En suivant le parcours d’un presque adolescent noir dans un troisième Reich naissant, Didier Daeninckx s’est attaqué à un sujet délicat qu’il a traité non sans un certain brio : aventure étonnante doublée d’édifiants exemples de ce que les Nazis étaient capables de faire, ce court titre n’est point une déception – mais nulle grosse claque non plus.

Il était une fois…

Ulrich est ce qu’on appelle, dans l’Allemagne des années 30, une « honte noire », à savoir qu’il est le fruit de l’amour entre une Allemande et un tirailleur sénégalais en poste à Duisbourg après la première guerre mondiale. Entre les premières lois de Nuremberg et le retour en Afrique, en passant par des studios de cinéma près de Berlin, notre ami va parcourir un long voyage – jusqu’à retrouver Galadio, c’est-à-dire ses racines.

Critique de Galadio

Lu vite fait, plaisir bien fait ! Petit bémol : dans le quatrième de couverture, il est question d’une « documentation très fouillée » de la part de l’écrivain français. Mouais, peut-être que Didier D. a bossé comme un âne sur un scénario somme toute crédible, mais de là à parler de documentaire complet faut pas trop se foutre de notre gueule non plus. Certes il y du bon name droping comme il faut (et que tout lecteur oubliera bien vite), toutefois en 150 pages on est loin d’un essai abondamment référencé.

Revenons à notre Ulrich. Tout semblait aller plutôt bien pour lui, vivant sa jeunesse et flirtant même avec la belle Déborah – c’est relatif, môman Ulrich trimant dur dans une fonderie. Cependant, l’idéologie nazie lui tombe assez rapidement sur le râble : éjection de la plupart des activités sportives, il est vite recherché par les S.A. qui parviennent à mettre la main dessus. Placé dans une institution spécialisée, Ulrich échappe miraculeusement à la stérilisation avant qu’un producteur de films le repère afin qu’il joue les figurants. Grâce à quelques prises de vue en Guinée-Bissau, le métis parviendra à filer à l’anglaise et rejoindre les populations autochtones.

Il s’ensuit la participation du héros aux forces françaises libres, quelques hauts faits d’armes jusqu’au retour à Duisbourg pour apprendre ce qu’est devenue sa famille. Pour un roman délivré à la première personne du singulier, l’auteur a réussi à rendre fidèlement compte de la folie de l’époque et l’incertitude qui régnait pour une partie peu connue de la population (ni juif, ni homosexuel, ni tzigane, mais tout comme) et particulièrement déracinée.

En guise de conclusion, un bon petit roman qui s’adresse à tous, et pour cette taille il n’y a que peu de choses à reprocher à Didier D. La narration, empreinte d’une tristesse bien légitime, réussit toutefois à éviter tout pathos ou tirage de larmes excessif, ce qui est en soi un bel exploit.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Galadio paraît être un savant mélange entre un roman d’apprentissage et une quête personnelle sur ses origines. La mère d’Ulrich ne lui dévoile pas tout au premier abord, il faudra attendre que certains évènements surgissent pour savoir les circonstances de la rencontre entre sa mère et un père absent qui ne répond pas aux courriers. Ayant l’opportunité de pouvoir aller dans le pays paternel (la patrie ?), Galadio réapprend à vivre comme ses ancêtres, loin de la misère froide et hostile qu’est l’Allemagne de l’époque. Fort de ces expériences, Ulrich se battra aux côtés des Français Libres, et très vite il aura la confirmation que, même chez les Alliés, les Noirs représentent une citoyenneté de seconde zone – ségrégation particulièrement prononcée dans l’Afrique coloniale.

Un des apports « culturels » de ce titre est, sans conteste, la mise en œuvre grossière de la propagande nazie d’un point de vue cinématographique. L’aventure de Galadio est à ce titre unique puisque permettant de faire un petit tour via les studios Babelsberg, en lisière de la capitale, Berlin. Nous y rencontrerons le gratin des producteurs de l’époque (sauf Leni bien sûr), avec par exemple le bon Edouard von Borsody et son Kongo-Express. Mais le film où le héros jouera un rôle non négligeable est Carl Peters, qui retrace la vie d’un aventurier teuton. Le script, à se pisser dessus, parle d’un homme d’honneur délivrant les populaces locales du joug franco-britannique. A signaler un acteur black qui, malgré son apparence, est une quasi-star dans le milieu.

…à rapprocher de :

– De Daeninckx, Le Tigre sait qu’il existe énoooormément de romans publiés. Pour l’instant, je peux vous conseiller le très singulier Je tue il…

– Sur l’Allemagne des années 30 puis pendant la guerre, il reste l’incontournable Seul dans Berlin, de Hans Fallada.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

L'encyclopédie des félinsLes chiens n’attaquent que les étrangers menaçants. Les chats, heureusement, sont infiniment moins cons. Ils savent que les chances sont maximales en ne s’en prenant qu’aux personnes qu’ils voient tous les jours. Si cela est certes amusant à constater, toutefois il serait dommage que votre nom (avec une photo de votre cadavre copieusement déchiqueté) apparaisse en première page d’un tabloïd.

Pourquoi votre chat veut votre mort ?

Selon moi, les réponses sont multiples et nécessiteraient un autre volume de l’encycatpedia. Au débotté, quelques raisons :

1/ La faim.
2/ La curiosité.
3/ Réaction d’un(e) mâle/femelle dominant(e) qui ne veut pas partager votre compagne(on).
4/ Envie de changer un maître trop possessif.
5/ Le jeu, le plaisir de voir quelqu’un plus gros qu’une souris paniquer.

Love me tender, love me true (lies)

Love me tender, love me true (lies)

On s’en bat un peu les roubignoles des raisons de la criminalité atavique (sinon latente) des félins. Ici compte le comment et la façon de gérer son chatueur.

Comment votre chat cherche à vous tuer ?

Après la très fumeuse théorie, je vais vous proposer quelques exemples concrets. Non seulement Le Tigre posera les bases de situations connues de toutes et de tous, mais en plus l’intellectuel félin vous instruira sur ce qu’il ne faut pas faire…et la façon de correctement réagir pour remettre l’indélicat à sa place.

Puisque les chats ne distinguent pas les couleurs, je profiterai de ce billet pour en mettre un peu façon feu vert. Enfin, parce que je suis en forme, je vais même attribuer à votre minet un prénom différent pour chaque cas abordé – et ce en fonction des édifiantes circonstances. A vous de retrouver les références – ce n’est pas vraiment difficile, mes clins d’œil sont plus appuyés que ceux d’une péripatéticienne qui vous dit que vous être le premier. C’est parti pour les leçons :

  • Tyson mordille la main qui le caresse

La situation : Tysonou est gentiment contre vous, voire présente son ventre en vue d’éventuelles flatteries de son poil. Sauf que pendant que vous vous exécutez, il agrippe votre quenotte et la mord. Il semble même labourer le reste de son corps avec ses pattes.

La réaction à ne pas avoir : vous vous dites que les réminiscences de tétées de sa maman sont de retour et trouvez ça mignon. Sauf que Tysonou cherche juste à vous bouffer, du moins à transmettre les mauvaises bactéries accumulées dans la journée.

La réponse adéquate : faut lui montrer que vous n’êtes pas dupe, tout en rappelant qu’il a les yeux plus gros que le bide. Pour cela, enfoncez deux doigts dans sa gorge en tenant fermement sa tête avec votre autre main. Et ce jusqu’à ce que le volume ses yeux augmente d’environ 24%. Ça le calmera pour les prochains mois.

  • Michael dort sur votre tête

Le problème initial : au milieu de la nuit, un truc vous pèse sur le visage. C’est Michael qui vient ronronner sur l’endroit depuis lequel, vous aussi, vous ronflez. Comme c’est chou.

La réaction suicidaire : être attendri face à un tel amour et se mettre le visage dans l’oreiller. C’est exactement ce que recherche votre compagnon à quatre pattes. Il attendra que vous vous endormiez pour vous étouffer.

Ce qu’il faut faire : lui cracher à la gueule et émettre un sifflement strident. Cela devra l’éloigner de quelques mètres pour le reste de la nuitée.

  • Bruce essaye de se jeter sur vous

Le conflit qui éclate : vous roulez du derch…euh vous baladez tranquillement dans votre appart’ jambes nues. A ce moment, Bruce gambade, le pas alerte, derrière vous. Et oui : il veut se jeter sur vos jambes.

Votre réflexe de pseudo-survie : descendre votre tee-shirt le plus bas possible, jusqu’à irrémédiablement le déformer. Puis courir dans tous les sens comme un poulet fraîchement décapité. Bruce n’en sera que plus excité.

Ce qu’il faut faire : faire preuve de dominance. Vous êtes l’individu alpha dans la zone, Bruce doit en être conscient. Pour cela, écartez les bras et prenez une position digne d’un orang-outan en rut. Gueuler un bon coup et s’approcher de Bruce devrait lui faire réaliser qu’il n’est pas de taille pour les attaques – lorsque vous êtes debout, couché c’est une autre paire de manche.

  • Guantanamo miaule pendant votre sommeil

La situation : à la porte de votre chambre, ça demande à entrer. Trente minutes après, voilà qu’il veut sortir. Puis revenir. Ressortir. Pour faire bonne mesure, un petit coup de gueule dans la cuisine parce qu’il n’y a pas de croquettes. Une autre plainte parce que sa litière n’est pas nettoyée. Un énième miaulement pour sortir de la piaule – comme dans le roman de Christie, vous pourriez avoir deux chats identiques que ça ne vous étonnerait pas.

La réaction à la con : vous imaginer les raisons ci-dessus à l’origine de ces bruits stridents. Que dalle, Guantanamo veut simplement niquer votre cycle de repos. Et vous rendre, lentement mais sûrement, fou à lier.

La réponse adéquate : des boules quiès. La tête dans l’oreiller (mauvaise idée en fait). Non, la solution est plus triviale. Il faut considérer Guantanamo comme un moustique, mais en plus gros et porteur de plus de maladies. Ainsi, avoir un spray rempli de flotte à proximité convient parfaitement. Si miauler pendant que vous êtes allongé est associé à une mini-douche sans autre forme de procès, y’a moyen que Guantanamo n’ait plus rien à apprendre de cet alcoolique de Pavlov – le mec à l’origine du réflexe éponyme. Si vous n’avez pas de spray, chopez Guantan’ dès le premier son et laissez-le sur le palier.

  • Carl court comme un dératé dès que vous vous approchez de lui

Dans les starting blocs : vous êtes en train parcourir votre maison/appartement/taudis gaiement en récitant quelques vers lorsque, soudain, une vous voyez Carl qui se transforme dans la seconde en une fusée faite de poils. Impossible de savoir d’où il vient ni où il va, c’est la magie des félidés.

Le mauvais départ : l’erreur première serait de prendre ce petit tour de passe-passe pour un jeu en vous amusant d’une telle vivacité. En vérité, Carl avait tendu une embuscade qui a été trop tôt révélée. Il s’apprêtait à vous faire un coup de pute et en a été empêché car il a mal assuré son camouflage. Il est donc temps de sévir.

La bonne ligne d’arrivée : il ne faudrait surtout pas que Carl s’en tire à si bon compte. Montrez-lui alors que vous êtes plus fort que lui : coursez-le jusqu’à ce qu’il soit acculé contre un mur/sous un meuble. Cela étant fait, prenez-le par le gras du coup et faites lui subir mille tourments – pour ma part, je lui chatouille le bide jusqu’à ce qu’il se pisse dessus.

  • Norman vient de chier dans votre douche/bain

Le script : au lieu de tirer le rideau de la douche pour vous asséner une dizaine de coups de couteau dans le bide, votre félin a laissé quelque chose de long, souvent sec mais étonnamment odorant. Vous êtes colère. En fait, ce caca judicieusement placé est l’équivalent d’une peau de banane dans un film à petit budget. Norman, très au fait des statistiques sur les accidents domestiques, veut que vous vous rétamiez dans les grandes largeurs. Si votre tête heurte un rebord est son but premier, Norman saura se contenter d’un coccyx en vrac.

La réaction attendue par les spectateurs : nettoyer la merde et s’arrêter là. Franchement, c’est ainsi que vous répondez aux tentatives d’assassinat ? On ne vous demande pas d’être un saint homme.

Le twist attendu par les mélomanes : je l’ai déjà développée dans un autre volume (en lien). C’est autant simple que courtois. Trouvez d’abord où votre chat se cache. Prenez-le fermement par le colbac, puis augmentez le son dans ses oreilles – peu importe ce que vous direz, l’idée est d’être progressivement menaçant. Puis amenez-le sur le lieu de son forfait. Face à son égarement coupable, Norman fera sûrement semblant de ne rien remarquer. Aidez-le en écrasant sa tête dans sa merde. Frottez en particulier le nez. [j’en profite pour vous suggérer de fermer votre chambre. Une fois, Norman s’est essuyé sur mon oreiller. J’ai dû le changer – pas le coussin.]

  • Ripley se positionne sur votre ventre et semble très contente

La situation : que vous soyez allongé dans le pieux ou avachi devant la télé qui met en scène six tassepépées tournant en rond dans un loft de banlieue parisienne, voilà-t-y pas que Ripley se colle à votre bide avec insistance. Il se peut même qu’elle éprouve, du bout de ses griffes, la qualité de votre tee-shirt – souvent, ça se termine par un accrochage en bonne et due forme.

La réaction lolilol : se réjouir d’une telle tentative de massage et profiter d’un eye-to-eye privilégié avec son animal d’amour. Hélas, et vous ne le savez sûrement pas, Ripley entreprend de puiser votre énergie interne. Tel un démon sorti des pires cauchemars du jaïnisme le plus antique, elle se positionne sur un point de chakra particulièrement puissant de votre organisme. Le plexus, point de jonction de la sexualité et le l’esprit, est un endroit critique d’où votre énergie interne est la plus décelable.

La réaction responsable : quand on essaye de pomper ainsi mon fluide vital, je pose la main sur la tête du responsable pour attendre qu’il termine – pas vous ? Si vous craignez que votre énergie se dissipe trop, le mieux est de laisser faire Ripley, puis lui rouler un patin dès qu’elle a fini avec vous. Vous récupérez ainsi votre dû. Ce geste porte un nom spécifique dans les milieux autorisés, mais j’ai oublié lequel.

Conclusion

Ce volume s’enrichira à mesure des conneries que mon petit cousin fera. Il est en outre fort probable que vous avez vécu de pires situations, aussi je décline toute responsabilité si, par ma faute, vous n’avez su être réactif. Soyez donc sur vos gardes, tout en restant bien évidemment correct avec mes congénères.

Au fait, pourquoi ce numéro énorme au volume ? Car en 86 était publié Le Horla, un texte court qui n’est pas sans rappeler mes pires moments de paralysie du sommeil. Toutefois, le chat qui se pose sur mon ventre est infiniment pire que la saloperie décrite par Maupassant.

Romain Ternaux - Croisade ApocalyptiqueParis, Goa, Mumbai, Los Angeles, reParis, lorsqu’on laisse des armes ou des laisses de biffetons à une bande d’individus plus ou moins adaptés au monde contemporain, y’a moyen que ça fasse de sérieux dégâts. Avec une écriture légère et hélas un peu foutraque sur les bords Romain Ternaux nous entraîne dans des aventures qui n’ont pour prétexte qu’une révolution dont les idéaux, à chaque page, s’éloignent irrémédiablement.

Il était une fois…

 Avec ses compagnons de hasard (Caro la prostituée, Cal le clodo et Ulrich le survivaliste), notre héros alcoolo et incapable va sillonner le monde en vue de lever un armée destinée à pendre par les tripes les odieux capitalistes de la planète. Du moins c’était son idée première. Car dès qu’il a une once de pouvoir ou de biens entre les pognes, le gâchis est imminent. Et violent.

Critique de Croisade Apocalyptique

Ce bouquin serait largement passé à côté des griffes tigresques si son auteur, lors d’un gala en l’honneur de la disparition de Maxime Chattam, ne m’avait pas supplié, à coups de gin tonics, d’acheter son premier roman et d’en faire un billet. Romain a même signé mon Code de déontologie. Dont acte.

Je dois vous avouer que la présentation générale de l’œuvre m’a légèrement filé les jetons : 4 chapitres pour plus de 200 pages, une photo dérangeante (bravo à Bénigne, le photographe) en début de chapitre, et un premier tiers d’ouvrage qui fut difficile à appréhender. Entre un personnage principal (dont on ne saura jamais le prénom, sauf erreur de ma part) profondément antipathique et d’autres protagonistes excessifs par leurs caractères, autant vous dire que l’histoire mêlant un inattendu trafic d’armes et un départ pour Goa a de quoi surprendre.

Et puis, notre anti-héros pose ses pénates, seul cette fois-ci, à Los Angeles. A partir de ce moment le pedigree du gus s’épaissit considérablement (concomitamment à son obésité en fait) pour prendre une tournure dramatico-absurde : ses rêves sont plus inaccessibles que jamais et son délire alcoolico-révolutionnaire atteint d’édifiants sommets. Le style, fait de phrases (style familier la plupart de temps) simples, se marie alors plutôt bien avec les odieuses pérégrinations d’un homme en manque de repère.

Hélas, mille fois hélas, la fin est obscure au possible, disons que ça file aux quatre coins de la rose du vent scénaristique. Plus généralement, on sent à mesure de la lecture que l’auteur n’y croit pas vraiment, trop de détails ou de précisions sont allègrement laissés de côté. Ce qui pose la question du pourquoi d’un tel roman. A mon humble avis, la réponse me paraît toute bête : Roman T. se fait plaisir en embarquant ses protagonistes dans un grand n’importe quoi réjouissant – où l’idéalisme le plus extrême s’écrase certes tardivement face à la triste réalité.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le félin pourrait déblatérer sur l’alcoolisme nihiliste de tout ce petit monde ou leurs vies brisées à cause de mauvais choix, voire évoquer quelques scènes peu ragoûtantes où il est question de repeindre sa chambre avec du caca, cependant il y a des choses plus intelligentes (enfin c’est selon) à dire.

L’idéalisme marxiste qui anime l’antihéros est ancré en lui de façon viscérale, et ses pensées ne sont que vomissements contre une société capitaliste. Le lecteur se dira « chouette, ça va dépoter dans les chaumières », toutefois il n’en est rien : le mec est un loser fini infoutu d’organiser de manière correcte sa petite vie. Pire, lorsque ses « amis » lui présente un moyen durable de changer le monde, il fout tout en l’air à cause de considérations toutes personnelles. Ainsi, sa croisade est uniquement apocalyptique pour lui dans la mesure où il associe son état gangrené par l’alcool à celui de l’univers qui l’entoure. Et si améliorer le monde nécessite de changer son mode de vie en premier lieu, rien ne bougera.

De même, le personnage principal a un sérieux problème avec l’argent, qui ici agit comme un repoussoir et un moyen d’action…pour partir à l’autre bout du monde ou s’acheter des binouzes très souvent. En fait, le fric est surtout traité en tant que source d’intenses tracas, que ce soit faire des conneries avec (mais avec plus d’amplitude) ou se miurger plus que de raison – l’insistance de l’auteur vis-à-vis des alcaloïdes est louche. En imaginant ce qu’un crétin pareil pourrait faire s’il avait une ligne de crédit infinie, on pense tout de suite à une horrible dictature où le whisky sort des robinets et où la prostitution représente 30% du faible PIB. D’ailleurs, la dernière page est assez déroutante puisque notre ami, enfin, semble avoir surmonté ses soucis en refusant ce que n’importe qui accepterait volontiers – après une impitoyable catharsis et un début de delirium tremens, le clochard serait-il devenu un sage ?

…à rapprocher de :

– L’auteur a récidivé avec L’histoire du loser devenu gourou, qui se laisse lire.

– J’ai eu une période jeune-dégueulasse-en-guerre-contre-le-monde, par des auteurs (pour l’instant) inconnus, notamment Monstres, de Mike Kasprzak – recueil de nouvelles avec de beaux spécimens.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Didier Van Cauwelaert - Un objet en souffranceLa paternité, ach ! Kolossal sujet.  Par un petit tour de passe-passe pas si innocent, un homme offre sa fertile semence à un autre qui en semble dépourvu. Histoires de pères, de doutes, d’intenses remises en question, Van Cauwelaert a gentiment sorti l’artillerie avec un roman court et percutant – même si des longueurs restent à déplorer.

Il était une fois…

Simon est un pauvre hère qui vend des conneries pour des gosses (ça s’appellerait des « jouets »). Il est à plaindre parce que son métier prend une tournure sadique puisqu’il est incapable de faire un chiard à son épouse. Ça l’affiche plutôt mal non ? De l’autre côté de la tranche d’imposition, il y a François, impitoyable capitaliste dont l’idée d’avoir un gamin est aussi prégnante que la volonté de voter à gauche. Qu’est-ce qui pourra bien lier ces deux individus ?

Critique de L.A. Requiem

J’adore Didier Van Cauwelaert. Le genre d’auteur capable, avec 200 pages toutes mouillées (chapitres pas si courts et police relativement petite), à sortir ex nihilo une histoire touchante et bien foutue. Du grand art dans l’ensemble, et ce roman en est un vibrant exemple.

La problématique arrive plutôt vite (moins de 50 pages, au jugé) après une présentation efficace et vivante des caractères de deux protagonistes que tout semble opposer. Simon, le gentil en apparence, n’en peut plus de sa probable stérilité. Lors d’une visite dans un hosto où se trouvera (coïncidence excessive mais attendue) le bon François, quelque chose de magique se passe : époustouflé par la bonnassattitude d’Adrienne (épouse de Simon), l’homme d’affaires s’arrangera pour, incognito (et avec l’aide de revues pornos et d’un tube), provoquer l’arrivée d’un enfant chez l’autre couple.

De cet acte insensé naîtra Adrien, un charmant enfant que François observera grandir en loucedé. Plus il voit le petiot prendre forme et faire preuve d’un certain génie (il est très doué en informatique et en profite pour aider les gens), plus la brutasse commerciale s’attendrit et voit son paradigme [j’adore ce mot] changer. Et Simon n’est pas en reste, de son côté l’arrivée inespérée d’un enfant apporte son lot de bouleversement, même si le bonheur paraît être globalement au rendez-vous.

Du mignon, un poil de réflexions, un humour de situation souvent bien présenté, Didier V.C. mène tranquillou son histoire. Et ça marche putain, à part quelques passages non nécessaires (les nombreuses remarques in petto des personnages pourront en gaver plus d’un) le lecteur se laisse porter. Et ça a plus de matière qu’un Eric-Manu Schmitt ou un Nothomb à lire entre deux stations de métro. Que demander de plus pour deux heures trente de lecture ?

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le premier thème porte sur François et les remises en questions successives qui s’opèrent en lui. Très basiquement, Van Cauwelaert nous introduit un homme bosseur qui amasse des tunes avec une rare indécence. Le mecton accumule le pouvoir (argent, influence) et n’est pas loin d’avoir les deux prémolaires du fond qui baignent de tant de félicité. Est-ce vraiment de la félicité ? A quoi sert tout ce fric et cette position sociale ? Que laisser sur la planète une fois disparu ? Que de nouvelles façons de voir les choses (notamment grâce à Adrien), c’en est troublant pour le business man. Le mot de la fin, assez gnangnan, n’enlève cependant pas le plaisir à voir un homme changer.

Accrochez-vous au zinc les amis, je me prépare à sortir de la philosophie de comptoir digne d’un félin alcoolisé. Le bonheur suprême, pour tout homme, est tout simplement d’avoir un enfant. Sauf qu’un des intervenants dans l’histoire est un clandestin paternel en puissance. Mais la frustration et l’angoisse qui en découlent ne sapent pas l’état de bonheur de François qui voit son fils biologique grandir et bien évoluer – sans pouvoir lui parler ni le toucher. Et, grâce à la narration multiple apportée par l’écrivain, nous sommes en mesure de subir, à chaque étape de la paternité, différents points de vue. Et il n’est pas évident de déterminer quel père est le plus digne de son fils – les deux le seront, à leur manière.

…à rapprocher de :

– De Cauwelaert, je crois (enfin c’est mon impression) avoir tout lu. Notamment Rencontre sous X (bon), L’évangile de Jimmy (le meilleur sans doute), Hors de moi (surprenant mais décevant), etc.

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Robert Crais - L.A. RequiemVO : idem. Deux détectives assez différents, une horrible affaire de meurtre qui fait allègrement ressortir la merde planquée sous de nombreux tapis, une institution policière qui en prend pour son grade, l’Amérique impitoyable, voilà qui plaît bien à l’esprit félin. Efficace, dur, drôle, Crais maîtrise bien son petit sujet.

Il était une fois…

Une mission plus que délicate attend Elvis Cole et Joe Pike, deux détectives qui sévissent dans le Los Angeles tout ce qu’il y a de plus violent. Un richard de première fait appel aux deux loustics pour retrouver la personne qui a assassiné sa fille – la flicaille semblant un peu légère sur cette affaire. L’enquête va se révéler doublement complexe : d’une part, la victime est un ex de Pike (voilà pour la gestion du conflit d’intérêts. D’autre part, la police de L.A. n’est point disposée à coopérer avec nos deux héros (voilà pour l’ambiance).

Critique de L.A. Requiem

Il doit bien s’agit du huitième titre de l’auteur américain qui met en scène ces héros, en revanche je n’ai aucune idée sur ceux qui ont été effectivement traduits en français. Je suis un peu gêné aux entournures dans la mesure où tout semble bon à garder chez Robert C., l’adolescent Tigre a pris orgasmes sur orgasmes avec ses romans – et votre vieillissant serviteur a pris le même pied en les relisant vite fait.

Dans cette histoire, la belle Karen Garcia gît, une balle en plein poire, en plein L.A. Son père, un Mexicain plus ou moins louche assez dévasté, n’a d’autre choix que se tourner vers un ami de feue sa fifille chérie. Hélas, plus les deux gus farfouillent dans tous les coins, plus il appert que certaines personnes sont étonnamment impliquées. Sans compter l’animosité certaine entre les flics et Joe Pike qui avait été viré de la police après une retentissante affaire de pédophilie – il est soupçonné d’avoir buté de sang froid son coéquipier.

L’écrivain, non sans intelligence, parvient à distiller un chouette doute dans l’esprit du lecteur. Pourquoi s’en prendre à une jeune femme en apparence innocente ? Qu’a bien pu foutre dans le passé Joe Pike ? Est-il si net d’ailleurs ? En outre, et comme à son habitude, Crais pond des chapitres qui pèsent, mouillés, à peine cinq pages. Pour une fois, le passé et le caractère des deux héros sera particulièrement soigné, j’ai eu le sentiment de bien avancer avec leur pedigree. En finissant une fois sur deux les différentes parties par un suspense parfois excessif, il n’y a pas vraiment moyen de refermer le bouquin.

Bref, tout ça pour dire que c’est un des meilleurs opus que j’ai pu lire de Craig. Non seulement le scénario est violent et plutôt noir, tout en permettant quelques dialogues savoureux de mâles un poil trop burnés. Du polar détente, comme je disais.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Comme je le disais, le lecteur aura l’occasion d’en savoir plus sur les deux amis, en particulier le très mystérieux Joe Pike. Le gars aux impressionnants tatouages est un taiseux de première, ne comptez pas sur lui pour vous raconter sa petite vie. Ce sera son ami qui s’en chargera en tirant quelques ficelles du passé de Pike. Enfin, presque à l’improviste, nous sommes plongés dans la terrible enfance d’un homme qui en prend plein la gueule. Du coup, le comportement de Pike apparaît comme presque logique, on se dit qu’il aurait pu tourner bien pire.

Le dernier thème est l’unique petit bémol de L.A. Requiem, qui est la réaction souvent brutassière des policiers. Je comprends que voir Pike, ancien flic mal apprécié chez ses anciens collègues, ne jouit pas d’une irréprochable coopération de leur part. Mais de là à présenter une famille poulaga peuplée de gros chieurs qui veulent provoquer d’incessants concours de zobs avec Pike et Cole, c’est un tantinet too much. Ça se tire entre les pattes sans cesse, peut-être trop.

…à rapprocher de :

– Il fut un temps où votre serviteur avait avalé pas mal d’œuvres de Crais. Dans l’ordre de parution : Indigo Blues ; le présent roman ; Le Dernier Détective ; L’homme sans passé (mouais) ; Mortelle Protection (bueno) ; A l’ombre du mal ; Règle numéro un ; etc.

– Sans les héros habituels, vous avez Otages de la peur ( plutôt marrant) et Deux minutes chrono (à éviter).

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Duval & Calvez - L'Homme de l'année 1894Sous-titre : L’homme à l’origine de l’affaire Dreyfus. Bande (très bien) dessinée qui instruira facilement le bon peuple, ça se lit comme un petit pain. Voici les débuts de l’affaire Dreyfus, ou comment le pays en est venu à se déchirer tout en plongeant un innocent dans la mouise – alors que tous les indices se détournent de lui. Étonnamment bon.

Il était une fois…

Ferdinand Walsin Esterhazy est un homme à la morale assez douteuse. Pseudo comte à l’ascendance bâtarde, époux qui monte plus souvent les coureuses de remparts parisiennes que sa femme, joueur invétéré qui perd beaucoup, l’individu vit largement au-dessus de ses moyens. Ayant effectué une carrière militaire correcte (mais loin d’être renversante), Ferdinand est en rade grave de tunes. C’est pourquoi il en vient à vendre ses connaissances issues de l’armée aux Prussiens. Il rédige, un beau jour, un bordereau indicatif. Le même qui sera utilisé pour incriminer Dreyfus…

Critique de L’Homme de l’année 1849

Honnêtement, lorsque ce truc m’a été offert, j’ai cru flairer la daube en boîte comme on sait en produire à la chaîne. Septième tome d’une saga, avouez que les exemples ne manquent pas de séries foireuses qui tournent piteusement autour d’un thème plus ou moins redondant – n’attendez pas de moi pour citer des noms. Une fois n’étant pas coutume, je me suis lourdement trompé.

La gestion du scénario d’abord. Au lieu de se concentrer sur les malheurs de ce pauvre Alfred Dreyfus, la plus grande partie de l’œuvre s’occupe de Ferdinand Esterhazy. Ce dernier, petit espion à la ramasse qui passe la majeure partie de son temps à fuir les créanciers (et soutirer des tunes à ses proches), ira jusqu’à proposer divers plans militaires aux Teutons. Duval alterne intelligemment entre les grandes tendances de l’Histoire (j’en parle plus tard) et celle, plus vulgaire, d’un homme qui finira tranquillement ses jours en Angleterre.

Ensuite, les illustrations. Florent Calvez a un sacré talent, on sent le besogneux particulièrement soucieux de ne rien laisser au hasard : personnages élégamment dessinés, architecture fidèlement restituée, ça se déguste avec un plaisir de fin gourmet – pourvu que le lecteur pardonne l’arrière-plan un peu brouillon. Avec le concours du scénariste, Calvez verse dans une présentation onirique, que ce soit par une iconographie théâtrale (littéralement lorsqu’il s’agit de présenter de fallacieux arguments) ou quelque chose de plus scolaire (en présentant des faits difficilement contestables).

Pour conclure, une belle surprise qui, ne dépassant pas 60 pages, paraît remplir tous ses objectifs : aisée à lire et à comprendre, suffisamment bien documentée et en apparence complète, impartialité de bon aloi, bref c’est tout bonheur. Une série à suivre.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Au-delà d’un nationalisme fervent qui tend absolument à chercher ses ennemis à l’intérieur, l’antisémitisme occupe une place de premier rang. Certains protagonistes, à l’instar d’Edouard Drumont, éructent déjà de belles insanités sur la menace que constitueraient les représentants du Peuple Élu. La BD est visuellement intéressante dans la mesure où, à mesure qu’on lit leurs délires racistes, les acteurs de l’antisémitisme se transforment progressivement en monstres tentaculaires qui, pour ma part, m’ont fait penser au vilain Cthulhu. Et ça va salement polluer l’enquête, Dreyfus apparaissant comme un coupable parfait alors que des centaines de personnes auraient pu avoir accès aux infos révélées dans le bordereau.

Ce qui m’a particulièrement marqué est le tourisme accompli des autorités françaises en matière d’espionnage. Avant la création du deuxième bureau de l’armée (première vraie organisation qui s’apparente à des services secrets), c’était un peu la fête du slip : quelques correspondants ici et là qui passent le plus clair de leur temps à fréquenter les salons mondains ; embauche à la one-again de petites mains pour récurer les corbeilles à papiers des ambassades ; réunions entre personnes qui ne savent pas vraiment se positionner, bref rien à voir avec ce que le 20ème siècle allait offrir.

…à rapprocher de :

– Comme je le disais, L’Homme de l’année se décline en plusieurs moments historiques, il y a de quoi faire, à terme, une belle intégrale qui envoi du pâté (je vous laisse deviner de qui il s’agit à chaque fois) 1917, 1431, 1815, 1967, 1871 1492 (c’est bon j’ai fini).

– Pour des contre-exemples avec des séries qui ont bien tout foiré comme il faut, je pense à La malédiction de la Tour Saint-Jacques de Pécau et Dim. Une bien jolie cata.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette BD en ligne ici.

Robert McLiam Wilson - La douleur de ManfredVO : Manfred’s Pain. Un homme. Une épouse. Un foyer. Un gâchis. Avec un style précis et épuré, Robert M.L. Wilson parvient presque à tenir son lecteur en haleine dans un scénario d’une infinie tristesse. Briser une famille est facile, s’acharner à recoller les quelques morceaux restants est moins évident. C’est entre autre ce dont souffre Manfred.

Il était une fois…

Manfred, vieil homme fort malade, ne voit sa femme sur un banc qu’une fois par mois. Les relations avec son fils sont épisodiques et quelque chose de terrible semble planer dans la famille. Mais quoi donc ? Itinéraire d’un homme complexe et d’une femme qui a survécu aux camps de concentration nazis, que cachent donc les maux du(des) protagoniste(s) ?

Critique de La Douleur de Manfred

Avant de commencer ce billet, de grâce ne lisez pas le quatrième de couverture. Je ne sais pas qui a été chargé de le rédiger, mais le salopiaud a très vilainement parlé d’un aspect de l’histoire qui n’est révélé que dans le dernier tiers. Pas bien du tout.

Ce roman, plutôt court mais dense, alterne entre le présent (peu glorieux) d’un vieillard sur le déclin et le passé de ce même homme. Britannique à l’enfance relativement heureuse et ayant plus tard participé à la Seconde guerre mondiale, Manfred rencontre ensuite Emma, une douce femme qui lui a fait un bel enfant. Il subsiste aux besoins de ses proches grâce à Tapper, personnage atypique par ses initiatives et son culot gérant une partie de l’immobilier londonien. Parallèlement, le lecteur découvrira un papy qui n’a plus grand chose à espérer de la vie. Si ces deux histoires ne se rejoignent pas, le dernier tiers du roman offre enfin l’explication de l’état de guerre froide au sein d’un couple irrémédiablement déconstruit.

C’est sans doute là le problème d’un titre qui n’invite pas plus que ça à être poursuivi. Le style de l’auteur irlandais est délicieux, presque hors du temps, quelque chose à la fois d’intimiste, sobre et fort neutre – par rapport aux thèmes abordés. Les descriptions de la fameuse douleur du héros sont ciselées et provoquent une empathie certaine vis-à-vis de lui, même lorsqu’on apprend le pire. Sauf que MacLiam Wilson ne fait pas assez monter la mayonnaise avant de déverser dans la violence pure (d’un point de vue littéraire) comme il a pu le faire dans d’autres romans. Des protagonistes comme l’irascible voisin Webb, par exemple, n’apportent leur pierre à l’édifice que trop tard.

Tout ça pour dire que ce n’est pas nul, loin de là. Mais La douleur de Manfred souffre terriblement de la comparaison d’avec ses prédécesseurs, plus complets et impressionnants. L’écrivain verse certes dans une narration originale car non linéaire (les flashbacks sont savamment délivrés), mais il manque du grandiose à l’ensemble. Si vous n’avez que peu de temps, foncez. A l’inverse, préférez ses titres cités en bas de billet.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Puisque le titre en dispose, parlons un peu de ce qu’est la douleur. Cette notion se rapporte en premier lieu à Manfred dont le corps décati se rappelle à son bon souvenir – ne vous inquiétez donc point, la délivrance par la mort survient à la fin. A la déchéance physique s’ajoute de douloureux souvenirs : les horreurs de la guerre ; l’omniprésente prostitution qui suit le conflit ; la naissance d’un fils qui devient (plus ou moins consciemment) un rival ; un métier qui lui laisse peu de marge de manœuvre, etc. De façon discrète et fine, Robert McLiam W. présente un personnage dont on pressent que le poids de l’Histoire (et de son histoire personnelle) le contraint à se courber.

Suis désolé, mais pour le dernier thème (le plus important sans doute) je vais devoir passer par l’alerte habituelle. [Attention SPOIL donc] La vraie douleur paraît être celle d’un amour total qui, par une curieuse alchimie, a été dévoyé. Est-ce la jalousie par rapport à la beauté d’Emma ? Sa résilience de façade ? L’alcool ingurgité par le pater familias ? Quoiqu’il en soit, un beau jour Manfred a filé (en apparence sans raison) une torgnole à son épouse. Assez bizarrement, il aime ça et Emma ferme sa gueule. Pourquoi alors s’arrêter malgré les incessants remords ? L’engrenage de la violence conjugale est en route, et rien ne l’arrêtera. Les raisons de ces actes apparaissent comme un enchevêtrement dramatique, et ce d’autant plus lorsque Emma, après une énième baston, livre sa propre histoire. Et là, le lecteur est susceptible d’avoir autant mal que ce pauvre Manfred [Fin SPOIL].

…à rapprocher de :

– De McLiam Wilson, Eureka Street est excellent, mais pas autant que Ripley Bogle.

– Sur les violences conjugales et l’apparente résilience d’une femme, lisez le très percutant La maison, de Nicolas Jaillet.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Armand Herscovici - Les Enfants du KhanRoman plutôt dense et exigeant, voici l’histoire d’un des plus vastes empires n’ayant jamais existé. Luttes politiques, intrigues familiales, tout cela sous le regard d’une esclave qui sert plusieurs familles, c’est fort instructif. Le style n’est hélas pas parfait mais ce fut lu à une allure étonnement rapide. Le 13ème siècle asiatique comme si vous y étiez – presque.

Il était une fois…

Alegh est une jeune fille de la tribu des Oyirats. Lorsque des soldats mongols vinrent saccager leur campement, la petite fille échappe de justesse au viol collectif, mais est arrachée à sa famille. Elle entre alors au service de la femme du grand Khan Ogodei, deuxième fils du très célèbre Gengis Khan. Au fil des années la belle (car c’est loin d’être un laideron), notre héroïne apprendra les lettres et sera aux premières loges dans l’histoire du peuple mongol.

Critique des Enfants du Khan

Avant de démarrer le corps du billet, il faut savoir que Le Tigre connaît personnellement l’auteur, un être dont la culture n’a d’égal que le raffinement, et dont j’ai lu pas mal de romans – qui sont, dans la chronologie de l’Histoire humaine, étonnamment éclectiques. Voilà pour signaler d’éventuels conflits d’intérêts. Et j’ai eu peur au début : tant de noms hélas délicats à retenir d’illustres personnages historiques, heureusement qu’Armand a eu l’idée de placer, dès les premières pages, un arbre généalogique du gros Gengis et un glossaire à l’attention de l’ignorant lecteur.

Toutefois, attention : ce titre ne revisite pas l’histoire du père Gengis, mais des Mongols depuis la disparition de celui-ci. La narratrice, femme intelligente qui tire très souvent son épingle du jeu, est une des rares personnes inventée par l’écrivain. D’ailleurs l’idée de placer une femelle est subtile, car souvent la gent féminine a maintenu les fondations lorsque les alcoolos de service étaient au pouvoir. Ogodaï, Chibi, Marco Polo, et tant d’autres, tous ont existé et leurs comportements dans ce roman m’ont semblé cohérents par rapport à l’idée que je me faisais de ces personnages.

Cependant il est quelques imperfections que Le Tigre a personnellement remarquées, à l’instar de sur-descriptions des protagonistes par rapport à la nature environnante. Ceci dit, le  style de monsieur Herscovici m’a paru être adéquat avec cet interminable empire qui est secoué par d’incessantes intrigues politiques. Si bien que j’ai eu souvent l’impression que l’écrivain français les traitait au détriment d’autres descriptions, notamment la culture de la « populace » ou des différents peuples rencontrés. Quant aux différents protagonistes croisés, ils ne m’ont pas paru d’une crédibilité exacerbée.

En conclusion, voici un ouvrage susceptible de vous forcer à un livre d’histoire afin de vérifier la véracité des pages parcourues tant le destin de cet amas de cultures est fantastique. Les moines tibétains (Drogön Chögyal Phagpa en particulier) et l’invention de la fameuse « écriture carrée », l’extrême nomadisme des Mongols, la fusion progressive du Khan Kubulaï dans la culture chinoise (il ne faut pas oublier qu’il est le premier de la dynastie Yuan), autant de faits qui m’ont donné le sentiment d’être un inculte fini.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

En premier lieu, Les Enfants du Khan est un roman d’apprentissage comme on en voit rarement : narration à la première personne, évolution progressive d’Alegh au sein de la cour des Khans, jusqu’à son dernier souffle dans un état de devoir accompli et d’allégresse non feinte. Il n’est pas impossible de ressentir l’ébauche d’une forme d’empathie vis-à-vis d’une battante qui, à force de maîtrise et de travail, parvient à se hisser au plus haut tout en ne prenant pas le melon comme cela arrivait à l’époque – et arrive toujours, ai-je envie de rajouter.

Le lecteur aura une vue extensive de ce que fut l’Empire Mongol, mélange de tolérance et d’actes impitoyables. Tolérance religieuse en particulier, les peuples conquis pouvaient continuer à prier leurs dieux au lieu de Tenggeri l’Éternel Ciel Bleu (dixit la narratrice). Mais sur les conquêtes militaires, la ville assiégée doit se rendre et se prosterner face au Khan, sinon je vous laisse imaginer…Certes quelques fils/petits-fils de Gengis ont été plus ou moins tolérants, mais la dureté de ce peuple (très physique il faut en convenir) est loin d’être usurpée dans l’ensemble.

Enfin, on ne peut réellement parler d’homogénéité dans la manière dont sont gouvernées ces vastes zones, car comme dans la Francie du bas Moyen-âge les territoires sont répartis entre les fils des familles régnantes. De la Perse à la Chine du nord, en passant par les immenses steppes de l’Asie centrale, l’ensemble des fils du Khan se bouffent rapidement le nez malgré d’astucieuses techniques pour maintenir l’unicité de cet ensemble de royaumes. Le Yam est une de ces inventions utiles en vue d’accélérer les communications : chaque village possède son canasson et l’homme prêt à grimper dessus pour un savant relais de coursiers d’une redoutable efficacité. Néanmoins, l’œuvre de Gengis Khan se fissure immanquablement – c’est le Charlemagne de l’Asie.

…à rapprocher de :

– Du même auteur, il y a Le souffle jaune, sur la fabuleuse expédition de Zheng He, dans la  Chine du début du XVème siècle. Sinon, La spirale des escargots porte plus sur les menues curiosités mathématiques (en particulier le nombre d’or).

– L’héroïne qui à un certain moment a affaire avec les Assassins du « Vieux de la Montagne » me rappelle une belle partie du roman Tancrède, très correcte uchronie d’Ugo Bellagamba.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

gess-duval-carmen-mc-callum-affaire-sonodaTrilogie science-fictionnesque mettant en scène une mercenaire au caractère bien trempé qui est plongée au milieu d’un conflit au sujet d’une fabuleuse invention, il y a certes quelques beaux passages. Mais cela manque de fluidité et de crédibilité. Le format doit y être pour quelque chose.

Il était une fois…

Cette intégrale se décompose en trois parties aux noms aussi exotiques que mystérieux – Jukurpa, Mare tranquilitatis puis Intrusions. Tout commence par l’enlèvement plutôt culotté d’une détenue qui purgeait sa peine dans un gros frigo. Oui, la mode à un moment fut de cryogéniser les condamnés le temps que les places se libèrent. L’héroïne « libère » donc une japonaise (Naoko Sonoda de son p’tit blaze) pour le compte des Yakuza pour qui Naoko a précédemment travaillé. Sauf que Sonoda n’est pas n’importe qui, en fait si la mafia la recherche c’est pour finaliser une invention susceptible de foutre un bordel monstre au sein de l’Humanité.

Critique de L’affaire Sonoda

Le problème avec les intégrales à petit format est que le félin se tue les yeux à décrypter des dialogues (pas forcément intéressants). Sans compter les détails moins décelables et la ferme impression qu’il manque une certaine ampleur aux paysages et échanges de tirs nourris entre clans. Et ça peut durement influencer la teneur d’une critique j’en ai peur.

L’histoire se passe au milieu du 21ème siècle et l’Homme a colonisé la lune et des stations orbitales ont fleuri un peu partout dans l’espace – putain, rigolez pas, en ouvrant le robinet à subventions c’est possible. Sauf que ce sont moins les États que les corporations qui ont permis cela, d’où l’émergence de groupes puissants à peine retenus par l’ONU. Le protagoniste principal, Mac Callum, est une aventurière de talent qui mène une mission qui la dépasse. Aidée notamment par un Australien un peu dingue et la journaliste arriviste Elena Dinova, Mac Callum rejoindra vite le camp des gentils contre celui des impitoyables Yakuzas qui se rêvent maîtres du monde. Happy end, bien évidemment.

Parlons un peu des illustrations. Si le trait et les couleurs tiennent la route, ça n’a pas le petit plus qu’une BD de SF  peut offrir. Ceci dit, il ne faut pas cracher sur l’absence d’effets « waoww » pour de si longues sagas, sans compter que le rendu des personnages est de bonne facture – j’irai même jusqu’à dire qu’ils sont diablement sexys. En particulier, le méchant boss japonais avec son dragon numérique envoient du joli, et je ne parle pas du combat final à la tournure numérique qui a été relativement bien abordé.

En guise de conclusion, je n’ai pas vraiment été déçu dans la mesure où je n’attendais rien de cette bande dessinée. Le Tigre n’espérait ni grandiose aventure (les péripéties se déroulant à un rythme satisfaisant mais terne) ni redoutait une merde sombre, et sur ces points tout c’est déroulé comme prévu. N’ai pas été convaincu hélas.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’univers de la trilogie fait montre d’un peu d’anticipation sociale en présentant un monde assez immoral où les multinationales (notamment les entreprises criminelles) jouent sur un pied d’égalité avec les organisations internationales. La puissance de feu et l’organisation de la mafia japonaise m’ont plus d’une fois troué le fondement, que ce soit la mise en place d’une production de drogue à partir de stations spatiales ou le QG sur île surprotégée qui ferait bander n’importe quel ennemi de James Bond qui se respecte.

Pour la petite histoire, le quatrième de couverture parle d’un « programme dont le contenu permettra d’accéder au plus vieux rêve de l’humanité ». Quitte à légèrement spoiler, quel est donc ce fameux rêve ? Oui : l’immortalité. Sauf que pour les auteurs qui font monter la mayonnaise pendant la première moitié de l’œuvre, l’immortalité se traduit par la fusion entre l’esprit et la machine…aussi con que ça, Le Tigre était en droit d’avoir quelque chose de plus renversant. En outre, je n’y ai guère cru, les soubassements scientifiques à une telle découverte relèvent plus de la fantaisie que de la hard SF. C’te bande de touristes.

…à rapprocher de :

– Sur la fusion esprit-machine, je préfère nettement le bon Reynolds et sa tétralogie des Inhibiteurs (premier opus en lien), voire Le vaisseau des Voyageurs de Wilson.

– En bande dessinée, une autre petite bagarre dans un univers numérique se trouve dans le tome 7 des aventures de Bruce Wayne par Grant Morrison (Batman Incorporated). Voire Les Technopères de Jodov’.

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Vanessa Schneider - Le jour où tu m'as quittéeUne femme, abandonnée par son amour du moment, tente de faire face à l’écroulement de son petit monde. Souvenirs qui ressurgissent, comment espérer aimer à nouveau lorsque les plaies semblent encore béantes ? Style doucereux et presque ennuyeux, ce n’est pas du tout mon genre de came littéraire. Tant pis.

Il était une fois…

Jeanne s’est fait salement larguer par son mec. Et elle est triste.

Critique du Jour où tu m’as quittée

Désolé pour le concis résumé ci-dessus de l’œuvre, mais très honnêtement je ne vois pas quoi rajouter. Cela étant dit, si vous venez de vous faire lâcher par votre petit(e) ami(e), je suis certain que vous retrouverez des similitudes entre Le jour où tu m’as quittée et ce que vous ressentez. Vous pourriez même copier quelques passages de ce roman où la narratrice, fraîchement célibataire, s’adresse à l’infâme (Antoine de son prénom) qui a décidé, au beau milieu des vacances, de lui envoyer un courriel l’informant que leur histoire est finie.

Puisque l’ex refuse tout dialogue sur le pourquoi du comment de ce brusque arrêt, la narration a une tournure relativement originale, à savoir la belle qui s’adresse directement à son Antoine – typique : pas de dialogue possible ? Je monologue. Hélas, plus on avance dans les chapitres (qui ne dépassent rarement cinq pages), plus l’héroïne m’a semblé déconnectée, sinon agaçante. Peut-être parce que le protagoniste verse dans tous les travers/écueils suite à une rupture (espionner discrétos son ex, chialer à longueur de journée, les conflits avec ses parents qui ressortent, etc.), le roman prend une saveur amère qui lui colle à la couverture.

Or, les passages littéraires qui ont retenu l’attention du Tigre ne sont pas légion. Il y a le travail d’abord, le boulot d’illustratrice de Jeanne offre quelques moments de fantaisie finement pensés. D’autre part, il est question d’une poignée de soirées chez des amis immensément riches (show business oblige), sauf qu’il y a comme une incomplétude dans le rendu de ces évènements : l’écrivaine s’arrête à la première rencontre d’Antoine au cours d’une des sauteries et expédie trop vite (non sans donner l’impression d’être blasée) tous les petits à-côtés représentant une élite consanguine qui semble vivre sur une autre planète. Dommage.

En conclusion, je n’ai pas accroché du tout. Jeanne qui est de moins en moins sympathique au fil des pages (je ne sais pas si cela est voulu), vocabulaire plutôt pauvre, en fait la curiosité s’est rapidement effacée face à l’envie d’en finir rapidement. Sans doute j’attendais plus de cet ouvrage, naïvement je m’imaginais une fin pleine de surprise, du genre le témoignage du fameux Antoine (où il expose à quel point sa copine était insupportable) ou du moins un chapitre qui peut nous amener à vouloir relire ce truc.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’état de dévastation qui anime l’héroïne est plutôt bien rendu, avec les phases successives qu’on imagine sans difficultés : l’incompréhension, le besoin de savoir pourquoi, préférer que l’être aimé disparaisse littéralement (entendez : le décès subit), les petits détails de la vie d’avant qui font rejaillir d’intenses souffrances,…bref c’est presque un travail de désintoxication qui s’annonce. Cela semble d’autant plus douloureux que Jeanne était dans une configuration de différence d’âge qu’on ne peut ignorer : premier mariage avec Sacha, un homme plus vieux qui part en couille (mais avec courtoisie), et hop seconde histoire d’amour avec un jeunot. Un être tout en vigueur mais à la maturité discutable, le décalage paraissait insurmontable.

La couverture de l’œuvre parle de « se reconstruire ». Autant vous dire que Jeanne en semble plutôt loin. La complainte de la petite amie trahie met énormément de temps à faire place au discours d’une battante (qui lui en voudrait ?), et il faudra attendre les dernières pages pour goûter à l’ébauche d’un renouveau amoureux…façon de parler puisqu’il appert que Jeanne [Attention SPOIL] est sur le point de se faire son patron, un être certes exquis et gentil comme tout. Mais c’est son boss. Encore une belle erreur de casting en préparation. Ça sent furieusement la suite, quelque chose d’un peu plus dépressif avec pour titre Le jour où tu m’as quittée et licenciée [Fin SPOIL].

…à rapprocher de :

– Ce roman me rappelle, par son style néo-déprimé, la bonne Delphine Le Vigan avec Les heures souterraines. Sans plus. Voire Eva (en lien), de l’autre auteure grecque dont j’ai oublié le nom (à moins que ce ne soit Sotiropoulos), chiant au possible.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

DodécaTora« Salut mon petit. Écoute, j’ai bien envie d’écrire un roman où je balance tout. Mais alors tout, de quoi plonger le pays et ses dépendances dans tel bordel que les historiens du siècle prochain parleront de moi comme du deuxième cavalier de l’Apocalypse – le premier étant Marc Levy. Tu aurais pas des précédents afin que je sois préparé à ce qui suivra ? Zoubis. Nicolas S. Ps : tu viens finalement à la conf’ à Dubaï ? »

Douze titres qui fallait mieux publier la veille de sa mort

Je vous avoue avoir gravement ramé pour trouver des ouvrages qui ont changé la vie des auteurs – en mal. J’ai même cru ne jamais y arriver, mon inculture dans ce domaine est flagrante. Tellement, d’ailleurs, que Le Tigre était à deux doigts d’inclure, dans ce billet, des titres qui n’ont rien de romans – notamment les recueils ou bandes dessinées. Mais le félin a tenu bon.

En outre, je me suis efforcé de ne pas évoquer les écrivains dont un ou plusieurs romans ont fait scandale (sans qu’il prenne particulièrement cher), car ça fait l’objet d’un autre DodécaTora (cf. dernière partie). Entre le scandale et les gros problèmes, la frontière est mince il est vrai. En outre, l’attention n’est pas ici seulement portée sur l’œuvre, mais certaines fois sur son créateur – cela peut expliquer courroux qui s’abat sur lui. S’il faut un titre en particulier, il n’en demeure pas moins que parfois un ensemble de romans ou le pedigree de l’écrivaillon (le genre à cramer un bifton de 500 boules devant nous) n’appelle pas à la clémence.

Voici donc une modeste liste d’auteurs qui, s’ils avaient su, auraient certainement choisi de garder leur manuscrit planqué dans leur commode de style Empire (si celui-ci existait à l’époque), ledit manuscrit étant susceptible d’être découvert et publié après une belle mort. Cependant, certains individus sont d’une autre trempe, je les soupçonne même de se réjouir de voir le monde se déchirer à cause d’eux. De là à parler de masochisme, il n’y a qu’un pas – rien que le premier roman abordé y fait référence.

Tora ! Tora ! Tora ! (x4)

1/ Marquis de Sade – L’Histoire de Juliette, ou les Prospérités du vice

Donation Alphonse trucmuche de Sade était certes sous étroite surveillance, mais ce second opus des histoires d’une jeune ingénue (qui découvre les plaisirs de la chair) a fait sauter tous les compteurs à censure de son époque. Le gros Napoléon en personne est allé jusqu’à ordonner son arrestation, sans doute pour temporiser la colère papale avec qui le Corse souhaitait une alliance. A partir de là, Sade a passé le reste de sa vie entre zonzon et hôpital de fou. Sacré marquis.

2/ Boris Vian – J’irai cracher sur vos tombes

Le racisme, la criminalité, la ségrégation, Boris a allègrement mis ses pieds dans le plat. Et pas mal de gens ont commencé à réclamer des poursuites contre ce roman soi-disant pornographique et son auteur, Vernon Sullivan. Boris Vian, qui devait correctement flipper, est même jusqu’à traduire son roman du français vers l’anglais pour prouver que Sullivan (qui n’a jamais existé) lui avait bien délivrer un manuscrit qu’il avait adapté dans la langue de Molière. Fin du fin, il meurt d’une crise cardiaque lors d’une projection de l’adaptation de son roman en film – qu’il désapprouvait.

3/ Salman Rushdie – Les Versets sataniques

C’est grâce à cet auteur que m’est venue l’idée de ce billet. On connaît tous l’histoire : un roman dense mettant notamment en scène le prophète de l’Islam qui déclame des versets reconnaissant le polythéisme ; des réactions outrées au travers le monde ; et l’apothéose par une fatwa (depuis levée) appelant les Mahométans à exécuter l’auteur indien. Tout cela n’a pas que posé problème à Rushdie, quelques éditeurs et traducteurs ayant connu certaines déconvenues – pléonasme, pour certains, car il s’agit d’assassinats.

4/ Hugo Bettauer – La Ville sans Juifs

Hugo, c’est un écrivain autrichien un poil en avance sur son temps. Le style d’auteur à publier, dès 1923, une fabuleuse satire sur une ville (Vienne la cosmopolite tant qu’à faire) qui décide, sur l’impulsion du parti dominant (qui a tout du NSDAP), de chasser les Juifs. Le résultat dans cette œuvre est catastrophique, l’économie s’écroule en moins de temps qu’il faut pour dire Heil ! C’est la goutte littéraire qui aurait fait déborder le vase antisémite : un dénommé Otto Rothstock, affilié au parti nazi, l’abat peu de temps après.

5/ Bret Easton Ellis – American Psycho

Le cas de l’auteur américain est doublement particulier. Si ce roman n’a pas été vraiment interdit, les thèmes abordés ont fait que Bret a reçu un nombre incalculable de menaces de mort, ce qui est étonnant par rapport aux thèmes traités dans ce titre. Il a choqué outre mesure, et l’Amérique puritaine a eu du mal à s’en remettre. Mais, à mon sens, ce premier roman a agi comme une mini-malédiction pour l’écrivain. Disons qu’après une telle claque et Moins que zéro, on attendait énormément de lui. Et, avec Glamorama, j’ai trouvé qu’Easton Ellis a été incapable de se renouveler, répétant ses antiennes dans un méli-mélo littéraire difficilement digérable.

6/ John Cleland – Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir

Nous sommes au beau milieu du 18ème siècle. Dans une Angleterre assez à cheval sur les conventions et la bienséance de surcroît – sauf erreur de ma part, ça n’a pas changé depuis. Dans ce pays maudit, un homme en prison pour dettes semble fermement décider d’aggraver son cas : John publie ce qui est sans doute le premier roman érotique (en laissant de côté le Cantique des Cantiques) jamais écrit. Le bouquin a beau être un succès underground, la libération de Cleland s’en est trouvée gravement compromise.

7/ Claude Gubler – Le grand secret

Huit jours après le décès de Mitterrand (il est vrai que c’est prématuré), son médecin raconte tout dans un bouquin passionnant – notamment comment François a caché sa maladie. Sauf que les puissants ne l’ont pas entendu pas de cette manière. Tout d’abord, le procès. Plus de 50 000 euros d’amende (à payer par lui et l’éditeur). Puis les sanctions pénales (notamment pour avoir porté atteinte à l’honneur de la profession…). Enfin, ultime insulte, le docteur se voit retirer toutes ses décorations – décret signé par Chirac, qui n’était plus à une connerie près. T’aurais dû laisser la populace dans l’ignorance, va.

8/ Maurice G. Dantec – Satellite Sisters

Dantec fut un temps la spécialité du Tigre. Comment dire…j’ai dévoré tous ses romans, sans remarquer qu’au fur et à mesure l’auteur versait dans un n’importe quoi de compétition. Du grand art. Et avec Satellite Sisters, j’ai eu la certitude qu’il se foutait de notre gueule. Quel dommage, après tant d’heures plaisantes de lecture. Non seulement le roman est une catastrophe, mais les conditions de sa publication ont été terribles. Un nouvel éditeur, un procès retentissant (il aurait signé dans un état de faiblesse), des rétro-pédalages de toutes part, bref cette œuvre a été le révélateur d’un certain mal-être chez l’auteur français.

9/ Daniel Defoe – La plus courte façon d’entrer en dissidence

Rien que le titre claironne « réservez-moi une geôle, j’arrive ! », alors il ne faut pas s’émouvoir quand ça arrive. Dany, écrivain multi-casquettes, faisait partie des fameux Dissidents anglais, une bande de joyeux lurons opposés à la mainmise de l’État anglais dans les affaires religieuses. Dès l’avènement de la reine Anne (un poil plus stricte), Defoe enfonce le clou (à croire qu’il le fait exprès) avec ce pamphlet qui a provoqué pas mal de remous. Résultat : 1703, annus horribilis pour l’auteur. Prison, banqueroute et pilori deviennent sa sainte trinité. Ça ne l’empêchera pas d’écrire par la suite Robinson Crusoé.

10/ Mathieu Lindon – Le Procès de Jean-Marie Le Pen

Déjà, il y a eu avant Prince et Léonardours, roman assez terrible (histoire de viols) qui a failli être interdit par le Ministre de l’Intérieur de l’époque (Pasqua, pour ne pas le nommer). Ensuite, le roman en question, qui narre la tentative, par un avocat qui a tout contre lui aux yeux du FN (juif et gay, fréquentant un Arabe), de mettre en cause Le Pen lors du procès d’un assassin. Jean-Mâaarie, fort contrit, l’attaque en diffamation. Lindon, malgré le soutien de beaucoup, est condamné par tous les échelons judiciaires. Du TGI à la Cour européenne des droits de l’homme, Vinc’ se prend tôle sur tôle.

11/ Claude Guillon & Yves Le Bonniec – Suicide, mode d’emploi

Difficile d’imaginer plus gros pavé à balancer dans une mare. Censuré en France à cause des « méthodes » délivrées par l’auteur sur le meilleur moyen d’en terminer. Incitation au suicide c/ liberté d’expression ; propagande néfaste c/ droit à la mort, Le Tigre ne tient pas ce blog pour discourir de sujets aussi sensibles. Pour ne rien arranger, Yves Le Bonniec a, par une correspondance épistolaire, donné quelques recettes à un pauvre homme qui voulait en finir – ce qu’il a fait. Pour l’avoir parcouru, peu de choses en fait, juste un chapitre à la fin sur les façons d’en finir.

12/ Jules César – La guerre des Gaules

Et une dernière plaisanterie pour finir ! Quoique… En lisant le glorieux bulletin de campagne du gros César pendant qu’il entrait comme dans du beurre chez nos ancêtres les Gaulois, il n’est pas difficile de noter que tous ces commentaires sont d’abord rédigés pour faire mousser le dictateur. Sans doute cela a échauffé certains patriciens qui voient, depuis leurs bancs, César accumuler les honneurs. Le genre de truc qui exaspère furieusement, et à cette époque ça se réglait souvent à l’arme blanche…Tu quoque, mi tigri.

Mais aussi :

– Les poèmes n’entrant pas dans la définition des « romans », j’ai décidé de mettre Théophile de Viau et ses écrits pour le compte du recueil Parnasse satyrique de côté. Au début du 17ème siècle, Théo y publie quelques poèmes (obscènes pour l’époque) et en prend plein la gueule. Je crois même qu’il en est mort. Quel déconneur celui-là.

Enfin, comme je le disais, ce DDC n’est pas à confondre avec le top 12 des romans qui ont fait scandale (en lien) – plus objectif peut-être.

James Patterson - Terreur au troisième degréVO : 3rd degree [oh yeah]. Des odieux révolutionnaires en veulent aux États-Unis d’Amérique, heureusement qu’une poignée de femmes est présente pour les arrêter ! Écriture toujours aussi efficace car entretenant un suspense de bon aloi, il est grisant de voir Patterson enchaîner les romans corrects à un rythme de métronome. Exaspérant même.

Il était une fois…

 A San Francisco, la belle baraque d’un mec richissime explose en mille morceaux. Comme ça. Plouf. Ensuite vient l’assassinat d’un autre richard. Puis d’autres crimes contre les dignes représentants des 1% des individus les plus riches du pays. A chaque fois, une organisation inconnue des services de police se réclame de ces actes ignobles. Si quelques meurtres dans un ghetto black n’émeuvent pas particulièrement les autorités, il est en autrement des WASP qui possèdent dix fois leurs poids en biftons de 100 dollars.

Critique de Terreur au 3ème degré

Après deux premiers opus qui sont passés comme papa dans maman bourrée, j’ai bien évidemment continué la série. Pour justifier la note légèrement négative de ce roman, comprenez qu’après avoir enfilé de suite du Patterson, j’ai comme été overdosé de tout bord. Encore une erreur du Tigre gourmand qui ne sait pas se retenir, du coup l’indigestion pointe très souvent le bout de son nez.

Si besoin est de vous le rappeler, l’héroïne principale, la belle Lindsay, est flanquée de quelques amies (en tout cas elles le deviennent) qui occupent des postes différents dans la ville de Frisco – journaleuse, adjointe du proc’, etc. Dans le premier roman, elles ont subtilement nommé leur groupe le « Women Murder Club », quelque chose d’informel – aucune déclaration de constitution d’assoce n’ayant été déposée. Si lire les romans précédents n’est pas obligatoire, ce n’est toutefois guère conseillé, au risque de ne comprendre goutte à certains passages – par exemple, le primolecteur n’aura rien à cirer d’apprendre que la pétillante Cindy a terminé son histoire d’amour avec un homme d’église (oui, ils ont le droit de forniquer dans leur religion).

Bien que les exactions de l’ennemi sont particulièrement sanglantes (l’écrivain s’est fait plaisir, y’a pas à dire), il faut convenir que ce dernier est relativement classique. Les Espions d’Aout ne paraissent donc qu’une bande de doux dingues excessivement violents, rien à voir avec un master mind haut en couleur. Quant style, du pur Patterson : chapitres aussi courts que le zob d’un gorille, cliffhanger pas trop putassier pour régulièrement relancer l’intérêt de l’œuvre, franchement c’est tellement balisé qu’après trois romans de cet acabit j’en ai eu marre. A lire à intervalles bien espacés donc.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Tout d’abord, il faut rappeler que ce titre, qui a été écrit une poignée d’années après les attentats sur le sol américain au début de ce siècle, ne verse pas connement dans le terrorisme de la part d’étrangers. Car ici il s’agit certes d’individus crachant sur le modèle capitaliste, mais avec l’excuse de l’antimondialisation la plus arcboutée. Presque des vieux avec leurs pipes et brandissant le drapeau rouge, question grosse menace nationale j’ai vu pire – j’exagère, c’est une organisation aux aspects inquiétants.

Ce qui m’a autrement fait tousser est la façon dont les différents services étatiques se rangent, en garde-à-vous et main dans la main (lorsqu’ils ne se masturbent pas les uns les autres) afin de collaborer et d’aider nos héroïnes. Y’a comme un relent de patriotisme en mode « all together agains terrorism » pas forcément bienvenu – quand on connaît la propension des administrations à se foutre sur la gueule.

A tout hasard, il y a quelques évolutions dans les relations entre les protagonistes femelles, notamment la réaction d’une des filles lorsqu’une autre en prend plein la gueule – c’est le cas de le dire puisqu’il est question de violence contre les femmes. Derrière la force apparente de personnes hautes placées, il y a une petite fille qui peut être facilement manipulée par son amant – c’est assez révoltant d’ailleurs. Or, dans ces cas critiques, les proches ne sont pas forcément présentes pour soutenir leurs amies en détresse.

…à rapprocher de :

Il faut savoir que le gros Patterson a tiré comme un gueudin sur la corde à numéros, car après cet opus il y a bien une douzaine (oui, tu lis bien : 12 !) titres de cet acabit: Premier à mourir, Seconde chance, gnagnagna (je me suis arrêté là).

– Sinon, de Patterson, Le Tigre s’est mieux régalé avec sa saga d’Alex Cross (dont certains ont été adaptés en films également), par exemple Des nouvelles de Mary.

– Il faut savoir que James Patterson écrit aussi des romans pour les moins de vingt ans. Suis tombé dessus par erreur, avec MAX (en lien), ce fut terrible.

– Dans la version cheap des romans dont les chapitres se suivent, il y a l’abécédaire du crime vaguement littéraire de Sue Grafton : S comme Silence,… tutti quanti.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.