Les Sutras du TigreOh qu’il est bien fait ce site. Plus qu’un blog, y’a un professionnel derrière tout ça ? Et bah non, Le Tigre reste un éternel touriste qui n’a aucune prétention sinon de vous donner parfois envie d’ouvrir un bouquin, et ce avec le sourire. Toutefois, sur la structure d’un billet résumant une œuvre littéraire, rien n’a été laissé au hasard.

Quoi ?

Ne vous méprenez pas, Le Tigre parle d’un « art » non pas pour s’envoyer quelques tulipes néerlandaises comme on le ferait dans un traditionnel mariage batave. Plutôt discourir de la difficulté à pondre une critique et rester globalement cohérent dans la durée. Car j’espère bien faire de QLTL une référence en terme de continuité stylistique, et ce afin que le lecteur lisant quelques uns de mes billets se retrouve comme face à un vieil ami.

A propos de la critique d’un ouvrage, comme tout blogueur, je suis bien emmerdé aux entournures par rapport au terme « critique ». Ça a une saveur désagréablement négative, et Le Tigre n’est pas arrivé sur le net avec un immonde sécateur à double action en vue de tailler tout ce qui lui est passé sous les yeux. Le métier d’écrivain est suffisamment ingrat en général, aussi je tente d’être avant tout constructif, et Buddha sait à quel point cela peut être difficile.

Aussi je vous propose de faire un petit tour dans mon cerveau, et ce en vue de comprendre la façon dont mes articles littéraires sont conçus (et aussi les autres possibilités qui s’ouvraient au Tigre). Je ne le fais pas pour me faire mousser au sujet d’une technique qui s’avère, après 500 billets, être étonnamment stable, ni faire des émules. Juste attirer l’attention sur le fait que j’ai pensé la structure de ce site des semaines avant de rédiger le premier post. Donc si vous caressez l’envie de vous lancer dans un tel blog, n’hésitez pas à faire de même.

Pourquoi bien penser la structure de son blog ?

Pourquoi se casser la tête sur la structure d’un blog et ne pas y aller à la one again ? Le Tigre adore sodomiser les drosophiles (plus trivialement, « encu** les mouches), et pour un projet touchant des milliers de lecteurs potentiels je ne souhaitais pas associer au félin un truc répugnant sans queue ni tête. Je ne suis pas en train d’activement gonfler mes chevilles, toutefois il me fallait être exigeant au début. Parce que mon idée première est de faire un base de données à peu près viable. J’avais même envisagé un wiki, c’est dire…

Du coup, contrairement à un blog « classique », Le Tigre ne s’inscrit que rarement dans la continuité, sauf pour célébrer un anniversaire (200ème, 500ème, 1.000ème billet par exemple). Un livre écrit en 1776 recevra le même traitement qu’une énième bouse de la dernière rentrée littéraire, et ce dans le but d’être classé dans la bibliothèque numérique, par ordre alphabétique (selon l’auteur et non le titre, ce dernier n’étant rien sans le premier).

En outre, rien sur ce site n’est inscrit dans le marbre. Lorsque je termine un billet, il peut m’arriver de le modifier (le lendemain, des mois après) si quelque chose de nouveau à écrire dessus me venait à l’esprit. Le plus souvent, un lecteur attentif m’apporte un regard neuf sur l’œuvre. Ou alors lorsque je souhaite inscrire un lien supplémentaire dans le billet. Voire modifier quelques phrases parce que l’écrivain en question a envoyé dans ma tanière trois huissiers avec une assignation. Je n’indiquerai pas (je ne sais pas comment faire surtout) sur le billet que c’est une version modifiée, aussi n’hésitez pas à retourner lire un post, sait-on jamais…

Comment critiquer un livre ?

C’est donc parti pour les explications. Avant toute chose, j’essaie d’écrire entre 500 et 1.000 mots par article. Au doigt levé, mais j’ai l’impression que ça reste équilibré. Il est toutefois vrai qu’avec certains titres je n’y suis pas parvenu tandis que des critiques de somptueux pavés ont été délicates à raccourcir. De même, la structure est inchangeable (maintenant que j’ai des centaines de posts), pour ne pas dire délicieusement pérenne. Sinon, pour ceux qui ne connaissent pas ce blog (achtung, pas bien), mes « critiques » d’ouvrages accusent la même division :

Avant le billet, il y a ce que je nomme l’incipit. C’est juste les 70 mots d’accroche accolés à la couverture du bouquin. Comme le demandent les professeurs d’histoire, j’écris cette intro en dernier. En principe, avec ces quelques phrases, vous n’êtes plus obligés de lire la suite.

Ensuite, Il était une fois… Cette partie résume grossièrement le scénario, voire quelques scénarios en cas de recueil de textes. Parfois je recopie in extenso le quatrième de couverture, et ce pour plusieurs raisons : 1/ Celui-ci est parfait. 2/ Au contraire, c’est un exemple à éviter. Une infamie que je me devais de pointer du doigt. 3/ J’ai la flemme.

Après, la critique à proprement parler. Le scénario tel que je l’ai ressenti, le style de l’auteur (ou de l’illustrateur), des remarques plus personnelles, c’est le cœur subjectif du billet. J’évoquerai même les conditions d’achat ou de lecture du bouquin lorsque ça me paraît pertinent. Cette partie est donc le passage que tout écrivain devrait lire en premier tel un avocat qui se jette sauvagement sur le dispositif d’une décision de justice.

Puis vient les thèmes abordés (du moins selon Le Tigre). C’est là que Le Tigre élève (enfin, je tente) le débat et évoque quelques sujets que le bouquin développe. Ou qui m’ont marqué, même si je suis à côté de la plaque. J’avoue que c’est également le pot-pourri de mes pensées lorsque je veux atteindre mon cahier des charges. Il n’y a pas de petits profits.

En sus, c’est dans cette partie que je spoilerai de temps à autre lorsque c’est justifié (ou alors quand je ne peux m’en empêcher). N’ayez crainte, j’annonce tout spoil en majuscules et entre crochets. Donc vous ne serez en principe pas pris au dépourvu. Si c’est le cas, n’hésitez pas à poussez une gueulante que je rectifie le billet.

Enfin, …à rapprocher de : est le petit plus que je tenais absolument à intégrer dans chaque billet. La valeur ajoutée d’une lecture est d’être en mesure de proposer des œuvres qui sont du même acabit. Ainsi, il y a des liens vers d’autres livres, d’autres auteurs en général, des films, voire des blagues.

En ce qui concerne les essais, c’est presque le même traitement : je zappe les deux premières parties qui fusionnent en un élégant de quoi ça parle, et comment ?. Présentation de l’essayiste, son sujet, et son style pour ne pas débarquer comme le ravi de la crèche. Et au lieu de parler de thèmes abordés, je préfère évoquer ce que Le Tigre a retenu. Ainsi, la subjectivité est annoncée dans le titre de la partie.

Conclusion en phase critique

Comme tu le remarques, cher lecteur, Le Tigre n’est pas allé au turbin littéraire la bite à la main et la plume dans l’autre tel un vulgaire kamikaze utilisant Skyblog. Études de marché approfondies, business plan (mais sans tunes) de combat, intenses réflexions sur la couleur du thème ou l’orientation du tigre dans le logo, j’en ai rêvé tellement changer un seul aspect de QLTL pouvait me stresser.

Continuité, évolutivité, intemporalité (et une solide couche d’immodestie à peine assumée), voilà les mottos qui m’ont accompagné lors de la conception de ce blog. Et pour l’instant les incohérences structurelles n’ont pas encore sauté à la gueule du Tigre qui craint, errare humanum est oblige, que cela arrive un beau (sic) jour. En espérant que ce post puisse être d’une aide quelconque, n’hésitez pas à m’en demander plus.

Sutra #2, parce que Le Tigre est un samurai des temps modernes (basiquement, mon shogun est ma bibliothèque) mais perméable à l’esprit cartésien franco-français, je devais donc renvoyer ce Sutra au début d’une longue liste. Rien de plus simple.

Keith Ablow - L'ArchitecteSous-titre : Une enquête du docteur Frank Clevenger (et oui il y en a une demi-douzaine). VO : The Architect. Un des derniers titres de la saga du Dr Clevenger, et Ablow reprend les mêmes ingrédients avec un méchant différent. Et ça passe superbement, l’immersion dans l’horreur (le cerveau du vilain comme ses exactions) est complète.

Il était une fois…

Le quatrième de couverture est complet, quitte à en balancer un peu trop. Le voici, écourté par les bons soins du Tigre :

« Clevenger ne va pas bien. Son fils adoptif lui cause de gros soucis et le FBI le contacte pour une affaire touchant de près le pouvoir américain. Des membres des familles les plus influentes, liées à la société secrète des Bonesmen issus de l’élite, sont retrouvés morts avec, à chaque fois, une partie de leur anatomie soigneusement mise à jour. […] L’envoi de la carte d’identité de la dernière victime directement adressée à la Maison-Blanche plonge Clevenger au cœur de l’urgence. […] Un mot, un seul, accompagne le courrier : Pays par pays ou famille par famille, notre œuvre est utile et sert Dieu…« 

Critique de L’Architecte

J’ai lu tous les titres de cet auteur dans le désordre le plus complet, et ça ne m’a pas empêché de prendre un sacré pied. Le seul hic à ce tourisme littéraire est que le lecteur ne sera pas vraiment au fait de l’évolution plus personnelle du héros, Franck. En effet, ce dernier a recueilli Billy, un jeune qui lui cause un tas de soucis (il a moins de 20 ans dans ce roman). Et le docteur / père adoptif n’est pas épargné, entre ses déconvenues amoureuses et quelques problèmes avec la dope.

Dans L’Architecte, le nouveau antagoniste de l’histoire est un architecte (normal) de talent qui prend son travail un peu trop à cœur. Disons que le monsieur pousse le métier à son comble : non content de parfaitement savoir dans quel environnement architectural ses riches clients doivent vivre, le meurtrier se fait plaisir en zigouillant les membres qui font tâche dans leur famille. Harry, un ami qui vous veut du bien version thriller.

Le style est rapide avec un roman assez court donc prenant. Comme souvent avec Ablow on connaît l’identité du tueur dès le début aussi le suspense reste limité. En outre, les péripéties m’ont souvent paru hautement improbables, un tel individu qui arrive à tant foutre le daroi ne peut se justifier par son intelligence seule. Mais rien qui ne justifie de se plaindre.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Comme le héros, le meurtrier exerce une profession libérale et jouit d’un prestige et d’une culture sans pareil. Le mec qui réussit mieux que l’anti héros d’American Psycho (Bret Easton Ellis) et à qui il manque sérieusement une case. Outre sa conception d’une famille heureuse (débarrassée de son élément perturbateur), l’architecte en question se sent investi d’une mission divine. Il protège ses clients avant tout, et sait mieux que ces derniers ce qui est bon pour eux. Dans le domaine du design, pourquoi pas, mais sur des choses plus personnelles, ça part vite en sucette.

L’auteur profite de ce roman pour nous présenter le côté sombre des puissants qui sont passés par les meilleures écoles. Comme le président des EUA ou d’autres chefs de grandes entreprises, l’antagoniste est passé par la fameuse société secrète des « Skulls & Bones ». Et le tableau dressé n’est pas flatteur, entre profond cynisme et gros arrangements entre amis. Qu’un fou furieux fasse partie de leur club donne déjà une idée sur le genre d’individus étant membres (à vie souvent) de prestigieuses confréries.

…à rapprocher de :

– La série du Dr Clevenger, c’est L’amour à mort, Psycho Killer, Compulsion, Psychopathe, Suicidaire et le présent titre.

– Les psychopathes qu’on trouve parmi les plus hautes sphères de décisions m’ont fait penser à quelques chapitres de The psychopath test, de Jon Ronson.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Ardem - Tournage amateurSous-titre : Les films de Justine, tome 2. Après un premier opus court, choquant mais décevant, je me devais de voir ce qu’Ardem avait bien pu préparer par la suite. Justine, sexuellement épanouie, fait quelques vidéos cochonnes avec des amateurs…et en profite pour régler un problème de couple. Hélas, long et relativement « plan-plan », décidément cette saga passe mal.

Il était une fois…

Après le scandale des vidéos dégoutantes (cf. premier tome) sur lesquelles Justine (20 ans seulement, on n’y croit pas vraiment) apparaît en peu flatteuse posture, cette dernière dévie sa trajectoire professionnelle en faisant du X. Profitant de son statut, elle accepte de tourner des vidéos amateurs dans un cadre paradisiaque (île sous les tropiques) où des couples curieux seront présents. Notamment Aurélie, qui a finit par céder à son mari qui veut la voir jouer dans un tel film. Sauf que la jeune demoiselle n’est pas vraiment chaude pour cette expérience…

Critique de Tournage amateur

C’est drôle, déjà que Vidéos privées ne m’avait pas plus emballé que cela, en soupesant les 220 pages de cette BD je pensais que ça allait devenir plus sympathique. Et en fait non, ce fut assez laborieux à lire. On s’éloigne un peu de Justine pour faire la rencontre d’Aurélie, dont le copain, en proie à des problèmes d’érection, semble d’accord pour qu’elle se fasse ramoner par d’autres. Forcément ça déplaît à la l’opulente jeune femme.

Comme souvent avec Ardem (ou autre auteur d’illustrés X-rated), la femme effarouchée ne le reste pas longtemps : sous l’emprise de l’alcool, Aurélie se fait prendre par derrière par des noirs plutôt costauds…et elle commence à apprécier, un peu comme dans L’institutrice de Morgan. En fait, Le Tigre a été paradoxalement déçu : d’une part, les dialogues sont trop nombreux. Certes il s’agit de confessions qu’une femme envoie à l’éditeur, mais les descriptions et dialogues m’ont souvent ennuyé. J’ai même eu l’impression de lire le courrier du cœur lorsque Aurélie et Justine devisaient ensemble.

D’autre part, et je n’en suis pas très fier, je m’attendais à du grand n’importe quoi improbable et passablement hardcore. Avec les séances d’urophilie intense (voire scatologique) du tome précédent, retrouver les plans à trois, la sodomie (la DP également) a fait considérablement retomber la pression. Mince, l’éditeur Dynamite n’a pas nommé sa collection « Outrage » pour rien !

En revanche, j’ai cru déceler une légère amélioration sur le dessin, notamment par la belle Aurélie dont les formes font rêver. Et puis Ardem est parvenu à bien rendre, en noir et blanc, présenter le délicieux environnement dans lequel évoluent les protagonistes : belle plage, architecture de l’hôtel bien traitée, même les vits sont très variés ! Pas sur que cela suffise pour conseiller cet ouvrage.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le copain indigne. Hervé, puisqu’il faut bien le pointer du doigt, représente le mâle rutilant (pas tant que cela en fait face à une caméra) et infect. Il s’inscrit avec sa petite amie à ces sessions de tournages amateurs, et n’hésitera pas par exemple à donner son accord au régisseur qui ressent l’envie de tremper sa nouille. Au détour d’une conversation volée par les deux héroïnes, on en saura un peu plus sur ces motivations et la manière dont il considère Aurélie. Et ce n’est pas joli-joli.

L’homosexualité. Enfin, on y est, Justine a sa première expérience avec une femme ! C’est presque de l’amour, en tout cas Aurélie montre sa reconnaissance de façon très enjouée. Si au début il est question de « s’entraîner » pour faire bonne figure devant la caméra, on voit bien qu’un certain quelque chose s’installe entre ces deux nanas. Comme le disait le réalisateur à Hervé en regardant Aurélie s’activer, « l’oiseau a pris son envol ». Loin du méchant gus.

…à rapprocher de :

– Il n’est pas obligatoire (seulement recommandé) de commencer par Vidéos privées, le premier tome de cette saga.

– D’Ardem, Tigre a légèrement (ça reste relatif) préféré la saga Chantages. Mais pas La mauvaise élève et Le Jouet, dotés de morales déplorables.

– Puisque j’en parlais à un instant, Bruce Morgan et L’institutrice montre une femme qui en demande toujours plus.

– Sinon, Igor Boccère avec son Chambre 121 présente un dessin plus « travaillé ».

– La narration porno via un journal intime se retrouve également chez Xavier Duvet dans Le journal d’une soubrette, graphiquement plus léché.

Enfin, si votre librairie est fermée ou ne propose pas ce titre car « ce n’est pas le genre de la maison », vous pouvez trouver cet illustré en ligne ici.

Chuck Palahniuk - BerceuseVO : Lullaby. Palahniuk ne cesse d’étonner Le Tigre, et Berceuse est encore un titre déjanté et horrifiant qui laissera tout lecteur normalement constitué sur le cul. La fameuse berceuse provoque le décès de ceux à qui elle est contée, et à partir de cette malédiction (et d’autres presque pires) l’auteur nous invite dans un réjouissant road movie.

Il était une fois…

Carl Streator est journaliste et mène une enquête sur le phénomène de la mort subite du nourrisson. Au cours de ses recherches, il fait la connaissance de John Nash (un ambulancier nécrophile) et Helen (agente immobilière au style particulier) et se rend compte que les parents des victimes ont tous lu à leur enfant une certaine berceuse tirée d’un livre de poèmes dont il reste deux cents exemplaires dans les États-Unis. Or Carl a une raison particulière de s’intéresser à cette berceuse…

Critique de Berceuse

J’ai encore passé un délicieux moment littéraire en compagnie du chantre de l’anticipation sociale. Le fantastique a ici toute sa place, certains passages sont proprement hilarants et une pointe de suspense reste relativement bien dosée. Notamment la fin, qui offre un retournement comme seul Chuck sait les concocter pour nous.

La vraie héroïne de cette œuvre est la mystérieuse berceuse tirée d’un bouquin (Le Livre des Ombres, oooohhh) qui en comporte d’autres du même acabit. L’autre héros, Carl, a une terrible motivation (qu’on apprendra plus tard) pour récupérer ce livre. Il sera aidé (sont-ce vraiment des alliés ?) de plusieurs individus un peu barjes dont certains ont su, à leurs façons composer avec le pouvoir de ces textes.

Ce qui est bon avec Chuck, c’est la galerie de protagonistes totalement déjantés rencontrés : un écolo radical qui s’amuse à faire réciter à une vache des textes sacrés en plein abattoir, une tueuse à gages exclusivement payée en diamants, une douce dingue aux croyances néo wicca particulières, chacun en tient une sévère couche. Et les situations qui en découlent seront tour à tour terrifiantes (prendre le contrôle d’une personne pour lui faire faire n’importe quoi laisse froid dans le dos) ou drôlissimes (par exemple, la manière d’attirer des clients dans le but d’enclencher des class actions).

En plus d’exacerber les traits de ces individus qui ne sont pas si éloignés de l’Américain moyen, l’écrivain utilise toujours un style qui produit son petit effet : quelques flashbacks entretenant l’intérêt du livre ; phrases sèches et parfois choquantes car lapidaire ; chapitres courts, bref pourquoi changer une formule même si un seul narrateur prend la parole ?

En conclusion, du Chuck Palahniuk pur jus qui réjouira les connaisseurs. Toutefois l’écrivain fait plus alambiqué que d’habitude (voire moins percutant) et le lecteur n’ayant jamais abordé cet auteur devra commencer par autre chose (cf. dernière partie, avec les titres par ordre de préférence).

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La mort à portée de paroles. A partir d’une idée relativement simple, notre auteur parvient à broder une intrigue prenante où les rebondissements restent satisfaisants. Notamment ce qu’on apprend sur le héros, hélas si vous voulez poursuivre cela est un SPOIL : bien plus tard, on apprend pourquoi Carl cherche à savoir d’où vient ce texte. Il l’a récité à sa femme un soir, s’est endormi, lui a fait l’amour au réveil (d’ailleurs cela n’a jamais été aussi bon avec elle). Sauf qu’elle était morte depuis des heures, je vous laisse vous représenter le type d’accusations des flics après ça. [Fin SPOIL]

Le noble sujet du road movie est (une fois de plus, cf. Monstres invisibles) revisité par Chuck dans cette œuvre. Carl et ses acolytes peu reluisants prennent la route afin de récupérer les exemplaires du recueil de poèmes. Et chaque étape apporte évidemment son lot de surprises. En sus, lors de la conduite d’un lieu à un autre, chacun mène ses menues activités, que ce soit déblatérer à tout-va ou passer ses appels « professionnels » – par exemple la nana qui laisse des annonces un peu partout dans le pays afin d’intenter des actions de groupe plus ou moins légitimes. Du grand n’importe quoi certes, mais c’est si constamment malsain et corrosif…

...à rapprocher de :

– L’auteur est avant tout connu pour Fight Club (que je me dois de résumer) et sa suite sous forme de BD (en lien) avec Cameron Steward.

– De Chuck P., Le Tigre a (presque) tout lu : A l’estomac, Monstres invisibles, Survivant, Peste, Choke. Je ne mets pas tout.

– Il y a même un essai pour rencontrer l’Amérique profonde : Le festival de la couille. Non, non, c’est le vrai titre.

– La berceuse qui tue celui à qui elle est adressée me rappelle le sketch des Monty Python sur la blague qui tue.

Pour finir, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Eric-Emmanuel Schmitt - La Secte des égoïstesVoici la quintessence de ce dont est capable le bon Éric-Manu Schmitt : un ouvrage très court, d’une intensité sans pareille et à la portée potentiellement plus forte qu’une première lecture distraite laisserait suggérer. L’égoïsme élevé au statut de religion, l’auteur exploite presque toutes les conséquences d’une telle secte en un temps record.

Il était une fois…

Pour le père Schmitt, sortir de mon chapeau le quatrième de couv’ de l’éditeur est un tour de magie que Le Tigre affectionne (surtout lorsque cela m’évite de devoir rappeler le scénario) :

« A la Bibliothèque nationale, un chercheur découvre la trace d’un inconnu, Gaspard Languenhaert, homme du XVIIIe siècle, qui soutint la philosophie  » égoïste « . Selon lui, le monde extérieur n’a aucune réalité et la vie n’est qu’un songe. Intrigué, le chercheur part à la découverte d’éventuels documents. Mystérieusement, toutes les pistes tournent court. Conspiration ? Malédiction ? La logique devient folle, cette enquête l’emmène au fond de lui-même, emportant le lecteur avec lui dans des vertiges hallucinants. »

Critique de La Secte des égoïstes

La Secte des égoïstes constitue la première rencontre du jeune Tigre avec EES. J’ai lu ce titre d’une traite et a globalement adoré. L’idée générale est fort sympathique, la dimension historique (faible certes) est encore bien abordée (cf. L’enfant de Noé), bref pour un peu plus de 120 pages on est pas très loin de la valeur sûre.

De protagoniste, il y en a en fait deux : un homme qui, de nos jours, recherche des informations sur un philosophe d’antan à l’origine d’une drôle de croyance (le monde n’est que le produit de notre imagination). Du coup vous imaginez le bordel, tout adepte pense être l’unique avatar réel et tous s’écharpent vite. Et Schmitt pousse la mise en abyme en rendant de plus en plus fines les preuves de l’existence de Languenhaert, comme si sa disparition entraînait celle de son univers.

Sur le style, ça m’a rappelé quelques titres d’Amélie Nothomb : chapitres courts, texte dense, d’où l’impression persistante que l’auteur aurait pu faire quelque chose de bien plus ambitieux. En effet, si c’est correct comme roman, il faut avouer que c’est bien court. Cette secte aurait mérité un traitement plus approfondi. Mais en même temps, c’est aussi au lecteur d’imaginer, seul, les implications de ce titre. Et créer l’histoire.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La déification à outrance. Gaspart, le sujet d’étude du bibliothécaire, a créé un courant d’idées assez simple et lourd de sens : tout ce qui nous entoure ne dépend que de nous, rien n’existe en fait en dehors de notre perception. A partir de là, Schmitt fait de subtils rapprochements avec l’essence de toute croyance. La question intrinsèque, telle que comprise par l’esprit borderline du Tigre, est du coup la suivante : est-ce Dieu qui créé l’Homme (comme les adeptes pensant être à l’origine de tout) ou l’Homme qui a créé Dieu (Gaspart s’érigeant en divinité) ? L’auteur, finement, répond ici que les deux peuvent coexister. Et que ça termine mal.

Le corolaire de ce premier terme est le relatif vertige que l’écrivain parvient à transmettre au lecteur (du moins à mon jeune âge ça m’avait marqué). La remise en cause globale de la réalité touche le héros qui recherche de la documentation sur ce mystérieux philosophe, jusqu’à péter une durite. A ce titre le fin mot de l’histoire peut autant surprendre que lasser, suivant l’état d’esprit du lecteur. En ce qui concerne Le Tigre, c’est bien passé.

…à rapprocher de :

– De Schmitt, Le Tigre a lu beaucoup. Sans doute trop, mais je peux vous conseiller : La Part de l’autre, Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, MilarepaOscar et la Dame rose, L’Évangile selon Pilate, L’enfant de Noé (ces cinq derniers portés sur la religion).

– Sur la religion, de la part d’un auteur « accessible », Van Cauwelaert et son Évangile de Jimmy se défend fort bien.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman sur Amazon ici.

Piven & Borgenicht & Worick - Dating & SexVF par Le Tigre : le guide de survie de ce qui peut vous arriver de pire concernant les rdv amoureux et le sexe. Titre aguicheur, couverture donnant l’impression de tenir la notice d’un avion de chasse, et pourtant le contenu n’est pas si nul. Derrière une bonne dose d’humour pince-sans-rire les conseils sont édifiants et dépassent largement le cadre de la drague.

De quoi parle ce Survival Handbook, et comment ?

Parfois je me demande ce qu’un tel truc fout dans ma bibliothèque. Ah si, je me souviens ! Un restaurant à Kuala Lumpur, des étagères de bouquins, la possibilité de lire en bâfrant, voire se procurer n’importe quel livre disponible, pour deux dollars Tigre n’allait pas faire la fine bouche. Et puis toute occasion est bonne pour tenter d’améliorer son anglais hésitant.

Les trois auteurs ont fait un boulot que je qualifierai d’anglo-saxon : bien structuré, classement par thème logique, de beaux « bullet points » qu’on croirait tiré d’une présentation powerpoint (ou autre logiciel) et quelques dessins. En effet, chaque chapitre est agrémenté d’illustrations de Brenda Brown. Celles-ci sont simples, claires et permettent de bien compléter ce qui (en plus de faire gagner des dizaines de pages à l’essai).

En lisant les premières pages, Le Tigre a eu la trouille d’être en présence d’un essai un peu light qui se contenterait de balancer de beaux lieux communs, bref le genre d’ouvrage qu’on offre à un pote malchanceux en amour en guise de gros clin d’oeil. On fait ça très bien en France avec les BD dites « humoristiques » alors qu’il n’y a rien à en tirer. Et en fait que nenni : le lecteur va apprendre un tas de de choses. Les dix dernières pages, d’ailleurs, recensent les experts qui ont aidé à la publication de ce guide. Et y’a du beau monde, entre doctorants, avocats, et autres psychologues (sexologues également) qui n’ont rien de touristes éhontés.

Sur moins de 200 pages, le moins que l’on puisse dire c’est qu’il y a de l’éclectisme : reconnaître le genre de la personne ; comment se comporter en cas d’arrestation par la police routière ; bien gérer une gueule de bois ; se casser avec élégance d’un rencart foireux ; corrompre intelligemment un maître d’hôtel ; savoir le nom de la personne à côté de qui on se réveille ; rencontrer les beaux-parents, etc.

Du classique facile à comprendre, toutefois on parvient à dégoter quelques indications précieuses qui feront de vous un modèle de savoir-vivre dans les dîners en ville. Je mets une bonne note parce que je l’ai eu à moindre prix, en effet pour quinze dollars l’éditeur se fout un peu de notre gueule.

Ce que Le Tigre a retenu

Beaucoup de petites informations circulent dans ce court essai, aussi je vais essayer de les classer par thème :

Il y a les conseils dits « pratiques » où j’ai appris des choses ingénieuses et utiles : secourir quelqu’un qui s’étouffe ; mettre des sachets de thé sous les aisselles afin d’éviter la mâle pestilence ; repérer les indices indiquant que son partenaire nous trompe (et inversement ne pas se faire goaler) ou même bien traiter une coupure due à un mauvais rasage (presser la peau comme pour remplacer des points de suture, pas bête du tout).

D’autres sont plus théoriques et nécessitent d’avoir une mémoire correcte. Par exemple, savoir si on ne sort pas avec un psychopathe nécessite de repérer des signes tangibles parmi une dizaine de propositions (20-30 ans, Caucasien, cruauté animale, et autre). Ou alors la liste des aliments à éviter pour ne pas être pris de gaz, le lecteur peut être à deux doigts de faire une antisèche. Quant aux excuses parfaites pré rédigées ou les phrases à absolument éviter (une quarantaine en tout), le surligneur ne sera pas de trop.

Dans tous les cas, ces sujets sont abordés avec sérieux mais on pressent aisément que Joshua Piven, David Borgenicht et Jennifer Worick se sont fait plaisir en pensant au plus grand nombre de situations cocasses. Déterminer si les seins sont naturels (ou si l’homme a une perruque), faire l’amour dans un endroit exigu, simuler un orgasme, casser la fenêtre d’un WC pour filer à l’anglaise, les réponses sérieuses apportées ont provoqué chez Le Tigre plus d’un ricanement.

…à rapprocher de :

– Dans les essais sur la drague, on peut regarder du côté de The Game, d’un pro de l’exercice. Bien plus long et too much, je n’ai pu le terminer.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez le trouver sur Amazon ici.

Templesmith & McCool - ChokerVO : idem. Pas mal du tout, dans le genre polar trash avec une touche de vampirisme bien dégueulasse. Dessin onirique où la lumière du jour brille par son absence, histoire complexe avec de solides passages à se taper sur les cuisses, le tout a ravi Le Tigre. La mention « pour lecteurs avertis » n’est pas là pour seulement joli.

Il était une fois…

Johnny « Choker » Jackson (d’où le titre, pas bien compliqué) n’est vraiment pas à la fête. Cela fait déjà trois piges qu’il a été dégagé de la police de Shotgun City et depuis, il opère comme détective privé (avec un assistant puceau) de bas étage. Il faut bien payer ses dettes de jeu, mais filer les maris infidèles lui plombe chaque jour un peu plus le moral. Alcoolique notoire et affecté d’une malformation à la main droite (celle-ci ne lui obéit plus), Choker se voit pourtant confier une mission qu’il ne peut refuser : s’il retrouve Hunt Cassidy, criminel qu’il a autrefois arrêté, il récupère son badge.

Critique de Choker

J’ai bien voulu me procurer Choker après la déception de 30 jours de nuit (que j’ai acheté directement en anglais en plus). Laisser une autre chance à l’illustrateur qui m’avait agréablement marqué, c’est important. Et dans le présent roman graphique, le dessin de Ben Templesmith a trouvé un très correct écho au scénario de Ben McCool.

Le monde offert par l’auteur est incroyablement inquiétant : un ville sans foi ni loi où la police a le monopole de la « brutalité », des drogues immondes qui circulent et rendent les gens anthropophages (avec une dentition de requin, joli dessin qui a fait frissonner Le Tigre), de nombreux freaks (homme à trois têtes) qui circulent tranquillement. Et un héros qui fait parti de ce cirque avec sa main gauche qui, lorsque non anesthésiée, essaie de s’emparer d’un arme pour le tuer.

Sur l’histoire, le début m’avait paru simpliste, sauf que McCool aime bien complexifier les choses. La recherche du dealer / meurtrier Cassidy prend vite une tournure « la proie devient le chasseur », en rajoutant quelques flashbacks de Choker et les intrigues policières sous-jacentes j’ai été eu plus d’une fois l’impression d’être perdu. Car certains personnages, en plus de se ressembler, ont des motivations qui m’ont parfois échappé. Heureusement que la narration est parsemée de situations souvent drôles, quant aux dialogues ça relève autant du cynisme que du vocabulaire fleuri. A ne pas mettre dans les mains de mineurs de 15 ans donc.

Sur le dessin, le lecteur habitué à Ben Templesmith ne sera pas déçu. De belles planches en général, avec quelques portraits assurément réussis. Du sang, il y a de quoi remplir les réserves de l’EFS pendant des mois. Me concernant, comme c’est un style particulier avec le texte écrit fort petit, ce n’est pas très acceuillant niveau confort de lecture. Et puis on s’y fait, grâce à la retouche numérique (Tigre aime le dessin assisté par ordinateur) qui offre quelque chose de net et sans bavures. En conclusion, joli coup de Delcourt d’avoir publié cette BD qui n’a pas laissé indifférent.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Shotgun City, la ville du désespoir. Pas une seule planche montre la lumière du soleil, imaginez l’ambiance made by Templesmith. Shotgun, ça rappelle furieusement la sombre Sin City peuplée d’individus qu’on ne saurait recommander. Ici, quelques vampires, des flics marrons sinon profondément brutaux (la paire de couilles accrochée au rétroviseur de la voiture d’une policière reste éloquente), un maire qui meurt d’une crise cardiaque en se tapant une femme déguisée en cochon (avec une photo de son opposant politique),… Bref, comme le dit le narrateur à juste titre, c’est la « ville où viennent mourir les anges ». La part négative de L.A. en quelque sorte.

La police « ultra ». Au fil des pages on apprend pourquoi notre héros a été dégagé de la police, et c’est plutôt moche. En vue de créer une race de superflics, l’institution a mis en œuvre des manipulations génétiques dont Choker a fait les frais (il est incompatible). Force décuplée, intelligence améliorée, le conséquence naturelle semble être des méchants dotée d’une puissance équivalente. [Attention léger SPOIL] Le programme Homme Plus, comme on l’appelle, se révèle finalement être une superbe saloperie intimement liée aux problèmes de drogues (des vampires volants, rien de moins) qui ravagent la ville. [Fin SPOIL].

…à rapprocher de :

– De Templesmith, 30 jours de nuit est moins bon, mais avec plus de vampires je me demande si Choker ne serait pas une sorte de prequel.

Bienvenue à Hoxford (Templesmith encore), m’a hélas déçu.

– En anticipation sociale, un monde parsemé de vampires suite à une catastrophe médicale, il y a l’excellent Peste, de Chuck Palahniuk. A lire sans tarder.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cet illustré sur Amazon ici.

Streese & Szabowski - Silhouette minusculeCourt roman d’une sympathique originalité, ça se lit vite et bien. L’histoire de deux êtres qui n’ont rien à se dire mais voyagent ensemble dans le cadre du décès d’une amie commune. Les souvenirs, la mort, l’amitié, le tout est bien traité même si Le Tigre aurait souhaité quelque chose d’un peu plus consistant. Attention, ce n’est pas gai comme texte.

Il était une fois…

J’aime bien le quatrième de couverture, ça va droit au but en restant complet :

« Benoît et Marlene ne se connaissent pas et vont pourtant, sans comprendre tout à fait ce qui les y pousse, passer ensemble quelques jours à Calais, pour tenter de comprendre pourquoi leur amie commune s’est suicidée. Au gré de leurs pérégrinations, ponctuées par les photographies d’Anna Streese et de François Szabowski, réalisées à Calais lors de l’écriture de ce récit à deux voix, ils espèrent retrouver ainsi quelques traces de cette silhouette minuscule. »

Critique de Silhouette minuscule

Cet ebook est proposé par l’éditeur le Forges avec trois autres dans une clé USB. Joli petit exercice d’écriture à quatre mains, on croirait presque que ça a été écrit par une seule et même personne. Et quelle délicieuse idée, d’entrecouper le texte avec des photographies (de belle facture au demeurant) en noir et blanc.

Sur une cinquantaine de pages, nous serons tour à tour dans la tête de Benoît, parisien relativement associable au comportement parfois déroutant, et Marlene, Allemande pas vraiment ravie de partager ce voyage avec Ben. Les deux ont connu la suicidée et, en plus de leurs pérégrinations calaisiennes, donneront quelques souvenirs de cette personne. Si ça met du temps à démarrer, au bout de trois-quatre chapitres Le Tigre a été pris dans cet univers simple et sombre.

Si le Tigre a émis une note légèrement négative, c’est pour deux raisons éminemment subjectives. D’une part, Silhouette minuscule est déprimant à lire. Le voyage suite au suicide d’une fille dont on ne sait le prénom, Calais ville glauque, tout cela est trop triste. D’autre part, je m’attendais légitimement à une fin ponctuée de savoureuses révélations. Pas un retournement final certes, mais je suis arrivé à la fin de ce texte sans m’en rendre compte. Et on est gravement laissé sur sa faim.

Et c’est peut-être le but de nos auteurs : nous faire entrer dans l’intimité d’une personne, une morte dont on sait énormément de choses excepté la raison de son geste. Du coup, Le Tigre s’est mué en petit voyeur qui voulait toujours en savoir plus, or Streese et Swabowski ont sifflé la fin de la malsaine récré. Un sommet de frustration. Rien de méchant, en une demie heure le risque de perdre son temps reste infinitésimal.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’amitié qui s’effiloche. Les pensées de Marlene et Benoît (lorsque celui-ci ne peste pas contre ses contemporains) portent principalement sur leur amie : leur première rencontre, son comportement en général, son parfum, et finalement la distance et l’ennui qui progressivement ont raison de cette amitié. Silhouette minuscule ne parle même pas de deuil (les protagonistes s’en foutent un chouïa), plutôt de l’aspect périssable d’une relation amicale, et le décès de l’ex-amie ne semble pas créer un nouveau lien entre nos deux héros. Sinon les auteurs n’auraient pas terminé ce roman aussi sèchement.

Calais. Que l’office du tourisme de Calais puisse subventionner nos deux auteurs est la dernière chose qui pourrait arriver en bas monde, car l’image qu’ils rendent de cette ville du Nord est terrifiante. Venteuse, froide, dotée d’un solide ciel gris, peuplée de bars à moitié vide et d’une glauquerie sans nom, bienvenue dans un endroit qui a eu raison d’une pauvre fille ! Calais, ville de transit également, où les habitants semblent comme piégés lorsqu’ils regardent les trains et paquebots partir pour la perfide Albion. A ne pas lire l’hiver.

…à rapprocher de :

– Tigre a été ravi de voir que François S. maîtrise parfaitement le style « normal » et excelle dans l’art de la description. Après la légère déception de Les femmes n’aiment pas les hommes qui boivent, la suite Il n’y a pas de sparadraps pour les blessures du cœur, est géniale. Tout comme Une larme de porto contre les pensées tristes a prouvé l’éclectisme dont l’auteur est capable. Pareillement, Il faut croire en ses chances est à ne pas rater.

– Dans la même clé usb, il y a Avec l’assentiment du reptile, de Mion (excellent). Et Le Spectateur, de Monti (superbe également).

Aleister Crowley - Le livre de la loiVO : Book of Law. Aussi connu sous le très clair titre Liber AL vel Legis sub figura CCXX. La photo de couverture est superbe, je l’ai vue comme une invitation à dévorer le livre de cet individu peu souriant. Hélas, mille fois hélas, la déception fut au rendez-vous : infiniment obscur, pas si choquant que cela, ça a mal vieilli en fait.

De quoi parle Le livre de la loi, et comment ?

Edward Alexander Crowley est un cas, un diamant brut de la fin du 19ème siècle à la vie mouvementée et multiple : riche glandeur porté sur l’occultisme, alpiniste de haut vol, héroïnomane, fondateur d’une société secrète qui a pris des airs de secte lupanarisante, grand voyageur devant l’éternel, bref presque un fou furieux. C’est d’ailleurs lors d’un voyage en Égypte qu’une puissance divine lui a dicté ce livre.

Et voilà donc le fameux Liber, écrit en rouge conformément à ce qu’Aiwass (si, si) lui a dit. Liber, liberté, c’est un peu le motto de cet essai (cf. infra). Livre dont Crowley a hésité à le publier, et lorsqu’il a fait les rapprochements avec n’importe quel ouvrage religieux sont légion : organisé en parties distinctes (trois ici) ; conditions de la révélation à l’écrivain ; chaque phrase / titre est numérotée tel une sourate coranique ou un verset de la Bible, néanmoins ça reste extrêmement court.

Et heureusement d’ailleurs, car Le Tigre a survolé sans vraiment parvenir à en tirer une quelconque substantielle moelle. Les deux premiers chapitres m’ont inspiré un ennui certain, et il est dommage de devoir attendre le dernier pour être sorti d’une indicible torpeur. Aussi j’imagine qu’il faille lire cette chose dans un endroit tranquille et l’esprit ouvert, pas à 1h du mat’ dans son lit avec les paupières qui tombent.

Il convient de remarquer que l’éditeur a eu l’excellente idée de la « lecture double » : à droite, le livre traduit. A gauche, l’original en anglais pour repérer ici et là quelques nuances de langage d’un texte écrit il y a plus d’un siècle. Avec le « thou » (biblique et shakespearien, voilà à quoi cela me fait penser) utilisé partout, il est vrai que l’œuvre a une certaine gueule. On en profite pour parfaire son anglais sur un texte original, que demander de plus ?

Au final, Le livre de la loi m’a laissé de marbre. Entre délires ésotériques et phrases à côté desquelles le sabir de Jean-Claude Van Damme est d’une enfantine clarté, même sur 50 pages je suis parvenu à bailler. Dernier point négatif : le prix de cet ouvrage (une vingtaine d’euros) est réellement excessif par rapport à sa taille, ça n’aurait pas du dépasser la quinzaine d’écus un truc pareil.

Ce que Le Tigre a retenu

Pas grand chose hélas, j’aurai voulu avoir la réaction proposée par Crowley qui est de brûler ce livre après la lecture à cause de sa trop grande portée.

Tout d’abord, le thélémisme, courant créé de toute pièce par Aleister (il a changé son prénom pour faire plus « irlandais » et mystique). Tiré du grec Thélèma (volonté), en rapport avec l’abbaye de Thélème de Rabelais, les maîtres mots de l’essayiste sont « fais ce que tu veux » puis « il n’y a pas de loi supérieure à fais ce que tu voudras ». L’Homme comme concentré de volonté à partir de laquelle tout est possible (chaque personne est une étoile, dit-il), on sent le Nietzsche (ou un Mishima, plus contemporain) mais qui en profite pour revêtir les habits de gourou sexuel.

Ensuite, j’ai trouvé que l’ésotérisme qui ressort de ce texte est presque une caricature des sociétés secrètes du 19ème siècle. Dès la première page, on peut lire « le khabs est dans le khu » ou « Aiwass, ministre de Horr-Paar-Kraat », pire qu’un roman de fantasy ! Quant aux spécieuses précautions autour de ce livre, les règles du Fight Club de Chuck Palahniuk ont dansé dans mon esprit en même temps que les recommandations de Crowley : il est interdit de parler de ce livre, il est interdit de commenter ce livre, il est interdit d’étudier ce livre, etc.

Enfin, certains trouveront les enseignements de Crowley malsains, voire immondes sur les bords. Plus particulièrement le troisième et dernier chapitre où il conchie (presque littéralement) sur les autres religions. Il est question de prendre les armes, laisser de côté la pitié, avec le messager occulte qui écartèle la vierge Marie, énuclée Jésus et Mahomet ou réserve un sort encore moins envieux aux représentants des religions extrêmes-orientales. Pour ma part, et sûrement parce que je n’ai pas réussi à prendre le Livre de la loi au sérieux, ça ne m’avait pas plus choqué que ça. Peut-être Tigre s’endurcit, avec les horreurs lues de la part d’autres écrivains.

…à rapprocher de :

– Crowley a inspiré un certain LaVey et sa Bible Satanique (la moitié est chiante). Disponible chez Camion Blanc également. Ou alors L’essor de Lucifer, de Baddeley (complet mais longuet).

– La référence à Rabelais est prégnante, et Gargantua peut se relire pour l’occasion.

– Quant à d’autres livres révélés, y’en a un joli paquet : livre des mormons, délires de Raël, etc.

Enfin, si votre librairie est fermée ou ne vend pas de tels ouvrages car « ce n’est pas le genre de la maison », vous pouvez le trouver en ligne ici.

Art Art Spiegelman - Maus : L'intégraleVO : idem (entendez, ça n’a pas été traduit). Shoah, devoir de mémoire, question de la transmission orale, Art Spiegelman mérite bien son prénom. Un dessin original (zoomorphisme notamment) au service d’une histoire terrible et touchante, c’est un petit chef d’œuvre dont je m’enorgueillis chaque jour de la présence dans ma bibliothèque.

 

De quoi parle Maus, et comment ?

Le quatrième de couv’ est un modèle de sobriété que certains éditeurs seraient fort inspirés de suivre :

« Maus nous conte l’histoire de Vladek Spiegelman, rescapé de l’Europe d’Hitler, et de son fils, un dessinateur de bandes dessinées confronté au récit de son père. Au témoignage bouleversant de Vladek se mêle un portrait de la relation tendue que l’auteur entretient avec son père vieillissant. »

J’ai eu le plus grand mal à écrire ce billet. En effet, double difficulté de parler d’un tel monument. Déjà, c’est une magnifique œuvre que Spiegelman a produite, le travail d’une vie en moins de 300 pages. En sus, tout semble avoir été dit et redit sur cette œuvre (à quoi sert alors ce post ?). Enfin, dans quoi classer ce truc ? Essai autobiographique ou roman graphique ? J’ai opté pour l’essai, prix Pultizer obtenu oblige.

C’est donc un essai graphique grandiose que nous offre l’auteur / illustrateur sur l’holocauste, raconté par Vladek. Celui-ci a vécu pendant de longs mois l’enfer dont le souvenir reste vivace. Spiegelman junior oscille entre la description de cette période et celle, contemporaine, des discussions qu’il a avec son père hypocondriaque sur les bords. Au-delà de l’émotion qui ressort de ces pages, nous aurons en sus la possibilité de goûter à l’humour juif dans toute sa splendeur.

Quant au dessin, j’ai rapidement été conquis. Noir et blanc, trait large qu’on croirait à tort tremblotant (pas régulier, mais la ligne reste globalement droite), nombreuses cases et texte relativement rare, le tout fait dense. Heureusement que le texte sait se faire discret, sinon on aurait frisé l’oppression. Toutefois, le tour de maître d’Art a été de choisir des animaux pour représenter les humains, comme pour souligner l’inhumanité de cette période historique. Les nazis en chats qui pourchassent les souris (juifs), les porcs en Polonais, grenouilles françaises, etc.

Bref, avec un prix Pullitzer et nombreuses traductions, c’est un bel ouvrage (fond comme forme, couverture solide) à posséder. Mais surtout le genre de BD à offrir ou prêter à ses aïeux pour montrer que la BD sait se faire historique et émouvante. Avec Taniguchi, vous convertirez n’importe qui au 9ème art.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’holocauste est rendu dans ce titre de manière à la fois exhaustive et intime. Exhaustivité car c’est de nombreuses années (prise du pouvoir par Hitler jusqu’à de nos jours) du père de l’auteur que nous vivons. L’immersion est puissante et en laissera plus d’un groggy à la fin de ce pavé. Intimité, car racontée par une seule personne qui n’a pas l’habitude de tant se livrer. Presque Maus devrait être au programme des lycées. Mais pas avant, eu égard la dureté de certains passages.

Le sujet principal m’a semblé être la transmission d’une telle expérience à son prochain. Car le fiston doit « secouer » son père pour qu’il daigne expliquer, par le menu, ce qu’il lui est arrivé. En outre, Art a parfois du mal à supporter les lubies de son géniteur qui ne semble pas facile à vivre. Si bien que le dialogue, difficile, illustre parfaitement les antagonismes de la relation père / fils. Et pourtant, et pourtant…Vladeck a beau se sentir parfois coupable d’avoir eu un sort final plutôt envieux, Art Spiegelman parvient à surmonter les réticences du padre. Un témoignage supplémentaire d’une sombre période de l’Histoire, bravo.

…à rapprocher de :

– Sur les bandes dessinées faisant appel au zoomorphisme, il y a les épisodes de Blacksad. Beaucoup présents sur ce blog, ici, ou encore par ici. Tiens, aussi.

– BD + Essai + Zoomorphisme = La pieuvre aussi. De Parodi. Plus ennuyeux, mais un sujet grave également.

– Sur la transmission du savoir dans la culture juive en ces temps sombres, il y a Le retour au pays de Jossel Wassermann, de Hilsenrath. Ai eu un peu plus de mal hélas, même si c’est souvent beau.

– Dans le domaine de la BD documentaire, il convient de découvrir Valse avec Bachir, qui évoque une partie de la guerre au Sud Liban en 1982. Film à visionner également.

– Dans le domaine de la BD de fiction, il convient de dévorer Elmer (Alanguilan) qui parle, à sa façon, des systèmes concentrationnaires.

Blankets, de Craig Thompson, est aussi sobre et honnête sur les souvenirs d’enfance (en plus de la claque littéraire que le roman graphique représente).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cet illustré en ligne ici.

Bernard Werber - Le Papillon des EtoilesVous ne rêvez pas, je vais m’atteler à résumer ce truc. Le pire étant que j’ai relativement aimé et n’ai aucune circonstance atténuante (pourtant lu assez tardivement). Une fable pseudo SF douce-amère sur l’insondable bêtise humaine, avec des ficelles bibliques grosses comme des troncs de baobab, pourtant ça passe. Chapeau l’artiste.

Il était une fois…

Yves Cramer a une glorieuse idée pour sa planète qui part légèrement en sucette. Construire un énorme vaisseau capable de contenir suffisamment de personnes pour faire une mini civilisation capable de voyager longtemps et s’installer sur une nouvelle planète. Les volontaires partent (non sans mal), et l’aventure commence. Nos humains pourront-ils garder cette vision noble (pour ne pas dire idéaliste) sans retomber dans les travers responsables de leur volonté de fuir leurs contemporains ?

Critique du Papillon des Etoiles

Cet auteur, Le Tigre lui doit beaucoup question ouverture d’esprit. Parce que c’est le genre d’auteur à vite lire avant sa majorité. Une sorte de rampe de lancement vers une littérature plus ambitieuse par la suite, et Bernard aide à poser les bases intellectuelles. Le papillon des étoiles, c’est du pur Werber : un peu light, mais pas trop pour passer un bon moment.

L’approche scientifique de cet écrivain m’a semblé (enfin, de sa part) sérieuse : l’invention d’une sorte d’énorme tore de Stanford un beignet d’une taille raisonnable avec son propre climat et environnement est certes éculée, mais rendue accessible pour le lecteur peu porté sur la science-fiction. Ce dernier trouvera le tout toujours simpliste, mais comme Le Tigre sera plaisamment porté par l’histoire, riche d’enseignement pour celui qui pardonnera les menues erreurs de l’auteur.

Car ce roman se lit trop vite, à la manière d’un conte souvent fadasse : l’imposant vaisseau héberge une société calme et apaisée, sauf que d’anciens réflexes (jalousie, meurtre, gouvernements, guerres, etc.) vont bien évidemment gâcher la belle idée du protagoniste principal. 350 pages à peine, chapitres aussi courts que le zob d’un gorille, style d’une légèreté sans commune mesure avec d’autres titres de cet écrivain, on ne peut parler d’une grande œuvre littéraire. Tant mieux, Nanard W. (c’est affectueux) a pour but de nous divertir, et ça semble réussi.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Alors pour ce genre de titre, je n’hésiterai pas à spoiler sans prévenir. Un lecteur averti en vaut deux (si seulement c’était le cas pour mes statistiques de fréquentation).

Tel un papillon (faut bien justifier le titre), le but de nos amis est de tout refaire. Werber ne cite ni organisations ni structures politiques sur la planète d’origine, et avec raison : il appert qu’à la fin de l’ouvrage les descendants de nos héros (ils ont longtemps voyagé, et oui) atterrissent sur notre bonne vieille terre. L’éternel recommencement mâtiné d’un certain pessimisme, tout est à refaire sur terre sans éviter les erreurs du passé (que le lecteur pensait, à tort, être le présent lors du début du titre).

Le lecteur pas encore trop atteint par la prose de l’auteur ne sera point étonné de cette « surprise du grand chef » dans la mesure où les références à la Bible sont légion. Les mésaventures de nos trublions rappelant quelques passages du livre sacré, les noms des protagonistes (Satine ou Eya par exemple) , tout est fait pour adapter l’ancien testament dans l’univers de la SF. L’exercice, certes original, devient à la longue un peu redondant.

…à rapprocher de :

– Du père Werber, j’ai (hélas ?) tout lu. Fourmis, Cycle des Anges, Cycle des Dieux, Père de nos pères,…name it !

– Soyons sérieux. Les énormes habitats spatiaux, la SF nous donne de magiques exemples qui donnent le tournis. A part Rama bien sûr, Tigre se remémore avec émotion les monstrueux Gobe-lunem (plus de 4 km de long) de Reynolds (dès L’espace de la révélation) ou du majestueux habitat, du même auteur, à la fin du roman Pushing Ice.

Enfin, si personne ne veut vous prêter ce titre ou si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Michel Rabagliati - Paul a un travail d'étéPrêté par un ami, je ne suis pas sûr de vouloir le lui rendre depuis le temps. C’est une belle histoire (avec un dessin adéquat) qui se lit très vite (malgré 150 pages), on en ressort avec un sourire béat et l’œil légèrement humide par tous ces souvenirs d’enfance. Deux mois dans un camp de vacances comme JO pour enfants défavorisés, ça marque.

Il était une fois…

Paul a quitté l’école à la suite d’un conflit avec l’administration qui lui a joué un joli coup de p*** (une histoire de bourse dont il ne saura profiter). Du coup, il fait son métro-boulot-dodo dans une imprimerie où il a un certain mal à s’acclimater. Aussi lorsqu’une de ses connaissances le contacte pour remplacer, au pied levé, un animateur manquant, Paul n’hésite pas une seconde. Et c’est parti pour l’aventure : sport, pédagogie, émotions, amour, notre héros va se faire déniaiser dans les grandes largeurs.

Critique de Paul a un travail d’été

Oh que je les aime ces petits auteurs canadiens qui savent se raconter sans fausse pudeur et avec simplicité. Michel R., qui semble avoir les mêmes gros sourcils que son protagoniste principal de Paul, nous offre quelques semaines de sa vie et une conséquence que cela aura dans sa vie d’adulte (la fin est à ce titre superbe).

Paulo, donc, glandouille tranquillement (un slacker dans le vocable nord-américain) dans une imprimerie, et cela lui déplaît infiniment. Surtout qu’il est illustrateur dans l’âme et a connu, dans ce domaine, une déception de première. Du coup, dès la trentième page, le voici parti près d’un lac pour se préparer à être organisateur de camp d’été, résultat d’un projet social mené par un de ses amis.

Le Tigre n’a pas fréquenté les scouts, et tout lecteur ayant au moins fait un viron entre potes (ou participé à une colonie de vacances parce que ses parents voulaient s’éplucher tranquillement) aura le cerveau résonnant de ses souvenirs en plus de ceux du héros. Car l’auteur maîtrise tout, de la difficulté à s’adapter (la tente dégueulasse, l’escalade à apprendre) aux veillées de nuit, en passant par le flirt qui laisse encore des papillons dans le bide (ici, la belle Annie que Paul met un certain temps à choper).

Deux derniers points positifs : d’une part, les dialogues sont du pur québécois, les expressions et termes utilisés sont d’un savoureux pour le lecteur parisien tigresque. Tellement bon que très vite j’ai subvocalisé les échanges des protagonistes avec l’accent. D’autre part, la fin est belle, voire trop. Notre héros, qui a vieilli, retourne par hasard sur le lieu de ces souvenirs. Et y découvre quelque chose qui sera l’occasion d’une très mignonne double transmission à sa fille.

Le dessin n’est pas vraiment sobre : noir et blanc, cases en générales petites, trait épais avec pourtant de belles expressions faciales, le tout fait brouillon (sans que ce soit négatif comme remarque). Un style qui rappelle le bon Guy Delisle en fait. En effet, l’éditeur indépendant La Pastèque ne s’est pas trompé en publiant en 2002 cet ouvrage qui a légitimement reçu plusieurs prix. A lire et relire (Le Tigre vous l’autorise en ce qui concerne les BD).

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Ces « vacances » (il garde des mioches quand même) sont l’occasion pour Paul de relativiser les problèmes. La goutte qui fait déborder son vase (avant qu’il ne parte) est son canari qui décède. Une fois au camp, il rencontrera des enfants qui ont d’autres soucis (pauvreté, parents en prison, etc.), renvoyant Paul à son statut d’enfant presque gâté. Et l’auteur n’est pas des plus pédagogue au début, il stresse (presque pour rien) et avec sa collègue ce n’est pas l’entente cordiale. Puis, peu à peu, ses réflexes d’adolescent égoïste fait place à une remarquable intelligence émotionnelle. Bref, les sourires sont garantis.

La relativisation sera d’autant plus grande qu’une des petites qui participe (ils viennent par cycle de deux semaines) au camp est aveugle. Marie (qui plus tard devient avocate, dixit l’auteur), a néanmoins toute sa place dans aventure puisqu’elle va montrer à Paul que même un pareil handicap n’empêche pas d’avoir un regard (pauvre choix de mots) résolument optimiste sur le monde. Cette gosse + fin émouvante = Tigre qui a failli chialer à la fin de l’ouvrage. Tabernacle.

…à rapprocher de :

– Rabagliati a une jolie collection avec le fort sympathique Paul : Paul à la campagne, Paul en appartement, Paul dans le métro, Paul à la pêche, Paul à Québec, Paul au parc, Paul dans le Nord. Pour l’instant.

– Sur les dessins, je faisais référence à Guy Delisle (de même auteur canadien), notamment Shenzhen (sur le trait gros), également dépourvu de couleurs.

– C’est idiot, mais la petite aveugle m’a fait penser à une des protagonistes dans Oscar et la Dame rose, du vilain Schmitt.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cet illustré en ligne ici.