Riad Sattouf - Pascal BrutalIl est temps de s’attaquer à un monument de délires et d’humour avec un personnage qui a peuplé la jeunesse du Tigre. Pascal, c’est un homme extraordinaire plongé dans une France surprenante (et d’autres pays) finement décrite par Sattouf. Les aventures du héros sont d’un savoureux inouï. Des barres de rire.

Il était une fois…

Pascal Brutal, le mâle le plus sévèrement burné du pays dirigé par Madelin, vit dans son appart au sein d’une barre d’immeubles. Maître de l’hypervirilité mais doté d’une grande sensiblerie (comme le dit Riad Sattouf), notre héros ne laisse personne indifférent. Sexe, drogue, politique, soirées, voyages, kilomètres d’autoroutes avalés en moto, rien n’arrête Brutal.

Critique de Pascal Brutal

Pascal, c’est un peu le grand frère délirant que beaucoup auraient voulu avoir, le mâle dominant qui d’un geste anodin vous rabat au rang d’un moins que quiconque. Dans le coffret que s’est procuré Le Tigre, les trois tomes du viril personnage : La nouvelle virilité, Le mâle dominant et Plus fort que les forts (Pascal Cube, hé hé).

Riad Sattouf, l’auteur d’origine syrienne (si ça peut expliquer quelques délicieuses planches), a pondu quelque chose de solide avec un univers fantasque mais qui interpelle. Le monde de Pascal est plus ou moins futuriste, la technologie est la même, seuls d’intenses modifications politiques et sociales ont eu lieu. Au final, de courtes histoires (certaines certes plus longues) pour la plupart géniales, avec en sus de l’humour quelques messages politiques auxquels on ne peut qu’agréer.

Sur le dessin et le texte, le tout reste fort classique. Ligne claire, couleurs basiques, ce n’est pas du grand art pictural. Heureusement, le dessinateur a eu quelques bonnes idées, par exemple : un scénario point of view, des péripéties avec dessous des bandeaux entourés de noir comme ceux qu’on trouve sur les paquets de clopes ou encore quelques réjouissants détournements historiques.

Allez, après tant de roses balancées à Riad Sattouf vient le temps des épines : à partir du glorieux protagoniste, c’est dommage que l’auteur/illustrateur ne soit pas davantage foulé à produire plus de planches. Apparemment d’autres projets étaient en cours. Le format d’autre part : pour 150 pages, Le Tigre aurait préféré avoir une intégrale, à savoir un seul ouvrage et si possible de moindre format. Le prix paraît bien excessif eu égard le nombre de pages.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La liberté, la vraie. Notre héros ne travaille pas vraiment et a l’opportunité d’aller un peu partout lorsque l’occasion se présente. Sa puissance et son mojo font qu’il a le dessus sur presque chaque situation, et est de facto au-dessus des lois de la populace. Liberté sexuelle également : outre la mère de Pascal, ce dernier n’hésite pas à se laisser aller à des élans d’homosexualité qu’il n’assume pas totalement. Car Pascal n’est ni hétéro, ni homo ou bi, seulement hypersexuel.

Les problèmes sociaux. Sattouf décrit un pays profondément divisé entre la banlieue et les réac’ de tout poil (jeunes madelinistes, personnes âgées, bourgeois et autres nantis). Les liens entre les deux mondes existent, et souvent pour des raisons peu glorieuses : envie de s’encanailler, deal de stups, etc. Pascal, accepté par tous puisqu’il transcende les castes par son sex appeal, est alors l’inébranlable pont entre ces deux quasi univers. Avec les étincelles qu’on peut imaginer.

La politique. Le système français, s’il faut justifier ces troubles sociaux, est insolite : dictature soft menée par des politiciens de droite et la clique des grands patrons (Sarko fils, Madelin, casinos Barouin) ; profonde autonomie des régions (Bretagne, pays de Pascal) ; quartiers sécurisés à l’excès ; racisme institutionnalisé, etc. Mais là où Riad fait fort, c’est en décrivant des systèmes étrangers : édifiant lorsque le héros fait un court séjour dans la Belgique gynarchique (l’Arabie saoudite à l’envers) ; intelligent en décrivant le nouveau monde arabe entre unité, liberté totale et développement durable (aussi bien l’écologie que l’éducation). Sous la présidence de Sattouf bien sûr.

…à rapprocher de :

– La suite, Pascal Quattro (Le roi des hommes), est décevante.

– Dans l’humour déjanté et, à l’inverse, qui pète la rondelle de la gauche, il y a la vieille BD Le songe d’Atthalie, de Louis Le Mutin.

– De Sattouf, il y a ses très bons La vie secrète des jeunes (quelques tomes déjà). Et surtout L’Arabe du futur, premier tome d’une prometteuse trilogie autobiographique.

– C’est navrant, mais le Pascal sur sa moto qui marave la gueule des vilains dans un avenir inique, ça me rappelle ce bon vieux Juge Dredd.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cet illustré en line ici.

Loeb & Sale - Batman : Un long HalloweenVO : Batman: The Long Halloween. Gros pavé de la fin des années 90, fondateur d’un nouveau Batman adapté au monde contemporain, Un Long halloween continue sur le reboot du super héros dans un monde plus sombre et contemporain que jamais. 400 pages qui se lisent vite, Le Tigre n’a point perdu son temps (sauf que je l’ai lu après sa suite, grrrr…)

Il était une fois…

Après ses premières armes, réussies (cf. Batman : Year One) contre la mafia de Gotham, Batman se trouve confronté à des meurtres uniquement commis lors des fêtes. Travaillant en parallèle avec le jeune procureur Harvey Dent et le capitaine de police lames Gordon, le Chevalier Noir engage une course contre un calendrier morbide qui égrène chaque mois une victime supplémentaire. Luttes au sein de la mafia, évasion de dangereux criminels (les super-vilains), le Joker qui n’en fait qu’à sa tête, une Catwoman dont le Bat ne sais s’il doit se fier à elle, Gotham est plus dangereuse que jamais…

Critique de Batman : Un long Halloween

Le Tigre, dans sa suprême connerie, a lu ce comics à l’envers, c’est-à-dire après la suite qu’est Batman : Amère victoire. Du grand art de ma part, car il est tout de même préférable de s’attaquer au premier opus. Dont acte. Ici, j’ai eu le même plaisir qu’en lisant le second, applaudissons l’univers cohérent et homogène des auteurs.

L’histoire est rondement menée, à ce titre il faut signaler que l’affaire Holiday, objet de l’enquête, a été publiée sur une année à raison d’un chapitre par mois (correspondant grosso modo à un meurtre ou un évènement de taille). Du coup, on est en présence d’un joli pavé de près de 400 pages, avec quelques menues longueurs mais rien de très méchant. Puisque cette histoire est étalée sur un an, les auteurs se sont attachés à souvent effectuer des redites sur certains protagonistes, aussi on est jamais largué et lire cet ouvrage en quelques jours est tout à fait possible.

Batman doit faire face à des vilains supplémentaires (Grundy, le Chapelier, L’épouvantail ou encore l’homme mystère) qui soit l’aident un peu, soit foutent un indescriptible bordel. Or les deux familles criminelles (les Falcone et les Maroni, qu’on retrouve dans Batman Begins de Nolan) veulent garder leur part du gâteau et n’hésitent pas à s’entre-tuer. En outre, le trio gagnant Bat-Gordon-Dent est en fâcheuse posture avec le comportement de plus en plus borderline du dernier membre.

Quant au dessin, il faut saluer l’effort de l’illustrateur Tim Sale pour nous offrir des grandes cases, certaines représentant de somptueux tableaux dignes de la mythologie du personnage. Une rapidité de lecture aussi éprouvée grâce à des dialogues succincts). Les couleurs sont sombres à souhait. Le réalisme est là, peut-être à part l’excessive musculature de nos personnages et la gueule de certains méchants (la dentition du Joker reste impressionnante).

Pour conclure, passage quasiment obligé pour ceux qui aiment les bons « reboots » du seul personnage fantastique que Le Tigre daigne suivre. Signalons également les habituels bonus à l’issue du comics : interviews des auteurs, images de couverture, travail d’illustration sur quelques protagonistes,… Enfin, ce que j’ai particulièrement apprécié est l’excellent niveau du suspense, à savoir « mais qui est ce foutu tueur Holiday ?? ».

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le savant mix entre les gangsters « à l’ancienne » et les méchants en costumes ridicules. Dans ce titre, on voit tour à tour la bonne vieille pègre qui s’allie (ou s’affronte) à des personnages un peu plus folkloriques. Le Joker qui fait chier tout le monde, les Maroni qui tapent la discute à , le mélange des genres est très réussi. Quant au Bat en chevalier masqué vs. Gordon le flic normal, Dent est le pont naturel entre ces deux individus en se métamorphosant (la raison de sa nouvelle tête est finement pensée) en super vilain. Bien évidemment, des signes avant coureurs existent…

La remise à zéro d’un héros, bande dessinée ou film. Je ne sais pas le rapport, mais après les deux catastrophes des années 90 en matière de bat-film, il était temps de redresser le tir. Les film avec Walken ou Clooney, surtout le dernier, certes plus « familial », me faisait plus penser à holiday on ice qu’à un film de sombre super héros. Les BD qui ont suivi, notamment la présente, ont plutôt bien repris le thème du chevalier noir en l’adaptant aux mœurs actuelles. En attendant Batman begins qui s’est inspiré de ce titre de Loeb et Sale…

…à rapprocher de :

– Cette saga commence par Batman : Year One et se poursuit avec Batman : Amère victoire. Parallèlement, les deux auteurs ont produit Des Ombres dans la Nuit, pas mal du tout (surtout grâce à Catwoman).

– De Loeb seulement, il y a le fort correct Silence également.

– Au risque de capilotracter comme un fou furieux, le méchant dont on ignore l’identité qui frappe méthodiquement le monde de la pègre (plutôt limité en nombre) me fait penser à un huis clos du style des 10 petits nègres de Christie.

Enfin, si vous n’avez pas de « librairie à BD » à proximité, vous pouvez trouver ce comics en ligne ici.

Donna Tartt - Le maître des illusionsVO : The Secret History. Lu non sans une certaine avidité, voilà un roman qui va marquer n’importe quel lecteur. Amitiés, trahisons, mystères, Donna Tartt a sorti l’artillerie lourde pour un roman qu’elle a mis un certain temps à écrire (huit piges quand même). Ce n’est pas tant le secret que l’évolution du héros qui est prenante, bref un petit choc.

Il était une fois…

Richard, jeune homme bourré d’ambition, fait son entrée dans une université au Vermont (Hampden). Grâce à son opportunisme, le narrateur est vite introduit dans la prestigieuse classe du professeur Julian, le saint du saint de l’université destiné à étudier le grec ancien ainsi que le latin. Richard, les jumeaux, Bunny et un autre compadre se considèrent à part et vivent au sein de leur petite communauté secrète. Sauf que Richard est loin de savoir ce qui se trame, en effet ce qui se passe parmi les membres de la classe dédiée « Anciens » est loin d’être catholique…

Critique du Maître des illusions

Un chef d’œuvre, sans mentir. Le Tigre utilise peut-être ce terme à tors et à travers, mais ici on sent le travail de qualité qui a pris aux tripes l’écrivaine. L’histoire est simple, terrible, et toutes ses facettes amenées magistralement. Je me suis régalé.

Un jeune californien boursier se retrouve dans une petite université un peu spéciale : élèves riches, professeurs atypiques parmi lesquels son professeur de grec (Julian) et ses étudiants avec qui il se met progressivement à traîner (après un temps d’adaptation pas si long que ça). Tous ces joyeux lurons clopent comme des pompiers et s’imbibent le foie sans retenu, comme complètement inconscients, tandis qu’ils semblent poursuivre leurs études hors du temps.

De secrets aux expériences bizarres, Richard le narrateur se laisse emporter jusqu’au pire. D’expériences un peu « underground » à un terrible accident, le voilà entraîner dans quelque chose qui le dépasse. Le meurtre de leur ami, principalement, et là l’auteure parvient à nous faire croire que c’est au final une nécessité. Cet acte ignoble est sublime de description (pas l’action en elle-même, mais plutôt l’avant et surtout l’après).

Le pavé de plus de 700 pages peut en rebuter plus d’un. Toutefois, la mise en place de l’intrigue, la préparation de l’irréparable, et le remord post mortem, justifient la longueur de l’œuvre qui se dévore assez facilement. Car il y a quelques éléments autobiographiques dans ce livre, Donna T. a, à l’instar de son héros ou d’un Bret Easton Ellis, tout d’une « parvenue » débarquée dans un environnement opaque où faire ses preuves met du temps à gommer les premières impressions de l’apparence.

Au final, difficile de lâcher la prose. Insupportables et touchants, les protagonistes sont grandioses. Sans compter Julian, le professeur qui au fond est sans doute le plus humain de tous. A mettre en toutes les mains majeures, vous ne serez pas prêts de le regretter.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’amitié naissante et le vase clos. Nos cinq protagonistes évoluent entre eux et ne se mélangent que trop rarement avec leurs congénères. S’ensuit une évolution des relations avec chacun, quelque chose de progressif et très bien traité. Le ciment de leurs liens durcit à mesure des épreuves, en particulier des fêtes un peu vicelardes qui vont plus ou moins mal tourner. Le secret de ces petites « orgies » a légèrement déçu Le Tigre qui s’attendait à un peu plus de luxure. Cependant, dans le regard de ces jeunes personnes, c’est sans aucun doute plus impressionnant.

[Attention léger SPOIL] L’histoire de Bunny, la victime, est proprement édifiante : individu dont la famille est sans le sou, le personnage a du mal à cohabiter avec ses riches amis. Habitué à des goûts de luxe, Bunny pousse l’image du parasite jusqu’à un extrême à peine croyable. Se faisant inviter automatiquement; étant invivable vis-à-vis d’un des cinq lors d’un voyage en Italie (sans débourser le moindre centime), faisant de graves allusions ici et là (Le Tigre se souvient de la remarque d’ordre sexuelle faite aux deux frère et sœur), procédant à un subtile chantage quant aux actes occultes de ses « amis », c’est tout naturellement que l’idée d’un assassinat bourgeonne dans l’esprit des héros. [Fin SPOIL]

…à rapprocher de :

– Le Tigre a évoqué Bret, auteur atypique qu’on peut retrouver dans Moins que zéro ou Suite[s] impériale[s].

– L’admiration de tous vis-à-vis du professeur se retrouve, plus puissamment, avec Zweig et La Confusion des sentiments.

– Sur le monde universitaire, Tom Wolfe s’est livré à un quasi travail journalistique avec son Moi, Charlotte Simmons.

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Donald Goines - Ne mourez jamais seulVO : Never Die Alone. Immersion totale dans la pègre black du NYC des seventies, on n’a jamais été aussi proche de l’autobiographie avec Donald Goines. Magouilles, délinquance, le tout avec un réalisme éloquent. Ne pas mourir seul, c’est hélas ce qui est à arrivé à l’écrivain, tué avec sa femme dans des conditions plus que douteuses.

Il était une fois…

Dans le New-York des années 70, la criminalité va bon train. Un écrivain polonais de confession juive croise la route d’un dealer et de ses tueurs à gage, jusqu’à l’intervention d’autres trafiquants et quelques complices peu scrupuleux. Bassesses et délinquances dans le quasi ghetto, bienvenu dans un monde qu’on a du mal à imaginer.

Critique de Ne mourez jamais seul

Le Tigre a été, une fois de plus, ravi par cet ouvrage de Goines, unique auteur (pour l’instant) capable de rendre compte de la délinquance black aux États-Unis des années 70. Dans ce domaine, l’écrivain peut se lire en toute confiance, et pour moins de 200 pages le boulot est de très bonne qualité.

Dans Ne mourez jamais seul, nous suivrons la journée type (ou presque…) de quelques individus peu recommandables. L’histoire du dealer, particulièrement, est au centre du roman avec les vicissitudes d’un individu du genre. Là où le lecteur sera ravi, c’est dans la maîtrise totale du vocabulaire (sinon des considérations les plus intimes) de ce genre de protagoniste. Ce qui en fait un ouvrage plus que prenant et se lisant à vitesse grand V.

Et oui, à peine 200 pages, c’est à la limite trop court. Sur le style, outre les chapitres nerveux et courts, on est en présence d’un phrasé plus sec et violent que les ouvrages généralement sortis par Donald G. En conclusion, si Le Tigre a été moins transporté (voire « percuté ») par rapport à L’accro,  il est difficile de ne pas applaudir l’exercice du délinquant-écrivain.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’économie underground de NYC par un connaisseur. Je profite de ce post pour brièvement rappeler la scandaleuse biographie de l’auteur : adolescent turbulent, jeune soldat en Corée, voleur et dealeur de retour au pays, mac à ses heures, finalement assassiné avec sa copine dans de sordides conditions, le père Goines a en sus passé plus d’une année en prison. Vous l’aurez saisi, Donald est le mieux placé pour ainsi décrire ce qui se passe dans la têtes des protagonistes. Et c’est loin d’être sinécure, en effet la peur y est omniprésente. Bref, l’espérance de vie est bien faible. Notamment chez un dealer.

La vie d’un dealer. Le lecteur saura quasiment tout du quotidien d’un vendeur de paradis artificiels, et ce par le menu. Sous couvert d’une journée dans la peau d’un de ces individus, c’est presque l’économie et l’environnement du vendeur qui devient compréhensible. Cette empathie est largement renforcée par le vocabulaire propre à cette « caste » utilisé par l’auteur, on a l’impression d’être dans un publi-reportage digne d’un magazine à grand tirage. Sauf que c’est sans détours ni précautions orales particulières. Du brut, rien que ça.

…à rapprocher de :

– De Goines, il faut mieux se concentrer sur le sublime L’accro.

– Dans la peau d’un autre gangster, mais en plus jeune, visitez donc Encore un jour au Paradis. Tout aussi dramatique.

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Irvine Welsh - Une ordureVO : Filth. Irvine Welsh a les faveurs du Tigre, avec Une ordure le monsieur a fait très fort. Trash à souhait, politiquement incorrect et ne respectant plus grand chose, ce roman mérite le podium des titres bêtes et méchants. Mais terriblement drôle aussi. En suivant un flic tout ce qu’il y a de pire dans le Glasgow de la fin du siècle, le lecteur à l’esprit ouvert jubilera.

Il était une fois…

Bruce Robertson est une ordure. Une vrai de vrai : psychologiquement, c’est un flic véreux dont la seule ambitions est de passer de brigadier à inspecteur de police. Criminel plus que policier, drogues et viols semblent être son quotidien. Physiquement, il est rebutant : hygiène qui laisse à désirer, eczéma sur les parties intimes, bref une grosse épave puante qui cache en son sein, de surcroît, un ver solitaire. C’est ce gentleman qu’on va suivre sur 500 pages. Allumez la machine à gros mots !

Critique d’Une ordure

Irvine Welsh, auteur écossais qui n’a pas le stylo dans la poche, fait partie de la très particulière chemical generation dont les auteurs se payent de luxe de consommer lesdits produits en plus d’écrire (exemple de Will Self). Normal qu’on retrouve alors tout un tas de substances illégales dans le corps du protagoniste principal d’Une ordure.

Cette ordure, c’est Mister Robertson, flic qui se comporte comme un véritable salaud. Pas du tout un roman policier, le métier du héros n’est là que pour laisser au narrateur l’occasion de commettre des conneries de grande ampleur grâce à son statut. En outre, l’écrivain nous présente une double narration : l’abject individu mais aussi le ver solitaire à l’intérieur de ce premier, parasite au phrasé particulier (et peut-être déroutant).

Dès le début, on sait à quoi s’attendre quand Bruce décide de ne pas se fouler pour enquêter sur le meurtre d’un journaliste noir. Non, non, notre gus songe surtout à tringler la première femme qu’il croisera. Ensuite, le vocabulaire souvent déplacé de l’écrivain. Si le scénario ne semble pas avoir de ligne claire, les dégueulasseries décrites sont d’une constance édifiante (viols, drogues, noms d’oiseaux,…).

En conclusion, voilà un titre dérangeant avec un narrateur qui représente l’anti héros par excellence. Le vocabulaire outrancier ne plaira pas à tout le monde, considérant que 500 pages d’insultes, de coups bas et de complots le lecteur peut vite devenir écœurant. As far as The Tiger is concerned, ça passe bien ! Ai pas vu le temps passer (comptez quatre bonnes heures).

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le trash. Comme vous avez du le comprendre, la narration est plutôt vilaine. On voit tout le potentiel de quelqu’un qui ne prend aucune pincette pour décrire les pérégrinations d’un individu amoral. A ce moment deux réactions sont possibles chez le lecteur : soit ce dernier trouve le tout sympathique et s’émerveille d’un tel déballage de gros mots au service d’un scénario qui tient à peu près la route ; soit l’humour « pipi caca » (car on peut se surprendre à rire dans ce titre) nous gave à l’excès.

Sauf que Welsh ne verse pas seulement dans le phrasé fleuri, mais essaie, à sa manière, de dénoncer les différentes formes d’agressions de notre société. Violence institutionnalisée d’abord, avec un policier capable de terribles exactions sans qu’il ne semble inquiété. Des gardes fous au monopole de la violence ? Si peu, même si point de happy ending pour Bruce-pas-si-tout-puissant (il fallait que je la sorte, désolé). Violence sociale, plus vicieuse, avec le narrateur parano qui paraît parfois être la victime du système. Son esprit étriqué ne trouve de réponse que dans l’agressivité, tel un commandant décidant que la meilleure défense est l’attaque.

…à rapprocher de :

– De Welsh, il faut se régaler avec Trainspotting, suivi de Porno. Glu et Recettes intimes de Grands Chefs fait aussi partie de la bibliographie.

– Le flic bien véreux qui en font de belles, les exemples ne manquent pas. Pour l’instant, Le Tigre vous renvoie amicalement vers 1275 âmes, de Jim Thompson.

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Eschyle - Tragédies complètesNom du vieil homme en VO : Aiskhúlos. La demi-douzaine des pièces du dramaturge (dont certaines incomplètes) dans un seul ouvrage, Le Tigre omnivore ne pouvait passer à côté d’un tel concentré de culture. Lecture pas facile, je n’ai pas vraiment eu le courage de tout terminer. N’est pas sachant qui veut.

Il était une fois…

Eschyle, c’est un sympathique Grec qui a vécu il y a plus de 2500 ans et dont la vie est au final assez mal connue. Pour reprendre le quatrième de couv’, Victor Hugo a dit du personnage : « une sorte d’épouvante emplit Eschyle d’un bout à l’autre ; une méduse profonde s’y dessine vaguement derrière les figures qui se meuvent dans la lumière. Eschyle est magnifique et formidable, comme si l’on voyait un froncement de sourcil au-dessus du soleil. » Voilà.

Critique des tragédies complètes d’Eschyle

Le Tigre avait une revanche à prendre avec le quarteron de Grecs décédés depuis longtemps qui a pourri mes cours de Français. Ne me souvenant de rien, je l’ai récemment relu afin, du haut de mon âge avancé, savoir de quoi il retourne vraiment. Le style est ce qu’on pourrait s’attendre de la part d’un texte si ancien, même s’il faut souligner la qualité des traductions publiées.

Le résultat fut passablement mitigé….comment dire…si j’ai fait un sort aux œuvres suivantes, je n’ai su continuer : Les Perses (Xerxès se lamente pendant de longues pages de sa défaite à Salamine), 7 contre Thèbes, Prométhée (ces deux là, j’ai moins aimé), Les Suppliantes (les 50 filles de Danaos qui demandent l’asile à un roi).

Et puis j’ai abandonné piteusement. Ce n’est pas tant les pièces, dont la plupart m’ont échappé, qui valent le coup d’oeil, mais surtout la présentation desdites tragédies qui est limpide et instructif. A chaque nouveau titre, explications préalables, voilà qui est bien pensé. Au final, je me suis globalement plus ennuyé avec Echyle que Sophocle qui a la préférence du Tigre.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Ce que je retiendrai de ces pièces, c’est que celles-ci posent la question de la gestion de la cité dans des temps troubles (la guerre n’est jamais loin). Dans Les Perses, le lecteur se met du côté du roi Xerxès (qui a tenté d’envahir la péninsule grecque) qui chiale sur la défaite qu’il a subie ; quant aux Suppliantes, on craint qu’accepter les 50 femmes n’amène à de profonds désordres dans les murs de la ville par exemple. En outre, les terribles évènements qui tombent sur la gueule des protagonistes sont selon eux guidés par les dieux qu’ils invoquent presque sans discontinuer.

Pourquoi résumer un si vieux dramaturge ? Question épineuse, surtout quand sur la toile les critiques les plus pertinentes et complètes pullulent. Ma réponse tient encore en deux points : 1/ Le Tigre aime raconter sa vie et ce qu’il a ressenti en lisant de grands classiques, même s’il en a quasiment rien retenu. 2/ Ce truc m’a coûté cinq paquets et deux heures de lecture. Je ne suis plus à une demi-heure près en le mettant sur ce blog (qui se trouve du coup enrichi d’un post de plus).

…à rapprocher de :

 – Les tragédies de Sophocle (Oedipe, Ajax, Antigone & Co).

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Donald Goines - L'accroVO : Dopefiend:The Story of a Black Junkie. Roman noir aux relents sauvages d’autobiographie, voici la descente aux enfers d’un couple à case de la drogue. Violent, dur, les mots échappent au Tigre pour décrire le malaise à la lecture de cet excellent titre. Style limpide et précis, en 250 pages il y a de quoi avoir quelques sueurs froides.

Il était une fois…

Porky est un dealeur (crack, héro, tout en fait) dont le plaisir est de voir des jeunes femmes en manque copuler avec ses bergers allemands afin de payer leurs doses. Parmi ses clients, Teddy, qui parfois vient avec sa petite amie Terry. Celle-ci n’est pas accro mais le dealeur va tout faire pour qu’elle le devienne. Dès que cette dernière est ferrée, une rapide mais sûre descente dans le terrible monde des toxicos s’offre à elle.

Critique de L’accro

A lire absolument, Le Tigre a rarement rencontré un texte aussi réaliste et sombre en littérature sur ce sujet. Donald Goines sait définitivement de quoi il parle : héroïnomane, passé par la case prison (où il a appris à écrire), l’auteur aurait été tué à cause de la dope. Du coup, on comprend la précision et la justesse des péripéties de nos protagonistes.

Des personnages, il y en a trois principaux : Porky le vilain et ses techniques de vente, d’étalements de paiement, d’approvisionnements & Co ; Teddy et son addiction qui le pousse à aller toujours plus loin ; enfin la belle Terry qui fait connaissance avec les joies (puis les cauchemars) de la défonce. Les pensées de ces individus, les difficultés rencontrées (sauf pour le dealeur) sont terrifiantes et gravement réalistes.

En effet, le style de Goines est clair et va droit au but, aidé par une traduction parfaite et de nombreux espaces (chapitres aérés). En outre, l’écrivain noir ne laisse que peu de place à l’imagination puisqu’il nous sert sur un plateau toute ses horreurs. Le Tigre fait notamment référence à Minnie, héroïnomane et enceinte qui commet un suicide. Son amie Terry découvre le corps pendu, avec la tête du bébé mort-né entre ses jambes et les excréments sur lui et le sol. Pas miam.

Passage obligé pour découvrir ce qu’un auteur noir peut avoir dans le ventre, L’accro ressemble au cimetière des espoirs d’une partie de la jeunesse de couleur dans les grandes villes de l’Est (Boston, NYC, Detroit, Chicago) des États-Unis.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’addiction à l’héroïne. L’histoire de Terry est édifiante et m’a profondément ému : Porky, pas vraiment con, lui offre ses premières doses jusqu’à ce qu’elle en redemande. Nous suivrons ces premiers shoots et la plénitude qui l’envahit. Puis le besoin, sournois, de recommencer. Comme ça ne suffit plus, elle vole dans le magasin où elle est employée. Ensuite la prostitution. Enfin la folie, la jeune femme termine dans un HP, dans un état de prostration enfantin, et où la simple vue d’une aiguille la fait hurler à la mort.

L’insoutenable réalité des ghettos noirs. Goines semble le mieux habilité à décrire ce qui se passe dans un tel environnement. Misère, drogues, criminalité pour se la procurer, le lecteur est introduit auprès de jeunes hommes vigoureux qui passent leur temps autour de bagnoles à discuter de quand arrive la prochaine livraison d’opiacés. Grand manitou de ce manège mortel, le gros Porky qui, le cul posé sur son fauteuil, regarde avec amusement les gens le supplier. A la fin de l’ouvrage, celui-ci se félicite de ne pas se droguer, activité réservée aux losers selon lui. Seule personne clean dans le bâtiment, seul maître à bord.

Comme le disait je ne sais plus quel auteur (vous pouvez le trouver sur ce blog), « Le crack est le génocide des Noirs ».

…à rapprocher de :

– De Goines, Le Tigre a lu Enfant de putain et Ne mourez jamais seul. Dans la même veine, mais pas aussi bons.

– Sur la vie d’un drogué, il y a l’incontournable Junky, de William S. Burroughs. Moins bon hélas.

– Dans le même registre, mais germanique, Le Tigre vous enjoint à lire Moi, Christiane F., 13ans, droguée, prostituée…

– Les aventures se terminant en eau de boudin de ces deux jeunes amoureux me font terriblement penser à Requiem for a dream. Un film superbe (et dur) à ne louper sous aucun prétexte.

– En version française et infiniment plus drôle, Tigre signale Johann et son Boss de Boulogne. Sympa.

Trainspotting, d’Irving Welsh, se concentre (mais pas que) sur les drogués d’Édimbourg. Le film éponyme s’en sort plus qu’honorablement.

Pour finir, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Iegor Gran - O.N.G. !Un titre plutôt inattendu, une couverture qui ne l’est pas moins, un livre correct qui se laisse lire, sans plus. Décrit dans un style plutôt léger voire déroutant, le lecteur sera aux premières loges d’une guerre entre deux associations dans le même immeuble. Humour corrosif, dénonciation l’air de rien de certains travers sociétaux, voilà le livre à lire sous la plage.

Il était une fois…

Julien est bègue depuis que son daron l’a vu en train de cramer les couilles d’un chat. Vous voyez le genre… Bègue certes, mais plutôt débrouillard en écriture et en recherche de stage. En effet, notre jeune simplet vient de décrocher une place de stagiaire à la Foulée Verte, ONG de grande renommée et portée sur l’écologie. Et si ça peut faire chier ses bourgeois de vieux, tant mieux. Entouré du boss (Ulis) et de la très appétissante Celsa, Julien est transporté par sa mission. Tout se présente bien jusqu’à ce que « Enfance et vaccin » débarque dans le même bâtiment. Autre organisation non gouvernementale mais au but différent, c’est presque une guerre qui va se déclencher entre les deux groupes. Julien, muté en reporter de guerre, sera un témoin de premier ordre…

Critique d’O.N.G. !

J’ai dévoré ce court roman en une petite paire d’heures, faut dire que tout est fait pour lire la chose sur la plage : moins de 200 pages, des chapitres plutôt aérés, une police d’écriture grosse comme la queue du Tigre, il y a de quoi passer un agréable moment de lecture sans se prendre la tête au premier abord.

Seulement au premier abord, car derrière ce choquant vaudeville se cache quelques pertinentes (à mon sens) critiques des excès presque naturellement présents chez ces exaltés. Je pense notamment au viol vers la fin du titre, raconté comme si cet acte criminel allait de soi. Sur le scénario, j’ai déjà dit le gros. Ce qu’il faut retenir, c’est l’impitoyable guerre que se livrent deux ONG voisines, le tout vu par un simple d’esprit. Plutôt amusant à certains moments, sans concession et corrosif vis-à-vis du monde associatif, hélas c’est loin d’être un chef d’œuvre du genre.

En conclusion, d’une idée séduisante (un affrontement qui dégénère entre deux organismes qu’on imagine plutôt soft) on arrive à une exploitation optimale du sujet. Et intelligemment de surcroît, que demander de plus ? Ah oui, en sus le rythme est plus que satisfaisant, on a l’impression de lire un documentaire à l’américaine.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

D’abord, il y a l’ONG dans ce que celle-ci peut avoir de pire. Notamment dans les travers de son organisation. Le chef de l’asso, Ulis, a une allure de patriarche à la poigne de fer et au phrasé digne d’un De Villepin. Hélas la Foulée Verte semble se gérer comme toute entreprise, avec ses personnages odieux et ses petits arrangements ici et là. Gestion comme un État (une armée surtout) dès que la hache de guerre est déterrée et que l’heure est venue de mobiliser les troupes. Le glissement sémantique, pas forcément subtil, dénonce alors l’aisance avec laquelle n’importe qui peut s’emporter.

Plus généralement, il y a ce que Le Tigre qualifierait de « verbalisme gauchisant de bien-pensance ». Derrière la noble idée d’aider son prochain se trouvent des discours d’un pompeux écrasant (si ça vous parle). On rigole au début, et lorsqu’on voit le manque de recul de certains il y a de quoi grincer gentiment des dents : à part les grandes paroles qui souvent ne correspondent à rien (définition du « verbiage »), tout ce petit monde brasse énormément d’air avec des postures et des réflexes néo révolutionnaires assez bien décrits par Gran. Le pire étant que ces individus se sentent investis d’une mission d’importance, jusqu’à se croire indispensables.

…à rapprocher de :

– Iegor Andreïevitch Siniavski (c’est son nom) a l’air à l’aise dans le monde des ONG et des verts quand on lit le roman qui suit : L’écologie en bas de chez moi.

– Dans la narration néodébile par un homme qui semble plus spectateur qu’acteur, il y a Mon CV dans ta gueule d’Alain Wegcsheider. Légèrement moins bon bien qu’aussi basé sur une idée originale.

– Sans spoiler, la fin me fait penser à La vie de ma mère !, de Jonquet. Un point d’exclamation signifierait-il le même épilogue ?

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Giffone & Longo & Parodi - La pieuvreSous-titre : quatorze ans de lutte contre la mafia. Une histoire vraie. VO : Un fatto umano. Storia del pool antimafi. Voici un lourd pavé dessiné traitant de la lutte antimafia entre 1978 et 1992, où la stupeur se mêle rapidement à l’indignation. Dessin adéquat, un vrai zoo de violence. Un travail d’orfèvre pour un résultat sombre et édifiant.

De quoi parle La Pieuvre, et comment ?

Un essai plus qu’un roman graphique avant tout. Cette BD commence avec la présentation du narrateur, Mimmo Cuticchio, qui s’apprête à conter une histoire (avec des marionnettes) sur un style ancestral de narration. S’ensuivent plus de 370 planches à vous glacer le sang. Rien que la couverture rouge, avec le vilain piaf qui pointe son gun vers le lecteur, annonce clairement la couleur.

Quatorze ans de lutte contre la mafia, c’est l’histoire de la Sicile (Palerme surtout) tenue par une bande de criminels sans foi ni loi (autre que la leur) et défouraillant à tout va telle une bande de psychopathes uniquement attirés par l’appât du gain. Et ce de la fin des seventies à 1992. Beaucoup de protagonistes, entre les procureurs, juges, mafieux, journalistes, politiques (Berlusconi y fait une courte apparition), membres du Vatican, c’est assez difficile à suivre parfois.

En effet, la première moitié de l’essai dresse un long tableau des criminels de la région et leurs exactions (souvent entre eux) faites de luttes de pouvoir et vendettas. Sur près de 200 pages j’ai cru que j’allais lâcher l’affaire tellement il y a de monde concerné. Et leurs biographies à la fin de l’ouvrage, ainsi qu’un index, ne m’ont pas vraiment aidé. Ensuite, on se concentre sur le rôle des « gentils », et plus particulièrement sur le boulot de messieurs Falcone et Borsellino. Plus aisé à suivre.

Au final, c’est une aventure dans les arcanes d’une partie de l’Italie que Manfredi Giffone nous offre, avec les révélations (du moins pour moi, car c’est maintenant de notoriété publique) choquantes sur les liens entre ces « hommes d’honneur », le monde économique, une partie de la franc-maçonnerie (le scandale de la loge P2) et la classe politique qui contrarie le boulot de nos procs et juges (constituer un pool dédié à cette délinquance).

Sur le dessin, c’est du très très solide. Longo et Parodi ont fait un minutieux travail, en noir et blanc, avec un encrage de qualité qui donne l’impression de regarder un vieux documentaire. Petit plus, tous les protagonistes ont été transformés en animaux tout en gardant leurs caractéristiques (on les reconnaît bien en fait). Bêtes plutôt rustres pour les méchants (taureaux, reptiles,…) contre « gentils » animaux pour les magistrats et flics. A ce titre, je m’insurge contre l’utilisation du noble tigre pour représenter un mafioso qui d’ailleurs se fait trucider au début de l’ouvrage. Mais ne dit-on pas que si le lion est le roi des animaux, alors le tigre en est indubitablement le parrain ?

Ce que Le Tigre a retenu

La façon dont fonctionne une mafia. Quelques repentis (Tomasso Busceta, Salvatore Contorno pour ne citer qu’eux) ont collaboré avec les autorités et dressé un portrait plus précis de l’organisation de Cosa Nostra (terme utilisé en Sicile). Les familles à qui sont attribués des quartiers, regroupés en cantons (huit) ; une commission qui gère plusieurs famille ; une autre pour superviser les commissions, présidée par le capo di capi qui peut être également le « boss des deux mondes ». Car les liens avec la mafia américaine, les trafiquants d’Asie (Singapour par exemple) sont plus que fructueux.

La (vaine) lutte contre la pieuvre. Ce que ce roman graphique décrit, ce sont les autorités de police passablement débordées, et souvent ne comprenant pas à qui elles ont affaire. Attendre les années 80 pour voir se mettre en place les grandioses « maxi procès » semble bien tardif, ladite pieuvre a depuis longtemps déployé ses tentacules sur le pays. Contre ces groupes qui polluent l’environnement politique, économique et social de l’Italie (et l’Europe), le lecteur assiste impuissant à des guéguerres politiques ou juridiques au sein de différents services. Quelques individus dans les plus hautes sphères du pouvoir (préfets, députés,…certains corrompus) ne souhaitent pas voir se développer une institution centralisée de lutte contre la mafia, invoquant le risque d’excès de pouvoirs.

Le dernier aspect, sans doute le plus choquant, c’est l’utilisation excessive de la violence par ces hommes du déshonneur : les attentats ont explosé pendant cette période (après ensuite hélas), signe que nos héros (il n’y a pas d’autres termes) progressaient. Voitures piégées, attaques à main armée, destruction d’une route entière, rien n’était fait dans la dentelle. Les commissaires de police, Falcone et son ami, on n’était pas loin de la guerre civile. Et de la tragédie hélas, les proches étant souvent atteints : femmes, enfants, policiers en protection, passants même.

…à rapprocher de :

– En essai romancé, Les nouveaux monstres 1978-2014 de Simonetta Greggio se laisse dévorer.

– Sur l’histoire des groupes criminels, il y a Confessions of a Yakuza de Junichi Saga.

– Sur la difficulté, à l’échelle personnelle ou d’un petit groupe, de lutter contre les grands groupes criminels, signalons le happy end de Vanilla Ride, par Joe R. Lansdale.

– Dans l’essai, un journaliste américain fait son entrée. Celui-ci a vite attiré l’œil expert du Tigre, puisqu’il s’agit de Nick Tosches, qui a entre autres écrit La religion des ratés et Trinités, deux polars qui se déroulent dans le milieu mafieux.

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Hermann Hesse - Le Loup des steppesVO : Der Steppenwolf. Ja wohl. L’histoire d’un homme qui ne semble pas être en phase avec son temps et fait des rencontres qui vont le pousser à prendre le large (comportemental). Considéré comme un chef d’œuvre de la littérature du vingtième siècle, Le Tigre a été assez imperméable à ce titre. J’ai bien peur d’être passé à côté de tout le roman.

Il était une fois…

Le Tigre, très médiocrement, va copier-coller le quatrième de couv’, qui résume mieux que je ne saurais jamais le faire ce roman :

« Venu d’ailleurs, Harry Haller, surnommé Le Loup des steppes, s’installe dans une ville européenne des années vingt pour se consacrer à de vagues travaux littéraires. Très vite, son existence tranquille se lézarde. Profondément déprimé, hostile au monde moderne, en révolte contre la société bourgeoise mais attiré par le confort et l’ordre, il flirte avec l’idée du suicide. Sa rencontre avec une prostituée lui redonne goût à la vie. Avec quelques personnages de son monde interlope, elle semble lui offrir la possibilité de réconcilier les deux extrêmes de son être : son cité loup solitaire, ascète et antisocial, et sa faim de sensualité. Si le conflit de personnalité de Harry (alter ego de Hermann Hesse) n’est sans doute pas résolu à la fin du roman, son monde se transforme, le temps d’une hallucination, en un extraordinaire théâtre magique. »

Critique du Loup des steppes

J’ai vraiment hésité à résumer ce titre dont je n’ai pas retenu grand chose. Et puis je me suis que peut-être ça allait montrer à d’autres lecteurs en herbe qu’on peut allègrement pilonner une œuvre sans passer pour un inculte de bas étage. Quoique…

Lu vers mes vingt ans, j’ai trouvé Le loup des steppes excessivement long malgré le peu de pages. Bref, étais content de l’avoir terminé après ne pas avoir compris à ce qui se passait pour notre héros. Trop jeune (ou texte trop ancien) pour saisir la beauté du récit et les enseignements que celui-ci porte, j’ai eu plus d’une fois la sensation d’avoir entre mes griffes un court essai de philosophie.

Long et ennuyeux, style vieillot qui à de trop rares occasion a éveillé un écho intellectuel en moi, j’ai presque honte de parler de ce bouquin. En outre, même si celles-ci sont bien tournées, la densité des phrases m’a sûrement effrayé un peu trop vite. En fait, c’est l’archétype du roman qu’il ne faut pas lire trop tôt, voire relire si la première fois se passe mal. Hélas Le Tigre n’est pas de cette race.

Si je ne donne pas la pire des notes, c’est pour décerner un certain respect vis-à-vis d’un auteur relativement polémique en son temps. Réussir à faire interdire ses ouvrages par les nazis, c’est déjà une certaine marque d’estime.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le roman d’apprentissage. Le loup des steppes, c’est la condition du héros qui regarde ses contemporains de haut et aspire à quelque chose de plus noble, une expérience libre qui sort des carcans de la bourgeoisie de l’époque. Au lieu de se sortir les doigts du derrière et vivre pleinement sa vie, le gus se morfond et pense déjà au suicide. L’apprentissage démarre grâce à une fille de joie qui l’initie aux plaisirs sensuels d’un monde qu’il découvre et qui l’enchante. Jusqu’à ne plus discerner, pour le bas lecteur que je suis, la fantaisie de la réalité.

…à rapprocher de :

– De Hesse, Le Tigre n’a hélas pas lu grand chose et ne peut vous mettre quelque chose sous la dent.

– Toutefois, sur les rencontres « underground » effectuées par le narrateur, on peut rapidement penser à Dante ou Wilde avec son Dorian Gray. Mais vraiment en cherchant bien.

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Tetsuya Tsutsui - ManholeVO : Manooru. On avait vendu du très lourd au Tigre, hélas ce fut loin d’être la claque « biohazard » à laquelle je m’attendais. Histoire sérieuse et bien développée, mais j’espérais plus d’envergure de la part d’un mangaka qui est considéré comme excellent dans son art. Heureusement qu’il ne s’agit pas d’une série fleuve.

Il était une fois…

Dans le Japon contemporain, au sein d’une ville pas loin de la capitale (du moins j’ai cru comprendre), un homme erre nu dans la rue avant de s’écrouler. Porteur d’un mystérieux virus, l’individu est passé entre des mains expertes quoique peu éthiques. Il s’avère que derrière ce cas isolé se trame un complot visant à expurger l’humanité de ses plus bas instinct.

Critique de Manhole

Mon dealeur de manga m’a rapidement conseillé, dans la catégorie « one shot », cet ouvrage composé de trois tomes assez courts. Nul besoin d’acheter une vingtaine d’opus, voilà une histoire qui peut se lire en moins d’une heure. Cependant Le Tigre est resté sur sa faim, jusqu’à murmurer in petto en lisant les dernières pages « tout ça pour ça ? ».

Le scénario promettait largement, et grâce au premier tome je me disais que ça allait être sanglant, avec un complot que je supputais de grande ampleur et qui allait décoiffer le Japon. En fait l’ampleur m’a vite semblé être réduite en peau de chagrin, le virus vite maîtrisé et le commanditaire [SPOIL Attention] n’étant qu’un pauvre type soucieux d’inoculer des vers à la population qui, en plus de perdre un œil, serait débarrassée de ses instincts les plus bas. [Fin SPOIL]

L’évolution de nos héros (le flic Mizoguchi et sa collègue Inoué) qui, à partir de quelques cas, détricotent le fil des responsabilités est satisfaisante. Même si deux reproches sont à faire : d’une part ça n’avance pas vite, si bien qu’à la fin du second tome le lecteur sait d’avance que le final sera décevant et probablement bâclé. D’autre part, l’auteur / illustrateur s’essaie de temps à autre à l’humour et offre des scènes dignes d’un City Hunter (personnages caricaturés notamment) qui n’ont rien à faire dans ce style de scénario.

D’un point de vue du dessin, il n’y a rien à redire. Planches certes qui ne déplacent pas des montagnes, mais celles-ci ont le mérite d’être réalistes (ligne assez claire) et d’instiller une atmosphère d’une glauquitude certaine. Le mal dont sont atteints quelques protagonistes (Le Tigre pense particulièrement à Mika Sekiguchi, couverte de boutons de moustiques) est très bien rendu et pourra offrir un hoquet de dégoût aux plus sensibles.

En conclusion, une jolie déception de la part de Tetsuya Tsutsui. Il faut bien sûr admirer le Japonais pour avoir, seul, construit et illustré un tel manga, toutefois ce n’est pas à la hauteur des insondables attentes du Tigre.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le bien et le mal. Le scénario est original dans la mesure où de grandes vilaines organisations il n’est pas question, contrairement à ce que le début laissait suggérer. Derrière ce funeste complot se cache une idée noble, seulement les moyens pour y arriver ne le sont pas du tout. On retrouve cet antagonisme dans la conduite des opérations par nos deux policiers, parfois contraints de franchir le mince seuil de la légalité. L’héroïne principale est plus que concernée par ce sujet, et ses dernières décisions (est-il nécessaire de tuer ?) vont complexifier un peu plus son comportement.

La menace bactériologique. L’auteur maîtrise bien ce sujet et nous présente les process et actions des responsables de la protection civile de manière plutôt crédible : tenues NBC et procédure de décontamination ; circonscrire les périmètres infectés et éliminer rapidement toute menace ; éléments de langage à l’attention de la populace ; opérations de destruction des moustiques tigres (hé hé) dans une zone établie,… Que de l’anxiogène !

…à rapprocher de :

– Dans les grands complots, Le Tigre s’est plus régalé avec 20th Century Boys.

– Vouloir faire le bien en se comportant comme un fou furieux, c’est un peu Death Note d’Oba et Obata.

Frédéric Beigbeder - Nouvelles sous ecstasyUne centaine de pages, une poignée de nouvelles axées autour de la MDMA (ou autres drogues), voici le livre d’un homme qui débutait dans l’écriture et cherchait à tout prix à faire le buzz. Écriture hélas imparfaite, sentiment de vacuité à la lecture, difficile de chercher une morale à ces courts textes qui m’ont laissé (quasiment) aucun souvenir tangible.

Il était une fois…

Dans les années 80 est apparu la MDMA, que l’on nomme plus facilement l’ecstasy. Les effets sont connus, entre puissante euphorie montante suivie d’une terrible descente au caractère déprimant. La « pilule de l’amour » fait avoir des comportements proches de la folie, avec les inhibitions et tabous qui disparaissent comme par magie. Beigbeder, écrivain franco-français ayant plus d’une fois trempé dans ce milieu, nous propose quelques nouvelles acides ayant pour principal thème cette drogue.

Critique de Nouvelles sous ecstasy

Ce recueil m’en a touché une sans faire bouger l’autre, heureusement que ça ne dépasse pas les cinq euros sinon Le Tigre aurait été colère. Humour et vulgarité certes, mais rien de proprement choquant ou renversant pour un auteur qui, à l’époque, avait son pied droit dans les boîtes de nuit (et écrivait avec l’autre).

Sur près d’une quinzaine de nouvelles, moins de 7 pages en moyenne, avec une aération qui donne l’impression de lire à une vitesse indécente, l’auteur use de ses bons mots pour décrire quelques anti héros sous l’influence de substances fortement illégales. Pour Le Tigre, ce n’est pas vraiment de la littérature. Certes j’ai retenu deux ou trois de ces textes qui sortent du lot, mais à ce tarif autant les publier dans un magazine hebdo à grand tirage non ?

Comme le dirait Madone dans le film 99 Francs avec Jean Dujardin, il semblerait que l’écrivain (c’en est devenu un de qualité depuis) a voulu « faire marrer ses potes habitant à Paris ». En effet, ça m’a paru être un gentillet délire parisianiste (cet adjectif existe ?) où, à défaut de reconnaître les pérégrinations de Frédéric B., certains de ses amis peuvent se retrouver dans ces petites histoires.

En conclusion, cette œuvre transpire ce que Le Tigre nomme « l’auto référencement à tendance masturbatoire » dans sa plus belle expression, toutefois pour une centaine de pages ce n’est pas inutile de le lire. Si vous êtes en effet à la recherche d’un peu d’originalité de la part d’un Français et que vous n’avez pas encore la trentaine, allez-y.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Un seul thème ici, pour 100 pages Le Tigre se sent moyennement capable de se casser plus le derrière que ça. Ce sujet, c’est bien évidemment la drogue. Les textes, pour la plupart, suivent l’évolution biochimique de la substance dans le corps : fête puis déprime, amour et sexe, folie et difficile retour à la raison. Du coup, Fred se pense légitime pour faire une peu de trash, de bizarre, mais pour Le Tigre qui en a lu d’autres, j’ai à peine cillé. Et oui, rien à voir avec ce que des auteurs anglo-saxons seraient capables de produire (cf. infra).

…à rapprocher de :

– L’auteur a aussi sorti Vacances dans le coma, qui consiste à raconter une nuit décadente en boîte. Chiant. Tout comme L’égoïste romantique, dispensable dans la mesure où l’auteur a fait mieux.

– De Beigbeder, sinon, vous pouvez laisser de côté L’amour dure trois ans, Windows on the world ou 99 F (dont la fin n’est vraiment pas terrible) pour lire Un roman français, roman de de la maturité. Ça fait certes un peu cliché mais c’est comme ça.

– Pour de la vraie littérature faite par des individus bien plus borderlines et déjantés, regardez plutôt du côté de Bukowski ou Hunter S. Thompson.

Déboire, d’Augusten Burroughs, traite plus « humainement » les affres de l’alcool toutefois.

– Will Self est un pro dans la matière, notamment sa nouvelle The Sweet Smell of Psychosis.

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