William S. Burroughs - JunkyVO : idem. Titre aguicheur, grand auteur de la Beat Generation (celle de Kerouac) aux manettes, il y a de quoi attendre de grandes choses. William qui rend compte de la misérable condition de junky s’exprime bien, mais ce n’est pas le pied non plus. Parfois très agréable à lire, souvent long et poussif, mais toujours saisissant.

De quoi parle Junky, et comment ?

Voici le premier roman de William Seward Burroughs, qui à l’époque a fait grand bruit (1953). Cette œuvre, quasiment autobiographique (le héros William Lee ne trompe pas), mérite de figurer dans la noble catégorie des essais. Tigre a toujours une excuse valable en vue de renflouer cette dernière, si vous ne l’avez pas encore compris.

L’auteur / essayiste nous livre quelques mois de son existence en tant que junky. De ses premiers fixes jusqu’à ses épisodes alcoolisés à Mexico, en passant par les menus larcins et essais en vue d’arrêter la came, c’est la goodlife version trip constant. Point d’apologie de la drogue, juste un triste constat de sa déplorable situation où le centre du monde est une seringue bien remplie.

Il n’y a pas que l’héroïne, d’autres substances sont abordées : le hash bien évidemment (il répète qu’on ne peut être accroc avec, mais insiste sur le danger de conduire sous son emprise) ; la cocaïne (même constat, hem…) ; les barbituriques ; mais surtout l’alcool qu’il s’enfile de manière impressionnante (quand il n’est pas sous héro) au risque d’avoir une crise d’urémie. A la fin du titre, l’auteur exprime même le désir de tester le yage (de provenance amazonienne), qui serait l’ultime défonce… S’il était vivant, serait pas déçu aujourd’hui le père Burroughs.

Sur le style, Tigre précise, à toutes fins utiles, qu’il n’y a aucun chapitre, trop peu de sauts de paragraphes. Heureusement que la taille de la police est élevée. Le problème, toutefois, est que l’auteur passe un temps excessif à discourir sur les gens qu’il croise, et franchement le lecteur pourra consulter un médecin pour décrochage intempestif de mâchoire. Cela fait certes très « cour des miracles », toutefois à partir du douzième gus croisé ça fait beaucoup.

En conclusion, si j’avais lu cet ouvrage avant d’en parcourir d’autres (cf. infra), j’aurais sûrement mis une meilleure note. Parce que Junky fait pâle figure par rapport à ce qui est sorti à l’orée du 21ème siècle. Comme quoi il peut être utile de reprendre des critiques de romans de temps à autre. Quant à la préface de Guinsberg, je ne l’ai pas particulièrement trouvée utile.

Ce que Le Tigre a retenu

La question qui se pose très légitimement est de savoir comment on devient un drogué. Et c’est là que la réponse est étonnante, car d’après l’auteur il faut sévèrement se piquer (deux fois par jour) pendant au moins deux mois avant d’avoir la guenon sur le dos. Ensuite le besoin physique s’installe, mais pas avant. Bon, une fois accroc, on semble l’être pour la vie : quelqu’un de clean mettra un temps extrêmement rapide à replonger, il n’est plus question de quelques semaines.

Plus généralement, le lecteur ne mettra pas longtemps à comprendre pourquoi Burroughs explique que la drogue est avant tout un mode de vie. La vie du junky tourne autour de la recherche de la précieuse marchandise : trouver la tune, un dealer, une veine où se piquer, etc. Et il appert que l’activité première de l’individu est l’attente. Corollairement, ce mode de vie entraîne une certaine déchéance : hygiène douteuse, vols, paranoïa, etc. Si vous rajoutez quelques expériences homosexuelles (dont avec des Mexicains), imaginez le bordel qu’a mis ce roman lors de sa publication au début des années 50.

Sinon, il convient de signaler que les autorités américaines sont loin d’être efficaces dans la lutte contre ce fléau. Déjà, bon nombre d’agents du Bureau des Narcotiques sont aussi marrons que l’héroïne pure qu’ils n’hésitent pas à vendre. Certains flics drogués continuent leurs piquouses dans le cadre de missions d’infiltration, pour eux c’est tout bénèf’. La priorité des autorités américaines est de criminaliser les consommateurs (les presser pour leur faire cracher leurs revendeurs), en faire des hors la loi alors que l’alcool provoque bien plus de dégâts. Quant aux politiques de prévention, quelle prévention ?

…à rapprocher de :

Le festin nu, du même auteur, paraît encore plus jeté.

– Sur la façon de devenir une droguée, y’a du bon matos (notamment su l’existence organisée autour de la drogue) dans Moi, Christiane F., 13 ans,…

– On retrouve bien les affres de la désintox’ et les semaines qui suivent avec Trainspotting, du grand Irvine Welsh (le film est très correct au demeurant).

– En bien plus sombre, vous aurez du mal à détourner des yeux de L’accroc, de Donald Goines. Le gus sait de quoi il parle aussi.

– En plus fun (donc moins crédible, alors que c’est pourtant véridique), le bon Hunter S. Thompson et son Las Vegas Parano ont fait fort.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Eric-Emmanuel Schmitt - Monsieur Ibrahim et les Fleurs du CoranAllez zou, Tigre s’entête en lisant tout ce que le bon Schmitt a pu écrire. Monsieur Ibrahim, c’est un sympathique musulman qui tient son épicerie dans un quartier populaire de Paname. Les Fleurs du Coran, bah c’est sa vision rieuse de la vie sous le prisme de l’Islam. Une sucrerie littéraire, ça se lit scandaleusement vite.

Il était une fois…

Accrochez-vous, Tigre va résumer ce très court roman qu’une fois. Aucun retardataire ne sera accepté :

Momo est un gamin d’une douzaine d’années dont le père, avocat divorcé ne foutant rien, est sur le point de se faire virer. Le papa est indigne et laisse son gosse s’occuper de toute la maisonnée, tout en lui rappelant à quel point son frère (qui est resté avec la mère) a ses préférences. Notre jeune héros commence ses aventures en fréquentant les putes dans le quartier où il vit. Sinon, il chourave quelques biens chez Monsieur Ibrahim, « l’Arabe » de la rue Bleue. Progressivement, une intense relation d’amitié se noue entre le vieux musulman béat et le jeune juif perdu.

Critique de Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran

C’est marrant, le destin d’une œuvre : Schmitt a écrit une pièce de théâtre interprétée par Bruno Abraham-Kremer qui joue le rôle du héros (qui est vieux et a des enfants). Puis l’auteur en fait un bouquin. Qui est repris en film (continuation du théâtre souvent) avec Omar Sharif. La boucle est bouclée ! Blague à part, Tigre a vite relu ce roman. Et sans sauter de lignes, je vous promets qu’en 16 minutes c’était terminé.

C’est un peu là le reproche qu’on peut faire à cet auteur : certes il parvient à faire court et puissant, toutefois il est de temps à autre très incomplet dans le traitement de ses sujets (sûrement pour laisser au lecteur le bénéfice de l’imagination). Monsieur Ibrahim… est un exemple flagrant. Du coup, Tigre a vraiment eu l’impression d’avoir affaire à une philosophie « prête à consommée », sinon un bouquin low cost.

Si le scénario démarre en trombe et présente quelques satisfactions capables de faire sourire, hélas quelques péripéties arrivent comme autant de vilains cheveux dans la soupe. Le décès de quelques personnages, un road trip européen invraisemblable, il est quelques scènes difficiles à se représenter. La lecture ne fut pas totalement une déception, en 50 petites pages (dans la version grand format) je n’ai pas eu le temps d’intérieurement pester contre Schmitt.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La religion est évidemment abordée, ici sous l’angle d’une branche (que Tigre ne connaît guère) de l’Islam, à savoir le soufisme. Apparemment c’est une pratique religieuse plutôt ésotérique qui fait la part belle à la contemplation et la sagesse en général. Il n’y a qu’à voir le père Ibrahim qui conseille à Moïse de sourire à tout bout de champ pour voir l’étonnant résultat. En sus, une brève introduction à l’art du derviche tourneur sera donnée au lecteur.

La tolérance et la lutte contre les préjugés. Déjà, le père du protagoniste est franchement patibulaire. En apprenant son histoire, le lecteur se sentira mal de lui en avoir rapidement voulu. Tout se mélange progressivement dans une M. Ibrahim n’est ni Arabe ni un musulman « classique » (dans le sens où sa pratique est étonnante), et Moïse devient Mohammed et prend le relai du vieil homme. Car selon lui, Arabe, ça veut dire ouvert la nuit et le dimanche, dans l’épicerie.

…à rapprocher de :

– D’Eric-Manu S., il faut rapprocher ce roman des autres qui font partie du Cycle de l’invisible (sur les religions) : Milarepa, Oscar et la Dame rose, L’Enfant de Noé, Le Sumo qui ne pouvait pas grossir, Les Dix Enfants que madame Ming n’a jamais eus.

– Tigre a plus kiffé, du même auteur, les géniaux La Part de l’autre, La Secte des égoïstes, Lorsque j’étais une œuvre d’art et quelques unes de ses pièces de théâtre.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Les Sutras du TigreLorsqu’il lit un roman, le lecteur ne pense pas vraiment comment l’auteur a pu se branler le mou pour découper son œuvre en différents chapitres. Exercice d’équilibriste pour les plus attentionnés des écrivains, pitoyable découpage au pifomètre pour d’autres, il y a matière à discuter. Le Tigre est aussi là pour ça.

Qu’est-ce que le Chapitrage ?

Le « Chapitrage » est un terme dont Tigre ignore s’il existe ou non. Pour moi, ça désigne simplement l’art de découper un roman en chapitres. Ceux-ci peuvent être numérotés (ou pas), avoir un titre (ou pas), faire l’objet d’un saut de page (ou pas). En fait, il suffit d’un espace plus conséquent qu’une unique séparation de paragraphe pour parler de chapitre.

Un chapitre est donc la dernière subdivision d’un roman. A mon avis cette nécessité de découper un objet littéraire ne peut être que d’obédience juridique : les premiers codes de lois obéissaient à l’impérieux besoin de ne pas perdre le citoyen lambda qui pourra s’y retrouver dans ce fatras d’interdits. Rien que le Code de Hammurabi fait état d’un corpus logique où les paragraphes sont suffisamment séparés pour qu’on puisse parler de chapitres.

Enfin, très souvent ces subdivisions donnent un indice dont un bouquin doit être lu. Le gros Zola appelle à la patience et à la contemplation tandis qu’un Maxime Chattam indique que cela doit être vite lu comme on se débarrasse d’une brûlante patate. Entre ces deux extrêmes, c’est une jungle de décisions artistiques arbitraires que je m’apprête à débroussailler.

Pourquoi ?

Pourquoi s’intéresser de la sorte au chapitrage ? C’est évident : quelqu’un qui n’a pas bien bossé la manière dont ceux-ci sont distribués pourra rendre un roman excellent presque illisible. Tigre va pousser le vice jusqu’à effectuer une audacieuse comparaison entre un livre et un film ou une série. Ces items culturels se dévorent, et dans tous les cas il est impératif d’éviter l’indigestion.

Une série d’une heure sans pause ni temps mort, c’est le vilain petit canard de toute chaîne de TV qui se respecte. Tout comme un film dont l’action est continue. Comment caler la publicité lorsque l’action ne s’arrête pas et qu’aucun fond noir n’apparaît ? Plus prosaïquement, quand le spectateur pourra-t-il mettre sur pause en vue d’aller pisser ? Tout est question de rythme, de gestion de temps afin de doser passages qui bougent de descriptions un peu chiantes. Et surtout laisser la populace admirative reprendre son petit souffle.

Je ne parlerai pas des essais, puisque les parties répondent à une logique que je qualifierai « d’estudiantine ». Cohérence et logique universitaire sont les maîtres mots, il faut en parcourant la table des matières savoir de quoi il retourne. Je n’évoquerai pas plus des chapitres des comics, ceux-ci sont particuliers et répondent à une logique plus mercantile : avant que vous ne teniez entre les pognes un gros Batman, il faut savoir que celui-ci est sorti dans les kiosques chapitre par chapitre. Il convenait donc de donner envie au lecteur de sortir son porte-monnaie pour la semaine d’après.

Quels sont les façons de diviser un roman ?

Discourir des auteurs qui gèrent en bon père de famille leurs chapitres n’est pas vraiment intéressant. Le Tigre préfère largement dénoncer ceux qui font de la merde (ou presque). Je distingue quatre styles pour l’instant, bien évidemment d’autres doivent exister :

1/ Le jean-foutre

C’est le gus qui n’a rien à carrer de la division de son livre. Tellement concentré sur sa prose, l’auteur en a complètement zappé la mise en forme. Soit il laisse l’éditeur se démerder, soit il le fait lui-même pendant qu’il regarde la demie-finale féminine du championnat du monde de curling. A partir de là deux types d’auteurs sévissent :

Un, il décide de ne pas mettre de chapitres, ou alors très peu. Et l’éditeur ne dit rien. C’est un peu ce que ces branques de Gallimard ont accepté avec le bon Littell (le fiston) : Les Bienveillantes doit avoir trois chapitres. Sur 1.000 pages, le ratio est scandaleux. Tigre avait attendu un saut de page tel un Israélite attendant son prophète, ce fut très douloureux.

Deux, l’auteur place les marquages au petit bonheur la chance. Le touriste de base qui décide d’un nouveau chapitre comme un chanoine prélevait la dîme dans une récolte : à l’œil, et surtout selon l’humeur. Sauf qu’à bien choisir, on aurait préféré qu’il n’en fasse rien. Parce que ça entame sérieusement la concentration du lecteur. Celui-ci, espérant faire une pause entre deux chapitres, s’apercevra rapidement qu’il ne peut compter sur les propositions de l’auteur pour arrêter momentanément la lecture. Trahison totale.

2/ Le vilain « cliffhangueur »

Plus qu’un banal écrivain, notre ami est rompu aux techniques de marketing de l’infâme univers télévisuel. Il maîtrise comment allègrement faire monter la pression, et n’a pas peur de laisser le lecteur frustré à la fin du chapitre. Cela arrive souvent dans les mangas, ce qui est normal puisque la problématique marketing est la même que pour les comics U.S.

Seulement quelques thrillers y vont de la même recette. Je pense notamment au gros James Patterson qui a trouvé la formule magique pour nous empêcher de placer un marque-page à la fin d’un chapitre : en effet, l’Américain est capable de présenter 70 chapitres pour un roman d’à peine 300 pages….vous voyez le souci ? Comme un appétissant macaron, je me suis plus d’une fois dit, in petto : « allez, un petit dernier pour la route ». Erreur fatale.

Le problème avec cette technique narrative est la vicieuse impression de ne jamais en avoir assez. L’action se termine en plein milieu d’une partie, suivie d’un temps mort pendant lequel une nouvelle péripétie se met en place. On arrive à une nouvelle énigme en fin de chapitre, et l’excitation est alors maximale à ce moment. Voilà ce qu’est le cliffhanger : on termine la partie avant le terme du dénouement qui sera rapidement expédié dans la prochaine partie. D’ici là, une autre intrigue se met en place. Cercle vicieux comme on on en fait rarement.

3/ L’aérateur éhonté

Je vais faire court : Le salopiaud profite des divisions de son titre pour étoffer la largeur de l’objet. C’est-à-dire qu’il laisse volontiers une page pleine (au moins) entre deux chapitres. Et comme par hasard, son texte avant coupure se termine en haut d’un page. Pratique non ? Souvent cela s’accompagne d’un ratio chapitres / pages des plus ridicule. A la limite, je leur dirai « vas-y mon ami, ne t’emmerde pas : fait coïncider tes paragraphes avec tes chapitres ! T’es plus à ça près. »

Vous voulez des noms ? Rien de plus facile : Amélie Nothom, Fric-Emmanuel Schmitt, Frédéric Dard (dans une moindre mesure), Didier Van Cauwelaert, et tant d’autres. On pense acheter un roman de taille correcte. Mais si on ôte les divisions du chapitrage en plus de revenir à une taille de police non destinée aux vieux presbytes, le roman est capable de perdre au moins 40% de sa masse. En euros, ça fait combien ?

4/ Il professore

Le professeur, comme son nom l’indique, est cultivé. Il ne peut guère s’empêcher d’étaler son savoir. Sauf qu’il y a tellement à tartiner que ça déborde sur l’intitulé du chapitre. Soit il fait péter quelques douces références qui amèneront le lecteur à se creuser la cervelle avant d’entamer la première ligne de chaque chapitre ; soit seul le titre du chapitre invite à la réflexion. C’est ce que San-Antonio fait si souvent avec des parties en calembours ou autres jeux de mots.

Bernard Werber est fan de cet exercice dans la mesure où avant de continuer son histoire il n’hésite pas à sortir quelques textes annexes. Par exemple, dans la trilogie des Fourmis, Nanard émaille à chaque début de partie les bons mots d’un mort qui a publié une très cheap « Encyclopédie du savoir relatif et absolu ». Adolescent, c’est fort intéressant et on en redemande (il a fait un roman unique dessus d’ailleurs) ; adulte, on peut être rapidement gavé.

De même, Tigre a rencontré dans un bouquin de Dantec quelque chose aussi original qu’inutile : les numéros de chapitres aléatoirement délivrés dans différentes langues. français, mandarin, allemand, dogon, afrikaaner, anglais, japonais, n’en jetez plus ! N’ai pas bien compris l’intérêt de l’exercice, mais eu égard le profil de l’écrivain je me suis dit qu’il aurait pu faire bien pire.

Conclusion chapitreuse

Alors, qu’est-ce que préfère Le Tigre ? Je vais louvoyer et dire que cela dépend des romans. Et souvent cela ne se passe jamais comme prévu : lorsque j’attends d’un Guimauve Musso qu’il me livre sa guillaume en un bloc afin que je le lise d’une traite sans me poser de questions, il fait le contraire. Inversement, Peter F. Hamilton est capable de me laisser en plan sur plus de 20 pages inchapitrées au cours d’un pavé de 1.000 pages. Pour le coup, j’aurais préféré plus de chapitres et 1.200 pages. J’aurais l’impression d’aller plus vite.

Sinon, pourquoi le numéro 84 au présent Sutra ? Tigre a eu envie de brièvement vous parler d’un auteur qui à un moment s’est éperdument moqué du chapitrage. C’est Richard Milward (né en 84) dont le roman Block Party ne possède aucun chapitre, ni de paragraphe ! 1984 ? Best year to be born…

Vercors - Les Animaux dénaturésUne équipe de scientifiques (plus un journaliste) découvre une population dont on se sait si celle-ci est humaine, et c’est parti pour une prise de tête mondiale sur ce qui fait l’Homme. Vercors a presque pensé à tout, bravo à lui. Mais malgré 280 pages très aérées, Tigre a trouvé le temps long. La plume de l’auteur n’est pas de toute fraîcheur et le début est loin d’être intéressant.

Il était une fois…

En Nouvelle-Guinée, une équipe de savants auxquels s’est joint le journaliste Douglas Templemore cherche le fameux « chaînon manquant » dans l’évolution du singe à l’homme. En fait de fossile, ils trouvent une colonie, bien vivante, de quadrumanes, donc de singes. Mais a-t-on jamais vu des singes troglodytes et enterrant leurs morts ? Tandis que les hommes de science s’interrogent sur la nature de leurs « tropis », un homme d’affaires voit en eux une potentielle main-d’œuvre très bon marché. En vue d’empêcher cela, Doug commettra quelque chose d’horrible pour qu’on statue sur leur humanité ou non.

Critique des Animaux dénaturés

Si je me suis autant inspiré du quatrième de couverture dans le paragraphe précédent, c’est que ce dernier nous promet un « vif divertissement » et une « allègre satire ». Or il n’en est rien, Tigre n’a jamais esquissé le début d’un soupçon de sourire. Pire, j’ai eu hâte que le titre de l’écrivain français se termine.

J’ai eu en outre énormément de mal à entrer dans le roman. Il y a certes peu de protagonistes (le journaliste Doug, la charmante Frances, quelques membres de l’équipée, etc.) mais il me fut difficile de savoir qui était où, et pourquoi sur les premiers chapitres. Mon intérêt s’est éveillé lorsque le héros consent à tuer son fils naturel (il a inséminé une Tropi ramenée de la jungle) en vue de provoquer l’attention sur le sort de ces singes humanisés. Sauf qu’aucune définition de l’être humain n’est disponible, et il s’avère vite que sans législation adéquate les jurés ne peuvent pas faire grand chose.

Si les réflexions scientifiques / sociologiques / anthropologiques / voire religieuses ne sont pas inintéressantes, celles-ci sont gravement desservies par un style trop vieilli. Humour désuet, comique de situation très british, verbiage pseudo intellectuel des savants, Tigre fut rapidement gavé. En sus, une intention louable de l’auteur se révèle très lassante à la longue : celle de présenter chaque chapitre par des phrases nominales censées le résumer. J’ai vite appris à les zapper, et me suis demandé si l’inverse aurait été possible (ne lire justement que ces courts résumés).

Pour conclure, c’est une œuvre tout à fait correcte mais qui a terriblement mal supporté le poids des âges (cf. infra). Écrit gros, moins de 300 pages, il est possible que vous le dévoriez l’espace d’une journée. Sinon, tel Le Tigre, vous lirez toujours plus vite pour en venir à bout.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le chaînon manquant entre le singe et l’homme est potentiellement le Tropi (thropos, homme, et pithecos, singe). Pour cela, tous vont se livrer à des expériences de pensées afin de savoir dans quelle case mettre le foutu bestiau : par rapport au langage ; possession ou non de gri-gri ; usage du feu ; curiosité quant aux choses de l’esprit, etc… Les discussions entre membres de la commission ad hoc pour décider de la définition de l’Homme sont assez édifiantes sur ce point. Et si la réponse venait du comportement des Papous à leur égard ? Au final, le titre est bien pensé, puisque l’animal dénaturé reste bien l’Homme, qui selon ses comportements passe d’une classe à l’autre.

C’est intriguant, mais au fil de la lecture Tigre a cru discerner quelques considérations hautement racistes. Déjà, les Papous de Nouvelle-Guinée ne paraissent pas être considérés comme des hommes. Ensuite, quelques remarques des scientifiques pour juger les tropis sont très oldschool : mâchoire prognathe (comme les Nègres, qu’ils disent), front fuyant, nez,…. En outre, plus d’une fois la comparaison est faite avec les « négrillons » qui se situent en-deçà de l’Homme blanc quant à l’évolution humaine. Alors soit cela était l’état de l’anthropologie à cette période, soit Vercors a grossi le trait des individus pour en faire des caricatures destinées produire des situations cocasses.

…à rapprocher de :

– A signaler que Vercors en a fait une pièce de théâtre, qui se nomme Zoo ou l’Assassin philanthrope. Délicieux oxymoron.

– Sur la recherche du « chaînon manquant », le très rentable Bernard Werber a apporté sa pierre à l’édifice avec Le Père de nos pères. SPOIL : c’est un hybride singe / cochon.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce titre en ligne ici.

Winshluss - PinocchioTigre n’était pas loin de la claque littéraire avec ce roman graphique qui offre une version modern-trash de Pinocchio. Imaginez : une histoire réadaptée qui part aux quatre coins de la rose des vents, des illustrations sales mais puissantes, il y a largement de quoi halluciner. Du grand art même si certaines références me sont passées au-dessus de la tête.

Il était une fois…

Gepetto, ingénieur qui présente un complexe d’infériorité certain, développe un robot-soldat (le fameux Pinocchio). Sa machine ne rencontre hélas guère les attentes des soldats, en outre le pantin de fer quitte le foyer après avoir grillé la femme de l’ingénieur qui voulait chevaucher son nez. En guise de criquet, c’est un cafard alcoolo et dégagé par ses semblables qui va trouver refuge dans le crâne du jeune héros. Et ce n’est que le début, tout va vite partir en sucette : les aventures du personnage de Carlo Lorenzini vont prendre une tournure autant moderne qu’horripilante, et ce avec un minimum de texte.

Critique de Pinocchio

Winshluss est un auteur / illustrateur qui a notamment travaillé avec Marjane Stratrapi sur Persepolis. Il n’en fallait pas plus comme carnet d’adresses pour que Le Tigre se procure Pinocchio, et le résultat fut au-delà (trop même) de toutes mes attentes. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi cet album a gagné quelques médailles (notamment le prix de la BD d’Angoulême).

Laissant ma fierté de côté, je vais avouer quelque chose que je n’imaginais pas devoir dire avant longtemps : ça part vraiment trop dans tous les sens. Et je n’ai pas mis longtemps à découvrir le pourquoi du comment : comme un con, je n’ai jamais lu (ni vu, pire) l’original. Aussi les nombreuses références (Pinocchio pendu, le séjour dans un endroit dédié aux loisirs, etc.) à cette histoire déformée par les bons soins du Dr. Winshluss sont plus délicates à saisir pour un touriste de premier plan tel que Le Tigre. Il m’a fallu un certain temps pour comprendre que les fils des différents scénarios ne sont qu’une seule grosse belote à la cohérence éprouvée.

Heureusement, il n’y a quasiment pas de texte (à part les parties avec le cafard) dans Pinocchio. Tout est dans les illustrations, et quelles illustrations ! Aidé de Cizo à la couleur, l’auteur français a dessiné quelque chose à la mesure du très malsain scénario. En parcourant les pérégrinations post-titanic de Gepetto, il y a une sorte d’hommage appuyé à des illustrateurs comme Vuillemin : grossier (mais pas tant que ça) et salement colorié, les teintes « caca d’oie » tirent régulièrement la bourre aux tons glauques.

Le dernier bon point, c’est la qualité du roman graphique. Le pavé est solide et a l’heur de présenter une couverture qui annonce l’adaptation de tête brûlée du conte pour enfants. Et sobre avec ça, aucun quatrième de couverture ! En guise de conclusion, une expérience pour les yeux que je conseillerais à tout le monde.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Les contes réactualisés. En fait, il s’avère vite que Winshluss a piqué quelques éléments à différents contes, à la limite du cross over. Que ce soit l’île enchantée qui tombe sous la coupe (un peu trop gros) de vilains loups fascistes ou une Blanche Neige ressuscitée par sept nains grâce à une transplantation de cœur, l’auteur a mis au goût du jour les histoires de notre enfance. Encore mieux, l’humour bon enfant de ces textes s’est transformé en quelque chose de caustique et profondément irrévérencieux.

Circonstance aggravante, ce « conte de fées » (c’en n’est plus un) est avant tout destiné aux grandes personnes. La transformation en un digne cauchemar n’attend pas, avec des anti héros pitoyables et des bêtes peu reluisantes (je pense au serpent/œil). Deux exemples : le cafard collectionne les murges et refait le monde avec ses compagnons de beuverie (scènes d’anthologie) ; ou les sept nains qui ne pensent qu’à sauter Blanche Neige (qui aura une expérience lesbienne) avant de violer Gepetto. Dans l’ensemble, les plus terribles travers de l’être humain (avarice, racisme, meurtre, drogue, suicide) rythment cette œuvre déroutante. Beaucoup de caricatures qui feront rire, hélas souvent jaune.

…à rapprocher de :

– Puisque j’en parlais, on peut admirer le style de Vuillemin dans ces albums des sales blagues des échos. Tigre possède l’intégrale, qui est franchement corrosive.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman graphique via Amazon ici.

Eric-Emmanuel Schmitt - Le sumo qui ne pouvait pas grossirPoursuivant son fameux « cycle de l’invisible », le père Schmitt nous convie au Japon avec un jeune homme qui va devenir un grand sumo malgré son gabarit de geek. Genre de roman qui peut se lire en une petite demie-heure, Tigre a hésité entre être soufflé par tant d’audace (faire court et bon) et crier au scandale, puisque c’est presque de la guimauve consensuelle.

Il était une fois…

Hop, encore un copier-coller de la présentation du roman par l’éditeur. Pour un roman d’à peine 100 pages extrêmement bien aérées : je ne vais pas me gêner :

« Sauvage, révolté, Jun promène ses quinze ans dans les rues de Tokyo, loin d’une famille dont il refuse de parler. Sa rencontre avec un maître du sumo, qui décèle un « gros » en lui malgré son physique efflanqué, l’entraîne dans la pratique du plus mystérieux des arts martiaux. Avec lui, Jun découvre le monde insoupçonné de la force, de l’intelligence et de l’acceptation de soi. Mais comment atteindre le zen lorsque l’on n’est que douleur et violence ? Comment devenir sumo quand on ne peut pas grossir ? Derrière les nuages, il y a toujours un ciel… »

Critique du Sumo qui ne pouvait pas grossir

Si Le Tigre a attribué une note relativement négative à ce roman, c’est que j’ai eu le sentiment que l’écrivain français s’était un peu foutu de ma gueule : presque deux pages entre les chapitres très couts, style minimaliste, pour plus de 10 euros je l’ai eu mauvaise. En sus, l’environnement qu’il développe est fort pauvre. Alors certes cela permet de faire travailler l’imagination du lecteur, mais le risque, énorme, est de combler les trous avec nos stéréotypes (et y trouver son compte).

Quant au mignon scénario, le lecteur porté sur le zen sera profondément déçu. Schmitt s’adresse à un large lectorat, et c’est ce qui fait aussi son succès. Malgré son air de vermisseau (la maigreur en fait) le héros Jun va être « coaché » par Shomintsu qui dirige une école de sumo. Onirique, quelques passages qui laissent rêveurs, ne vous attendez surtout pas à un quelconque réalisme sur une école de sumotoris (avec les scandales des années 2000). Bref, à emporter pour une lecture en quatre-deux sur la plage.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le bouddhisme tendance « zen » est rapidement abordé dans ce roman. Et peut-être est-ce pour cela que Le sumo qui ne… a cette structure « simpliste ». A l’image de cette religion (qui à mon sens n’en est pas une), le roman se veut sobre, accueillant et rieur. Il n’y a qu’à regarder des statues du gros Bouddha en train de calmer son interlocuteur (position reprise par quelques politiques) pour comprendre la bonté du message véhiculé.

Si la recherche du bonheur selon l’auteur n’est pas si difficile à trouver, et qu’il suffit en fait de se contenter de ce qui nous arrive et ne pas espérer plus, la volonté de l’être humain compte également. L’art du sumo fait corps avec le besoin du protagoniste de se dépasser tout en acceptant sa modeste condition. Jun ne saute pas d’étapes : du statut de spectateur à celui de futur père (fin touchante au demeurant), chaque évolution est pensée et intégrée dans le cycle du jeune homme (qui s’intègre socialement par la même occasion).

…à rapprocher de :

Cette oeuvre s’inscrit dans le « Cycle de l’invisible », traitant des religions à travers le monde : Milarepa, Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, Oscar et la Dame rose, L’Enfant de NoéLes Dix Enfants que madame Ming n’a jamais eus. Et ça ne semble pas fini.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici. Vu le prix, je ne vous le conseille pas.

Cedric Citharel - On les croise parfoisÉcrit par quelqu’un qui était de la maison, la fiction ne s’est jamais autant appuyée sur la réalité. Le résultat est un roman sur le monde interlope et incestueux de la politique (avec un très petit « p ») comme on le lit rarement : affairisme, petits arrangements entre amis, élite nécrosée, presque Le Tigre a été révolté en refermant la chose.

Il était une fois…

Geoffrey est une sorte de lobbyiste, disons qu’il travaille surtout dans le renseignement économique. Par de tortueux moyens il parvient à « recruter », sans qu’elle ne le sache, une jeune mannequin d’ascendance autrichienne (Liza). Pendant ce temps, Vassili écume l’Europe pour remplir ses contrats de tueur à gages et Pierre-Yves s’installe à son nouveau poste de « correspondant » (espion) à Vienne. Dès que la belle Liza se met à sortir avec le Président de la République qui n’est pas sans rappeler un certain Nicolas S., nos « héros » (en plus de quelques banques) vont être sur le pied de guerre.

Critique d’On les croise parfois

D’habitude, Tigre ne bouffe pas d’auteurs auto publiés. Suis trop attaché au format papier et il y a une armée de tels écrivains qui frappent à la porte de ma tanière (au moins). Toutefois, en rencontrant (par hasard) cet auteur, rien que son parcours m’a décidé à faire une exception. Un ancien militaire, diplomate qui a démissionné après avoir été « lassé » (c’est en postface) des mesquineries des hommes de l’ombre, le sujet s’annonçait intéressant.

Et ça l’est drôlement, la maîtrise de l’auteur est totale, peut-être à part certains passages du tueur à gages où on sent l’auteur moins prolixe, et encore. Les actes des protagonistes ne sont guère reluisants, chacun cherchant à protéger son derche face à des missions en apparence impossibles. Avec un dénouement déplorable d’amoralité, Tigre a été plus que satisfait. En sus, quelques anecdotes feront de vous le compagnon idéal des chics dîners en ville. Par exemple, les espions / ambassadeurs prennent toujours le deuxième plat le plus cher du menu lorsqu’ils graillent ensemble. Délicieux.

Le risque aurait été que M. Citharel écrive comme ses anciens collègues (il donne d’édifiants exemples de rapports de services). Mais le style est relativement fluide, si on ne tient pas compte des explications barbouzardes (process de rémunération, commissions et doubles rétrocommissions,…) au cours desquelles j’ai été plus d’une fois correctement largué. Pour conclure, avec sept chapitres bien dodus (avec des séparations dès qu’on change de personne), voilà un bon roman qui aurait mérité un autre titre. Certes on croise (en l’ignorant) de tels individus, mais c’est mal rendre compte de la richesse du bouquin.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

En fait les individus de l’ombre croisés n’ont de noblesse que celle que certains films véhiculent. Outre leurs dents qui rayent le parquet, nos anti héros ont d’énormes oursins dans les poches. Attachés d’ambassade, flics en filature, chacun ne pense qu’à déduire de ses notes de frais tel ou tel restaurant. Les maître mots sont « justification » et « frais de représentation », seulement on ne met pas longtemps à comprendre leurs basses combines. Notamment avoir des sources fantaisistes, hélas au bout du compte c’est le contribuable qui trinque.

Ce qui m’a frappé, même si je le subodorais, est l’attitude des médias qui sont littéralement aux ordres du pouvoir. Il suffit que le directeur de com’ de l’Élysée soit indisponible, et plus rien ne sort sur le Président ! L’unique déclencheur pour que les rédacteurs se sortent les doigts du cul, c’est quand les infos sont diffusées dans les journaux étrangers ou sur le net. Triste. Cedric a également choqué Le Tigre en insinuant que « Le journal de Liza O. » d’un célèbre hebdo est préalablement relu par les services présidentiels. Ce qui signifie que « Le journal de Carla B. » & Co du Canard enchaîné ont subi le même sort ? Un mythe s’effondre brutalement.

Plus généralement, ce sont les liens incestueux entre les différents pouvoirs que l’écrivain souligne. Tigre a l’impression qu’il n’y a qu’en France que tout est si allègrement mélangé : politiques qui carburent aux amphèt’ (d’où un certain malaise vagal…), barbouzes, artistes, hommes d’affaires (vive les délits d’initiés), tous ceux qui pèsent dans l’Hexagone se connaissent bien. Souvent issus des mêmes écoles (Geoffroy passe par les camarades de promo pour atteindre ses futurs clients), ils vont se pinter la gueule aux mêmes soirées et se renvoient tellement de fois l’ascenseur qu’on pourrait faire deux allers-retours vers la lune avec. De quoi gerber (et je reste poli).

…à rapprocher de :

– Sur les petites mesquineries et l’aspect « artisanal » de la gestion de l’Etat, Tigre peut vous renvoyer vers les hilarantes BD des Chroniques du Quai d’Orsay, de Blain et Lanzac (tome 1 et tome 2 sur QLTL).

– En nettement moins drôle, il y a Propagande noire, de Fenec et Malafaye. Comme avec On les croise parfois, l’auteur était dans la boutique avant d’écrire son roman.

– Du coup, peu de choses sur le « service opérationnel » de la DGSE, et là je peux vous renvoyer vers Un agent sort de l’ombre. On retrouve bien les liens services secrets / monde des affaires.

Enfin, puisque l’éditeur qui avait publié ce roman en format papier a fait faillite, vous pouvez trouver ce roman (format numérique) via Amazon ici.

Craig Thompson - BlanketsVF : Manteau de neige. Oh la belle claque visuelle et sentimentale qui a envahi Le Tigre ! Blankets, pour la couverture du lit, au début du roman, et le manteau neigeux, omniprésent dans cette région au climat souvent excessif. Le narrateur se livre, sans fausse pudeur, pour une aventure biographique aussi pure que les premières neiges.

Il était une fois…

Craig Thompson vit au fin fond des États-Unis (le Wisconsin, arf) avec sa petite famille. Lui et son frère Ben (plus jeune) sont élevés par les préceptes de la religion baptiste et le daron est une figure d’autorité assez impressionnante. C’est au cours d’un « bible camp » (genre JMJ mais sans le sexe) qu’il rencontre la sublime Raina avec qui il se lie autant d’amour que d’amitié.

Critique de Blankets

La bande dessinée est un grand art. Et Blankets m’a paru être la définition du roman graphique par excellence. Du genre à pondre un résumé de 2.000 mots si mon cahier des charges le permettait. Un titre à conseiller à tout le monde (sans discrimination d’âge), plus abordable à mon sens qu’Habibi (qui est d’une longueur dingue).

Le scénario est intensément autobiographique mais sur une période finalement assez courte : Craig nous livre sa jeunesse (le début onirique des frangins luttant contre la marée est somptueux) ; son premier (et unique ?) amour ; sa relation avec la famille, avec Dieu, la neige, le dessin, la bonté, l’abnégation, tout quoi ! Et le résultat est, en un mot, touchant. L’auteur nous raconte tout sans fard, avec une dose intimité qui jamais ne se rapproche d’une quelconque pudibonderie, bref c’est somptueux.

Le noir et le blanc passent très bien, pourtant la simplicité du trait (qui fait penser à du Guy Delisle) aurait pu mal rendre émotions et traits des protagonistes. Or il n’en est rien, tout prend rapidement vie aux yeux du lecteur. Car sur quelques éléments de l’environnement, Tigre a pressenti un travail d’orfèvre. En outre, Craig T. est parvenu à ne placer aucun dialogue superflu, et les petites traces d’humour distillées apportent une fraicheur toute bienvenue.

En conclusion, avec près de 600 pages de poésie avec des dessins d’une rare finesse, Tigre a été séduit (je m’en doutais, sinon je ne l’aurais pas dès sa sortie acheté en VO). Je n’ose imaginer combien de temps le romancier/illustrateur a mis pour finaliser l’ouvrage, chapeau bas.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La religion est au cœur de l’ouvrage puisque l’éducation du jeune Craig est puissamment tournée vers les Saintes Écritures. Sauf que l’auteur s’éloigne peu à peu de cette communauté religieuse pour enfin ne plus partager leurs idées. Cependant, nul dénigrement, et encore moins de la dénonciation ou de la moquerie (ce qui serait pire). Tout en respectant les croyances de ses proches, il expose les quelques raisons qui l’ont amené à un tel éloignement.

Parallèlement à la religion, l’amour tente de se faire une place. Ça peut très bien coller entre frères, avec quelques souvenirs de jeunesse d’anthologie. Voire avec la belle famille de la belle Raina, notamment ses frère et sœur adoptifs qui sont handicapés mentaux. Laura (la sœur), en particulier, est attachante comme tout et invitera le lecteur à porter un regard nouveau sur la trisomie (si c’est ce dont elle est bien atteinte).

Avec Raina, la complexité est de mise : les deux tourtereaux sont amoureux, point de discussion là-dessus. Toutefois Craig éprouve quelques désirs ne collant pas vraiment avec les préceptes moraux qu’on lui a enseignés (et qui font partie de sa personnalité). Avoir une solide gaule quand la miss l’invite à partager sa couche (sans arrière pensée aucune), ça fait désordre. Finalement il s’en accommode, et les quelques escapades « tactiles » des deux adolescents transpirent autant la sensualité fiévreuse que la promesse de ne pas aller plus loin. Quasiment parfait si l’idylle ne se terminait pas aussi trivialement, à cause de la distance.

J’ai conscience que ces deux thèmes sont totalement bateau, mais je n’y peux pas grand chose. J’ai encore plus conscience que ce post rend mal compte du travail de Craig, qu’il me pardonne.

…à rapprocher de :

Habibi, du même auteur, m’a un poil découragé. Si vous voyez le pavé, vous me comprendriez volontiers. Mais promis, un beau jour, ce sera sur QLTL.

– Dans la catégorie « bd autobio (ou presque) qui m’a arraché, à l’insu de mon plein gré, une larme », il y a le mondial Maus, de Spiegelman.

– Puisque je parlais de Guy Delisle, vous trouverez quelques uns de ses romans graphiques ici (mon préféré), ou de ce côté. Même type de dessins.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pourrez trouver ce roman graphique via Amazon ici (en VF).

Battaglia & Toppi & Buzzelli - La Grande GuerreSous-titre : L’entre deux-guerres (suite du précédent). Ce n’est pas nul, loin de là, certes. Mais vraiment pas fameux comme BD : on reconnaît bien tous les grands protagonistes de cette époque, toutefois ceux-ci débarquent dans les planches sans réelle logique ni fil scénaristique cohérent. Bref, les années 70 auraient du se contenter du disco (d’ailleurs, jetez un œil à la couverture).

Il était une fois…

De janvier 1914 à mi-1939, le lecteur suivra les pérégrinations d’une Europe en pleine crise. Première guère, paix fragile, germes de la seconde, en moins de 75 pages le gros est dit. Starring Dino Battaglia, Sergio Toppi, Guido Buzzelli au dessin, avec les scénaristes Pierre Castex, Jacques Bastian et Robert Biélot. Si Le Tigre égrène de la sorte leurs blazes, c’est qu’il n’y a pas grand chose d’autre à annoncer.

Critique de La Grande Guerre

Avant tout, j’ai souverainement décidé de caler cette BD dans la catégorie des essais. Pourquoi donc ? Déjà, Tigre a peu de documentaires par rapport aux formats illustrés qui tendent à faire croire à l’internaute lambda que je suis une incorrigible feignasse. Ensuite, le texte m’a paru prendre un pas excessif par rapport aux illustrations.

Sur l’histoire, on la connaît tous plus ou moins. Les auteurs ont bien fait leur devoir, même s’ils s’intéressent en grande partie au théâtre d’opérations français. Néanmoins quelques passages sont carrément maladroits dans le style (problème de traduction ?), voire une fois incompréhensible. Plus généralement, le lecteur aura la sensation de lire un cours d’histoire-géo (bien orienté au passage) auquel on consentait à donner de menus gribouillis pour illustrer le propos.

Je ne dis pas que cela a déplu au Tigre, toutefois c’est relativement pénible à la longue. Je reconnais que les auteurs ont versé dans le détail, on apprend un tas de trucs ! Et ce qui a empêché Le Tigre d’attribuer la plus mauvaise note à cet album reste le fameux dessin. Classique au début, et j’ai particulièrement apprécié les planches relatives à l’entre deux-guerres : bien plus travaillées, j’ai presque cru à de l’aquarelle tendance « belle époque ». L’insouciance est là, et progressivement les tons se font plus sombres à mesure que le spectre d’un autre conflit s’invite dans le grand jeu. L’unique bonne surprise d’un album qui a très mal vieilli.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Mon sentiment, sans doute exagéré, est d’avoir eu affaire à pot-pourri d’un tas de péripéties lâchées dans un immonde bric à brac : élections en France, prohibition, jazz dans les bars, affaire Stavinsky, n’en jetez plus ! Et c’est bien le problème : en effet, cette bande dessinée ne répond pas du tout aux codes de cet art. Normalement, il est censé y avoir une certaine logique, un rythme qui fait qu’on passe d’une case à l’autre en gardant une certaine unité de temps, sinon de lieu. Ici, que dalle (surtout la seconde partie) !

Le petit plus qu’on aurait légitimement pu attendre d’un tel ouvrage sont les fameux bonus. Hélas, cent fois hélas, ceux-ci se résument à deux pauvres pages perdues à la fin de l’ouvrage. Trois photos, un plan de bataille que mon stagiaire aurait pu faire en dix minutes, envoyez c’est pesé ! Avec la chronologie (extrêmement) succincte qui est ajoutée, convenez qu’il y a comme un jean-foutisme de bon aloi. Autant ne rien mettre et proposer une bibliographie de qualité.

…à rapprocher de :

– Sur la Grande Guerre, Tigre a définitivement préféré C’était la guerre des tranchées, du bon Tardi.

– Sinon, j’ai souvent effectué de subtils (ben voyons) rapprochements avec la série de la Seconde Guerre (ici, ou encore par ici). En effet, le dessinateur/auteur Dupuis donne parfois l’impression de juste peindre un tableau sur ce qu’il est écrit, heureusement que quelques zooms sur des protagonistes bien identifiés (qu’on retrouve dans d’autres albums) sont légion.

Marcus Malte - Les harmoniquesSous-titre : Beau Danube Blues [joli jeu de mots]. Marcus Malte réserve de belles surprises, c’est indéniable. Sous couvert d’une quête assez « simple », les harmoniques (entendez, les ondes fantômes derrière un morceau de musique) complexifient le tout jusqu’à la découverte de l’hideuse vérité. Noir et bien rythmé, un roman qui monte en puissance.

Il était une fois…

Mister est un pianiste dans un bar à jazz à Paname. Depuis quelques semaines la belle Vera Nag vient le voir pour savourer sa musique. Hélas la miss meurt brûlée vive. Les coupables sont (trop ?) rapidement trouvés, et Mister n’y croit pas une seconde. Avec son ami Bob (chauffeur de taxi philosophe et polyglotte), puis deux musiciens de rue yougoslaves, notre héros va lentement mais sûrement remonter une histoire terrible. De la jeune vie de Vera à quelques égarements, en passant par les horreurs de la guerre en Yougoslavie, voici un voyage dont le grand black ne voulait pas vraiment.

Critique des Harmoniques

Le roman diesel par excellence. Tigre s’est quasiment emmerdé dans les 100 premières pages, faut dire que le fil que tient le protagoniste est sacrément tenu. Mais on sent qu’il y a comme quelque chose, que c’est bien plus dégueulasse qu’on l’imaginerait au premier abord. Pour un dernier tiers d’excellente facture et qui relève l’intérêt à un niveau presque stratosphérique.

Monsieur Malte, avec son protagoniste fétiche non violent quoique imposant, est allé très très loin : le crime, en apparence un banal règlement de comptes, met en scène une flopée d’intervenants (un peintre quasi manchot, de mystérieux agents, des criminels de guerre, un ministre même) qui se tirent allègrement dans les pattes. Le fameux Mister, idéalisant la jeune défunte, subira de plein fouet les révélations entourant l’univers de Vera.

Sur le style, j’ai cru sentir une touche de poésie. Maladroite parfois quand la jeunesse de la victime est abordée en italique ou lors des délires mystiques du héros. En contre-balance, des descriptions crues qui prennent au corps lorsqu’il faut évoquer les exactions de guerre. Tigre s’est même payé quelques solides barres de rire, notamment le barman éperdument amoureux en plein quiproquo sur les intentions de Mister. Chapitres qui se raccourcissent, c’est presque en haletant que Les harmoniques sera terminé.

Pour finir, il faut quand même parler du jazz omniprésent. Ce ne sont pas tant les morceaux égrenés au long du roman, car certains passages semblent intégralement construits autour de notions musicales ou existences de grands du milieu (Billy Holliday par exemple, pathétique héroïnomane). Tigre a parlé des écrivains qui font péter la bonne musique, Marcus en est le digne représentant.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Malte nous compte par le menu les atrocités en Yougoslavie. Et pour le lecteur (comme Le Tigre) qui ignorait les plus sombres aspects de ces conflits, c’est tout simplement révoltant. En particulier le siège de Vukovar, les meurtres d’une violence inouïe où la torture se même au sadisme, ou encore les viols de masse. Horreurs de la part des Serbes certes, mais Croates et Bosniaques (assistés de combattants musulmans) ont également eu leur lot d’infamies.

La mort de l’innocence est renforcée en deux points : d’une part, le « dodécatyque » vu par Mister est une somptueuse allégorie de la chute de Vera dans les griffes d’un corbeau noir. Ce corbeau, ce sont les criminels (de droit commun, de guerre), mais aussi la politique qui s’invite dans le scénario. Avec un ministre français qui n’est pas sans rappeler Sarkozy dans ses gesticulations du début des années 2000, on sombre dans la corruption et l’amoralité « made in France ». Dépucelage de Mister d’autre part, qui apprendra que rien n’est blanc ni noir. Les grandes manœuvres politiques circulent entre différentes teintes de gris, et il est délicat pour notre grand romantique de saisir que Vera n’est qu’un insigne détail d’une sourde lutte qui fait rage.

…à rapprocher de :

– De Marcus Malte, Tigre a également lu Le lac des singes (ça se laisse lire), La part des chiens (déception) et Carnage, constellation. Ce dernier est une petite claque également.

– Romancière française, Dominique Manotti nous mène aussi, avec Bien connu des services de police, dans les sombres arcanes du pouvoir (en moins glauque toutefois).

Enfin, si votre librairie à polars est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Arnaldur Indridason - La Femme en VertVO : Graforpögn. Décidément, Arnaldur tient fermement entre les pognes les clés du succès. Quelques tas d’os trouvés au milieu de nulle part, et c’est parti pour un petit plongeon dans le temps, savoir l’Islande de l’après-guerre. Avec un héros toujours aussi réaliste en proie à de graves difficultés familiales.

Il était une fois…

Dans les environs de la capitale, Reykjavik (jamais je n’arriverai à l’écrire au stylo sans faire une faute d’orthographe), les policiers retrouvent un squelette plus ou moins enterré. Qui est-ce ? Qui est-ce ? Une fiancée disparue ? Le membre d’une famille dont on ne sait pas ce qu’elle est devenue ? Comme toujours chez Indridason, les racines de l’intrigue remontent dans le passé qui émerge lentement au fil du récit.

Critique de La Femme en Vert

Me souviens pas trop si c’est le quatrième ou le cinquième roman, de toute façon Le Tigre s’en tape un peu le coquillard. Toute ce qu’il faut savoir, c’est que c’est encore excellent. Tellement que j’en ai marre de mettre la meilleure note et tenterait de chercher des poux au roman à la fin de cette partie.

Le fil de l’histoire est presque inchangé chez Indridason, et il convient de reconnaître que ça le fait toujours autant : 1/ On découvre un mort. 2/ La fine équipe se met en branle. 3/ Histoire parallèle bien plus ancienne qui explique, à mesure que l’intrigue progresse, le contexte et les raisons du présent. Pas facile dans un pays avec un tel climat de ne pas déprimer avec le héros, pourtant quelques lueurs d’espoir se montrent ici et là. Enfin, sur des sujets assez graves (cf. infra), l’auteur islandais n’a pas versé dans le lieu commun en les traitant avec finesse.

En outre, le lecteur suivra la vie familiale passablement bordélique du policier principal. Si ce fil conducteur est rafraichissant (quoique, fille enceinte et droguée jusqu’à la moelle, ça se présente plutôt mal), Le Tigre en a eu un peu sa claque : si le lecteur touriste commence par n’importe lequel titre d’Arnaldur, ce premier risque de voir arriver les pérégrinations de la fille du héros comme un cheveu sur la soupe. Un fil conducteur est certes rappelé pour l’amateur néophyte, cependant plus d’une fois j’ai eu hâte de revenir sur la « vraie » enquête.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Les violences domestiques décrites font froid dans le dos, on sent que l’auteur s’est un peu renseigné sur son sujet. Margaret (son nom sera donné très tardivement, comme pour souligner la négation de l’être) a un époux abject et sa situation pourra en rendre plus d’un mal à l’aise. Le sentiment de piège, le syndrome de Stockholm, l’insondable bêtise du mâle rutilant, c’est pas joyeux joyeux. D’où viendra le salut ? D’un militaire anglo-saxon stationné pas loin ?

Et oui, nous aurons quelques éléments de compréhension sur l’Islande d’après-guerre. Faut savoir que ce petit pays (100 000 habitants à l’époque je crois, pas trop long ainsi de savoir qui est le squelette) n’a pas d’armée. Les Américains assuraient sa défense en y laissant une garnison, ce qui place le pays dans une position de dominé, à l’image de la pauvre femme. Et comme la vie était dure en Islande pendant la guerre et aux premières années de paix, il fallait survivre par tout moyen, quitte à laisser peu de place pour l’amitié et l’entraide. Et dans un État aussi peu peuplé, tout se savait relativement vite.

…à rapprocher de :

Ai beaucoup lu d’Indridason, en voici trois qui sont très bien passés : La voix, L’homme du Lac ou La Cité des Jarres.

– Sinon, Trois femmes, de Boston Teran, traite de manière exhaustive (en dégoupillant trois générations, pas moins) de la violence faite à la gent féminine.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman via Amazon ici.

DodécaTora« Tigre de merde, j’ai bien compris que, lorsque je t’ai invité à venir admirer ma collection d’estampes japonaises, tu t’en foutais royalement. Armé de ta clé usb aussi discrète qu’un mot compliqué dans un de mes romans, tu as volé mon bien le plus précieux. Je te prie de ne pas l’utiliser, tu ne saurais pas l’apprécier à sa juste valeur. Marc L. ps : je te hais »

Marc Levy a douze beaux jours devant lui…

J’avoue avoir longuement gambergé, concernant le présent billet, entre ledit Marco et Guillaume Musso. Les deux sont régulièrement cités pour être, selon des critiques aigris, les imperturbables fossoyeurs de la littérature française. Les deux compères qui avec 144 mots de vocabulaire sont capables de rafler toutes les récompenses. Pire que tout, leurs titres sont adaptés en films avec des acteurs connus. Cependant il m’est vite apparu que Musso, outre sa bonne bouille, n’a pas la trempe de Levy question popularité.

Quant au style et la teneur des romans, il me semble ensuite que s’attaquer à Levy, c’est comme tirer à feu nourri sur une ambulance qui n’aurait pas passé le contrôle technique depuis l’élection du Général De Gaulle. Et la facilité est proverbiale sur ce blog.

Pour la définition tigresque, Marc Levy est un auteur français à succès dont les titres, en plus de s’écouler par millions, sont traduits dans pas mal de pays. Le Tigre respecte l’écrivain qui a écrit sur le tard (tout est possible) et est parvenu à donner envie de lire à des milliers de personnes. Certes on lui reproche un style assez fadasse, toutefois il parvient à éveiller certaines émotions chez le lecteur. Après une demi-douzaine de ses romans, je me suis arrêté même si certains ont été dévorés. Comme on dévore une pastèque hélas, c’est-à-dire que ça n’a pas totalement rempli mon estomac littéraire.

Mais qu’ai-je pu voler à Marc pour qu’il s’énerve de la sorte ? C’est excessivement simple : je lui ai substitué son logiciel de création automatique d’idées à romans. Ce dernier s’intitule « la boîte à Levy ». Non content de fournir un titre au roman, ce programme délivre également un court synopsis. Je me suis empressé de le lancer, et ce à douze reprises. Vous trouverez donc, dans la partie suivante, ce qui est sorti de ce software du tonnerre. Par ordre chronologique.

Tora ! Tora ! Tora ! (x4)

1/ Le dernier matin

Youssef, condamné à mort dans la République islamique d’Iran, se réveille dans la cellule. Son exécution est prévue pour 16h. Il lui reste huit heures afin de retracer l’histoire de sa vie, et à quel moment il a pu sombrer dans un engrenage l’amenant à une mort certaine. Entre ses amis de lycée, son professeur de mathématiques et la pétillante Shiva, qui est à blâmer ?

2/ Le prêteur de soleil

C’est l’histoire d’un homme affublé d’une terrible malédiction : John concentre sur sa personne les rayons de l’astre solaire, et ce au mépris de son entourage. Flore, faune, proches, tout être vivant à 6 mètres de lui n’a plus son quota d’ultraviolets. Pourquoi la sublime Kathy, au sourire si mystérieux, échappe à cette engeance? Âme sœur ou Némésis ?

3/ Comment te reverrai-je ?

Brendon a tout pour lui, et peu de choses ne lui résistent. Sauf cette belle inconnue qu’il a miraculeusement sauvé de la noyade au cours d’une soirée dans les Hamptons. Refusant de donner son nom, l’insaisissable créature se joue de lui et apparaît dans les endroits les plus incongrus. Produit de son imagination ou fine joueuse de cache-cache ? SPOIL : c’est en fait une catin recrutée par ses potes pour lui faire perdre la boule.

4/ L’ultime rencontre

Suzy et Emily sont les meilleures amies du monde, et ce depuis leur naissance. Un étrange lien les unit, et malgré leurs routes divergentes (l’une est hôtesse de l’air chez Alitalia, l’autre artiste expressionniste en Patagonie) rien ne semble pouvoir le briser. Une fois l’an, elles se retrouvent dans une capitale échanger leurs potins. Mais nos jeunes femmes ne savent pas que ce sera leur dernier rendez-vous.

5/ Trois minutes pour une destinée

Il y a cinq minutes, Remy était en train de se cuiter au champagne avec des amis dans son duplex sis place du Trocadéro. Maintenant il se retrouve avec un rouge qui tâche sous le pont de l’Alma, sentant très fort la sueur. Comment se peut-ce ? Complot ou réveil brutal d’un rêve qui a duré plus de vingt ans ?

6/ Les fils du vent

[Tigre a décidé de ne pas recopier le synopsis : Robert Charles Wilson a déjà écrit un roman de SF portant ce titre. Risque de plagiat. Le programme est loin d’être au point, je pensais qu’une recherche automatique de titres existants accompagnait la boîte à Levy. Déception totale, je pensais l’auteur un peu plus alerte]

7/ Ce que je n’ai osé t’avouer

Cynthia et Tom sont amoureux. Ils s’apprêtent à se marier. Mais dans l’Eglise, un homme inconnu regarde la cérémonie d’un œil torve. Cynthia, en sortant de la porte principale, manque de défaillir. Comment son passé a-t-il pu la rattraper si vite ? Faut-il se débarrasser de son ancien mari/mac /supérieur des services secrets [visiblement le choix est laissé à l’écrivain] ou tout avouer à Tom ?

8/ Mourir à aimer

Sofia est dans une position des plus délicates. Elle fréquente deux hommes, et chacun lui apporte quelque chose que l’autre ne peut. James, banquier travaillant sur les opérations de titrisation, est le père idéal au charme désuet mais efficace. Quant à Jozeph, ses pouvoirs de magnétiseur et sa joie communicative en font le compagnon avec lequel l’ennui ne peut survenir. Et si les deux amants ont décidé de ne pas lui donner le temps de faire un choix ?

9/ Les souvenirs transits

Depuis deux semaines, Matias (sans h, car il est allemand) se réveille en sueurs à 3h48 précises du matin. S’ensuit une terrible migraine et l’impression de ne plus être lui-même. Serait-ce à cause de cette délicieuse femme à la peau satinée qu’il fréquente depuis un mois ?

10/ La quête du moine pourpre

Tsang-Jiao est un moinillon dans un temple de la montagne sacrée d’Emeishan. Lorsque son maître bien-aimé meurt soudainement, il ne peut accepter la raison officielle des autorités chinoises. Une longue enquête l’emmènera jusqu’aux plus sombres ruelles de Chengdu. [c’est un logiciel interactif mes amis ! J’étais en train de manger des noodles à ce moment].

11/ Le déluge de mes nuits

Ong-Bak est strip-teaseur tendance ladyboy dans un bar miteux de Bangkok. S’enfonçant un peu plus dans la drogue et l’alcool, il repousse chaque jour les interdits qu’il s’était fixé. Jusqu’à la rencontre avec Fredo, vieil éphèbe européen au phrasé aussi chantant que précieux et qui lui fera découvrir les délices de la culture. Une autre vie est-elle possible ? [comme mon imprimante de facture coréenne, le software m’annonce qu’il ne reste plus beaucoup d’idées dans sa base de données. C’est vrai que ce onzième titre n’est plus à la hauteur de ses prédécesseurs]

12/ Mes amours mes orgasmes

Cyril coule ses dernières années dans sa maison de retraite. Entre les escapades nocturnes dans la chambre de la veuve Durand (dont la maladie de Parkinson permet les plus belles masturbations de la région) et les visites de sa petite-fille, notre vieil héros se remémore, avec émotion, les rieuses orgies qu’il organisait. [là je soupçonne que le logiciel est à bout et a livré un roman destiné à une publication pour 2046. A cette date les seuls lecteurs de Levy auront au moins 70 ans, et pleureront face à cette version de supermarché des Belles endormies de Kawabata]

Mais aussi :

Je crois qu’avoir sollicité autant de fois le logiciel, celui-ci a définitivement grillé. Pas très robuste la boîte à Levy, tout était mélangé sur la fin. Jugez ce que celle-ci m’a craché avant de se crasher (voilà, mes jeux de mots atteignent le niveau de l’auteur) :

L’amour au premier degré, Parents et par rangs, Le mystérieux voyage de Zahia Lewinsky, Xxdez uofz dezbdl…

Je vous laisse en imaginer d’autres. Faites-vous autant plaisir que Le Tigre.