[VO : A Jealous Man Can’t Win]. Dans un Harlem d’après-guerre peuplé de créatures iconoclastes, deux flics vont chercher à élucider un meurtre assez étrange. Polar poussif avec des dialogues parfois durailles à suivre, il y a pire certes. Hélas, le feignant félin a été incapable de finir les cinquante dernières pages.

Il était une fois

Harlem, fin des années 50. Dans la nuit, un voleur est témoin d’une brève rixe au cours de laquelle un homme se fait tuer. Et est laissé dans une vaste corbeille de pains frais. Le lendemain, devant cette même corbeille, une maison accueille des funérailles. Le révérend Short (beurré comme à l’accoutumé) tombe malencontreusement du deuxième étage. Et atterrit comme par miracle dans la corbeille….où git déjà un homme tout ce qu’il y a de plus mort.

Critique de Couché dans le pain

Voici un des premiers romans de Chester Himes, écrivain afro-américain qui semble avoir eu son petit succès dans les années 60 (notamment en France). Il y en a d’autres qui trainent dans ma bibliothèque, hélas je ne suis pas vraiment certain de poursuivre avant quelques mois.

Il s’agit du premier opus introduisant deux flics que le lecteur pourra retrouver dans d’autres œuvres : Fossoyeur Jones et Ed Cercueil sont deux hommes plutôt bons limiers et connaissant suffisamment le quartier d’Harlem pour pouvoir s’y balader et y faire régner un certain ordre. Curieusement, ces deux personnages apparaissent peu dans l’histoire, on suit surtout Johnny et la clique gravitant autour de ce gangster (des pépées violentes, d’autres malfrats dépensant leur fric à des jeux de cartes, et les parents de tout ce joli monde).

Sauf que votre serviteur s’est acharné à tenter de rentrer dans un roman qui ne lui parlait guère. Soit Himes avait un vocabulaire propre à son milieu, soit la traduction a été réalisée à la truelle, mais dans tous les cas les dialogues et certaines descriptions ne passent pas. On s’ennuie ferme, et savoir qui a tué le pauvre hère ne m’a que moyennement intéressé – si cela se trouve la fin est sublime.

Au surplus, les individus décrits sont certes truculents, mais question crédibilité y’a quelque chose qui rend le tout peu cohérent, tel un rêve alcoolisé sous une chaleur accablante – avec des protagonistes que j’ai souvent confondus. C’est comme si l’écrivain, qui a tant de sujets et de caractères à décrire, aurait eu envie de tout coucher dans ces 250 pages. En vrac. En fin de compte, un univers que Le Tigre maîtrise peu et rendu par l’auteur comme une évidence, un meurtre guignolesque et des personnages barrés difficiles à se représenter.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le lecteur attentif et patient pourra se faire une petite idée de ce que pouvait être Harlem pendant les années 50. Des restaurants mal fréquentés avec des menus à étouffer une armée de Chrétiens ; des processions funéraires à n’en plus finir (rien à voir certainement avec celles dansantes de la Nouvelle-Orléans) ; des usines à préparer les poulets où les employés sont payés à la journée ; des hommes d’église mystiques et postillonnant des injures alcoolisées ; des petites frappes vivant au jour le jour, etc. Il est souvent délicat de situer la part d’exagération dans tout ce fatras.

Chester Himes n’est pas un écrivain noir lambda qui évoque au premier abord le racisme qui sévit à New-York. Il est ici surtout question de la terrible violence que s’inflige la population noire. Meurtres de sang froid, échauffourées constantes, menus larcins, tout ceci entretient une tension constante au sein d’un groupe dont le taux de mortalité est plus élevé que la moyenne. En revanche, pour ce que j’ai lu, l’auteur se contente de décrire une situation inquiétante sans aller plus loin dans l’analyse des causes (à part peut-être l’alcool que s’envoient derrière le gosier la plupart des protagonistes).

…à rapprocher de :

Dans le style hard boiled, je peux vous conseiller d’autres titres plus marrants :

– James Hardley Chase, notamment son Vipère au sein (en lien) ou Pas d’orchidées pour Miss Blandish.

– Dashiell Hammet avec Le sac de Couffignal (très marrant).

La semaine dernière, j’ai proposé à un presque ami de me trouver une contrainte. Sa réponse : « je veux que tu fasses deux histoires qui se lisent en parcourant une ligne sur deux. Sauf qu’en lisant le bloc, l’histoire doit être cohérente ». Le mec n’a guère réalisé la difficulté de son sujet, et qu’un des textes serait obligatoirement une métaphore de l’autre.

Contrainte littéraire : deux textes entrecroisés, le tout étant lisible

La lune était à son plus haut niveau

Un peu ronde, blonde tirant sur le blanc,

Elle attendait son prochain rencard.

Quelques petites taches de rousseur sur sa face ;

Et chaque nuit depuis trois jours

Les passants ne pouvaient s’empêcher de lever le regard vers son corps.

Elle parcourait seule son sempiternel chemin étoilé

Et celle-ci se contentait de royalement les ignorer pour se diriger

Vers un rendez-vous qu’elle a trop souvent manqué,

Vers une personne dont ses voisines ne disent que du bien ;

Car cela fait trop longtemps qu’elle est esseulée

Aucun frisson ne parcourt son corps,

Aucun volcan n’habille son enveloppe ;

Elle n’a jamais connu le souffle de quelqu’un sur sa peau

Qui progressivement est devenu glaciale et désolée.

Bref, ça fait longtemps qu’elle n’a plus connu l’amour.

Certains hommes ont parfois pris attache avec elle ;

Ses prétendants étaient courageux et intelligents,

Ces relations n’ont hélas duré que quelques heures :

Ils ont étudié son comportement, ont pris la mesure du problème

Mais à court d’oxygène ils se sont enfuis,

Ont lâchement laissé certaines affaires chez elle pour partir

Vers une Gaïa nourricière plus accueillante,

Vers la même salope au teint frais bleu/vert.

Les visites se sont espacées depuis quelque temps ;

Probablement hétérosexuelle, elle n’a connu aucune femme

Malgré quelques candidates qui auraient pu lui plaire.

Ça tombe bien, est à la recherche d’un homme,

Elle veut un être de lumière

Avec lequel elle joue à cache-cache ;

Et espère qu’aujourd’hui elle trouvera enfin

Cette personne qu’elle désire, plus grande qu’elle,

Un personnage d’un magnétisme intense adoré de tous.

Néanmoins il existe un souci d’incompatibilité entre eux,

Un monde souvent les sépare

Un univers peuplé de choses insignifiantes

Qui est le seul à décider de leur union

Et c’est là tout le paradoxe :

Si leurs chemins se croisent sans se rejoindre

Ensemble, à la vue de tous,

Un astre fait de l’ombre à l’autre

Un partenaire rayonne trop pour rendre visible l’autre,

Toujours un objet éclipse à chaque fois l’autre,

Les gens ne les voient presque pas ensemble

Si bien qu’ils ne peuvent espérer être unis,

Si bien qu’elle tourne autour de la mauvaise personne.

[Sous-titre : Les Chevaliers du Ciel, Tanguy et Laverdure, tome 20]. Deux pilotes mettant tout en œuvre pour libérer de pauvres otages français, scénario passable (et encore…), illustrations qui piquent les yeux, dialogues techniques qui passent dans un œil pour ressortir dans l’autre, Le Tigre a connu nettement mieux.

Il était une fois…

Après une mission clandestine au Tibesti, nos héros Tanguy et Laverdure préparent une opération pour aller récupérer des Français tenus en otage au beau milieu du Tchad. La mission est extrêmement dangereuse, et dépend d’un tas de détails qui arrêteraient même le plus casse cou des agents secrets. Sans compter que certaines vestes sont susceptibles de se retourner…

Critique d’Opération Tonnerre

La qualité de la littérature des salles d’attente de certains praticiens est proverbiale. Entre des magazines people, des revues politiques datant du dernier mandat de cette buse de Chirac et les livres pour enfants (je me dis que je devrais commencer à aborder ce style un de ces jours), y’a pas grand chose à se mettre sous la dent.

Sauf ici, petit intrus de bande dessinée perdu sous une pile de Paris Match. Premières pages vraiment pas fameuses, mais entre ça et le reste de ce qui était proposé, le choix était vite fait. Dans cet ouvrage, il est question de monter une opération top secret (au moins) pour sauver la peau de quelques Français égarés. Les héros, pour cela, font notamment appel à des mercenaires belges et arment un vieux DC4 à moitié en ruine. Je passerai certaines étapes de la mission (livraison d’armes avec les Toubous, calculs du kérosène nécessaire, etc.) qui donne l’impression d’avoir été montée à la touriste, avec de nombreux paramètres laissés au plus pur des hasards.

Et pourtant les protagonistes réussissent leur coup de bluff. Enfin, c’est ce qu’il semble tellement j’ai survolé quelques pages en raison du dessin peu engageant. Habitué à des traits plus précis et des boîtes de textes bien dosées, Le Tigre a mal été servi. Sans compter des les deux héros aux regards insupportables et dont les visages sont fort mal esquissés. Pour une œuvre du début des années 80, le coup de vieux n’est jamais loin.

Le félin est sans aucun doute dur avec cette BD qui s’inscrit de surcroît dans un diptyque – lire le premier tome aurait pu être au préalable utile – et dont le scénariste venait de débarquer. Toutefois, sans l’ennui mortel d’une salle d’attente, je ne suis pas sûr d’avoir été capable de terminer Opération Tonnerre.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Faisons bref. D’une part, cette BD illustre l’espionnage à la française (tel qu’on pourrait l’imaginer à l’époque), fait de bric et de broc avec petit relent de Françafrique qui ne porte pas son nom. Des mercenaires en veux-tu en voilà, quelques barbouzeries dans un terrain de jeu grand comme vingt départements, des personnages qui ne roulent que pour leur pomme (à part nos deux vaillants Chevaliers) et n’hésitent pas à trahir.

D’autre part, le félin a eu peur au début en voyant le rôle occupé par le peu de femmes dans l’histoire. La blonde gentillette mais un peu craintive, la femme objet dont les interventions sont aussi poussives qu’inutiles. Sauf que…cette personne se révèle bien plus fatale que prévu. La blondasse qui se réveille, voilà un twist relativement surprenant qui avait éveillé mon attention à moitié morte.

…à rapprocher de :

Franchement, pas grand chose. Les Buck Danny de cette époque sont bien mieux léchés, il n’y a guère de comparaison qui tienne (à mon humble avis).

[Sous-titre : The Expanse 3. VO : Abaddon’s Gate] L’Humanité a essaimé dans le système solaire. Trois factions sont au bord de la guerre tandis qu’une molécule E.T. a créé un portail vers des destinations inconnues. C’est le grand test pour les humains qui devront montrer qu’ils avancent comme une seule personne et méritent de se voir ouvrir la porte vers d’autres mondes. Bien en deçà des tomes précédents, mais la lecture reste plaisante.

Il était une fois…

Les artefacts installés par la protomolécule sur Vénus se sont mis en branle, et ont créé près de Saturne un énorme portail (qui a tout du trou de vers) menant à un espace isolé. En alerte, les factions de l’Humanité (les Nations Unies, Mars et la Ceinture Extérieure) ont placé ce qu’il leur reste de vaisseaux scientifiques et militaires pour observer cette porte. Dont James Holden, à bord de son vaisseau le Rossinante, qui est poursuivi par quelqu’un qui cherche à l’humilier et le détruire. Très vite les évènements se bousculent et la presque intégralité des flottilles humaines passent le portail où attend un danger extrême qu’ils mettront un certain temps à mesurer.

Critique de La Porte d’Abaddon

Des chapitres alternant entre quatre personnages, une seule histoire, un seul lieu : l’orbite de Saturne. Le roman commence par Manéo, Centurien qui tente à la barbe de tous un exploit : passer la mystérieuse porte sans se faire prendre par les vaisseaux militaires. Il réussit, mais en meurt. Car ce qu’il y a derrière le portail est un univers sans étoiles (et où tout ce qui dépasse une certaine vélocité est ralenti), une sorte de carrefour immense avec d’autres portails sur les côtés et, en son centre, une sphère bleue programmée pour réagir selon le niveau de menace. C’est dans cet objet que James Holden, le protagoniste, entrera afin que lui soit révélée la vérité sur ce qu’est cet espace – et ce à l’aide du « fantôme » de Miller, décédé à l’issue du premier tome.

Outre le héros habituel, le lecteur suit 1) Melba, jeune femme ayant changé d’identité pour venger son père envoyé en prison pour avoir tenté de faire de la protomolécule une arme. Melba (dont le corps est subtilement modifié) voue une haine infinie à Holden et a tout préparé pour le discréditer, quitte à détruire à un vaisseau de la flotte terrienne ; 2) Bull (Copa de son nom), responsable de la sécurité du Béhémoth, vaisseau générationnel de l’APE (l’ancien Navoo, pour ceux à qui ça parle) converti à la va-vite en plateforme de tir. Bull est un Terrien et n’a pas la pleine confiance d’un équipage (formé sur le tard) de 1.000 personnes, parmi lesquelles des dealers, des putes, etc. ; 3) Anna, une religieuse méthodiste invitée parmi d’autres centaines de civils (représentants religieux, philosophes, artistes,…) sur un vaisseau de guerre des Nations Unies, et ce pour assister au plus grand évènement qu’est en train de connaître l’Humanité.

L’intrigue est relativement simple (comment faire en sorte que l’Humanité ne soit pas détruite par le portail ?), néanmoins l’écrivain prend son temps pour livrer des clefs de compréhension du pourquoi du comment du portail, et un gros tiers du roman consiste en des longues descriptions de la contre-mutinerie menée par un fou furieux sur le Béhémoth. Sur le style, toujours aussi précis, direct, mis à part les élucubrations mystérieuses sur ce qui intéresse tous les personnages : qu’est-ce que ce foutu portail et quel est son but ?

L’action se passe en quelques jours, est intense et le lecteur pourra avoir un petit regret à la fin : 700 pages pour ça ? A la limite, La Porte d’Abaddon peut apparaître comme une étape dispensable, un ouvrage qui se la touche en omettant soigneusement d’exploiter les possibilités offertes dès la fin du tome précédent.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Y’a pas à chier, James S.A. Corey aiment (car ils sont deux écrivains) les belles références littéraires. Après le Léviathan et Caliban, voici Abaddon, ange exterminateur de l’apocalypse. La porte de cet ange est d’un côté une magnifique promesse pour l’Homme – voir s’ouvrir des milliers de mondes où installer de nouvelles colonies –, mais de l’autre côté le centre de contrôle de cette porte est susceptible, s’il détecte un danger, détruire le monde de l’autre côté du portail des ennemis – c’est-à-dire faire péter les soleils de notre galaxie, et ainsi éviter la propagation du potentiel péril. En voulant tirer au laser sur la sphère bleue, le capitaine renégat du Béhémoth risque tout simplement d’éteindre l’humanité en pensant la sauvegarder.

Pour éviter cela, les protagonistes doivent initier un semblant d’unification, ce qui est loin d’être évident tant les antagonismes entre la Terre, Mars et la Ceinture extérieure (laquelle est encore en quête de crédibilité politique) sont forts. Sauf que calmer les craintes du portail requiert une confiance mutuelle délicate à mettre en place ; En ajoutant quelques considérations philosophico-religieuses mêlées de politique terre-à-terre sur l’énigme que représente la Porte (et comment les différentes congrégations dévotes vivent cet évènement), il y a de quoi avoir un petit aperçu de ce à quoi pourrait ressembler l’avenir spirituel de l’Homme.

Petit mot final sur James Holden, vaillant héros qui devient au fil de l’histoire un peu moins « parfait », plus brutal – ce qui déplaît légèrement à sa petite amie qui avait déjà brièvement mis les voiles. James commence même à développer une morale changeante, et dont les idéaux sont remplacés par un cynisme tendant vers le nihilisme – ce qui est compréhensible quand on voit ce qu’il se prend dans la gueule. Bref, il a été définitivement déniaisé.

…à rapprocher de :

– Il faut hélas commencer par les premiers tome, L’Éveil de Léviathan (lien) puis La Guerre de Caliban (lien), avant d’envisager de lire ce tome.

– La menace de la Porte n’est pas sans rappeler celle du Cycle des Inhibiteurs d’Alastair Reynolds, qui commence par L’espace de la révélation (lien).

[VO : The Lady of Zagreb]. Gunther est de retour, plus cynique et amoureux que jamais. Cela commence par une conférence des polices européennes fort ennuyeuse, et se termine par le souvenir d’une histoire d’amour avec la plus belle femme du monde. Entre les deux, de quoi faire basculer la neutralité de la Suisse ou mettre à mal la position d’Himmler en personne.

Il était une fois…

Le résumé proposé par l’éditeur est complet, rien à rajouter :

« Été 1943. Joseph Goebbels, ministre chargé de la propagande, demande à Bernie Gunther de retrouver la splendide Dalia Dresner, étoile montante du cinéma allemand en fuite à Zurich. Le détective ne peut refuser. Très vite, cette mission, à priori aussi engageante que l’objet de la recherche, prend un tour bien sinistre. Le père de la belle est un Croate antisémite de la première heure, sadique notoire, qui dirige un camp de concentration, tristement célèbre, de la région. Au même moment, la police suisse exige que Gunther fasse la lumière sur une vieille affaire qui risque de compromettre des proches de Hitler… »

Critique de La Dame de Zagreb

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il faut savoir que le félin a lu cet ouvrage en deux temps (séparés de deux bons mois), ce qui n’a pas aidé sa compréhension globale du sujet. Il faut dire que l’auteur britannique se plaît à rajouter des intrigues au beau milieu de l’intrigue principale, sans compter les évènements historiques qui ont leur importance dans la suite du récit.

S’agissant de l’histoire principale, la mission du héros est simple : faire en sorte que la belle Dalia, actrice dont s’est énamouré le claudiquant Goebbels, ramène ses fesses à Berlin où l’attend un film à tourner. Pour cela, Gunther file en suisse et se voit contraint d’aller enquêter sur le père de Dalia – qui se révèle être un homme abject, mieux vaut lui dire qu’il est mort. Au surplus, l’actrice n’est pas insensible au charme (mélange de désespoir et de cynisme) du héros qui se retrouve en moins de deux dans son lit.

En parallèle, le flic berlinois se fait quasiment alpaguer par les Suisses désireux d’en savoir plus sur les affaires d’une certaine société (Nordhav ou quelque chose de ce genre) important d’importantes quantités de matériaux depuis la Suisse. Rapidement, l’enquête prend un tour très politique, avec l’implication de hauts fonctionnaires pour faire croire à Hitler qu’envahir la Suisse serait tout sauf une bonne idée – en créant un faux plan de défense particulièrement retors mais crédible.

En outre, rajoutez quelques espions américains confondant Gunther avec le général Shellenberg, la SS désireuse de faire taire le protagoniste qui en sait trop, et un meurtre non résolu dans le lac devant la maison où vit Dalia et son cocu de mari, et voilà suffisamment d’ingrédients pour ne pas miser un kopeck sur l’avenir de Gunther…qui s’en sort évidemment avec un cul plus que jamais bordé de nouilles.

Ces différentes intrigues auraient pu aisément tenir en trois bouquins, seulement Kerr a décidé de tout regrouper, quitte à perdre le lecteur peut attentif. Heureusement que le style reste fluide, efficace, avec juste ce qu’il faut d’humour désabusé pour supporter les horreurs de la guerre (notamment le voyage en Croatie) et l’indécence des petits arrangements.

Thèmes abordés (du moins  selon Le Tigre)

Difficile de faire un tri parmi tous les sujets abordés, toutefois il est une constante dès les premiers chapitres : l’amour impossible, surtout celui entre Gunther et Frau Dresner. Une femme magnifique, hors du temps et de la guerre, sachant jouer de ses charmes et qui n’a pas la sexualité dans sa poche. Le temps que les tourtereaux passent ensemble est un bonheur partagé, et ce malgré les divers contretemps qu’ils subissent – mari suspicieux d’un côté, longues enquêtes et enlèvements de l’autre. Sauf que le lecteur se doute que les aventures de Gunther ne peuvent que se poursuivre sans Dalia, laquelle joue dans une division supérieure. Sans compter que le Reich a pris soin d’accrocher une assurance de retour au héros, à savoir un prompt mariage avant son départ en suisse (avec une femme quelconque mais gentille) afin que ne pas revenir à Berlin ne lui traverse pas l’esprit.

Philip Kerr nous relate, certes rapidement, une des atrocités de la guerre moins connue de votre serviteur : le consciencieux massacre, par les Croates (menés par l’Oustachi Ante Pavelic), des Serbes en plus des victimes « habituelles » (Juifs et Tziganes). En effet, en cherchant le père de Dalia, qui s’est fait moine quelque temps, Gunther traverse un pays sous la coupe des Nazis et mené par des tortionnaires. Les camps de concentration croates n’ont qu’à envier la méthodologie de leurs voisins allemands, car la sauvagerie (concours de qui découpera le plus de têtes) est globalement la même.

…à rapprocher de :

– De Kerr, la saga avec Gunther reste très agréable. Pour la première fois, j’ai abordé ce titre avant son prédécesseur, et j’ai eu un certain mal à raccrocher les wagons dans les premiers chapitres. C’est pourquoi il faut mieux lire tout ça dans l’ordre : La trilogie berlinoise ; La Mort, entre autre ; Une douce flamme ; Hôtel Adlon ; Vert-de-gris ; Prague Fatale ; Les Ombres de Katyn ; le présent titre.

La Paix des dupes se doit également d’être lu (longue uchronie sans conséquences sur la conf’ de Téhéran).

[Sous-titre : The Expanse 2. VO : Caliban’war]. La fin du premier tome avait laissé le lecteur sur sa faim, plein de questions demeurant sans réponses. Et la menace réapparaît sous une forme plus inquiétante, avec des kidnappings de gosses utilisés comme cobayes. Plus politique, plus fin sur les descriptions d’un conflit froid (qui se réchauffe certes), moins SF sans doute, mais quel joyau.

Il était une fois…

Une partie du quatrième de couverture résume bien le topo. Pour le rappel du 1er tome, un dangereux virus E.T. dont on ignore le but (la protomolécule) a bousillé un astéroïde entier et ses habitants. Derrière cette expérience ayant mal tourné, une firme terrienne qui aurait fait amende honorable depuis. Quant au héros et son équipage, ils sont employés depuis des mois par l’Alliance des Planètes Extérieures pour chasser du pirate. Mais ça ne durera pas : « Sur Ganymède, devenue grenier à blé pour les Planètes extérieures, un sergent des Marines de Mars assiste au massacre de sa section d’élite par un supersoldat monstrueux. Sur Terre, une personnalité politique de haut rang s’évertue à éviter un conflit interplanétaire. Sur Vénus, la protomolécule extraterrestre a investi la planète entière, menaçant de propager l’indicible dans tout le système solaire. Et à bord du Rossinante [le vaisseau de nos héros], James Holden accepte d’aider un scientifique de Ganymède à la recherche de sa fillette enlevée. »

Critique de La Guerre de Caliban

J’ai enfin pris de l’avance avec l’adaptation télévisuelle, dont la fin de la saison 2 correspond à peu près au milieu de ce tome ! Si la narration est globalement la même que l’opus précédent, avec les protagonistes qui à un moment donné se retrouvent tous ensemble à lutter contre des hybrides humains « protomoléculés », le lecteur suit non deux mais quatre personnages.

Holden, le héros tout désigné, le chevalier servant désireux d’exposer à tous les manipulations d’une partie du gouvernement des Nations Unies (la Terre), qui se retrouve comme par hasard près de Ganymède (satellite jovien) lorsqu’y survient un conflit assez trouble entre Mars et la Terre. On y apprend plus grâce au sergent Roberta Draper (Bobby de son petit nom), marine martienne qui a vu de près le genre de monstre qui a attaqué son unité sur Ganymède. Marine de l’espace, tactiques de combats, combinaisons surarmées, furieux désir de trouver les responsables, Bobby ajoute une touche définitivement « hard SF militaire » à l’ouvrage. De même, on suivra Prax, ingénieur agronome qui assiste impuissant à l’enlèvement de sa fille (porteuse d’une maladie génétique nécessitant des soins constants) et à l’inéluctable déchéance de l’implantation humaine sur le satellite en raison de la déliquescence (sous la forme de cascades d’évènements) des différents systèmes qui formaient un parfait équilibre. Avec le Dr. Prax, le lecteur aura de la SF écologique relativement réaliste.

Le dernier personnage, celui qui apporte une dimension supplémentaire à ce roman, est sans conteste Avarasala, assistante au sous-secrétaire d’État Erringwright, second poste le plus important dans la politique terrienne. Car le récit de la vieille dame nous entraîne dans les arcanes de la pure politique, là où les factions se tirent la bourre  – bellicistes menés par l’amiral Nguyen, grand taré s’il en est, contre des groupes plus pacifiques dont Avarasala fait partie – et où les réseaux, la communication de crise, les renvois d’ascenseurs, les négociations tendues et autres sont de mise.

Avarasala, en fin animal politique, mène rapidement le jeu en accaparant d’autres protagonistes, notamment Bobby dont elle fait son assistante personnelle. D’agent de liaison Terre/Mars dans un premier temps, la Martienne voit son rôle dangereusement flirter avec la trahison pour sa patrie, tandis que les évènements qui se succèdent (et où il apparaît qu’une faction du gouvernement a un labo planqué avec la protomolécule) contraignent également Avarasala à se placer en dissidente.

Il en suit un roman plutôt dense, avec des subtilités qui renforcent la profondeur des personnages, en particulier la liaison entre James Holden et Naomi. Amos le mécano bourrin et Alex le pilote flegmatique complètent un équipage dont l’avenir est souvent remis en question : que sont-ils, comment fonctionner, et quel but doivent-ils poursuivre ? Les dernières pages, où la protomolécule sur Vénus semble créer une mégastructure (fin du monde ou nouvelle opportunité ?), laisse penser que l’équipe aura du pain sur la planche…

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Que vient foutre Caliban dans le titre ? C’est la manie de l’auteur, de faire des références littéraires, que ce soit la bible (le Léviathan) ou, ici, à Shakespeare. Caliban, dans La tempête, est un monstre doublé d’un serviteur opprimé. Et renvoie, dans le présent roman, aux enfants enlevés et transportés sur Io (un autre satellite de Jupiter) aux fins de leur inoculer la protomolécule avec un programme « de contrainte » pour qu’ils gardent leur forme humaine. Sauf que ces « serviteurs » (qui ont vocation à être utilisés comme puissantes armes) sont évidemment incontrôlables et attaquent sans discrimination. Caliban, enfin cannibale, quand on connaît la propension de la molécule extra-terrestre à absorber toute matière organique présente afin de…faire quoi au juste?

Un autre thème saillant est la gestion de l’urgence et du stress. Stress post traumatique pour Bobby à la suite d’une escarmouche dont elle n’a rien compris ; colère mal contenue de Holden qui soupçonne un temps Fred Johnson, le boss de l’APE, d’être derrière une nouvelle fuite de protomolécule ; terrible inquiétude de Prax dont la fille est comme dans une boîte de Shrödinger, et qui une arme à la main ne parvient pas à maîtriser ses émotions ; jonglage politicien de la part d’Avarasala qui doit composer avec des abrutis (les va-t-en-guerre, un chef d’entreprise – Jules-Pierre Mao – sournois, les représentants de Mars) et des moyens souvent limités pour empêcher une guerre ; bref tout le monde est mis à l’épreuve lorsqu’il faut réagir au quart de tour alors que l’information accuse 30 minutes de retard en raison des distances. La dernière bataille est une parfaite illustration, les belligérants (Mars, le vaisseau des héros, des navires terriens renégats, d’autres loyaux) ne sachant pas réellement sur qui tirer. Résultat : un beau ballet politico-militaire qui a plus du cafouillage (avec la musique de Benny Hill en toile de fond) que de la bataille conventionnelle.

Question gestion de stress, il faut signaler que dès que la protomolécule fait son apparition, la raison se carapate derrière le cerveau reptilien (Holden qui voit les funestes filaments noirs, ou l’amiral Nguyen pétant une durite en fin de bataille).

…à rapprocher de :

– Il faut hélas commencer par le premier tome, L’Éveil de Léviathan, avant d’envisager de lire ce tome. La suite, La Porte d’Abaddon, est moins bonne.

– La référence à Caliban m’a rappelé la dense histoire Ilium, suivie d’Olympos de Dan Simmons, mélange de SF et de littérature classique qu’il convient de lire une fois dans sa vie.

Ach, la guerre, gross malheur. Sauf avec Bastien Vivès, qui est capable de tirer de l’absurdité de la violence pseudo-institutionnalisée quelque chose de poilant. Recueil de saynètes qui se laissent aisément liure, quelques pépites qui feront sourire, dessin un peu brouillon mais efficace. Dommage que ce soit court et inégal.

Il était une fois…

Un général soudain désireux de lancer une guerre sale version 14-18, des militaires devisant connement avant de lancer un assaut, Jules César en pleine crise existentielle, un soldat dégustant une bouffe infâme offerte par des autochtones, une guerre ouverte menée par les femmes contre les hommes, un projet pour supprimer les deux milliards de Terriens en trop, etc.

Critique de La guerre

Ce billet sera aussi bref que l’ouvrage, je vous préviens. Commençons par le trait de l’auteur. Un style particulier et reconnaissable entre mille : peu soigné en apparence, les illustrations (en noir et blanc) accusent quelques gros traits ici et là, et un décor suffisamment minimaliste pour que les personnages ressortent. Ces derniers n’ont presque pas de visages, des inconnus qui pourtant parviennent à être expressifs malgré l’absence d’yeux.

Deux dessins par page, une (ou jusqu’à une petite dizaine) de pages par sketch, et souvent la même image qui revient, avec d’infimes variations, le texte assurant seul le show. L’humour y est parfois bon enfant, de temps à autre longuet (l’histoire avec Jules César devient vite lassante), et parfois aussi insensé que deux camps se tapant dessus.

L’auteur ne se contente pas à discourir sur la guerre, il en va de toutes les rivalités (même à la maison), des armées rangées face à face aux guerres asymétriques, et le militaire bête et méchant (souvent gradé et dans son bureau) n’occupe qu’une place parmi les populations – ceux qu’on appelle pudiquement les civils, qui apparaissent être les seules victimes.

Bastien Vivès réussit à distiller de la tendresse pour tous ces personnages borderlines et un humour pas aussi décapant (ou fin) que le félin espérait parfait.

Thèmes abordés (du moins  selon Le Tigre)

Question tendresse, il y a une propension à donner un peu de dérision au militaire perdu dans ce qu’est la guerre au XXIème siècle. Terminées les divisions rangées en ordre d’attaque, finies les petites astuces tactiques vues dans les films,…la guerre telle qu’enseignée auparavant est passée, aussi beaucoup de scènes commencent dans un endroit calme où le général/commandant (César compris) a l’air de s’ennuyer ferme. Et réfléchit à sa condition à défaut de réclamer un conflit à l’ancienne.

Il apparaît (de mon humble analyse) que l’auteur associe la guerre à l’absurde, avec certaines discussions bellicistes saugrenues (pour ne pas dire déconnectées de la réalité) et qui fleurent bon la testostérone. Ou, lorsque tout est normal, les conversations sont d’une effrayante banalité, survient l’acte de guerre aveugle, le terrorisme qui relance salement les dés de l’infortune. Et rappelle que le terme « guerre » peut être rapidement invoqué pour mobiliser les masses.

…à rapprocher de :

De cet auteur, le félin se dit qu’il devrait lire un de ces jours au moins Polina ou Le Goût du chlore.

Une BD qui se moque férocement de la guerre est Das Kämpf, de Vaughn Bodé (lien). Différent, et plus vieux.