Dominique Manotti - Bien connu des services de policeAcheté sans grande conviction, en fait j’avais tort : très bon polar avec plusieurs protagonistes plus vrais que nature. Flics marrons, considérations politiciennes, le constat n’est pas tendre. Pas un chef d’œuvre certes, mais presque une étude sociologique sur le malaise de la police française (voire de la société) au début de ce siècle.

Il était une fois…

Été 2005, Panteuil, banlieue nord parisienne, c’est l’effervescence : une ambitieuse commissaire de police proche du ministre de l’intérieur ; la BAC de nuit avec à son bord quelques vilains macs ; deux jeunes flics qui débarquent dans le circuit ; une agent des RG ; quelques sauvageons ; un squat surpeuplé de familles africaines,… Si vous balancez dans l’environnement l’incendie criminel dudit squat et de menues bavures, l’explosion n’est pas loin.

Critique de Bien connu des services de police

Le Tigre a lu peu de titres de la part de Manotti, écrivaine engagée politiquement plutôt à gauche. Du coup je craignais que cet opus prenne la forme d’un brûlot gauchisant (ou du moins un long trac) qui dénonce la politique du « tout sécuritaire » de l’ère de Nicolas S. Ce dernier n’est jamais nommé bien sûr, comme d’autres (exemple de l’hebdo satirique du mercredi, dont l’article est hélas mal rendu). Mais c’est oublier les talents de conteuse de Dominique.

Indeed, le scénario est assez bien ficelé (comme je l’ai résumé) avec différents intervenants dans une ville où les intérêts immobiliers flirtent avec la grande criminalité. Le tout sous couvert d’actes de la part d’éléments proches de l’extrême-droite. L’écriture, simple avec quelques effets de style de la part de l’auteur (répétitions de mots, flashbacks ici et là), ne déplace pas des montagnes. Mais avec 240 pages ce n’est pas vraiment ce qu’attendait Le Tigre.

Alors on peut dénoncer le fait que certains individus sont des caricatures (cf. infra), notoirement racistes et au lever du coude bien rôdé. A part les deux petits jeunes, forcément naïfs et qui ont du mal à entrer dans le moule, que des myster Hyde de seconde zone. Bref, un titre qui donne envie de lire les autres titres de l’auteure (ça passe le « e » ?)

Thèmes développés (du moins selon Le Tigre)

Les égarements des brebis galeuses (dixit un proc’ dans le roman) de la police nationale. Le début du roman n’est pas sans rappeler celui du film 36, quai des orfèvres. On y voit trois individus que j’imaginais, par leurs comportements, être des maquereaux. Ça prend de la thune aux prostituées, un des gus sodomise une des filles, que de la classe. En fait non, c’est juste la brigade anti-crim’ de nuit. Sympathique. La commissaire qui laisse un incendie se déclencher, le procureur et sa langue de bois bien lissée, les gardiens de la paix qui cachent d’horribles bavures (même à l’encontre d’un des leurs), les soirées fortement alcoolisées, le tableau est impitoyable.

La même police version Sarkozy. Dominique M. profite de son roman pour taper consciencieusement sur les résultats de la politique des chiffres du ministre de l’époque. Prendre moins de plaintes qui ont peu de chance d’aboutir (avec des conséquences parfois tragiques) ou faire son petit quota d’arrestations quitte à déformer les faits, le réalisme de ces situations (exagérées ? Je ne me prononce pas) fait froid dans le dos.

…à rapprocher de :

– De Manotti, il y a Le corps noir. Même immersion, mais dans les cercles collaborationnistes en France avant la libération de Paris.

– A tout hasard, un autre auteur a voulu se la jouer « immersion dans le monde merveilleux de la police ». Sauf que Tromper la mort de Maryse Rivière est dispensable.

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André Gide - Souvenirs de la cour d'assisesSouvenirs d’un éminent écrivain du début du siècle dernier qui a sévi en tant que juré dans la cour d’assises de Paris, voici quelques petites affaires où André G. a contribué à prendre une décision judiciaire. Plutôt instructif et passablement court, un des rares Gide que vous trouverez sur ce site. Profitez-en.

De quoi parle Souvenirs de la cour d’assises, et comment ?

En 1914 André Gide a fait publié, dans la Nouvelle Revue Française, ses expériences en tant que juré dans divers procès. Comptes rendus d’affaires communes (pas de grands procès) mais sordides, l’écrivain livre quelques analyses sur ce qui s’est dit dans le huis clos des délibérations.

Je préfère vous le dire tout de suite : malgré sa bibliographie impressionnante et l’aura dont il me semble que Dédé jouisse (c’est français comme tournure ?), je n’ai pas du tout choisi cet opus car il l’a écrit. Plutôt parce qu’en plus de faire une bonne centaine de pages, le sujet du livre traite de procès des années 10 en France (avant la der des der). Et ce n’est pas inintéressant de lire les menus accusations portées contre les contemporains de l’illustre écrivain : vols, affaires de mœurs, incendies, infanticides, rixes, et caetera.

Du coup, André Gide livre quelques réflexions sur la façon dont fonctionne la justice, voire sur la notion de justice en elle-même. Car il ressort qu’au final les pauvres hères au banc des accusés ne semblent pas si différents des jurés chargés de décider de leur avenir. Si certains prévenus paraissent franchement antipathiques, d’autres individus respirent plutôt le pathos et le désespoir d’une vie qui, dans la cour d’assises, leur échappe momentanément.

Sur le style hélas, j’ai tout personnellement trouvé l’écriture d’André à la limite de l’insupportable. D’une part, aucune pensée réellement constructive dont je me souvienne, les descriptions m’ont paru ternes et sans saveurs. D’autre part, j’ai souvent eu l’impression d’être en présence de lourds poncifs. Heureusement que les chapitres sont courts et qu’on passe d’une affaire à l’autre si rapidement.

Ce que Le Tigre a retenu

Du coup, ce que j’ai retenu vous semblera bien faible. Il y a bien sûr la manière dont fonctionne la prise de décision des jurés. Et il s’avère que c’est loin d’être professionnel : par exemple, les jurés à l’époque prononçaient souvent la culpabilité d’un innocent qui avait l’air désagréable, quitte à prononcer des circonstances atténuantes (et ce pour diminuer la peine). C’est sans doute le but de l’exercice de l’auteur, à savoir montrer que les peines conçues par des citoyens sélectionnés sont d’une inadéquation flagrante avec les principes de la justice.

Au final, ce qui choque est l’aspect « au doigt mouillé » des sanctions à l’encontre de gens qui soit on effectué un petit écart (avec de grosses conséquences) soit sont connus pour leur moralité douteuses et ont effectué le faux pas de trop. Les négociations entre jurés qui peuvent durer quelques secondes, et j’ai cru comprendre que jamais on aura jugé des personnes d’après leurs gueules. Mettre quelqu’un potentiellement (d’après l’avis d’une dizaine de jurés) hors d’état de nuire, même si on le sait innocent, pas très réglo à mon sens.

…à rapprocher de :

– Sur le monde juridique, Le Tigre peut vous renvoyer vers le recueil des Plaidoiries des grands ténors du barreau.

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Chuck Palahniuk - PesteVO : Rant. Enfin Palahniuk est revenu (depuis Fight Club) dans la collection SF de Gallimard ! Légèrement décevant et déroutant (imaginez alors) par rapport à ce que fait l’auteur, même si une dizaine d’idées géniales sont présentes dans le titre. Scénario tournant autour d’un homme d’exception, raconté par de multiples protagonistes.

Il était une fois…

Buster « Rant » Casey est une presque légende, mais qui est-il vraiment ? Pour répondre à cette question, de nombreuses personnes l’ayant plus ou moins connu vont tenter de dresser un portrait de l’étrange individu responsable de la plus terrible épidémie qu’aient connu les États-Unis.

Critique de Peste

Le Tigre le confesse, j’ai lu ce titre en anglais une première fois avant de le reprendre dans ma langue maternelle. Le plaisir fut égal, et j’ai pu confirmer qu’une partie du suspense révélé à la fin m’avait royalement échappé lors de la première lecture. Quoiqu’il en soit, un opus déjanté avec une bonne dose de SF mi cyberpunk mi horreur.

Dans Peste, l’auteur a (relativement) innové en s’intéressant à un individu qui a transformé à jamais le paysage américain du futur : les zombis (les nocturnes) sont séparés du reste de la population (les diurnes) et leur foutent une trouille bleue. Pourquoi cette nouvelle espèce de l’humanité ? A cause d’un homme, Casey, qui est le « patient zéro » d’un virus qui a foudroyé le continent. Un presque génocidaire, un tueur en séries dont le parcours comporte des zones d’ombre.

Chuck a ravi Le Tigre, avec des témoignages divers et variés qui apportent chacun une pierre à l’édifice du mythe de notre héros. Le style est féroce, avec des actes de Rant soit profondément choquants, soit effrayants, soit à mourir de rire. Pour le rire, je peux vous donner l’exemple du jeune Buster qui découvre dans son village tout un tas de louis d’or. Il décide de les distribuer aux enfants lorsqu’ils perdent leurs dents (en faisant la petite souris). Les parents, ne sachant pas d’où provient l’argent, laissent faire puisque leurs chères têtes blondes achètent des bonbons, dont le sachet dépasse vite les 100 dollars. L’économie de la ville, bouleversée avec une bulle spéculative sur les biens destinés aux enfants, s’écroule avec retentissement.

Toutefois les défauts de cette œuvre sont présents, voire inhérents à l’écriture de Palahniuk qui s’est fait plaisir en rassemblant le pire de ses précédents bouquins. Notamment la narration pas chronologique pour un sou, par différents individus ayant chacun leurs propres styles. Quant à la fin, certains peuvent la trouver facile, sinon bâclée. Mais les claques des chapitres précédents (assez longs au demeurant) gardent le dessus.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La multinarration. Ce livre est une sorte de recueil de témoignages de la part d’individus qui ont eu l’honneur (certains ne se s’en sont pas remis d’ailleurs) de rencontrer Casey. L’auteur en profite pour varier ses méthodes narratives tout en plongeant le lecteur dans le mythe du personnage. Mythe car souvent les informations livrées ne se recoupent pas, et c’est à se demander qui croire. Car derrière ces dizaines de dires, il faut tenter de répondre à la question : Rant a-t-il foutu le daroi par fun, dol ou pur hasard ?

L’homme fou et génial. Il y a de tout dans le cas « Rant », quelqu’un de grandiose qui emprunte beaucoup aux héros torturés de l’écrivain. L’individu est pleinement abouti, et dès le début on pressent comme une catastrophe qui va foutre en l’air l’Amérique redneck et puritaine. En effet, le jeune héros s’amuse à se faire piquer par toutes les bestioles qui traînent dans le coin. Il peut passer des heures l’avant-bras entier dans une tanière pour se faire mordre ; les piqures de scorpions et araignées n’ont plus de secret pour lui, bref son système immunitaire est une arme prête à exploser. Et lorsque Chuck en parle, c’est forcément tordant.

Le Tigre peut vous parler de l’épidémie, la terrible naissance d’une maladie qui va séparer en deux l’homo sapiens, étapes par étapes. Mais ce serait risquer le spoil (et je n’ai plus la place). Car l’auteur délivre les informations au compte goutte, et il est difficile de poser le roman avant d’avoir lu la fin.

…à rapprocher de :

– L’auteur est avant tout connu pour Fight Club (que je me dois de résumer) et sa suite sous forme de BD (en lien) avec Cameron Steward.

– Sur Palahniuk, vous connaissez les titres du Tigre : Berceuse, Survivant, Choke, Monstres invisibles, etc.

– La narration dense et parfois non concordante d’un homme d’exception, Le Tigre pense tout de suite à Egolf et son Seigneur des porcheries.

Pour finir, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Les Sutras du TigreEt pourquoi ce site à la con tourne autour du tigre, hein ? Lecteur arrogant, j’ai bien entendu ton message. Laisse moi t’éclairer en un petit millier de mots d’accord ? Si j’ai choisi l’avatar tigresque pour représenter mes activités de lecture, ce n’est ni pour me faire mousser ni pour monopoliser les recherches internet pornographiques vaguement zoophiles.

Quoi ?

Vous avez remarqué que je n’hésite pas à filer la métaphore autour du félin. Tout petit déjà, j’étais fasciné par l’animal. Capable de rester bloqué connement des heures devant les cages, trop petites, de ces illustres animaux. Et bien sûr le tigre du zoo n’en foutait pas une. A peine s’il consentait se débloquer la mâchoire en baillant, alors pour lever son derrière et faire quelques pas on attend encore. Mais derrière cette nonchalance de façade je pressentais la puissance, formidable et intimidante.

Cette passion a été délicieusement confirmée lors d’un long séjour en Chine. Malgré mon signe astrologique simiesque, un vieux magnétiseur (ou son sino-équivalent) a tout de suite reconnu en moi un tigre. Bon, il était surtout malin l’ancêtre : entre mon pendentif en forme de l’animal, ma longue chevelure fauve; mes yeux « jaune pisseux » et surtout les liasses de Yuan que je tenais dans la paluche droite, même le mentaliste du dimanche saurait quoi dire… En attendant, comme le dit un proverbe asiatique, je me contente d’un chat pour caresser le tigre.

Pourquoi un tigre ?

Ce sutra, en plus d’éclairer le curieux, est aussi destiné à poser, tel un conquistador blogueur, le drapeau de l’identité du Tigre sur le vaste monde. Il n’y a qu’un tigre littéraire, et vous êtes sur son site. Point barre. Ce post sera évidemment versé à tout contentieux. Je suis même à deux griffes de l’antidater à compter de janvier 1980, tant qu’à choisir une des nombreuses dates de la création du net. De surcroît je n’étais pas né… Voici donc, en cinq raisons, le pourquoi du choix du noble bestiau :

Premièrement, je suis de la catégorie maniaque « jaloux comme un tigre » concernant le support littéraire. « Chiantissime » serait sans doute plus approprié. J’entretiens aussi soigneusement tout ouvrage qu’une maman tigre protège ses petits. Les formalités imposées par un loueur d’appartement parisien ne sont que d’aimables recommandations à côté de mes conditions de prêts.

Deuxièmement, un tigre (comme beaucoup d’animaux certes) est un habitué du marquage intensif de son territoire. Y’a qu’à voir comment mon chat se soulage furieusement sur les vêtements qui me sont les plus chers (par jalousie ou incompréhension de ce qu’est un habit ?). Mais pour un livre, pas question de griffer la couverture ou lâcher quelques gouttes entre les pages (sauf peut-être sur des œuvres de Manara, mais c’est une autre histoire).

Du coup, j’ai adopté quelques techniques de mon cru. D’abord, enregistrer tel un comptable de province tout ce que je lis. Ce blog est ma toute dernière base de données, après les fiches ou un dossier numérique. Ensuite, tamponner à mon nom (plusieurs fois, tant qu’à faire) tout support papier m’appartenant. Du plus beau titre de la pléiade à la  plus insignifiante carte d’anniversaire. Il n’y a pas de petites publicités. Au début c’est amusant, ensuite ça devient ridicule, enfin ça fait partie de la tradition…

Troisièmement, j’ai un comportement vis-à-vis de ma proie intimement proche d’un tigre. Mes séances de lecture sont ce que la chasse à la gazelle au buffle est au tigre : majoritairement au crépuscule, voire la nuit entière lorsque ça me plaît. En outre, comme tout bon prédateur, j’observe le livre un bon moment et attaque à une vitesse phénoménale grâce à un sens aigu de la lecture.

Plus prosaïquement, il arrive de me bâfrer comme un sagouin lorsque j’en ai le temps. Lire avec avidité, ne pas s’arrêter, jusqu’à écœurement. Fort possible que ce n’est pas la manière adéquate de lire ses classiques (que j’ai tendance à oublier), hélas c’est mon modus operandi.

Quatrièmement, certains tigres apprécient manger leur viande lorsque celle-ci est en début de décomposition. La laisser s’attendrir quelques jours, puis lui faire un sort. Tout comme moi : déjà, pour des considérations bassement financières et éminemment logistiques, je ne lis presque que des poches. Entre la sortie d’un roman et celle du poche, il se passe quelques mois. Belle décomposition. J’ai calculé que si mes livres de poche se transformaient du jour au lendemain en gros formats, j’irai dire deux-trois mots à la b(c)onne fée responsable du foutoir : 72% d’augmentation en volume, mes bibliothèques seraient dans le même état que les prisons françaises.

Enfin, lorsque le bouquin est acheté (ou mieux, offert), je n’hésite pas aussi à le laisser croupir quelques semaines avant de l’attaquer. Le courrier en retard de Lagaffe n’est pas si dramatique à côté de ma PAL (pile à lire pour les touristes). Cependant, ça ne m’empêche pas de lui faire de l’œil tous les jours. L’entendre frétiller de peur est un plaisir récurrent dont il ne faut point se priver.

Cinquièmement, et à titre plus personnel, je possède un métabolisme digne d’un tigre : aucune souplesse, mais une agilité et des réflexes à côté desquels l’infâme art du pick-pocket n’est qu’un hobby de vieilles carnes décaties et sous valium. Aucune endurance (le jogging n’est pas du tout mon fort), tout en puissance. Cela reste relatif bien sûr.

En regardant Discovery Channel, vous verrez comment l’animal tape son sprint pendant quelques dizaines de mètres et abandonne quand il voit que ça prend des tournures de centième de marathon. En revanche, dès qu’il joue à saute mouton sur la pauvre bête pourchassée, quelle beauté. Bref, le physique de gardien de but. D’ailleurs, si vous en croisez un avec ce nom (Le Tigre) suivi du numéro 1 ou 12, c’est forcément votre serviteur. J’offre un bon gros hug à tous ceux qui me reconnaîtront.

Conclusion tigresque

Pourquoi cinq causes ? Le géographe en herbe saura faire le lien avec les bébés Tigres asiatiques : la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie, le Viêt-nam et les Philippines. Car ce n’est ni en Amérique du Sud ni en Afrique que vous pourriez espérer tomber sur le Panthera tigris.

Premier sutra, car impérieuse nécessité de justifier le nom du blog et souligner, autant que faire se peut, qu’une petite place sur l’olympe francophone des animaux internetisés est prise. Si le lion est le roi de la jungle numérique, Le Tigre espère en devenir le parrain. En revoyant mes ambitions chaque jour à la baisse…un poste de soldato m’irait aussi.

Dominique Manotti - Le corps noirManotti, historienne et militante engagée, s’attaque à une partie de la sombre période de la collaboration en France. Plusieurs histoires indépendantes ou qui se recoupent, écriture efficace qui va droit au but, un très bon ouvrage tant pour le féru d’histoire que l’aficionados de polars. A conseiller.

Il était une fois…

Paris, entre le jour du débarquement et celui de la libération de la capitale, les gestapistes français font tout pour assurer leurs arrières. Individus sans morales ni limites, entre industriels français et officier allemands il est difficile de préparer son avenir. En suivant une dizaine de différents protagonistes, c’est un triste tableau de la France qui est alors dressé.

Critique du Corps noir

Le Tigre a lu ce titre il y a quelque temps et presque par hasard. Sans rien connaître de madame Manotti qui plus est. Le sujet m’avait l’air certes immensément intéressant mais plutôt casse-gueule. En effet, comment aborder cette période de l’histoire en se plaçant notamment du côté de l’occupant et de ses sbires et ce en moins de 300 pages ?

Pari réussi, un vrai plaisir littéraire à portée de main. Un peu plus de 250 pages, Dominique est parvenue haut la main à faire quelque chose de complet et de taille réduite. Car en sus, la police d’écriture est plutôt grosse avec des chapitres qui ne sont pas excessivement longs. En évoluant avec tous les protagonistes qui font leurs horreurs avant l’arrivée des Américains, c’est un condensé d’action et de péripéties qui nous est offert sur un plateau. Ça se lit vite et bien, vous l’aurez saisi.

Sur le scénario, le « corps noir » est le nom donné à ces Français de la police qui travaillent en étroite collaboration (pour ne pas dire sous les ordres directs) de la SS. Pas vraiment un roman historique, puisqu’au-delà des évènements connus les individus qui gravitent dans le roman ne renvoient qu’à des caractères typiques (et bien fouillés) de ce qu’on peut rencontrer dans le Paris décadent de ces quelques mois. Pas totalement un polar, car jamais la frontière entre le bien et le mal n’a jamais été aussi poreuse, la police n’étant qu’à la botte des Nazis et beaucoup de résistants étant ceux de la dernière heure.

Thèmes développés (du moins selon Le Tigre)

La fin de l’occupation allemande. Au fil de l’avancée des Alliés depuis le nord-ouest du pays, il y a comme de l’effervescence dans la capitale. Chaque psychopathe en puissance en profite largement pour liquider (au sens littéral souvent) ses menus problèmes. L’occupant a souvent d’autres chats à fouetter tandis que les libérateurs se verront offrir un certaine version de l’Histoire. En outre, petite mention à certains éléments du patronat français qui ont su habilement jouer sur la fin d’une époque. Et comme un des personnages le dit, ce fut quand même quatre années d’exception.

Les retournements de vestes généralisés. Les gens savent bien que l’Allemand ne restera pas longtemps, aussi il est grand temps de ménager son futur. Et là, nos anti héros font preuve d’imagination et de cynisme comme on en voit rarement. Suppression de toute mention de leur infâme passé, mise en place de confortables matelas de fric, tout ça sans se faire griller. Peu de jugement de la part de l’auteure, juste des faits bruts qui se savourent comme un docu de la honte.

…à rapprocher de :

– De Manotti, il y a également Bien connu des services de police.

– Le sujet de cette histoire réaliste me fait penser à la BD Il était une fois en France. Mais avec moins de gris (concernant les personnages). Ou alors Restez dans l’ombre, d’André Fortin (roman moins bon que celui de Domi).

– De même, Heureux comme Dieu en France (Marc Dugain) est assez prenant sur cette période.

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Pierre Martinet - DGSE Service actionSous-titre : un agent sort de l’ombre. Biographie instructive et plutôt bien écrite de la part d’un homme de l’ombre qui a pris le courage de raconter quelques bribes de sa carrière. La curiosité du Tigre fut partiellement satisfaite, en même temps le reste relèverait encore plus du secret défense. Réalité prosaïque, James Bond est très loin.

De quoi parle DGSE Service action, et comment ?

Pierre Martinet (son vrai nom ?), la quarantaine passée, a décidé de raconter son quotidien d’agent secret (il le fut jusqu’en 2001). De para à des missions un peu partout à l’étranger, en passant par la case recrutement par la DGSE, l’homme a « sévi » dans le Service Action et a donc vécu pas mal d’expériences intéressantes. C’est en 400 pages qu’il nous narre son métier si particulier, en plus de son travail dans le secteur privé.

Un métier, pas vraiment. Plutôt une vocation eu égard les dangers pris au cours de sa vie. En sus, sa vie familiale peut être parfois compliquée, sans compter que beaucoup de ses proches ignorent son métier. Sans compter la santé. On apprend par exemple, qu’en tant que para, que ses genoux ressemblent un peu à ceux de Bruce Wayne dans le dernier Batman de Nolan. Exit le sport extrême, hélas bien présent dans son job.

Si Pierre ne s’est pas fait aider par un nègre, petits applaudissements pour un style simple et succinct. Ni belles tournures ou métaphores, juste les faits et ses impressions à l’instant T. Les rétrospectives ou commentaires plus personnels sont assez rares, on sent le besogneux de talent qui sait garder le cap. Appréciable même si à la longue le profane pourrait être déçu.

En effet, Le Tigre a été contrarié sur deux points. Le premier, c’est que l’auteur ne se livre pas si facilement. Pas de gros scandales (quoique…) ou de missions avec potentielles morts d’homme, juste un parcours certes exceptionnel mais qu’il parvient à rendre banal, loin des fantasmes développés pour ce genre d’activité. Je n’aurais pas été mécontent de lire un peu plus d’action, toutefois PM ne pouvait prendre un tel risque. D’ailleurs, sur ce qu’il a écrit, le narrateur a été condamné pour atteinte au secret de la défense. Enfin, je me dis que l’absence de réponse lorsqu’on lui demande s’il a déjà tué est la meilleure. Le Tigre ne préfère pas savoir.

Le second, c’est la partie où notre ami quitte les services et entre au service de Canal+. Au service sécurité, il est chargé d’espionner un employé de la boîte (Bruno Gaccio pour ne pas le nommer). A ce moment ça m’a semblé un peu ennuyeux, surtout que la prise de recul avec sa mission paraissait plutôt grande. Le Tigre est même jusqu’à soupçonner l’auteur, qui savait d’une façon ou d’une autre que l’affaire allait éclater, de prendre les devants pour sa défense. Surtout qu’il balance quelques fleurs à l’auteur des Guignols ici et là. Voire se venger de son employeur. Spéculations tigresques.

Quoiqu’il en soit, pour le fondu d’espionnage, voici le titre parfait pour remettre les pieds sur terre.

Ce que Le Tigre a retenu

Le métier d’agent, pour faire dans l’originalité. Formation difficile, apprentissage de gestes et comportements qui doivent devenir autant de réflexes. Missions à préparer soigneusement pour une exécution somme toute rapide. Florilèges : notre héros, en faisant les courses au supermarché, s’aperçoit au beau milieu qu’il a son arme sur lui (celle-ci était devenue un prolongement de son corps). Lors d’une action à Londres, il convient d’abord de faire vivre la légende, à savoir traîner dans les musées, laisser chez soi des plaquettes et places en évidence, une petite culotte serait encore mieux… Métier difficile et prenant, où l’improvisation sait être salvatrice (exemple à Londres, encore, lorsque des flics inspectent leur camionnette).

Quelle vie après les services secrets ? Pour ceux qui ont le temps (et/ou l’envie) de quitter les services, il appert que les opportunités de reclassement sont nombreuses. Imaginez, un ancien agent secret avec un beau carnet d’adresses et des réflexes sécuritaires de paranos mais justifiés. Qui d’une grande entreprise qui veut sécuriser ses informations, qui un cabinet de détective privé, qui une personnalité souhaitant garder le contrôle sur sa vie, les postes ne manquent pas. Pour Martinet, c’est la voie du consulting qu’il a choisie.

…à rapprocher de :

– L’ex agent secret a publié De l’ombre à la lumière, la suite qui doit revenir sur ses déboires judiciaires. Pas lu.

– Sinon, en presque fiction, On les croise parfois est saisissant sur les rouages et mesquineries des services / politiques / diplomates / etc.

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Jean Teulé - Mangez-le si vous voulezÉnième titre de Teulé qui reprend un fait divers, ici par n’importe lequel. Dans la France du 19ème siècle, la foule d’un village s’est sauvagement acharnée sur un innocent à la suite d’une vague rumeur. En nous contant précisément ce qui s’est passé, remercions l’auteur d’avoir su rendre une si horrible péripétie vivante et édifiante.

Il était une fois…

Le quatrième de couverture est plus que correct, aussi Le Tigre a pris la liberté chérie de le recopier :

« Le mardi 16 août 1870, Alain de Monéys, jeune Périgourdin intelligent et aimable, sort du domicile de ses parents pour se rendre à la foire de Hautefaye, le village voisin. Il arrive à destination à quatorze heures. Deux heures plus tard, la foule devenue folle l’aura lynché, torturé, brûlé vif et même mangé. Pourquoi une telle horreur est-elle possible ? Comment une foule paisible peut-elle être saisie en quelques minutes par une frénésie aussi barbare ? »

Critique de Mangez-le si vous voulez

Le Tigre aime bien Teulé qui se plante rarement dans ces ouvrages. Une fois n’est pas coutume, ce titre est une fort correcte sucrerie qui se lit en une petite heure à peine. Lecture rapide et intense eu égard l’épineux sujet traité.

En effet, l’auteur s’intéresse à un acte abominable qui s’est déroulé pendant la guerre de 71 contre les vilains Prussiens. Un homme bien sous tout rapport débarque lors de la fête du village d’à côté. Quelques malentendus s’installent, on le suspecte d’être un espion, les esprits s’échauffent, bref quelques heures après il est mort. Après avoir été horriblement mutilé.

Teulé n’est pas un historien, aussi ne faut-il sûrement pas prendre au mot tout ce qu’il raconte dans cet ouvrage. Ce n’est pas pour des prunes que Le Tigre l’a classé dans la catégorie des romans. Celui-ci est plaisant, avec le style habituel précis mais épuré, un peu trop sans doute lorsqu’il décrit avec un certain recul les tortures infligées au jeune Alain. Ça peut soulever des hauts le cœur aux lecteurs les plus sensibles.

Rien n’est parfait bien sûr, par exemple on pourrait reprocher à Jean d’avoir été un poil léger sur le plantage de décor : rappeler la misère et l’inquiétude pendant cette guerre qui s’annonce mal ; ou faire comprendre que si vous organisez un open-bar champêtre en plein cagnard avec la populace, une étincelle peut déclencher une révolution (ou du moins une jolie jacquerie). Du coup, ce court livre m’a donné envie d’en savoir plus sur l’affaire de Hautefaye.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’hystérie collective. Il suffit qu’un connard balance un mensonge (même sans le savoir), et hop tous les gus autour reprennent l’information, la déforment, etc. Le pauvre Alain, en plein milieu de tout ça, c’est un peu le bouc émissaire par excellence. Un noble (Dieu sait si ça pouvait passer mal auprès de paysans), propre sur lui (le mec qui va rarement au turbin), presque inconnu au bataillon, bref le responsable d’une bataille perdue annoncée le jour même. Rien de plus dangereux qu’une foule. Et con – foule devrait être au masculin d’ailleurs. Alors si elle est menée par un chef d’État…

La foule en question va très loin et commet ce que l’on nomme maintenant (dans le code pénal) des actes de torture et de barbarie. Bastonnades, coups de partout, intenses brûlures, le pauvre gus a passé quelques heures peu ragoutantes. Et Teulé ne se prive pas de nous conter le menu. En parlant de menu, Mangez le si vous voulez fait référence à la phrase du maire (il avait tenté de le protéger) qui, excédé, s’adresse à la populace déchaînée. Il n’est pas du tout sûr qu’ils aient terminé par tranquillement grignoter le mort, mais tant qu’à vendre une histoire aux sommets d’horreur…

Enfin, la sanction. La mort d’abord, pour quelques uns (les autres étant emprisonné) lors d’un procès qui a passionné le peuple. La honte, ensuite (et encore semble-t-il), pour un village qui porte le nom d’une affaire synonyme de perfidie et d’inhumanité. Bon, j’y vais un peu fort là, disons que plus d’un siècle après il y a eu tellement pire hélas. La définition de l’opprobre j’ai l’impression.

…à rapprocher de :

– Jean Teulé squatte correctement le présent blog : L’œil de Pâques ; Darling (coup de cœur) ; Longues Peines ; Les Lois de la gravité ; Ô Verlaine ! ; Le Magasin des suicides (bof bof) ; Le Montespan ; Charly 9 (déception).

– Sur les horreurs que les hommes peuvent commettre, mais ici par omission, Le Tigre vous propose Est-ce ainsi que les femmes meurent ? de Decoin.

– Alain Corbin, historien, a écrit au milieu des années 80 un essai sur cette « dégustation » intitulé Le village des cannibales. Apparemment, c’est la source de référence sur les exactions commises à Hautefaye.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Augustyn & Mignola & Baretto - Batman : Gotham au XIXe siècleVO : Gotham by Gaslight et Master of the Future. Dans l’esprit des Elseworlds des DC Comics, deux histoires du Batman se passant à la fin du XIXème siècle dans un Gotham en plein essor économique. Les ingrédients du passé (ambiance sombre, les méchants) se marient bien avec la mythologie du Bat, mais ce n’est pas renversant non plus.

Il était une fois…

Deux histoires qui se suivent (mais peuvent se lire indépendamment), voici leur court résumé :

Appelez-moi Jack ! : seconde moitié du 19ème siècle (1889 pour être précis), Bruce Wayne, alors jeune aristocrate, reviens de Londres (il a croisé le bon docteur Freud au passage). Il fait le voyage avec son oncle. À Gotham, Wayne redevient Batman et sera confronté à un terrible tueur qui se fait appeler Jack l’éventreur. 

Le Maître du futur : plus d’un an plus tard, Gotham s’apprête à recevoir l’exposition universelle. Entre préparatifs et bisbilles politiciennes, un excentrique du nom de LeRoi (french bashing avant l’heure ?) menace la ville s’il n’obtient pas satisfaction de la part du maire. Wayne, qui pensait qu’on aurait plus besoin de lui en tant que chevalier noir (surtout qu’il court furieusement le guilledou avec une jolie demoiselle), va devoir enfiler la cape et le masque une énième fois.

Critique de Batman : Gotham au XIXe siècle

Gotham il y a plus de cent ans, voilà une idée qu’elle aurait pu être mieux exploitée. Deux one shots corrects, on sent un énorme potentiel (surtout le second scénario) hélas le tout est un peu court. En fait, Le Tigre a eu plus l’impression de tenir une BD franco-belge entre les griffes qu’un comics.

Les histoires sont correctes, toutefois à moins de 80 pages chacune ça passe plutôt vite. Surtout quand les cases, assez grosses, comportent assez peu de textes. Un Batman qui revient d’un long voyage en Europe et poursuit un Jack l’éventreur qui a des liens intimes avec lui. Ici, que du Wayne et ses proches : Alfred, un Gordon remanié, une petite amie aussi…qui devine notamment qui est le fameux Bat. Brian Augustyn a pris un peu plus de risques avec la seconde partie qui a des airs certains de steampunk, du genre Wild Wild West avec d’énormes machines qui font bobo.

Quant au dessin, une ligne quasi claire (traits gros) un peu vieillotte. Années 90 en fait à mon sens, pas vraiment mon style. Mais il faut rendre ses lauriers aux illustrateurs qui ont effectué un magnifique boulot sur le rendu architectural et environnemental de la fin du dix-neuvième siècle, précis et immersif. Le connaisseur du Bat sera ravi, le lecteur qui démarre avec ce héros devra sans doute passer son chemin.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Ce titre m’a initié au noble art développé par les maisons de comics que sont les elseworlds. On chope un quelconque héros, et hop on le fout à une autre époque. Voir le Batman poursuivre un méchant en canasson, ça fait terriblement Zorro vous ne trouvez pas ? Ici, les supervilains ne suivent pas, même si Jack qui tue sans raisons apparentes (on le saura à la fin) peut faire penser au Joker (on reste dans le lexique des jeux de carte). Pour l’auteur, le plus délicat est de faire entrer le personnage dans un environnement pour lequel il n’avait pas été pensé, et s’accommoder des particularités locales.

Le pari est réussi, en particulier avec l’assassinat des parents du jeune Bruce. Les auteurs ont réimaginé ledit meurtre, en le mélangeant avec les éléments du siècle de la première révolution industrielle de manière fort plaisante. Alors si on peut trouver que ça traîne niveau péripéties (souvent attendues), le mot de la fin reste une excellente surprise (sans spoiler, il est question de vieilles histoires de famille).

…à rapprocher de :

– Batman dans des configurations plutôt originales, il y a celui imaginé par Gaiman. Qu’est-il arrivé au chevalier noir ?

– Les héros à des époques différentes, il y a chez Marvel les volumes Marvel 1602. Je n’ai pas du tout accroché alors que Neil Gaiman et Kubert (cf. supra) sont de la partie. Dommage.

Enfin, si vous n’avez pas de « librairie à BD » à proximité, vous pouvez trouver ce comics en ligne ici.

John Updike - PublicitéVO : [infoutu je suis de trouver le titre original des quatre nouvelles]. Recueil assez court, pour ne pas dire insignifiant, Le Tigre est resté sur le cul tellement j’ai été déçu. A part le premier texte, je me suis profondément ennuyé en lisant péniblement ces 100 pages. Éminemment (continuons gaiement les adverbes) dommage pour un tel auteur.

Il était une fois…

Quatre nouvelles, quatre phrases que je ferai aussi courtes que possible. 1/ Une famille parfaite, un environnement de pub, mais pour quel produit ? 2/ Un fusil à réparer, trois générations d’homme ensemble le temps d’une journée. 3/ La vie de famille en Amérique [c’est le titre d’ailleurs, de toute façon ai pas dépassé le tiers]. 4/ Un homme plus tout jeune, entre souvenirs du passé et terribles constats du présent (du moins c’est ce dont je me souviens).

Critique de Publicité

Folio a décidé d’extraire quatre nouvelles du recueil La concubine de saint Augustin et autres nouvelles, apparemment celles-ci ont été sélectionnées sous le noble sceau de la famille. Néanmoins les trois quarts de ladite sélection ne méritent, à mon sens, pas le coup d’être lus.

En effet, à part la première (et à la rigueur la deuxième) histoire, on se tourne sec les pouces. Je ne comprends pas la démarche de Gallimard de balancer comme ça des titres aussi hétérogènes dans le domaine de l’ennui. En fait si, j’ai compris : le lecteur naïf va lire en diagonale le début, sera conquis, et hop pour deux euros acquiert le précieux ouvrage. Hélas, mille fois hélas, le reste ne m’a pas du tout conquis.

En effet, le style m’a semblé abscons comme il est peu permis et Le Tigre a trop vite perdu pied. Je n’ai pas su (ou voulu prendre la patience de savoir) où l’auteur voulait m’emmener, au final ses termes n’ont rien éveillé chez moi. Descriptions d’une Amérique midwest que je ne pouvais me représenter, j’ai manqué plus d’une fois le coche. Pour conclure, n’ai jamais été aussi prêt de placer dans la catégorie des titres non terminés.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’americain way of life. Le vocabulaire de l’écrivain, malgré ses tares (« ennuyeux » semble l’adjectif le plus approprié), paraît décrire fidèlement les caractéristiques de son pays. Avec des fins plus ou moins heureuses. Plus particulièrement, la nouvelle Publicité est une belle trouvaille made in Updike : l’auteur conte quelques heures dans la vie d’une famille tout droit sortie d’un spot de réclame. Les mots clefs sont en lettres capitales, et à chaque action (l’HOMME, l’ENFANT, le CHAT) on déduit un peu plus les liens et problématiques de chacun. Le but final de l’exercice, entre critique de la société de la consommation et du système patriarcal (ce dernier aspect, j’ai peut-être rêvé), ne serait-il pas trouver le produit tant vanté parmi un choix proposé ?

Le fossé entre les générations. Le deuxième texte consiste en un grand-père, le père et le fils qui vont aller dans un magasin pour réparer leur arme à feu. Les menues inquiétudes de chacun, les non-dits, les quelques faux pas peuplent le petit périple d’une manière assez touchante il est vrai. Touchant, car derrière les protagonistes bourrus l’amour familial est très prégnant. Presque des pages universelles si le sujet de la réparation d’une carabine n’était pas aussi incompréhensible à certains moments.

…à rapprocher de :

– D’Updike, préférez donc Un mois de dimanches ou Brésil. Tellement bons.

– Sur la « pub », y’a 99F qui peut être évité. Pas le film.

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Amélie Nothomb - Tuer le pèreOuvrage d’une romancière les plus prolifiques de sa génération, voici l’histoire d’un jeune doué de ses mains qui veut devenir quelqu’un. Hélas ça se lit en trois quarts d’heure à peine en plus de ne pas casser trois pattes à un pauvre petit canard. Immersion faible, dénouement moyen, Nothom n’a guère fait rêver Le Tigre.

Il était une fois…

Joe vit dans une petite ville non loin du Nevada. Magicien en herbe de génie, sa mère inconstante le vire à 15 ans de la maisonnée à cause du dernier bellâtre inutile qu’elle a dégoté. Il trouve une nouvelle famille, en l’espèce avec Norman et sa compagne. Le Norman en question est le plus grand magicien de l’État et accepte de former Joe Jr. S’ensuivra une relation père-fils plus que difficile entre les deux hommes.

Critique de Tuer le père

Whaaat ? Le Tigre se rabaisse à résumer un Nothomb ? Je suis en effet un peu emmerdé aux entournures puisque j’ai lu quasiment tous ces titres. Les résumer un par un me semble une gageure terrifiante, plus grande encore est celle de faire un article unique. Au risque de mal rendre compte d’un phénomène littéraire qui m’a, à une certaine époque, apporté de grands moments de lecture. Le Tigre procède donc par doses homéopathiques.

Dans Tuer le père, il faut reconnaître un titre bien choisi qui résume à lui seul le contenu de l’ouvrage. Joe est un jeune homme qui sait manier les cartes, et grâce à cela il va mettre en place un patient stratagème pour se venger. De qui ? Ne spoilons pas un si court texte. Toutefois, j’ai trouvé la fin assez inattendue mais trop tirée par les cheveux, bref ça ne ressemble à pas grand chose.

Sur le style, ce n’est hélas pas fameux. Certes l’écriture est fluide et au demeurant plaisante, mais c’est tout. Le Nevada de Nothomb avec ses bourgades désolées et autres festivals hippies, n’y ai pas cru une seconde. Les dialogues, parfois acides mais improbables. Les descriptions, minimes, font appel à l’imagination du lecteur en présence d’une histoire pas vraiment crédible. Enfin, pensée émue pour le gus qui achète plein pot le roman pour une centaine de pages superbement aérées.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Les relations entre le père et le fils. Le scénario tourne autour des liens entre Joe et son père de substitution, Norman. Envie de tuer le père (pas littéralement hein) ; complexe d’œdipe prononcé (Joe va tenter de lever la conjointe de Norman) ; désir d’apprendre mêlée de rejet des enseignements ; fiertés et déceptions de partout, Amélie nous livre les éléments les plus basiques de cette complexe relation.

Les « enfants de la balle ». A la différence de Joe qui s’est entraîné tout seul de nombreuses heures, la compagne (ça y est, déjà oublié le prénom de la belle) de Norman est une artiste pur sucre. Élevée dans une communauté hippie irresponsable, grande connaisseuse des drogues hallucinogènes, pratiquant un art magnifique et dangereux (jongler avec du feu), un mélange d’originalité et de déjà-vu pas vraiment transcendant.

La magie, enfin, fait une entrée assez remarquée dans le monde particulier d’A.N. Les éléments de langage paraissent (je suis assez ignorant de ce domaine) réalistes, seulement Le Tigre n’aurait point craché sur une ou deux illustrations de l’art des protagonistes.

…à rapprocher de :

– De Nothomb, Le Tigre a aussi résumé : Hygiène de l’assassin (mouais), Les Combustibles (sans plus, heureusement c’est court), Attentat (interminable), Stupeur et Tremblements, Cosmétique de l’ennemi (bof) ; Biographie de la faim (à lire) ;  Acide sulfurique (lourdaud) ; Le Fait du prince (le pire, je crois bien) ; Une forme de vie (très moyen).

– Sur les tentations oedipiennes, il y a l’excellentissime Éloge de la marâtre, de Llosa.

Enfin, si vous ne trouvez personne qui est disposé à vous prêter ce titre et que votre libraire est fermé, vous pouvez le trouver en ligne ici.

Alexandre Soljenitsyne - Une journée d'Ivan DenissovitchVO : Один день Ивана Денисовича (ai toujours rêvé de faire péter des caractères cyrilliques sur mon blog). Classique de la littérature « concentrationnaire » russe d’après-guerre, un essai édifiant et dur sur ce que l’humanité peut faire de pire. Pas évident à lire, toutefois l’ouvrage reste unique en son genre et passer à côté serait presque criminel.

De quoi ça parle, et comment ?

Ivan Denissovitch Choukhov, c’est un Russe condamné à dix ans de camp de travail pour avoir été fait prisonnier au cours de la seconde guerre mondiale (soupçonné alors d’être un espion). Il s’ensuivra un long séjour, de 1948 à 1956, dans l’enfer d’un goulag ici conté en une journée.

Si ça se peut se lire comme un documentaire, Le Tigre a été relativement déçu par ce titre. Le style m’a semblé assez lourd et difficile à lire. Le tout est certes instructif et prenant, mais le vocabulaire particulier de Soljenitsyne (familier par endroit) et l’aspect décousu de la journée (sans compter quelques phrases à rallonge, voire n’ayant aucun rapport entre elles) ont failli me faire arrêter la lecture une cinquantaine de pages avant la fin. Bref, ça ne colle pas toujours.

En fait, il ne doit sûrement pas s’agir d’une journée type puisque chaque jour doit apporter son lot d’horreurs imprévisibles. Plutôt un condensé de ce qu’a pu vivre l’essayiste pendant ces huit longues années dans le camp. Pour quelqu’un qui a vécu tant de temps dans les goulags et a réussi à pondre un titre aussi court et dense à partir de ses notes, il semble alors normal que le lecteur a parfois l’impression d’être perdu dans le déroulement des péripéties.

Dernière remarque pour la forme. Le Tigre voulait absolument lire un essai qui, je le pense, doit fièrement trôner dans toute bibliothèque qui veut paraître sérieuse. « Fièrement » est le mot adéquat, puisque incapable de trouver une édition poche j’ai du me rabattre sur l’éditeur Bob Laffont : à 227 pages, en format moyen (entre le poche et le roman broché), le tout pour près de 20 €, Le Tigre a eu le désagréable sentiment de s’être fait royalement tondre.

Ce que Le Tigre a retenu

Trivialement, il y a l’horreur quotidienne et presque inénarrable (Alexandre S. y est parvenu) du système mis en place par les autorités soviétiques. Je ne parviens à m’imaginer concrètement cette journée tellement c’est violent : températures extrêmes, brimades incessantes, travail forcé d’une rudesse inouïe, comment se battre et survivre une journée de plus ? La dignité n’a plus court en ces contrées, où du système D à la corruption rien n’est logique ni prévisible. L’incertain, la monotonie qui n’en est pas vraiment une, la mort omniprésente, voilà ce qui différencie (entre autres hein) un système pénitentiaire « classique » d’un goulag.

Outre le gâchis humain d’une telle structure, Le Tigre a été particulièrement sensible à l’absurdité économique de tout ce foutoir. Les internés sont forcés de travailler une grosse partie de la journée, et on ne peut pas dire que leurs accomplissements ont réellement aidé la glorieuse URSS. J’ai souvenir notamment (pas dans cet essai) du fameux canal de Baltic-Belomorkana creusé par des prisonniers et responsable de la mort de milliers d’entre eux. Hélas ce canal s’était révélé trop court. « Faire et défaire, c’est toujours travailler » dit-on, cependant qu’il n’en reste rien est une insulte supplémentaire qui vient se rajouter à la mémoire de ces pauvres hères.

…à rapprocher de :

– Les essais/romans sur les camps soviets ne manquent pas, comme Les Neiges bleues de Piotr Bednarski (pas encore lu), voire quelques passages de Vert-de-gris, de Philip Kerr (pas le meilleur).

– Pour saisir un peu mieux ce que je nomme (facilement il est vrai) « l’âme russe », vous pouvez vous rabattre sur l’essai d’une politologue russe Que reste-t-il de notre victoire ?

– Ou alors, la vie romancée d’un Russe hors du commun, c’est Limonov de Manu Carrère.

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John Updike - TerroristeVO : Terrorist (jusque là, tout va bien). Titre plutôt sombre et édifiant, le lecteur se voit offrir la mise en place d’une action terroriste par le menu, de l’embrigadement des protagonistes jusqu’à la logistique finale de l’acte (un tunnel à détruire, comme l’annonce la couverture du roman). Style correct pour une histoire terrible, Updike reste un grand écrivain.

Il était une fois…

Dans le NYC des années 2000, l’adolescent Ahmad Mulloy est loin d’être heureux. Mère irlandaise assez ouverte qui a abandonné depuis longtemps la religion catholique, père égyptien inconnu et idéalisé dans sa recherche de la religion, Ahmad est un bon musulman. Mais les brimades de ses camarades, comme la tournure que prend son environnement le dégoutent. Aussi décide-t-il de tout plaquer et devient conducteur. S’abandonnant à l’islamisme le plus radical, le jeune Mulloy s’apprête à commettre l’irréparable…

Critique de Terroriste

Un des derniers romans du père Updike avant qu’il dépose le bilan devant le très Haut. Ce dernier ne devrait pas lui chercher trop de noises eu égard la bibliographie impressionnante de l’auteur américain. Encore une fois Le Tigre ne fut guère déçu et recommande fortement cette lecture. Même si la fin, avec la CIA qui s’en mêle, m’avait semblé un tantinet too much. Ou trop patriotique, au choix.

Dans Terroriste, nous suivrons l’évolution d’un jeune déraciné sur fond de radicalisme religieux aux États-Unis. Ahmard, c’est le jeune qui ne se sent pas vraiment à sa place dans le système qu’on lui propose. Ses seuls réconforts résident dans ses visites à la mosquée où les discussions avec le Cheick Rachid le transportent. Une chose en amenant une autre, il décide d’abandonner l’école afin d’exercer le métier de routier

Ce qui est bon avec Updike, c’est son travail vis-à-vis des personnages. Ceux-ci restent dans l’ensemble crédibles (le jeune déboussolé, le conseiller d’orientation juif aux multiples conquêtes dont la mère d’Ahmad…) et attachants. Même le héros (plutôt l’anti héros) inspirera une certaine pitié au lecteur désolé de le voir basculer d’abord dans la médiocrité, puis dans l’obscurantisme le plus choquant.

En parlant du style, si les protagonistes sont finement ciselés par l’auteur, le texte en général se tient plutôt bien. Ne vous attendez à ni de l’humour ni quelques fantaisies, Updike traite d’un sujet grave avec la précision d’un grand écrivain. Certes il y a quelques longueurs qui font que la fin d’un chapitre peut se faire attendre, mais rien à voir avec un Tom Wolfe et ses pavés de plus de 600 pages. Pour la moitié de ce genre de dernier pavé, le risque de s’ennuyer devant Terroriste est faible.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Ce qui m’a marqué est le nombre incroyable d’apports que ce titre représente d’un point de vue culturel. Comme si Updike, à qui il restait peu d’années à vivre, souhaitait apporter une touche plus « rationnelle » et intelligible aux attentats du 11 septembre. Les enseignements sur la religion en général (surtout musulmane il va de soi) sont précieux. Le Tigre a noté ici et là quelques idées et métaphores plutôt osées, notamment le principe du Jihad (la guerre intérieure) comparé à la guerre d’indépendance américaine. Je vous laisse découvrir de quoi il retourne.

La « construction » d’un terroriste. John U. livre, de manière convaincante, les étapes successives menant un ado mal intégré à faire péter un tunnel : problème du père idéal absent et donc de l’absence d’autorité reconnue ; dévalorisation de l’enseignement reçu par l’école (les cours « libéraux » n’apportent que le doute en général, ce qui est infiniment mauvais) ; isolement par rapport à ceux qui pourraient l’aider sur le chemin de la connaissance et lui redonner confiance. Après plusieurs années de ce traitement, on a un cerveau bien formaté prêt pour le grand attentat. Si en plus l’individu a reçu, par les bons soins de ses commanditaires, une formation professionnelle (conducteur de camions dans notre cas) qui l’aidera à commettre son crime, la vie (mort plutôt) est belle !

…à rapprocher de :

– Sur le terrorisme, le parcours d’Ahmad reprend assez bien les dires d’Hans-Magnus E. dans Le perdant radical.

– Dans un registre également sombre, il y a l’excellent Brésil du même auteur.

– Sur la religion, Updike a régalé Le Tigre avec son impertinent Un mois de dimanches.

– Puisque je parlais des pavés de Tom Wolfe, voici celui qu’il convient de lire : Le bûcher des vanités.

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