Les textes du TigreAdorable époux, plan cul qui tombe à l’eau, beau-papa trop prévenant, voici trois brèves du parquet. C’est-à-dire trois expériences d’un substitut du procureur qui a bien voulu me conter ses affaires les plus marquantes. Pas besoin de chercher sur internet des faits divers correspondant, Tigre a tout emmêlé avec une coupable mais nécessaire allégresse.

American Psycho IRL

Marie bénévolait [laissez-moi inventer les verbes que je veux] dans une association d’insertion de détenus. En prison, elle a sympathisé avec l’un d’entre eux. S’ensuivit une intense relation épistolaire. Les premiers sentiments. Les promesses. Un mois après sa sortie, le mariage. L’installation dans la maison. Le douloureux désenchantement : Jacques est un fou furieux, paranoïaque de surcroît. Tellement fourbe que Marie le soupçonne rapidement d’empoisonner l’eau qu’elle boit. A tel point qu’elle cache des packs d’eau minérale dans le coffre de sa Peugeot. Et prétexte des oublis dans la voiture pour régulièrement s’hydrater.

Les seuls moments de détente sont ceux pendant lesquels son mari va faire des courses. Les muscles de Marie se relâchent alors devant la télé, même les pires unes des journaux télévisés ne l’atteignent pas. Elle devrait. Car une fois, Jacques fait semblant de partir. Il prend un fusil et entre en douce dans la maison. Il se dirige en douce vers sa proie et rapproche le canon du fusil à deux centimètres de la tête de Marie. Tire. Verdict des assises : trente ans, période de sûreté de vingt-deux années.

Disparition extrêmement inquiétante

– Monsieur le substitut ? Ici la gendarmerie. Nous avons une femme dans nos locaux qui vient de rapporter la disparition de son petit ami.
– Depuis quand il n’a pas été vu ?
– Elle ne l’a jamais vraiment vu en fait.
– Comment ?
– Ils se sont rencontrés sur un site de rencontre en ligne il y a une semaine. La femme nous a affirmé qu’ils sont amoureux. Et il était censé passer le week-end chez elle.
– Et alors ?
– Il ne s’est jamais présenté à la gare.
– Elle a au moins essayé de l’appeler ?
– Oui. Ça ne répond pas.
– Comment ça ? Le portable est coupé ?
– Non. Il y a une tonalité mais le gars ne décroche pas.
– Et vous m’appelez seulement pour ça ?
– On est tenus de vous le signaler. Au cas où. On fait quoi ? On attend que la dame parte et on appelle le gars depuis nos locaux pour être sûr ?
– Pas besoin. Si ça se trouve elle n’attend que ça.

Moralité : faites gaffe si vous posez un lapin à une chieuse finie.

Zézette et les araignées

Léa, petite fille de quatre ans, est atteinte de mycoses vaginales. C’est souvent le cas après des années dans des crèches où changer les couches n’était pas la priorité. Exceptionnellement, c’est la grand-mère paternelle de Léa qui lui applique de la crème pour la soigner. L’aïeule tique quand Léa lui sort « ah mamy, tu fais comme copain de maman qui regarde ma zézette. Mère-grand veut en savoir plus. Léa explique que Guy, le beau-père, regarde en effet dans sa zézette pour voir s’il n’y a pas d’araignées, et y met son nez pour en être bien sûr.

Expertise médico-psychologique sur la petite, qui face au grand monsieur en blouse s’est braquée. Examen médical : hymen intact. Finalement, Léa répète ce qu’elle a dit à sa mamy lors d’une audition Mélanie dans un hôpital – prénom de la première fille qui a été interrogée dans un lieu à l’allure de chambre d’enfant (nettement moins anxiogène) et constamment filmé.

Le père de Léa appelle le commissariat parce que dans deux jours il est censé laisser son ex-femme prendre la petite pour quinze jours. Il va refuser mais craint qu’une plainte soit déposée contre lui pour enlèvement.

[Tous les prénoms des protagonistes ont été, bien évidemment, attribués au hasard]

A la prochaine cote ! [en lien]

hilip Kerr - La Paix des dupesSous-titre : Un roman dans la Deuxième Guerre mondiale. VO : Hitler’s Peace. Courant octobre 1943, Roosevelt, Churchill et Staline doivent se rencontrer à Téhéran pour discuter du sort de l’Allemagne (et accessoirement préparer la suite des réjouissances). Sauf que l’endroit est truffé d’espions. Somptueux pavé difficile à apprivoiser (du moins au début), en ce qui me concerne j’ai été transporté. 

Il était une fois…

Alors que ça commence à puer le sapin pour les Nazis, les « Trois Grands » décident de taper la discute IRL (in real life) en Iran. Ayant vent de la petite sauterie, Hitler a l’idée de les tuer en bombardant le lieu de rendez-vous – avec une escouade de SS d’origine ukrainienne. Entre Roosevelt qui traverse l’Atlantique, Churchill accroché aux basques des Américains, Staline qui pète de trouille dans un avion ou le Shellenberg qui prépare l’opération « Triple Saut » pour buter les trois gus, une pétée d’espions et d’autres correspondants (doubles pour certains) de l’ombre s’agitent comme des puces autour d’une rendez-vous qui ne se passera pas comme prévu… [paye ta phrase de cinq lignes avec autant de prépositions]

Critique de La paix des dupes

600 pages, chapitres non séparés par une page. Oh le cochon. Était-ce vraiment nécessaire de faire péter un ouvrage aussi lourd ? Connaissant l’auteur britannique et sa propension à développer son intrigue pour une immersion presque parfaite, Tigre ne voit guère où trancher dans le lard littéraire aurait été possible.

Revenons à l’édifiante histoire de nos barbouzes en plein conflit mondial. Des États-Unis à l’Allemagne, en faisant quelques détours par l’Égypte puis l’Iran (alors plutôt favorable aux Nazis), le félin a été introduit dans un épisode assez méconnu du début des années 40 : la conférence dans la capitale perse, bien avant celle de Yalta, était la première dans son genre. L’écrivain propose d’étudier les problématiques de chaque camp (l’URSS dans une moindre mesure) avant le fameux rendez-vous, que ce soient les recherches sur le massacre de Katyn ou les péripéties du voyage du fragile Roosevelt et d’un de ses traducteurs (Mayer). Évidemment, la concentration d’autant de représentants de grandes puissances attire forcément des envies de décapitation en mode « une pierre trois (sinon plus) coups ».

Vous l’aurez compris, le nombre de protagonistes est assez élevé. Cependant l’écrivain parvient à se concentre sur une paire d’individus : Schellenberg, SS qui organise et présente à Himmler l’opération Triple Saut (qui a réellement existé), mais surtout Willard Mayer, véritable ancre narrative du roman. Le philosophe américain, entraîné dans l’Histoire aux côtés des chefs d’États, sera le personnage que le lecteur connaîtra le plus intimement, et auquel il est le plus facile de s’identifier – les chapitres le concernant sont livrés à la première personne du singulier, il est vrai que cela aide.

En guise de conclusion, si le félin n’a pas attribué la meilleure note, c’est à cause des quelques clichés qui parsèment la lecture de l’œuvre. Très très difficile à suivre pour qui ne s’intéresse pas particulièrement à cette période de l’histoire. De même, Kerr a contraint Le Tigre à frénétiquement compulser ses livres d’Histoire. Où commence la fiction et l’imagination ? Quand est-ce que le lecteur commence à se faire embrigader dans une progressive uchronie savamment contée ? Quels protagonistes ont réellement pu avoir ce type de comportement (je pense notamment au sanguinaire Beria) ? A vous de le découvrir.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Tout d’abord, qui sont ces dupes ? Tout le monde en fait. L’Allemagne dont les communications secrètes sont cassées à mesure que ses armées subissent le même sort – tout en espérant une paix séparée avec les Anglo-saxons, paix qui viendra finalement sous une forme inédite. Les Russes, qui ont déjà perdu des millions de soldats et continuent à se saigner tandis que le très capitaliste Staline accepterait des compensations financières contre la fin des hostilités. Les Américains, obligés de se pointer en Iran, sans compter un FDR (Roosevelt) diminué qui offre beaucoup aux Soviétiques. Les Britanniques qui semblent plus tenir la chandelle qu’autre chose. Tous sont suspicieux et, ayant peur de se la faire mettre, font preuve d’un incroyable cynisme. [et je ne parle pas des pays de l’Est de l’Europe, dont le passage d’Hitler à Staline ne représente qu’un changement de façade].

La signification du terme « dupes » prend néanmoins toute sa saveur dans les derniers chapitres. Désolé mais ce paragraphe va salement spoiler. Vous voilà prévenus. La kolossalle überraschung vient de Hitler qui, en fait, participe à la conférence de Téhéran. Voui voui, l’Histoire ne s’est pas déroulée de cette façon. Et les pourparlers entre les participants, hallucinants, n’en restent pas moins réalistes. On y voit à quel point les objectifs de chacun sont irréconciliables, et pourtant ils sont à deux doigts de former une paix honorable (d’un point de vue nazi surtout). Après l’échec des négociations, les Allemands n’agissent plus que pour le pire.

Enfin, ce roman permet de mesurer le nombre impressionnant d’espions, agents, etc. qui se branlent la nouille entre eux dans un joyeux bordel où les relations personnelles, déterminantes, amènent à des situations inextricables. Notamment le protagoniste, personnage un peu falot mais au pedigree diablement intéressant : ayant connu les grands pontes du nazisme lors de son séjour en Europe, passé coco, proche du NKVD, acoquiné avec une noble polonaise, Willard est l’essence même de la duplicité d’une période où les arrangements opportunistes écartent toute morale.

…à rapprocher de :

– Tigre est la première groupie française du bon Kerr. Si cela devait achever de vous convaincre : La Trilogie berlinoise d’abord, un doux plaisir qui nous introduit à son héros de premier plan, Gunther. S’ensuivent La Mort, entre autres ; Une douce flamme ; Hôtel Adlon ; Vert-de-gris ; Prague fatale ; Les Ombres de Katyn ; La Dame de Zagreb etc.

– C’est amusant, mais un protagoniste revient assez souvent dans les chapitres (on parle de lui) : il s’agit de Felix Kersten, masseur du chétif Himmler. Si vous voulez en savoir plus, allez donc découvrir Les mains du miracle, de Joseph Kessel.

– Sur la politique-fiction qui part plus en sucette, en BD, je vous enjoins grandement à découvrir la saga Block 109 (ouvrage fondateur ici).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Hergé - Le Sceptre d'OttokarSous-titre : Les Aventures de Tintin et Milou. La Syldavie, pays gentil s’il en est, représente un véritable fruit trop mûr qui n’attend qu’une amicale pichenette pour tomber. Mais c’est sans compter le reporter belge qui, par un suspect concours de circonstances, sauve la monarchie contre les libérateurs bordures. Un peu bâclé sur les bords, on n’y croit pas une seconde.

Il était une fois…

Tintin fait sa promenade digestive dans un parc quand soudain il tombe sur…une serviette laissée à l’abandon (un porte-document, pas un bout de tissu imprégné de sperme). Comme par magie, il parvient à trouver l’adresse du propriétaire. Le mecton (Nestor Halambique) s’apprêtait à partir dans un pays inconnu pour étudier les sceaux locaux. Et là, tout s’emballe : Tintin est filé par des agents secrets, croise les Dupondt qui se prennent des bombes plein la gueule, tire la barbichette d’un vieillard qui n’a rien demandé, prend des avions qui atterrissent (ou s’écrasent) sans lui, tape la discute au roi de Syldavie, et sauve les miches du royaume – avec l’aide de Milou qui, forcément, trouve un os au beau milieu d’une route de campagne pour le tenter. Ah oui, j’ai failli oublier : le reporter finit par être décoré de l’Ordre du Pélican d’or.

Critique du Sceptre d’Ottokar

Ce doit être un des albums de Tintin où le lecteur, devenu exigeant par des années de lecture de toute sorte, devra être extrêmement indulgent face aux coups de cul de Tintin et autres incohérences what the fuck aussi grosses que le flasque derrière de la Castafiore – qui fait ici sa première apparition, tout en puissance, notamment en poussant de la voix dans un espace confiné.

Revenons au scénario que vous devez tous connaître. Pour faire simple, Tintin se retrouve embrigadé dans une aventure dans un pays des Balkans qui a quelques problèmes avec son voisin, la Bordurie (qui a dit « ordure » ?). Ce dernier pays a mis en place un savant complot pour mettre sous sa coupe la petite Syldavie, chouette contrée plutôt rurale accueillante dont la langue consiste à rajouter « skaia » à tous les mots – Hergé n’avait guère le talent de Tolkien dans ce domaine. Pour ne rien gâcher au plaisir de la découverte du fin mot de l’histoire, les vilains utilisent le frère jumeau de Nestor afin de pécho le sceptre d’Ottokar qui assure la pérennité du roi Muskar douzième. Sauf que l’ingénieux Tintin va niquer leur plan.

Sur le dessin, ligne claire à la papa avec en prime quelques beaux portraits du peuple syldave. A ce titre, la surprise visuelle de cet opus consiste en une belle double page que les moins de quinze ans zapperont allègrement. Terrible erreur, car la brochure, dans un style de moyenâgeuse enluminure, permet de comprendre l’intrigue : sans le sceptre, le Roi n’est rien. C’est l’équivalent syldave des corbeaux qui peuplent les alentours de la Tour de Londres : si y’en a plus (moins de six je crois bien), le monarque peut rédiger sa lettre de démission – on parle d’abdication dans les milieux autorisés.

En conclusion, Le Tigre, certes rigolard face à cette antique bande dessinée, ne saurait oublier le contexte de l’époque : publication à la fin des années 30, il était temps d’évoquer les facéties (sic) du Troisième Reich dont les conquêtes territoriales avaient de quoi inquiéter la populace. Nous étions tous des Syldaves à l’époque – surtout les Polonais. Après les faux biftons de L’île Noire émis par les méchants Teutons, voilà de quoi enfoncer le clou.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Déjà, Hergé nous offre, par le menu, la manière d’envahir proprement un pays. C’est dingue, les bonnes recettes des années 30 n’ont quasiment pas pris une seule ride ! D’abord, noyauter l’administration et la police locales. Ne pas oublier de les laisser près de téléphones afin qu’ils rendent compte en temps réel. Ensuite, préparer avec un soin particulier un complot excessivement complexe dont l’exécution respecte la loi de Murphy – c’est-à-dire que dès que Tintin peut intervenir, faut que ça arrive. Enfin, laisser quelques éléments perturbateurs dans le pays cible. Simuler l’oppression des minorités et préparer une petite invasion pour « protéger » ses ressortissants. T’as bien noté Poutine ?

Cela étant dit, il convient de remarquer que les Borduriens (ça passe ?) se sont méchamment plantés alors que la Syldavie méritait de tomber. Déjà, lorsque l’aide du camp du Roi en personne et des hauts placés au sein des forces de l’ordre sont des agents bordures, en principe l’invasion devrait passer comme une lettre à la poste. Hélas la journée d’action avait du être programmée un dimanche – poste fermée donc. Et que dire d’un unique putain de sceptre qui décide si le Roi est en mesure de régner ou non ? Décidément, les Syldaves nous offrent le bâton (avec la notice) pour se faire laminer. Personnellement, si l’objet phallique disparaît, et bah à la place de Muskar XII j’en fais une copie en carton pour parader avec. Et si un connard prétend détenir le vrai, je l’invite à décliner son identité pour le confondre – en profiterai pour prouver que les Borduriers sont de mèche.

…à rapprocher de :

– Quelques Tintin sont à déplorer sur le pétillant blog, par exemple Les Cigares du pharaon ; L’île noire, Le Sceptre d’Ottokar, Le Lotus bleu ; Les Sept Boules de cristal ; Le Temple du SoleilTintin au pays de l’or noir ; Les Bijoux de la Castafiore. Dans l’ordre s’il vous plaît.

– Si vous avez envie de vous bidonner avec un humour lourdingue sur Tintin, je vous rappelle l’existence de Tintin en Thaïlande (en lien, avec un pdf de la BD honnie).

Les textes du TigreLe Tigre a encore perdu un pari. J’avais annoncé être capable d’écrire, avec la main gauche et sous l’emprise de la vodka, un chapitre digne d’un roman de Marc Levy. Hélas j’ai échoué : une phrase faisait plus de deux lignes. Mon gage ? Raconter une blague de très mauvais goût se situant dans un zoo. Et mettant en scène un tigre, évidemment.

Le zooboutin (comprenne qui voudra)

Dans un immense zoo sis en Ukraine, l’heure est à la fête : un tigre vient d’arriver, offert par le Président Poutine en signe de détente. Le félin, tout juste sorti de l’adolescence, sera en mesure de prendre la relève de celui qui pantouflait depuis de trop longues années.

Notre jeune ami s’installe dans l’espace réservé aux gros félins et repère rapidement son unique congénère mâle dans la zone. Ce dernier prend alors les devants :

– Bonjour mon petit. Écoute, je sais pourquoi tu es ici et ne m’en offusque point. Je me fais vieux et n’ai plus la même vigueur d’antan, et normalement l’attribution des femelles se règle par un combat loyal. A la place, je propose de ne garder qu’une seule tigresse, celle que tu veux, en échange de quoi je ne draguerai personne d’autre. [imaginez la voix du fils tabagique de Marlon Brando et Jeanne Moreau]

– Pas moyen espèce de vieille dondon ! Soit on se fait un bon combat tout de suite, soit tu t’inclines et c’est la grosse honte pour toi. Allez, en garde !

– Tsss…non mais regarde moi, je suis trop impotent pour tenir deux rounds. J’ai une idée moins violente : si tu arrives à m’attraper la queue entre tes deux pattes avant le coucher du soleil, je te laisse tout le harem et tu n’entendras plus parler de moi.

Le jeune tigrou, jaugeant le pitoyable aspect de son camarade, accepte sur le champ. C’est obligé qu’il lui touchera le derrière avant le crépuscule ! Le « jeu » commence donc. Et le jeune animal de sautiller autour du vieillard afin de lui bloquer le postérieur – ce dernier esquivant tant bien que mal.

C’est alors que le directeur du zoo, en pleine tournée d’inspection, remarque le petit manège auquel se livrent les deux tigres. Ni une ni deux, le dirlo sort son antique quoique efficace Winchester modèle 70 (munitions .458) et vise dans le tas. Concentration. Expiration. Décision. La tête du plus jeune félin explose sous l’impact. L’homme expulse la douille brûlante et contemple, satisfait, son légitime travail. Sa femme, alertée par le bruit, accourt :

– J’ai entendu des coups de feu mon amour. Mais qu’as-tu donc encore fait ?

– Fais chier. Les Russes se foutent de notre gueule. En deux semaines, c’est le troisième tigre pédé qu’ils nous refilent.

[je reviendrai]

Folman & Polonsky - Valse avec BachirVO : ואלס עdם באשיר (en anglais : Waltz with Baschir). Pendant la guerre du Liban de 1982, Israël envoie ses soldats pour pacifier un pays passablement désorganisé. Des jeunes hommes sans réelle expérience sont confrontés à l’horreur de ce conflit, et beaucoup ont laissé au fond de leur mémoire quelques graves traumatismes. Ari Folman est l’un d’entre eux, et tâchera de se rappeler ces instants dans un documentaire poignant et sans fard.

De quoi Valse avec Bachir, et comment ?

C’est après avoir visionné le documentaire cinématographique que Le Tigre a découvert qu’une bande dessinée avait été réalisée par la suite. Un roman graphique plutôt, quelque chose de suffisamment puissant et beau (dans sa violence) pour rendre un fort correct hommage à l’œuvre sortie sur grand écran.

Et ce n’était pas gagné, car « transformer » l’histoire sous la forme écrite et illustrée constituait une difficulté de premier plan (cf. dernier paragraphe du billet). Comment, notamment, rendre compte de la mélodie de la valse avec le père Bachir ? Bachir Gemayel, justement, est malgré son absence au centre de l’ouvrage : porté à la présidence de la république libanaise par les Chrétiens, Gemayel n’aura guère le temps de savourer sa victoire. Son assassinat fut alors le prétexte aux pires vengeances contre les populations palestiniennes, en particulier le massacre au cœur de l’intrigue.

Sauf que de ces terribles évènements qui ont eu lieu au début des années 80, Ari Folman ne se souvient de rien. A peine quelques rêves sans queue ni tête, aussi le narrateur entreprend de retrouver quelques compagnons d’armes (voire des psychothérapeutes) afin d’éclaircir son rôle (et celui de ses camarades) pendant l’offensive dans le Sud du Liban jusqu’à Beyrouth. Si l’histoire est présentée sous une forme chronologique, plus d’un lecteur pourra hélas être un poil perdu entre les dialogues d’aujourd’hui et les faits d’armes du jeune soldat.

Le bon point suprême de ce roman graphique réside dans ses illustrations. Du dessin assisté par ordinateur (enfin j’espère) serti de couleurs chatoyantes (la palette entière y passe), chaque double page est un émerveillement. La profondeur de champ et les mille détails parsemant ce petit chef d’œuvre participent à une large immersion dans le quotidien des protagonistes, c’est comme si nous nous souvenons de chaque scène en même temps que le narrateur. Moins régalant, la fin est une inattendue embuscade : après être entré dans « l’esprit BD », les auteurs livrent des images (assez crues) du massacre de Sabra et Chatila, il n’en fallait pas plus pour nous rappeler la triste réalité du documentaire.

En guise de conclusion, il s’agit d’un essai illustré qui est un cas d’école de ce qui peut se faire de mieux en la matière : narration intéressante (malgré quelques digressions), admirablement illustré, bien dosé question taille (120 pages à tout casser), Tigre a été conquis.

Ce que Le Tigre a retenu

Tout d’abord, la façon dont est disséminée l’information fait corps avec la perte de mémoire consécutive à un stress post-traumatique…seulement, le héros n’a pas vraiment conscience de la raison pour laquelle son cerveau joue les filles de l’air. A partir de ce constat, Valse avec Bachir (sublime titre, le contraste est saisissant) est avant tout un intense travail de mémoire, une quête salutaire qui peut expliquer le « flou » scénaristique qui ressort du titre…jusqu’à l’horrible vérité. Car les entretiens avec Frenkel et les autres vont permettre de progressivement lever le voile sur un épisode odieux de l’opération « paix en Galilée » (sic).

Ensuite, en quoi consiste cet épisode ? Certes il y a les aléas de la guerre, lorsqu’on demande à un jeune homme de buter les chiens à distance afin que ces derniers ne donnent pas l’alerte. Certes il y a les villes en ruine, avec les snipers planqués et les irréelles équipes de télévision. Mais rien n’égale dans l’horreur la tuerie généralisée, par une poignée d’extrémistes pro-Bachir, d’une partie de la population palestinienne présente au Liban. Massacre dont avaient connaissance les autorités israéliennes qui ont laissé les milices phalangistes zigouiller femmes et enfants – et ne semblent pas s’en offusquer, à l’image d’Ariel Sharon. Les ennemis de mes ennemis sont ponctuellement mes alliés…

Enfin, les dernières pages, interview de David Polonsky (directeur artistique), permettent de se rendre compte de la gageure à faire, à partir d’une œuvre cinématographique, une BD. D’ailleurs, les auteurs ne sont pas partis des images du film, celles-ci n’étant pas exploitables (à l’inverse des dessins préparatoires originaux). Ensuite, tout doit être visuellement réorganisé, la logique du lecteur n’ayant que peu à voir avec celle du spectateur – qui, en plus d’être passif, est soumis à une bande originale enivrante. C’est pourquoi Polonsky s’est attaché à présenter un lieu ou une action par double page (unité par excellence), en plus d’adapter le roman graphique vers un format « comics » afin de ne pas brusquer les habitudes des lecteurs et libraires.

…à rapprocher de :

– Sur les atrocités commises contre les populations civiles pendant une guerre, expliquées en bandes dessinées, Tigre vous renvoie évidemment à Maus, d’Art Spiegelman.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman graphique en ligne ici.

Robert Charles Wilson - Les ChronolithesVO : The Chronoliths. Dans un avenir proche, de formidables édifices apparaissent en plein centre de la Thaïlande. Les inscriptions sur les monuments annonçant la victoire prochaine d’un seigneur de guerre, la populace est en droit de paniquer. Qui pourrait arrêter le compte à rebours ? Émouvant et mystérieux, un livre que le félin recommande chaudement.

Il était une fois…

Au début des années 2020, l’existence de milliards d’individus est sur le point de basculer lorsque apparaît à Chumphon (Thaïlande), le premier Chronolithe. Un édifice gigantesque dont la matière est inconnue, sombre qui annonce la victoire à venir (dans une vingtaine d’années) du puissant Kuin. Un truc qui vient du futur, quelle est donc cette sorcellerie ? Qui est ce putain de Kuin dont personne n’a entendu parler ? C’est le début d’un longue traversée pour Scott Warden, père divorcé qui se trouve aux premières loges de ce foutoir.

Critique de Chronolithes

Encore une claque savamment assénée par l’écrivain canadien, quel pied. Une histoire d’une tristesse certaine (le désarroi est omniprésent), avec, comme d’habitude chez Wilson, une certaine mélancolie. Disons plutôt une sorte de douce dépression et de fatalisme face à des évènements trop énormes pour être appréhendés par une famille dans la tourmente. Ici, le lecteur savourera la sainte trinité, marque de fabrique du bon Charlou :

Premièrement, l’histoire familiale. Le narrateur, Scott Warden, est un homme « normal » : ingénieur dont la femme s’est (contrairement à lui) rapidement remariée, Scott est la gentille victime par excellence. Sa petite existence sera plus chamboulée que la plupart des quidams dans la mesure où il fera en Thaïlande la rencontre de Sulamith Chopra, femme dont l’expertise peut aider à comprendre la nature des Chronolites. Parallèlement, sa vie familiale sera progressivement mise à rude épreuve, notamment à cause de sa fille Kaitling (et surtout son petit ami) qui sera embrigadée par les méchants. Jusqu’où peut-il protéger ses proches face au raz-de-marée Kuin ?

Deuxièmement, le roman prend une tournure plus science-fictionnesque grâce à l’étude approfondie des gros obélisques. Pour cela, l’aide de « Sue » Chopra se révèle précieuse, il s’agit de la seule personne apte à développer les premières hypothèses (un bordel quantique auquel je n’ai hélas pas capté grand chose). Les objets venus du futur disposent de certaines propriétés (il fait tout froid autour de ceux-ci par exemple), et annoncent que d’ici deux décennies l’être humain sera capable de grands prodiges – ça inquiète plus qu’autre chose.

Troisièmement, Wilson dresse un sombre tableau de ce qu’est l’Humanité face à l’avènement auto-proclamé d’un dictateur victorieux. Car les crises qui d’habitude secouent la planète (l’environnement qui se déglingue notamment) entrent en résonance avec les nouvelles problématiques politiques et les implications sociétales de l’apparition des Chronolithes. Imaginez le peuple confronté à pareille magie, il y a de quoi oublier les trois religions monothéistes (surtout quand un édifice débarque en plein Jérusalem). Très vite les Terriens (car le glorieux Kuin dépasse les nations) se divisent entre pro-Kuin et anti-Kuin, laissant leurs plus bas instincts s’épanouir dans une guerre d’un genre nouveau – car n’étant pas encore déclarée, du moins le pense-t-on.

Concluons sur un bémol : Wilson semble penser que la profondeur de ses protagonistes (exécutée non sans brio) le dispense de révéler les réponses que Le Tigre était en droit d’attendre – notamment le déroulement du conflit à venir. Le résultat est que des pans entiers du scénario sont comme « laissés » sur la touche, en presque 500 pages cela relève presque du délit. – cependant, la beauté ne réside-t-elle pas dans ces petits trous laissés à l’imagination du lecteur ?

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Les prophéties auto-réalisatrices. Wilson, à défaut de bâtir une théorie pérenne sur les voyages dans le temps, s’en sort à peu près correctement concernant les paradoxes temporels (d’autres diront qu’il a piteusement botté en touche). Tout cela à partir d’une observation : les édifices sont toujours plus imposants, la mégalomanie de Kuin est sans limite. Sans doute trop d’ailleurs. [Attention SPOIL] A ce titre, le dernier Chronolithe (qui se pose aux States), trop gros pour ne pas se casser la gueule, est révélateur du combat perdu de Kuin. Sue Chopra, qui est sans doute la seule personne en mesure de maîtriser cette technologie, décide alors de rejoindre les partisans de Kuin. Comme agent double afin de faire capoter la dernière érection. Plus généralement, si l’identité du dictateur est suggérée en fin d’ouvrage, force est de constater qu’un joli paquet de furieux se seraient fait passer pour Kuin [Fin SPOIL].

Les crises majeures. La date fatidique de la conquête « Kuinesque » approchant, la sagesse de l’Homme s’est carapatée au trente-sixième dessous : il ne subsiste que la violence, la peur et la résignation face à des conquêtes d’ors et déjà annoncées. La dernière partie (il y en a trois), Turbulences, se passe presque dix piges après les premiers chapitres. L’instabilité mondiale est à son paroxysme, l’auteur nord-américain nous peint un monde en proie à la récession économique et à la catastrophe écologique. Rien de très avenant. Néanmoins, chez Wilson, après les actes providentiels d’une poignée d’individus, l’Humanité se remet de ces épreuves pour s’engager dans ce qui pourrait ressembler à un âge d’or en devenir.

…à rapprocher de :

– Tigre adore Robert Charles Wilson, jugez plutôt : la sublime trilogie Spin, Axis et Vortex. La base. Le vaisseau des Voyageurs ou Blind Lake, deux purs plaisirs. La cabane de l’aiguilleur, envoûtant à souhait. Mysterium, ai moins aimé. Julian, itou, la SF est moins présente et ça met du temps à monter. YFL-500, recueil de nouvelles plus que sympathique.

– Le scénar’ est très très proche de Nuits éternelles, un épisode de Sandman (by Neil Gaiman).

– Sur la question des prophéties auto-réalisatrices et le fait que les Hommes prennent connaissance de leur avenir, Flashforward de Sawyer mérite largement le détour – de grâce, oubliez la série TV.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Jean Graton - L'homme de LisbonneSur-titre : Michel Vaillant. Vols de données, parties de cache-cache dans des hôtels portugais, courses plus dangereuses pour les spectateurs que pour les pilotes, tout ça n’est pas fameux. Les illustrations, au moins, tiennent très bien la route – sans jeu de mots. A peine si les quelques traits d’humour ont rattrapé ce pitoyable tome.

Il était une fois…

Julie et Steve s’apprêtent à participer au très renommé rallye du Portugal, à savoir 2.400 kilomètres pour une arrivée finale à Estoril. Steve, pilote émérite, est le petit ami de la belle blonde, et la course dans le Sud de l’Europe. pourra mettre leur couple à rude épreuve. En parallèle, du côté des industries Vaillante, c’est la panique totale : des documents ultra-secrets ont été volés…

Critique de L’homme de Lisbonne

Le Tigre lit de tout, ne l’oublions pas. Pour tout avouer, les aventures de Michou Vaillant ne sont pas tout à fait mon genre. Des courses automobiles, de la belle mécanique, franchement je m’en bats les steaks. Admettons que les bagnoles et le décors sont admirablement rendus (on dirait des dessins sortis des usines, Jean Graton ayant été assisté), néanmoins les personnages sont aussi vivants et réalistes que des poupées barbies sous métabloquants. Tout ce petit monde se ressemble tellement que j’ai honnêtement cru que Steve, bah c’était Michel Vaillant – la différence ? Y’en a un qui est brun.

Quant au scénario, celui-ci se divise en deux histoires qui n’ont que le lieu d’action en commun. D’un côté, Steve et sa poule débarquent à Lisbonne avant le rallye dont tous les détails (dont je me fous totalement) sont donnés au lecteur exigeant. Aaaah, le Portugal…la visite guidée de l’auteur est gnan gnan comme il faut, même pas un mec qui vend du chichon à proximité du funiculaire. Concomitamment, un employé de Vaillante a balancé des plans à un concurrent, deal auquel participe « l’homme de Lisbonne ». Michel Vaillant va alors activer ses réseaux et court-circuiter la transaction pour éviter le pire.

Au final, le groupe Vaillant n’arrive pas sur le podium à cause d’un accident à la con. Mais leurs plans n’ont pas été vendus, alors pourquoi se plaindre ? Pour avoir lu pas mal de tomes mettant en scène ces protagonistes, j’osais espérer que pour le quarante-cinquième tome (oui : 45ème) l’auteur arrête les gentilles conneries en musclant le style de la série – même s’il n’est pas à l’origine de la série. Il n’en est rien, c’est toujours aussi lisse et gavant. Pas ma génération du tout.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Comme je ne compte pas me faire chier plus que cela, voici un aspect par histoire :

Les rallies et la sécurité, d’abord. A peine le premier kilomètre parcouru, nos deux amis décèlent ce qui va clocher : les spectateurs, ivres de joie, n’ont aucune conscience du danger. Cela pèse terriblement sur les conducteurs qui, souvent, doivent freiner comme des fous furieux pour éviter l’accident. Pas moyen de passer la cinquième l’esprit tranquille, mais dans quel monde vit-on ? Certes le félin supputait que les Portos adorent tout ce qui touche à la mécanique, mais de là à faire les toreros devant des monstres de plusieurs centaines de kilos, faut être légèrement débiles sur les bords.

Le vol de secrets industriels, enfin. Gros coup de cul : une feuille (la dernière) d’un projet en développement est trouvé dans une photocopieuse, ce qui indique bien évidemment qu’un espion rôde dans le système. A cet instant, le déroulement des faits prend la tournure d’une barbouzerie légère et enlevée où l’entreprise Vaillante, par la voie de son directeur, met en œuvre des opérations de contre-espionnage dignes du MI-6, postiches comprises – au lieu d’appeler les autorités. Amusant : Michel V. fait preuve d’une (ferme) bonté presque paternaliste dans l’affaire, notamment lorsqu’il renvoi l’indélicat au bon jugement des syndicats pour la suite des décisions à prendre.

…à rapprocher de :

– Mieux vaut, pour l’instant, lire Un pilote a disparu. Moins de prise de tête, ça passe bien plus vite.

– Des protagonistes interchangeables, des voitures qui font vroum-vroum, la saga des Fast & Furious n’a rien à envier à Michel Vaillant.

– La suite annonce que Julie prendrait place dans une Formule 1. De la SF, ça devient n’importe quoi. Et pourquoi pas devenir présidente des industries Vaillant avant de gagner les Présidentielles ? – si vous ne connaissez pas Le Tigre, sachez qu’il lui arrive de plaisanter.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

DodécaTora« Salut mon gros minou ! Je kiffe ton petit monde, tu me régales à chaque fois même si tu parles peu de ta compagne. Je me demandais si tu pouvais m’indiquer quelques titres (romans ou essais) qui t’ont particulièrement ému parce qu’il y a le mot « tigre » dans le titre. Gros bisous sur ton museau. Signé : une fan anonyme (hi hi, tu ne sauras pas qui). PS : pense à prendre la viande pour ce soir ».

Douze titres tigresques

Un tigre dans le titre, dans mon univers, est l’équivalent d’un point rouge sur le radar d’un opérateur travaillant au Pentagone : j’arrête tout, j’ai des sueurs et je me précipite dessus pour savoir de quoi il retourne. Imaginez que vous vous baladiez tranquillement dans une grande surface et là, soudain, entre deux paquets de céréales, une boîte de gâteaux porte vos prénom et nom. Même s’il s’agit d’une confiserie à base de durians (explications ici) et d’ail, je suis sûr que vous l’achèterez rien que pour l’exhiber chez vous.

Ne croyez pas que remplir un tel DDT est chose aisée. J’imagine très bien ce que vous vous dites, par exemple « Oh, c’te feignasse de Tigrou, il a tapé sa petite recherche sur un site de vente en ligne ». Point du tout : ce genre de procédure (oui, j’ai commencé par là) amène trop de résultats, et 95% des titres proposés sont des conneries bit-lit, lolilolbigcats ou livres à dessiner pour enfants (voire les trois en même temps, nom de Zeus). Et ça n’a rien à faire ici. Je suis plutôt allé chercher dans mon étagère spéciale (et oui, je les ai tous regroupés), complétée par le gros fichier excel qui fait office de bibliothèque numérique personnelle.

Voici donc une douzaine d’ouvrages uniquement acquis en raison du mot « tigre » dans le titre. Pour l’ensemble, je vous avoue ne pas les avoir lu. Mais ces romans occupent une place à part dans ma bibliothèque. Enfin, je vous saurais gré de ne pas confondre ce Top12 avec celui (en lien) dédié aux tigres que l’on rencontre DANS les romans (et pas qu’en page de couverture). Dans le présent billet, le mot « tigre » n’implique pas la présence de cet animal dans l’intrigue – si vous vous demandez quelle est la différence.

Tora ! Tora ! Tora ! (x4)

1/ René Barjavel – La Faim du tigre

J’ai eu connaissance de cet essai après avoir lu le très singulier Ravage, du même auteur. La faim de tigrou, c’est la propension de l’Homme à l’excès et la violence en général. Face à ces questions essentielles, nous n’aurions pas d’autre choix que d’essaimer dans l’espace – Le Tigre le rejoint sur cette analyse. Sachant que Néné a dit, au sujet de cette œuvre, que « je donnerais tous mes livres pour celui-ci », ça doit être quelque chose d’exceptionnel à découvrir.

2/ Jean Marie Blas de Robles – Là où les tigres sont chez eux

Joli pavé multi-récompensé de plus de 700 pages publié à la fin des années 2000, je vous avoue ne pas avoir eu le courage de démarrer cet ouvrage dense où une foultitude de protagonistes se disputaient la vedette. Sans compter les passages en latin ou en allemand (certes traduits) qui contribuent à rendre cet objet littéraire presque unique. Le titre semble faire référence à Goethe qui écrivait « Ce n’est pas impunément qu’on erre sous les palmiers et les idées changent nécessairement dans un pays où les éléphants et les tigres sont chez eux. »

3/ Jérémy Guez – Le dernier tigre rouge

En pleine guerre d’Indochine, un légionnaire recherche activement un tireur d’élite (Français comme lui) qui combat aux côtés du général Giap. Et ça se laisse lire aisément. Le red tiger, ici, est une allégorie du Viêt-Minh qui entreprend une intense guérilla : contre le puissant éléphant qu’est l’État français, les habitants légitimes doivent se comporter tel un félin, caché, qui saute de temps à autre sur le dos du pachyderme pour le saigner.

4/ Richard D. Nolane et Félix Molinari – Les tigres volants

Série de cinq bandes dessinées sorties dans les années 1990, le peu que j’ai vu m’avait semblé peu fameux. Les fauves volants, c’est bien sûr l’escadrille américaine installée en Chine pour chier un maximum dans les bottes des Japs. Hélas, les aventures de nos héros (Scott Canon, le Chinois Woo, si j’ai bonne mémoire) ressemblent au parent pauvre de celles de l’immense Buck Danny – à ce titre, le quatrième album de Buck porte sur les tigrous volants.

5/ Olivier Rolin – Tigre en papier

Rolin, fermement engagé à gauche pendant sa jeunesse, livre à l’intention d’une jeune fille ses souvenirs en tant que militant. Décorticage d’une époque entre idéaux, violence et bilan des actions entreprises, qui est donc le tigre de papier (ceux qu’ils pourfendent ou eux-mêmes) ? Pas vraiment mon genre, je ne suis pas allé plus loin que le feuilletage en magasin.

6/ Wang Dulu – Tigre et Dragon

Wang est surtout connu pour avoir écrit cette grosse saga (nommée aussi la Pentalogie de la Grue d’Acier) à la fin des années 30. Il est question de suivre les aventures de plusieurs générations de Youxia, sorte de vagabonds/héros qui défendent la veuve et l’orphelin en tapant méticuleusement sur les injustices. Le tigre est ici une forme de combat qu’un des protagonistes aime utiliser. Pour ceux qui se posent la question, oui : le film d’arts martiaux d’Ang Lee est une adaptation partielle de l’œuvre. Le même réalisateur qui s’est attelé à adapter L’histoire de Pi.

7/ Margaux Fragoso – Tigre, tigre !

Oh putain, deux fois que ça apparaît, c’est divin. Ce qui est moins divin, en revanche, est le thème de ce roman à grosse charge autobiographique. Margaux, à peine l’âge de raison, fait la rencontre de Peter lors d’une virée à la piscine. Il veut être un ami et se comporte comme un vrai gosse. Mais Peter a cinquante ans bien sonnés et est pédophile. Le silence, l’incompréhension, ce doit être extrêmement éprouvant à lire. Il faut absolument que je me bouge le derrière pour le lire.

8/ Aravind Adiga – Le tigre blanc

Aravind, journaliste/écrivain indien, a dressé un tableau saisissant et édifiant de l’Inde contemporaine grâce à son héros Balram, surnommé par un de ses profs le tigre blanc. Hélas, je me suis fait comme qui dirait baiser par le titre trompeur, le rapport tigresque est peu évident et le style de l’auteur quasiment insupportable. Dommage.

9/ Téa Obreht – La femme du tigre

Il ne s’agit pas des mémoires de la donzelle de Clémenceau, comme je me l’étais imaginé. Mais plutôt d’une légende qu’apprend à connaître une médecin qui exerce dans les Balkans. En recueillant les différentes histoires de pensionnaires d’un orphelinat, celle de la femme du tigre semble particulièrement sortir du lot. Encore un ouvrage qui n’a pas dépassé le stade de la petite curiosité dans une librairie – je dois me tromper, toutefois ça m’a paru long et ennuyeux.

10/ Philippe Dessertine – Le gué du tigre

Un policier chinois, qui en sait énormément sur les arcanes politiques de son pays (suffisamment pour faire péter dix fois l’Empire rouge du milieu), se rend au consulat américain et demande l’asile politique à l’Oncle Sam. Inutile de vous dire que les autorités chinoises gueulent comme des putois enragés. Astucieux mélange de fiction et de faits réels, il s’agit d’un thriller au fort relent de géopolitique. Pour la précision, un gué est un endroit naturel où on peut franchir, sans risque, une rivière – signe de porosité des frontières, notamment entre la criminalité et la finance.

11/ James Patterson – La piste du tigre

Il faut savoir que Le Tigre a fait une overdose de Patterson dans sa jeunesse, aussi ce roman n’est pas prêt d’être lu. Pour ne rien arranger, il n’est nul fait mention du félin dans le titre original (Cross Country), Tiger n’étant que le nom d’un seigneur de guerre africain qui assassine à tout-va sur le continent américain. Le héros, on se demande comment, parviendra à filer en Afrique lui donner une correction. Bof bof bof.

12/ Tom Clancy – Les Dents du tigre

Je termine toujours par une aimable plaisanterie, et là ce sera un énième roman de la saga Tom Clancy. Merde, je me suis fait royalement rouler avec un tel titre aguicheur. Pensais naïvement que le tigre en question serait la Chine, ou quelque chose de féroce et flippant. Que tchi ! Il est juste question de menaces terroristes avec les islamistes en ligne de front. Un scandale.

Mais aussi :

Les Dents du Tigre, de Maurice Leblanc, publié vers 1923. Pas eu la présence d’esprit de le caser dans ce DDT, toutes mes félines excuses.

– Sinon, au pifomètre : Qiu Xiaolong et son Dragon bleu, tigre blanc.

Brubaker & Rucka & Lark – Gotham Central Tome 2VO : Jokers and madmen. Gotham Central #11-22. Comment gère le commissariat gothamais les super-vilains et les mafias quand le Chevalier Noir ne traîne pas ses guêtres dans la place ? Rien ne change, si ce n’est que le fantastique laisse la place au polar avec des scénarios réalistes et prenants. Encore du beau travail, rien à redire dans l’ensemble.

Il était une fois…

Le Joker qui terrorise la populace pendant la période des réjouissances de Noël, deux décès suspects au sein d’une même entreprise de chimie, le chapelier fou qui mérite bien son nom et fait ressortir une vieille affaire, etc. Voui…le GCPD a suffisamment de taf comme s’il en pleuvait, sans l’aide de Batman qui pour certains n’est pas en odeur de sainteté.

Critique du deuxième tome de Gotham Central

C’est reparti pour quelques histoires savoureuses dans un Gotham où seuls les policiers comptent, avec un Batman en guise de discret figurant. Après Freeze et Double-Face, voici venir l’ennemi classique et polymorphe du bon Batounet, suivi du chapelier fou – fort flippant dans son genre.

Et ce tome commence plutôt bien les amis, car il est question de l’employée de la mairie qui, seule, a le droit d’activer le bat-signal. Et oui, ce n’est pas un policier qui le fera dans la mesure où l’institution poulardière ne reconnaît pas l’existence de Batou. Le récit prend la forme d’une lettre que la jeune femme, qui fantasme furieusement sur le héros, adresse à une amie. A défaut de la double-page habituelle présentant les protagonistes, ce chapitre remplit son office en les introduisant de manière originale.

Dans la deuxième histoire, gaiement annoncé par la couverture, il s’agit carrément de ce bon Joker. Un tireur fou flingue des personnalités un peu au hasard, ce qui a pour résultat d’entretenir comme une épidémie de chiasse généralisée dans la ville – le tireur solitaire, figure très populaire aux États-Unis. Après une courte intervention de l’homme chauve-souris, les flics détricotent les plans d’un Joker que, personnellement, j’ai trouvé bien moins délirant et imprévisible que j’espérais. Il s’ensuit un excellent intermède, en l’espèce une sobre enquête (qui respecte les canons du genre) autour de deux meurtres dans une même entreprise. Qui, comment, pourquoi ? – la mafia y fait un petit retour en force.

La troisième histoire, Irrésolu, démarre sur les chapeaux de roue (chapeau, chapelier, vous avez saisi l’astuce ?) avec une prise d’otages par un individu qui demande spécifiquement à parler à l’inspecteur Marcus Driver. Tout remonte ensuite vers une ancienne tuerie que l’inspecteur Harvey Bullock (dégagé de la police depuis) a encore au travers de la gorge. Le Chapelier fou dont le couvre-chef contrôle les gens, Pingouin, une bande de geeks revanchards, qui est donc responsable de tout ce joyeux bordel ? La solution est surprenante, voire sacrément capillotractée à mes yeux.

Concernant les illustrations, rien à dire sur le taf effectué par Michael Lark et ses successeurs – j’ai cru noter que Lark a vite laissé la main à d’autres. L’homogénéité est parfaite au fil des chapitres et les tons (les couleurs sont souvent révélatrices) participent à rendre l’atmosphère oppressante et franchement noire. Quant aux nombreux détails qui fourmillent autour des personnages (dont les traits, peu fins, n’en restent pas moins réalistes), c’est du pur bonheur – même si de grands plans d’ensemble ou de belles vues plus « épiques » auraient été bienvenues.

Bref, un deuxième cycle qui s’en sort plus qu’honorablement, justifiant jusqu’ici le lourd investissement dont Le Tigre a fait montre. Je me dis que si Joker et Jarvis (le Chapelier) sont moins dérangés que d’habitude, c’est pour mieux éloigner le Chevalier Noir qui brille par sa discrétion.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La série complète s’inspire grandement de l’art du « roman noir », notamment les problématiques (fric, meurtres bizarres, désespoir) qui touchent les policiers – de Del Arrazio à Marcus D., en passant par Dag ou la sempiternelle Montoya. Il fait souvent sombre, pas mal de gus font preuve de double-jeu et les destins sont plus souvent brisés qu’autre chose. Attention, il ne s’agit pas pour autant de hard boiled à la Dashiell Hammett avec des héros bourrus et aux comportements bruts. En effet, les auteurs n’ont pas versé dans l’excès et ont su maintenir un semblant de réalisme dans la vie quotidienne des policiers. Et ces derniers sont des êtres humains qui se balancent des vannes, ont leurs doutes et espoirs, voire des déceptions amoureuses qui sapent leur travail.

Quelques éléments permettent de se faire une idée sur le pourquoi du comment les antagonistes restent vivants malgré les horreurs commises – qui mériteraient cent fois la pendaison selon certains policiers gothamais. La raison est la folie de ces personnages, état d’irresponsabilité qui leur assure un séjour à Arkham plutôt qu’à la morgue. Or, les forces de l’ordre, à l’instar de Batman (pourtant hors-la-loi), ne seraient plus rien si elles se mettaient à supprimer les ennemis de sang froid. Du Joker à la petite vieille manipulée (par erreur) par sa fille paniquée en passant par des policiers prêts à franchir la ligne rouge (cf. le dernier chapitre), la ville semble avoir besoin de ces individus contribuant à la rendre si unique.

…à rapprocher de :

Le premier tome est en lien. Bon petit début. Nul besoin de lire tout ceci dans l’ordre, des rappels sont effectués pour les gros distraits. Troisième tome ici sinon.

– Cette saga arc narratif se situe après les évènements qui foutu le bordel dans la ville, partie qui est contée dans No Man’s Land (tome 1 sur le blog, tome 2 également).

– A tout hasard, au milieu de la BD le Joker fait exprès de se faire pécho par les schmitts pour se retrouver au commissariat – et voir les bleus se creuser la tête devant lui. Si ça vous rappelle un certain film, dites-vous que le scénariste a alors sûrement pompé dans Gotham Central.

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Sir William Blackstone - Commentaries on the Laws of EnglandSi la couverture laisse croire qu’on a affaire à un texte aride (et en British de surcroît), il n’en est rien. Car c’est de l’art, les « commentaires » se dévoreront en une quinzaine de minutes à peine. Douche comprise. L’éditeur Taschen fait décidément bien les choses, grâce à lui lire Sir William Blackstone est possible dans les transports en commun.

De quoi parlent les Commentaries on the Laws of England, et comment ?

William Blackstone, savant sujet de sa Très Gracile Majesté, jurisconsulte émérite de référence de la seconde moitié du XIXème siècle, était aux lois du Royaume-Uni ce que ce bon Félic Julien Jean Bigot de Préameneu fut à celles de la France post-révolutionnaire. Un cador, une star avec laquelle se lancer dans un law contest était la dernière chose que tout avocat de l’époque n’oserait faire.

Ma tigresse, qui me sait très porté sur les enseignements juridiques du vaste monde, voulait marquer le coup en m’offrant ce petit joyau. Pour tout vous avouer, avoir l’opportunité de boire la prose de Sir Blackstone ne m’enchantait guère. Néanmoins, cet ouvrage possède de puissants arguments, et à la lecture des premières pages j’ai rapidement changé d’avis.

Maintenant que vous n’avez aucune envie de lire cet essai qui doit être d’un mortel ennui, laissez-moi vous raconter comment l’éditeur, pour aider le fervent lecteur à sauver les apparences, a eu la géniale idée de faire une double couverture à cet essai. C’est pourquoi le félin vous soumet une ou deux pages afin que vous compreniez ce dont il est question. Toutefois, je vous déconseille vivement de cliquer sur les exemples ci-dessous si vous êtes dans un open-space.

Blackstone ExtraitIci, il s’agit d’un cas d’espèces particulièrement édifiant qui a immédiatement retenu mon œil expert d’avocat.

Imaginez maintenant que le bouquin regorge d’instructions de cet acabit, dont certaines ne laissent que peu de place à l’imagination.

Blackstone - extrait-rien-a-foutreLa maison d’édition a pensé à tout, puisqu’à la fin de l’essai une liste des travaux préparatoires du Parlement anglais est fournie, avec notamment le nom des Lords intervenues dans la Chambre Haute (hu hu). Je vous prie de m’excuser pour l’image floue, mais j’étais passablement déconcentré. Car ces références, abondamment illustrées, ne permettent que trop de mettre un nom sur des configurations..hem… juridiques souvent originales – mais qui laisseront plus d’un lecteur songeur quant à la souplesse qui caractérise tant l’être humain.

Maintenant que vous avez saisi le lourd potentiel qu’il y a en offrant ce genre d’essai à vos amis, vous pouvez jeter un œil nouveau à l’url de ce billet. Fin du fin, il y a même un DVD des différentes affaires traitées, ce qui constitue un plus indéniable pour tout mélomane qui se respecte.

Ce que Le Tigre a retenu

[Bon, faut un moment donner son avis sur l’essai en question]

Le fauve ne connaissait point Ed Fox, heureusement l’introduction (en trois langue) sur ce photographe est plus que complète. Photographe de charme ayant sévi chez Playboy, ayant un gout particulier pour la partie antérieure de ses modèles (en-dessous de la foufoune, rassurez-vous), artiste désireux de tourner des films fétichistes, voilà de quoi se donner une petite idée de ce qui va suivre.

Les photographies d’Ed Fox ont quelque chose d’artistique dans la mesure où le glamour se dispute à une sorte de porno-chic. Et tout ceci est le plus souvent déconcertant. Disons que derrière l’amplitude d’érotisme présenté (cela va du soft à des images particulièrement crues, sinon graveleuses), il reste possible de décerner une certaine « patte » de l’artiste. Cela consiste en une mise en scène toujours surprenante, le lit à baldaquin étant souvent remisé au placard pour faire place à des lieux plus incongrus, avec des modèles dans des positions inattendues.

Petit remarque finale sur LE fantasme d’Ed Fox, à savoir un fétichisme du pied et des jambes assez prononcé : du gros plan d’une cheville finement ciselée à un foot-job de belle facture (demandez à votre voisin si ça ne vous dit rien), Tigre a été interpellé par le potentiel érotique d’un membre qui ne me faisait (avant visionnage) pas plus bandouiller que ça. Chose amusante, Ed ne demande jamais à ses mannequins de se laver les pieds, toute forme de saleté offrant selon lui un délicieux contraste. Fichtre.

…à rapprocher de :

…euh, ça dépend. Je ne préfère pas donner d’autres idées.

Alessandro Baricco - EmmaüsVO : Emmaus. Dans l’Italie des années 70 (ou plus tard ?), quatre jeunes hommes sont confrontés à leurs premiers émois. Et les changements qu’ils subissent à cause d’une jeune femme sont tellement puissants qu’ils y perdront plus d’une plume. Balade douce-amère dans un univers contrasté (mêlant religion et dépravation), hélas je suis totalement passé à côté de ce roman.

Il était une fois…

Encore une belle flemme question rédaction, voyons ce que l’éditeur gazouille de ce roman :

« Quatre garçons, une fille : d’un côté, le narrateur, le Saint, Luca et Bobby, et, de l’autre, Andre. Elle est riche, belle, et elle distribue généreusement ses faveurs. Ils ont dix-huit ans comme elle, sont avant tout catholiques, fervents voire intégristes. Musiciens, ils forment un groupe qui anime les services à l’église et passent une partie de leur temps libre à assister les personnes âgées de l’hospice. Alors qu’elle incarne la luxure, Andre les fascine, ils en sont tous les quatre amoureux. La tentation est forte mais le prix à payer sera lui aussi considérable. »

Pas terrible il est vrai. La version tigresque : Andre les rend fou, et nos héros sont trop coincés du derche pour oser faire les premiers pas – et ils s’en mâcheront les couilles.

Critique de Emmaüs

Le Tigre a eu à mal de chacal à rédiger le présent billet. J’ai surtout la tenace impression de commettre une belle connerie en annonçant que je n’ai pas du tout accroché à ce roman, lequel a éveillé trop peu de choses en moi. Car il y a eu comme un frémissement en lisant les dernières pages, comme si à la fin d’un film vous vous dites « ah ce n’est pas si mauvais, peut-être je devrais le revisionner au cas où ».

Ainsi, deux choses ont empêché le félin de savourer la pleine puissance d’un ouvrage – qu’il n’est pas difficile de deviner éminemment personnel chez l’auteur italien. Premièrement, l’histoire ne m’a point parlé. Pas du tout même. Le héros/narrateur (dont on ignore le nom) et ses trois amis, qui sont fraîchement majeurs, ont leur esprit occupés par Andre. Une sacrée nana celle-là, participant à des orgies monstres tout en fréquentant les hospices avec sa gueule d’ange. Un mystère sur pattes qui laissera une marque indélébile chez nos protagonistes dont les destins varieront du tout au tout – suicide, prison, ou encore révélation.

Deuxièmement, le style de Baricco ne m’a guère enchanté, je ne m’attendais franchement pas à butter sur tant de paragraphes. Si l’histoire est globalement livrée dans l’ordre chronologique, il est quelques passages plus ciselés qui se concentrent sur des aspects (ou des souvenirs) à la teneur mélancolique et situés hors du temps. Des passages d’une beauté que je supputais, toutefois rien de susceptible de me scotcher à mon canapé. D’habitude, le genre triste et contemplatif (mâtiné de nombreux enseignements) me ravit, néanmoins ici ça m’a gavé.

Encore un petit échec de mon côté, je m’en veux d’autant plus qu’en moins de 200 pages je sais que j’aurais pu me sortir les doigts du fondement pour mieux me concentrer sur un titre qui s’est révélé dense et profond. Trop précis et tarabiscoté par moments, à croire que l’écrivain a voulu planquer une biographie derrière les ors de la fiction.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Déjà, il me paraît normal d’expliciter le titre, pour tout vous avouer j’ai dû sortir ma poussiéreuse Bible (celle que j’avais piquée dans un love-hotel aux Philippines) afin de savoir qui est ce fameux Emmaüs. En fait il s’agit d’un village où le Christ, fraîchement ressuscité, est accueilli par deux individus qui ne reconnaissent pas leur Dieu…jusqu’à ce que Jésus rompt le pain à son habitude. Plus généralement, le texte d’Alessandro B. est empreint de nombreuses références au catholicisme et à la difficulté, pour des individus au faîte de leur jeunesse, de croire en un Dieu mort crucifié.

Appliqué à notre récit, les quatre amis sont les hôtes de la ville qui s’aperçoivent bien tardivement être en présence de quelque chose qui ressemble au divin. Andre, mélange de Marie-Madeleine et de Malin tentateur, laisse un goût amer à tous ceux qui la croisent. Au surplus, la bande des quatre rencontre la belle à un moment charnière de leur existence, c’est-à-dire lorsqu’ils sont particulièrement fragiles. Aussi ils n’ont sans doute pas le temps d’extraire de leur rencontre avec Andre quelque chose de bien. Il y a un peu de YOLO dans Emmaüs.

…à rapprocher de :

– De Barrico, Tigre a nettemement préféré Soie. Plus léger et moins fourni certes, mais la beauté est bien là.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Brubaker & Rucka & Lark - Gotham Central Tome 1VO : in the line of duty. Gotham Central #1-10. Que se passe-t-il au commissariat de Gotham quand Batman n’est pas dans le coin et que Jim Gordon a pris sa retraite ? Euh…les crimes continuent et la flicaille veut mettre un point d’honneur à résoudre seule les enquêtes. Histoires intelligentes et bien amenées, dessin plus que correct, foncez les amis.

Il était une fois…

Mister Freeze qui transforme un flic en un gros glaçon guère vivant, une fillette disparue dans de mystérieuses circonstances, et Renée Montoya dans une posture extrêmement incommodante. Bienvenu dans un Gotham plus sombre que d’habitude, sans le Batman en première ligne qui laisse (à quelques exceptions près) les policiers se dépatouiller avec les différentes affaires.

Critique du premier tome de Gotham Central

Tigre se saurait passer à côté des chapitres (quatre tomes à prévoir quand même) composant cet arc narratif particulier de l’univers batmanesque. Déjà, Ed Brubaker au scénario, c’est tout bonus. Ensuite, les illustrations, plus sombres et moins fantaisistes (moins « comics », dirais-je presque) offrent un saisissant contraste avec les paillettes qui accompagnent souvent les superhéros. Mais surtout, l’occasion de voir nos prota(anta)gonistes dans une telle configuration est exceptionnelle.

Dans la première et deuxième histoire, il est question d’une disparition qui, par un malheureux concours de circonstances, amène tout d’abord la neutralisation d’un supervilain qui a assassiné un flic. Si les premières recherchent visent à arrêter Mister Freeze (ce qu’il advient), la suite prend une tournure plus « polarde » avec la révélation finale d’un coupable somme toute banal – première fois que je vois apparaître le méchant Firebug, du moins un gars qui a récupéré son costume. Ces chapitres permettent d’avoir une idée des protagonistes et de la faune qui peuple le commissariat : Marcus Driver privé de binôme, Crispus Allen et sa coéquipière Renée (remplacée plus tard par MacDonald), etc – ne vous inquiétez pas, l’éditeur fait les présentations au début de l’album.

La troisième et dernière histoire (Pour Moitié), qui a quand même reçu un Eisner Award, a été scénarisée par Greg Rucka, se concentre sur l’agent Montoya. Celle-ci, après avoir blessé un violeur qui a tenté de l’occire, semble faire l’objet d’une froide vengeance de la part du criminel – tout ceci étant organisé en sous-main, comme la couverture l’indique, par Double-face. La tension est à son comble, notamment en raison de l’outing forcé de la policière et des suspicions de meurtre à son encontre. Toutefois, à mon humble niveau, quelques longueurs font que je n’ai pas été plus que cela transporté.

D’une manière générale, Michael Lark a effectué un boulot phénoménal. Ses illustrations ont quelque chose de superbement réaliste : les personnages, d’une part, ont des comportements cohérents qui tiennent le lecteur en haleine. D’autre part, l’ambiance générale et l’architecture sont plutôt bien rendues, le Gotham de Lark a quelque chose de particulièrement crédible, le félin s’est presque naturellement baladé dans le commissariat et les ruelles de la ville, vieille amie que j’ai eu plaisir à retrouver. Cependant, si l’immersion est presque totale dans cet univers réaliste et violent, Le Tigre n’a pu s’empêcher que tout ceci était trop peu lumineux, la glauquerie scénaristique n’en demandait sans doute pas tant. Mais ce premier opus donne sacrément envie de suivre la série – l’indépendance des histoires étant appréciable.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Il faut savoir que l’absence (ou du moins, la distance) de Batman dans ces affaires est loin de constituer un défaut – de toute façon, il n’est jamais loin lorsque la situation devient inextricable. Ce premier opus nous permet de plonger dans le quotidien de fics qui, confrontés à la bassesse humaine, font comme si le héros n’était pas là. La typologie de l’enquête rondement menée étant de leur côté, le Gotham Police Department est une petite famille où l’ombre du Chevalier Noir (notoirement mal aimé par certains) pèse – il veille, selon d’autres. Gotham Central est bel et bien une BD policière – pas encore fantastique ici.

Le dernier thème concerne la jolie Renée Montoya : « transformée » en maillon faible par un dingue amoureux d’elle, Montoya voit son homosexualité dévoilée, ce qui rend son cas intéressant en diable. Entre la grivoiserie de bas étage dont fait montre ses collègues et les conséquences familiales des photos d’elles (roulant un patin à une nana) envoyées à ses proches, Renée est au centre d’un second chapitre qui a fait beaucoup de bruit. L’homosexualité de cette héroïne, qui selon les auteurs n’a jamais fait aucun doute, apporte à ce protagoniste une souffrance de premier plan à peine amoindrie par le dénouement – qui n’a rien d’un happy end, plutôt un nouveau départ.

…à rapprocher de :

– Le second tome, Joker & Madmen (en lien), tient toujours la route. Joie. Troisième tome légèrement en deçà hélas.

– Il faut savoir que cet arc narratif se situe après les évènements qui ont précipité Gotham à sa ruine, partie qui est contée dans No Man’s Land (tome 1 sur le blog, tome 2 également).

– L’héroïne qui rencontre des soucis en raison de sa gay attitude, c’est Batwoman (dans Élégie notamment).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce comics en ligne ici.