Alastair Reynolds - The PrefectIncontournable titre de l’immense auteur de space opera Reynolds, The Prefect s’inscrit dans la fabuleuse saga des Inhibiteurs, bien que ce titre puisse se lire seul. Thriller technologique se déroulant dans des habitats spatiaux, un pur plaisir de suspense où les considérations sur les systèmes politiques ne manquent pas.

Il était une fois…

Tom Dreyfus est un Préfet (Prefect dans le roman) au sein de Panoply. En fait, une sorte de policier chargé de veiller à la bonne tenue des logiciels d’élection dans l’Anneau de Lumière, ceinture d’astéroïdes entourant la planète Yellostown, base de la puissante civilisation démarchiste. Finissant son enquête sur des malversations autour d’un habitat spatial, Tom est chargé d’enquêter sur une attaque qui a tué 900 citoyens. Sur place, il découvrira que c’est un peu plus retord que prévu, en effet une menace terrible plane sur l’Anneau de Lumière.

Critique de The Prefect

Dernier petit-né de la saga Inhibiteurs, voici une (relativement court) histoire rondement menée qui n’a pas laissé Le Tigre indifférent. Tout d’abord, il faut recaser le contexte : il semble que The Prefect se passe avant même le premier roman du cycle, bien avant le cataclysme qui va détruire l’intégralité de Yellostown. Pas un prequel, ni un one-shot, on parle plutôt de « stand alone ». Donc n’importe qui peut attaquer ce roman, aucun prérequis !

Sur l’histoire, encore du lourd : nous suivrons une grande organisation (Panoply) qui opère dans la ceinture d’habitats entourant une puissante planète. Les habitats étant globalement indépendants, notre héros de Panoply ne s’occupe que des systèmes de votes assistés par des nanorobots afin d’éviter toute triche. Bien vite une mission particulière (une invraisemblable tuerie) va mobiliser toutes les ressources de nos héros (Tom D. et ses collègues). Ceux-ci seront plongés dans une sombre machination qui a pourtant pour vocation d’éviter quelque chose de plus terrible (je ne dirai pas quoi).

Ensuite, le style : en anglais, rien à dire question compréhension (Le Tigre n’étant pas bilingue). Chapitres certes assez longs, mais pour une fois Reynolds parvient à passer sous le seuil des 600 pages. Champagne ! Pour ma part, j’ai été transporté par cette histoire même si je suppute ne pas avoir intégralement compris certains passages. Être familier de l’univers créé par l’auteur a été d’un grand secours.

Comme toujours, quelques idées totalement révolutionnaires de la part du Gallois. A titre d’exemple (d’autres sont dans les thèmes), le fonctionnement de Panoply est fort bien pensé : des niveaux d’accréditation selon l’importance de l’affaire (avec des noms laissant rêveurs, du style Manticore ou Pangolin), l’intervention immédiate par le vote des citoyens (savoir si on peut utiliser une arme), une hiérarchie stricte et claire, bref une administration efficace.

Enfin, vous l’aurez sûrement compris, c’est une œuvre excellente mais pas forcément évident à saisir tous les petits détails. Le fin mot de l’histoire renvoie, non sans brio, avec le cycle principal des Inhibiteurs qui, rappelons-le, m’a fait un second trou du cul. Sorti il y a quelques années, nos éditeurs ne semblent pas décidés à se bouger et traduire le roman, ce qui est fort dommage.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La Démarchie. En ai déjà parlé dans la Cité du Gouffre, vais me concentrer ici sur le système de votation. Chaque habitat a la politique qu’il souhaite, souvent certains proposent des expériences politiques innovantes (dictature, anarchie), la base étant que chaque citoyen puisse voter (par la pensée). Pour certaines décisions concernant l’intégralité de la ceinture d’astéroïdes, tous émettent une opinion qui est sauvegardée. Plus tard, si telle ou telle décision est jugée rétrospectivement bonne, ceux qui ont jadis voté pour auront un « bonus de vote » (et vice versa) : le coefficient de leurs voix sera augmenté, jusqu’à être multiplié par trois. Intéressant. Avec ce principe; nos politiciens n’auraient même pas le droit de voter !

Les « simulations beta ». Déjà présentes dans L’espace de la révélation, ces simulations sont finement imaginées par Reynolds. L’interface homme-machine presque au point ! Vous prenez un esprit humain, et hop on le transfère dans un ordinateur quantique. Comme ça si ladite personne meurt, on peut toujours récupérer un de ses clones et « transférer » sa psyché. On y a affaire dans ce roman, puisque les Préfets, dans leur mission, débusquent une de ces simulations (celle d’une certaine Delphine) pour savoir ce qui s’est passé.

La méchante technologie. La chef de Panoply a un gros souci : le Clockmaker, c’est une invention qui a terriblement mal tourné et qui a pu implanter le « scarabée » dans la nuque du boss. Si on tente de le lui retirer, si elle est trop stressée, ou si elle dort, la chose explose. Maintenue dans un espace clôt et constamment sous drogues, Jane Aumonier (c’est son nom) a de la volonté puisque ça fait plus de dix piges que ça dure. Sans spoiler, ce que les protagonistes imaginent pour le lui retirer est hallucinant. Et terriblement logique.

…à rapprocher de :

– L’univers du cycle des Inhibiteurs dans lequel se joue The Prefect, ça commence ici pour finir . La Cité du Gouffre, en particulier, nous offre un autre aperçu de la société démarchiste post peste.

– Pour en savoir un peu plus sur cet imposant arc narratif, les recueils de nouvelles Galactic North et Diamond Dogs, Turquoise Days sont tout indiqués.

– Une autre saga, intitulée les Enfants de Poseidon, n’est pas mal non plus : Blue Remembered Earth, On the Steel Breeze, etc.

Century Rain est différent, et un peu en-deçà de mes attentes. La pluie du siècle, en VF.

Pour finir, si votre librairie est fermée ou ne propose pas de titres en anglais, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Chuck Palahniuk - SurvivantPalahniuk est un grand malade, et pour notre plus grand plaisir. Mais quelle imagination ! Après la chute d’une secte néo esclavagiste un homme est pris en main par les autorités pour réapprendre à vivre. Bien sûr tout va se compliquer. Humour dérangeant, situations improbables, narration originale, encore une petite perle.

Il était une fois…

Tender Branson est un survivant. Seul à bord d’un avion qui est sur le point de se crasher, Tender va nous livrer son histoire. Membre d’une secte (les Creedish) qui regroupait plusieurs milliers d’adeptes, les enfants étaient envoyés dans de riches familles et effectuaient des tâches dignes d’un esclave. Lorsque ladite organisation a décidé de commettre un suicide collectif, les survivants ont été placés dans un programme fédéral de protection. Hélas ces derniers se font un par un zigouiller, et notre héros vite médiatisé craint pour sa vie. Que va-t-il advenir ?

Critique de Survivant

Rien à dire, on en a pour notre argent. Un superbe ouvrage, avec des des passages à l’humour aussi corrosif. Le scénario est à la base simple, toutefois celui-ci va s’étoffer progressivement. Du héros qu’on protège et raconte son ancienne vie d’esclave dans une riche famille de NYC, il deviendra une star à mesure que ses camarades meurent les uns après les autres. En plus de rechercher le meurtrier, Tender rencontre une jeune femme aux dons très spéciaux avec qui le road movie pourra démarrer.

Survivant, car le roman est en fait le témoignage d’un survivant (avec les nombreux flashbacks éprouvés par l’auteur américain) depuis un avion détourné. Là où le lecteur sera perplexe, c’est devant la numérotation des pages et chapitres en sens inverse. 43 chapitres, moins de 400 pages, ça se lit vite et on commencera par la dernière page avant le compte à rebours final. Avec la surprise du chef à ce moment (je n’en dirai pas plus).

Les péripéties sont nombreuses, surtout grâce au mystérieux tueur. En outre, Chuck nous plonge dans deux univers : celui des hommes à tout faire (cf. infra) ; et au cœur de la gestion d’une crise par les autorités. Lorsque par exemple les psys du FBI se suicident face à ceux dont ils sont censés empêcher de le faire, ou que le système médiatique s’emballe autour des survivants, le lecteur oscillera entre sourires et profond dégout.

Le Tigre n’est point du tout objectif concernant Chuck, on peut être transporté comme rapidement mis sur le banc avec ce type de narration complexe et haute en couleur. C’est acide, du vitriol qu’on mélangerait à de la nitro avec un soupçon de drogues hallucinogènes. Survivant, c’est un voyage.

Petite indication finale. A l’époque où j’avais dévoré ce roman, un film était prévu fin 2009. Sauf qu’un avion détourné, qui allait se crasher, pas terrible comme approche dans l’Amérique post 11 septembre.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’esclavage moderne. Les Creedish (mélange d’Amish et de greedy, à savoir avare) représentent ce que l’Amérique ultra-mondialisée peut faire de pire. On « sur-éduque » les gamins, et hop ce sont des individus à tout faire au service de parvenus mal débouchés. Système efficace (l’argent est reversé à la secte) mais dont le principe même annonce un dénouement forcément catastrophique : ici, le suicide groupé, qui renverrait au suicide à terme de la civilisation capitaliste ?

L’auteur, à son habitude, nous régale ainsi de mille et une techniques apprises par le le protagoniste principal : comment essuyer le sperme sur le cuire de la limo ; préparer certains plats de qualité, avec les vins adéquats ; nettoyer une chemise à tout moment,…Un vrai guide de survie en milieu urbain.

Prescience et conscience. Avouez que c’est joli ce titre. Prescience, c’est le fameux don de la copine de Tender. Du coup les deux tourtereaux sont toujours aux premières loges de petites catastrophes et évènements insolites. Ce don m’a fait hurler de rire lorsque le héros déjà starisé, en plein Super Ball, se livre à un spoil d’une violence extrême. Conscience car celle de Tender n’est pas nette, notamment un terrible secret qu’il cache à la jeune femme. Assez glauque d’ailleurs.

…à rapprocher de :

– L’auteur est avant tout connu pour Fight Club (que je me dois de résumer) et sa suite sous forme de BD (en lien) avec Cameron Steward.

Vous vous en doutez, le félin a pas mal bourlingué autour de Chuck Palahniuk. Florilèges (dans le désordre le plus complet) :

A l’estomac (grandiose) ; Choke (loin d’être le meilleur) ; Fight Club (faudrait que je le résume au fait) ; Berceuse (original en diable) ; Damned (très décevant) ; Snuff (marrant mais sans plus) ; Monstres invisibles (bluffant) ; Tell All (pas pu le finir) ; Peste (à lire absolument) ; Pygmy (bof, sauf en VO) ; Journal intime (imbitable) ; Le festival de la couille et autres histoires (du pur journalisme), etc.

– A tout hasard, un court roman fait également dans le compte à rebours (mais seulement sur les chapitres) : Palissade, de Frank Villemaud – ça se laisse lire et la fin vaut son pesant de cacahouètes.

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Guy Delisle - Chroniques de JérusalemSorti au début des années 2010, justement récompensé, Chroniques de Jérusalem vaut largement un essai politique sur la région. Roman graphique dense et facile à suivre, on se régale à suivre les pérégrinations de Guy et ses carnets de croquis. Région en tension permanente, personnages pittoresques, la vision de Guy semble, en conclusion, assez juste.

Il était une fois…

Guy D., sa femme (qui toujours travaille pour MSF) et ses deux enfants vont vivre 12 mois à Jérusalem. Al-Quds pour les musulmans. Dans la partie Est, c’est-à-dire le quartier arabe. Muni de ses notes et son carnet de croquis, l’auteur va rendre compte, à partir de sa propre expérience, des multiples aspects de cette région si particulière.

Critique des Chroniques de Jérusalem

Dernier (pour l’instant hein…) roman graphique lu de cet auteur, pas mon préféré mais un titre à ne rater sous aucun prétexte. A l’instar des Chroniques birmanes, Delisle a gagné en maturité et a quand même pondu un relatif pavé de près de 350 pages. Accompagné de sa compagne et de ses deux enfants (un de plus par rapport à la Birmanie), voici un séjour d’un an plutôt bien rendu.

Ici, nous aurons droit à des chapitres chronologiques (comme ses titres précédents, mais c’est bien plus visible dans Jérusalem), ce qui permet un surplus d’empathie avec l’auteur. Il s’adapte, le lecteur aussi. Au début il hallucine quand on lui demande s’il a une arme, progressivement il ne s’étonne plus de voir quelqu’un se balader dans la foule un flingue à la main. Comme les bouchons en voiture, il (et on) s’y fait vite.

Difficile, sinon inutile, de parler d’un roman (graphique) dont l’auteur livre ses impressions. Objectivité donc, mais pour un tel sujet, à quoi peut-on vraiment prétendre ? Le conflit du Moyen-Orient, je n’y comprends goutte tellement ça remonte à loin et les informations, souvent contradictoires, abreuvent le citoyen. Toutefois Guy, avec la simplicité qui n’a d’égal que ses dessins, développe une image que Le Tigre aime à considérer fidèle. Bref, aucune raison de ne pas mettre en cause ce qu’il y a dans ces pages, fruit du travail d’un dessinateur, et non d’un politologue.

Sur le style, dessins et textes sont toujours aussi abordables : quelques subtiles variations de couleurs (jaune, bleu ciel, vert de l’Islam) au service d’une sobriété propre à l’auteur. L’architecture, toujours aussi bien rendue (pas du Andreas avec ses Rork quand même). Quant au texte, concis et non répétitif (par rapport à ce qu’on peut voir), avec la touche d’humour (cynique souvent) qui sied si bien à Guy.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Déjà, j’ai étonné de voir l’étendue de la situation en Cisjordanie. Je pensais qu’il s’agissait d’un territoire majoritairement palestinien, en fait Israël contrôle une bonne partie de la zone et laisse des petites « poches » de villes (Ramallah, Hebron par exemple) dont la connexion est contrariée par les nombreux checkpoints. En outre, Gaza est pour tout Arabe quasiment une prison. La politique israéliennes de colonies, au final, est particulièrement efficace. On déloge, on construit, on installe, tout ça sous protection de l’armée, la souveraineté de quelques kilomètres carrés se fait progressivement.

Le mur. Enfin les murs. Quasiment pas une planche où on n’aperçoit pas une barrière. Mur des Lamentations certes, mais avant tout les murs érigés par Israël pour isoler les populations palestiniennes. Des édifices de 5 mètres de haut, checkpoints rares et humiliants (même si les soldats de Tsahal ont l’air plutôt cool en général), des détours hallucinants à faire en voiture (l’exemple de l’université de Jérusalem est terrible), les embouteillages monstrueux qui s’ensuivent, etc. Et certains vieux juifs qui se désolent de ce qu’est devenu leur pays qui oppresse trop à leur goût.

Les préjugés. Sur les Israéliens, les Arabes, les Chrétiens, chacun apporte de temps à autre son lot de surprises qui nous rappelle que rien n’est jamais acquis. Pays énormément complexe, L’unique soirée de la nuit pendant laquelle les juifs ultraorthodoxes se pintent salement la gueule, les femmes voilées souhaitant devenir prof de beaux-arts car c’est la seule manière de pouvoir sortir, les petits arrangements de chacun avec la religion…tout cela raconté avec une acidité bienvenue, Delisle surprend plus d’une fois.

…à rapprocher de :

– Les autres Delisle, bien sûr. Par ordre alphabétique : Pyongyang, Shenzhen, Chroniques birmanes.

– Sur la géopolitique de cette région, vue côté arabe, il y a Les matins de Jénine, d’Abulhawa. Toujours instructif.

– Et pour des discussions plus « religieuses » sur judaïsme et islam, lisons ensemble le polar de Littell (Sr), Les Enfants d’Abraham.

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Umberto Eco - Le Cimetière de PragueVO : Il Cimitero di Praga. Le Tigre s’est tardivement mis à Umberto Eco, à la limite du sacrilège. Son sixième roman, longue odyssée au long du XIXème siècle, est mitigé : à destination d’un lectorat cultivé, certes quelques petites touche d’humour mais fort exigeant et passablement complexe. L’exercice est louable, pas ma came hélas.

Il était une fois…

Simon Simonini habite le Paris de la fin du XIXème siècle. Se réveillant sans vraiment savoir qui il est, le journal de bord qu’il trouve sur une table va l’aider à mettre en place ses souvenirs. Surtout qu’il semble qu’un autre personnage, l’abbé Dalla Piccola, ait aussi des choses à raconter. De l’Italie à la France, ces deux individus très voyous sur les bords vont vivre et faire l’Histoire : l’unification de l’Italie, la fabrication de faux documents (notamment les fameux Protocoles), la guerre franco-prussienne, la Commune, les sectes en tout genre, les attentats et autres espions, tout est vrai, tout y est.

Critique du Cimetière de Prague

Depuis le temps que j’entends parler de cet auteur, que même j’ai vu le film (avec Sean Connery) tiré d’un de ses (longs) romans, il fallait faire quelque chose. Direction une librairie. Calamitas, ses œuvres dépassent généralement 500 pages. Allez hop on prend la moins longue disponible.

Le sujet est ambitieux et séduisant, c’est le moins qu’on puisse dire. Signor Eco a pondu une fresque historique et politique d’une partie de l’Europe du XIXème siècle. Avec la précision et le rendu de l’historien à qui on ne la fait pas. Complots, luttes en tout genre, falsification à grande échelle, arnaques, meurtres, tout ça avec des protagonistes bien connus.

En effet, à part le(s) narrateur(s), tous les individus rencontrés sont des personnages historiques ayant existé. Les actions des héros (faux et usage de faux, espionnage,…), certes fictionnelles, vont néanmoins être le fil rouge de l’Histoire. Pour Le Tigre, pas forcément calé sur cette période, ce fut un petit plaisir d’apprentissage bien que j’ai été bien en mal de démêler la fiction du réel.

Hélas, le style n’a pas été, selon moi, transcendant : d’une part, la structure de narration m’a un peu déboussolé. Pour lire de l’anticipation sociale ou de la SF, j’ai pourtant l’habitude. Mais ici, le journal écrit par deux personnes différentes qui s’entrecroisent, avec un narrateur plus ou moins omniscient qui n’hésite pas à interpeller le lecteur, ça gâche un peu la lecture. D’autre part, même si Umberto a une écriture pas désagréable agréée d’un certain humour, on peut trouver le temps très long.

Bref, si vous aimez les épopées historiques, avec des clins d’oeil et références multiples, allez-y. Pour les autres, bien que le style soit agréable, vous serez content que ça se termine. Pour ma part, c’est toujours bon à lire, concentrer autant de connaissances est assez rare.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’odyssée historique. Comme je le disais, l’auteur italien est fin connaisseur, et la bibliographie qu’il a du compulser est impressionnante. Les gens rencontrés par le capitaine Simonini, ça respire le réalisme. Les méthodes exposées par certains individus pour créer une bombe, dignes d’un cours de chimie. Les nombreuses sectes et leurs pratiques, presque la bible satanique de Cromley. Quant à l’espionnage entre pays, avec les agents et agents doubles de partout, Ian Fleming n’a qu’à bien se tenir.

L’antisémitisme naissant. Les héros ont, par leur environnement familial notamment, nourri une haine féroce contre les juifs. Les Francs-Maçons également. Et les Chrétiens de temps à autre, tant qu’à faire. Les documents (le premier étant le rendez-vous de dignitaires judaïques au cimetière du titre) sur lesquels travaille l’abbé du roman, mis bouts à bouts, vont tout simplement constituer les Protocoles des Sages de Sion, dont le Tsar n’osera se servir tellement leur création ex nihilo semble évidente. Dans l’ouvrage, tout sera bon pour enfoncer le peuple élu, que ce soit en propageant folles rumeurs ou en faisant accuser un certain Dreyfus, officier stagiaire de l’armée française. La suite, vous la connaissez.

…à rapprocher de :

– D’Umberto, Le Tigre s’est surtout rappelé Comment voyager avec un saumon ? Pas si drôle que ça en fait.

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Miller & Mazzucchelli - Batman : Year OneDans le cadre de mes « batlectures » et grâce au reboot du fameux héros, voici les premières armes de Wayne en tant que chevalier noir. Mais aussi celles de Jim Gordon qui est nouveau dans Gotham. Scénario qui tient la route, dessin impeccable quoique classique, un ouvrage somptueux qui démarre bien la série.

Il était une fois…

Gotham City est ce qu’il se fait de pire question corruption. Fonctionnaires, flics, hommes d’affaires, pas un pour rattraper l’autre. C’est dans cet environnement que va naître un mystérieux individu aux allures de chauve-souris. Parallèlement, un jeune flic déjà désabusé quitte Chicago pour la capitale du vice. Transportant femme et enfant à naître, James Gordon saura-t-il rester du bon côté ?

Critique de Batman : Year One

Dépoussiérer Batman, ça n’a pas été une décision facile pour DC Comics. Parce que le personnage plaisait bien, semblait indémodable et ses films et séries TV en cours étaient plutôt bonnes. Donc fallait pas se planter, et Miller, génial auteur de comics, était tout destiné à se mettre au boulot.

L’histoire est superbement menée, un peu à l’image des films de Christopher Nolan. Les débuts de l’homme chauve-souris ne sont pas évidents, entre erreurs et tâtonnements de débutant. En outre, nous aurons l’honneur d’assister à l’arrivée de Gordon dans Gotham. Avec son épouse enceinte, le policier va être confronté à la crasse ambulante qui règne dans la ville. Deux héros modernes, deux scénarios qui se croisent, et pour chaque personnage principal ses pensées brutes livrées dans des cases colorées selon le narrateur.

Sur le dessin, Mazzucchelli est à mon sens de la race des « classiques ». A s’y méprendre, on dirait de la bande dessinée franco-belge. Le visage des protagonistes, leur allure générale, tout respire le réalisme et le tragique. Moins de grands paysages ou de postures « néo épiques » des héros que d’habitude avec le Bat, mais le résultat reste excellent.

Le meilleur pour la fin. Le bouquin n’est pas vraiment épais, et aux deux tiers environ l’histoire se termine ! En effet, il y a une quarantaine de pages de gros bonus que l’amateur savourera : introduction de Frank Miller qui nous entretient de sa vision des super héros et de son travail ; étapes de réalisation d’une planche ; différentes couvertures proposées ; dessins inédits de quelques protagonistes ; exemples de vieilles planches de Batman (et Robin), bref du bonheur.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Les débuts des héros : Batman qui met au point son déguisement, hésite à faire confiance à Gordon ou non ; Catwoman qui passe de la prostitution à la cambriole de haut rang ; ou encore Gordon en plein désenchantement quant à la corruption qui atteint toutes les strates de la police, jusqu’à se demander ce qu’il peut bien foutre dans cette ville. Miller nous régale de commencements modernes pour d’éminents héros de comics.

La faillibilité dedits héros. Concernant le Bat, son entrée en tant que justicier solitaire est pour le moins brouillonne. Par exemple quand il corrige 4 voleurs, il est à deux doigts d’en tuer un et doit le retenir dans le vide pendant que ses acolytes lui assènent consciencieusement des coups. Graves blessures, luttes contre les policiers, pas vraiment au point le Bruce. Quant à Gordon, il n’est pas net non plus : déjà il n’est pas du tout apprécié par ses collègues corrompus (au point de se faire tabasser), en sus le saligaud trompe sa femme pour une belle flic blonde. Fumer comme un pompier dans sa chambre où Barbara enceinte dort, quel manque de tact aussi…

…à rapprocher de :

– A part les comics des années 40, les débuts du Bat’ sont présents dans Batman : Terre-Un (premier tome ici), de Johns & Frank.

– Chose amusante, Miller a commencé la série du Bat avec The Dark Knight Returns, soit la retraite de Bruce Wayne. L’ai moins aimé.

– Si vous avez aimé, une partie de la suite est dans Batman : Un long Halloween. De Loeb et Sale cette fois-ci.

– Snyder et Capullo ont également décidé de réécrire les débuts du Bat dans la première partie de L’An Zéro – sans plus, tout comme le deuxième tome de L’An Zéro.

– Les débuts d’un énième personnage de DC Comics, c’est aussi Green Arrow : Année Un (de Diggle & Jock). Sans plus.

– Un autre héros à ses débuts, de chez Marvel, c’est Iron Man : Season one de Chaykin & Parel. Me suis presque emmerdé avec. Constat aggravé avec Wolverine. Et dire que Fantastic Four : Season One est pire…

– Sinon, Superman : Les Origines de Waid & Yu est passable. Sans plus.

Enfin, si vous n’avez pas de « librairie à BD » à proximité, vous pouvez trouver ce comics en ligne ici.

Hans-Magnus Enzensberger - Le perdant radicalSous titre :Essai sur les hommes de la terreur. VO : Schreckens Männer – Versuch über den radikalen Verlierer. Na ja ! Ouvrage très court et d’une densité impressionnante, le lecteur suivra le cheminement intellectuel menant au terrorisme. Titre polémique et sans concessions, on peut ne pas être d’accord.

De quoi parle Le perdant radical, et comment ?

Parlons d’abord de l’auteur : Hans-Magnus Enzensberger (HME après) est un écrivain et journaliste (entre autres) allemand. Ses œuvres, ses propos en général semblent être d’un pessimisme sans nom à l’égard de la société occidentale, voire l’humanité en général. Bref, ce que Le Tigre aime lire de temps à autre.

Ensuite, le titre : extrêmement court (moins de 60 pages), bien écrit, il s’agit d’un essai qu’on peut dévorer facilement. Le perdant radical, c’est cet homme qui sent qu’on lui a ôté quelque chose et éprouve un sentiment de haine profonde à l’égard de ceux qui à ses yeux sont les « gagnants ». Le Tigre a lu cet essai comme une base incontournable pour comprendre le terrorisme et autres tueries sans raisons apparentes.

Enfin, on s’aperçoit que l’approche de HME est, au fil des pages, tournée vers l’étude de l’islamisme radical. L’auteur tire à boulets rouges contre ces musulmans intégristes et tente d’apporter les raisons à leur folie, raisons qui en aucun cas ne les dédouanent. D’une étude générale sur la notion du perdant radical nous arrivons vers une critique à peine voilée (oh la vilaine tournure cliché) du monde arabo-musulman.

C’est à ce moment que le lecteur peut se sentir mal à l’aise : les explications de Hans-Magnus sont claires, le cheminement intellectuel parfait, et en 56 pages on peut avoir l’impression qu’il a touché le fond du problème. Les intégristes sont certes de grands malades, mais en cinquante pages il est impossible de développer tous les tenants et aboutissants du phénomène terroriste de manière satisfaisante.

Ce que Le Tigre a retenu

Ça veut dire quoi, un perdant ? En plus de ne pas se situer du côté des gagnants, le perdant a le sentiment d’avoir perdu quelque chose. « D’autres réussissent, mais moi je devrais avoir plus » est son credo. Cet individu, dont la paranoïa lui sert de moteur, va être pris dans un cercle vicieux puisque se considérant comme un loser, les autres vont finir par le voir ainsi.

Pourquoi radical ? Frustration, perte du statut d’autorité qu’il s’estime en droit de posséder, non content de se construire des boucs émissaires, le perdant radical va connaître des pulsions de mort. Ces pulsions résultent d’une intense paranoïa et de la recherche de suddenbocks (terme allemand pour ledit bouc) dont la disparition résoudrait les problèmes de ses semblables. Du suicide altruiste de Durkheim, nous passons à la l’acte de folie du mégalomane. Et tant qu’à mourir, le faire en entraînant les autres afin qu’ils ne puissent profiter du bonheur dont le perdant serait privé.

Tout ce dont parle HME ne s’applique pas qu’à l’échelle de l’individu, mais de la communauté en général. Pour le monde musulman, il dresse le portrait de populations qui accusent un retard technologique, voire social, et ont du mal à supporter l’opulence occidentale. Tel le perdant radical, ces communautés ne parviendraient pas à suivre le chemin de l’autocritique, d’où une cristallisation (j’aime bien ce terme) des griefs envers les pays de l’Ouest.

Tout ça est bien sûr au conditionnel, il faut convenir que c’est plutôt bien écrit et, en l’absence de contradicteur à HME, on aurait quand même aimé avoir une ébauche d’autres opinions.

…à rapprocher de :

– Pascal Bruckner est dans le même genre, surtout dans son essai La tyrannie de la pénitence.

– Pour une approche plus « mesurée » et consensuelle, il y a Le dérèglement du monde d’Amin Maalouf. Un autre ponte dans ce domaine.

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Guy Delisle - Chroniques birmanesAprès la Chine et la Corée du Nord, retour en Extrême-Orient dans un pays où ONG et gouvernement sont loin de travailler main dans la main. Ouvrage dense et complet, Delisle manie la pédagogie aussi bien que l’humour, malgré un début un peu poussif. Toutefois, la plongée dans la Birmanie reste totale. Un plaisir.

Il était une fois…

Habitué des exotiques destinations, Guy Delisle a accompagné sa femme (qui bosse chez MSF) pendant plus d’un an en Birmanie. Dès 2007, 14 mois pendant lesquels il n’a pas énormément de choses à faire, si ce n’est décrire son expérience dans ce pays qui, à l’époque, était gouverné par la junte birmane.

Critique des Chroniques birmanes

Delisle ne déçoit que très rarement, c’est quasiment un fait. 14 mois en Birmanie en suivant femme et enfant, voilà une configuration inédite pour notre dessinateur qui va largement avoir le temps de s’ennuyer. Et donc dessiner ses aventures.

Plus de 250 pages, un classement des chapitres par thèmes (intéressant comme approche), des réflexions géopolitiques assez fines, Le Tigre va se risquer à un énorme cliché littéraire : cette œuvre est celle de la maturité. En effet, par rapport à Pyongyang, il y a plus de contemplation, on sent l’auteur posé (voire résigné à certains moments). Sûrement aussi grâce au statut de nouveau papa du héros.

Et oui, ne vous étonnez pas si sur les premiers chapitres l’auteur raconte surtout sa petite vie avec Louis, son enfant en bas âge. C’est mignon tout plein, il n’empêche qu’on s’ennuie sur les bords au début. Heureusement le salut viendra de la femme de l’auteur qui évolue dans le monde des associations humanitaires. Le travail de ces ONG, les difficultés rencontrées, le gouvernement qui n’accorde que très peu de visas, voilà un bel angle d’attaque pour découvrir la politique de ce pays.

Le Tigre a doublement apprécié puisqu’à cette période je sévissais aussi en Asie, et ce jusqu’aux révoltes des moines birmans contre la junte (car à sa tête, que des militaires surgradés). N’ayant pas pu visiter le pays, au moins quelqu’un l’a fait pour moi, et tout voyageur se reconnaît dans certains dessins. Par exemple la visite, en une planche de BD, d’un lieu historique avec ce que cela peut comporter comme étapes et fatigue.

Le style, toujours du Delisle : lignes parfois brouillonnes, dose d’humour qui est visible même dans le trait, mais toujours un rendu architectural impeccable. Noir et blanc, parfois du verdâtre (ou jaunâtre), rien à dire de ce côté. Pour conclure, encore un excellent roman graphique, certes en deçà de ce que j’avais lu du Canadien.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La solitude et le changement. Si ce roman est au final un peu décevant par rapport aux opus précédents, c’est sans doute parce que Guy n’est pas l’instigateur du séjour. On sent que l’auteur, désœuvré au début, n’était pas loin de la dépression dans ce nouvel environnement. Et puis le climat, quelle horreur ! Obligé de se créer des habitudes, une routine, sortir de son enclos pour visiter les alentours, la tâche est loin d’être aisée et ce sont dans les petites aventures de l’auteur (trouver de la nourriture, méditer trois jours, balader son rejeton) que le lecteur se fera plaisir.

Les dictatures. S’il existe des degrés dans ce style de régime, c’est nettement moins pire que la Corée du Nord. Mais pareillement édifiant : la mainmise sur l’économie, le clientélisme ahurissant, etc. Le plus drôle ? La décision, vers 2007, sans qu’on puisse s’y attendre, de déplacer la capitale dans une nouvelle ville en plein centre du pays. Brasilia style. Sauf que c’est tellement soudain, et tous se perdent sur les explications : isoler le gouvernement, décision astrologique ? Derrière tout ça, les affaires continuent, notamment Total qui exploite le pétrole local. Mais comme le dit Guy, « si ce n’est pas Total, une autre compagnie y sera ».

Beaucoup d’anecdotes en fait, Le Tigre en oublie beaucoup et laisse au lecteur le soin de garder en mémoire celles qui lui plairont le plus. Je n’en parle que maintenant, mais ce doit être sacrément long de faire un tel roman graphique. 250 planches, souvent des heures pour une planche. A l’ancienne, avec de l’encre de Chine et du papier (imaginez le travail de sape de l’humidité locale). Bref, chapeau à Guy D.

…à rapprocher de :

– Avant ce titre, il y a eu Pyongyang, superbe, puis Shenzhen, pas mal du tout non plus.

– Des chroniques, avec le même auteur, il ne faut pas oublier Chroniques de Jérusalem.

– Sinon, le dessin (voire le type de scénario simple mais juste) me fait penser à Michel Rabagliati avec, par exemple, Paul a un travail d’été.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cet illustré sur Amazon ici.

Arto Paasilinna - Prisonniers du paradisVO : Paratiisisaaren vangit. Bon petit roman sans prétention d’un de mes auteurs scandinaves préférés : sur 200 pages c’est une délicieuse utopie toute en finesse qui se déroulera, facile et rapide à lire. Le génie scandinave, tant dans l’écriture que les modes de survie décrits. Pour une fin toute savoureuse.

Il était une fois…

Un avion transporte des Finlandais et des Suédois. A son bord, exclusivement des bûcherons et des sages-femmes (sans oublier le journaliste narrateur). Dès que l’avion en question fait un amerrissage forcé à proximité d’une île déserte, la (presque) soixantaine de rescapés s’organise et parvient à faire de ce petit endroit un quasi paradis. Combien de temps cela durera-t-il ?

Critique de Prisonniers du paradis

Voici l’exemple parfait du roman de plage : lecture faisable en deux heures, sourires garantis et quelques sens cachés, selon la sensibilité personnelle du lecteur. Une fort jolie fable sur le retour à la nature, avec des protagonistes attachants dans un environnement original.

Le scénario, en effet, veut que pendant pas mal de jours des nordiques, en mission pour l’ONU, se retrouvent bloqués sur une île en plein océan indien. Rapidement nos héros font l’inventaire de ce qu’ils ont, mettent en place une organisation assez marrante : les bûcherons créent un alambic pour produire de l’eau-de-vie, les Suédoises mettent en place un planning familial, etc.

Dans ce roman, quelques situations cocasses, une humanité dépeinte avec la même tendresse de la part de l’auteur (les défauts de celle-ci ne sont pas bien méchants), et surtout beaucoup d’improbable, notamment la fin. Car dans les derniers chapitres débarque un navire de guerre américain bien décidé à sauver nos îlotiers. Même malgré eux, et certains refusent cette aide et s’enfuient, dans une dernière aventure, dans les collines avoisinantes.

C’est à ce moment que le lecteur pourra être légèrement déçu, car le final semble un peu léger. Sans spoiler, disons que tout reviendra évidemment à la normale, chacun se sert la main (les marines US, les récalcitrants, etc.) et finit en bonne intelligence. Pour 200 pages (et plus de 30 chapitres quand même), on ne va pas chipoter sur le contenu, déjà satisfaisant.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’utopie. Paasilinna est un solide conteur, et le système de « gouvernement » mis en place par nos rescapés est à l’image de ce qu’on pourrait imaginer de la part d’une organisation parfaite, sinon harmonieuse. Pas de grands discours, pas de joyeux bordel comme une anarchie saurait créer, juste une sorte de socialisme de redistribution égalitaire assez efficace. L’exercice du pouvoir et le principe politique du socialisme sont rapidement traités, et ça sera au lecteur d’imaginer l’application de cette situation à plus de cinquante personnes.

Si la vie semble aussi paradisiaque, il faut convenir que c’est grâce à la nonchalance nordique des protagonistes. A l’image de l’écriture d’Arto, le mot d’ordre paraît être la simplicité. Bonheur simple, vie intelligemment menée (a contrario du mode d’existence des villes) où règnent le partage et la gentillesse. Même la gestion des langues est facile avec les Norvégiens, les Anglais et les Suédois ! Mince, mettez des Latins (dont nous autres, Français) dans une telle situation, il y a moyen de faire péter la place en moins de 10 jours.

…à rapprocher de :

– De la part d’Arto, Le Tigre a particulièrement aimé Le lièvre de Vatanen ou La douce empoisonneuse.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman via Amazon ici.

Douglas Kennedy - Cul-de-sacVO : The Dead Heart. Un homme prisonnier d’une communauté perdue en Australie et obligé d’épouser une fille locale. Piégé dans cet enfer, comment s’en tirer ? Thriller d’excellente facture, Kennedy est parvenu tant à faire sourire qu’à peiner le lecteur, le tout servi par un style sec et efficace. Un must.

Il était une fois…

Nick est un journaliste qui souhaite prendre un peu de recul. Direction le fin fond de l’Australie, un road trip qui s’annonce sous les meilleurs auspices. Hélas il écrase un kangourou lors de son périple, par conséquent son véhicule est en rade. C’est à ce moment qu’il va rencontrer Angie, jeune et belle femme qu’il a le malheur de suivre. Quelques instants plus tard, il se réveille avec le statut de jeune marié avec la belle. Le cauchemar commence.

Critique de Cul-de-sac

Un des premiers romans de l’auteur, que Le Tigre ne considère pas comme son fonds de commerce littéraire. Et ça donnerait presque envie de lire les autres ouvrages que Doug a écrits, hélas Cul-de-sac semble unique dans son genre.

Comment un journaliste, au cours d’une longue pause chez les Aussies, tombe dans un village de dingues d’où il ne semble pas possible de sortir. Tarés, les protagonistes qui retiennent notre héros ont une conception particulière de la famille et de la vie en général. Les deux premiers tiers sont souvent à hurler de rire, avec des personnages hauts en couleur

Le lecteur, hélas, sent que la farce va tôt ou tard devoir prendre fin. Et c’est qu’il adviendra, avec un final qui sera d’une tristesse sans nom. Du moins Le Tigre l’a ainsi vécu. Whatever, pour moins de 300 pages il y a fort à parier que n’importe quel lecteur passera un moment bref mais intense. Car le style, léger et efficace, en fait un parfait roman de plage (ou de métro).

Un ouvrage qui mérite d’être découvert, et en refermant les ultimes pages voilà ce que je me suis dit : m***, dommage que Kennedy n’ait pas continué dans cette voie.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’arrière pays australien, le vrai. Nick taille sa route au sein de ce qu’on nomme « l’outback », région semi désertique dont on se demande qui daigne y vivre. Et bien, dans ce roman il s’agit de solides gaillards, au teint rubicond et à la finesse d’esprit toute relative. Le Tigre ne sait pas trop où commence la caricature, toutefois lorsque dans certaines contrées le seul apport d’eau potable est réalisé par la brasserie du coin, on peut s’attendre à du grand n’importe quoi.

Pour un homme un peu guindé et qui traverse une mauvaise passe, cette titre peut faire office de « roman de réapprentissage ». Nick ne sort pas totalement indemne de cette aventure. En effet, sur la fin, le héros, qui envisage depuis quelque temps de filer à l’anglaise, sera amené à effectuer des choix assez durs. Un peu comme un clampin qui parvient à sortir du repaire du diable en ayant oublié de tirer la chasse. Je ne sais pas si cette image vous parle.

Enfin, Kennedy a traité d’un thème jugé délicat mais sous un angle inattendu. Il s’agit des violences conjugales, à l’exception que c’est ici la femme qui en est l’instigatrice (c’est nettement plus rare). Prise forcée de médicaments, attachements au lit pendant des heures, tout cela sous le sceau de l’amour de la part d’Angie. Cette dernière manie le chaud (petits mots doux,…) et le froid comme une pro. Le risque du syndrome de Stockholm (tomber amoureux de son tortionnaire) n’est jamais loin.

…à rapprocher de :

Piège nuptial, BD qui reprend cette histoire. Exercice salutaire pour qui a la flemme de lire le présent livre, hélas ça ne casse pas trois pattes à un canard. Pour l’article relatif à cet illustré, ne vous étonnez pas des répétitions.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman sur Amazon ici (référence au titre original, mais Piège nuptial est le même).

Robert Charles Wilson - La cabane de l'aiguilleurVO :A Hidden Place. Robert Charles Wilson a toujours les faveurs du Tigre. Ce premier roman, écrit en 1986, plongera le lecteur dans l’Amérique puritaine des années trente. Et porte déjà les qualités romanesques de l’auteur : narration simple, bonne dose de mystère pour des révélations au compte goutte, protagonistes attachants dépassés par les événements, que du bonheur.

Il était une fois…

États-Unis, années 30. Le jeune Travis Fisher vit chez sa tante, Liza Burack, depuis le décès de sa mère. Hébergée par la tante, il y a aussi Anna Blaise, jeune fille mystérieuse dont Travis se demande qui elle est vraiment. Pourquoi sa chambre est toujours fermée, qu’est-ce qui ressort donc de si beau de sa personne ?

Critique de La cabane de l’aiguilleur

Un vrai petit bijou, à la limite de la nouvelle de taille conséquente. Pour un peu plus de 270 pages, le lecteur passe un bon moment même s’il faut garder à l’esprit que c’est un des premiers jets de l’auteur. A ce titre, n’ayez pas peur si certains passages peuvent paraître fades, ça ne dure jamais bien longtemps.

Le scénario se passe dans les USA des années de crise (années 30 donc). Nous suivrons l’histoire de deux voyageurs bien à part (le quatrième de couv’ n’en parle pas, quelle honte) qui doivent se réunir pour une raison qui progressivement se révélera. Os, le vagabond, et Anna, la belle inconnue, viennent d’un endroit indéfini, et semblent avoir des pouvoirs bien particuliers.

L’histoire d’Anna occupera le gros du roman, et ce à travers le regard d’un jeune garçon qui vit avec sa tante et son oncle. La vie, l’ambiance même au sein de la bourgade est très bien rendue, en outre Wison gère superbement le mystère en distillant chichement ses clefs. Pire qu’un Stephen King, c’est dire. King parce que les événements extraordinaires de la jeunesse, voire le roman d’apprentissage pour Travis sont des aspects chers à ce dernier auteur dont Wilson s’est sans doute inspiré.

Le style, plus que correct, annonce déjà le génie de l’auteur. Quant à la fin, émouvante sans déplacer des montagnes d’imagination, celle-ci fait de ce titre un amuse gueule de qualité avant le plat principal qu’est Spin suivi de Axis.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Certains thèmes (le mystère, les individus pris dans une histoire trop complexe à leur niveau,…) sont récurrents chez R.C. Wilson, Le Tigre vous renvoie amicalement vers d’autres ouvrages de l’auteur (cf. infra). Dans La cabane de l’aiguilleur, deux nouveautés. Attention, la dernière est en partie un spoil.

Wilson est bon conteur, et est parvenu à bien raconter la vie au sein d’une petite bourgade du Midwest pendant la crise de 29. Assister aux incessants sermons religieux, la misère ambiante et les vagabonds qui voyagent incognito dans les trains, économiser quelques sous pour s’acheter une petite bande dessinée, l’immersion est OK. En plus, dans le puritanisme ambiant, l’auteur a distillé un parfum de scandale, avec l’oncle et son attitude « déplacée » avec la jeune femme qu’il héberge. Pourquoi d’ailleurs une telle attitude ?

|Thème SPOIL] La séparation masculin/féminin. Nos deux héros sont en fait une seule personne, chacun étant la part masculine et féminine de cette personne. C’est pourquoi Os est d’une violence sans nom, et Anna attire autant les hommes (100% femme, imaginez un peu). Provenant d’une dimension étrangère, ils doivent se reconstruire en se rencontrant afin de parachever leur fusion. Tiré sans doute par les cheveux, mais Wilson apporte lentement ces explications, donc on finit par y croire.

…à rapprocher de :

– Sur l’opposition masculin / féminin, il y a une nouvelle dans le recueil Aztechs, de Lucius Shepard, qui traite de ce sujet (de manière plus grandiose sans doute).

– Dans les petits one shots de Wilson, Blind Lake ou (encore mieux) Mysterium valent le coup d’être découverts.

– Du même auteur, Spin et Les Chronolithes, que du bon. Le vaisseau des Voyageurs se défend bien au demeurant (moins de SF). Quant à Julian, c’est certes plus long, mais un peu en deçà de ce qu’on peut attendre de Wilson.

– Le vagabondage pendant la Grande Dépression, c’est exactement Des souris et des hommes de John Steinbeck. Un classique.

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Will Self - No smokingVO : The Butt. Un homme, prisonnier d’une île lointaine, sera trimbalé de droite à gauche à la suite d’un regrettable geste en apparence anodin. Et c’est parti pour plus de 400 pages d’aventure. En principe, Self, c’est court et détonnant. Ici, un peu trop poussif à mon avis, Le Tigre a eu largement le temps de s’ennuyer. Dommage.

Il était une fois…

Tom, un Anglais de CSP moyenne (catégorie socioprofessionnelle, dans le jargon du marketing), est en vacances avec sa petite famille dans une île exotique. Tom est fumeur, et en jetant par mégarde un mégot depuis la fenêtre de son hôtel, atteint le crâne d’un local. A partir de là, tout part en sucette. Mais gravement.

Critique de No smoking

Petit mot sur la traduction du titre, toujours aussi hasardeuse en France. The Butt, c’est un mégot, objet originel de l’aventure que le lecteur s’apprête à lire. Mais c’est aussi d’autres choses : un coup de tête, une unité anglo-saxonne pour le vin, etc. Bref, mot à multiples significations, chacune pouvant être associée à l’histoire.

Car cette histoire est proprement hallucinante, improbable et fine malgré tout. Tom, Anglais fumeur, commet un acte anodin qui entraine un bordel monstre. Accusé de tentative de meurtre, il est balloté dans un grand pays aux coutumes bien incompréhensibles et fantasques.

Le tout ressemble fort à un long roman d’apprentissage. La repentance de Tom, à la limite du masochisme d’ailleurs, lui obligera à parcourir le pays, une île qui doit être de la taille de l’Australie, avec autant d’ethnies qu’en Afrique. Les différentes péripéties ethnologiques font de ce titre quelque chose d’assez complexe avec de nombreux passages ennuyeux que Le Tigre a allégrement zappés.

Mais Self revient. En effet la fin rattrape le roman, on retrouve l’auteur dans de ce qu’il fait de mieux question imagination corrosive (et intelligente). Subversif, drôle parfois (mais pas assez vu le nombre de pages), le lecteur assidu devra, malgré les défauts d’une narration parfois longue (chapitres interminables), s’accrocher car la dernière partie vaut son pesant de cacahouètes.

La notation est sévère puisqu’en matière de Will Self Le Tigre s’attendait, fort légitimement, à un ouvrage bien plus percutant. Le vocabulaire est toujours aussi recherché et savoureux, mais quand ça tourne en rond le terme qui vient à l’esprit est « agaçant ».

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Ce roman, avec son vernis humoristique (même si Self a su faire bien mieux), est surtout une virulente critique de la (néo) colonisation des contrées à la culture si différente. Quelques décennies après la décolonisation, « l’anglo » (le pire d’un mélange de culture britannique et américaine) est toujours aussi borné et incapable de se comporter normalement dans un pays aux us si différents. Même si lesdites coutumes sont fort exagérées, le dépaysement pour Tom est complet et ce dernier découvrira de nouvelles façons de penser. Pour notre plus grand plaisir.

L’aventure kafkaïenne. Contrairement au vrai Franz K., on se perd rapidement dans No smoking. Lorsqu’on croit que c’est fini, en fait non il reste un point de droit épineux, voire une énième démarche à effectuer. La législation locale est un mille feuilles ahurissant résultant tant des temps des colons que de l’incompétence des autorités qui ont pris le relais. Ça devient tellement n’importe quoi que c’en est épuisant à la longue. Le roman d’aventures prend alors des tournures d’un chemin de croix pour le lecteur.

A propos de chemin de croix, Le Tigre se demande parfois si ce roman ne serait pas une subtile allégorie aux affres de l’arrêt du tabac. Car le héros doit arrêter de fumeur. Will Self, qui était quand même bien drogué sur les bords (héro notamment) et qu’on voit toujours une clope au bec sur les photos, serait capable d’imaginer un tel truc.

…à rapprocher de :

– Préférons ensemble Dr Mukti (seulement la première Novella), Mon idée du plaisir ou encore Vice-versa de cet excellent auteur qu’est Self. En VO, The Sweet Smell of Psychosis est une surprenante friandise, toutefois Umbrella est excessivement difficile à suivre. Ainsi vivent les morts est très agréable. Pas comme La théorie quantitative de la démence (deux nouvelles OK, le reste bof).

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Louis Le Mutin - Le songe d'AtthalieHa ha ha, une BD des années 70 de politique-fiction. Retrouvée au fond d’un placard, Le Songe d’Atthalie est une petite histoire fort sympathique et toute épicée. La gauche de l’époque en prend pour son grade. Lecture rapide et aisée, humour omniprésent, Le Mutin maîtrise bien son sujet.

Il était une fois…

Atthalie rêve. 1978, élections législatives françaises. La gauche, notamment grâce aux communistes, effectue une percée foudroyante dans les urnes. François Mitterrand, premier ministre fraîchement nommé, met en place le programme commun. Le show peut commencer.

Critique du songe d’Atthalie

Le Tigre a lu cette BD des dizaines de fois dans sa jeunesse, parce que c’était le seul truc accessible dans la bibliothèque du grand-père (que je salue bien bas au passage). Le vieil homme, comme tout individu de sa génération (statistiquement), n’est point de gauche, et cet ouvrage non plus.

Comme un James Bond, voir avec ses yeux d’adulte cette très courte histoire (moins de 50 pages quand même) permet d’en découvrir un peu plus. Le scénario est original, surtout pour cette époque : l’auteur imagine Mitterrand et sa clique (du moins il la considère comme telle) au pouvoir, avec tous les travers imaginables chez un gouvernement de gauche bien tassée. François M., Marchais, Krivine,…ils sont tous là ! Chose curieuse, il n’y a que des hommes, et de gauche uniquement. VGE y est invisible.

Ces travers, on peut dire que y’a de la grosse caricature : incompétence hallucinante, gâchis constant, déficits abyssaux, impôts idiotissimes, utilisation d’agents provocateurs, mauvaise foi généralisée, politique culturelle abjecte, bref une belle bande de branques. Mais on se marre plutôt bien. Surtout au début, lorsque le capitaliste se carapate en Suisse poursuivi par les archanges vengeurs du socialisme renaissant. La fin renvoie à cette fuite, et finalement au réveil de notre héros, spectateur rêveur impuissant des dérives du pays.

Sur le dessin, du classique. Peut-être une colorisation de l’ouvrage exagérée, le manque de sobriété semble renvoyer à celui des politiciens, des gens au tracé carré mais à la teinte improbable. A moins que lesdites couleurs ne vieillissent mal. Un bon moment de lecture, vite terminé en dix minutes montre en main.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Pourquoi Le songe d’Atthalie ? D’où sort ce nom ? Accrochez-vous, je vais vous culturez à mort. Retirez un « t », et voici Athalie, de Racine. Tragédie d’inspiration biblique, dans l’acte II Athalie fait un songe, ici partiellement reproduit :

Je jouissais en paix du fruit de ma sagesse ;
Mais un trouble importun vient, depuis quelques jours,
De mes prospérités interrompre le cours.
Un songe (me devrais-je inquiéter d’un songe ?)
Entretient dans mon cœur un chagrin qui le ronge.
Je l’évite partout, partout il me poursuit.
C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit.

Bien pensé quand même. Atthalie est un petit bourgeois à l’existence tranquille, gauche-caviar sur les bords et qui se rêve compagnon d’infortune du socialisme français. Le songe qui ronge notre protagoniste, jusqu’à le poursuivre, c’est l’introduction de la BD. L’horreur d’une profonde nuit, ce sont les conséquences dramatiques de la mise en œuvre du « programme commun ». Les points communs avec l’engouement de 1981 et les quelques errements d’ordre économique qui s’ensuivirent (amenant le fameux tournant de 1983 avec Mauroy) sont plutôt troublants, Le Mutin avait un certain sens de l’anticipation politique.

Lecteur calé en politique-spectacle, ne t’inquiète donc pas : Le Tigre aussi a songé à Attali, Jacques de son prénom, éminence grise de l’entourage de François M. il fut un temps. Titre-valise à plusieurs significations, sans doute les clins d’œil culturels sont légion dans les planches de l’ouvrage.

La politique dans ce que celle-ci représente de pire. Ça part vraiment dans tous les sens, et l’auteur nous présente un pays replié sur lui-même et à la bureaucratie triomphante. Le vocabulaire néo soviétique des administrateurs (à tous les échelons) est à se taper sur les cuisses, difficile de ne pas s’imaginer que Louis LM ne soit pas de droite (oh la jolie double négation). En sus, quelques petits jeux de mots sont les bienvenus, par exemple répondre « je ne suis pas le garde des sceaux » mais avec l’orthographe qui sied à la situation : d’esso, des sots, des sceaux (à champagne), des sauts,…

…à rapprocher de :

– Dans la catégorie « satire politique », marrons-nous en lisant Chroniques du Quai d’Orsay, de Blain & Lanzac, tome 1 comme tome 2.

– En roman, il y a Patrick Rambaud et ses chronique du règne de Nicolas 1er. Une seule en fait me concernant.

– De grâce, n’allez pas lire Tous les chemins mènent au rhum (de Stéphane Collaro), qui est d’une consternante débilité.