Charles Bukowski - Contes de la folie ordinaireVO : Erections, ejaculations, exhibitions and general tales of ordinary madness et The most beautiful woman in town. [ouais, y’en a beaucoup]. Recueil de textes désopilants mettant en scène un auteur aussi que vil, il y a de quoi se marrer même si certains passages, vieillis, pourront apparaître odieux – pour l’époque hein. 200 pages de gâteries, ça ne se refuse pas.

Il était une fois…

Ramasser des filles de joie dans des bars ; souiller l’intérieur d’un ami (attention, différents niveaux de lecture) ; se faire passer pendant une nuit pour un grand poète français qui ; être interrogé par le F.B.I. pour des clopinettes ; vomir tripes et bile à qui veut le regarder, etc. Oui, Bukowski a eu une grande vie.

Critique des Contes de la folie ordinaire

De 1967 à 1972, le déjà vieux (l’aspect tout du moins) et alcoolo fini Charles B. a écrit quelques textes extrêmement courts, pas plus d’une dizaine de pages, qu’il refourguait dans les magazines qui en voulaient bien. Au lieu de parler des meilleurs passages (Pas de chaussettes ou Trois poulets se reliront avec gourmandise), il m’apparaît plus judicieux de lâcher quelques impressions au fur et à mesure de la lecture.

Que ce soit un humour un peu cra-cra, de la hargne face à un monde qu’il abhorre ou des moments de tristesse (La plus jolie fille de la ville) en tant que spectateur (voire acteur) de la déchéance de ses semblables, Bukowski livre ce qu’il a au fond des tripes, et ce sans prendre de pincettes. Les personnages rencontrés dans des troquets seront tour à tour pitoyables, dégueulasses ou inquiétants, toutefois il demeure une sorte de tendresse pour ces pauvres individus (les femmes ne sont pas en reste) qui ont laissé une partie de leur raison au vestiaire.

Le style de Charles B. ? De l’outrance, de la simplicité, et parfois des formules qui ont du sens lorsque celles-ci ne provoquent pas un réflexe ricanement. Évidemment que sur plus de 20 textes il y en a quelques uns qui, à défaut de sens ou de logique qui puisse être appréhendée par votre serviteur (l’écœurement n’était pas loin), ont été lus à une vitesse scandaleuse, cependant l’ensemble reste excellent. Notamment grâce à un effet choquant et humoristique renforcé par le pressentiment, grandissant, que la plupart de ces aventures racontées à la première personne sont tout bonnement autobiographiques. Non mais qui écrirait ceci ? :

J’ai trouvé une bouteille chez moi et je l’ai vidée, plus quatre canettes de bière, et j’ai gratté mon premier papier. Ça parlait d’une pute de cent cinquante kilos que j’avais baisée dans le temps à Philadelphie. Çà faisait une bonne chronique. J’ai corrigé les fautes de frappe, une branlette, et au dodo.

Bon, on lit certes de ce genre de poésie tous les quatre matins, mais imaginez un écrivain marginal, la cinquantaine qui pique, tapant sur une vieille machine à écrire entre deux rots de bière. Quelque chose qui a de la gueule Un homme qu’a plutôt bien décrit en préface Jean-François Bizot, fin traducteur de ce recueil qui a eu l’opportunité d’aller rendre une visite à l’auteur. Un homme dont je vous conseille de lire, au moins une fois, la prose.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La folie décrite par l’auteur est ordinaire dans le sens où il n’y a rien d’irrécupérable ni d’excessivement criminel. Seulement des comportements déviants qui sont l’œuvre de personnes dont les barrières du sur-moi sont aussi fines que les culottes arrachées toutes les deux pages. Car Bukowski n’est pas un mauvais bougre, plutôt un mec plus ou moins incontrôlable. Le genre d’ami à vider votre mini-bar, agresser votre femme (sexuellement, bien sûr) avant de dégueuler sur votre tapis. Charles aurait été la dernière personne (après Marc Dorcel) à qui Le Tigre aurait prêté les clés de son appartement – à ce titre, Le jour où nous avons parlé de James Thurber mérite le détour.

A toutes fins utiles, il émane de ces textes quelque chose d’un peu plus chagrin : l’histoire d’un homme en marge, un écrivain peu reconnu qui vivote de chroniques (du moins dans la période d’après-guerre) et dont la fleur de l’âge s’éloigne plus vite que prévu. Bukowski décrit plus d’une fois ses rencontres avec des jeunes (femmes belles à en mourir ou chevelus tendance beat), et l’incompréhension s’installe rapidement. L’écrivain U.S. n’est pas un has been ou un loser pour autant, et fait l’objet de nombreuses sollicitations de la part d’éditeurs, de femmes (surprenant), voire des autorités – le F.B.I. lui cherche gentiment des noises plus d’une fois.

C’est aussi ça, le génie de Bukowski : un incompris qui évolue dans les brumes incessantes de l’alcool, et il en a strictement rien à branler.

…à rapprocher de :

– D’autres titres de l’écrivain américain arriveront sur le présent blog.

– Dans l’écriture intimiste limite biographique et qui va très loin, Hunter S. Thompson est une autre référence à découvrir (Rhum Express par exemple).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Remender & Scalera & White – Black Science, Tome 2Sous-titre : La boîte de Pandore. VO : Welcome, Nowhere. Des scientifiques armés continuent de basculer d’une dimension à une autre, et celle visitée ici est une expérience particulièrement périlleuse – en plus d’en apprendre plus sur les attributs de la machine permettant ces voyages. Opus parfois confus mais efficace, presque un succès.

Il était une fois…

Le sixième chapitre se terminait sur la perte d’un protagoniste et un nouveau saut dans l’infinivers. Mais vers où ? Pia, Nate et Shawn sont prisonniers d’une espèce qui envisage de les libérer de leurs tourments – en les tuant, bien évidemment. Le temps presse malgré tout, et rien ne semble s’arranger dans les autres univers…

Critique du second tome de Black Science

Après un premier tome qui avait correctement secoué les puces du Tigre, le voilà replongé dans une aventure démente avec ce groupe de scientifiques, lesquels doivent s’improviser guerriers pour survivre dans des mondes aussi accueillants que votre appartement un lendemain de dégâts des eaux doublés d’une invasion de punaises de lit – l’aspect insectoïde de la référence n’est pas là pour rien quand on regarde les ennemis.

Remender & Scalera & White – Black Science, Tome 2 extrait 1Difficile de résumer ce qui peut bien se passer. Les héros sont bloqués sur un monde profondément hostile pendant au moins trois heures avant l’activation du pilier – l’appareil qui les fait passer dans un autre univers et dont certaines fonctions restent à découvrir. L’enfer n’est jamais loin avec une civilisation adepte des sacrifices dont la bande échappe de justesse grâce à l’aide d’un des leurs. Alors que certains manquent de se perdre et ne sont pas assurés de retourner près des piliers, d’autres apparaissent provenir d’un autre univers qui a connu l’enfer (Chandra est un bel exemple de mélange des genres), bref la fuite en avant semble inévitable.

Hélas, et même si l’action se situe dans une poignée de lieux (dont un principal qui mérite le détour), j’ai négligemment survolé la narration et les problématiques abordées. Certes le gros de l’intrigue est passionnant, toutefois j’ai eu plus d’une fois le sentiment de ne rien biter aux conséquences sous-jacentes des actions des personnages. Sans compter les multiples remarques in petto d’une poignée d’entre eux (sur leur jeunesse, leur approche de la vie, bref leurs ressentis), sur-narration qui apparaît souvent dispensable même si ça ajoute de l’humanité – les faiblesses de chacun étant mises à jour.

Alors, comment le félin a pu surmonter cet état cotonneux de lecture ? Tout simplement en se laissant porter par quelques passages de pure beauté et en appréciant, à leur juste valeur, des illustrations de Matteo Scalera. Le trait est toujours aussi précis et sec (ça me dérangeait aux entournures au début, surtout le rendu des visages), mais il faut convenir que l’illustrateur s’est arraché le bout des doigts en esquissant tant les étranges paysages que leur faune – espèce dominante, hommes pseudo-préhistorisques, et ce magnifique medley qu’est l’Indien futuriste. Bref, vais devoir me procurer le tome suivant, c’est trop tentant.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La communauté dans laquelle se retrouve les scientifiques jouit d’une folie furieuse à la cohérence désarmante. Il est question de « renaissance » et autres réjouissances dans un sacrifice qu’il convient d’éviter. Ces êtres ont à la fois le raffinement des plus illustres sectes fonctionnant en circuit fermé et sourdes aux protestations extérieures (qu’elles détournent pour leur propre compte) ; et la violence barbare est renforcée par leurs bouilles, d’un  aspect à mi-chemin entre un Alien sorti d’un film de Ridley Scott et des orks disposant de montures cauchemardesques crachant de l’eau. Des étrangers totaux, autant dans l’allure que l’attitude.

Remender & Scalera & White – Black Science, Tome 2 extrait 1Pour finir, il faut rappeler que plus les protagonistes avancent dans leur quête (qui est de rentrer chez eux, bonne chance à eux), plus ça part en sucette. On retrouve l’idée selon laquelle si une affaire est merdeuse à l’origine, moins s’esquisse le début d’un happy-end – ça colle bien avec de Charybde en Scylla, titre du premier opus. Ce n’est pas tant que l’espoir est vain, mais que le pilier est un cadeau qui empoisonne tous ceux le tenant entre leurs mains rapaces. Le résultat d’une telle technologie est consternant, tout retour en arrière semblant impossible tellement les gentils sont amenés à se sacrifier tandis que d’autres débarquent d’une autre dimension pour « arranger » leur situation – qu’ils ont vu 100 fois tourner à l’aigre. Une infinité d’intérêts individuels susceptibles de s’affronter, chouette.

La solution avancée qui clôt cet opus ? Tout est dans l’image de l’oignon. Il faut le peler jusqu’au bout et aller dans son cœur, à la source.

…à rapprocher de :

– Commencez par le tome 1, De Charybde en Scylla, c’est mieux.

– Les personnages qui se révèlent venir d’un autre monde et la confusion qui s’installe me rappellent ce chouette film qu’est Coherence, de James Ward Byrkit.

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Sylvain Lainé - Orgasme cosmique au Ran du ChabrierQuand deux bonnes copines aux inclinaisons saphiques passent une semaine dans un camping nudiste/libertin, y’a moyen que ça canarde dans tous les sens. Mais lorsque leurs extases sexuelles les font sauter des niveaux de pensée, on peut légitimement se demander si un petit malin n’a pas versé des hallucinogènes dans l’eau des pâtes. Indubitablement à lire au second degré…à moins que vous vouliez croire en la méditation (et la transcendance) par le sexe.

Il était une fois…

L’avantage, avec les quatrièmes de couverture des bouquins édités par des indépendants, c’est que ceux-ci sont sobres et ne survendent pas la marchandise. Exemple ici :

« Charline et son amie Groseille vont passer leurs vacances au Ran du Chabrier, un camping naturiste du sud de la France. Ensemble, elles vont se livrer à de multiples orgies, des rencontres sexuelles inédites, qui leur feront découvrir bien plus que le plaisir issu de la mécanique des corps.

Car Groseille, habituée des lieux, a une idée en tête. Elle souhaite initier son amie à des jouissances qui surpassent celles de la simple chair. Elle sait que les rencontres débridées se déroulant dans ce lieu magique permettent d’accéder à une dimension spirituelle de la sexualité. »

Critique d’Orgasme cosmique au Ran du Chabrier

Soyons organisé…par quoi commencer ? L’auteur, tiens. A l’origine, Sylvain Lainé est un peintre dont les thèmes paraissent porter sur l’érotisme. Un bon vivant porté sur la chose, qui au cours de ses pérégrinations libertines a certainement eu matière à raconter. Parmi ces voyages sensuels, j’imagine que le gars a passé un trrrrèèès agréable séjour au Ran du Chabrier, camping naturiste aux mœurs légères au cœur de l’action de son ouvrage – endroit qui existe pour de vrai, sans faire de publicité.

Evoquons ensuite le style d’un bouquin écrit par ce primo-écrivain. Le félin n’a pas peur de dire que c’est de la franche pornographie à l’intérêt littéraire relativement limité. Les termes sont crus (c’est moite, ça jouit, ça tamponne le fond de  la cage à trésor, ça y va de ses commentaires grivois mais globalement respectueux) mais…en même temps Sylvain L. écrit comme s’il rendait hommage à la bibliothèque rose des éditions Arlequin avec des tournures de phrases et réflexions profondes des protagonistes – tout en insistant avec un décalage entre un Paris froid et distant et le sud libre, sensuel et chantant.

Parlons enfin de nos deux héroïnes et de la manière dont leur esprit s’élargira autant que leurs…enfin vous m’avez compris. Groseille, la pulpeuse brune cochonne sur les bords, convie sa jeune amie Charline (réelle héroïne du roman), fille sensible qu’on devine blonde légèrement coincée sur les bords. Pas tant que ça puisqu’à peine sur la route nos deux ingénues chaufferont un vieux restaurateur pour qu’il leur broute le minou – scène à peine catapultée qui a eu le mérite de me titiller le bas ventre. Quant au Ran du Chabrier, les plaisirs de la chair sont si puissants que certains participants, dont les chakras explosent de bonheur, se mettent à débiter des conneries new-age.

C’est à ce moment que le lecteur qui a su garder le contact avec l’ouvrage après une centaine de pages aura deux réactions. Soit vous vous pissez dessus d’ennui face aux réveils macroscopiques des consciences vers un infini déifié où tout n’est qu’amour, partage et communication astrale ; soit vous trouvez extrêmement intéressante l’approche du bonheur de certains à l’aide d’expériences sexuelles libertines où l’orgiaque, le BDSM et la douce camaraderie se mélangent dans cette zone hors de l’espace et du temps.

Pour ma part, le dernier tiers du roman part tellement haut dans la sucetterie (cf. dernier thème) que je me suis demandé si Lainé ne se foutait pas un peu de ma gueule. Après l’avoir lu à voix haute à sa tigresse, votre serviteur est parvenu à l’endormir assez rapidement – elle faisait un drôle de bruit en dormant, mi-ronflement mi-gloussement. J’ai cru voir dans l’écriture de l’auteur un second degré, ou du moins une parabole sur l’utilisation excessive de LSD dans les rave parties et la manière dont un accroc du sexe se justifie auprès de sa conquête afin que celle-ci mélange ses fluides avec le premier venu. En parlant de fluide, heureusement que la narration l’est, la manière dont les concepts fumeux en apparence coulent dans le cerveau est plus que surprenante.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Comme l’explique le quatrième de couverture, le Ran du Chabrier est en effet le temple de l’amour libre, celui qui ne connaît ni jalousie ni possessivité. Chacun est libre de baiser (et de ne pas coucher), les partenaires rencontrés par Groseille et Charline étant d’abord enclins à leur offrir du plaisir. La femme, en retour, s’offre sans entraves aux mâles qui ne manquent jamais de s’extasier devant ses qualités. Certains peuvent même ressentir un vertige (voire de la peur) face à un appétit gargantuesque dont ils ne voient pas le fond. Un personnage particulièrement original, Louise, rappelle assez simplement le pouvoir de la prostituée-prêtresse dans les grandes civilisations, et le rôle fondamental que la féminité exacerbée joue dans l’ordre naturel – même s’il est permis d’avoir des avis divergents sur le comportement à adopter en conséquence.

Concernant l’orgasme cosmique, on retrouve naturellement l’idée de toucher dieu du doigt par une intense méditation accomplie en plein acte charnel. Les étapes de cette transe orgasmique sont grossièrement esquissées par l’auteur qui ne s’attache qu’aux impressions des protagonistes sans livrer de mode d’emploi pratique. On passe alors d’un picotement débouchant sur sensation d’union de pensées avec son conjoint à une NDE (near-death experience) au cours de laquelle les esprits (ceux des deux poules et du beau Stéphane) s’envolent vers un vaisseau spatial tenu par des êtres de lumière, dont un représentant répond au doux nom d’Unakite, et qui les invitent à participer à une orgie trans-espèces qui dure depuis des siècles tout en leur dévoilant les grands secrets de l’univers.

En fait, tout dépend de votre ouverture d’esprit et de ce que vous attendez d’un roman pornographique. Car on est au-delà de l’érotisme : le cul est à la fois désacralisé dans les mots et représente un véhicule pour quelque chose d’inattendu et auquel le félin ne pensait pas être confronté.

…à rapprocher de :

– Du même éditeur, y’a Fourreurs nés d’Hugo Drillski. Plutôt bien écrit eu égard l’âge de l’auteur, histoire marrante qui vire progressivement au glauque.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Sokal - Noces de brumeSous-titre : une enquête de l’inspecteur Canardo. Dans un pays froid et inhospitalier est sur le point de sévir un chat diabolique répondant au doux nom de Raspoutine. Oui, l’ennemi juré d’un Canardo en train d’écluser des bouteilles pas loin. Le résultat est réjouissant même si l’humour est voilé derrière un mélo-drame se déroulant dans un espace intimidant.

Il était une fois…

Une famille (une jeune femme et un vioque) d’itinérants erre dans la steppe glaciale, avec pour compagnie un singe parleur regrettant sa savane et une sorte de monstre cloîtré dans une cage. Le convoi est attaqué par des loups (qui parlent aussi), lesquels recueillent la fille et le gros chat…qui n’est rien d’autre que la terreur de Sibérie. Le carnage peut d’autant plus commencer qu’Emily, la jeune fille qui le suit, détient d’inquiétants pouvoirs.

Critique de Marée noire

Voici le quatrième tome des pérégrinations du canard alcoolique et parfois trouillard, mais qui a toujours ses sursauts l’amenant à faire montre d’extrême bravoure – certains diront d’inopinés coups de chatte confinant au scandale. Quel est ce pays froid et désertique administré par des incompétents et peuplé par des soulards ? Que fout Canardo dans ce coin ? Sans doute lire les opus précédents permet d’avoir une idée plus précise de qui est qui, en particulier connaître le passif de Raspoutine qui inquiète tant le héros.

Ah…ce Raspoutine…quelle classe, quelle fièvre, quelle déchéance ! Un maître de la violence et de la manipulation, qui passe de statut de prisonnier à celui de bête du Gévaudan zigouillant avec ferveur la populace aux alentours. Une spirale de violence initiée par un pacte avec le diable (aussi pitoyable que Raspout’) et nourrie par Emily, mystérieuse femme apte à faire tomber à zéro le trouillomètre de Canardo. Car le protagoniste n’est pas en très grande forme, et la mission auto-assignée de mettre un terme aux carnages se révèle extrêmement éprouvante.

Comme souvent chez Sokal, on retrouve des décors nus et aussi amènes qu’un surveillant d’internat vous surprenant à fumer un joint dans l’enceinte du bâtiment. C’est aride et désespérant, à l’image d’une histoire qui ne manque pas de tristesse et dont l’atmosphère est aussi pesante que si vous aviez lâché une grasse perlouze lors d’un cocktail de la mère Rothschild. Le Raspoutine transpire le stupre et la rage, Canardo reste touchant par son air pataud et l’air de ne pas y toucher, et la douce Emily a cet érotisme mâtiné de folie (ses yeux…non de Zeus) qui inciterait plus d’une personne à réfléchir à deux fois avant de se débraguetter devant elle.

Vers le milieu de la BD, le lecteur assistera à un rendez-vous (une journée quand même) très tendu entre les trois protagonistes, entrecoupé par quelques révélations sur un des personnages. Canardo et Raspoutine, impressionnés par les tours de télékinésie de la petite, vont discourir sur leur avenir et les moyens de sauver Emily. Sauf que celle-ci se révèle plus ou moins incontrôlable, et contribue sans réelle surprise à un final aussi dramatique que régénérateur pour certains – il est question de tuer le père, créer la vie et se remettre d’équerre. Bref, un tome exigeant (car bourré à craquer d’une tension d’autant plus palpable pour les initiés) qui n’est sûrement pas à conseiller si vous voulez découvrir l’univers de Canardo. Ou alors commencez par le début.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Noces de brume fait référence à l’union de deux individus particuliers qui sont, à leur manière, de parfaits monstres. Monstruosité d’un Raspoutine qui, pour se régénérer, ne semble d’avoir d’autre choix que de boire le sang d’autrui. Le représentant parfait d’une société qui est un loup pour elle-même. A ses côtés, Emily n’a plus grand chose d’un humain (dans le sens d’un être doué de sensibilité) quand on voit les conditions de sa naissance et la manière dont elle use des pouvoirs dont elle jouit. Une sorte de mélange entre un E.T. et une sorcière, un personnage qui s’exclut de ses semblables en considérant ses derniers tels des monstres. Imaginez alors à quoi pourrait ressembler le rejeton de deux tels zigotos…oh wait.

Il faut savoir qu’une bonne partie de l’humour de Noces de brume réside dans la rare capacité du héros de savoir qu’il est le simple héros d’une BD. C’est ce que l’on nomme la « perception de la bande dessinée ». Sa nonchalance piquetée par quelques coups d’éclat sont ponctuées de remarques dénotant un détachement certain. Lorsqu’il se lamente de ne pas être au point physiquement, Canardo lâche un lapidaire « je ne suis plus capable d’être le héros de mes aventures ». D’autres personnages rajoutent même une couche, à l’instar d’Emily décrivant ainsi le canard enquêteur : « Un minable. Un second rôle médiocre ». Canardo semble être sur le point de se faire voler la vedette par Raspoutine, c’est dire ! C’est en retrouvant ses bons réflexes que le personnage retrouvera ses caractéristiques d’antan, à savoir ses vices préférés (la clope notamment). Pour souligner la vanité de l’existence des intervenants et renforcer une dramaturgie déjà bien établie, Le Tigre vous précise l’existence d’une chauve-souris ricanante survolant le paysage et répétant à l’envi quelques termes sombres prononcés par certains. Une sorte de présentateur débile, présent à la première et à la dernière page et qui débite, sans les comprendre (vraiment ?), les mots des prompteurs humains.

…à rapprocher de :

– Pour l’instant, et avec le même héros, Le Tigre peut vous entretenir, dans l’ordre, de :  L’Amerzone (un classique) ; La Cadillac blanche (pas mal du tout) ; Marée noire – une de mes préférées, sans doute parce que plus récente. D’autres Canardo arriveront sur le présent blog.

Jake Adelstein - Tokyo ViceVO : idem. Sous-titre : Un journaliste américain sur le terrain de la police japonaise. Nul besoin d’en rajouter, si ce n’est que Jake a des couilles aussi grosses que les tatouages des Yakuzas qu’il a asticotés. Presque descente aux enfers du vice tokyoïte avec l’espoir d’une rédemption, l’essai reste édifiant, parfois flippant, toujours fascinant, et régulièrement abyssal.

De quoi parle Tokyo Vice, et comment ?

Petit coup de gueule pour commencer. Pas contre l’ouvrage et la traduction de Cyril Gay qui ne gâche rien, mais à l’encontre du monde de l’édition en France. Lequel, trop préoccupé à s’autolustrer le zob avec des productions locales (souvent de piètre qualité), a tendance à oublier qu’en dehors des frontières ça carbure sec. Car Jake Adelstein a publié son expérience en 2009, et il a fallu attendre un financement participatif en 2016 pour voir l’essai sortir en français.

Résumons rapidement ce bouquin où il est question d’un journaliste occidental immergé dans un Tokyo underground qui a bien failli le bouffer. De manière efficace et évidente, l’essai est construit chronologiquement qui se décompose en trois parties bien distinctes – le félin ne prend pas en compte le premier chapitre, somptueuse mais inquiétante mise en bouche. Tout d’abord, le Soleil levant, ou les premiers pas de Jake dans le journal le plus lu au Japon (des millions de titres vendus) où il est le seul Occidental à travailler. Les débuts sont éreintants mais notre héros parvient à tirer son épingle du jeu et à lever quelques scoops avec des affaires assez cocasses tout en découvrant des aspects surprenants du pays – exemple du « livre des suicides » et de l’ado qui laisse un mot fort obligeant sur son cadavre.

Vient ensuite le Zénith, où l’irrésistible ascension de Jake. Lequel, quelques années après, est marié et père d’une petite fille. Le jeune journaliste suit la police des mœurs (au sein de la Metropolitan Tokyo Police) et notamment l’impressionnant Sekiguchi, flic de talent qui lui fait découvrir les chauds quartiers de la ville, dont Roppongi. C’est l’occasion de suivre l’enquête sur la jeune Lucie Blackman, Britannique faisant quelques extras et victime d’un certain Obara – dont les exactions font froid dans le dos. Jake accroît progressivement ses connaissances sur les cercles de prostitution du pays où gravite la pègre emblématique locale, les Yakuzas.

Ces individus sont la raison de la teneur un peu glauque et inquiétante de la dernière partie très justement intitulée le Crépuscule. Au cours de ses investigations sur les prêts à taux usuriers et la mainmise de la mafia japonaise dans l’économie (la banque ou l’immobilier), Jake lève un lièvre d’une rare obésité : Goto, un des boss du Yamaguchi-gumi (principal clan de Yakuzas), s’était fait soigner dans les années 90 en Californie – transplantation d’un foie. Non seulement il est permis de se demander comment il a pu passer la douane (un accord avec le FBI ?), mais en plus comment a-t-il payé ? Hélas, Goto a vent des découvertes du protagoniste qui s’apprête à lâcher l’information. Et il fait suffisamment pression pour que Jake n’ait d’autre choix que de publier l’article ou mourir – ses proches sont en danger, il est mis sous protection et une de ses amies, Vanessa, subit un sort atroce.

Les derniers chapitres s’attachant alors à décrire la course contre le temps et la disgrâce progressive d’un Goto aux abois – aucun journal japonais n’acceptant de sortir l’info qui sera publiée outre-pacifique. Et les similitudes entre cette personne et  le héros qui en appelle au bouddhisme pour analyser son ennemi. Finis l’humour et le caustique du début (ce n’était pas non plus la grande rigolade), le lecteur passe de la fascination à la tristesse  – en faisant un petit tour par le chemin de la répulsion face au comportement de criminels qui s’adonnent, sans vergogne, au trafic d’êtres humains. Cet essai, sorte d’assurance-vie d’un journaliste qui a su garder ses idéaux (malgré quelques moments de doute), est juste la parfaite claque littéraire qui vous élargit les horizons.

Ce que Le Tigre a retenu

Ah, la sainte trinité. Mon esprit d’école prépa reprend de ce pas le dessus et propose un plan en trois parties. Et ce dans un esprit d’entonnoir (si vous êtes rompu à ce type de raisonnement) :

1. La vie au Japon et les mœurs locales. Jake Adelstein, juif américain parlant et écrivant parfaitement le japonais, est le parfait gaijin apte à nous entretenir du peuple japonais. Que ce soit la notion de l’intimité, le fait de bosser comme un âne tout en se la collant de temps à autre (au nouvel an par exemple), le manque de sommeil, c’est comme si le lecteur vivait aux côtés du journaliste. Jake, dévoué à son métier, montre également la difficulté à concilier son activité avec la vie de famille. Le félin peut évoquer des tonnes de petits détails, à l’instar du tatemae, ou ce qu’un Japonais consent à montrer en public pour ne pas perdre la face – et la réalité des choses, plus complexe.

2. Le métier de journaliste au Japon est une gageure dont Adelstein décrit les tourments. Car il convient de bien traiter ses sources, et pas seulement quand on a besoin d’elles. Un vieux de la vieille lui explique globalement ce qu’il faut devenir : un ami capable de retenir les dates d’anniversaire des  proches et leur offrir des glaces de temps à autre, un individu pas trop envahissant mais indispensable, quelqu’un qui passe régulièrement prendre des nouvelles, bref être une pute mais pas trop. Primordiale est également la protection de ses informateurs (flics comme voyous) afin de ne pas se faire griller, bien qu’il faille parfois lâcher des infos plus ou moins complètes pour avancer – oui, c’est très politique comme boulot. La postface traite d’ailleurs de cette dernière problématique.

3. Enfin, et cœur du sujet, Jake A. décrit la façon dont la pègre japonaise a (salement) évolué : l’honneur et la modération des « anciens » ont basculé vers quelque chose de plus gourmand et brutal, un état de violence où les victimes (journalistes, politiciens, pauvres hères surendettés) ne sont plus seulement des Yakuzas. Les civils trinquent tandis que les liens entre la police et les criminels paraissent de plus en plus ridicules, sinon intolérables – ces derniers sont prévenus, par la police, de toute descente imminente afin d’éviter les effusions de sang… L’auteur nous convie enfin à découvrir une ville sordide et paradoxale où détenir des vidéos porno est passible de sanctions alors que « fréquenter » des hôtesses (avec happy end à la fin) chaque soir n’est aucunement mal vu, lesquelles femmes n’en peuvent plus de mépriser leurs clients.

…à rapprocher de :

– Votre serviteur connaissait déjà quelques notions grâce à l’incontournable Yakuza : Japan’s Criminal Underworld, de David Kaplan. Un essai faste et complet.

– En mode plus personnel, Confessions of a Yakuza (en lien), de Juni Saga, offre le point de vue d’un Yakuza à l’ancienne.

– En mode plus déconnant et érotique, La Crucifixion en jaune de Romain Slocombe est une chouette saga sur l’underground japonais – Yakuza à la clé.

– Avec des dessins et tout et tout, y’a Yakuza moon de Shoko Tendo en version manga par Wilson et Morikawa. Peu de choses sur les Yakuzas néanmoins, on se concentre sur l’histoire tragique d’une fille d’un boss déchu.

– Autre manga, la géniale saga Sanctuary, de Fumumora. Assez réalistes, les 12 tomes se lisent très rapidement.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cet essai en ligne ici.

Toshifumi Sakurai - Ladyboy vs Yakuzas, Vol.4Sous-titre : L’île du désespoir. Après le décès d’un allié de poids, un autre pointe le bout de son nez. Encore un freak dont le cerveau, déglingué, parvient à imaginer un plan pour aider le héros/héroïne. Tome passable, avec une évolution de la situation parfois intéressante. Néanmoins, le lecteur pourra ressentir comme une certaine lassitude pour une histoire qui, grâce au mangaka, est bientôt terminée.

Il était une fois…

Aux dernières nouvelles, Kôzô (ancien yakuza transformé en femmes et téléporté dans une île peuplée de pervers) parvenait à s’enfuir à la suite du décès du puissant Lion, désormais décédé. Recueilli par un des rares prisonniers qui n’en veut pas à sa chatte, le ladyboy aux abois sera enfin en mesure de changer d’état d’esprit : il est temps de passer à la contre-attaque.

Critique du quatrième volume de Ladyboy vs Yakuzas

Le Tigre espérait, peut-être naïvement, que ce bouquin allait rattraper la relative chiantise qui m’avait envahi depuis le troisième volume – lequel, rappelons-le, faisait office de pause gentillette. Hélas, le résultat est plutôt mitigé. D’abord, l’aventure reprend de plus belle avec l’arrivée de deux personnages d’importance : Georges, un pauvre type portant haut l’étendard de la misère sexuelle, qui prend l’initiative de venir au secours du protagoniste. En le soignant après lui avoir expliqué que, à défaut d’avoir une bite, il ne pourra faire grand mal au ladyboy. Et et en utilisant Mustsuo.

Ce dernier personnage, bouc émissaire de l’île, a de la rancœur plein les tripes. En lui donnant les moyens d’exercer son courroux contre les yakuza (notamment grâce aux hommes de l’ex-patron de Kôzô, connement dépouillés dans l’île), Georges inverse les rôles – les chasseurs devenant traqués. En outre, nous échappons brièvement (et avec plaisir) de l’endroit cloîtré le temps de quelques flashbacks sur Georges et Mustsuo, individus dont l’histoire, différente (riche c/ pauvre, branleur c/ casanier), aboutit au même gâchis.

Toutefois, y’a comme un truc qui a gêné le fauve : Toshifumi Sakurai semble aller plus loin dans la déconne mais sans la pincée d’humour libéré qui rappelle que le manga est à prendre au douzième degré. Seul le dessin reste autant rigolard (avec des détails que certains ne trouveront pas nécessaires, à la limite du gore), mais pour le reste c’est comme si Sakurai prenait trop ce qu’il raconte au sérieux. On serait presque dans le glauque le plus abouti avec des sujets graves (cf. ci-dessus) traités de façon suffisamment sérieuse (et crédible) pour ressentir de la peine vis-à-vis des intéressés.

Que retenir donc ? Il reste moins de 50 (sur une centaine au début) criminels sur l’île, et tout porte à croire que ce nombre va décroître avec une régularité d’horloger suisse. Au surplus, quelqu’un d’important va être amené à jouer un rôle éminent – je vous le donne en mille : le père du protagoniste. Et Le félin est presque content qu’il ne reste qu’un tome, lequel a intérêt de clore la saga en beauté. Parce que depuis deux opus, c’est plutôt décevant. Affaire à suivre donc.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Sakurai évoque un énième désordre sexuel qui mérite un paragraphe entier. En effet, Georges, depuis qu’il a vu sa mère se faire violer dans sa tendre (sic) jeunesse, a une notion de l’excitation sexuelle plutôt particulière. Du genre à ne pouvoir jouir (sans bander en plus) que lorsqu’il assiste à une agression sexuelle – de préférence contre sa petite amie du moment. En rencontrant les frères Katsumata, un funeste « jeu » (une routine) s’installe : Georges leur « offre » sa copine non-consentante à la lubricité des deux dégueulasses (si celle-ci est vierge, c’est bonus) et ressent un plaisir aussi vif que coupable. Lorsque Kôzô subira les assauts d’un homme sous ses yeux, le drogué impuissant (qui a perdu sa bite croquée par un tigre, eh ouais) pourra-t-il surmonter son penchant pendable ?

A tout hasard, ce tome offre une brillante illustration de la manière dont quelqu’un peut utiliser les armes de l’ennemi – ici, le boss yakuza à l’origine du parcours de croix de notre ami. Déjà, récupérer les armes des sbires censés surveiller l’île depuis la mer. L’équilibre de la puissance est alors rompu. Ensuite, miser sur la haine de certains qui n’ont rien à perdre. Mustsuo, qui a subi d’innombrables humiliations (feuilles de rose imposées avec dégustation de merde, urophilie contrainte, le tout délicatement illustré par le mangaka), est un concentré de rage. Rage contre lui-même (il allait se pendre) qui ne demande qu’à se retourner contre ses agresseurs. La manipulation fonctionne des deux côtés, il suffit d’un beau discours pour transformer une victime apeurée en un berseker à la gâchette facile. Remarquez, en foutant une centaine de détraqués dans un tel espace clos, l’auto-destruction des méchants devait intervenir.

…à rapprocher de :

– Bien évidemment, faut commencer par le premier tome (en lien, quelques visuels étant dispo). Puis, naturellement, avec le deuxième (en lien) et même le troisième (un poil décevant.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce manga en ligne ici.

Les Voyages du TigreDans un billet précédent (en lien), Le Tigre vous entretenait de l’existence d’un comportement aussi surprenant que, au premier abord, malvenu. Lorsque craindre de manquer anime une petite civilisation, le touriste se doit d’entrer dans la farandole. Mais pas n’importe comment au risque de devenir un citoyen de troisième zone. D’abord comprendre ses motivations, ensuite être comme le kiasu.

Pourquoi être kiasu ?

Pour rappel, un kiasu est un individu animé d’une solide crainte de manquer. Manquer de temps, d’argent, de nourriture, et prochainement se retrouver dans la dèche la plus vile. Comportement typiquement asiatique, le kiasuisme (ne cherchez pas, ce dernier terme est inventé) revêt différentes facettes qui pourront choquer plus d’une personne. Dont votre serviteur, jusqu’à ce qu’il s’intéresse aux motivations profondes de cette brochette de connards qui me grillaient la politesse dès qu…euh de ces loyaux habitants de l’Orient mystérieux.

Pour avoir essentiellement séjourné à Singapour la stricte et, dans une moindre mesure, au sein de la Chine multimillénaire (plus de deux ans en cumulé), ma modeste analyse des raisons du kiasu se fonderont ici sur des observations effectuées dans les pays cités. Pour faire sérieux, je vous propose une explication en trois parties : l’évolution de la société, le raisonnement atavique qui s’ensuit, enfin une différente approche de l’opportunisme.

Attention, cela reste mon avis d’éternel voyageur. Ne prenez pas à la lettre ce que vous lirez, gardez à l’esprit que derrière le clavier sévit un touriste – dans tous les sens du terme. Il ne s’agit que d’hypothèses, aussi je ne vous conseille pas de me citer dans votre mémoire de doctorat. Ou alors avec un énorme astérisque, du genre « je n’ai rien trouvé de mieux sur le web, désolé ».

1/ La société comme modèle

Imaginez un paisible village de pêcheurs de taille correcte. Une zone plutôt inhospitalière où l’humidité de l’air n’a d’égal que la luxuriantissime jungle. Une région minuscule qui a subi les affres de la seconde guerre mondiale – à savoir une occupation japonaise pas vraiment reposante. Voyez ce village de quelques milliers d’habitants ? Peu d’eau douce, une agriculture inexistante, une industrie qui se limite à trois pèlerins s’excitant seuls dans un hangar, une armée aussi risible que celle du Vatican, sans compter une situation géopolitique tendue.

C’est dans ce genre de pays qu’une poignée de Chinois se sont installés, évitant au mieux de continuer à vivre dans les autres États d’une fédération qui ne les tolérait guère. Au point de souhaiter vivement que cette ethnie se regroupe dans cet État du sud. Lequel fut plus ou moins contraint de déclarer son indépendance dans les années 60. En une vingtaine d’année, le Premier ministre/dictateur a réalisé un rêve. Le constat ? On n’a rien si ce n’est une populace travailleuse. Le but ? Faire de notre presqu’île un hub marchand, logistique et financier de l’Asie du Sud Est. Une cité-état respectée et à qui on ne la fait pas – avec l’aide de l’Oncle Sam. Et ils y sont parvenus. Une place financière puissante, un havre de stabilité business-friendly, un îlot de prospérité qui ne connaît point la crise.

En gros, voilà l’histoire de Singapour depuis les années 50. Pour la génération née jusqu’aux années 60, cela représente une gigantesque évolution de sa petite ville. En l’espace de quelques décennies, les habitants sont passés d’un modèle très familial vivant chichement et ne sachant guère de quoi demain sera fait à un modèle similaire, mais avec de la tune et des beaux buildings.

En rajoutant une éducation relativement stricte consistant à ne donner que le nécessaire à sa progéniture, vous obtenez des individus économes prêts à affronter un siège – regardez dix secondes la situation géographique de Singapour.

2/ Jeu de go contre jeu d’échecs

Le principe est clair : si notre société est passée aussi vite de la modeste existence à l’opulence, qu’est-ce qui empêche que l’inverse se produise ? Lors de la crise de 2008, un chauffeur de taxi m’avait résumé la manière dont, croyait-il, la cité-état gérait le chômage. Les CEO redeviennent employés, le salary-man entreprend de faire le taxi, et le chauffeur de cab repart dans son pays – Malaisie, Inde, name it. Lorsque la reprise économique était de retour, machine inverse.

D’où le rappel incessant que rien n’est acquis, qu’une belle position peut se retourner aussi rapidement que la bourse peut s’effondrer. Et qu’on doit être amené à changer de vie, voire se réinventer pour passer à travers les gouttes. Sauf que la perspective de devoir recommencer à zéro fout suffisamment les jetons pour ne pas insulter l’avenir et faire des réserves – de bouffe, de temps, de coupons gratuits, d’amis bien placés – au cas où.

3/ Assumer l’opportunisme

En une phrase : tout le monde le fait depuis toujours.

Il n’y a ni questions à se poser, ni honte à ressentir lorsque ses contemporains se comportent pareillement – attention, je ne parle pas de relativisme culturel.

Comment réagir face à un kiasuïste de combat ?

Ces présentations faites, de quelle façon doit-on s’y prendre en présence d’individus se comportant comme les derniers des crevards ? [cette partie est appelée à être, un jour, un peu plus développée]

1/ Mauvaise réaction : ignorer, au risque d’être éjecté

Vous vous en foutez. Tant mieux pour vous. Mais par ce laisser-faire de touriste naïf et en apparence bonne pâte, vous signifiez à vos interlocuteurs pressés que vous n’évoluez pas dans le même monde qu’eux. De facto, vous vous éjectez du système et n’apparaissez que comme un individu de passage, un non-citoyen qui disparaîtra de leur vue aussi sûrement qu’il s’y est inséré.

Cette nonchalance, chose extraordinaire, vous collera à la peau si bien que se défaire de ces oripeaux touristiques sera extrêmement difficile. En outre, si vous êtes amené à rester plus d’un mois dans un tel pays, il convient de s’habituer dans les meilleurs délais au kiasuïsme – après deux semaines à Shanghai, vous en aurez marre de laisser passer trois trains pour avoir le vôtre.

Pour prendre un exemple concret, imaginez-vous à la gare centrale de Pékin où vous devez acheter un ticket de train. Les Pékinois font la queue comme je fais l’amour, c’est à dire dans le désordre le plus complet et sans respecter les personnes alentour. Parmi eux, une petite vieille qui fait des coudes, vous marche sur le bout des chaussures et se faufile telle un mille-pattes jusqu’à passer devant vous. Tout ça sans s’excuser, évidemment. En vous laissant bouffer sans broncher, jamais vous n’aurez ce foutu billet. Hors jeu.

2/ Encore plus mauvaise solution : réagir frontalement

Il y a néanmoins pire que de laisser pisser : surréagir tel un roquet européen en mal de câlins. S’exciter comme un vulgaire Américain prêt à appeler son avocat et provoquer un mini esclandre. Vous dépasserez le cadre de l’impolitesse pour naviguer à vue dans les eaux troubles de l’infamie. Outre l’exclusion, vous serez méprisé.

Cela m’est arrivé lors des premières semaines de mon séjour. Représentez-vous la petite vieille, toujours la même, dont je commençais à deviner le petit jeu : celui de la rame humaine. Tu lances tes bras en avant, t’accroches à un tissu et tire de toutes tes forces pour avancer. Soit tu prends la place du couillon qui fait la queue devant toi, soit tu gagnes 10 mètres en t’agrippant à ce dernier qui, cherchant à échapper à ton emprise, remonte la queue comme si le diable intentait une feuille de rose à son encontre.

Tout ça pour dire que cette petite conne, bah je l’ai regardé dans les yeux en lui assénant quelques mots (« attention », « tu peux pas », « ne me fait pas ça », dans un mix de mandarin/cantonais assez abrupte à l’oreille). Mais impossible d’accrocher son regard fuyant qui faisait semblant d’admirer le linoleum par terre. Et quand j’ai enfin réussi, j’ai vu un mélange de peur et de déception, saupoudrées d’un effarement au terme duquel le regard s’est définitivement voilé : j’étais mort à ses yeux. J’avais osé remettre en cause sa légitime habitude à grapiller des places (sans demander la permission ni dire merci), habitude transmise par sa mère, laquelle la tenait de son aïeule et ce jusqu’à la dixième génération.

3/ Comportement adéquat : se fondre dans la masse

Le plus simple est de, trivialement, faire comme n’importe quel kiasu. Avec tact, constance et naturel.

Il convient d’opérer un changement de mentalité et d’adopter la posture du « passif agressif », qui consiste à gagner du temps/de l’argent rien que pour soi et sans trop penser aux autres. Ces derniers font de même, alors pourquoi les considérer comme des adversaires ? Ce sont seulement des obstacles mouvants contre qui aucune haine ne doit être directement dirigée.

J’ai retrouvé, quelques mois après, ma dame d’un certain âge dans un magasin qui distribuait des échantillons gratuits. A moins que ce ne fût sa sœur. On s’en branle. Toujours est-il qu’elle me broyait les côtes avec ses coudes khâgneux pour récupérer quelques jus de raisin à l’œil. Je n’ai rien lâché, on se tirait la bourre comme deux bossus pour arriver, presque en même temps, au bout de la queue. J’étais plutôt porté sur les macarons, cependant le stand de distribution était le même. Pendant mon mini-périple avec elle, pas un mot ni un regard ne fut échangé. Chacun essayait de placer une partie de son corps devant l’autre afin de faire comprendre qui était le boss. Chaque décimètre était une ligne d’arrivée qu’il fallait atteindre coûte que coûte. Je souriais, elle avait le regard porté vers l’horizon et ne paraissait pas le moins du monde dérangée par mes talons qui, par hasard bien sûr, clouaient ses sandales au sol.

Je crois qu’elle a autant aimé ça que moi. En réalité, elle ne m’a même pas calculé. Une pureté de kiasuïsme servie par un barycentre suffisamment bas placé pour passer entre les individus serrés. Y’en a qui ont le physique aidant.

Conclusion du kiasu vu de l’intérieur

Si vous ressentez un tant soit peu d’empathie pour vos congénères, vivre en Asie du Sud-Est devrait faire de vous un kiasu des plus performants. Un être de lumière dont l’expression « être au taquet » serait proverbiale. Sachant que vous pourrez tout perdre du jour au lendemain, ne se fiant guère au confort matériel présent mais pensant au pire avenir (durable ou non) qui s’annonce, le kiasu ne laisse aucune place au hasard – même si cela signifie en faire trop.

En fait, le kiasuisme est une certaine forme d’esthétisme de la modernité. Quand tout va trop vite, trop bien, il est bon de garder ses antiques réflexes et collecter, ici et là, de quoi améliorer un ordinaire qui pourrait vite partir en sucette.

KIASU. Ne voyez plus ce terme comme un reproche. Mais la preuve vibrante que votre intégration à l’univers sud-asiatique est presque complète. Soyez cependant attentif à la manière dont ce doux son est prononcé. En effet, si vous entendez le mot « Kiasi », il s’agit de tout autre chose. C’est la peur de mourir. Rien à voir. Tellement que ça mériterait un autre billet.

Moebius - L'homme est-il bon ?Jean Giraud est un génie. Même seul il parvient à faire rêver, rire et réfléchir avec peu de mots et des dessins simples mais percutants. Les six exemples de ce recueil au dessin net (presque tape-à-l’œil) et au phrasé enchanteur (y’a même du Rimbaud) offrent une idée de l’éventail du talent de l’auteur français, grand sublimateur d’une certaine idée de la science-fiction à la sauce humaniste.

Il était une fois…

Un soldat aux prises avec des monstres décidés à le manger (vraiment ?) ; un homme qui s’échappe par bien des aspects ; un chevalier à l’assaut d’une citadelle monobloc ; une balade dans un univers pas si différent du nôtre ; une enquête dans une cité immense ; la découverte d’une planète avec un seul minuscule continent…l’homme saura-t-il être meilleur qu’aujourd’hui ?

Critique de L’homme est-il bon ?

Voici six histoires plutôt courtes publiées entre 1974 et 1980 par Giraud (qui à l’époque signait déjà « Moebius ») dans divers fanzi..euh magazines de renom tels que Pilote et Métal Hurlant. La belle époque, celle où la science-fiction et la bande dessinée avaient encore le meilleur à produire (L’Incal, Dune en film, Alien) après le déluge rigolard et too much des années 60/70 – impression personnelle, merci de ne pas me chercher des noises là-dessus.

Moebius - L'homme est-il bon ? extrait 1Le félin ne va pas vous conter ce dont il est à chaque fois question, toutefois en moins de soixante pages il y a fort à parier que vous retiendrez surtout la première nouvelle (qui donne son nom au présent recueil) et The Long Tomorrow qui occupe près d’un tiers de la BD. Cette dernière aventure, sorte de prélude dans un genre très Incal (scènes de sexe comprises), est une aventure policière/d’espionnage riche en rebondissements avec un héros taciturne qui a la chance de survoler les différentes strates de la société.

Les illustrations restent cohérentes dans l’ensemble, avec un trait assez gros qui néanmoins s’attache à entrer dans le détail – les murs ne sont jamais nets, l’architecture reste abondante et les visages présentent une réelle expression. Outre les scénarios, il n’est pas difficile de remarquer que Moebius a désiré s’exercer dans diverses représentations, qu’il s’agisse de dépeindre des monstres ou des méga-structures donnant le tournis. Quant aux couleurs, rien de vraiment réaliste puisque les teintes vives et peu naturelles s’allient à des tons pastels, le tout renforçant un onirisme qui sied bien aux histoires.

Quoiqu’il en soit, L’homme est-il bon ? surprend par la diversité des problématiques traitées et la manière dont l’auteur donne « sa » réponse. En moins d’une dizaine de petites aventures, le lecteur sera amusé, gentiment choqué ou amené à réfléchir à ce qu’il voit. Dans tous les cas, l’humour vaguement absurde mâtiné de fantasy renvoyant à nos contes (la table ronde du bon roi Arthur, l’Amazone reine de la jungle, etc.) rendent cet ouvrage suffisamment unique pour le relire avec plaisir.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Moebius - L'homme est-il bon ? extrait 2Le fauve supporte les textes courts dès lors qu’une agréable surprise clôt la narration. Et je fus largement servi. Entre quelque chose de banal qui se termine pareillement en eau de boudin (L’univers est bien petit), un homme dont le corps astral fait la nique aux geôliers (très poétique Double Évasion qui a quelque chose du dessinateur Quino) ou un autre dont on ne sait finalement dans quel univers il évolue (Ballade dans un pays en guerre contre les U.S.A.?), l’auteur confronte toujours premières impressions « normales » (dans une certaine mesure) avec une surprise finale qui invite à reconsidérer son intention.

A ce titre, il convient que je vous parle de la première nouvelle. A la question L’homme est-il bon ?, deux niveaux d’analyses sont offerts. D’une part, on voit un super-soldat tout en puissance paumé au milieu d’une planète qu’on suppute inhospitalière. Le gars bien bourrin qui ne pense quen termes de confrontation et se hisse sur une pierre pour faire face à l’ennemi – bon, à sa place je ne le verrais pas poser son gun et tenter un pourparler. Bref, un être foncièrement mauvais. D’autre part, plus prosaïquement, Moebius demande si l’homme a bon goût. Après que notre soldat se soit fait bouffer l’oreille (que Giraud rappelle en préface être le centre – l’ultime chakra – de notre être) par ce qui ressemble à de dégueulasses orks, la réponse très « premier degré » n’est pas plus flatteuse pour notre espèce.

…à rapprocher de :

– On retrouve Moebius dans ce blog dans L’incal (un must-read) et Silver Surfer : Parabole avec Stan Lee (excellent).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette BD en ligne ici.

Will Self - La théorie quantitative de la démenceVO : The Quantity Theory of Insanity. Sous-titre : Avec cinq autres propositions à l’appui. Six nouvelles, six expériences serties d’un humour tout british sur le thème de la douce démence qui nous habite. Lecture plutôt agréable malgré des longueurs ici et là de la part d’un écrivain qui aime installer un certain contexte qui vire progressivement à l’absurde.

Il était une fois…

Le Royaume-Uni regorge d’individus d’apparence normale soumis à l’absurdité et à l’étrangeté de leur monde environnant. Tandis qu’un brave gars fait la rencontre de sa mère censée être décédée, un médecin intègre un service psychiatrique où on se demande qui sont les plus fous. Mais ce n’est rien par rapport à une population indigène auto proclamée la plus ennuyeuse de l’existence ou un chercheur prêt à révolutionner ce que l’on sait des maladies mentales.

Critique de La théorie quantitative de la démence

Will Self est une référence en termes de littérature anglaise un tant soit peu originale. Point barre. Même s’il n’a pas autant pris son pied sur ces six nouvelles, Le Tigre peut tenter d’évoquer chaque texte en y développant sa royale impression. D’abord, Le Livre des morts de Londres-Nord pourrait fonctionner en binôme avec le roman Ainsi vivent les morts. Lorsque ce dernier titre prenait le point de vue d’une femme apprenant à vivre dans un univers « parallèle » avec les autres morts, la présente nouvelle s’intéresse aux réactions de son fils la croisant dans la rue. Improbable et un peu inutile, j’étais content que ça se termine – moins de 30 pages, ça aide.

Dans Service 9, Misha Gurney, une médecin émérite, est intégré dans une unité aux méthodes particulières pour traiter les patients. Misha a de plus en plus de mal à les différencier des praticiens (c’est le but du Service), jusqu’à ce que cette ressemblance l’atteigne. Sympathique, sans plus. C’est plutôt A la découverte des Ur-Bororos qui m’a régalé : le vocabulaire pour décrire une tribu amazonienne aussi chiante qu’un dimanche pluvieux en Angleterre (Bororos, to bore, vous saisissez ?) et le voyage sur place intellectualisé de Janner (sans oublier ses thèses branlantes) ont cet humour détaché et déjanté qui rend la nouvelle unique et plus aisée à lire que La théorie quantitative de la démence dont on entre dans le vif du sujet qu’à mi-chemin. Dommage parce que ça envoie du pâté. Rien que l’idée selon laquelle il y aurait une quantité de santé mentale donnée dans une société à un moment précis et les expériences à mener pour valider cette théorie ont ce mélange de sérieux et de n’importe nawak aussi déroutant que plaisant.

Ces nouvelles ne seraient pas aussi géniales sans l’écriture léchée et précise d’un Will Self qui, comme à son habitude, fait de l’orfèvrerie avec le vocabulaire. Que ce soient des mots rares (ou employés à contre-courant) ou des expressions qui se répètent dans la tête comme on fait tourner un bonbon acidulé dans la bouche – du genre « la surface de la psyché collective était comme le vieux coutil à rayures d’un matelas défraîchi » ou « la juxtaposition sujet-objet-prédicat semble refléter une cosmologie marquée par un dualisme conceptuel semblable au nôtre ».

Malgré ces qualités d’écriture confirmant le talent de l’écrivain britannique, une narration drôlatique (et immersive grâce à l’utilisation de la première personne du singulier) où l’absurde et la finesse jouent de pair, des idées intéressantes renvoyant aux autres nouvelles (références et personnages récurrents) où à d’autres œuvres de Self, une impression d’entraînement par un maître des mots, votre serviteur littéraire n’a guère apprécié ledit recueil. Pourquoi ? Tout simplement parce que parfois le verbiage de Will S. était trop prégnant, et les deux nouvelles de fin m’ont gravement fait chier. Monocellulaire et Attente, excessivement obscures à mon goût, ont eu raison de ma patience limitée. A vous d’entreprendre de saisir quelque chose d’utile, à part une ou deux saillies intellectuelles, à ces 80 pages.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La constante chez ce bon Self est la manière dont il traite l’instabilité mentale de ses contemporains. L’auteur prend des protagonistes d’une banalité confondante, si ce n’est pour certains leur accointance avec la faculté de médecine (option psychiatrie), pour les faire entrer dans des situations où le lecteur vient à douter de leur bonne santé psychique. Lentement mais sûrement, le Dr. Gruney, le fils éploré ou le héros de la nouvelle phare voient leurs univers respectifs prendre une tournure correctement bizarre, presque fantastique. Avec, comme point d’orgue, cette lancinante question : de quel côté est la sanité ?

La réponse à cette dernière question reste d’autant plus dans les airs que l’essayiste (j’utilise ce terme à escient) use et abuse de l’absurde et d’un humour pince-sans-rire qui peut décontenancer le lecteur. En effet, Will Self n’hésite pas à « dire de la merde » mais avec des termes et notions philosophico-médicales qui en imposent. Il se moque, avec un plaisir non feint, de la morgue et du pompeux des sociétés de savants de son pays, tourne en dérision les querelles de clocher de ces individus disposant d’une tête aussi grosse qu’un melon hawaïen (lesquels s’affrontent par le biais de conférences ou d’articles lus de personne), tout ceci avec une exagération à la limite du foutage de gueule – mais avec finesse hein. Hélas, dans les deux derniers textes, ça va tellement loin que même le lecteur peut se mettre à douter de sa capacité à comprendre ce qu’il se passe.

…à rapprocher de :

Le Tigre a lu (presque) tout du père Self, jugez plutôt : à lire absolument, les deux nouvelles dans Vice-versa. Mon idée du plaisir (un presque must) ; Les Grands Singes (pas mal) ; Dr Mukti (assez proche du présent recueil) ; No smoking (décevant) ; Umbrella (arf, pas fini) ; Ainsi vivent les morts (plussss que correct) ; The Sweet Smell of Psychosis (exigeant et déjanté).

– Autre auteur d’anticipation sociale qui s’est attelé à la vie après la mort, il y a Damned, de Chuck Palahniuk. Déception.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.