Sébastien Chagny - A chaque jour suffit sa haineVoici une quinzaine de courts textes vomissant à la figure du lecteur la noirceur contemporaine de l’Humanité. La sordide réalité de nos conditions de robots ici compilée dans quelques nouvelles, certaines dispensables, d’autres faisant office de pépite, mérite le coup d’œil.

Il était une fois…

Un clochard en voie de rédemption dans le métro parisien ; un automobiliste encouragé à écraser une Rom ; un ornithologue accusé de perversité ; la délicate atmosphère régnant dans un abattoir français ; la récupération d’aliments javellisés devant un supermarché ; bienvenue dans notre enfer à tous, ce « carnaval macabre où les morts ne sont pas dans les cercueils ».

Critique d’A chaque jour suffit sa haine

Encore un recueil comme Tigre en raffole : sombre couverture, titre aguicheur aux relents bibliques, et le ton qui parvient à interpeller autant qu’à faire rire. Ces textes ont, en outre, la bonne idée de ne pas dépasser la quinzaine de pages, si bien que chacun peut se lire en moins de cinq minutes – lecture des citations d’illustres auteurs comprise.

Parlons d’abord de ce qui anime l’auteur. Il n’y a qu’à prendre le titre et y déceler la douce flagrance religieuse qui veut que chaque journée apporte ses misères qu’il faut subir – et, si possible, tourner l’autre joue en attendant la prochaine claque. Sauf que là, il n’est question que de colère face aux injustices quotidiennes – la misère d’autrui que personne ne daigne regarder, l’abrutissement de ce que la mondialisation fait de pire, etc. Plus qu’une indignation très souvent légitime, il s’agit d’une réelle rage qui habite des protagonistes qui, pour la plupart, ne sont pas nets.

Évoquons ensuite le style de Chagny. Si les narrateurs (première personne ou de manière plus détachée) et situations sont différents, l’écriture reste reconnaissable entre mille. Un mélange de fluidité, aidée par la taille du texte et des choix simples question de vocabulaire, et sertie de descriptions pertinentes que semble chérir Sébastien C. Ce dernier est en effet porté sur les métaphores, qui sont de temps à autre excessives dans la mesure où le message est passé depuis longtemps. Asséner, scander les analogies (j’allais dire des paraboles, mais il n’y en a guère), c’est profondément biblique non ? Parfois cela dépasse les bornes de la stratosphère et l’auteur fait montre de luxure qui confine à la branlette scripturale – surtout le dernier texte.

Vu le rapport plaisir pris/temps de lecture, il serait dommage de bouder A chaque jour suffit sa haine qui réussit à arracher, simultanément, un rictus de culpabilité et son cousin du rire. En effet, les sujets traités, universels mais particulièrement visibles dans nos sociétés, sont délivrés avec la puissance de l’humour, cette force qui fait que le lecteur pourra s’en vouloir de sourire – à ce titre, mention spéciale à la nouvelle Trop de salauds pour un salut.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La préface de Marianne Desroziers a grandement prémâché le travail du félin, toutefois vous pouvez retenir que :

La « civilisation » telle qu’elle existe est dépeinte telle une impitoyable machine faisant de nous des monstres d’égoïsme incapables d’aider leur prochain. Les tares de la société sont décortiquées jusqu’à l’écœurement, de la police politisée au consumérisme effréné (Jésus dans le restaurant est une franche rigolade), en passant par le traitement odieux offert aux personnes hors classes sociales – notamment les SDF et les Roms qui en prennent souvent pour leur grade, ce qui est dommage puisque d’autres « minorités » auraient mérité de figurer dans ce panthéon des boucs émissaires. Aucun responsable de ce triste constat n’est nommément désigné puisque chacun d’entre nous constitue une pièce plus ou moins importante d’un appareil à broyer, discriminer, appauvrir l’âme et nous rendre con – et colérique, accessoirement.

Le répertoire de ces bassesses est d’autant plus criant qu’il s’agit de comportements hélas propres à l’Homme, en opposition avec une nature (fauve et flore) qui a les faveurs de l’auteur mais est malmenée par les vilains bipèdes. Un autre bipède, en particulier choyé par Sébastian Chagny, est l’oiseau dont l’étude suffit à vous envoyer en prison par un malheureux concours de circonstances (L’Ornithologie, ma Passion, dans le sens de celle du Christ hein). D’ailleurs, il semble bien que l’ornithologie soit une marque personnelle de l’écrivain. Dans tous les cas, la défense des animaux passe par la destruction de la chose humaine.

Toutefois, face à ces tristes constats, les solutions envisagées restent dans le domaine de l’humour puisque consistant souvent à des actions radicales, lesquelles créeront immédiatement davantage de problèmes qu’elles sont censées en résoudre. N’est-ce pas le principe d’une révolution ?

…à rapprocher de :

– Chez le même éditeur, vous trouverez Avant terme, de Serge Cazenave-Sarkis (davantage versé dans la folie) et son Sans Partage (très très glauque). Ou Satanachias, de Christophe Lartas – quelques belles pépites.

– En moins compréhensible, mais avec de lourds, vous pouvez lire Monstres de Mike Kasprzak. Plus déjanté (et drôle) reste Un fauteuil pneumatique rose au milieu d’une forêt de conifères, de Thibault Lang-Willard

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce recueil en ligne ici.

simmat-bercovici champagne!Sous-titre : Le Dom Pérignon Code [ça commence bien]. Caricature assumée et assez fine de l’environnement champenois, hélas le reste est bon à jeter : personnages grotesques et peu crédibles, illustrations dignes d’une BD style « le guide du [insérez un sujet à la mode] », histoire qui se veut drôle et originale (mais tape à côté de la plaque), je n’ai pas trouvé ça fameux. En fait, cette enquête-BD ne laissera pas indifférent – soit on adore, soit on déteste.

Il était une fois…

Rentrée 2015. L’univers du Champagne chie dans son froc : les commandes pour Noël s’écroulent, et ce depuis la troisième année consécutive. Les grandes maisons pressentent un complot dès lors qu’un mystérieux individu semble avoir hypnotisé tout intervenant ayant un rôle prépondérant dans la filière champenoise – du syndicaliste à la délégation de l’UNESCO, en passant par le staff de la Reine d’Angleterre. Plus qu’un complot, il semble bien que c’est une malédiction lancée il y a 300 ans par un certain Anglais, Merret, inventeur du vin pétillant dont la découverte a aurait été pillée par Dom Pérignon en personne.

Critique de Champagne !

Le félin ne sait guère quoi penser de cette bande dessinée. Rien que les premières pages m’ont copieusement gavé, j’ai cru ne jamais pouvoir aller au-delà du tiers. Textes horripilants sertis d’une police d’écriture dégueulasse, et ce dessin, ô misère ! Les décors sont en carton, les couleurs fadasses, et ces pauvres personnages font tous veules, avec un œil torve (même les belles midinettes) et postillonnant à tout va. Une vraie saloperie cheap, à moins que l’abus du roteux impose de donner aux protagonistes un air niais.

Quant au scénario, bah ça part dans tous les sens. La grande partie de la bande dessinée, après une brève introduction historique, traite des déboires des grandes familles du Champagne réunies dans une organisation secrète dénommée les Seth (même Hergé n’avait pas osé) : les Arnaud (le père avec son fils un peu léger), Ricard (j’ignorais qu’ils versaient dans ce liquide), Bollinger, Vranken, Rouzaud, Taittinger et Rothschild. Tout ça pour que ces individus se traînent dans une cave soi-disant cachée depuis des lustres (alors que des bougies s’y consument déjà à leur arrivée) pour réveiller l’esprit de Pérignon qui croupissait dans un jéroboam afin que ce-dernier leur donne quelques astuces.

Au-delà de ces nombreuses tares, le lecteur aura droit à un tour du monde des problématiques du Champagne, que ce soit l’extension de l’appellation, la contrefaçon ou d’autres anecdotes qui pourront faire leur petit effet dans les galas en ville – la forme de la coupe de champagne ou les chiffres hallucinants des ventes du liquide à l’exportation. La plupart des personnages dans cette BD existent bel et bien (ou ont vécu), hélas ils ne prennent guère vie au cours de ces soixante pages qui les rendent plutôt antipathiques – Tigre se demande d’ailleurs l’étendue de la « liberté » de Benoist Simmat dans la rédaction du scénario dès lors qu’il fait intervenir des individus jouissant d’extraordinaires moyens de pression.

Pour conclure, le félin a eu le sentiment que les auteurs ont tenté, bon gré mal gré, de jongler entre la caricature engagée (cf. thèmes ci-dessous) et une certaine obédience qui veut ne froisser personne – à part le capitalisme. Le résultat est verbeux, peu intéressant à l’exception des dernières pages que j’ai trouvées relativement osées. Mais ça ne suffit pas. Aussi, dans le doute, et parce que la méchanceté féline est proverbiale, Champagne ! (rien que ce titre putassier) est hautement dispensable.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Il est régulièrement rappelé, si besoin est, l’emprise du Champagne dans la culture occidentale. Ce liquide pétillant et montant vite à la tête a su entretenir sa renommée en imposant son image festive (regardez n’importe quelle remise de prix), élitiste (ça fournit les grands de ce monde) et qualitative dans les esprits – . Cette position apparemment indétrônable (l’ennemi, dans cette BD, est quand même un fantôme) permet aux riches propriétaires de s’en mettre plein les fouilles notamment grâce à des marges gargantuesques (15 euros minimum la ‘teille) et un dialogue social consistant à arroser le représentant de la CGT locale (je balance le nom de ce syndicat au hasard, mais l’idée y est). Les conditions et effets de cet « abus de position unique » sont livrés avec le plus grand naturel (voire cynisme) par les fameux Seth qui, au passage, se désolent de voir un tel âge d’or se terminer.

Finalement, la caricature se révèle assez étonnante dès que les protagonistes acceptent le « sacrifice » de Merret. C’est même foutrement subversif. Les dernières pages montrent en effet, quelques années après, les transformations opérées. Accrochez-vous à votre écran : conversion bio totale, mais surtout mondialisation par l’ouverture de l’appellation à toutes les régions désireuses de produire du champ’. Ainsi se forme une nouvelle « banane bleue », du Sud du pays à l’Écosse, chaque région produisant son vin à bulles avec ce que cela peut apporter comme diversité gustative – et ce que semble apprécier ce bon Bernard Arnaud. Le salut passe par l’open source du Champagne, merde on touche à la SF.

…à rapprocher de :

Je n’ai rien qui ressemble (pour l’instant) à cette bouse dans ma bibliothèque.

Enfin, si votre libraire est fermée, vous pouvez trouver cette BD en ligne ici.

Collectif - Les contes Rouges, Vol.1Sous-titre : une collection à lire à cœur ouvert. Sept nouvelles de longueur et qualité inégales, le rouge est à l’honneur. Barbarie exacerbée, hémoglobine, grossesses non désirées, tripes mises à nues et corps violentés, le recueil cherche avant tout à soulever un haut de cœur – et à nous arracher…un sourire. De beaux textes, toutefois le lecteur pourra avoir l’impression de tourner en rond.

Il était une fois…

La présentation ci-dessus doit vous donner une idée suffisante du contenu de ce sanglant recueil. Comme d’habitude, je traiterai chaque nouvelle séparément et avec la plus criante mauvaise foi – dites-vous que ce n’est que de la jalousie. A tout hasard, quelques auteurs ici présents ont déjà sévi chez cet éditeur, néanmoins Le Tigre a fait comme s’il ne s’en souvenait pas.

Critique des Contes Rouges

Dédicaces des Contes RougesLe Tigre en profite pour vous montrer la charmante dédicace que Maniak a eu la bonté de dessiner – click to enlarge. Ce n’est pas le premier gribouillis fait à l’intention du félin, toutefois jamais autant de couleurs n’ont été utilisées. Et, glorieuse coïncidence, le gosse déglingué sur le dessin ressemble foutrement à mon filleul.

Les Damnés de la puer (bégayé par le jovial Julien Heylbroeck)

Juju a fait péter tous les clichés des teen gore movies des années 80 en mélangeant, avec allégresse et fluidité les ingrédients suivants : un patelin au milieu de nulle part aux States avec une famille typique, un voisin un peu bourru et un mystérieux savant ; une expérience génétique dégueulasse qui inclue des nains difformes ressemblant fortement à Staline ; des attaques nocturnes avec moults giclées de sang et quelques morts dans la famille ; la grosse explosion pour la galerie ; enfin la dernière scène qui laisse ouverte la porte à une suite. A ne pas prendre au sérieux.

Murabito (balancé sans ambages par le bon Gallinacé Ardent)

Dans un hangar anonyme, un animal (qui pense comme un humain) subit les outrages de ses geôliers qui l’utilisent comme mère porteuse (mais d’une autre espèce). Glauque et vaguement dérangeant, le vocabulaire est précis sans être excessif. Court et efficace, si après vous ne songez pas à devenir végétarien… [quant au mot Murabito, et connaissant l’auteur, ce doit être une référence vaguement japonaise/geek à un villageois tout mignon. Ce qui contraste bien avec les actes odieux du fermier]

Le Goût du sang (écrit en mode ninja par la mystérieuse Lila V.)

Il y a un peu du mythe du « Vagina Dentata » dans ce très court texte (une page, lolilol) qui se termine en eau de boudin (relol). Assez réussi, même si j’ai les boules de voir que 200 mots peuvent être publiés quand je sue comme un goret avec mes 1 000 pour le présent billet.

Au nom de la mère (droppé en toute simplicité Marie Latour)

Encore un texte qui installe un certain malaise avec une femme à qui il manque la lumière à certains étages. Le début est violent, terrible (un infanticide sur fond de douloureux souvenirs qui refont surface) ; le milieu est ennuyeux (mais fait l’effet d’un temps mort) ; et la fin est d’une tristesse infinie. Je me demande cependant si cette nouvelle a sa place dans ces Contes, la folie et le déni étant plus prégnants (pregnant, hu hu).

Crise de foi (mis en sonnet par le sonné Corvis)

J’ai trouvé mon texte préféré ! Le fond, parfait : le vin est le sang, et vice-versa. Le Christ ressuscite en zombie, ses ouailles mort-vivantes étant réduites à boire littéralement le fluide rouge de leurs semblables. Parallèlement, les survivants réfugiés dans les caves ne peuvent se pinter la gueule, le vin étant devenu sang. Quant à la forme, il s’agit de trois opus délivrés en poèmes (sonnets en alexandrins, s’il-vous-plaît) et dépeignant chacun, avec humour, un tableau de cette situation désespérée.

Contre nature (Schweinhund hat es geschrieben)

Double narration avec, d’une part, une femme enceinte qui sent que son rejeton est en train de pomper son fluide vital (après avoir « absorbé » son jumeau), et d’autre part le fœtus en question qui se repaît des douleurs de sa mère et ne fait rien pour arranger son état. Le vocabulaire utilisé est riche, spécieux, aussi ai-je eu l’impression que l’auteur tenait sa bite dans sa main pendant qu’il délivrait son verbalisme fait de jeux de mots et autres astuces linguistiques – heureusement que les phrases courtes scandent le style. Le résultat est un texte qui émeut, certes, mais laisse une impression de bric-à-brac d’expressions à double sens.

Wolf Rock (imaginé par Diane, avec qui j’hésiterais à prendre un verre en tête à tête)

L’éditeur vante la communion du lecteur avec l’esprit d’un serial killer, pour ma part cette dernière nouvelle (la plus longue du recueil) n’a pas rempli cet office. En revanche, même si les péripéties sont hautement improbables (l’auteur ne se penche guère sur la logistique, l’anti-héros ne se faisant pas gauler), celles-ci sont réjouissantes – on se laisse aisément porter. Le dénouement, en forme de résurrection, ajoute une dernière touche de poésie (et de répit) à un texte torturé dont je craignais une fin obligatoirement tragiquissime. [à tout hasard, le titre renvoie à un phare perdu qui représente énormément pour le protagoniste]

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

A mon humble avis, les premier et dernier textes comportent globalement toutes les allégories de la couleur objet du présent recueil. Le sang bien sûr, un peu de sexe (les allusions avec le petit ami de l’adolescente, Billy, et la tuerie consécutive à l’adultère), et puis la révolte – que ce soit la lutte finale contre les petits suppôts du communisme ou un homme seul qui vomit son époque. Cependant, le félin regrette de ne rien avoir trouvé de joyeux dans cet ouvrage, qui traite de manière négative le rapport au rouge. Il n’est question que de douleur. Je ne dis pas que ce n’est pas intéressant, néanmoins la palette de la couleur est désespérément monochrome. Parler des bienfaits d’une bonne saignée ou de l’utilisation créative de la matière sanguine, avec espoir et optimisme, n’aurait pas été de trop. Dommage.

Sinon, deux textes (sur sept quand même) évoquent une certaine forme de vampirisme du fœtus, avec un chérubin en gestation dépeint comme un monstre avide de pomper le fluide vital d’une maman, laquelle basculant dans la folie (ou l’étant déjà). Or, ces problématiques m’ont déjà rappelé un ou deux textes précédemment lu chez l’association/éditeur, de là à annoncer que Les Artistes Fous ont un léger problème vis-à-vis de la maternité (voire de leur môman), il n’y a qu’un pas…[que Le Tigre ne franchira pas, étant trop poli pour cela].

…à rapprocher de :

– De cet éditeur doux-dingue, les hostilités ont été ouvertes avec Fin(s) du monde. La suite intitulée Sales Bêtes ! est d’une rare qualité, et Folie(s) est globalement correct. Les Contes marron (premier volume), sont un réjouissant appetizer. Quant aux Contes roses, petite déception hélas. Même topo avec L’Homme de demain, mitigé.

– Un auteur réussit à se mettre à la place des serial killers, et c’est Keith Ablow. Notamment dans Psychopathe (en lien). Voire Neil Gaiman, dans La maison de poupée (un opus du héros Sandman).

Enfin, si vous souhaitez juger de la chose par vous-même, c’est disponible sur le site de l’asso (en lien, et normalement le téléchargement sera bientôt gratos).

Michael Crichton - La Variété AndromèdeVO : The Andromeda Strain.. Un satellite ramène un virus extra-terrestre mortel dans un patelin d’Arizona, la machine scientifique américaine se met en branle. A mi-chemin entre le thriller scientifique et le documentaire sur une cellule de crise particulière, ce roman se révèle assez pénible car ayant salement vieilli. Heureusement que l’auteur maîtrise son sujet et a su se faire didactique – même si ça fait parfois pompeux.

Il était une fois…

Un satellite chargé de récupérer des virus dans l’espace (déjà, n’ai pas bien saisi comment c’est possible) rempli sa mission au-delà de toute espérance : en atterrissant à Piedmont, celui-ci contamine la bourgade. Tous les habitants meurent sur le coup, à l’exception notable d’un vieil homme et d’un bébé. Immédiatement, le programme Wildfire du gouvernement américain est enclenché. Quatre scientifiques aux profits différents sont dépêchés et vont œuvrer, dans un labo ultrasecret, aux fins de trouver une parade.

Critique de La Variété Andromède

Pour un ouvrage écrit en l’an de grâce 1969, ça aurait pu être plus chiant à lire. Mais c’est loin d’être fameux pour autant. L’odeur tenace de poussiéreuses considérations scientifiques se mêle allègrement à la sueur de l’auteur américain désireux d’introduire le lecteur dans le saint des saints d’un programme gouvernemental pas si improbable : wildfire.

En gros, la couille dans le potage arizonien (le satellite bourré de microbes qu’un docteur de la ville ouvre telle une boite de Pandore) est suffisamment grave pour mettre en route un ordinateur qui convoque une poignée de savants dont j’ai déjà oublié les noms (à part ce pauvre Hall). Ceux-là sont envoyés dans un laboratoire souterrain à côté duquel le labo P4 de Lyon a des procédures de sécurité dignes d’un jeu du parfait chimiste. De cet endroit cloisonné, nos amis travailleront à déterminer la nature du mal qui s’est répandu dans Piedmont, et le moyen de le combattre. Avec, comme mesure ultime, le déclenchement automatique d’une arme nucléaire pour éviter tout risque de prolifération – la fameuse stratégie de l’étranger, homme clef célibataire qui aura la lourde tâche de décider qui doit vivre ou mourir.

Si vous cherchez du suspense et de monstrueuses mutations portées par un virus E.T., passez de suite votre chemin – ceci n’est pas de la SF. Crichton s’est surtout attaché à conter, dans les grandes largeurs, un mécanisme complexe et en apparence efficace où tout est censé être anticipé. Ordinateurs surpuissants (enfin à l’époque), structures mégaprotégées qui coûtent une blinde, tout ça pour récupérer des organismes étrangers – et, potentiellement, confectionner une chouette arme bactériologique. L’écrivain a poussé le réalisme jusqu’à intégrer, au milieu du texte, des éléments tels que graphiques, cartes, extraits de rapports, communications d’ordinateurs, et dessins pixelisés de singes contaminés – associés au style fluide Michael C., le bouquin se laisse lire.

Alors, quoi en penser ? Le félin est parvenu à aller jusqu’au bout pour connaître le fin mot de l’histoire, lequel donne à réfléchir (la fureur une fois passée). Sinon, La Variété Andromède a pris beaucoup de rides, comme si le Mur de Berlin lui était tombé sur la gueule, brique par brique. Notamment lorsque Crichton nous fait état des avancées scientifiques de la fin des années 60 et comment celles-ci sont mises en œuvre par des ordinateurs qui ont moins de RAM qu’une famicon.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

A mon sens, le roman a surtout comme intérêt de présenter, par le menu, l’état de la recherche américaine à l’orée des années 70. Les projets en cours de développement sont certes exagérés voire fantasmés (la robotisation à outrance par exemple), cependant on mesure l’excitation des diverses percées à une période caractérisée par une intense compétition avec le bloc communiste. D’ailleurs, ça ne m’étonnerait pas que ce roman a été rapidement traduit en russe, histoire de mettre la pression aux Popovs.

Accessoirement, nous apprenons comment fonctionne la recherche d’un antidote : c’est une enquête au cours de laquelle il faut avoir une idée précise du meurtrier et de la manière dont il opère. Les étapes, erreurs commises, compte-rendu d’analyses, et puis démerdez-vous ! D’ailleurs, je vous ai dit comment ça se termine ? [attention spoil] Grossièrement, ils ont juste eu le temps de savoir comment éviter de mourir (en acidifiant son corps, hu hu) mais passée l’urgence de l’explosion nucléaire avortée, la situation n’est pas si critique : le virus va naturellement remonter dans l’atmosphère, là où il y a moins d’oxygène, et tout le monde il sera content. [Fin spoil]

A première vue, ce dénouement est un petit scandale comme on en fait rarement. Vraiment ? En fait, on peut en tirer quelques enseignements. 1/ Si quelque chose doit foirer, ce sera en raison d’un détail. Ici, la contamination à cause d’un joint qui pète. Crichton a inventé l’effet O-Ring avant Challenger, chapeau mec ! 2/ L’Homme est plus dangereux que la nature, l’explosion nucléaire aurait éparpillé et renforcé la Variété Andromède (nom dont est affublée la cellule E.T.) comme jamais. 3/ Rien ne sert de rechercher de la vie extra-terrestre pour l’apporter sur Terre, faut mieux l’étudier là-haut.

Parce qu’il faut conclure, voilà comment je définirais ce roman : c’est l’histoire d’une grosse panique pour un virus qui n’avait pas vocation à débarquer sur la Terre, et les scientifiques en charge du problème étaient plus proches de faire péter une région à l’arme atomique que trouver un antidote. Échec, donc.

…à rapprocher de :

– Crichton a ses entrées sur le blog, à savoir : La proie (les nanotechnologies, brrrr…) ; L’Homme Terminal (les neurosciences, achtung !). D’autres suivront un jour.

– Je me demande si un film n’a pas été tiré de ce roman. A vérifier.

Wilson & Morikawa - Yakuza moonSous-titre : L’histoire vraie d’une fille de gangster japonais. D’après le livre de Shoko Tendo. Manga/biographie aux allures d’histoire tragique d’une fille qui n’a pas tiré les bonnes cartes au concours de la vie, la joyeuseté n’a pas été ici invitée. Mauvaises fréquentations, drogues, sexe, violence, rien ne lui sera épargné. Malgré des illustrations correctes, Tigre n’a pas été totalement transporté.

Il était une fois…

Tentons de résumer rapidement ce qu’il advient de l’héroïne :
1/ Shoko Tendo naît dans une famille aisée grâce à la position du père qui gère un solide business plus ou moins louche (il est Yakuza, pour tout dire).
2/ Le papa est un impulsif qui rentre souvent beurré comme un Soviétique un lendemain de capitulation des Nazis, frappant tout ce qui bouge – et il ne se souvient du rien.
3/ Les affaires du daron chutent à vitesse grand V, c’est la merde pour lui. Son autorité envers sa fille en prend un coup, aussi celle-ci se laisse plus facilement entraîner par des amis peu recommandables.
4/ A même pas 16 ans, Tendo fréquente des jeunes délinquants, découvre les nightclubs et commence à expérimenter, non sans douleur, le sexe.
5/ Puis la drogue, et la multiplication des partenaires pour qui la notion de respect est aussi prégnante que celle d’intégrité chez Sarkozy.
6/ Tout est bel et bien parti pour que Tendo finisse un beau jour avachie sur le sol, la bave aux lèvres, consécutivement à une overdose, à moins que…

Critique de Yakuza Moon

Wilson & Morikawa - Yakuza moon extrait 1Comment a débarqué ce manga dans le vaste monde littéraire ? Tout d’abord, il y a Shoko Tendo, qui en 2012 (pour la version anglaise) a publié ses mémoires qui ont eu un certain succès – de nombreuses traductions et documentaire l’attestent. Puis cet essai autobiographique a été repris par le scénariste Sean Michael Wilson qui l’a adapté en manga, aidé par le trait de Michiru Morikawa, célèbre illustratrice japonaise.

Le résultat est un ouvrage finement travaillé qui, d’un point de vue strictement artistique, est exempt de tout reproche. Les titres des chapitres annoncent autant d’étapes de l’existence d’une jeune fille trop tôt plongée dans l’univers des adultes, et le déroulement de l’intrigue (soucis de la jeunesse/déchéance/crise/salut) reste sobre, c’est-à-dire que la pompe à larmes a été autant laissée de côté que les passages durs sont éloquents – du sexe, mais aucun érotisme ni pornographie. Lorsqu’on parvient à garder à l’esprit qu’il s’agit d’une histoire vraie (l’éditeur insiste dessus), il n’est pas impossible de rester atterré face à ce gâchis tout en demeurant soulagé de savoir que l’héroïne s’en est finalement sortie.

Wilson & Morikawa - Yakuza moon extrait 2Le Tigre a cru détecter des illustrations classiques (noir et blanc) qui n’appellent pas de commentaires particuliers si ce n’est l’omniprésence des visages des individus : ceux-ci squattent TOUTES les cases, souvent au détriment de l’environnement ambiant. J’aurais bien voulu que les remarques in petto de Tendo s’épanouissent dans de beaux tableaux (une ville, un quartier, une maison) affranchis d’une présence humaine, hélas ce n’est pas le cas. A force, je me suis dit que cela était voulu, aux fins de souligner les liens forts unissant les protagonistes et les influences entre eux – que ce soit en bien ou en mal. Toutefois, à la longue, l’œil ne fait plus attention au détail des intervenants qui deviennent vite interchangeables. Ça et leurs noms japonais, j’étais perdu au bout des deux tiers.

Plus généralement, je crois savoir ce qui a empêché le fier fauve d’apprécier sans réserve Yakuza Moon : déjà, c’est rédigé avec la sensibilité d’une jeune femme, or mon cerveau de brute est parfois infoutu d’entrer en communion avec les problématiques de la protagoniste. Ensuite, il est difficile de rendre compte de l’environnement sociétal local, et pour ce qui est d’une ville anonyme au Japon l’immersion est loin d’être satisfaisante. Enfin, je m’attendais bêtement à une histoire de Yakuzas – ma faute donc. Il n’en est rien, c’est l’histoire d’une femme qui a su briser un cercle vicieux.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Wilson & Morikawa - Yakuza moon extrait 1On se rend compte qu’être la fille d’un membre de la pègre est avant tout une malédiction. Rien à voir avec les gosses gâtés et craints des boss des mafias américaines ou européennes, au Japon il est davantage question d’être traité en paria. Et ce dès l’école primaire lorsque l’héroïne en prend pour son grade. Sans compter un homme de mains du papa qui, justement, veut foutre ses patounes là où c’est interdit chez une très jeune fille. Ce statut dessert l’héroïne qui s’acoquine naturellement avec les « yanki », ou groupe d’étudiants n’en faisant qu’à leur tête. Premiers fixes, situations glauques, tout se déroule avec une déconcertante facilité. L’accrochage aux substances illicites accompagne le décrochage scolaire qui est à peine freiné par des éducateurs passifs (Tendo n’existe plus pour eux) et une famille accaparée par d’autres soucis. Le cercle vicieux est total.

A tout hasard, il y a la troublante association entre la drogue et le plaisir sexuel. Les premiers pas de Shoko Tendo dans ce dernier domaine sont quelque peu douloureux, ses amants plus ou moins réguliers la considèrent frigide et la considèrent comme un mauvais coup. Jusqu’à ce que le sang reflux en elle et provoque ce qu’on appelle communément un orgasme. Sauf que ça a lieu en même temps qu’un shoot d’héro. Tendo se transforme alors en junkie réclamant sa dose et son coup de queue, les avoinées qu’on lui porte avant/après l’acte « d’amour » étant supportés par les seuls souvenirs d’une jeunesse jadis heureuse. D’ailleurs, c’est l’amour de sa famille (enfin, ce qu’il en reste) qui la sortira de l’enfer où elle s’est terrée.

…à rapprocher de :

– En pire, il y a l’histoire de cette brave Christiane F. (en lien). Cet essai a nettement plus retourné l’esprit félin.

– Murakami Ryu décrit assez bien la dérive de la jeunesse japonaise dans Bleu presque transparent. A lire. Réellement.

– Si vous souhaitez lire quelque chose qui a un rapport avec les Yakuzas, allez donc jetez un œil à Confessions of a Yakuza de Junichi Saga. Ou à l’indispensable  essai de Jake Adelstein, Tokyo Vice.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce manga en ligne ici.

Pierre Lemaître - Au revoir là-hautLa Grande Guerre achevée, les charognards sont de sortie pour dépecer ce qui reste de l’honneur de soldats tombés. En suivant trois hommes différemment touchés par les suites du conflit dévastateur, l’écrivain dresse un tableau prenant et terriblement crédible d’une civilisation qui se recherche des repères. Avec une écriture aussi accessible que riche, pour ne rien gâcher. 

Il était une fois…

Fin octobre 1918. Ultime assaut pour la route dans la tranchée 113. Parmi la chair à canon, Albert Maillard et Édouard Péricourt. Le premier est sauvé par le second (qui se prend quelques éclats d’obus au passage) alors qu’il était enseveli dans un trou d’obus. Défiguré à vie, Édouard refute d’obtenir une prothèse et, bizarrement, de rentrer chez lui. Maillard parvient alors à lui faire changer d’identité, mais la vie après la guerre est miséreuse pour nos deux héros. Parallèlement, Henri d’Aulnay-Pradelle, qui connaît bien les lascars pour avoir été leur lieutenant, conclut un beau mariage (avec la sœur d’Édouard d’ailleurs). Et s’enrichit honteusement en inhumant, pour le compte de l’État, les Français morts au combat. De leur côté, Albert et Édouard imaginent une autre sorte d’arnaque…

Critique d’Au revoir là-haut

Difficile de faire moins de 1 000 mots pour ce billet. Parce qu’il y a beaucoup à développer, l’auteur est parvenu à nous pondre un roman complet, une jolie petite fresque où deux univers antagonistes se croisent, s’éloignent mais, en fin de compte, présentent la même odeur de douce pourriture. Et le résultat n’est pas loin d’être exceptionnel, même s’il faut attendre le tiers du roman pour se familiariser avec les trois personnages principaux (j’ai eu curieusement du mal à savoir qui est qui au début) et la moitié pour que l’intrigue vantée par le quatrième de couverture se mette en place.

Traçons les grandes lignes : Aulnay-Pradelle est un salaud. Un sang bleu fin de race, héritier d’une particule et d’un château croulant et qui a décidé de profiter de son statut de héros (survivant plutôt) de guerre. En épousant notamment Madeleine Péricourt, sœur d’Édouard réputé mort et fille d’un homme riche. Édouard est le pivot de l’histoire, un individu au triste destin progressivement dévoilé. Celui d’un fils sensible né quelques décennies de trop, un artiste trop efféminé et dont le père a honte. Un gars accroc à la morphine tellement malheureux qu’il n’a pas envie de revenir dans sa famille, même pas pour une sœur quelconque qui épouse un homme qui a bien failli les tuer.

Seconde étape : profiter de la victoire. Pour Aulnay, cela signifie récupérer les contrats relatifs aux grandes nécropoles : des milliers de poilus à enterrer, aux frais de l’État. Cercueils bas de gamme, garnis de soldats inconnus (ou de pierres), exploitation d’une main d’œuvre peu onéreuse (les fameux Chinois), tout est bon pour pour se faire des tunes. Une organisation millimétrée faite de trafics d’influences et autres détournements administratifs mais sur le point de s’écrouler. Édouard et Albert, en plein dénuement, choisiront une voie moins élégante mais tout aussi juteuse : faire miroiter des monuments au morts à des villes et quartiers crédibles qui lâcheront trop vite un acompte. Puis filer à l’anglaise avec le fric.

Pierre Lemaître ne s’est pas contenté, avec son style précis, de dépeindre une époque vue par différents protagonistes avec des enchevêtrements attendus mais bien amenés entre ces deux mondes intimement liés. Le lecteur entrera plus d’une dans la tête de ces anti héros, à l’aide d’un style agréable qui mélange passages plus contemplatifs (que j’ai parfois lus en diagonale) et remarques in petto des personnages d’un rare croustillant. Et parfois, en embuscade, l’humour décapant à base de bons mots et tableaux cocasses qui provoqueront plus d’un ricanement. Voilà (enfin) un roman qui n’a pas été primé pour rien.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Quid de ce titre ? Il s’agit d’une touchante lettre d’un poilu à sa femme, sachant qu’il ne la retrouvera qu’au ciel. Les premiers chapitres démontrent, si besoin était, le terrible gâchis constitué par une génération perdue par folie humaine. Sauf que, le conflit terminé, le désordre moral est entier. Lemaître présente des égoïsmes d’une puissance phénoménale qui, sous couvert d’un fervent hommage aux hommes tombés pour la Victoire, ne pensent qu’à grimper dans l’échelle sociale (et ça passe notamment par les tunes). Au-revoir là haut m’est apparu comme autant de biographies de personnages malheureux (peu importe leur richesse), rongés par le regret, l’envie et le sentiment plus ou moins diffus que leur existence aurait du se passer autrement.

En fait, je me demande si Pierrot (tu permets) n’a pas tenu à créer un méchant collectionnant les péchés capitaux avec une minutie qui force le respect. Car Henri d’Aulnay-Pradelle a tout contre lui : le statut de lieutenant dont il use et abuse (l’orgueil) ; ses pensées tournées vers la réfection de son illustre baraque (la démesure, donc la gourmandise) et sa propension à tout négocier (l’avarice) ; ses coups de gueule monumentaux contre le pauvre Dupré, son assistant ; sans compter les maîtresses qu’il collectionne. Quant à la paresse, c’est la voie la plus courte pour se faire des pépettes, sans considération sur le bien-fondé moral de ses actes. Un vrai anti héros comme le félin les aime. Vous demandez quelqu’un d’à-peu-près intègre ? Je ne vois que Martin, anonyme fonctionnaire qui semble être le seul apte à résister au pouvoir de l’argent – et qui aide Aulnay à creuser un peu plus sa tombe.

Enfin, il faut rapidement évoquer la tragique histoire d’un père qui, tardivement, pleure son fils. Double perte hélas, car la « gueule cassée » ne reviendra pas à la maisonnée tellement il en est dégoûté. La situation de sa sœur, qui a épousé le pire des salauds, ne le fera même pas rentrer. Tragédie d’autant plus forte que les talents d’illustrateur de Péricourt fils, insignifiants avant la guerre, revêtent une importance capitale par la suite – il aurait pu être célèbre à ce titre. La guerre en fossoyeuse de l’art, tuant les vocations mais pas autant que la pression sociétale de l’époque.

…à rapprocher de :

– Le cynisme de la guerre, en plus déjanté avec une exceptionnelle touche de fantaisie (sans compter l’écriture, superbe), c’est l’incomparable Gagner la guerre, de Jean-Philippe Jaworski.

– L’existence chamboulée d’une famille se retrouve également dans La palombe noire d’Alain Dubos (à forte teneur régionale). Un des protagonistes, profondément traumatisé, fait une fixette sur l’enterrement des soldats morts.

– Sur la guerre 14-18, les ouvrages de qualité ne manquent guère. Sur le blog, vous trouverez 42 mois de tranchées, autobiographie passable de Louis Lepetit. En BD, ça donne l’indispensable C’était la guerre des tranchées de Tardi

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Lambil & Cauvin - Les Cousins d'en faceSur-titre : Les tuniques bleues. Dans le froid vigoureux des États-Unis en guerre civile, nos deux soldats préférés vont devoir composer avec divers problèmes : une partie de la famille qui se retrouve du côté ennemi, un commandant à la moralité douteuse et des Sudistes qui soudain désirent aider les Nordistes à réparer un chemin de fer. Un peu frisquet niveau dessins, néanmoins peu de choses sont à déplorer.

Il était une fois…

Le sergent Chesterfield l’a salement mauvaise : il vient d’apprendre que ses deux cousins se sont finalement enrôlés dans l’armée…sudiste. Les cons. Comme si les bonnes nouvelles n’arrivaient jamais seules, le voilà contraint de surveiller la réparation d’une voie de chemin de fer partiellement pétée par les vilains Confédérés. En plein hiver [la couverture le suggère, mais sait-on jamais]. Ce passage ferroviaire est en effet vital pour acheminer des armes à Grant. Sur place, trois soldats ennemis se tiennent en embuscade pour empêcher le bon déroulement des opérations. Comme par hasard, les deux membres de la famille de Chesterfield s’occupent de la pièce d’artillerie.

Critique des Cousins d’en face

Vingt-troisième tome des aventures du rigide Chesterfield et du nonchalant Butch, en piste ! Le félin a repris avec un contentement rare une bande dessinée que, gosse, il connaissait par cœur. L’unité de temps est certes restreinte (une journée tout au plus), celle de lieu également (au milieu de nulle part en pleine glaciation), et celle d’action relativement limitée (restaurer une centaine de mètres de voie), mais tout ceci est rondement mené.

Trois péripéties dans cet opus. D’abord, la mission à achever, aidé d’une bande de Chinois et d’un Écossais (dont on ne sait s’il porte une culotte ou non sous ton kilt). Ensuite, la révélation de la présence des fameux cousins, avec ce que ça comporte comme moments gênants. En effet, comment faire en sorte que ça ne se sache pas ? Enfin, le petit twist pour la galerie : ces couillons de Sudistes ont aussi besoin de la ligne de chemin de fer en état d’utilisation. Des scènes surréalistes se mettent alors en place : quelques Confédérés font exprès de se faire capturer pour prêter main forte à leurs ennemis.

L’histoire présente un intérêt supplémentaire en la personne du Major Ransack (punaise, rien que ce nom de fils de catin), individu choisi pour cette mission car éloignée (plus il est loin, mieux c’est), et qui semble autant personnifier les lois de la guerre ce que Kim Jong Un incarne la démocratie. Sinon, les illustrations offrent un sentiment général de froideur et de tristesse (le blanc et le gris-bleu sont naturellement omniprésents), à peine agrémentée de quelques touches de chaleur qui font rappeler qu’il n’y a rien de mieux que son foyer – maisons douillettes, wagon confortable et chaude atmosphère à l’aide un petit feu/braséro bienvenu.

Parce qu’il faut donner un avis final, Les Cousins d’en face aurait pu être parfait s’il n’y avait pas la scène finale, certes réjouissante puisque deux locomotives prodiguent un correct gang bang au wagon de Ransack, mais hautement illogique. En effet, les Sudistes devaient se douter que des fournitures allaient rapidement être acheminées via le chemin de fer. Alors pourquoi lancer une locomotive à eux qui, comme par hasard, fonce à tout berzingue vers le wagon du Major ? Personne ne songe à s’arrêter alors qu’en face débarque une autre loco ? Merde, ça se voit à des dizaines de mètres qu’une collision est en route… Au moins ça permet une belle image d’ensemble, et des réactions furieuses (mais légitimes) de la part du haut commandement.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Z’avez noté la majuscule du mot « Cousins » ? Les cousins, ce n’est pas que la famille au sens stricte, c’est la famille humaine qui se bat avec des raisons qui ne sont pas suffisamment appréhendées par les protagonistes. Le début de la BD traite, assez finement, de la manière dont un quidam peut mettre sa vie au service du « mauvais côté ». A moins que la guerre civile sert d’illustration aux conflits familiaux que nous connaissons tous – les dialogues entre Chesterfied, Elmer et Fred illustrent ces menues tensions.

Et il n’y a pas que les troufions qui ne savent pas pour quoi (et pourquoi) ils se battent ! Il est également question des civils employés pour réaliser des tâches qui, si elles n’ont rien de guerrières, ne participent pas moins directement à l’effort de guerre. Le félin pense en particulier à ces pauvres Asiatiques dont le boulot a tout de celui d’esclaves – tiens, j’ai oublié pourquoi l’Union était en guerre. Ou à ce brave ingénieur écossais venu tout droit d’Europe et qui doit se demander dans quel asile il est tombé. Qu’il ne s’inquiète pas, son continent rattrapera (et dépassera) la maladie mentale étatique à la première moitié du siècle qui arrive.

Et oui, la logistique, autre nerf des conflits d’envergure qui savent se faire respecter. Toute main d’œuvre est bonne à prendre, peu importe d’où elle vient, dans quelles conditions elle est utilisée et ses compétences – du moins à cette époque.

…à rapprocher de :

– Dans cette série, vous trouverez également (dans l’ordre) sur le blog Black Face (un bon cru) et Des Bleus et des dentelles (transgressif, l’air de rien).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette BD en ligne ici.

Robert Crais - Otages de la peurVO : Hostage [en toute simplicité]. Sur fond de prise d’otages qui démarre classiquement, un flic se retrouve au beau milieu d’un inextricable bordel dont lui et sa famille ne sortiront potentiellement pas indemne. Agréable montée en puissance pour un final plus que correct, encore demi millier de pages qui semble bien plus court à dévorer.

Il était une fois…

Dennis, son frangin Kevin et le taciturne Mars ne trouvent rien de mieux à foutre que braquer une station-service. Le vendeur coréen ne l’entend pas de cette manière et se défend. Un mort. Les trois compères fuient et se réfugient dans une maison où ils prennent les occupants en otage : un père et ses deux gosses (le très jeune Thomas et la mignonne Jennifer). Pour le chef des flics de la calme bourgade, Jeff Talley, c’est le début d’un scénario qui a tout de son ancien job en tant que négociateur au SWAT (qu’il a quitté car sa dernière affaire a salement capoté). Et ça risque d’être plus retors que prévu…

Critique d’Otages de la peur

Encore du Robert Crais pur jus, mais sans les héros qu’il invoque habituellement (au premier rang desquels le détective privé Elvis Cole). Un roman one shot donc, avec un protagoniste compétent et au lourd passif en tant qu’ex négociateur lors de prise d’otages. Narration différente, surtout, par le tour de force réalisé par l’écrivain américain : le lecteur sera dans la tête de divers personnages, une même scène pourra être appréhendée par différents points de vue, certains étant réjouissants à découvrir – notamment un chef de la mafia aussi amoral et logique que drôle dans sa manière de penser.

La première partie (La plantation d’avocatiers) place la situation assez classique de malfrats de bas étage retranchés dans une baraque en apparence normale. Normale ? On sent déjà qu’ils ne se trouvent pas dans n’importe quelle maison, le premier réflexe du maître des lieux étant de demander « qui vous envoie ? ». Ensuite, la partie intitulée La mouche voit les intrigues se chevaucher tandis que les personnages sont dorénavant bien campés. Les médias ? Aux anges. Le père (comptable pour la criminalité organisée) est dans les vapes, Dennis est de plus en plus nerveux, et Talley doit composer avec l’arrivée de son ex femme et fille et celle du F.B.I., agence personnifiée par la coriace Martin.

La troisième partie, intitulée La tête (opposée aux tentacules de la pieuvre), ajoute une dimension tragique. La mafia, aux abois (pensez, une maison pleine de documents compromettants et assiégée par la flicaille au courant de rien), enlève la famille de Talley pour faire pression – genre récupérer deux disquettes dans la baraque. Et dépêche une équipe de choc sur place pour observer le déroulement des opérations (voire intervenir) Dans la maison, l’ambiance est de plus en plus électrique : des centaines de milliers de dollars en petite coupure sont trouvés, et s’échapper à la barbe des flics apparaît comme impossible. Enfin, L’assaut. Mené par les « faux » agents envoyés par la mafia pour récupérer les fichiers informatiques (des trucs ZIP, la traduction est loin d’être parfaite) tandis que Talley se doute que, quoiqu’il arrive, on cherchera à le tuer.

Le dénouement de l’histoire, accéléré en raison de la découverte que Mars Krupchek est un taré fini, a l’avantage d’être bref avec une ou deux surprises du chef (mais rien d’excessivement improbable). Écriture fluide malgré un démarrage assez longuet, léger manque de crédibilité dès qu’il s’agit des interventions du jeune Thomas (que j’aurais volontiers claqué) ou le culot de Talley (qui mérite, à sa façon, le solde de claques), il n’en demeure pas moins que Otages de la peur constitue un agréable divertissement sans prise de tête. Et instructif à certains égards.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’air de rien, on découvre quelques techniques utilisées par les flics lorsqu’il s’agit de gérer au mieux une prise d’otages. Déjà, ne jamais laisser croire que les ravisseurs pourront s’échapper avec un hélico/avion/voiture. Établir un premier dialogue avec les ravisseurs est indispensable, et cela passe à faire montre d’empathie – faire de fausses concessions peut être aussi bienvenu. Le rapport de confiance doit ensuite se mettre à leur place, entre réaffirmation de l’autorité et bonhommie pour faire comprendre que le délinquant peut encore éviter la casse (en l’espèce, faire accuser quelqu’un d’autre). Puis les empêcher de se reposer en appelant régulièrement pour « savoir » si tout se passe bien. Enfin, les cueillir comme de vilains fruits trop mûrs.

Le titre ne fait pas référence à la peur par hasard, celle-ci est omniprésente. Angoisse extrême du héros qui, non content de voir sa famille impliquée, doit composer avec le douloureux souvenir de sa malheureuse expérience. Le trouillomètre tend en outre vers zéro côté preneurs d’otages, avec la fratrie Rootney dont les boulons sautent les uns après les autres – se la coller à la vodka n’aide pas à garder la tête froide. Peur de la part de Sonny Benza, pourtant boss de la côte Ouest de la mafia. En effet, le crime organisé à NYC est colère de la tournure prise par les évènements, aussi Sonny songe progressivement à filer à l’anglaise – jusqu’à un départ plus que précipité. La morale de ce roman ? Tous sont otages à leur manière. Et, dans toute situation critique, si u paniques, tu meurs.

…à rapprocher de :

– Ce roman a fait l’objet d’une adaptation cinématographique. Pas encore vu, j’ai surtout peu d’être violemment déçu – surtout que Bruce Willis est au casting.

– De Crais, il faut surtout saluer les romans mettant en scène les éternels Elvis Cole et Joe Pike. Dans l’ordre de parution, ça donne : Indigo Blues ; L.A. Requiem ; Le Dernier Détective ; L’homme sans passé (mouais) ; Mortelle Protection (très réussi) ; A l’ombre du mal ; Règle numéro un ; etc.

– En one-shot de cet auteur, à signaler le dispensable Deux minutes chrono.

– Dans le thème de la prise d’otage, Les Enfants d’Abraham de Littell (père) est à conseiller.

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Goscinny & Uderzo - Le Papyrus de CésarLa Gaule entière est occupée par les Romains. Toute ? Putain oui ! Du moins c’est le point d’être écrit par César dans ses commentaires sur la guerre des Gaules, roman très attendu par l’intelligentsia romaine. Comique de situation, jeux de mots gentiment anachroniques, péripéties trop fouillis, ça aurait pu être pire.

Il était une fois…

César va être publié ! Grandiose ! Les tablettes sont prêtes à être vendues à la populace admirative. Néanmoins, son conseiller en com’, le bon Bonus Promoplus, lui conseille de supprimer un passage peu glorieux sur une bande d’irréductibles Gaulois chiant dans les bottes de l’Empire. Hélas, c’est sans compter un scribe numide (un nègre littéraire, ho ho) qui remet à Doublepolémix, journaleux, une version non expurgée du texte. Laquelle arrivera, comme par un fait exprès, dans le village de nos héros.

Critique du Papyrus de César

Jamais le félin aurait eu l’idée d’acheter cet album. Tellement de choses en apparence plus intéressantes à lire. Et lorsqu’on me l’a offert, et j’y suis allé à reculons. Encore une réaction conne de ma part puisque je me suis plutôt bien marré, même si l’ébahissement fut bien moindre que pendant ma tendre jeunesse où je dévorais, sans l’ombre d’un début de gavage, les aventures du petit Gaulois.

L’histoire est relativement bien trouvée et met en scène quelques personnages liés au monde de la chose écrite : l’éditeur Promoplus, avide de profiter de la bonne fortune littéraire de César, qui balise sévère à mesure que nos héros sont sur le point de révéler le « vrai » contenu du papyrus et tente de rattraper le coup tout en cachant à l’Empereur au dictateur le boxon qui se prépare ; et un journaliste/activiste bossant à L’écho de Condate, suffisamment fouille-merde et intéressé (mais sympathique) pour s’imaginer un tas de scoops qui changeraient sa vie. En outre, grâce au voyage entrepris par les deux Gaulois dans une mystérieuse forêt peuplée de créatures légendaires afin de garder une copie (mémorielle) du roman de César, le lecteur en apprendra un peu plus sur la jeunesse de Panoramix, lorsqu’il était à l’école des hautes études druidiques (ou quelque chose de ce genre).

La trame principale est toutefois « polluée » par une foultitude de petites anecdotes annexes (l’utilisation des pigeons voyageurs, l’interprétation de l’horoscope) qui font que ce tome est lourd dans le scénario en plus d’être verbeux. Heureusement qu’on retrouve la magie dessinatoire des auteurs d’origine, la transition reste douce et, de loin, rien ne permet de distinguer le travail de Didier Conrad de celui d’Uderzo. Il manque cependant quelques tableaux d’ensemble occupant plus de la moitié d’une planche, quelque chose de reposant (par rapport au texte omniprésent), comme si l’illustrateur craignait de se frotter à cet exercice – même si quelques illustrations offrent une vue d’ensemble relativement satisfaisante, par exemple les vues en hauteur du village.

En fait, je me suis passablement fait chier à lire ces aventures. Disons que Le Tigre n’est pas le récipiendaire naturel d’un tome qui se veut consensuel et case des traits d’humour considérés comme poussifs. Rien de transcendant dans le Papyrus de César, seulement l’assurance de passer une quinzaine de minutes pas trop désagréables. Dernière chose qui m’a interpellé : les auteurs crédités ont, au mieux, un pied dans la tombe (et écrivent avec l’autre), alors que Ferri et Conrad ont seuls assuré le boulot. Faudra qu’on m’explique.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Désolé les amis, mais pour une aventure d’Astérix je ne vais guère prendre de risques :

Cette BD, telle une autofiction, est centrée sur le vaste monde littéraire. Celui de l’édition, bien sûr, où vendre 50 bouquins est considéré comme un carton – ha ha, ça risque d’arriver dans les années à venir. La stratégie de publication, les dédicaces, les relations incestueuses entre éditeurs, auteurs et critiques, les clins d’œil sont nombreux mais jamais corrosifs. Le monde des médias, enfin, et notamment le journalisme engagé d’investigation, qui est aussi rare que précieux dans un village gaulois où la pplèbe semble être plus intéressée par l’horoscope d’une feuille de choux (qui influe grandement sur leur comportement), équivalent du journal de 20 heures de notre époque.

Plus sérieusement, Le Papyrus de César reprend, de manière certes simplifiée, la problématique de l’écriture de l’Histoire. La réécriture plutôt, puisque les faits historiques tels que nous les connaissons ont été écrits par les vainqueurs. C’est d’ailleurs le problème du déroulement de la conquête de la Gaule dont les sources proviennent, pour l’essentiel, des commentaires d’un César désireux de se faire mousser. Pendant ce temps, nos Gaulois se contentent de perpétuer une tradition orale qui n’a que très peu de chance de rester compréhensible et entière pour les générations suivantes – il n’y a qu’à voir l’état d’Archéoptérix, le druide censé garder intacte la mémoire gauloise. Contrairement à ce que pensent nos héros dont un des hobbies consiste à détourner les proverbes, les paroles s’envolent bel et bien.

…à rapprocher de :

– Pas mal d’histoires du fier Gaulois sont sur le blog, dans l’ordre de publication s’il vous plaît : Le Devin (ça passe) ; Astérix en Corse ; La Grande Traversée ; Astérix et Latraviata (une vraie purge celui-là).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette BD en ligne ici.

François Szabowski - La famille est une peine de prison à perpétuité…et autres proverbes. Une bonne pétée de dictons amusants et dont certains font réfléchir, il y a de quoi briller en société par ces bons mots. Si le tout est serti d’illustrations de qualité renforçant le message de l’auteur, le plaisir est complet. Même si ça se lit en cinq minutes chrono, c’est pourquoi ce recueil est à partager au plus grand nombre.

De quoi parle La famille est une peine de prison à perpétuité, et comment ?

Le Tigre connaît bien le Szabowski, et dans un autre roman désopilant l’auteur avait produit des titres de chapitres sous la forme de savantes maximes. Lesquelles méritaient largement d’être publiées séparément. Un autre vœu du félin exaucé, zou !

Nous voici donc face quelques dizaines de phrases qui confinent aux poèmes par leur beauté (en les lisant à voix haute) et la manière dont celles-ci savent mouvoir notre imaginaire. En effet, ses mots sont finement tournés et possèdent la structure de proverbes ancestraux qu’une grand-mère serait susceptible d’asséner avec un aplomb qui impose le respect. Mais, à y regarder de plus près…

Car François T. tape juste et fort. Et peu de thèmes sont épargnés. Religion, économie, politique, société, ses sentences sont d’autant plus prégnantes que la police d’écriture, grasse et généreuse, ne passe pas inaperçue. Mais surtout, remercions les illustrations d’Elena Vieillard qui viennent accompagner ces vrais-faux proverbes à la sagesse insoupçonnée. Si ces dessins ont quelque chose de répétitif dans les motifs et d’enfantin dans le trait, c’est pour ne pas encombrer (et rendre moins lisible) le texte qui se fond naturellement dans son environnement.

Ces dessins, à l’image de celui de la couverture, offrent de surcroît un délicieux décalage entre le message délivré et la bonhommie, l’humour du premier étant alors décuplé. Tout bien pesé, malgré un rapport quantité/prix qui pourrait en faire bondir plus d’un, cet essai reste un bel objet (au poids appréciable) susceptible de constituer un cadeau à un proche – ci possible doté d’un solide sens du rire.

Ce que Le Tigre a retenu

L’écrivain délivre ses poèmes avec des tons différents, aussi le félin a tenté de dégager trois thèmes (« tenté », hein) :

Premièrement, l’humour. De préférence noir, ça a le mérite de mieux s’imprimer dans l’esprit du lecteur. Que ce soient de mignonnes méchancetés (on ne bâtit pas des châteaux de cartes avec épileptiques) à des phrases nettement plus sombres, François S. parvient à faire preuve d’empathie et à se mettre à la place des cyniques – à moins qu’il en soit un lui-même. Que répondre d’intelligent, sans se mettre à son niveau, à un interlocuteur prétendant que l’interdiction du travail enfantin est une plaie pour l’économie mondiale ?

Deuxièmement, l’écrivain aime certes jouer avec les mots, mais s’amuse (et nous amuse) par l’utilisation d’antonymes pour mieux instaurer divers contrastes (par exemple : la vie est une longue suite de journées trop courtes). Néanmoins, cette manie confine parfois à l’absurde en raison de la connexité entre termes qui, au premier abord, n’ont rien à voir entre eux. Prenez cette phrase : Il faut laisser le patin à glace à ceux qui laissent tomber. Gnéé ? C’est joli à prononcer, attrayant pour les yeux, mais ça ne parle pas forcément au Tigre. Aussi, le cerveau du félidé reste bloqué dans un état de contemplation purement visuelle, en attendant que les connexions daignent se faire.

Troisièmement, il faut reconnaître que cet essai est un puissant vecteur de bon sens. Malgré le caractère passablement choquant de certain proverbes, il ne faut y voir qu’une désarmante franchise qui remet les idées à leurs bonnes places. C’est compliqué d’avoir de la culture quand on a faim ? Une parfaite illustration de la pyramide de Maslow. C’est toujours quand on allume sa cigarette que le train arrive ? On ne peut mieux exprimer une bénigne manifestation de la loi de l’emmerdement maximum (ou loi de Murphy). Bref, y’a de quoi soulever d’interminables débats…

…à rapprocher de :

– Comme je le disais, ces textes sont issus de la saga du copiste (équivalent humain d’une imprimante), à savoir Les femmes n’aiment pas les hommes qui boivent suivi de Il n’y a pas de sparadraps pour les blessures du cœur.

– Plus généralement, on retrouve le bon Szabowski dans Il faut croire en ses chances (original) ou Une larme de porto contre les pensées tristes (beaux exercices de style). Quant à Silhouette minuscule, j’avoue avoir eu un peu plus de mal.

– A tout hasard, Elena Vieillard (assistée de Pelaprat) a ravi le félin avec son Edgar ou les tribulations d’un pendu. Chez le même éditeur évidemment.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce court essai en ligne ici.

Nicky - New Rodeo GirlsSuivi de Rose garden school. Nicky ne fait pas les choses à moitié et se plaît à mélanger les genres dans un maelstrom fourre-tout sans queue (enfin si peu) ni tête. Au moins les illustrations restent diablement originales et mérite que l’on s’y arrête. En bref : marrant à contempler, plus douloureux qu’autre chose à lire. 

Il était une fois…

La première partie de la BD est constituée de petites histoires se déroulant dans un Far West de carnaval peuplé uniquement (à une exception près) de femelles. Dont la sublime blonde le lieutenant Strangelove qui traîne ses guêtres de villes en ville. Quant à la seconde partie, nous voici dans une école de jeunes filles à la discipline toute particulière…

[Avant de continuer, veuillez vérifier que vous êtes majeur en cliquant sur les images. Sérieusement hein.]

Critique du New Rodeo Girls

Nicky - New Rodeo Girls extrait1Lorsque l’éditeur a eu la bonté de me proposer cette BD, j’ai parcouru quelques pages au hasard d’un œil torvissime, tout en lui disant quelque chose du genre « mais c’est une vraie purge, je vais le descendre en règle ». « Fais toi plaisir » fut la réponse. Finalement, même si ce fut effectivement pénible à lire (tellement que j’ai sauté quelques chapitres), le félin a trouvé un tas d’excuses à l’auteur.

Les circonstances atténuantes ? Les illustrations. Nicky a un style que Le Tigre rencontre rarement. Imaginez une ligne claire version Tintin, dénuée de couleurs et avec quelques éléments empruntés à l’iconographie des mangas – notamment le mouvement des protagonistes. Saupoudrez d’érotisme à la papa-trente-glorieuses (mais avec des seins énormes) dans un esprit très américain, à savoir des sous-vêtements en cuir collés-serrés d’où déborde abondamment la belle chair. Sans oublier des moments plus « intenses » (de la pornographie, n’ayons pas peur des mots) au cours desquels les fluides ne manquent pas. Hélas, en l’absence de scénario, la mayonnaise n’a pas pris.

Nicky - New Rodeo Girls extrait2Car prendre visuellement son pied ne sera possible qu’en ignorant les dialogues, voire le déroulement de l’histoire dans sa totalité. Dès les premiers chapitres j’en ai eu ma claque. L’héroïne qui rencontre fortuitement Sissy (son ancienne fiancée) ou parcours le grand Ouest en canasson, ça va bien deux secondes. La goutte d’eau fut Madame O’Sullivan, à genoux au-dessus d’un seau, en train de se faire traire par une donzelle foutrement bien balancée. Trop de what the fuck sans fil directeur apparent en fait.

Nicky - New Rodeo Girls extrait3Le fauve a donc entrepris de parcourir Rose Garden School dont les premières pages auguraient quelque chose de moins pire. Tous les ingrédients de l’institution salace avec directrice, infirmières et élèves aux penchants sado-lesbiens sont réunis, et mieux encore. Notamment le running gag de l’article K-123 du règlement intérieur de l’école sur le port de la culotte et le recours à un vieillard vicelard certes savoureux, mais là encore aucune ligne directrice décelable. Surtout lorsqu’apparaît cette magnifique blonde pourvue d’un pénis qui dépasse les 40 centimètres… Quant à Wonder Pin-up, (une demie-douzaine de pages) je ne m’y suis guère attardé.

Et puis je me suis endormi. Un sommeil sans rêves, c’est dire.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Nicky - New Rodeo Girls extrait4Ce qui saute aux mirettes est le grossier mélange des genres qui provoque un effet plus qu’intéressant. D’une part, peupler le Far West de créatures à moitié nues en talon peut surprendre. Surtout en l’absence de cow-boys ou d’Indiens mâles. On passe ainsi du côté gentiment crade du Grand Ouest violent à un univers qui ne l’est pas moins (distribution de claques/fessées à très grande échelle), mais en plus sexy. D’autre part, un orphelinat de jeunes filles à la discipline toute victorienne…si ce n’est quelques amours lesbiennes – avec un transgenre dans le lot. Le tout parsemé de postures dignes des plus bandantes pin-ups dégotées dans un casier de camionneur et dotées d’innocents minois tout droit sortis d’un hentaï porté sur les très jeunes femmes. Cependant, ça ne pique pas trop les yeux.

A tout hasard, et si vous ne vous en doutiez pas, on s’envoie souvent en l’air dans New Rodeo Girls. Et les raisons données semblent bien spécieuses, disons que l’artiste ne s’encombre pas d’explications. Cela peut être une obligation morale du genre (textuellement) « Je ne pouvais déroger à la réputation des agents fédéraux », comme d’un irrésistible appel de la nature matérialisé par un « tant pis, je craque ». Ces présentations faites, la léchouille et l’apparition du gode ceinture ne sont ‘qu’une question de secondes (deux cases à peine).

…à rapprocher de :

– Si l’esprit pin-up vous botte, je vous conseille plutôt de lire Exposition, de Noé. Du grand art.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette BD érotique en ligne ici.

Les Voyages du TigreDe nombreux touristes se plaignent d’un comportement persistant chez certaines peuplades d’Asie et qui consiste, dans les grandes lignes, à tout faire pour être servi en premier. Quitte à piétiner son prochain. Car ces personnes sont, malgré elles, victimes d’un cercle vicieux qui veut qu’il faut saisir toute opportunité avant que celle-ci ne disparaisse. Même les plus anodines. C’est le terrible kiasu.

Définition étymologique du kiasuisme

Accrochez-vous parce que le félin va faire péter de la linguistique. Puisque ce blog est concentré sur la littérature, je vous prie d’excuser l’absence d’images sur ce billet (en un mot comme en cent, j’ai grave la flemme).

Le terme « kiasu » provient du chinois vernaculaire et s’écrit 怕输. Le chinois vernaculaire, ou Baihua, correspond au langage parler du peuple transposé à l’écriture chinoise. Pour vous rendre compte de l’utilité d’une telle écriture, imaginez qu’on ait recours, dans notre beau pays, à une écriture strictement phonique pour rendre compte des différents dialectes et accents employés.

Pour revenir au kiasu, ce mot signifie mot à mot « peur de perdre », qui dans son acceptation large comporte également la crainte de manquer (de) quelque chose. Un état potentiellement inconfortable qui nécessite des remèdes de cheval. Pourquoi en viens-je à vous entretenir de ce terme ?

Parce que je voulais comprendre à quoi pouvaient penser les Chinois/Singapouriens lorsque ces derniers m’exaspéraient par leurs comportements de rats (dans le bon sens du terme).

Premières rencontres avec les comportements kiasu

Tout a commencé dans l’avion se dirigeant à l’aéroport de Changi. Douze heures de vol, sans escale (à l’avenir, je m’autorisais une demie journée de battement à Dubaï). Le félin n’est pas un hôte difficile dans un long-courrier. Placez-le côté fenêtre, et le fauve se transforme très rapidement en chameau : après avoir sollicité quelques coupes de champagne (ou vin blanc) tout en regardant un film, il s’endort dix heures (peu importe son cycle de sommeil) et seul l’atterrissage est susceptible de le sortir des bras de Morphée.

Sauf que ce n’est pas l’atterrissage qui m’a réveillé, plutôt un brouhaha généralisé pendant que l’A340 roulait pépèrement vers la porte en vue de décharger ses passagers éreintés et puant du bec. En ouvrant les yeux, un improbable spectacle s’offrait. Celui de trois hôtesses de l’air engueulant vertement une vingtaine d’Asiatiques debout avec leurs valises de cabine en main. Ceux-ci se dirigeaient déjà vers la porte de sortie tandis que les stewards leur rappelaient, dans leur anglais technique, qu’ils étaient censés rester assis jusqu’à l’arrêt-complet-de-l’appareil. Rien à faire, je voyais dans leurs regards fourbes et fuyants qu’ils ne comptaient pas regagner leurs sièges.

Auparavant, il ne m’était arrivé qu’une seule fois d’être réveillé à cause d’originales conduites de quelques hurluberlus. Il s’agissait d’un groupe de Saoudiens qui, en plein vol de nuit, ont décidé de faire une de leurs cinq prières quotidiennes. Etant donné que c’était un vol Singapour/Manille, ils étaient tournés vers le cul de l’appareil et avaient installé leur tapis dans les couloirs. J’avais trouvé ça génial, d’autant plus qu’ils avaient eu la courtoisie de psalmodier à voix basse pour respecter le sommeil d’autrui – pas de chance pour moi, l’un des leurs était assis à mes côtés vers la fenêtre et j’avais du le laisser passer.

Revenons à nos Chinois. Vingt minutes plus tard, je voyais ces mêmes individus cavaler ventre à terre vers la douane pour attendre le moins longtemps possible. Dix minutes après, les mêmes étaient en train d’empêcher les usagers de sortir de la navette en provenance du centre ville. De vrais champions de l’incivilité, j’étais profondément admiratif de leur sans-gêne et le naturel avec lequel ils faisaient gentiment chier leur monde.

Je pensais que ces voyageurs mal élevés venaient d’une province profonde à cheval sur la Mongolie et qu’ils constituaient une exceptionnelle caricature de la manière d’agir dans l’Asie millénaire. Sauf que je me trompais : d’une part, ils ne sont pas seuls à opérer de la sorte, je dirais même que c’est une constance à Singapour. D’autre part, il n’est pas question d’être mal élevé ou agir comme un brutal paysan du Mékong : leur attitude est raisonnée, logique et relativement courtoise vis-à-vis des autres – pour peu que vous saisissiez les motivations et implications du kiasu.

Mode d’emploi du parfait kiasu

Avoir peur de perdre est un art qui se travaille à chaque minute avec un maximum d’entrain, et nécessite des années avant d’atteindre un degré de perfectionnement acceptable, à savoir être un kiasu par réflexe, sans pression. Voici quelques exemples qui, je l’espère, sauront constituer un tout aux yeux de mes avides lecteurs.

La superstition du félin étant proverbiale, je me contenterai de sept illustrations.

1) La queue superbement tu ignoreras

Où ça une queue ? Je ne vois que le guichet… Premier voyage ferroviaire en Chine. Première gare où acheter un ticket. Bornes automatiques exclusivement en mandarin. Un seul guichet. Début de panique. A peine j’ai le temps de balbutier ma demande que deux personnes brament dans mes oreilles pour acheter leurs billets. Je parle un ton plus haut, en anglais cette fois-ci. Ça gueule encore plus fort à mes côtés. La ligne jaune de confidentialité ? Régulièrement violée par une dizaine de locaux pressés.

Ainsi, pour les officines en libre service, l’avare en temps fera tout ce qui est en son pouvoir (c’est-à-dire jouer des coudes et parler plus haut que ses congénères) pour extirper ce dont il a besoin avant les autres – au cas où il n’en resterait plus.

Petite  précision : les gens sont nettement plus policés à Singapour où s’aligner tels autant de petits soldats est plus recommandé que se la jouer struggle for life style. Néanmoins en dehors des sentiers battus (bâtiments administratifs, magasins, échoppes, banques, etc.) le bordel reprend vite ses droits.

2) Des réductions et cartes de fidélité tu quémanderas

…car c’est toujours bon à prendre. Vous reconnaîtrez un vrai kiasu lorsque, invité chez lui, vous aviserez un espace minutieusement organisé. C’est son autel où sont recensés, au milieu des effluves d’encens (oui, la figure de style est aisée), différents papelards permettant de moins payer dans ses commerces préférés : bons de réduction, cartes de fidélité des commerçants, tracs à présenter pour bénéficier d’une promotion (même bénigne), et autres sésames permettant d’être considéré comme un consommateur d’exception.

Ne vous moquez pas, c’est avec les petits ruisseaux qu’on fait de belles rivières à l’appréciable débit. A condition d’être suffisamment organisé, quitte à mettre en place un agenda des courses à faire selon les réductions du moment.

3) Comme un diable au boulot tu te démèneras

Cette généralité certes s’applique à tout employé consciencieux, cependant le kiasuïste convaincu en fera nettement plus que la moyenne. Atteindre, sinon dépasser les objectifs que son supérieur a fixés, arriver le premier au boulot et repartir parmi les derniers, respirer à fond lorsque le Président de sa compagnie pète ses ordres, notre ami alterne avec intelligence entre courtisanerie la plus triviale et intelligentes prise d’initiatives.

Son but ? Se rendre indispensable sans être omniprésent, faire partie des meubles pour que sa présence soit intimement associée à l’existence de la société. Si cette dernière doit procéder à un dégraissage de grande ampleur, notre ami sera la dernière personne à laquelle la DRH devra penser.

Lorsque j’étais à Singapour, la crise de 2008 n’avait pas encore atteint la Cité-État. D’après mon professeur de taoïsme, tout marasme économique se règle par un système de vase communiquant : les managers passent employés, lesquels rejoignent le rang des troufions. Les plus chanceux de cette dernière catégorie récupèrent un job de taxis. Et les chauffeurs les moins protégés retournent au pays. (Les plus puissants ne sont nullement concernés, on reste dans un pays capitaliste qui se respecte). Tout ce joli monde reprenait sa place en cas d’embellie économique.

4) Le premier dans les transports et assis tu seras

J’ignore quelle est la part entre le kiasu et l’ahurissante densité de population dans certaines parties de l’Asie, ceci dit il convient de constater que dans les bus/métros, la cohue est telle que les périodes de pointe à Paris représentent, à côté, un séjour dans la suite présidentielle d’un palace dubaïote.

Et c’est bien compréhensible pour quiconque s’est frotté au métro de Shanghaï (ou Pékin, ou Hong-Kong, ou…). Le touriste en villégiature, ça l’amuse ce genre de cohue (sauf avec ses valises). Ça fait presque partie de sa check-list des curiosités à expérimenter pour se sentir plus proche des autochtones. Ouais bah au bout de dix jours de ce régime, je vous assure qu’il n’est plus question de laisser passer plus de deux rames. Que vous vous surprenez à guetter une place assise prête à être libérée comme un Parisien une place de parking sur l’avenue Hoche.

L’homme moderne de tradition kiasu ménage ses forces, et en général profitera de la plus petite occasion pour reposer son corps et son esprit meurtris par la foule.

5) Sur les échantillons gratuits tu te jetteras

Un soir, j’étais invité, à l’étage au-dessus de mon appart’, dans la famille propriétaire d’une bonne moitié de l’immeuble. Une fois tous les deux mois, je dinais chez mon bailleur et nous discutions de nos doléances respectives – lui : « arrête de te baigner dans la piscine commune avec ta copine à 1h du matin ». Moi : « arrête de me regarder le faire depuis ta fenêtre la bite à la main ». Trois choses m’ont surpris en allant chez lui :

Déjà, quand il me dit « repas avec ma famille », il ne mentait pas. Femme, enfants, grands-parents, beaux grands-parents, on était une bonne dizaine. Ensuite, le gars roule sur l’or. Pas étonnant vu le loyer que je lui lâchais, en espèces et sans quittance. Enfin, les boissons et la plupart des biscuits apéros étaient nombreux mais petits en taille. Sur chaque denrée, je lisais un Free sample/can’t be sold rédigé en cantonais. Un génie le mec. Il pensait que je ne biterais rien.

Toutefois, le fauve est interpellé (pris au piège plutôt) par une manie développée depuis son séjour dans l’impériale Asie : la récupération ad nauseam de sacs plastiques et en papier pour mettre mes petites affaires…et les poubelles. Un tel sac, ça peut toujours servir non ? Mes placards en sont remplis, et force est de reconnaître que je gère le stock avec une maîtrise et une anticipation dignes d’un Grand Maître International.

6) Sociable et intégré tu resteras

Cet aspect est plus subjectif et relève davantage d’une constante culturelle difficilement appréhendée par les bourrins d’Occident que nous sommes. C’est le mystérieux Guan Xi (prononcez gouannchi), ou faire en sorte de développer son réseau en mélangeant allègrement ses relations personnelles et professionnelles.

L’objectif est assez trivial : ardemment cultiver ses collègues du taf et clients. Se la coller avec eux en vue de créer des liens proches de ceux développés avec des amis. En effet, avoir des potes diversement placés entraîne, éventuellement, l’octroi de solides retours d’ascenseurs. Et c’est à la distribution de sa carte de visite comme on balance des confettis qu’on reconnaît le réel crevar..euh individu désireux d’étoffer son carnet d’adresses. Car le réseau a bien plus d’importance dans la culture chinoise qu’en Europe, et le kiasu fera en sorte d’entretenir le sien afin que, quel que soit le problème, il puisse disposer d’un interlocuteur capable de l’aider – informaticien, restaurateur, avocat, médecin, tueur à gages, etc.

Pour tout vous avouer, le Guan Xi mérite surtout d’être traité dans un billet à part (ce que je m’engage à faire un de ces quatre.

Quand à l’intégration, il suffit de tout bonnement de coller au cul de ses semblables. Dans la plupart des domaines. Car vous ne devez pas être le clou qui dépasse, ce pauvre clou qui inéluctablement appelle le marteau. Pas de fantaisies vestimentaires, seulement ce qu’il faut pour qu’on se souvienne de vous dans des termes élogieux. Le parfait kiasu parvient à allier sobriété et de quoi être mémorable. Le genre de gars (au demeurant insupportable) qui reste bien à sa place lors de voyages groupés, tout en épatant de temps à autre la galerie par ses interventions pertinentes mais discrètes – ne jamais faire perdre la face au guide guide touristique, cela va de soit.

7) Des souvenirs visuels lors de voyages tu amasseras

Ce dernier point se passe de tout commentaire – en plus j’ai le poignet qui commence à me lancer. Pas besoin de vous faire une photographie, le kiasu s’en charge à votre place.

Conclusion du kiasu vu de l’extérieur

Je concède que certains atavismes précédemment décrits ne sont guère choquants. N’avons-nous pas tous grillé la queue ou ignoré une petite vieille debout dans le métro alors qu’assis confortablement ? Et à quoi avons-nous ressemblé lors d’after-works, pendant les vingt minutes de distribution gratuite de mousseux ? Que dire du réflexe profondément enraciné lorsque quelque chose d’exceptionnel arrive (prendre une photo) ?

Être kiasu, c’est être tout ça à la fois. Avec continuité, sans y vraiment penser. Pique-assiettes zélé et discret, ninja de la gratuité, star de la récup’, spotteur de l’échantillon gratuit, éternel quémandeur du service press…(ah non ça c’est Le Tigre), glorieux furet du bon de réduc’, ses noms sont légion.

Dans un autre billet, je sors mon chapeau de sociologue du dimanche pour revenir sur les motivations profondes qui se planquent derrière le kiasu, avant de vous conter les mille et unes façons de répondre à cette conduite.