Les Sutras du TigreRien que pour ce blog, Le Tigre a pris le premier avion en partance vers le Proche-Orient afin de vérifier une théorie : on peut lire peinard dans la Mer Morte comme si on avait le cul dans un fauteuil en toile de Jouy. Voici le débriefing de la douloureuse expérience.

Qu’est-ce que la Mer Morte ?

La Mer Morte est une grosse étendue d’eau salée (qui tend à se rétrécir) assez proche de quelques lieux où le petit Jésus a mis une certaine ambiance. Quand je dis « salée », je suis loin de plaisanter. Pour faire simple, prenez un litre d’eau du robinet, et ajoutez plus de 250 grammes (un quart de kilo, vous lisez bien) de sel. Tentez de mélanger tout ça en secouant comme un parkinsonien, et voilà le résultat.

D’où l’adjectif « morte », car je ne saurais trop vous conseiller de mettre votre poisson rouge dans cette concoction de grand chef, ni la verser dans vos plantes aromatiques sournoisement cachées dans un placard équipé de votre garage. En outre, le sel ayant tendance à « aplanir » l’eau, avec le peu de vent qu’il y a dans ces contrées (qui sont en-deçà du niveau de la mer) on pourrait se croire face à un électrocardiogramme en 3D d’un macchabée.

Profitant d’une invitation à un colloque à Jérusalem sur le thème « Faut-il retirer la nationalité française à Maxime Chattam ? », Le Tigre a piqué un dromadaire (jeu de mots, attention, puisqu’un moustique porte ce nom) dans le quartier arménien. J’ai pu tracer vers l’Est en vue de faire le grand plongeon dans cette mystérieuse mer. D’ailleurs ce n’est pas conseillé, vos yeux pourront saigner des larmes pendant des heures et boire la tasse vous donne droit à un lavage d’estomac digne de la vidange d’une frégate La Fayette.

Comme je suis évidemment passé sur les bancs de Sciences-Po (disons que Tigre est plutôt passé sur un banc de thons de cette école, pour faire classe), le présent Sutra accusera la sempiternelle structure « thèse-antithèse-synthèse ». Bref, un plan en diptyque d’une triviale logique.

Avantages d’une baignade dans la Mer Morte

Premièrement, le plaisir de lire dans un état proche de la pesanteur. Le zéro G, c’est un peu le rêve de tous non ? Peut-être pas pour lire certes, mais que ceux qui ne se sont jamais demandés à quoi peut ressembler une fornication dans l’espace me jettent le premier caillot de sel. D’ailleurs, je me suis brièvement creusé la tête quant au titre de ce billet : celui-ci pourrait aussi bien être « lire sur la Mer Morte » vu qu’il est difficile de rester immergé au-dessus du nombril.

Bref, les premières minutes sont relativement bizarres : votre cerveau vous hurle presque que quelque chose ne tourne pas rond avec cette étendue d’eau, et puis on s’y fait. Le danger, en substance, est de s’y habituer : le retour à une gravité normale (un océan « classique » en somme) vous obligera à nager, ce que vous n’aurez sans doute plus intégré.

Deuxièmement, il faut convenir qu’en plus de lire, les avantages sont nombreux pour la peau. D’une part, la température élevée fait que vous pourriez rester des heures sans frissonner ni voir se développer ce que j’appelle la « graisse persistante ». D’autre part, cette eau excessivement salée a des vertus thérapeutiques pour les individus atteints de psoriasis et autres maladies pseudo-galeuses. Si en plus vous vous oignez de boue locale, alors vous ressortirez de l’immense lac avec la peau d’un chérubin que le bon Dieu en personne aurait tartiné de crème hydratante.

Chose amusante : comme la Mer Morte se situe à 400 mètres environ au-dessous du niveau de la mer (la vraie), les rayons du soleil y seraient moins violents. Ce n’est pas une raison pour se passer de crème solaire. Toutefois j’ai cru dénoter une sensible amélioration de mon bronzage qui, au lieu d’une teinte nectarine (virant sur le rouge tomate), a pris une tournure plus dorée, sinon chatoyante.

Troisièmement, et sans doute le plus important, la variété de positions pour s’adonner à la lecture. Pour ceux qui sont soucieux d’uniformément cramer des deux côtés, je vous annonce que c’est faisable ! La première position, classique, s’occupera du devant. Pour dorer son petit derrière, il suffit de se mettre sur le ventre. Voilà ce que ça donne :

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Normalement, Le Tigre n’est pas du genre à poster des photos de sa petite personne en vacances, mais sur la position j’ai jugé cela fort utile. Concernant la seconde image, les lois de l’équilibre veulent que vous repliez les jambes vers le haut (le photographe de mode m’a salement coupé hélas), un peu comme une collégienne japonaise dans un hentai. En outre, faites bien attention à l’état de vos cervicales, même si vous saurez apprécier le travail sur les abdominaux.

Inconvénients à piquer une tête dans la Morte Mer

Premièrement, la chaleur suffocante. Plus de 35° à l’ombre, je ne sais pas combien en plein cagnard, pas un pet de vent,… : si comme Le Tigre vous avez une propension à transpirer de la tête vous verrez que c’est possible de suer à un débit proche du barrage hydraulique des Trois-Gorges. Qui dit transpiration, dit déshydratation. Donc au bout de 36 minutes j’ai perdu un bon galon de flotte, certes contrebalancé en buvant la contenu de la bouteille qui trempait à mes côtés. Mais bien évidemment celle-ci était à température ambiante. Un thé chaud sans le thé, voilà.

Pour ne rien arranger, il appert rapidement que l’eau chaude est insupportable. Trop, c’est trop. C’est comme si tous les écoliers de Jordanie, d’Israël et de Palestine, tenus au jus de mon auguste arrivée, s’étaient oubliés de bonheur en pissant de concert dans le gros lac. Merde, le but de se baigner, c’est se rafraîchir non ? Bah là c’est l’exact opposé. Au moins je n’étais pas tenté de tremper ma crinière dans l’eau.

Deuxièmement, les vapeurs de sel. Et oui. L’eau s’évapore à vitesse grand V et entraîne avec elle quelques doux cristaux de chlorure de sodium. Au début je pensais que la prose de Jane Austen me piquait les yeux (ce qui est normal me diriez-vous), mais à ce point ça en devenait inquiétant. L’erreur, à ce moment, est de se frotter les yeux avec les avants-bras trempés de sueurs. Je l’ai commise cinq fois.

Troisièmement, et indubitablement le pire, le problème de la bouffe locale. Quel rapport ? Laissez-moi vous conter une histoire que je n’aurai pas souhaité être mienne :

Le Tigre est fin gourmet et fait tout pour s’accommoder des us et coutumes culinaires des pays visités. Même les moins ragoutants, cœur affamé n’a point d’oreilles, d’yeux et de nez. Notamment lors de cette commande impulsive dans ce petit étal à viandes d’où sortaient des effluves que j’avais, par erreur, prises pour des senteurs d’épices. Non, le rognon semblait réellement provenir d’un bestiau contemporain de Ben Gourion. Comme un crétin j’ai demandé une cuisson « medium », insuffisante pour supprimer quelques bactéries qu’on retrouve habituellement dans les cimetières. En outre, le falafel de combat du petit-déj’ et les trois shots d’arak à 15h n’ont pas franchement aidé.

Tout ça pour dire que je connais tous les petits détails de toutes les portes de WC (même ceux des femmes) de l’auberge de jeunesse où j’avais brièvement posé mes pénates. Le tenancier, lors de ma quatrième visite de la journée dans les chiottes (qui, Buddha soit remercié, ne sont pas turques), m’a même proposé un abonnement et de l’imodium©. C’est donc avec les muqueuses à vif que je suis allé me baigner.

Inutile d’épiloguer, vous avez tous versé du sel dans une petite plaie pour me comprendre. La Mer Morte, cette garce, profite de toutes vos petites blessures pour s’y insinuer et rappeler, voire vous faire découvrir, qu’à tel ou tel endroit vous vous êtes éraflés. Déjà, je m’étais pas mal arraché la peau du bout des doigts pour avoir quelque chose de « sain » à manger. Cependant cette douleur n’est rien face au déferlement d’eau hyper-salée dans mon tigresque fondement.

Conclusion salée

Vous l’aurez compris, l’expérience n’est pas aussi géniale qu’on pourrait, de prime abord, se l’imaginer. A titre purement personnel, j’ai eu l’impression de faire trempette dans une mer qui ne voulait pas de moi. Eau bouillante, sel qui pique tous vos interstices endoloris, impossibilité de boire la tasse ou plonger, en fait la Mer Morte tend à rejeter tous les baigneurs s’y aventurant. Soyons clair : c’est du poison. Je n’ai pas su rester plus de 36 minutes. Pas mécontent qu’elle s’assèche (pour ceux qui ne me connaissent guère, je plaisante).

Circonstance aggravante, Le Tigre est un grand marin qui sévit principalement dans l’Océan atlantique. Celui-ci offre tout ce que je préfère : le grand large ; pouvoir s’éloigner à 200 mètres du bord tranquillement ; l’eau qui dépasse péniblement les 18° (tiens, comme le # Sutra !) ; la gestion des marées ; les vagues ; les grosses méduses inoffensives ; un peu de pétrole à récupérer gratuitement sur les galets, que du bonheur.

Quant au numéro du Sutra, la largeur maximale de la Mer Morte est de 18 kilomètres. Du moins à l’époque où j’ai tenté, pour toi lecteur, cette expérimentation. Mon royal séant va mieux, pas besoin de demander de ses nouvelles dans les commentaires.

Comme dirait Cartman, « la Mer Morte, ça troue le cul ! ».

Jim Fergus - Mille femmes blanchesVO : One Thousand White Women: The Journals of May Dodd. Des dizaines de nanas envoyées dans les Black Hills pour tisser le lien entre le peuple rouge et les Amerloques, l’apprentissage difficile d’une nouvelle vie, les vilains Blancs qui veulent récupérer la terre blindée d’or, assez plaisant. Mais pas assez, la narratrice m’a cassé plus d’une fois les cou… euh pattes.

Il était une fois…

Vers l’année 1874, le père Grant (el presidente US de l’époque) reçoit dans ses apparts le puissant chef indien Little Wolf. Celui-ci lui propose un marché assez fandard : « je te donne 1.000 chevaux, tu me donnes autant de femmes blanches ». Marché apparemment conclu, et y’a quelques nanas volontaires. Les autres, on les tire notamment d’asiles psychiatriques. Dont May Dodd, plutôt mignonne, qui va en moins de deux devenir une des épouses du grand chef.

[contrairement à ce que propose le quatrième de couverture, il ne sera guère question des ravages de l’alcool au sein de la communauté indienne. A peine une soirée de cuite mémorable où on s’aperçoit que les peaux rouges ne tiennent vraiment pas le whisky]

Critique de Mille femmes blanches

Avant de colporter d’infamantes rumeurs sur l’Oncle Sam, ce roman est une fiction. Il y a du certes avoir un RDV entre les boss des deux civilisations se partageant le continent, mais il n’a jamais été question d’un tel échange. Ni d’un quelconque programme FBI (rien à voir avec les flics fédéraux). Et à partir d’un fait divers, reconnaissons à Jimmy Fergus une belle imagination.

L’héroïne, narratrice de surcroît, fut envoyée dans un asile pour avoir trop aimé : passionnée, elle a préféré s’acoquiner avec un gossbeau plutôt que suivre la voix que devrait normalement choisir une femme de son époque. Séparée de ses deux gosses, May a presque fait le forcing pour se joindre à l’aventure. Et quelle épopée ! Une année à la fois magnifique et terrible avec les Cherokees, fascinant peuple nomade. Ces protagonistes prendront plus vite forme dans l’esprit du lecteur que les camarades de May dont on oublie vite le nom.

Comme le titre en anglais l’indique, l’œuvre est présentée sous la forme d’un journal, séparé en quelques carnets (miraculeusement retrouvés par le second prêtre) qui font office de partie. Ça aurait pu le faire, cependant si le style ne m’a pas emballé : description correctes, vocabulaire riche (avec un mini dico en fin de bouquin) ; mais beaucoup de remarques de la May sont inutiles, sinon horripilantes. Soit l’auteur a trop versé dans le naïf et émotionnel, soit ce dernier voulait montrer que l’asile lui a grillé plus d’un neurone.

Au final, Le Tigre n’était pas loin d’en avoir marre (le passage du missionnaire protestant enculant des petits Indiens n’ayant éveillé qu’un vague froncement de sourcil) lorsque les derniers chapitres m’ont un peu réveillé : la fin est, sans spoiler, d’une brutalité extrême. A la limite ça a sauvé le roman, j’ai presque honte de le reconnaître.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Forcément, je vais vous entretenir des Indiens d’Amérique. Mais uniquement des Cherokees, car à part leurs ennemis Crows (qui sont de beaux salauds) on ne voit rien d’autre. C’est tout le problème de ce peuple, puisqu’il n’en est pas un. Langues, us et coutumes, croyances, en fait ils n’étaient pas prêts de s’unir. Bien entendu les Européens vont se régaler à les monter les uns contre les autres. La philosophie générale (plutôt bien expliquée vers la fin) est relative à l’acceptation de ce que la terre offre et comment se fondre dedans, contrairement aux comportements et constructions des Blancs qui tendent à se protéger de tout excès de dame nature.

La place des femmes dans la société. Faut savoir que ces futures épouses sont destinées à enfanter. Leurs chiards, Blancs selon les Cherokees mais élevés chez eux, seraient alors susceptibles d’intégrer cette ethnie dans les États-Unis d’Amérique. Très subsidiairement, l’héroïne lance quelques pavés dans la marre : prise de parole intempestive pendant qu’on clope le calumet, fabrication d’une tente à sudation réservée aux femmes, et tant d’autres. Un esprit libre et rafraichissant. Enfin, sans l’influence de May et ses potes (la grosse Bertha, etc.) les derniers passages aurait pu bien plus mal se terminer. Même si le sang est au final au rendez-vous.

…à rapprocher de :

– Sur la misère du peuple indien, un bon siècle après, je vous propose de lire Le sabot du diable, de Kem Nunn. Un must.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman via Amazon ici.

Sébastien Japrisot - Compartiment tueursLe Tigre n’a pas beaucoup lu de Japrisot, anagramme de Jean-Baptiste Rossi, aussi il est dur d’avoir une opinion sur le personnage. Disons que c’est bon, peut-être trop exigeant sur certains aspects, mais la singularité de cette enquête policière vaut bien le coup d’œil. Sans doute que le décalage générationnel est trop prégnant.

Il était une fois…

Le quatrième de couv’ m’a paru plus que léger, c’est plutôt dommage. Voici donc le mien :

A l’arrivée d’un train-couchettes qui faisait un Marseille-Paris, une femme est retrouvée morte étranglée près de sa couchette. Les flics sont sur le coup, notamment Grazianni (dont les gens ont du mal à se souvenir du blaze) et ses collègues qui sont correctement largués. Car, pour ne rien arranger, les passagers du même compartiment sont un à un assassinés dans tout Paname. Quel est donc l’origine de ce sanglant bordel ?

Critique de Compartiment tueurs

Tout cela avait si bien démarré, je ne pensais pas pouvoir me régaler à une telle vitesse avec un vieux (enfin c’est relatif) polar bien de chez nous. C’est surtout le style qui m’a bluffé, puisque à chaque nouveau chapitre, le lecteur basculera entre une narration omnisciente et celle d’un point de vue d’un des protagonistes (ce dernier avalant souvent son bulletin de naissance).

L’histoire commence sagement (si vous me permettez l’expression), en mode « pépère gaulliste » qui prend son temps. Une nana étranglée, quoi de plus normal ? Sauf quand le mystérieux tueur est plus rapide à trouver les autres voyageurs du même compartiment que ces boulets de poulets (rime très riche), à ce moment les ennuis s’amoncèlent.

Hélas, vingt fois hélas, la résolution de l’énigme m’a laissé de froid. Dans une veine complotiste à la « inside job » mais qui part rapidement en quenouille à cause d’un élément non anticipé, j’avoue n’avoir pas compris grand chose au final. Notamment la belle Bambi et le jeune bellâtre dont on se demande ce qu’ils peuvent manigancer, disons que ça m’a semblé sur-tiré par les cheveux.

Peu de partitions dans l’œuvre (une par couchette, le tout encadré par deux chapitres), finalement j’ai bien mis trois grasses heures à terminer ce truc. Surtout les dernières pages qui m’ont obligé à faire quelques retours en arrière. J’ai beau avoir relu le début, le fin mot de l’histoire ne m’a vraiment pas paru évident.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Séb Jap’ profite de ce titre pour dresser un portrait plus vrai que nature de la France des années 60. Les méthodes policières, déjà. Mais je pense surtout aux multi points de vue offerts qui nous laissent entrevoir les pensées, donc l’état d’esprit, de différents individus d’horizons variés : le cadre moyen célibataire et loser sur les bords, la vieille fille qui se remémore ses vieilles amours (à ce titre, première fois que je lis le terme « bébé cadum » dans un roman) ; la jeune femme qui débarque de sa province avec plein de paillettes dans la tête, etc.

Grâce à ce voyage dans le cerveau des contemporains de Japrisot, ce dernier en profite pour nous présenter un aspect saisissant de la misère humaine de cette époque. Nos amis ont certes un boulot, toutefois tout est loin d’être rose dans leur vie. Le pauvre Cabourg, par exemple, à la vie sentimentale aussi sèche que le gosier du Tigre un lendemain de bal des pompiers, m’en a touché une. Et que dire de Darrès, au passé si pétillant, qui se perd en conjectures et a une dent contre les minets qui lui ont trop souvent brisé le cœur ? Leur quotidien est d’autant plus triste qu’on accompagnera ces morts en sursis jusqu’à la dernière seconde.

…à rapprocher de :

– Ce roman a eu tellement de succès que quelques années à peine après sa sortie, un film est sorti (1965). Avec la mère Signoret et Yvon Montand, s’il vous plaît.

– Du même auteur, l’enquête (pas policière) de l’héroïne d’Un long dimanche de fiançailles a l’air correct. Le film l’est, en tout cas.

Le crime de l’Orient express est bien mieux ficelé question intrigue. Mais il y a quelques ressemblances.

– Quitte à sucer la roue du hors sujet le plus complet, ça me rappelle (de loin) un roman de Blandine Le Callet, où à chaque chapitre un nouveau narrateur livre sa vision. C’est Une pièce montée, si ça vous intéresse (ce n’est pas un polar du tout).

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Eric-Emmanuel Schmitt - MilarepaSchmitt nous parle du bouddhisme, du pardon et du cycle incessant des renaissances des âmes en suivant deux protagonistes au fabuleux destin. Avec un mélange Occident / Orient de bon aloi. Hélas, Milarepa n’est pas entièrement à la hauteur d’autres romans de cet auteur à succès : imprécis, un peu trop court, bref ce n’est pas le grand pied cultuel.

Il était une fois…

Allez zou, Fric-Manu Schmitt me pardonnera si je laisse le quatrième de couv’ :

« Simon fait chaque nuit le même rêve dont une femme énigmatique lui livre la clef : il est la réincarnation de l’oncle de Milarepa, le célèbre ermite tibétain du XIe siècle qui vouait à son neveu une haine inexpiable. Pour sortir du cycle des renaissances, Simon doit raconter l’histoire des deux hommes, s’identifiant à eux au point de confondre leur identité à la sienne. »

Critique de Milarepa

On poursuit dans le cycle de l’invisible, le doux nom donné par Eric-Emmanuel S. pour ses romans courts (et souvent bons) relatifs à toute ce qui touche aux religions (cf. infra). Dans notre cas, c’est le bouddhisme (de facture tibétaine) qui est à l’honneur.

L’histoire est plutôt alambiquée et Le Tigre, deux ans après l’avoir lu, est à peine étonné de ne se rappeler des différentes péripéties. Il faut juste savoir que Simon sent que son esprit partir en quenouille lorsqu’il fait le rêve où il est Svastika, oncle d’un certain Milarepa. Or ce dernier personnage n’est autre qu’un illustre yogi tibétain qui a énormément apporté à la religion.

Eric-Manu S. a tenté de faire un sorte de conte des terribles aventures des deux (voire trois) protagonistes. Simon livre soi-même une histoire tandis que sa vie personnelle prend un nouveau tournant, ce qui peut conduire à quelques pages pas évidentes à suivre (rare chez cet auteur). Le roman est certes court, toutefois quelques passages ne m’ont pas vraiment paru nécessaires (ne me demandez pas lesquels, je les ai virés de mon cerveau).

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le bouddhisme est au centre de l’œuvre, cependant en moins de 100 pages ne vous attendez pas à une thèse sur cet « art de vivre » oriental. Plutôt quelques aspects (la réincarnation, le pardon, le cycle des renaissances) que l’auteur a pompés en vue de faire un roman correct. Toutefois, pour avoir longtemps (bon, le temps d’un semestre en Asie) étudié le bouddhisme tendance theravada, il faut avouer que la beauté de cette croyance et les potentialités qu’elle recouvre sont relativement bien rendues.

Schmitt en profite également pour tenter d’instiller le doute dans notre esprit comme il l’avait fait avec La secte des Egoïstes : à quel point peut-on créer son propre monde qui diverge de la réalité ? J’avoue que l’auteur m’a envoyé un peu de rêve en montrant à quel point le travail produit par l’esprit peut être infini. Si La secte des Egoïstes poursuit le raisonnement jusqu’à un presque absurde, dans Milarepa le lecteur se rapproche de quelque chose de plus « acceptable » et moins onirique.

…à rapprocher de :

– D’Eric-Manu S., il faut rapprocher ce roman des autres qui font partie du Cycle de l’invisible (sur les religions) : Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran, Oscar et la Dame rose, L’Enfant de Noé, Le Sumo qui ne pouvait pas grossir, Les Dix Enfants que madame Ming n’a jamais eus.

– Tigre a plus kiffé, du même auteur, les géniaux La Part de l’autre et La Secte des égoïstes et quelques unes de ses pièces de théâtre. Ou L’évangile selon Pilate, sur le christianisme.

– Pour se « former » un peu plus sur le bouddhisme, tibétain de surcroît, il peut être utile de lire Le Troisième Œil, de Lobsang Rampa.

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Delphine de Vigan - No et moiBien renseigné, agréablement écrit, fort rapide à lire, disons que ça passe comme bouquin. La touchante rencontre entre une jeune femme SDF et une ado en avance sur son âge en émouvra plus d’un tandis que d’autres trouveront la matière littéraire un peu faible (longueur du roman oblige). Pas le meilleur de cette écrivaine, mais pas le pire.

Il était une fois…

Lou est une jeune fille lycéenne surdouée et très mature pour son âge. Faut dire que sa vie l’a obligée à grandir vite, entre une mère qui ne surmonte pas le décès brutal d’un bébé il y a quelques années et un père certes aimant mais très occupé. Un beau jour, le prof’ de français demande à sa classe de faire un exposé. Et Lou choisit tout à trac de parler des SDF femmes. Dans le cadre de ses recherches, elle rencontre alors No (pour Nolwenn), tout juste majeure, qui essaie de garder la tête hors de l’eau. L’aventure peut commencer…

Critique de No et moi

Bon, faut avouer que ce n’est pas l’ultime roman de la décennie. Néanmoins, sur la plage ou en attendant le train de 17h35 qui vous mènera à votre domicile, No et moi fera parfaitement l’affaire. Au passage, léger coup de gueule contre le titre qui aurait pu être éventuellement mieux pensé.

Sur la suite de l’histoire, je vous laisse imaginer l’intrigue qui reste assez prévisible : entre Nolwenn et la narratrice, une certaine amitié et solidarité naîtront entre les deux filles que quelques années à peine séparent. No s’installe chez Lou et ses vieux, se refait vite fait bien fait une santé, trouve un boulot, avant d’être reprise par quelques vieux démons. Tout ce petit monde se perd ou se retrouve, avec comme fil d’Ariane les parents de Lou dont le comportement change grâce à la présence de No.

Sur le style, la mère de Vigan (tu permets, Delphine ?) a pris le pari risqué de pondre un style tel qu’une gamine de 13 ans (très mature certes) aurait pu coucher sur papier. Et là, Le Tigre n’a pas été trop déçu par cette contrainte assez bien gérée. En prime, les chapitres et paragraphes sont aussi nombreux que dans un roman destiné à la jeunesse, facilitant de facto la lecture.

En conclusion, voici une œuvre tendre mais souvent pessimiste sur la solitude dans les grands ensembles (ici, la capitale française) et les paramètres qui font qu’il est possible de songer à une autre vie : le milieu social d’origine, la présence (ou non) de parents ou d’amis, etc. Mais pas sûr que je me souvienne de tout dans un an.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Les sans-abris. Je soupçonne la belle Delphine DV de s’être correctement documentée avant d’aborder un sujet si sensible. Nouvelle chance à ceux que la vie a malmenés, souvent un mix à doses variables entre alcool, licenciement/chômage, rupture familiale (dans le désordre), hauts et bas de cette éprouvante condition. En fait Le Tigre a cru retrouver dans ce titre quelques réflexions poussées et justes. Après, mon expérience dans ce domaine ne reste que littéraire, c’est le pur néophyte qui parle.

Parallèlement, il appert qu’en arriver à vivre dans les rues est souvent lié à la perte de proches (que ceux-ci décèdent ou vous abandonnent). On ne se dit pas du jour au lendemain « ça y est, je suis dans la dèche la plus totale », ça arrive progressivement. Comme la drogue. Et le manque de l’être cher se retrouve également dans la famille de Lou, en l’espèce la mère qui a perdu un de ses enfants en bas âge. L’auteure m’a semblé faire un subtil parallèle entre No à qui il manque une mère, et Lou qui grâce à la jeune SDF retrouve, à plus ou moins loin terme, la mère qui était grandement absente. Presque du glurge.

…à rapprocher de :

– De cette auteure, Tigre a bien aimé Les heures souterraines mais est resté pantois face à Un soir de décembre.

– Dans la catégorie « vagabondage et pauvreté extrême », je vous conseille de lire plutôt le bon McLiam Wilson et son Ripley Bogle. Une tuerie.

– Un film a été tiré de ce truc. Et comme un bon glandu, l’éditeur a cru bon changer la couverture du livre pour la faire correspondre à celle du film. Ne lisent-ils donc pas mes Sutras ?

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Romain Gary - Au-delà de cette limite votre billet n’est plus valableTitre long et sans appel, œuvre relativement courte mais dense,  sujet sensible admirablement traité, en fait il n’y a pas vraiment d’excuses pour passer à côté de Romain Gary. En parlant de l’impuissance virile avant l’apparition d’une petite pilule bleue, l’auteur a su faire simple, tendre et juste.

Il était une fois…

Le quatrième de couv’ est plus que correct, ce serait dommage de ne pas le reproduire :

« Jacques Rainier, cinquante-neuf ans, industriel, est aux prises avec des difficultés en affaires au moment où sa liaison avec une jeune Brésilienne le rend très heureux. À la suite des confidences angoissées d’un ami obsédé par le mythe de la virilité, la peur du déclin sexuel s’insinue en lui, l’envahit, le détruit, ne le quitte plus.En osant s’attaquer à un sujet tabou, Gary a soulevé un débat passionné, qui a connu un grand retentissement. Mais son livre cru et dur, dominé par un humour amer, reste aussi un roman d’amour plein de tendresse. »

Critique d’Au-delà de cette limite votre billet n’est plus valable

Déjà un bon bout de temps que j’ai lu ce roman, et pourtant le souvenir reste quasiment intact. La situation du vieux Rainier, qui a de frustrantes difficultés à honorer la jeune Laura, bandante Brésilienne de son état, serait presque universelle si la médecine n’avait pas fait tant de progrès depuis les années 70 (merci Pfizer).

Romain Gary aborde ici un sujet qui, de prime abord, ne touche qu’une frange bien précise de la population (les hommes de plus de soixante berges) et qui semble en outre s’intéresser qu’à un unique point négatif de la vieillesse. Toutefois l’auteur français a choisi d’uniquement s’occuper de la « mâle attitude » grâce à un narrateur obnubilé par le déclin de son vit. Il le reconnaît certes, mais en ferait presque une affaire d’état (exemple page 117 il me semble) :

Ah ! l’affaire d’homme ! dit-il presque tendrement. Les endroits où l’homme place son honneur, c’est incroyable… Les couilles devraient pousser sur la tête, comme une couronne…

« Tendrement ». L’adjectif est lâché. Car grâce à un style plein d’auto-dérision, et de tendresse douce-amère, l’auteur va au-delà du sujet et parvient à intéresser un public bien plus large, pour preuve quelques amies du Tigre qui ont apprécié la lecture de cet ouvrage. Pourtant, avec un nombre de chapitres plutôt restreint et une écriture fournie, il y a souvent de quoi avoir envie de terminer Au-delà de cette limite…

Pour conclure, la métaphore du titre ne fait qu’annoncer une écriture plaisante et touchante, agrémentée de quelques passages un poil politiquement incorrects sur les petits Arabes « à tête de futurs balayeurs » du quartier de la Goutte d’or. Le narrateur fait ce qu’il peut pour oublier son état, quitte à s’oublier un peu dans le vocable utilisé.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’impuissance masculine est donc profondément (sans jeu de mots relatif à la prostate) traitée dans ce roman. La souffrance psychologique du protagoniste principal est intense et ce dernier tente tout pour y remédier. Bains relativement inefficaces, suivi médical complet, trempage de couilles dans le potage (ou quelque chose dans ce genre), Jacques ne laisse rien de côté. Plus grave encore, il ira jusqu’à imaginer de virils inconnus (étrangers de préférence) sautant sa petite amie pour donner un peu de contenance à son instrument.

Corolaire de l’impuissance, il y a l’amour contrarié par la diminution physique du héros. Comment espérer la réciproque amoureuse lorsqu’on n’aime pas ce qu’on devient ? Le papi est d’autant plus touchant qu’il bascule dans le glauque pour régler sa situation préoccupante. Notamment préférer quitter l’amour de sa vie, voire se suicider, plutôt que d’accepter de ne plus être à la hauteur de ses propres exigences. Laura aura beau montrer à quel point le sexe n’est pas tout, le sexagénaire ne l’entendra pas de cette oreille.

…à rapprocher de :

– De Gary, il ne faut pas passer à côté des Racines du ciel ou La vie devant soi (écrit sous pseudonyme). La Promesse De L’Aube, Les Cerfs-Volants, Clair de Femme, même constat – même si je ne les ai pas lus.

– Un film canadien éponyme, sorti au début des années 80, est également à signaler. Je ne l’ai hélas pas vu.

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Michel Rabagliati - Paul à QuébecEncore une jolie claque d’émotion livrée par l’auteur québecois qui accumule les honneurs sur QLTL. Rabagliati joue dans plusieurs registres avec une certaine maestria : humoristique, touchante, sobre et parfois dure, cette BD se dévore comme une madeleine canadienne de Proust.

Il était une fois…

A la fin des années 90, Paul passe quelques week-ends chez sa belle-famille. Chacun en profite pour refluer ses souvenirs d’enfance, cependant les temps heureux ne sont plus. En effet, Roland, le père de Lucie (épouse de Paul), a un léger problème à la prostate. Ce pépin de santé s’aggrave rapidement, si bien qu’il reste trois mois à vivre au vieil (pas tant que ça) homme. Entre un déménagement dans une maison coquette et les allers-retours pour rendre visite au malade, la famille est sous tension.

Critique de Paul à Québec

Tigre ne se lasse pas de cet illustrateur et de sa saga « paulesque » qui valent vraiment le coup d’œil. Ce doit être le sixième album des aventures de Paul, qui d’ailleurs a été primé à Angoulême au début des années 2000 (entre autre). On n’est encore pas loin du somptueux (quand est-ce que je pourrais lire un titre mauvais de cet auteur ?).

Paul est un père de famille heureux qui travaille en tant qu’illustrateur / graphiste ayant parfois quelques soucis avec la chose numérique : la quête pour avoir une connexion internet est d’un ravissement qui n’est pas sans rappeler un des douze travaux d’Astérix. Plus sérieusement, lors d’un séjour chez beau-papa au cours duquel l’ambiance bat son plein (nombreuses interventions des protagonistes relatives au Québec libre, d’où le titre ?), le protagoniste principal remarque une sorte de tatouage sur le ventre de ce premier. Il s’agit de marqueurs pour une opération de la prostate qui hélas ne parvient pas à contenir un cancer plus généralisé.

A partir de là (seconde moitié du roman), Michel R. va « sauter » de mois en mois, puis de jours en jours pour que le lecteur accompagne les trois derniers mois de Roland. On aurait pu craindre quelque chose de mièvre et larmoyant, mais à part les dernières scènes au pathos puissant le tout reste sans grosse prise de tête. Le vieil homme est admis dans une maison spécialisée et on profitera des dernières semaines pour en savoir plus sur cet homme et les relations qu’il entretient avec la famille.

Style toujours aussi fluide ; phrasé québecois truculent (par rapport au français de métropole) ; noir et blanc efficace avec quelques belles planches (évolution de l’architecture, faciès des personnages) ; éclectisme narratif (pas mal de sujets sont traités en fin de compte), voilà autant de raisons pour donner la meilleure note à ce roman graphique de grande noblesse.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La gestion de la maladie est centrale dans cette œuvre, et ce qu’on y voit est plutôt intelligent. D’abord Roland a la chance d’être admis dans une « maison de soins palliatifs », ce qui correspond pour lui à un vulgaire mouroir. Mais quelques maladresses du patient (par rapport auxquelles il est sévèrement tancé) plus tard, l’homme est apaisé et accepte son état. Ensuite, il en profite pour présenter le meilleur de lui-même (Paul peut enfin le tutoyer, détail pas si insignifiant) et laisser quelques souvenirs (cf. infra) de son existence. Comprenez que j’étais presque à écraser une larme naissante à la fin. Quant à l’euthanasie active, c’est à mon sens un thème trop sensible pour le glisser dans un tel billet.

Pour finir, Tigre a eu l’occasion de repérer ici et là quelques problématiques liées au décalage de génération. Déjà, l’évolution en quelques décennies de l’existence des habitants est surprenante (les dessins « avant/après » de Rabagliati aidant). Mais surtout, Roland décrit à Paul (donc au lecteur) quelques tranches de sa vie. Et la jeunesse de cet individu est infiniment triste, disons qu’avec un tel père il était mal parti. Il a dû s’élever par sa volonté et sa niaque, tout en ayant une vie de famille heureuse. Car c’est là le plus beau : le mourant n’a jamais eu besoin de se justifier ni se rendre sympathique, la manière dont il a « cassé » le cercle vicieux de l’éducation parents/enfants suffit.

…à rapprocher de :

– Rabagliati a une jolie collection avec le fort sympathique Paul : Paul à la campagne, Paul a un travail d’été, Paul en appartement, Paul dans le métro, Paul à la pêche, Paul au parc, Paul dans le Nord. Pour l’instant.

– La gestion de la fin de vie, l’euthanasie mûrement réfléchie, le Canada, le torrent de larmes à la fin du roman graphique, merde ce serait presque le film Les Invasions barbares, de Denys Arcand et avec le sémillant Stéphane Rousseau.

– Tigre se répète, mais visuellement on n’est pas loin de Guy Delisle (notamment Shenzhen, lorsque le héros s’énerve).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cet illustré en ligne ici.

DodécaTora« Tigre tout-puissant, j’aime me taper quelques bonnes séances de rigolades littéraires histoire d’oublier à quel point notre monde est chiant. Je veux du frais, du rieur, de l’impertinent mais pertinent. Bref, si tu avais dans ta botte quelques titres magiques pour me retourner le cerveau, ce ne serait pas de trop. Keep going good business. Jean-Claude V. »

Douze bouquins acides et lucides

Anticiper : prendre les devants. Social : relatif à la société, à l’état des mœurs. J’avoue préférer le terme de « anticipation sociétale » (dans les deux cas, je dirai « AS »), plus large et dont le « t » final claque encore plus aux oreilles. Pour faire simple, l’AS est un courant littéraire particulier où les maîtres mots semblent bien être : originalité, richesse de narration, déconne et twists finaux assez déconcertants.

Plus sérieusement, avec de tels titres vous ne serez jamais loin de lire une sorte de contre-utopie dans laquelle les défauts de nos sociétés seront allègrement exacerbés. C’est la dystopie. De même, il n’est pas impossible que la SF (voire le fantastique) fasse une entrée dans le scénario. Dans tous les cas, on se prend à sérieusement plaindre les protagonistes qui en prennent plein la gueule, et ce pour notre plus grand plaisir. Soumission ou révolte, les grandes catastrophes (individuelles ou à l’échelle du monde) sont au rendez-vous.

Le Tigre préfère vous le dire tout de suite : même si j’adore ce style de littérature, je ne tourne qu’avec une dizaine d’auteurs, pas plus. Je me doute qu’il y en a d’autres qui se baladent dans la nature et sont prêts à me ravir avec leur prose, je ne demande qu’à les connaître. En outre, si j’ai essayé de mettre quelques Français dans le lot, faut reconnaître que ce sont les anglo-saxons qui sont à la pointe du mouvement. Et je ne vois pas d’autres nationalités (sauf exception). Si Le Tigre était né (en 17, pourquoi pas) à Leidestadt, forcément j’aurais fait péter les références teutonnes.

L’éclectisme, quitte à confiner au tourisme, voilà mon motto.

Tora ! Tora ! Tora ! (x4)

1/ Chuck Palahniuk – Fight Club

C’est un peu LA base de l’anticipation sociale. Sans le film éponyme, le roman serait peut-être resté relativement confidentiel. Schizophrénie, groupes de soutien (qu’on retrouve dans Choke), addictions, folie, tout est là. Surtout l’ultime révélation qui nous oblige à relire le bouquin. Pour ma part, ce n’est pas ce titre qui m’a fait découvrir cet auteur américain dont je ne rate aucune sortie.

2/ Will Self – Vice-versa

Grand auteur anglais d’anticipation sociale, j’ai choisi pour vous deux nouvelles qui sauront vous concocter un second trou de balle. La condition humaine désopilante sous l’angle de la sexualité, deux titres qui se renvoient la balle dans une explosion de cocasserie, il y a de quoi bien se marrer.

3/ Martin Amis – Chien Jaune

Encore un Anglais, incontournable de surcroît. Ce gross pavé est la quintessence de ce qu’Amis peut faire de pire. Et oui, je ne suis pas parvenu à aller jusqu’au bout : entre les scandales pornos chics de la royauté du Royaume-Uni et quelques considérations sur le consumérisme sexuel, ça part définitivement dans tous les sens. A lire en anglais, de préférence.

4/ J. G. Ballard – Sauvagerie

Ballard, décédé trop tôt, était un grand malade. Science-fiction d’envergure (Le monde englouti par exemple) ou roman déroutant et glauque (Crash en particulier), le monsieur bouffe dans tous les râteliers. Avec Sauvagerie, l’écrivain anglais montre ce qu’une société hyper surveillée (par les caméras) serait en mesure de créer comme dégueulasserie. Glaçant.

5/ Michel Houellebecq – La possibilité d’une île

C’est français môssieur ! Oui, bien de chez nous ! Houellebecq a fait fort avec une œuvre en deux parties : d’une part, il décrit le quotidien d’un auteur à succès (mise en abyme ?) complètement largué (c’est-à-dire vieillissant) dans le monde contemporain. D’autre part, le futur fait montre de quelques références obscures où le transhumanisme se dispute à la perte de l’élan vital de l’humanité. Plutôt long et souvent contemplatif, Tigre en est sorti grandement déprimé.

6/ Thibault Lang-Willar – Un fauteuil pneumatique rose au milieu d’une forêt de conifères

Rien qu’avec un titre pareil, on se doute que ça peut envoyer du pâté. En effet, Thibault s’est réellement fait plaisir. Imaginez, une bonne dizaine de couts textes avec des individus aussi horribles que caricaturaux. De vilains psychopathes qui n’en font qu’à leur tête et foulent de leurs sabots quelques attributs de l’espèce humaine : la gentillesse, l’empathie, la mesure. Drôle et acide, à ne pas mettre entre toutes les mains.

7/ Jean-Pierre Andrevon – Le travail du Furet

Waow, encore du made in France ! SF, anticipation sociale, pas évident de qualifier ce travail du père Andrevon. Dans un futur proche, la population de la France est limitée à un nombre précis d’habitants. Le surplus est tué aléatoirement par les fameux furets (dont notre héros fait partie). Petit relent d’eugénisme fort sympathique, personne ne souhaite à l’Hexagone une telle destinée. Ambiance « roman noir » en sus.

8/ Leandro Avalos Blacha – Côté cour

Grosse surprise sud américaine qui a eu l’heur de plaire au Tigre, Blacha a traité avec brio l’incommensurable néfaste influence du capitalisme dans les quartiers modestes. Une société toute puissante de téléphonie capable de provoquer des miracles, la marchandisation outrancière de tout ce qui est censé être régalien, le lecteur alternera entre hauts faits fantastiques et violence ordinaire.

9/ Chuck Palahniuk – A l’estomac

Incontournable roman de la part de cet auteur qui a réussi à compulser un joli paquet de nouvelles pour en faire un livre cohérent et hallucinant. Chuck s’attaque à tous les travers de nos sociétés occidentales (le star system, la violence, le porno) en nous faisant hurler de dégoût et/ou de rire. Fin du fin, les dénouements sont proprement déjantés et permettront de prendre une hauteur certaine vis-à-vis de tous les protagonistes.

10/ Maurice G. Dantec – Les Racines du mal

Dantec est un peu dérangé (Tigre reste sobre) sur les bords, mais avant qu’il ne parte aux quatre coins de la rose des vents l’auteur français (canadien il me semble) a su avoir de grandes visions de notre triste avenir. Notamment ce que les esprits les plus torturés et dangereux sont capables de faire, et les moyens modernes pour en venir à bout. Le résultat est une sorte d’I.A. qui a compris comment l’Europe peut devenir un champ de tirs pour ces dingues, annonçant les prochains romans de Maurice.

11/ Chuck Palahniuk – Peste

Encore Palahniuk ?? Oui, car c’est le meilleur. Peste, c’est un peu l’ouvrage qui a fait chier Gallimard : l’éditeur a l’habitude de caler Chuck dans les policier, ici on est retourné dans le format dédié à la SF. Tout ça parce que dans quelques décennies un connard est parvenu à transformer la moitié de la populace en pseudo-vampires. Mais c’est l’existence de cet individu, racontée par des observateurs différents, qui mérite le détour. Du grand n’importe quoi derrière lequel se construit la légende d’un homme exceptionnel et dangereux.

12/ Douglas Coupland – jPod

Ultime blague pour finir, avec un roman qui m’avait arraché plus d’un sourire. Anticiper, c’est aussi prendre en compte les évolutions technologiques et proposer un tableau corrosif de la noble race des geeks. Individus qui pensent « out of the box », il suffit de voir la structure du bouquin (et les libertés quant au format) pour comprendre que Coupland mériterait le titre de sociologue.

Mais aussi :

Si ça vous intéresse, il y a d’autres qui ont su régaler mes mirettes. Irvine Welsh (Une ordure fait état d’une narration délicieuse), Block Party de Richard Milward, quelques Bret Easton Ellis, d’autres Chuck Palahniuk, name it !

Enfin, vous pouvez cliquer sur le présent tag « anticipation sociale » pour voir ce que Le Tigre peut vous proposer d’autre. Bonne lecture !

Eric-Emmanuel Schmitt - L'enfant de NoéÉnième roman du « cycle de l’invisible » de Schmitt, il faut lui reconnaître quelques belles réussites. Le catholicisme et le judaïsme face à une grande tragédie du 20ème siècle, une grande histoire d’amitié plutôt touchante. Et ce en moins de 100 pages, douche comprise (jeu de mots justifié par rapport à une scène du livre).

Il était une fois…

En ce début de Seconde guerre mondiale, le petit Joseph Bernstein vit dans une Belgique occupée où il fait de moins en moins bon être juif. C’est pour cela que ses parents le confient à la comtesse de Sully. Cette dernière ne peut le garder plus longtemps (la version ne tiendrait pas longtemps face aux gestapistes) et fait appel au Père Pons qui tient la Villa Jaune, école/internat. Joseph « Bertin » y rencontrera d’autres camarades de même confession et un lien très fort se tissera entre l’homme d’église et l’enfant.

Critique de L’enfant de Noé

Depuis le temps que je me « tape » les œuvres du sieur Éric-Manu, je commence à très vite repérer quand ça ne va guère me plaire. Et là, dès le début, j’ai su que L’enfant de Noé allait correctement remplir son office. Ce n’est certes pas une thèse de théologie (Tigre a un doctorat en théologie asiatique, si vous ne le savez pas), mais le bagage intellectuel accompagnant le roman est plus que satisfaisant.

L’histoire est belle et fait référence à l’abbé André (qui est un Juste) qui a accueilli une belle flopée d’enfants destinés à faire un aller simple vers les camps. Le protagoniste raconte une période autant difficile qu’exaltante de son enfance (le narrateur est âgé, on l’apprendra plus tard) dans un pensionnat en Belgique. Si Le Tigre ne parle pas de « héros », c’est qu’il y en a beaucoup (cf. infra).

A l’instar d’Oscar et la Dame rose (essentiellement porté sur le catholicisme à mon sens), j’ai bien failli lâcher un sanglot sur un ou deux passages. Toutefois, le style est plus étoffé que d’habitude (eu égard le nombre de pages). Malgré le fait qu’en une heure ce sera lu, l’auteur français est étonnamment disert sur les descriptions de l’environnement (odeurs, étoffes, architecture, etc.).

Au final, une ode à la tolérance grâce à un savant mélange entre deux religions qui n’hésitaient pas à se regarder en chien de faïence. Pendant que Joseph fait tout pour devenir catholique, le Père Pons apprend comme un fou furieux l’hébreu et les enseignements de la Tora. Ces deux individus semblent avoir le même Dieu, et la différence peut se résumer à ce dialogue :

– Alors, un chrétien, c’est un juif qui a cessé d’attendre ?

– Oui. Et un juif, c’est un chrétien d’avant Jésus.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La différence et la tolérance. Parce qu’à un moment faut bien expliquer le titre du petit roman : Jo aime se considérer comme l’enfant du très biblique Noé qui, avant le déluge, a eu la bonne idée de garder quelques espèces dans son misérable radeau. Ici, le savant Pons garde, dans un endroit très caché, tout ce qui fait la culture judaïque, car étant en danger. Plus tard, ce sera quelques éléments de la culture russe. La phrase « Je fais une collection » est aussi simple que puissante, normal que ce soit « l’exipit » du livre.

Comme beaucoup de titres se situant dans l’Europe en guerre, la résistance à la barbarie est très présente. Le gentil prêtre, une partie de la population qui sait tenir un secret, une infirmière « bouffeuse de curetons », Schmitt en serait presque à faire une affiche type Benetton de la Résistance. C’est ainsi que, de manière aussi attendue qu’émouvante, on aura même un officier SS qui se mettra à sauver les enfants.

…à rapprocher de :

– D’Eric-Manu S., il faut rapprocher ce roman des autres qui font partie du Cycle de l’invisible (sur les religions) : Milarepa, Oscar et la Dame rose, Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran, Le Sumo qui ne pouvait pas grossir, Les Dix Enfants que madame Ming n’a jamais eus.

– En plus long et plus bon, il y a La Part de l’autre, L’évangile selon Pilate ou Lorsque j’étais une œuvre d’art.

– Un film m’avait bien retourné les canaux lacrymaux, avec des ficelles assez proches du présent bouquin. C’est bien sûr Au revoir les enfants, de Louis Malle.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce titre en ligne ici.

Chuck Palahniuk - Journal intimeVO : Diary. Pas mal, sans plus. Pour le lecteur qui veut découvrir Chuck Palahniuk, Journal intime sera certes original, toutefois les péripéties « énaurmes » et le dénouement résolument tiré par les cheveux rendent mal compte du génie de l’auteur. Quand l’art rencontre la folie, ça peut devenir vite dégueulasse.

Il était une fois…

Misty, artiste avortée un peu ronde, travaille comme femme à tout faire dans l’unique hôtel de l’ile sur laquelle elle vit avec sa fille et sa belle doche. Son mari, Peter, est dans le coma à la suite d’une tentative de suicide. Or, avant cette tentative, le mari (architecte d’intérieur) a laissé une forme originale de testament : dans toutes les maisons dans lesquelles il a récemment travaillé, il a muré une pièce dans laquelle il a foutu le bordel et inscrit sur les murs des phrases mystérieuses ou insultantes. Accompagnée du bel Angel, Misty se rend dans chacune de ses maisons constater les dégâts, et peut-être en savoir plus sur ses réelles origines et sa famille…

Critique de Journal intime

Cette œuvre occupe une place particulière dans l’esprit du Tigre, en effet je l’ai d’abord lue en anglais et quelques aspects de l’intrigue étaient passés loin de mon cerveau. C’est pourquoi je l’ai rapidement relu dans la langue de Molière, et cela a confirmé que c’est loin d’être le meilleur bouquin de Palahniuk.

Le roman est rédigé sous la forme du fameux journal intime qui est en fait la réponse de Misty aux « interventions » de Peter dans les maisons dans le cas où ce dernier venait à se réveiller. Et ce n’est pas rose : elle y décrit sa vie, leur rencontre, l’abandon de ses prétentions artistiques pour suivre son mari, les encouragements de sa belle mère pour qu’elle se remette à peindre, l’évolution de leur vie ou plutôt comment tout est rapidement parti en sucette.

Comme souvent avec l’auteur américain, on sent que certains éléments nous échappent, quelques secrets enfouis distillés au compte goutte. En réalité, certains protagonistes sont autant dans le flou que nous. Et comme le lecteur sera plus alerte que l’héroïne, hélas le fin mot de l’histoire sera aisément deviné avant que Chuck P. en parle. Et ce dès le décès de la fille de Misty, on sent qu’il y a une grasse anguille sous roche. En rajoutant des péripéties superfétatoires (l’histoire du père m’a paru de trop), le dernier tiers ne sera pas à la hauteur du début. Dommage.

Au final, voilà un titre qui est le contraire d’un diesel : ça part sur les chapeaux de roue, le style est marrant comme tout pour qui ne connaît pas l’anticipation sociale, puis pschitttt y’a comme une petite déception vers la moitié. Heureusement que l’écrivain s’est attaché à ne pas trop déborder de 350 pages, plus aurait été malvenu.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La créativité artistique. Enfermée par sa belle mère, l’héroïne se remet à peindre compulsivement, comme si sa vie (ou celle de ses proches plutôt) en dépendait. Elle ne s’alimente plus et semble tenir la cadence délirante grâce à de mystérieuses pilules qui lui donnent de très corrects coups de fouet. Presque l’image d’Épinal de l’artiste doux-dingue rachitique qui se tue à la tâche. Bien sûr avec Chuck c’est plus complexe que prévu. Le résultat final sera autant sublime que dérangeant. Pour les connaisseurs, ça rappelle bien A l’estomac, du même auteur, où la création littéraire est un processus associé à la souffrance souvent auto infligée par l’écrivain.

[Attention thème légèrement SPOIL] Chuck m’a un peu perdu sur la fin, ce qui est dommage puisque le dénouement fait appel à des considérations « esotéro-financières ». Misty est très mal tombée, car une légende veut qu’un mâle de l’île épouse toutes les trois générations une femme (de souche non locale) capable de rendre l’ile richissime pour les temps à venir. A cause de cette coutume, les habitants vivant en vase clos vont imaginer le pire en vue de déclencher la créativité du protagoniste principal. Et si un individu n’est pas d’accord avec ce processus, on le supprime. [Fin SPOIL].

…à rapprocher de :

– L’auteur est avant tout connu pour Fight Club (que je me dois de résumer) et sa suite sous forme de BD (en lien) avec Cameron Steward.

– De Chuck Palahniuk, vous préférez A l’estomac (puisque j’en parlais), Choke, Berceuse ou encore Peste (narration originale également). Y’en a beaucoup sur ce blog, faites-vous plaisir.

– Sur la créativité exacerbée et forcée, on pourra relire, avec le sourire aux lèvres, Torturez l’artiste !, de Goebel.

Enfin, si votre librairies est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.