Joe R. Lansdale - Vierge de cuirVO : Leather Maiden. Le Tigre aime bien Lansdale. Celui-ci le lui rend bien. Si ce roman est le premier résumé dans ce blog, c’est parce dans le monde pittoresque de l’auteur, celui-ci est à part. On ne retrouve pas les personnages habituels et donc c’est ici une sorte de « one shot ». Encore plus drôle que d’habitude, cet ouvrage est le meilleur moyen de se familiariser avec l’auteur.

Il était une fois…

On suit Cason Stalter, un ex GI engagé en Irak qui revient dans sa ville natale. Fraîchement engagé en tant que journaliste, il était même à deux doigts du Pullitzer. Pour avoir quelque chose à raconter sur la longueur il décide de ressortir une vieille affaire, à savoir une jolie nana qui avait disparu. Sauf que c’est plus compliqué qu’il n’y paraît. Bien plus compliqué quand sa propre famille est impliquée…

Critique de Vierge de cuir

Encore un très beau produit signé Lansdale. Je dirai même que sur ce coup là l’auteur s’est un peu plus lâché que d’habitude. Le Tigre signale,  par exemple, la page 20 sur la description de la chef du journal, Mme Timpson, qui vous arrachera plus d’un sourire. Le vocabulaire fleuri, les vannes qui fusent dans tous les coins, tout concourt à de franches rigolades. Plus dur aussi, voire limite glauque quand on aborde certains personnages.

L’histoire est relativement aisée à suivre, le lecteur va de surprises en surprises, avec des personnages tout à fait savoureux. Les « méchants » sont assez raides, même si certaines victimes sont plus à plaindre, et sur leur passif JRL est un excellent narrateur. Les ingrédients que nous connaissons sont toujours là : le refus de l’ignorance, du racisme et toute autre sorte de conneries néo conservatrices.

Comme expliqué précédemment, Lansdale s’éloigne de ses deux personnages favoris (déjà présents dans une longue série) pour faire un one shot, ce qui par conséquent constitue le roman parfait pour découvrir cet auteur. De très bons instants de littérature : roman abordable, bien rythmé même si la fin laisse un goût d’inachevé, pour un nombre de pages raisonnable. A lire absolument donc.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Les PSD. En français, troubles post traumatiques (ici de guerre). Le protagoniste du roman est un ancien soldat en Irak, et ce qu’il y a vu était inimaginable. D’où ses cauchemars, sa relation excessive avec l’alcool et sa difficulté à rester sociable. L’auteur a sûrement fait des recherches dans ce domaine, ou lu des articles sur cette maladie sous estimée. Si la plupart des anciens GI sont dans cet état d’esprit, et sans soutien psychologique adéquat, les États-Unis sont tranquillement le cul posé sur une bombe pas possible avec les guerres qu’ils mènent en Orient.

L’ami de Cason est encore plus inquiétant. Il représente ce qu’un psychiatre ayant bien étudié ses textes appellerait « la sublimation ». Un peu bordeline dans son comportement, il a trouvé dans la guerre un moyen d’exprimer pleinement son potentiel de psychopathe. Dans le roman cet ami est d’un grand secours, néanmoins on nous fait vite comprendre qu’il faut se méfier de ce gus, de ses réactions incontrôlables qui n’ont pas leur place dans un monde civilisé. Un condensé de violence qui a toute sa place en période de conflits. Instructif.

Enfin, la personne objet du titre. La Vierge de cuir, c’est bien sûr la femme sur la couverture. Une magnifique blonde à l’origine d’une machination bien sombre. Une femme superbe à qui la vie n’a pas beaucoup réussi. En parlant des traumas de la guerre, ceux de l’enfance semblent dans ce roman bien plus profonds et irrécupérables. SPOILER. On nous présente une femme immensément froide, sans réelle personnalité sinon la duplicité, capable de faire croire à n’importe qui (femme ou homme) qu’elle l’aime, tout en filmant tous ses nombreux ébats sexuels pour assurer l’avenir. De la psychologie de l’enfance certes pas au niveau de Dolto, mais intéressante en diable. SPOILER END.

…à rapprocher de :

– Sur la personne de Caroline, on n’est pas loin de Vice de forme, de William Lashner. Auteur juridico-policier à découvrir.

– Sur le journalisme d’investigation, relisons ensemble Colorado Kid, du King. Rien à voir avec Haven, série TV fort bien menée qui s’éloigne autant que possible du roman.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman via Amazon ici.

Bret Easton Ellis - Suite(s) impériale(s)VO : Imperial Bedrooms. Easton Ellis, c’est assez particulier. Jeune prodige de la littérature nord-américaine, Bret a pondu quelques livres superbement repris au cinéma (American psycho for instance). En voici un récemment publié, et malgré le style Ellis qui pose problème au Tigre c’est assez sympa à lire. Mais ça ne casse pas trois pattes à un canard.

Il était une fois…

Un quart de siècle après Moins que zéro, nous retrouvons Clay entre Los Angeles et NYC. Désormais scénariste, celui-ci prépare son prochain film. Il s’offre même le luxe de promettre un rôle à une pauvre fille pas vraiment douée, mais réellement mignonne. Entre coups bas, trahisons et manipulations en tout genre, c’est dans un Hollywood glauque que bien des rêves seront brisés.

Critique de Suite(s) impériale(s)

J’ai vraiment du mal avec Ellis. Ces anciens romans n’étaient pas des parties de plaisir, j’avoue même ne jamais avoir pu finir Glamorama. Soit il y a un problème avec le style, trop froid, avec du « name droping » à n’en plus finir, soit la traduction française fait perdre irrémédiablement quelque chose au génie de l’auteur. Quoiqu’il en soit, cet écrivain est un joli mystère pour Le Tigre : pourquoi tant de succès, et où va-t-il chercher tout ça ?

Néanmoins cet opus est le moins pire lu. L’histoire est bien barrée (sans surprise hein), et certains passages sont sombres et bien rendus. Peut-être est-ce le roman de la maturité (ça sonne très critique d’art cette phrase…). Moins de 200 pages, voici une autre bonne surprise. C’est rare de la part de Bret. Les chapitres sont toujours aussi peu nombreux, le style parfois lourd et incompréhensible, mais ça passe plutôt vite.

Une lecture correcte, hélas il me semble qu’il convient de connaître un peu l’univers de BEE avant d’ouvrir ce roman. A ce titre Le Tigre n’est pas totalement certain d’avoir tout compris à l’intrigue (vous avez remarqué que je n’en parle pas encore), étant incapable de reconnaître tous les protagonistes. Ainsi, lire Moins que zéro avant d’attaquer ce titre est bienvenu.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La paranoïa est omniprésente. Clay, Rain et certains autres protagonistes ont des bouffées délirantes, pas toujours injustifiées il est vrai. Mais atteindre de niveau de défiance vis-à-vis de l’autre en général, c’en est effrayant. Si Bret semble parfois écrire comme pour exorciser ses propres peurs ou coucher sur papier ce qui le taraude, alors son psy a du gros pain de campagne sur la planche.

Le détachement des personnages, marque de fabrique de BEE, est toujours aussi prononcé. Dialogues froids, souvent à côté de la plaque, par des hommes ne quittant plus leurs lunettes noires. Drogués ou alcoolisés en permanence, les protagonistes ne semblent plus être dans le monde « vivant » avec leurs interrogations et problématiques qui n’ont rien de celle d’un homme lambda. Et ce manque de confiance entre eux, c’est d’un cynisme… L’ambiance est désespérante (voire exaspérante), le lecteur n’est pas loin de se sentir mal en lisant ces 200 pages.

…à rapprocher de :

– Dans l’esprit de destins brisés avec des personnages assez jeunes qui vont jusqu’à réaliser le pire, Le Tigre se souvient avec émotion du Maître des illusions, de Donna Tartt.

Moins que zéro, American Psycho, voilà les titres sur lesquels le museau du Tigre n’a pas plongé.

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Pierre Autin-Grenier - Les radis bleusLe Tigre est curieux, c’est là son moindre défaut. Parce qu’il faut bien donner sa chance à tout auteur, commençons par son œuvre la mieux cotée (semble-t-il). En plus il y a assez de pages pour se faire une idée de la poésie d’Autin-Grenier. Alors soit je n’aime pas la poésie en général, soit la sienne en particulier, mais ça passe difficilement.

Il était une fois…

Les radis bleus, c’est le faux contenu d’un fameux pot à confitures, dont on vantait à l’auteur la douceur. A partir de menus souvenirs, Pierre AG nous entraîne dans dans un petit univers de poésies, entre menues considérations philosophiques et bons mots.

Critique des Radis bleus

Premier essai d’Autin-Grenier donc. C’est à regret que Le Tigre annonce qu’il n’a pas été déçu de ne pas avoir acheté plus de deux de ses œuvres. Ce n’est pas fait pour moi, rien à faire. Certes je comprends ce qui peut infiniment plaire dans ses écrits, toutefois le ration ennui / plaisir est trop élevé.

Bien sûr rien est à jeter, loin de là. D’une part, certains passages sont réellement plaisants à lire. Quelques bonnes trouvailles au service d’un vocabulaire riche. Mais parfois ça devient incompréhensible, voire répétitif : le terme « romorantin », par exemple, revient comme un poncif assez insupportable à la longue (d’autant plus que Le Tigre ignorait ce que c’était). D’autre part, il y a dans ces lignes une philosophie rafraîchissante, ennemie du conformisme et dévouée à la recherche du bonheur.

A relire sans doute, sous une autre ouverture d’esprit et en étant plus indulgent pour ce genre de poésie. Désolé aussi de ne pas atteindre le cahier des charges (500 mots) pour cette critique.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La recherche des plaisirs simples, loin du tumulte de la vie citadine qui va vite, ne prend pas le temps de se poser et se dire « mais qu’est ce que je suis en train de faire ? ». Hélas pour moi ça a souvent une arrière odeur d’un passéisme incapable de s’adapter au monde moderne. Ai sans doute tort.

L’idée d’un développement par jour est heureuse, dans le style des pensées pascaliennes. D’un point de vue pratique c’est bienvenu : premièrement il n’y pas eu de fil directeur à suivre, on peut lire le tout dans le désordre, deuxièmement lorsque la lecture ne passe pas il est possible de zapper (et sans regarder en arrière) autant que possible. Le risque étant d’arriver un peu trop rapidement à la fin des 340 pages.

…à rapprocher de :

– Son deuxième (et dernier) roman lu par le Tigre, Toute une vie bien ratée.

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Pierre Autin-Grenier - Toute une vie bien ratéeSoucieux de donner une dernière chance au sieur Autin-Grenier, Le Tigre s’est employé à lire un deuxième ouvrage de l’auteur. Plus court, plus rapide à lire, la mayonnaise n’a hélas toujours pas pris. Le Tigre en tire les conséquences en se retirant de la poésie contemporaine version « Autin-Grenier » jusqu’à nouvel ordre. Point barre.

Il était une fois…

Une vingtaine de petits textes (une à dix pages environ) rythmés avec des sujets chers à l’auteur : l’amitié, le refus de faire comme les autres, le chablis, l’existence en tant qu’écrivain pas assez reconnu,…

Critique de Toute une vie bien ratée

Tout un roman bien raté, a tout de suite pensé Le Tigre. De petits textes supposés être sympathiques, toutefois il n’y a eu aucun écho dans l’esprit pourtant ouvert du lecteur que j’imagine, sûrement par erreur, être. Vraiment pas pour moi, j’en suis désolé.

400 mots à peine pour ce post, je suis incapable de broder une centaine supplémentaire c’est dire la difficulté de rentrer dans mon cahier des charges. Pourtant l’hédonisme revendique du poète est relativement séduisant, la vie menée qui est racontée dans ces vers peut arracher un sourire béat au lecteur, hélas en ce qui me concerne l’hermétisme a hélas primé.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La vie bien ratée. On ne saurait mieux dire. Mais ici l’auteur parvient à nous démontrer que c’est une des conditions à la production d’une telle poésie, qui est ici détachée, assez cynique et parfois à l’humour corrosif. Pierre AG n’a rien à perdre, écrit ce qu’il veut, à la limite si on n’aime pas il s’en fout. Et c’est tout à son honneur, Le Tigre fait de même. Merci à Gallimard de le suivre au demeurant.

Pas d’autre thème, si ce n’est expliquer comment arriver à ne pas avoir envie de finir un roman qui fait une centaine de pages à tout casser. Pourquoi ne pas finir ? C’est une affaire de circonstances, et dans ce cas le contexte n’était pas propice pour ce pauvre bouquin : l’écrivain est doté d’un certain passif (cf. premier roman lu), je suis arrivé à ma destination en train, il y avait un autre roman qui attendait d’être lu, j’étais fatigué, un sms à envoyer,…

…à rapprocher de :

– Son premier roman.

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Tome & Meyer - Berceuse assassineTriptyque conseillé par un tenancier d’un illustre magasins de BD sur Paris (Le Tigre n’en dira pas plus). Eu égard à mes lectures précédentes, ce n’était pas évident à trouver. Ces trois opus remplissent leur office : original, sombre et surprenant, ça se lit vite et on en garde un bon souvenir. Néanmoins 30 euros pour ça, c’est un peu nous prendre pour des pigeons.

Il était une fois…

Trois tomes, trois parties :

Tome 1: le coeur de Telenko

Telenko, un taxi driver new-yorkais marié à une handicapée revancharde, est en proie à des problèmes grandissants de santé. Quant à sa femme, il a bien envie de la tuer…avant qu’elle ait la même idée à son égard…

Tome 2 : les jambes de Martha

A peu près la même histoire que le tome 2, mais vu du coté de Martha, épouse de Telenko. D’une part on découvre pas mal de petits secrets de son passé, ce qu’elle désire, ses craintes quant à ce que Telenko est capable de faire ; d’autre part, on revit son tome 1, comprenant mieux l’histoire, et il nous tarde de lire le dernier tome dans lequel tous les nœuds gordiens vont se dénouer.

Tome 3 : la mémoire de Dillon

Dillon, c’est l’Indien dont la fille a été tuée par Telenko lors de sa virée en voiture avec sa nouvelle promise, Martha. Dillon, c’est le paria de la nouvelle civilisation américaine, qui va tenter de retrouver ceux qui ont détruit sa famille. Tout ça sous couvert de quelques légendes indiennes bien dosées.

Critique de Berceuse assassine

Un début tout à fait satisfaisant. Ambiance sombre, dessin glauque, dialogues lapidaires, Le Tigre valide. Titres bien trouvés. Tout ça a se lit hélas trop vite, heureusement qu’il y en a trois. Quant à la fin, parfaitement surprenante ! Le « grand final » est très bien amené, avec un dénouement logique et fort pessimiste. De jolies citations indiennes en fin de roman sont à signaler.

L’originalité première de ces trois ouvrages, et qui peut justifier leur achat, c’est le principe « trois livres, trois narrations » d’une même histoire. Avec la dernière BD qui chapeaute les deux précédentes et nous laissent leur clé de lecture. Un travail assez complexe qui a été correctement effectué par l’auteur, surtout en prenant en compte l’aspect visuel particulier à la BD.

Les qualités narratives et du dessin (ligne claire assez épaisse) sont indéniables. Avec le dessin tout en nuances de gris et à dominante jaune (et en rajoutant une histoire tournant autour de la vengeance), les clins d’oeil à Sin City sont plus qu’évidents. En revanche Le Tigre s’interroge sur la nécessité de pondre trois BD, pour un total de 150 planches environ. Alors que la plupart des romans graphiques ont le double question nombre de pages.

Le résultat est un prix assez prohibitif, car il faut acheter les trois pour réellement apprécier l’histoire. Et le faire vite au demeurant, tellement c’est rapide à lire. Certes une intégrale existe maintenant, mais ça reste un peu au travers de la gorge. Heureusement que les trois tranches, alignées, ça en jette un peu.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La narration multiple, comme expliquée brièvement, constitue un travail qui n’est pas à la portée de tout écrivain. Bien sûr il est facile de prendre, au fil de l’intrigue, différents points de vues. Mais pour une même scène proposer plusieurs interprétations, voilà qui est fort. Modification du texte, de la vision d’un évènement sous un autre angle, les contraintes dans une BD sont indéniablement plus importantes que pour un roman, et le présent triptyque n’a pas à rougir de la réussite de l’exercice de style. Le lecteur peut d’ailleurs se reporter aux exercices de style de Queneau, s’il ne les a pas déjà lus.

Sur l’histoire en elle-même, c’est la rancœur au sein d’un couple qui est avant tout abordée. Rancœur d’une femme dont le mari est responsable de son état, promise avant à une belle carrière, et qui cache la moindre amélioration de son infirmité. Ressentiment du mari à l’égard de sa femme qui constitue un « boulet » à sa vie, sans compter que ses problèmes de santé n’arrangent rien. De là à tenir sa femme responsable de son cœur vacillant, il n’y a qu’un pas pour Telenko. Le résultat en est la haine, et la conscience que quelqu’un ne survivra pas à l’autre à court terme. Et pour pousser ce destin, le désespoir aide à commettre l’irréparable.

…à rapprocher de :

– Dans le délire pseudo-indien du final, il convient de signaler la BD l’esprit de Warren, un peu plus « ésotérique ».

Pour finir, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver l’intégrale de cette BD sur Amazon ici.

Tobie Nathan - La nouvelle interprétation des rêvesUn éminent professeur a conseillé au Tigre de lire cet ouvrage sur les songes. Ça change du Gaiman vous entends-je railler. Il n’empêche que sur 250 pages Tobie Nathan a constitué un petit bijou de savoir, et le lecteur averti en sortira renforcé, d’un point de vue tant personnel que vis-à-vis d’autrui. A bon entendeur…

De quoi parle La nouvelle interprétation des rêves, et comment ?

Tobie Nathan nous convie à un voyage sur le rêve : voyage vertical, grâce aux éléments qui composent le rêve ; voyage horizontal, le rêve étudié sous tous ses paradigmes et au travers les cultures, les âges.

C’est plus que complet, et en seulement 250 pages ! Superbe effort de synthèse effectué par Nathan, à tel point qu’à partir de chaque chapitre on pourrait tirer une thèse. Côté face, le lecteur distrait peut trouver l’essai un peu âpre à la lecture, malgré quelques exemples fort intéressants : interprétations concrètes de rêves données (avec des ancêtres, la famille,. la mort..) notamment.

Bref, grandiose et fort instructif. Au lieu de donner pour chaque item qui daigne apparaître dans un rêve sa signification, Tobie nous donne la clef : charge ensuite à nous de faire l’effort de savoir pourquoi tel ou tel songe.

Ce que Le Tigre a retenu

Tellement de choses à dire sur cet ouvrage, essayons de résumer brièvement :

Tout d’abord, le rêve est éminemment personnel, et celui qui sait le rêve de l’autre détient un pouvoir énorme. Donc ne racontez pas vos rêves à n’importe qui ! Il appert également que le rêve est avant tout basé sur l’avenir, en analysant inconsciemment les dangers rencontrés dans la journée. Rêver peut alors nous préparer à faire face au lendemain qui vient, en se rendant mieux compte des dangers, plus ou moins visibles, du passé (ce sont souvent les mêmes).

Les Grecs, ensuite, qui semblent avoir énormément compris des rêves. Beaucoup de leurs interprétations ont été reprises par les chrétiens et musulmans à leur sauce… A ce titre les 30 secondes culturelles du Tigre : le complexe d’œdipe, qu’on peut retrouver dans un rêve, ne serait rien que l’envie du retour à la patrie.

Freud aussi, grâce à qui les dieux et autres évènements sont écartés, se concentrant sur l’Homme. Hélas ce dernier considérait l’esprit humain avec le même paradigme (tous pareils quoi) sans tenir compte de son individualité, rendant la psychanalyse un peu pauvre au final. Mais celle-ci reste quand même dans le coup : en général, les cultures ont saisi le potentiel auto-réalisateur du rêve. En cherchant à comprendre celui-ci on se conditionne potentiellement à agir, plus tard, dans ce sens.

Le principe fondamental retenu est que le rêve sert entre autres à retrouver sa singularité, lorsque autour de nous on est considéré comme des « quiconques ». A ce titre le sommeil paradoxal permet de réinitialiser chez certaines espèces leur arrangement (d’origine génétique) des cellules du cerveau. Bref dormir beaucoup fait de moi quelqu’un de toujours aussi singulier, voire spécial. Les conséquences sont révélatrices : que dire alors des hommes qui dorment peu, destinés à devenir des animaux sociaux en puissance ?

Imaginez que la plupart des hommes politiques ne dorment que quatre à cinq heures par nuit, peut être est-ce une réaction inamovible guidée par la soif de pouvoir. Soif réalisée quand on est dans l’air de l’Histoire et des pensées des hommes.

Et tant d’autres leçons… Comme le principe « fa » du Bénin, avec ses 256 combinaisons d’interprétations des rêves, qui ne serait pas sans rappeler le Yi King, et son livre des interprétations.

…à rapprocher de :

– Quelques ouvrages de Freud, bien sûr.

– Tobie Nathan a écrit un roman, prouvant qu’on peut être un grand savant et un fabuleux conteur.

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Robin Cook - Etat critiqueVO : Critical. État critique, pas seulement pour les patients touchés par l’épidémie. Aussi une grande société qui possède des cliniques privées et est sur le point d’entrer en bourse. Roman classique du père Cook, toujours aussi porté sur la médecine. Ici le thriller fait un petit come-back, pour un livre qui se lit relativement vite malgré les descriptions médicales en veux-tu en-voilà.

Il était une fois…

Épidémie d’une espèce particulièrement vicieuse de staphylocoque dans des cliniques spécialisées. Derrière ces cliniques, une femme qui s’est lancée dans les affaires, Angela. Nous retrouvons le couple, Jack et Laurie, du premier livre lu par Le Tigre, qui va tenter de mettre un terme à ces manigances. Business de la santé, argent sale, mafia italo-américaine, bactéries qui tuent malgré les contrôles sanitaires, les difficultés ne manqueront pas. Surtout si Jack compte se faire opérer le genou dans une de ces cliniques.

Critique d’État critique

Le Tigre a trouvé ce roman légèrement mieux que le premier lu. Disons qu’il y a un aspect « thriller » en plus, avec notamment la mafia qui s’en mêle. Du coup c’est un bien plus sanglant. Et les descriptions des contaminés sont assez terrifiantes, même si Preston & Child savent faire pire.

C’est encore un peu fouillis parfois, déjà il faut suivre tous ces prénoms italiens qui tournent autour des héros. Ensuite on peut se perdre rapidement dans toutes les explications médicales fournies par Cook, ces dernières peuvent être zappées sans y perdre dans la compréhension globale du livre.

Robin Cook est réellement un auteur qui se lit sur la plage, beaucoup d’espaces dans l’écriture, des chapitres aérés permettant des pauses. En revanche ça doit se lire en une semaine, au risque de ne plus trop savoir où on en est. Fin heureuse, pleine d’optimisme, malgré toutes les victimes.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le monde des cliniques privées. Les investissements sont énormes, et les bénéfices le sont également. Potentiellement du moins. La recherche d’investisseurs est compliquée, au final beaucoup de médecins apportent leurs économies, charge à eux de faire en sorte que ça marche (entendez : apporter des patients). Et dès qu’une épidémie se présente, immobiliser « l’outil de production » peut être très coûteux à terme. Quant aux procédures de décontamination d’une clinique, Robin Cook nous donne un vrai cours de médecine. Avec les cours d’épistémologie (oh le joli mot), ça fait beaucoup d’informations à retenir.

Le destin d’une femme d’affaires qui ferait tout pour réussir. Angela Dawson a misé beaucoup, et s’investit en dépit des risques et difficultés qui ne manquent pas : un ex compagnon jaloux qui est accoquiné à la pieuvre, un besoin en fonds de roulement toujours plus élevé, sa société qui doit être introduite en bourse au mauvais moment, bref stress total. Si vous rajoutez un enfant, alors chapeau l’artiste pour gérer sa vie quand en plus un médecin légiste la drague avec assiduité.

…à rapprocher de :

– Dans la description complète d’un aspect de la santé aux EUA, reportez-vous sur les autres œuvres de Robin Cook.

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Robin Cook - Erreur fataleVO : Crisis. Le Tigre n’a pas l’habitude du thriller médical. Qui mieux qu’un chirurgien peut écrire un polar dans ce domaine ? Premier roman (sur deux achetés) de Cook, la longueur est justifiée par la procédure pénale ici longuement expliquée, mais surtout par des éclaircissements médicaux complets/plexes. Captivant en général, quelques rebondissements, une valeur sûre.

Il était une fois…

Craig Bowan est un excellent médecin. Après des années d’études, de frustrations dans un cabinet à traiter à la chaîne ses patients de medicare, le voilà qui enfin monte son cabinet de médecine à la carte. L’argent va commencer à entrer, il sort avec sa jeune et très belle secrétaire, se remet au sport,…tout va bien. Jusqu’à ce qu’à la suite du décès d’une patiente le veuf l’attaque en justice pour faute médicale. La femme (pas la secrétaire hein)  de Bowman fait appel à son frère (à la femme hein), médecin légiste à NYC, pour l’aider. Stapelton, le frère, n’est pas au bout de ses surprises.

Critique d’Erreur fatale

Il faut le dire d’emblée, le début est à la limite de l’ennuyeux. Limite allègrement franchie parfois. Heureusement qu’on se laisse assez vite entraîner dans l’histoire, pour une fin et un épilogue qui peuvent sembler bâclés mais justifient les 600 pages de lecture. Beau retournement final. Quant à l’histoire parallèle avec le mariage de Jack, c’est un peu poussif même si ça joute parfois au suspense.

Les protagonistes sont nombreux, on les suit tous, et il n’est pas évident de déterminer que le principal n’est pas le pauvre docteur attaqué en justice, mais le médecin légiste présent pour le secourir. Chacun a ses problématiques, leurs égos parfois surdimensionnées, et les rapports entre tout ce petit monde sont admirablement gérés par Cook. Sans jeu de mots, l’auteur maîtrise les ingrédients de sa petite cuisine littéraire.

Le style : ça coule de source, tellement bien qu’on peut parfois se permettre de lire ce roman en diagonale. D’autant plus que Cook n’hésite pas à prendre le lecteur par la main pour poser le contexte. Lecture plaisante au final, même si les longueurs, et surtout certains personnages un peu trop manichéens (je pense au docteur imbu de lui-même, qui s’apitoie ensuite sur son sort) peuvent agacer au plus haut point.

Petit coup de gueule : Crisis, on traduit par erreur fatale ? Le titre français est certes plus parlant, mais ce n’est pas pour rien que Cook parle de crises. Crise du système de santé, crise familiale, etc.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Comme c’est long et abondamment décrit, au moins les thèmes ne manquent pas :

Le boulot que représente les études de médecine. Des années de jeunesse « gâchées » à bûcher, avaler des tonnes de connaissances, la pression ambiante des études où on est rapidement plongé dans l’horreur, la compétition entre internes pour avoir les meilleures notes,…pour des peanuts au final pour celui qui aide les gens modestes Cook laisse entendre. Il n’empêche que ça sent réellement le vécu tellement le livre parle au lecteur sur ce point.

Le procès de la médecine-concierge, qui est plus un symptôme que la raison des mauvaises conditions d’accès aux soins aux EUA. Pour ceux qui ne savent pas, la MC c’est payer un abonnement (assez cher) à l’année pour avoir accès, à tout moment et sans délais outrageants, à son médecin. Comment en arriver là ? C’est ce Cook parvient à bien expliquer. Les compagnies d’assurance, toujours à la recherche d’économies, font faire aux médecins encore plus de consultations. Ces derniers n’exercent plus en toute efficacité, et préfèrent envoyer les malades passer toute une batterie de tests bien coûteuse au lieu de prendre le temps d’écouter. Le Tigre grossit le trait, et est ouvert à tout commentaire.

La clientèle difficile. La victime était un PP, à savoir un patient à problèmes. Celui qui écoute son corps, bien hypocondriaque sur les bords, à appeler à n’importe quelle heure. Sans justifier le comportement du médecin exaspéré, il faut reconnaître que ce type de personnes (qu’un simple placebo calmerait) est particulièrement insupportable pour le praticien. L’hypocondriaque vu côté médecin, c’est assez rare.

…à rapprocher de :

– Le Tigre a lu un autre roman de Cook dont le titre est État critique. Aussi bon.

– Si vous voulez en savoir plus sur la médecine concierge, regardez quelques épisodes de Royal Pain, petite série sans prétention (rien à voir avec Dr House).

– Les arcanes du monde judiciaire, bien explicitées, mais pas aussi bien que dans les romans de Sheldon Siegel : Circonstances aggravantes et Preuves accablantes, seuls traduits en français.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

VO : The Dream Hunters. Neil Gaiman - Sandman : les chasseurs de rêvesPour les 10 ans de Sandman, Neil Gaiman a adapté un conte japonais. A mi-chemin entre le roman et la BD, la prose de l’auteur est illustrée (une page sur deux) par un (célèbre ?) dessinateur nippon, Yoshitaka Amano. C’est mignon, ça se lit rapidement, et ça permet d’aborder une petite touche de culture japonaise, autrement que par le manga.

Il était une fois…

Un moine perdu au fin fond d’un temple fait l’objet d’un pari entre un blaireau et une rusée renarde. Cette dernière s’attache progressivement au moine, qui est menacé par de terribles démons qui veulent le perdre au moyen de trois rêves successifs. La renarde intervient, mais le moine n’en décide pas moins de succomber. Vient ensuite la vengeance, avec le dépouillement total du responsable de la mort du sage.

Critique de Sandman : les chasseurs de rêves

Bon, c’est vrai que l’histoire telle que relatée semble faire un peu « fouillie ». A partir d’un conte japonais qui paraît assez basique, Neil Gaiman est parvenu à pondre une nouvelle tout à fait séduisante. C’est pour l’auteur une sorte de transition qui annonce les « vrais » romans de fantasy qui seront traduits par la suite.

Le vocabulaire est simple, beaucoup plus accessible que la série des Sandman. Mais il ne faut pas se méprendre, ici présence minime de Dream, qui est à peine décrit à la fin de la nouvelle. Tout tourne autour de l’amour entre le moine, qui a fait vœu de chasteté, et la renarde, qui n’est pas tout à fait humaine.

Quant au dessin d’Amano, celui-ci est varié, en relative harmonie avec la page d’écriture qui l’accompagne. Le Tigre néanmoins se demande parfois si c’était vraiment nécessaire, le texte peut se suffire à lui-même pour celui qui connaît un peu le monde magique de Sandman. Saluons quand même la forme hybride de ce roman, proche de ce qui peut se faire dans les livres pour enfants (où paraît-il Gaiman excelle).

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le Japon dans un temps médiéval, bien que fantasmé, laisse très songeur : influence du bouddhisme, démons locaux, le rêve et ses manifestations au Japon, c’est une petite mine de savoirs que nous offre, l’air de rien, Gaiman. Surtout en si peu de pages.

La vengeance, un plat qui se mange froid. Cette expression n’a jamais été aussi bien illustrée que par la renarde éplorée qui va user de ses charmes pour amener un homme à sa perte. Ça rompt avec l’ambiance fantastique d’avant, Le Tigre ne sait pas à quel point ce passage est explicité dans le conte japonais.

…à rapprocher de :

– Sur les autres Sandman lus par Le Tigre et résumés sur QLTL, en vrac il y en a ici, , encore ici ou de ce côté.

– Petit, léger, assez beau, nipponisant, Le Tigre esquisse un parallèle avec Soie, d’Alessandro Baricco

Romain Sardou - Quitte Rome ou meurs

Romain Sardou…Sardou…Et oui, c’est le fiston de l’illustre Michel. Le Tigre n’osait espérer que Romain écrivît (corrigez moi si ça ne passe pas). C’est donc par curiosité que je me le suis procuré, d’autant plus que celui-ci est raisonnablement court. Assez plaisant si on aime le style, ennuyeux à mourir si dès les premières pages ça ne passe pas.

Il était une fois…

Parce qu’il a osé offenser Néron, empereur romain légèrement (euphémisme) dérangé, le patricien Marcus n’est plus vraiment le bienvenu à Rome (encore un euphémisme). Pendant sa fuite il correspond activement avec Sénèque. Ces échanges, parsemés de pièges tendus par Néron, amènent nos deux amis à discourir philosophie, la question

Critique de Quitte Rome ou meurs

Roman assez court et 4ème de couverture plus qu’élogieux, on n’est pas loin de l’attrape-nigaud. Et bah finalement, même si c’est moins pire qu’on peut s’imaginer, ce n’est pas non plus le rêve vendu.

Tout d’abord il faut saluer l’exercice de style de Sardou, qui n’a pas hésiter à piller (mais avec courtoisie comme diraient Les Inconnus) les célèbres Lettre à Lucilius de Sénèque. Et cette reprise est assez bien adaptée, le lecteur se laisse prendre au jeu et croit lire une correspondance toute antique entre un élève et son philosophe de maître.

Le début du roman plante bien l’intrigue, l’évolution des lettres est sympathique mais pendant les deux tiers du roman, on a furieusement envie que ça bouge un peu plus. Impressions de cours de latin, moyen. Heureusement que les vingt dernières pages sont de pures beauté. Romain Sardou s’éloigne du genre purement épistolaire, le discours et les descriptions des dernière horreurs de Néron sont rafraichissantes (sans mauvais jeu de mots).

Au final un roman assez plaisant pour l’inconditionnel de l’Empire romain et des bonnes lettres de ses philosophes, néanmoins Le Tigre se voit difficilement acheter le reste des romans de l’auteur. Ne dit-on pas fontaine,…

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le pastiche, si tel était le souhait de l’auteur, est finement reproduit. On s’y croirait presque tellement c’est ronflant comme style (Le Tigre plaisante). S’il n’y avait pas les dernières pages de fureur et de trahison, ça aurait pu être sorti du fin fond d’un tombeau romain. Néanmoins il conviendrait de vérifier si les moyens de communication de l’époque autorisaient la fréquence des lettres envoyées et reçues.

Sénèque, objet du Roman. Là Le Tigre ne peut pas en dire vraiment plus, tellement ses connaissances en la matière sont pauvres. Néanmoins, il ressort des lettres envoyées une certaine apologie de la vie simple, éloignée des courtisans de Rome, avec des buts aussi triviaux que l’amitié, l’amour et d’autres synthèses de frugalité.

La période trouble à cause de Néron est clairement développée, c’est assez édifiant de voir ce dont cet individu était capable. Jouer des pièces de théâtre jusqu’au ridicule, l’absence de pardon et de clémence, tout concourt à classer le personnage dans la catégorie porteuse des psychopathes.

…à rapprocher de :

– Les traductions de Latin que Le Tigre se coltinait de la 5ème jusqu’au bac. Interminables souffrances pendant lesquelles le reste de ses amis le narguait depuis l’extérieur de l’enceinte.

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Hans Fallada - Seul dans BerlinVO : Jeder stirbt für sich allein. Seul roman connu à ce jour par Le Tigre de Herr Fallada, ce sera hélas sans doute le dernier. La résistance vue de la capitale allemande, c’est unique. Ce sujet est traité avec un détachement et une objectivité journalistiques. Hélas c’est long, trop long, bien qu’intéressant, mais rien à faire. Et en plus ça semble vieillir plutôt mal.

Il était une fois…

Berlin, rue Jablonski, 1940. Sur plus de 500 pages le lecteur va suivre les pérégrinations d’une bonne demie douzaine d’habitants d’un immeuble. Tout y est représenté, le vieux couple entrant en résistance, la famille SS impitoyable, le looser en manque chronique d’argent, l’honorable juge impuissant, la vieille femme juive esseulée, etc.

Critique de Seul dans Berlin

Touchant. C’est le mot qui vient à l’esprit infécond du Tigre. Ah si, le titre. L’original (car je suis bien entendu germanophone) signifie « chacun meurt seul ». Plus parlant, car il s’agit bien de mourir dans Berlin, et seul.

Le style a un peu vieilli, mais le rendu de Berlin pendant la guerre est tout à fait convainquant. On peut avoir un peu de mal à s’habituer à tous les personnages, néanmoins ceux-ci reviennent comme une mélodie qui va mal finir. A ce titre la fin est un peu dure, surtout pour ceux contre le régime.

Faute d’autres romans (et même de films) sur ce thème, ce petit pavé constitue le passage obligatoire pour tout lecteur intéressé par la période nazie, car celle-ci est dans cette œuvre vue de tout côté : victimes, bourreaux (qui sont interchangeables), citoyens lambdas, profiteurs,… Un condensé d’Histoire, qui sans doute devrait être au programme de lecture dans les lycées.

Hélas ce livre est entaché de certains défauts que Le Tigre ne digère guère : déjà c’est assez long, et on peut se surprendre à vouloir que le rythme s’active un peu plus sérieusement. Quant au chapitrage, celui-ci est proprement dégueulasse. Ce sont près de 600 « vraies » pages, avec peu de sauts de ligne, peu de chapitres qui aèrent l’ouvrage. Du coup ça le rend potentiellement pénible, surtout quand les personnages se perdent en atermoiements et petites actions au premier abord insignifiantes.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Les réactions humaines sous un régime totalitariste. Ici Hans nous amène une palette complète : la lâcheté, la fuite, l’obstination jusqu’à la mort, la prise (ou non) de risques, la veulerie, l’insondable lâcheté,…tout y est ! Et comme dénominateur commun à toutes ces émotions, la peur, celle qui naît au plus profond des gens, qu’ils soient du bon ou du mauvais côté (selon leur estimation bien sûr).

C’est aussi une belle leçon de courage qu’on prend en pleine face. Les seules personnes entrant activement, de manière tout à fait artisanale au demeurant, dans la résistance sont des parents (et leur ex belle-fille) ayant perdu leur unique enfant à cause de la guerre. A partir de là ils n’ont rien à perdre, et on peut parler de suicide plutôt que de courage. S’ensuit la question que tout lecteur, surtout Le Tigre, se pose : qui aurais-je été dans cet immeuble ? Terrible question.

Enfin, il faut souligner la difficulté à faire un roman sous différents points de vue, avec des histoires a priori indépendantes qui souvent se rejoignent. Le style assez sobre de Fallada aide certes, il n’empêche que la construction d’un mini univers composé de tant de destins différents a été assez bien appréhendée par l’auteur. Malgré les critiques ci-dessus développées.

…à rapprocher de :

– Petite biographie d’avant-guerre avec le monstre nazi détruisant (avant de reconstruire) une amitié : L’ami retrouvé, de Fred Uhlman. 100 pages indispensables.

– Primo Levi a dit grand bien de ce roman, rendons lui la politesse. Si c’est un homme, à lire et relire.

– Dans le style germanique en mode « roman one shot » révélation, pleurons ensemble sur Moi, Christiane F.,…

– Tout les deux ans, une charmante bourgade dans le Shleswig-Holstein (pas loin du Danemarque) décerne le Prix Hans Fallada. Cela peut être une base.

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Tobie Nathan - Qui a tué Arlozoroff ?Le Tigre a déjà eu affaire au père Nathan, dans le cadre d’un ouvrage passionnant sur les rêves. Or le même Nathan a écrit un polar historique, sur fond de question énigmatique ? Aussitôt découvert, aussitôt acheté. Et ces presque 450 pages ont constitué un bon souvenir de littérature. Sans plus. Mais à offrir sans hésitation à sa belle-mère un peu gâteuse.

Il était une fois…

Le narrateur, Ezra, cherche à savoir qui a tué un pauvre clochard en Israël. Ses recherches de journaliste vont le mener à raconter (avec d’autres conteurs) l’histoire de Magda Quandt, épouse Goebbels, et son amant Arlozoroff, juif éduqué en Allemagne et personnage important de la construction d’Israël. Et de son meurtre, sur fond de nazisme rampant en Europe.

Critique de Qui a tué Arlozoroff ?

Tobie Nathan, en plus d’être un grand savant, sait à l’occasion être un excellent romancier, mieux, un conteur. Car derrière l’énigme du meurtre, c’est tout un contexte, un environnement qui est magistralement exposé. Historiquement à la limite de la fiction, l’histoire d’Arlozoroff est avant tout une excuse pour atteindre Magda Goebells, femme fatale qui tout au long de sa vie a fait montre d’une intelligence et d’une adaptation remarquables.

Mister Nathan nous offre l’Histoire, sur un plateau original et souvent captivant. En exposant le développement de Magda, ses péripéties, et ce qui l’a motivée pendant deux tortueuses décennies, c’est un nouvel aspect de la folie de l’Allemagne des années 30 qui est montré. Et Le Tigre approuve.

A cela il faut bien sûr rajouter l’histoire de la naissance du sionisme, les rivalités au sein du mouvement et des tractations, souvent inutiles, des juifs avec l’Allemagne nazie jusqu’aux derniers instants. Quant à la fin, celle-ci offre une jolie surprise inattendue, quoiqu’improbable, mais fleurant bon la barbouzerie orientale.

Pour finir, ce joli pavé de 400 pages se lit assez rapidement, de manière plutôt fluide et sans grosses longueurs. Écriture réellement aboutie, rien à dire. Les allers et retours entre l’Histoire et le présent n’embrouillent en aucun cas le lecteur, même si Le Tigre se perd un peu entre le prologue et le fin mot de l’histoire. Pour personnes férues d’histoire, et particulièrement portées sur les mystères entourant le milieu du vingtième siècle.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le sionisme, affaire d’hommes d’horizons aussi lointains que variés, a été une aventure plus que périlleuse pendant la période du roman. Jusqu’au bout la négociation avec l’Allemagne était de mise, et même les projets les plus farfelus (parquer les juifs à Madagascar par exemple) étaient mis sur la table. Rencontres occultes, projets avortés, réunions dangereuses, contacts avec les gouvernements des grands pays, on n’imagine pas tous les efforts déployés pour permettre à un peuple de contribuer à créer son État.

Il ne faut pas oublier que ce roman est également une histoire d’amour impossible, entre un brillant étudiant sémite et une Allemande bien sous tout rapport mais qui a les dents qui rayent sérieusement le parquet. Fusion, destruction, les excès de ces personnages hors du commun vont les perdre (Magda subit une fin peu glorieuse dans ce roman). Leur amour allant à l’encontre du sens de l’Histoire, ça ne pouvait créer que des étincelles.

Tobie Nathan nous présente les mobiles, mais jamais ne se risque à résoudre le meurtre. Celui d’Azlozoroff est une véritable énigme jusqu’à en faire un proverbe, et ce à juste titre. L’auteur jongle autour de trois responsables potentiels : les rivaux juifs qui n’approuvaient pas la politique d’Arlozoroff, les Palestiniens qui déjà voyaient le danger de ce qu’il allait advenir de la région, ou alors Goebells fou de jalousie de savoir que sa femme était l’amante de la future victime.

…à rapprocher de :

– Si vous aimez des bribes de l’Histoire, avec un grand « H », avec de grands personnages vus sous un autre angle, il convient de se reporter à la Trilogie berlinoise, de Kerr.

– Le polar à l’israélienne, Le Tigre pense tout de suite aux œuvres de Batya Gour, romancière tout à fait intéressante. Meurtre à l’université par exemple.

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