauf que le dénouement arrive avant même que Le Tigre s’en rende compte, et voilà la dernière page retournée. Déception totale.

Néanmoins, les illustrations de Zach Howard ont quelque chose qui rend ce roman graphique plaisant, la lecture est facilité par des traits sobres qui parviennent à rendre les personnages attachants. Au surplus, les teintes ocres et rouges dominantes (et le texte minimal) tendent à faire de cet opus un ouvrage qui peut être lu par le plus grand nombre – taille oblige. Hélas, ça ne rattrape qu’à peine une histoire bien trop courte, presque légère et dont la fin m’a paru bâclée – à moins que je n’ai rien pigé aux leçons transmises par The Cape 1969, année érotique.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La manière dont le scénariste aborde la guerre du Vietnam a le mérite d’être originale : le méchant de la compagnie qui a recueilli le capitaine Chase est un sino-américain avec un enfant qui participe activement au conflit. Manière pas vraiment subtile de présenter l’embrigadement des jeunes ou d’une famille toute entière dans une guerre totale, mais surtout montrer comment un individu tombé amoureux du pays envahi peut se retourner contre sa patrie : l’antagoniste, dont le fils est de double ascendance et a subi les moqueries, se voit mieux accueilli par les Viets que par l’Oncle Sam qu’il a fini par abhorrer – raisons très brièvement abordées cependant.

Le fantastique de cette œuvre est différent des comics « traditionnels » étant donné que Chase, qui récupère son pouvoir par erreur, ne paraît pas l’utiliser à meilleur escient. Pour faire simple, il gâche connement sa faculté de voler en provoquant en duel hélicoptère de l’ennemi, ce qui l’amène à une mort certaine. De la part d’un époux et d’un père, voici une brillante illustration de ce que la vengeance aveugle, dans ces moments foutrement bellicistes, peut apporter de malsain. Donnez à un homme en colère et traumatisé un superpouvoir presque primaire (voler, c’est le rêve de tous non ?), il n’est pas sûr qu’il en fasse quelque chose de positif.

…à rapprocher de :

– Ce titre ne fait que présenter The Cape, autre comics qui reprend des éléments du présent scénario dans un univers plus contemporain. Pas sûr d’avoir envie de le lire.

– Le magicien qui vole ressemble fortement au gus dans Tintin au Tibet – mais je dois me faire des idées.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Véronique Poulain - Les mots qu’on ne me dit pasLe quatrième de couverture tend à vendre du rire, c’est plutôt de tendresse mâtinée de fierté dont il est question. Ces souvenirs d’une fille « entendante » parmi une famille de sourds-muets offrent de belles surprises, entre gros inconvénients et menus avantages – souvent drôles il est vrai. Même si l’essai est loin d’être transcendant (car un peu court à mon goût), il y a de quoi passer un bon moment.

De quoi parle Les mots qu’on ne me dit pas, et comment ?

La première chose qui a attiré l’œil expert du gros radin que je suis, c’est que le rapport prix/(nombre de mots) est anormalement élevé. Car il n’y a pas vraiment 120 pages à cet essai autobiographique. Une page = un chapitre, et les espaces sont tels qu’on pourrait faire tenir Les mots qu’on ne me dit pas en une trentaine de pages.

Cela n’est pas forcément un mal, parce que cette aération donne l’impression de lire à vitesse grand V (une demi-heure) l’histoire d’une femme énergique et de sa famille qui est, par de nombreux aspects, exceptionnelle. Je ne parle pas du fait que l’auteur est la seule « entendante » alors que ses parents (Josette et Jean-Claude) sont sourds-muets, mais de l’énergie déployée par eux (plus l’oncle Guy) pour faire avancer la cause de ce qui constitue un handicap – et c’est loin d’être terminé, essayez un peu les sous-titres lors du journal de 20h.

C’est donc avec une double casquette (le cul posé en équilibre entre deux mondes, plutôt) que Véronique P. nous conte ce qu’est de vivre dans telle configuration. Le silence chez ses parents ; l’exubérance et les échanges oraux (en tout honneur, n’ayez pas l’esprit mal tourné) ailleurs ; l’incompréhension des autres (il n’y a pas que devant chez moi que la boulangère est une vraie conne) ; les mêmes questions qui reviennent, on comprend comment l’auteur a pu passer par tous les états.

De l’agacement à la joie pure, en passant par la consternation, Poulain semble s’être arrêtée à la fierté pour revendiquer sa famille au point d’en faire un roman. Toutefois, ce texte reste ce qu’il est : un témoignage trop court, certes touchant, mais sans l’ébauche d’une réflexion plus approfondie sur cette population dont les problématiques restent peu connues – cette partie étant, à mon avis, laissée au lecteur.

Enfin, j’espère que l’auteure ne fera pas de ce premier texte le dernier (ce qui arrive souvent), parce que sa prose est loin d’être dégueulasse. Souvent une brève autobiographie est un catalyseur à roman, et considérant les heures de lecture passées seules (le titre renvoie à la découverte des livres), il y a sans aucun doute matière à continuer sur cette lancée.

Ce que Le Tigre a retenu

Au-delà de quelques anecdotes assez fandardes (laisser Dr. Dre à fond dans la caisse de ses vieux en les quittant vers l’école ; les bals de sourds avec les panneaux annonçant le genre de musique), le fauve a eu des réponses auxquelles seule une « binationale » pourrait répondre.

D’abord, et même si je m’en doutais, les sourds muets ne non pas muets. Cependant, comme ils ne se sont jamais entendus, les mots qui sortent de leurs bouches sont souvent difficiles à deviner. Et que dire des sons incessants qu’ils produisent, borborygmes et autres bruits terriblement organiques que l’auteur semble de moins en moins supporter ? Moi qui pousse une grosse gueulante quand mon paternel claque du bec en avalant son steak tartare, je n’ose guère imaginer la souffrance endurée par Véronique.

Ensuite, Le Tigre a appris énormément sur le fonctionnement du langage des signes dont il n’existe presque pas de « version » mondiale. Outre un vocabulaire relativement limité (le père a œuvré pour son enrichissement) et les surnoms donnés aux proches, ce moyen de communication ne possède évidemment pas de conjugaison – et l’approche temporelle est différente. J’ai eu l’impression d’une langue bien plus directe, où la perte de temps est évitée, bref des échanges qui vont droit au but, ce qui peut surprendre étant donné que les signes semblent parfois grossiers. La discussion des choses du sexe entre une mère et sa fille prennent alors la forme d’un supplice d’une rare puissance.

Enfin, le rapport des sourds-muets à leur corps est étonnant, il s’en dégage une certaine liberté qui, sans être impudique, est rafraîchissante. Par les bruits émis par ces personnes, cela confine même à l’animalité, ce qui peut expliquer pourquoi ils ont été longtemps pris pour des individus moins intelligents. Ce dernier aspect se retrouve dans leur vie sexuelle qui m’est apparue comme détachée des conventions relatives à la bienséance et autres considérations des coincés du cul. De là à estimer qu’ils ont une propension à s’envoyer en l’air plus souvent et avec plus d’allégresse, il n’y a qu’un pas – pour ma part, je parlerai d’une sexualité plus simple, naturelle même.

…à rapprocher de :

En termes de littérature, je n’ai, pour l’instant, aucun exemple en tête. C’est pourquoi je me rabattrai sur cet excellent film (rappelé dans l’ouvrage) qu’est Les enfants du Silence, de Haines. Sous-cultivé comme je suis, j’aurais évoqué la Japonaise du film Babel.

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Ennis & Fernandez - The Punisher : Kitchen irishVO : idem. Punisher #7-12. Lorsque l’impitoyable Punisher décide de s’intéresser aux luttes entre gangs irlandais, il y a de quoi souhaiter ne pas être à la place des rouquins. La cuisine irish à la sauce bombes/torture servie par une intrigue dense et des illustrations perfectibles, il y a de quoi être plutôt satisfait – même si j’ai lu mieux.

Il était une fois…

Frank Castle prend un petit café, tranquilou, dans un bar irlandais dans le quartier de Hell’s Kitchen, en plein New-York. Pile à ce moment, comme par magie, une bombe explose dans ce pub précisément, et notre héros s’en tire un peu groggy. De là, il n’est que vengeance. Aidé d’un agent venu de Londres et d’un flic local, le Punisher va déposer son parpaing de sel dans ce qui ressemble bien à une guerre entre gangs irlandais. Mais pourquoi sont-ils si méchants ?

Critique de The Punisher : Kitchen irish

Marvel, dans le cadre de sa collection « Max », a eu l’ingénieuse idée de repenser ce bon vieux Frank Castle dans un univers un peu plus actuel, et il faut convenir que les débuts sont grandement prometteurs. Ici, place à l’IRA, les Irlandais furax et un héros qui ne l’est pas moins. Tout ceci pour un résultat sanglant qui n’est pas dénué de rythme.

Garth Ennis, au scénario, a pensé une intrigue virevoltante et, au grand regret du Tigre, excessivement complexe pour le fin mot de l’histoire. Tout commence donc par cette violente explosion, avec les visions d’horreur que cela peut procurer (les illustrations ne cachant rien). Très vite, il appert que la signature de cet acte odieux vient de Finn Cooley, individu habitué de la chose (son visage déglingué le prouve) qui tire la bourre à d’autres groupes en culottes courtes.

Bref, il n’y a pas moins de trois gangs, chacun avec des méthodes discutables (notamment l’envoi de « pièces détachées » humaines à ses ennemis) à qui le Punisher va donner une correction. Il est d’ailleurs largement aidé par un Anglais ayant participé au conflit nord-irlandais en Europe – ce dernier n’hésitant pas à appuyer là où ça fait mal.

Si le déroulement des péripéties n’appelle pas de commentaire particulier (fluidité et crédibilité à peu près correctes), les illustrations de Leandro Fernandez ne font pas partie de mes préférées. Certes le héros a encore la gueule de l’emploi et les scènes de combats/explosions sont réjouissantes à souhait, mais il y a à mon sens deux soucis : 1/ l’environnement et les couleurs trop sombres (le jeu d’ombres, ça va bien deux secondes) et 2/ la gueule des personnages, trop lisse comme s’ils sortaient du moule.

Si les menus défauts dus à Fernandez ne sont pas bien méchants, force est de constater que cela rend la lecture moins aisée, et après les premiers opus il y a comme un petit goût d’imperfection – sans doute la marque des grandes séries.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Ce qui m’a marqué est la manière dont est dépeinte une telle guerre sale. Déjà, les pertes collatérales sont terribles, il n’y a qu’à voir le nombre de clampins de base, ou certains individus complaisants (qui n’auraient certainement pas signé pour un conflit total) qui avalent leurs bulletins de naissances. Terrifiant. Ensuite, l’illustrateur ne lésine pas sur les détails des carnages provoqués. Âmes sensibles s’abstenir. Enfin, il y a la mini-histoire de Napper, rappelé sur le front à son insu par un fou dingue. La spécialisation de Napper est le déchiquetage méthodique de ses victimes, toujours vivantes. Non seulement il est contraint à exercer son art par un chantage sur son gosse, mais en plus il le fait sur des personnes qui ne méritent pas tant.

En fait, Ennis a su souligner l’iniquité du conflit nord-irlandais qui, poussé dans ses retranchements, s’exporte aux États-Unis sous sa forme la plus vile : il ne s’agit que d’une banale lutte de criminels un peu cons (et je reste poli) qui se chamaillent pour un foutu trésor. Et c’est doublement tragique : incapables de s’entendre et se mettre d’accord et se serrer les coudes face à de plus grandes menaces, nos Irish couillons se font somptueusement avoir par feu Pops Nesbitt, un patriarche à la main lourde qui leur aurait laissé un héritage. Donnez trois morceaux de clés à une trilogie de clans dirigés par des idiots ou des fous (notamment Maginty, le rasta irlandais), ils resteront incapables d’ouvrir ensemble un coffre.

…à rapprocher de :

– Il faut savoir que Marvel a repris les aventures de Punisher, avec Born et Au commencement, qui sont dans une mini intégrale sur ce blog. Ensuite, il y a Mère Russie, qui envoie du très lourd. Et la série MAX est loin de se terminer…

– On revoit rapidement le Punisher dans le second tome (lien) des aventures de Daredevil, de Frank Miller.

– L’excellent Garth Ennis est aussi au scénario avec Dillon au dessin, dans Preacher : Livre 1, Livre 2 (lien aussi), Livre 2 (ici), etc.

– Le carnage dans le bar à cause du conflit nord-irlandais me rappelle furieusement l’intensité d’une scène de Bienvenue au club, de Jonathan Coe. A lire absolument.

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Stephen King - ShiningVO : The Shining. Un lieu enchanté où séjourne une famille heureuse, de bons souvenirs qui rejaillissent de cet endroit, un papa aimant et affectueux avec son petit garçon tout ce qu’il y a de plus normal,… non, oubliez tout ça. Allégorie de l’alcoolisme ravageur dont l’auteur souffrait, Shining est un correct condensé de ce dont est capable King – en bien comme en mal.

Il était une fois…

Jack Torrance a été viré de son emploi de professeur à la suite d’une altercation survenue notamment à cause de son addiction pour l’alcool. Un des membres du conseil d’administration, qui a des parts dans l’hôtel Overlook, lui propose de faire office de gardien pendant la saison basse, accompagné de sa famille. Sauf que cet hôtel a une personnalité propre malfaisante, et le don du fils de Jack n’est pas pour calmer ni le lieu, ni le père qui devient de plus en plus dingue.

Critique de Shining

L’enfant lumière, j’ai dû le découvrir très (trop ?) jeune, et restent seulement imprimées dans mon esprit quelques scènes de terreur pure, à l’instar de ces foutus arbustes qui prennent la forme d’animaux inquiétants. Aussi, pour les besoins du présent billet, j’ai relu en diagonale ce roman de presque 600 pages.

Le scénario est au demeurant classique, avec l’installation de la petite famille Torrance (le père, la maman Wendy et le gosse Daniel – Dany) et les recommandations du gérant pour bien s’occuper du lugubre hôtel. Dès le début, le lecteur sent que quelque chose ne tourne pas rond (certes, c’est souvent le cas avec King), notamment lorsque Dany se voit dire de ne jamais pénétrer la chambre 217, ou les élucubrations du cuisinier sur un certain shining. Très vite, il n’est pas difficile de se rendre compte que l’hôtel est salement hanté et susurre des mots doux à l’oreille de Jack (en plus de lui refiler des hallucinations, par exemple la vision de la vie d’avant dans la salle aménagée en bar) dont les pulsions meurtrières vont grandissant.

Sur le style, j’ai envie de dire que l’écrivain américain a produit un « ouvrage type », néanmoins j’ai trouvé celui-ci un peu trop long. Les nombreuses descriptions, particulièrement les flashbacks sur le passif de l’hôtel ou la vie de Jack (issu d’un père violent qui battait sa femme) auraient pu être rétrécies sans que l’ouvrage ne perde en qualité. Quant à l’aspect « flippage & Co », certaines recettes marchent toujours, avec comme point d’orgue la femme dans la baignoire qui se lève, lentement mais sûrement, vers Dany.

Pour conclure, ce roman, s’il a gardé de son efficacité, fait peut-être partie de ceux qui vieilliront le plus mal. Un énième Stephen King dont regarder le film pourrait sans doute éviter de se taper ce gros demi-millier de pages. Mais, si vous êtes fan (à l’instar de votre serviteur), ça passera comme une hache dans une porte en bois.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Comme je le disais, l’hôtel en tant qu’ennemi de la famille n’est que la personnification d’un mal plus banal qui est l’alcoolisme du père – d’ailleurs, c’est à cause de ce vilain penchant que Jacky se retrouve dans cette mansarde hantée. On y voit un homme progressivement déglingué par un mal qui ne fait pas que le détruire : Wendy et Dany trinquent rapidement à leur tour, si bien que la cellule familiale (déjà chancelante) se détériore à vitesse grand V avant une explosion de violence qui n’a d’égal que celle de l’hôtel.

Les effets de cette drogue, amplifiés par Overlook, amplifient un mal plus profond au sein de la famille, à savoir la jalousie qui règne – voire la rancœur. D’une part, il y a Wendy (qui a une relation particulière avec sa propre mère) qui se sent exclue de la relation entre le père et le fils. Elle pressent que son époux, fragile psychologiquement, se fait gentiment retourner le cerveau, et elle a peur pour son fils. L’hôtel utilise d’autre part la jalousie naissante du père en lui faisant croire que, en tuant Dany, Jack récupérera le don du shining – entendre des fragments de pensées d’autrui, voir le passé et d’autres choses invisibles de la populace, mais également une partie de l’avenir, et ce grâce à Tony, l’ami imaginaire du gosse.

Le père qui, sous l’emprise d’un état alcoolique, en vient à vouloir éliminer son enfant, voilà la vraie horreur.

…à rapprocher de :

– La suite, Docteur Sleep, sortira bientôt en format poche.

– De King, Le Tigre a lu énormément. Voici quelques titres en vrac : La Tour sombre (l’incontournable) la Trilogie Ça (la référence) ; Les Tommyknockers (un peu trop long, et le thème de l’alcool est remplacé par la drogue), Carry, Dreamcatcher (la jeunesse sacrifiée est aussi prégnante), Cujo (pas mal, mais peu flippant), etc.

– Au demeurant, l’adaptation ciné, avec le grand Nicholson, mérite largement d’être visionnée.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Rachel Joyce - La lettre qui allait changer le destin d’Harold FryVO : The unlikely pilgrimage of Harold Fry. Un retraité entreprend une longue marche en Angleterre pour retrouver une amie qui se meurt d’un cancer. Entre savoureuses rencontres et souvenirs jaillissant du cerveau du vieil homme, Rachel Royce a écrit un texte qui devrait plaire à bon nombre de lecteurs. Point du tout le genre du Tigre, qui a sans surprise abandonné en milieu de parcours.

Il était une fois…

Cher Harold, tu seras sans doute surpris de recevoir ce courrier. Notre dernière rencontre date de longtemps, je sais, mais ces temps-ci, j’ai beaucoup pensé au passé. L’an dernier, j’ai été opérée d’une tumeur, mais le cancer s’est disséminé et il n’y a plus rien à faire. Je suis en paix et je ne souffre pas, mais je voulais te remercier de l’amitié dont tu as fait preuve envers moi autrefois. Transmets mes amitiés à ta femme. Je pense toujours à David avec affection. Bien amicalement.

Voilà ce qu’a reçu Harold Fry, fraichement retraité d’un insipide taf dans une brasserie, de la part de Queenie Hennessy. Il décide alors de se fendre d’une lettre à son intention. Mais une simple lettre suffirait-elle ? Pourquoi pas la sauver de son cancer en lui promettant d’aller la voir à pied ?

Critique de La lettre qui allait changer le destin d’Harold Fry

De Kindsbridge à Berwik, Harold va se niquer les pieds et mollets pour rejoindre une femme charmante qui bossait en tant que comptable dans sa boîte. Pendant ces heures en solitaire à la poursuite d’une chimère [jolie expression rimeuse], c’est toute sa vie qui (souvent à son insu) va défiler sous ses yeux – jeunesse, mariage avec Maureen, le fiston David dont on pressent que la relation père-fils a salement tourné, tout ceci pas forcément par ordre chronologique. Le protagoniste n’est pas toujours solitaire, rencontrant ici et là quelques personnes (une minute, une heure, une journée), chacun lui apportant matière à réflexion.

Ce qui m’a dissuadé de finir la seconde moitié de ce bouquin tient en deux raisons. Déjà, à la deux-centième page Harold n’a pas parcouru un dixième de son périple. J’ai presque craint que d’autres tomes attendaient en embuscade. Ensuite, et à part quelques jaillissements sympathiques (le fétichiste gay, hélas trop rapidement expédié, ou quelques réminiscences au sujet de Queenie) et avancées (trop lentes) dans l’intrigue faite à base de flashbacks, votre serviteur s’ennuyait furieusement. Tout cela est aussi lent qu’un vieil Anglais à pied, si seulement Rachel Joyce et son héros avaient eu l’idée de faire de l’auto-stop…

En guise de conclusion, j’ai, par acquis de conscience, rapidement parcouru les dernières pages. [Attention SPOIL] Leur fils David s’était suicidé, le couple était très mal parti mais esquisse un début de rabibochement (ou rabibochage), et cette pauvre Quennie a la tête qui ressemble à une pastèque à cause du crabe. Elle meurt. [Fin SPOIL]. C’est bien ce que je craignais : le canard n’a pas eu ses trois pattes cassées.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Ce roman est, à mon très humble avis, un savant mélange de road (by feet) trip et de pèlerinage (merci la traduction foireuse de l’éditeur d’ailleurs) dans ce qu’il y a de religieux. Car Harold va souffrir le martyr, disons que son degré de préparation à un tel périple frise le zéro Kelvin. Ampoules, cloques, déchirures musculaires, pluie (normal, c’est le Royaume-Uni), rien n’arrête le vioque qui semble aussi têtu qu’un âne en culottes. Mais l’esprit est plus fort que la chair (le fameux pouvoir de suggestion), sans compter la galvanisation d’un pèlerinage qui commence à attirer l’attention des médias.

Presque naturellement, ce pèlerinage ne fait pas que raviver les douleurs physiques du bon Harold. Les souffrances psychiques ajoutent une dose correcte de sel à la vie d’un individu qui apparaît comme plus écorché que le lecteur l’aurait imaginé dans les premiers chapitres. C’est sans doute cela qui plaît dans ce roman au titre indécemment long : progressivement, nous entrons dans l’intimité d’une famille brisée, composée d’êtres qui n’ont plus rien à se dire (hélas à raison) et que seule une nouvelle expérience peut revigorer – non, il ne s’agit pas d’échangisme.

…à rapprocher de :

Il faut savoir que les années 2010 ont vu émerger ce que Le Tigre nomme les romans-de-petits-vieux-qui-décident-de-prendre-la-tangente, par exemple Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, de Jonas Jonasson (même punition, même motif : pas terminé).

– Sinon, Jernigan, de David Gates, est assez proche sur le thème du paternel qui est largué par sa progéniture.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce truc en ligne ici.

Simonetta Greggio - Les nouveaux monstres 1978-2014Depuis 1978, et après la douce période d’après-guerre, est arrivée en l’Italie la période des terrorismes et scandales autant financiers que moraux. Mafias, Église, État, les grandes organisations tiennent le pays sous leur coupe. Par une narration originale et multiple, l’écrivaine nous invite dans un univers terrifiant car réel. Pendant ce temps, le peuple victime se terre dans un silence assourdissant.

De quoi parle Les nouveaux monstres, et comment ?

Si cet ouvrage se présente comme un roman, force est d’avouer qu’il a tout d’un essai sur l’Italie. Certes, Simonetta G., qui écrit en Français, l’a voulu romancé – sans doute pour avoir plus de liberté d’écriture, voire se protéger. Mais la triste vérité est là : Le Tigre n’a aucune raison de douter de ce qu’elle écrit.

Les nouveaux monstres, ce n’est pas qu’un film de Mario Monicelli sur l’amoralité de la population italienne et sorti en 1978, c’est surtout, selon l’auteure, la période de violence et d’iniquité qui suit la Dolce Vita. L’Italie entre dans une ère où les mafias, certains ecclésiastiques et la presque intégralité des hommes politiquent fricotent allègrement. Avec, comme point d’orgue, l’inénarrable personnage qu’est Silvio Berlusconi. Ce dernier apparaît comme le résultat de décennies d’amoralité, le crocodile (un caïman, pour être plus précis) qui, par une curieuse alchimie, sera le chouchou des Italiens qui, décidément, ont perdu leur sens politique.

Simonetta Greggio ne s’est pas contentée de lâcher les anecdotes les plus déshonorantes sur les liaisons dangereuses (l’essai est, en partie, un échange de lettres) entre l’État italien et la criminalité de la péninsule. Elle a mis en scène Aria, jeune femme (à forte charge autobiographique) à la recherche de ses origines. Parallèlement à son enquête et ses articles de presse magnifiquement rédigés, des flashbacks avec le prêtre Saverio (son oncle), Viola (sa mère) et Santo (l’amant de Viola) donneront au lecteur une idée de la fébrilité qui agitait l’Italie de la fin des années 70. Toutefois, les liens entre ces trois derniers individus seront impitoyablement brisés par les grands mouvements de l’Histoire.

Concernant l’aspect « documentaire », l’auteure y va de ses références et produit un intense name droping avec lequel il est facile de se perdre. Par exemple, se souvenir que Vittorio Mangano, embauché dans les écuries de Berlusconi (en tant tête de pont de la mafia), est un ami intime de Marcello Dell’Utri, cofondateur de Forza Italia, devient difficile lorsqu’il y a une vingtaine de ce genre d’accointances. Toutefois, sous la plume plutôt fluide (trop douçâtre parfois) de l’auteur, cela prend la forme d’une balade dans une rivière maudite, voire un train fantôme où les scènes visualisées ont en commun le mal et l’horreur.

Vous l’aurez compris, c’est un ouvrage assez fort qui présente un des pays incontournables en Europe sous son pire jour, avec nombreux exemples à l’appui. Et cela tranche avec un délicieux vocabulaire de facture méditerranéenne aux consonances aromatiques, presque joyeux. Enfin, comme si ça ne suffisait pas, Simonetta nous livre un quadruple bonus dans les dernières pages : chronologie des évènements rapportés, bibliographie exhaustive (essais, films, etc.), notice biographique des protagonistes, et vocabulaire utilisé par la mafia.

Ce que Le Tigre a retenu

Ces nouveaux monstres, il y en a trop pour que je puisse vous rendre compte du quart du dixième de leur identité.

Tout d’abord, il y a les 3 000 attentats, entre 1978 et 1979, revendiqués par les Brigades rouges. Les plus connus restent l’attentat de la Piazza Fontana ou la capture d’Aldo Moro (Président du conseil) et son horrible assassinat. Sauf que, en cherchant bien, il s’est avéré que la plupart de ces actes n’ont été permis que grâce aux services secrets. Faire peur à la populace pour justifier une privation partielle de la liberté, avoir des agents provocateurs dans la place (à l’image d’un des protagonistes, mort trop jeune), voilà ce que peut être un pays qu’il faut absolument garder dans le giron occidental.

Ensuite, il y a le Vatican, notamment sa banque IOR qui a lavé plus blanc que blanc certains actifs de la mafia – Michele Sindona, banquier qui en a fait les frais. Le Saint-Siège en prend plein la gueule dans cet essai, il faut dire que les luttes d’alcôves n’ont rien à envier à un empire décadent où les empereurs même (ici, les papes successifs) ont des raisons d’avoir peur, voire de démissionner. Le cas de Benoït XVI après le scandale Vatileaks est édifiant. En rajoutant les liens du micro État avec la loge P2 (maçonnerie dérivée) dont faisait partie Dalla Chiesa (général qui a traqué les Brigades Rouges), il y a de quoi être perdu tellement personne ne semble « normal » dans les hautes sphères de la société.

En outre, il y a bien évidemment la mafia. Et c’est là que la théorie de Greggio est plutôt flippante : Cosa Nostra aurait les mêmes intérêts de l’État italien, et leurs dirigeants sont tellement proches qu’il devient impossible de faire la distinction entre ces deux entités. Celles-ci sont composées d’individus cyniques qui se servent d’abord le matin, écrasent les autres l’après-midi, et se signent religieusement à l’église le soir. A ce titre, le destin des juges Falcone et Borsallino, à l’origine du « Maxi-Procès » qui a failli décapiter la mafia, est révélateur des incuries d’un système qui alterne entre criminalité particulièrement honteuse et indifférence la plus choquante.

Enfin, et pour faire bonne mesure, l’auteure rajoute un type de monstre à l’américaine, à savoir l’unique serial killer qui a fait trembler la Botte. Le « Monstre de Florence », comme il est dénommé, a allègrement zigouillé une dizaine de couples qui s’envoyaient en l’air dans leurs voitures. L’affaire aurait pu être classique, toutefois les circonstances qui ont entouré les décès et les enquêtes policières sont tellement extravagantes qu’il y a matière à soupçonner que de grosses huiles étaient impliquées. Et, dans les pays corrompus, ceux qui sont dans le « Grande Gioco » (le grand jeu) n’ont que peu de chose à craindre.

Pour tenter de finir ce billet, je n’ai qu’un mot à la bouche : le dégoût. Je savais que le milieu interlope en Italie (voire Europe) était si bien implanté, mais le foutage de gueule vis-à-vis de la population est total. Ces hommes n’ont aucun honneur, sapent le pays depuis des décennies et n’hésitent pas à le polluer gravement pour leurs visions court-termistes – traitement des déchets à Naples par exemple. Pire que tout, les coupables semblent être ceux qui s’offusquent de ce bordel, on en vient à considérer qu’il est plus criminel de parler du crime que de le faire. Et si la population venait à découvrir la vérité à poil, cela finira forcément dans un bain de sang doublé d’une révolution.

…à rapprocher de :

– Ce roman semble être la suite de Dolce Vita 1959-1979, que j’aimerais bien lire [clin d’œil appuyé à l’éditeur là]

– Sur la pétée de titres présents dans la bibliographie, Le Tigre a rapidement repéré l’essai graphique La pieuvre, de Giffone, Longo et Parodi. Un peu long, mais quel boulot d’orfèvre.

Les Hommes du déshonneur, de Pino Arlacchi, est basé sur le témoignage d’un repenti. Ce bouquin traîne dans ma bibliothèque, et il faut avouer que le titre résume bien la situation.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cet essai en ligne ici.