Rien que pour ce blog, Le Tigre a pris le premier avion en partance vers le Proche-Orient afin de vérifier une théorie : on peut lire peinard dans la Mer Morte comme si on avait le cul dans un fauteuil en toile de Jouy. Voici le débriefing de la douloureuse expérience.
Qu’est-ce que la Mer Morte ?
La Mer Morte est une grosse étendue d’eau salée (qui tend à se rétrécir) assez proche de quelques lieux où le petit Jésus a mis une certaine ambiance. Quand je dis « salée », je suis loin de plaisanter. Pour faire simple, prenez un litre d’eau du robinet, et ajoutez plus de 250 grammes (un quart de kilo, vous lisez bien) de sel. Tentez de mélanger tout ça en secouant comme un parkinsonien, et voilà le résultat.
D’où l’adjectif « morte », car je ne saurais trop vous conseiller de mettre votre poisson rouge dans cette concoction de grand chef, ni la verser dans vos plantes aromatiques sournoisement cachées dans un placard équipé de votre garage. En outre, le sel ayant tendance à « aplanir » l’eau, avec le peu de vent qu’il y a dans ces contrées (qui sont en-deçà du niveau de la mer) on pourrait se croire face à un électrocardiogramme en 3D d’un macchabée.
Profitant d’une invitation à un colloque à Jérusalem sur le thème « Faut-il retirer la nationalité française à Maxime Chattam ? », Le Tigre a piqué un dromadaire (jeu de mots, attention, puisqu’un moustique porte ce nom) dans le quartier arménien. J’ai pu tracer vers l’Est en vue de faire le grand plongeon dans cette mystérieuse mer. D’ailleurs ce n’est pas conseillé, vos yeux pourront saigner des larmes pendant des heures et boire la tasse vous donne droit à un lavage d’estomac digne de la vidange d’une frégate La Fayette.
Comme je suis évidemment passé sur les bancs de Sciences-Po (disons que Tigre est plutôt passé sur un banc de thons de cette école, pour faire classe), le présent Sutra accusera la sempiternelle structure « thèse-antithèse-synthèse ». Bref, un plan en diptyque d’une triviale logique.
Avantages d’une baignade dans la Mer Morte
Premièrement, le plaisir de lire dans un état proche de la pesanteur. Le zéro G, c’est un peu le rêve de tous non ? Peut-être pas pour lire certes, mais que ceux qui ne se sont jamais demandés à quoi peut ressembler une fornication dans l’espace me jettent le premier caillot de sel. D’ailleurs, je me suis brièvement creusé la tête quant au titre de ce billet : celui-ci pourrait aussi bien être « lire sur la Mer Morte » vu qu’il est difficile de rester immergé au-dessus du nombril.
Bref, les premières minutes sont relativement bizarres : votre cerveau vous hurle presque que quelque chose ne tourne pas rond avec cette étendue d’eau, et puis on s’y fait. Le danger, en substance, est de s’y habituer : le retour à une gravité normale (un océan « classique » en somme) vous obligera à nager, ce que vous n’aurez sans doute plus intégré.
Deuxièmement, il faut convenir qu’en plus de lire, les avantages sont nombreux pour la peau. D’une part, la température élevée fait que vous pourriez rester des heures sans frissonner ni voir se développer ce que j’appelle la « graisse persistante ». D’autre part, cette eau excessivement salée a des vertus thérapeutiques pour les individus atteints de psoriasis et autres maladies pseudo-galeuses. Si en plus vous vous oignez de boue locale, alors vous ressortirez de l’immense lac avec la peau d’un chérubin que le bon Dieu en personne aurait tartiné de crème hydratante.
Chose amusante : comme la Mer Morte se situe à 400 mètres environ au-dessous du niveau de la mer (la vraie), les rayons du soleil y seraient moins violents. Ce n’est pas une raison pour se passer de crème solaire. Toutefois j’ai cru dénoter une sensible amélioration de mon bronzage qui, au lieu d’une teinte nectarine (virant sur le rouge tomate), a pris une tournure plus dorée, sinon chatoyante.
Troisièmement, et sans doute le plus important, la variété de positions pour s’adonner à la lecture. Pour ceux qui sont soucieux d’uniformément cramer des deux côtés, je vous annonce que c’est faisable ! La première position, classique, s’occupera du devant. Pour dorer son petit derrière, il suffit de se mettre sur le ventre. Voilà ce que ça donne :
Normalement, Le Tigre n’est pas du genre à poster des photos de sa petite personne en vacances, mais sur la position j’ai jugé cela fort utile. Concernant la seconde image, les lois de l’équilibre veulent que vous repliez les jambes vers le haut (le photographe de mode m’a salement coupé hélas), un peu comme une collégienne japonaise dans un hentai. En outre, faites bien attention à l’état de vos cervicales, même si vous saurez apprécier le travail sur les abdominaux.
Inconvénients à piquer une tête dans la Morte Mer
Premièrement, la chaleur suffocante. Plus de 35° à l’ombre, je ne sais pas combien en plein cagnard, pas un pet de vent,… : si comme Le Tigre vous avez une propension à transpirer de la tête vous verrez que c’est possible de suer à un débit proche du barrage hydraulique des Trois-Gorges. Qui dit transpiration, dit déshydratation. Donc au bout de 36 minutes j’ai perdu un bon galon de flotte, certes contrebalancé en buvant la contenu de la bouteille qui trempait à mes côtés. Mais bien évidemment celle-ci était à température ambiante. Un thé chaud sans le thé, voilà.
Pour ne rien arranger, il appert rapidement que l’eau chaude est insupportable. Trop, c’est trop. C’est comme si tous les écoliers de Jordanie, d’Israël et de Palestine, tenus au jus de mon auguste arrivée, s’étaient oubliés de bonheur en pissant de concert dans le gros lac. Merde, le but de se baigner, c’est se rafraîchir non ? Bah là c’est l’exact opposé. Au moins je n’étais pas tenté de tremper ma crinière dans l’eau.
Deuxièmement, les vapeurs de sel. Et oui. L’eau s’évapore à vitesse grand V et entraîne avec elle quelques doux cristaux de chlorure de sodium. Au début je pensais que la prose de Jane Austen me piquait les yeux (ce qui est normal me diriez-vous), mais à ce point ça en devenait inquiétant. L’erreur, à ce moment, est de se frotter les yeux avec les avants-bras trempés de sueurs. Je l’ai commise cinq fois.
Troisièmement, et indubitablement le pire, le problème de la bouffe locale. Quel rapport ? Laissez-moi vous conter une histoire que je n’aurai pas souhaité être mienne :
Le Tigre est fin gourmet et fait tout pour s’accommoder des us et coutumes culinaires des pays visités. Même les moins ragoutants, cœur affamé n’a point d’oreilles, d’yeux et de nez. Notamment lors de cette commande impulsive dans ce petit étal à viandes d’où sortaient des effluves que j’avais, par erreur, prises pour des senteurs d’épices. Non, le rognon semblait réellement provenir d’un bestiau contemporain de Ben Gourion. Comme un crétin j’ai demandé une cuisson « medium », insuffisante pour supprimer quelques bactéries qu’on retrouve habituellement dans les cimetières. En outre, le falafel de combat du petit-déj’ et les trois shots d’arak à 15h n’ont pas franchement aidé.
Tout ça pour dire que je connais tous les petits détails de toutes les portes de WC (même ceux des femmes) de l’auberge de jeunesse où j’avais brièvement posé mes pénates. Le tenancier, lors de ma quatrième visite de la journée dans les chiottes (qui, Buddha soit remercié, ne sont pas turques), m’a même proposé un abonnement et de l’imodium©. C’est donc avec les muqueuses à vif que je suis allé me baigner.
Inutile d’épiloguer, vous avez tous versé du sel dans une petite plaie pour me comprendre. La Mer Morte, cette garce, profite de toutes vos petites blessures pour s’y insinuer et rappeler, voire vous faire découvrir, qu’à tel ou tel endroit vous vous êtes éraflés. Déjà, je m’étais pas mal arraché la peau du bout des doigts pour avoir quelque chose de « sain » à manger. Cependant cette douleur n’est rien face au déferlement d’eau hyper-salée dans mon tigresque fondement.
Conclusion salée
Vous l’aurez compris, l’expérience n’est pas aussi géniale qu’on pourrait, de prime abord, se l’imaginer. A titre purement personnel, j’ai eu l’impression de faire trempette dans une mer qui ne voulait pas de moi. Eau bouillante, sel qui pique tous vos interstices endoloris, impossibilité de boire la tasse ou plonger, en fait la Mer Morte tend à rejeter tous les baigneurs s’y aventurant. Soyons clair : c’est du poison. Je n’ai pas su rester plus de 36 minutes. Pas mécontent qu’elle s’assèche (pour ceux qui ne me connaissent guère, je plaisante).
Circonstance aggravante, Le Tigre est un grand marin qui sévit principalement dans l’Océan atlantique. Celui-ci offre tout ce que je préfère : le grand large ; pouvoir s’éloigner à 200 mètres du bord tranquillement ; l’eau qui dépasse péniblement les 18° (tiens, comme le # Sutra !) ; la gestion des marées ; les vagues ; les grosses méduses inoffensives ; un peu de pétrole à récupérer gratuitement sur les galets, que du bonheur.
Quant au numéro du Sutra, la largeur maximale de la Mer Morte est de 18 kilomètres. Du moins à l’époque où j’ai tenté, pour toi lecteur, cette expérimentation. Mon royal séant va mieux, pas besoin de demander de ses nouvelles dans les commentaires.
Comme dirait Cartman, « la Mer Morte, ça troue le cul ! ».