Les textes du TigreJe l’ai entraperçu à plusieurs reprises. A chaque fois, ce fut un sincère bonheur même si j’avais quelque peu fantasmé le personnage (je m’explique ici). Qui n’a pas déjà construit une vie à un quidam rencontré dans la rue ? Entre fiction et réalité, voici une tranche de vie d’un homme qui m’a obligé à me creuser les méninges.

La balade des gens heureux

Il s’appelle Camille.

Judicieux choix de prénom. Celui-ci a l’avantage d’être neutre, même si on s’imagine plutôt une femme – statistiquement parlant. Une qui porte des lunettes et avec des seins généreux, une donze correctement mutine qui, entre deux moues boudeuses, laisse négligemment échapper l’échancrure de son indécente poitrine. Ça tombe bien, Camille avait aussi des seins. Il était également doté de bras d’haltérophiles et de cuisses de coureur cycliste. Mais sans les muscles. Ou alors si peu. Il était tellement adipeux que beaucoup soupçonnaient que l’excès de graisse avait envahi les circonvolutions de son cerveau, lequel en était profondément ralenti.

Soyons franc : Camille est un simplet, un bienheureux qui a une chaise portant déjà son nom, à l’instar des réalisateurs, pas très loin à la droite du Seigneur – nul doute là-dessus. C’est bien mérité d’ailleurs, puisqu’il n’a pas eu la chance de connaître son vrai père.

En revanche, l’omniprésence de sa mère n’est plus à démontrer. Pressentant que son fiston est « spécial », la vieille dame a veillé à dresser un cocon protecteur autour de lui. Écoles spécialisées, absence de contingence quant aux aléas financiers de la vie, logé-nourri-blanchi chez maman, bref Camille n’avait pas à se soucier de l’avenir. Du moins tant qu’elle était là. Plus la dame vieillissait, plus elle déléguait quelques menues tâches, dans l’espoir vain qu’il puisse un jour s’en sortir seul, à savoir la sainte trinité qui occupe les riches oisifs : se nourrir /se soigner/ne pas s’ennuyer.

Je ne sais guère à quoi pouvait bien ressembler la jeunesse ou le quotidien de Camille, mais je m’imagine sans problème d’où lui est venue sa propension à la marche : un jardin de plusieurs hectares qui courrait derrière l’antique bâtisse où il vivait. Bien que la baraque ait été mise en vente récemment, je n’ai jamais pu me rendre compte de visu de l’immensité du parc privatif – disons que le prix de vente m’empêchait de passer pour un acheteur sérieux potentiel.

D’après ce que j’ai pu apprendre en recoupant le plan cadastral de la mairie avec des observations glanées sur le vaste internet (merci aux satellites de plus en plus précis), j’ai pu avoir une certaine idée de sa propriété : un manoir intimidant qui donne sur un jardin à la française (devenu un peu plus anglais au fils des années), aux termes duquel la nature ne semble pas avoir été domptée. Un bois à peine entretenu côté Sud, et à côté une plaine (dans les standards de la région parisienne) au milieu de laquelle trône un étang avec une poignée de palmipèdes encore étonnés de la tranquillité des lieux.

Je me représente parfaitement Camille, aux bras de sa tendre mère, parcourant la propriété avec un air béat sans cesse renouvelé. Peut-être même que, grâce à son esprit embrumé, chaque promenade était une découverte, l’occasion de s’émerveiller face à la diversité relative de la faune alors que n’importe quel clampin y serait décédé dix fois d’ennui.

Puis sa mère est décédée.

C’est à ce moment que retracer les aventures de Camille pose quelques difficultés d’interprétation. D’après mes courtes rencontres avec le personnage, je sais au moins qu’il fuyait toute interaction avec ses semblables.

Le cocon consciencieusement dressé par feue sa mère l’avait protégé de bien des désagréments au prix d’une asociabilité qui tendait à l’agoraphobie. Le vendeur de fleurs m’a indiqué que, de toute façon, Camille n’était pas en mesure de soutenir une conversation simple. Il comprenait certes ce qu’on lui demandait, toutefois il avait mis en place avec sa maman un langage seul connu d’eux et construit autour de dédoublements de pré-suffixes avec inversion de certains graphèmes. Bref, il ne fallait guère tenter de le comprendre. De mon côté, je sais qu’on ne rencontrait son regard que par erreur, et qu’espérer un début de communication gestuelle était bien vain.

Au moins, je comprends pourquoi il se promenait avec des boules quiès et ignorait superbement mes joyeuses salutations à son encontre. D’ailleurs, les borborygmes qui sortaient de son corps et que je prenais pour des réponses lapidaires, ne m’étaient pas destinés.

Cependant, j’ignorais à quel point notre ami s’est bien plus fait violence que la majorité des personnes qu’il croisait.

Le prêtre de ma paroisse, que j’avais rapidement rencontré chez le coiffeur près de la gare, avait évoqué une de ses fragiles brebis qui n’avait jamais quitté sa ville. Le cureton parlait de Camille. Sauf que quelque chose se serait déclenché au décès de son unique parente, et qu’il avait décidé de bouger. Peu importe comment. A son niveau, ce fut chaussé de baskets blanches, d’un pantalon, tee-shirt et casquette de même couleur, que Camille était parti à l’aventure. A pied. Seul.

Chaque jour, il élargissait son itinéraire d’une centaine de mètres environ. Au bout d’une semaine, il arpentait une rue se situant à presque un kilomètre de sa maison. Ce doit être vers cette période printanière que je l’apercevais à plusieurs reprises. Suivant le nombre d’individus croisés ou les caprices de la météo, Camille développait ou rétractait son champ d’action. Très vite, il s’est rendu compte qu’à partir de minuit il y avait moins de monde, aussi pouvait-il aller plus loin, plus seul. Si à l’Ouest se trouvait une grande ville, pleine de bruit et de lumières, de l’autre côté une forêt s’étendait avec majesté. .Je vous laisse deviner vers quelle direction il poussait la randonnée… A raison d’une marche énergique à 6 km/h, il n’est pas étonnant qu’au bout de six semaines il avait atteint la limite Est du canton – selon certains témoignages concordants que j’ai recueillis au supermarché du coin. Un vrai champion quand on réfléchit à ce que ça implique pour lui.

Chaque nuit, Camille dépassait la frontière de ses connaissances géographiques. A pied, sans transports en commun, il a repoussé jusqu’à quinze kilomètres (à vol d’oiseau) la distance qui le séparait de son univers connu. Il sautait, à pieds joints, dans une terrifiante incertitude qui, pour la plupart de ses contemporains, équivalait à fouler la planète Mars avec trois heures de réserve d’oxygène. Comment faisait-il pour retrouver le chemin du retour ? A quoi pouvait-il donc penser ?

Lors d’une formation mathématico-oulipienne que j’avais dispensée sur la corrélation entre les NTIC et le nombre de divorces, j’avais rappelé qu’au Moyen-âge, le Français de base (le paysan, n’ayons pas peur des mots) se déplaçait en moyenne dans un rayon de trente kilomètres autour de son village. Et souvent c’était pour la foire annuelle de sa province – accessoirement, cela lui permettait de faire de faire de la merde en toute discrétion. Au-delà de ces trente kilomètres, une terra incognita dont l’essence lui parvenait au travers des dires des différents colporteurs.

Si on lui avait laissé un laps de temps supplémentaire, Camille aurait pu dépasser cette moyenne. Il est hélas resté sur des standards correspondant à la période entre la fin de l’Empire Romain d’Occident et le bas Moyen-Âge.

Trente secondes, c’est le temps nécessaire pour lire les trois prochains paragraphes. Ce devait être également le temps que Camille pour enfiler sa godasse droite. Pendant cette durée, des milliers de voyageurs aériens pulvérisent le record de distance que Camille aurait pu prétendre atteindre. Mais pour faire quoi ?

La dame qui s’occupe du dépouillement des urnes de toutes sortes d’élections (il y en a plus qu’on le pense) et me propose régulièrement de l’aider, se plaisait à comparer les excursions de notre ami avec un processus réitératif de coupage de cordon ombilical. Camille aurait testé l’élasticité du cordon qui n’aurait jamais été métaphoriquement coupé, et ce afin de voir si ce-dernier était encore présent malgré le décès de sa mère. Le fait que l’ignorant obèse semblait retourner chez lui à plus vive allure qu’il s’en éloignait confortait la commère dans sa théorie : le cordon, plus réel que jamais, se contractait au bout de quelques heures, contraignant ainsi Camille à cavaler vers son domicile afin d’y trouver on ne sait quel repos.

Vous le voyez, beaucoup de choses débiles circulent à son sujet.

D’autres estiment que, la maison étant un bien immobilier de choix, Camille voulait éviter les vautours désireux de lui acheter la baraque dont il a hérité. Lesquels lui rendaient de nombreuses visites de courtoisie en soirée.

Une vague connaissance, celle qui se dandine en moonwalk inversé avec du papier aluminium en guise de lunettes de soleil tout en caguant contre un poteau près de la mairie, m’avait assuré que Camille était un robot dont l’Operating System avait été infecté par un virus informatique, lequel aurait évolué vers un état proche de la singularité. Et que si Camille n’avait pas été arrêté, il aurait pu contaminer la forêt environnante.

Un pilier de bar, entre deux invectives contre une certaine partie de la population, était persuadé qu’il s’agissait d’une entité extraterrestre qui avait trouvé refuge dans un corps où la place ne manquait pas – au niveau du cervelet notamment. Et que le pauvre E.T. était obligé de marcher comme un damné, en autarcie totale jusqu’à ce que ses congénères le localisent avant de lancer une opération de type Search & Rescue.

Camille fut bien sauvé. Mais on ne sait pas par qui. Oui, il a disparu. Si retracer sa pédestre saga ne fut guère difficile, il n’y a pas deux individus dans cette foutue ville capables de me murmurer la même version sur ce qu’il est actuellement devenu. Entre la théorie E.T. et autres rumeurs au sujet d’un internement dans un H.P. sans consentement, je me suis amusé à bâtir son histoire.

La voici.

Camille a enfin été retrouvé par les employés de la maison de repos de la commune limitrophe. Il sentait que, une fois sa maman disparue, d’autres personnes allaient devoir s’occuper de lui. Mais ça ne serait jamais plus comme avant. L’odeur de maman, ce mélange de cigarettes à la menthe avec un soupçon de lessive bon marché à base de lavande, commençait déjà à s’estomper. C’est également parce qu’il a décelé ici et là ces douces flagrances maternelles en marchant hors des sentiers battus qu’il s’acharnait à aller toujours plus loin.

Mère est partie, mais où ? Camille pensait naturellement que les lavandiers étaient des émanations que sa maman avait disposé pendant son dernier voyage afin qu’il la rejoigne. Dès qu’il en rencontrait un, il le reniflait avidement, remerciait intérieurement sa génitrice de cet indice avant de poursuivre son chemin – autant vous dire qu’il aurait eu quelques déconvenues au bout de quelques mois. Et les effluves de thé à la menthe proches de certaines échoppes ne faisaient que le conforter dans sa noble quête.

Cependant, Camille avait, dans une certaine mesure, raison. Car sa mère avait en effet laissé quelques souvenirs. L’aimant plus que tout au monde, elle a passé les derniers mois de sa vie à négocier avec la maison de repos afin qu’il y soit pris en charge pendant le restant de sa vie. Elle y a laissé la moitié de sa fortune, le reste ayant été distribué à des associations. A argué que, malgré son esprit naïf, son fils pourrait rendre de menus services dans l’institut. Et qu’en dépit une quarantaine à peine engagée, la constitution adipeuse du rejeton ferait qu’il ne dépassera certainement pas le cap des soixante-cinq ans. C’est-à-dire que, quoiqu’il arrive, il sera toujours le plus jeune patient.

C’est ainsi qu’il est devenu le nouveau pensionnaire d’une maison qui sera sa dernière.

Dans mes rêves de gloire pour Camille, il m’arrive à imaginer ce qui pourrait lui rendre la vie acceptable. Je vois une belle demeure, ancienne sans être décrépite, fraîche en été et dotée d’une somptueuse cheminée à côté de laquelle l’hiver est bon. Je vois aussi un grand parc adossé à l’institut, un espace suffisamment labyrinthique pour qu’il puisse s’y perdre avec allégresse. Je me plais à entrapercevoir, au milieu de ces hectares, l’énorme silhouette d’un homme apaisé et qui ne pense à rien. Marcher est son objectif, et pas une seule fois il a l’impression de tourner en rond. Il est dans une sorte d’hypnose, un état lui permettant de ne penser à rien d’autre qu’au bonheur, du réveil au coucher.

J’entends même quelques encouragements venant de…oui, c’est bien la voix de sa mère diffusée par quelques haut-parleurs soigneusement placés par le directeur de l’établissement – la technologie fait des miracles, Mère peut réciter la bible à partir d’un enregistrement de deux minutes. Le responsable de cet endroit de rêve a pensé à tout. Réfractaire à la thérapie consistant à tromper l’ennui par la télévision, le dirlo a pris soin de planter des lavandes et de la menthe aux quatre coins du parc. Et n’a pas mis longtemps à remarquer que Camille est particulièrement doué à cueillir les fleurs parfaitement mâtures. Et prêtes à être emballées. Et pourquoi pas les vendre ? Voilà comment Camille est devenu le seul retraité rentable du département.

Sauf que je suis mal placé pour savoir ce qui le rendrait heureux.

C’est toujours mieux que suggérer qu’il a succombé à une crise cardiaque. Voire qu’il a cru atteindre le bout du monde, une étendue d’eau inconnue de lui et derrière laquelle ses yeux baignés de larmes ne distinguaient rien de précis. Peut-être que, pour sa première rencontre avec la Seine, il y a cru décerner le Styx coulant vers le soleil couchant, vers la nouvelle demeure de maman. Et qu’il a décidé de la rejoindre..

J’en ai fini avec Camille.

Les seules traces qu’il laissera sur notre petit univers, mis à part les souvenirs périssables de ceux qui l’ont croisé, sont les lignes de gomme de ses chaussures sur le macadam des trottoirs arpentés pendant ces quelques semaines de « liberté ».

Et, subsidiairement, quelques paragraphes mal rédigés sur un blog lu de personne.

Heureusement, d’ailleurs. Je ne connais même pas le vrai prénom de Camille.

Marc Dugain - En bas, les nuagesSept nouvelles de qualité globalement passable, sept hommes en perdition plus ou moins prononcée, l’heure n’est pas vraiment au youpi-tralala. Mélange de genres avec un lien ténu entre tout ce petit monde, la lecture est aisée mais amère. Pour ma part, j’ai plutôt bien aimé. Cela dépendra de votre état d’esprit en fait. 

Il était une fois…

Tigre est un gros flemmard. Le quatrième de couverture :

« Sept récits liés par un fil narratif : comme un détail détaché d’une photo, c’est un fait anodin dans l’un qui déclenchera le suivant. Marc Dugain suit sept hommes vivant aujourd’hui, en Dordogne, au Maroc, aux États-Unis ou dans une île lointaine. Les uns sont cyniques, les autres doux et rêveurs, mais tous sont plongés dans les eaux troubles de la vie quotidienne. Ils surnagent, ils s’adaptent, ils essayent de s’en sortir. Tous perdants ? »

Critique de En bas, les nuages

Comme toute adolescente qui se respecte, j’ai eu ma période Marc Dugain – entre Pennac et Douglas Kennedy, pour être honnête. Bah à l’époque je trouvais que le mec gérait plutôt bien son affaire, même si le présent roman m’avait surpris non pas par le style (toujours aussi intimiste), mais par le doux pessimiste qui s’en dégageait.

Sans pour autant tirer comme un cochon le tire-larmes, Dugain a imaginé sept scénarios dont certains ont régalé le félin. Il y a comme du Houellebecq dans le style de l’œuvre, à savoir une solide dose de désespérance, un poil de science-fiction (un mec qui se planque sachant qu’une épidémie va décimer l’Humanité), même une pincée de sexe – de façon anecdotique, ne vous attendez pas à mouiller votre culotte hein.

Cependant, il n’est point question d’un nihilisme qui habite les protagonistes, plutôt un humanisme somme toute touchant (sinon rafraichissant) grâce à une écriture sobre qui ne semble pas juger nos anti-héros. Il appert surtout que l’auteur français touche quelque chose qui fait relativement mal dès que le lecteur est concerné, que ce soit la lâcheté rutilante ou des choses plus anodines telles que la calvitie – ma fourrure se porte bien, ne vous inquiétez point.

En conclusion, j’ai été surpris de lire un ouvrage que j’ai senti plus personnel que jamais. D’habitude, Marc D. prend un sujet plus ou moins historique et brode une belle histoire autour. Ici, l’imagination est au pouvoir, et il m’est apparu que l’écrivain n’a pu que se concentrer sur ce qui le tracasse. Et j’ignore dans quel état était Dugain à cette époque, mais ça fleure un peu la dépression. Quand je l’ai lu, ça m’avait touché. Or, je ne suis guère certain que je l’apprécierai à nouveau : pour tout vous avouer, une récente lecture en diagonale m’a ennuyé.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Franchement, les liens entre ces nouvelles sont aussi évidents qu’inexistants – je ne sais pas si ça vous parle. Parce qu’à part le repli et la lâcheté dans lesquels se vautrent les personnages, je ne vois pas – et ça ne suffit pas pour faire un thème. Quoiqu’il en soit, nos amis se dégagent du monde social et observent leur contemporain avec un cynisme qui tend parfois vers l’écœurement. Hélas, la réalité les rattrape rapidement, les réactions des anti-héros étant décevantes (et compréhensibles) au possible – c’est dans ces différentes configurations que Marc parvient à faire preuve d’un peu d’originalité.

Dans ce dernier paragraphe, Le Tigre, outre sa proverbiale philosophie de comptoir bulgare, va tenter de justifier le titre. Pourquoi ces putains de nuages sont en bas alors ? Les nuages, c’est d’abord la brume, le fait de ne pas voir plus loin que le bout de son nez et prendre le chemin qui semble le plus facile. Le fait que quelque chose habituellement élevé (voire noble) se rabaisse, c’est à mon sens l’allégorie de la soi-disant grandeur de l’Homme qui face aux difficultés se ramasse plus bas que terre. Non seulement ces mecs se replient, mais en sus ils dégainent, à nouveau, la machine à faux-fuyants et autres petitesses.

…à rapprocher de :

De Dugain, j’ai nettement préféré Heureux comme Dieu en France (sans plus cependant) ; La Malédiction d’Edgar (mouais), Une exécution ordinaire (pas mal si vous vous intéressez à la Russie), Avenue des géants (pfff…déprimant aussi).

– Puis je parlais de Houellebecq, autant évoquer La possibilité d’une île, assez proche sur le ton.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Noé - L’accordeur, Tome 2Comme l’image le suggère, le héros fait plus souvent jouer les cordes vocales de ses clientes qu’il accorde leur instrument. Avec un dessin toujours aussi coloré et jouissif, Noé offre un tome qui termine la saga en beauté : tout en gardant ce qui a fait le succès des premières aventures, avec une évolution savoureuse du héros. Y’a rien à jeter.  

Il était une fois…

Mariano accorde les pianos. Dans les bars, les demeures de bourges, les studios d’enregistrement, les magasins d’instruments de musique, partout. Hélas, y’a toujours une (au moins) bonasse qui traîne dans le coin et l’empêche de faire son boulot. Mariano est bien obligé de les satisfaire, toutefois il aimerait bien montrer ses talents de musicien. En outre, trouvera-t-il enfin l’amour ?

Critique du premier tome de L’accordeur

Noé - L'Accordeur, Tome 2 Extrait1Le Tigre, après avoir dégusté un premier tome prometteur, craignait que l’auteur tombe dans le vice de la répétition, du running gag ad nauseam avec un protagoniste qui trempe inlassablement sa nouille avant de filer pour une raison quelconque – laissant le piano bien évidemment désaccordé. Il n’en est rien. Ignacio Noé a certes repris le format de l’histoire courte (environ six à huit planches), mais les scénarios sont tellement variés que le lecteur ne s’ennuiera pas une seconde.

L’humour, plus que l’érotisme, transpire de cet ouvrage avec des références plus poussées sur les liens entre la musique et le plaisir. La folie est également présente, que ce soit un instrument à traiter dans un hôpital psy ou ce qu’est capable de faire un couple improbable pour vivre caché (donc heureux). Mariano, de son côté, s’adapte à une vitesse impressionnante dans tout type de configuration – de la loge avec une avide danseuse à un concert classique, en passant par un conservatoire de chaudasses. Souvent, il partira de ces endroits en courant, à moitié à poil, suite à une situation qui prend une tournure plus que bizarre.

Noé - L'Accordeur, Tome 2 Extrait2Concernant les illustrations, il faut encore applaudir Noé qui maîtrise son sujet à merveille. Je ne parle pas des couleurs ou des décors soigneusement travaillés participant à une chouette immersion. Non, le félin pense aux corps des héroïnes qui gueulent de plaisir (et autres bruitages en prime), des physiques généreux, tout en rondeurs avec des restes de lingerie qui s’affichent dans des tableaux d’ensemble presque porno-chic…presque, parce que la grosse queue de Mariano n’est point cachée (ni affublée d’une quelconque capote), pas plus que le minois de ces dames qui réclament toutes le final en éjac faciale.

Voilà donc un artiste qui a su arrêter une série avec laquelle une dizaine de tomes auraient pu être publiés. L’accordeur s’extirpe de sa condition et termine sur une note résolument optimiste : Mariano exerce ce métier comme son père, toutefois son don pour la musique dépasse ce cadre. Aussi, après une énième baisouille en devant se faire passer pour une rock star, il parvient à remettre une maquette de sa musique. Sa mission est accomplie, et comme il le dit : « aujourd’hui, j’ai accordé un piano. Et jeudi, j’ai rendez-vous avec un producteur. Je suis content. ». Et nous aussi.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Noé - L'Accordeur, Tome 2 Extrait3Le lecteur exigeant pourra trouver le héros très volage, incapable de ne pas retenir ses élans sexuels face à des propositions alléchantes il est vrai. Sauf que Mariano est, comme beaucoup, à la recherche de l’amour pur. Et niquer à la première rencontre n’est pas de nature à empêcher une future idylle. Ce qui cloche, c’est ce qu’il advient après. Soit il déconne allègrement (par exemple en s’asseyant sur le chien de la patronne), soit sa compagne en devenir n’est pas faite pour lui : nana collectionnant les pissotières, ou qui se remet avec une ex-amante, voire est déjà en couple. En fait, derrière son statut d’étalon, c’est un loser sentimental en puissance.

Enfin, il serait criminel de ne pas souligner les liens entre la musique et Eros. Liens charnels, d’une part, grâce aux douces vibrations qui en font mouiller plus d’une – Mariano grimé en chanteur à succès en est le principal bénéficiaire. Il y en a qui vont jusqu’à accrocher un godemichet à leur instrument pour ressentir plus profondément l’harmonie des notes, c’est dire. D’autre part, les mélodies servent également à exprimer des sentiments : lorsque le héros en est réduit à jouer des partitions que lui remettent deux femmes, il ne se doute guère qu’un savant dialogue se met en place et qu’il joue le rôle de porte parole. La musique n’adoucit guère les mœurs ici, mais a tendance à sublimer et exacerber les caractères des protagonistes.

…à rapprocher de :

– Le premier tome met le la, et reste également plaisant (en lien). Sinon, le meilleur de cet auteur me semble bien être Exposition.

– Dans l’esprit sexe jubilatoire assez marrant, je ne peux m’empêcher de penser à Chambre 121, de Boccère – même topo, sauf que le héros est également payé pour ça.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette BD en ligne ici.

Collectif - L'Homme de demainAnthologie sur le devenir de notre espèce, il y en a pour tous les goûts même si la qualité est inégale. Néanmoins, les thèmes traités y sont nombreux, de l’heureuse utopie futuriste à l’anticipation sociale déglinguée, en passant par la robotique, presque obligatoire. Sans compter que certaines illustrations valent leur pesant de cacahouètes.

Il était une fois…

Quel avenir pour l’Homme, cet être à l’ego surdimensionné qui hésite entre auto-destruction et adaptation ? 18 textes pour le découvrir. [il faut savoir que le félin a envoyé, anonymement, un texte de son cru pour la présente anthologie. Devinez quoi : je me suis fait recaler comme une bleusaille. J’ai compris la leçon. Faut mieux parler du boulot des autres que vouloir péter plus haut que son derche en proposant le sien. Aussi ce billet a été rédigé sous l’emprise d’un légitime courroux mâtiné d’une jalousie de rageux]

Critique de L’Homme de demain

Me suis aperçu qu’il est bien plus stressant pour les auteurs de glisser quelques lignes à peine par texte. Dont acte :

La frontière des rêves (Tesha Garisaki au stylo, Cham et The Hyde’s Asylum au pinceau)

Balade douce-amère dans un univers administré par une I.A (OmnIA) qui rehausse le quotidien. La narratrice rend visite à un territoire hors connecté, et le retour au « réel connecté » éveille chez elle des soupçons. Ses souvenirs et connaissances sont-ils réels ? Court et enchantant, la fin m’a rappelé Brazil, de Ian McDonald (en lien).

Vintage Porn Star (éjaculé par Mathieu Fluxe et reluis par Corvis)

En l’an 2036, y’a plus beaucoup d’humains à cause d’une épidémie foudroyante. Du coup, baiser = se reproduire. Plus de sexualité, le porno est le pire crime existant sur la planète. C’est sans compter deux protagonistes qui proposent, en sous main, des films X. Narration prenante par flashbacks et qui n’est pas sans rappeler du Chuck Palahniuk, ça se vaut. Gros coup de cœur sur le dessin, hilarant.

Paradise4 (proposé par Émilie Querbalec, dessins du sempiternel Maniak)

Une colonisation en préparation sur Mars, une maladie qui accable l’Humanité, des considérations eugénistes, des résistants qui n’acceptent pas la tournure prise, tout ça est un peu fouillis mais le message sous-jacent, fort, parvient à percer. Loin d’être mon texte préféré.

Maison close (imaginé par l’incontournable Neil Jomunsi, illustration numérico-pornographique par Stabeor Basanescu)

[Tigre signale qu’il connaît bien l’écrivain]. Bel exercice d’interface sexuelle homme-machine, on s’y croirait. Miss A., androïde prostituée de luxe, se voit confier la mission ultime : faire jouir un antique ordinateur sur le point d’être débranché. Vocabulaire maîtrisé et scénario bien ficelé, toutefois aucune surprise ni froncement de sourcil à la fin. Dommage.

Ergo sumus (imaginé par Nunzio Cusmano, avec un dessin glauque de Venom)

Mignonne fable amère et limite dépressive d’un savant dont le projet modifiera la face (hum) du monde. L’auteur a un style personnel assez poignant dans sa simplicité et bien adapté à la taille courte du texte. Ça ressemble à un testament dont la fin emprunte un peu à L’armée des douze singes.

Caraville (de Nelly Chadour, qu’on ne présente plus, dessin apocalyptique de Deadstar)

Caraville est une cité roulante afin d’échapper à la fournaise, boule de feu qui poursuivrait ses habitants. Dans cet enfer pollué et puant le gasoil, une jeune fille va, presque par accident, remonter les quartiers chics. Puis découvrir certaines vérités. L’auteur se fait plaisir, et malgré quelques longueurs ça passe bien. Aussi crédible que Mad Max, aussi prenant que Le Transperceneige (en lien).

Le cœur sous la cloche (Ludovic Klein) illustré par Stef-W

Une petite fille se fait sévèrement houspiller parce qu’elle a osé marcher dans la nature. On sent que la terre est pourrie et que les contraintes actuelles sont terrifiantes. Hélas ça m’a paru trop intimiste et mystérieux pour se rendre compte de la vie de l’homme de demain. Dommage.

Les Héritiers (Anthony Boulanger) illustré par Chesfear

Tous les humains décident de quitter la Terre pour peupler les étoiles. Sauf le narrateur, le seul gland qui a décidé de ne pas être augmenté et occupe ses derniers instants à penser à sa tendre et douce. Texte triste et assez commun, je n’ai vraiment pas accroché (à ma décharge, j’ai lu ce texte étant bourré)…jusqu’aux derniers paragraphes qui apportent une surprise bienvenue.

La musique des sphères (de l’étonnant Nicolas Chapperon, dessin par Cham)

Belle idée de ce que pourrait être « l’Homme ultime », être quasi immortel adapté à l’espace. L’héroïne croise un congénère désireux de s’accoupler, et forcément l’expérience la déçoit. Quant les sentiments un peu fleur bleue font face aux impératifs de la reproduction, pas besoin de se demander qui va l’emporter. Court et passable.

Poogle Man (par le redondant Herr Mad Doktor, et illustré par les non moins redondantes Pénélope Labruyère et Chesfear)

Ha ha, je m’attendais à quelque chose qui tape sur le moteur de recherche bien connu. Baladin est un homme moyen dans un monde où tous sont connectés grâce aux bons soins d’une boîte qui stocke votre mémoire et tout le reste. Outre le style enlevé, la nouvelle est d’autant plus plaisante que HMD joue sur la forme grâce à des notes de bas de page savoureuses. Crédibilité zéro et approximations de toute part, mais l’auteur s’en bat les steaks – le lecteur aussi.

L’absurde et très courte histoire de l’homme qui voulait monter dans la hiérarchie (par cette feignasse de Corvis, mis littéralement en images par le génial King Lizard)

Drôle et fin, tout est dans le titre. Foutage de gueule aussi, si j’avais su je ne me serais pas fait chier à pondre 10 000 mots alors qu’une centaine aurait pu suffire.

Changez d’air (by Arnaud Lecointre, Maniak aux pinceaux)

Une ville où l’air est tellement pollué que ses habitants meurent plus vite que prévu. Dont le narrateur qui décide de casser sa tirelire pour avoir de l’air pur. Exagérément long par rapport à un final d’absurdité auquel je m’attendais, heureusement que l’écriture de Lecointre reste fluide et agréable à l’œil.

La vengeance du XIXe siècle (négligemment pondu par Maniak, illustré par Christophe “FloatinG” Huet)

Rétro-steampunk-war-machine-contre-vilain-teuton, histoire courte d’upgrades progressives, le métal remplaçant la chair – descriptions bien foutues, on a mal pour l’héroïne. Tout ça à des fins militaires pour prendre une revanche dans une guerre qui semble se répéter. Y’a sûrement un double niveau de lecture, que je n’ai toutefois pas décelé.

Patrino (par l’inénarrable Vincent Leclercq, Cold Mind Art pour le visuel)

Lorsque la fusion ville-humains est poussé à son comble, ne soyez pas surpris à lire l’accouchement, par une cité, d’un rejeton appelé à devenir une autre ville. Sauf que c’est un poil longuet et que j’ai eu un mal de chien à suivre les étapes menant à l’heureux évènement. Au moins l’atmosphère est optimiste et heureuse, mais je me suis emmerdé – désolé.

Moisson (imaginé par ce détraqué de Gallinacé Ardent, et dessin d’une terrifiante glauquerie par ARZH)

Trois pages, entre le rire et le dégout, sur l’être humain en tant que produit destiné à être consommé. Gallinacé est sympa à lire, et son pseudonyme pourra interpeller le lecteur : remplacez l’humain par n’importe quel animal, et vous obtiendrez le plus beau pamphlet végétalien qui existe.

Les enfants de nos enfants (encore ce bon Southeast Jones, dessin de Kenzo Merabet)

Pas bien compris le bouzin de cette longue nouvelle composée de trois parties se joint à des milliers (millions même) d’années d’intervalle. Évolution de l’espèce qui n’a plus rien de l’homo sapiens, adaptation forcée par des conflits et une nature qui a horreur du vide, cependant le félin a été déçu par un dernier texte qui aurait gagné à être moins éprouvant pour le cerveau.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’éditeur mâche aisément le travail en pointant le lien, parfois ténu, qui courre dans ces nouvelles : l’adaptation. Adaptation face aux changements, face à la technologie qui nous dépasse et semble nous aliéner – du point de vue notre époque. Cependant, il apparaît que l’intégration dans cet environnement futuriste ne fonctionne qu’au profit d’une minorité (humaine ou non), le reste du monde étant impitoyablement écrasé et manipulé.

…à rapprocher de :

– De cette association, les hostilités ont été ouvertes avec Fin(s) du monde. La suite intitulée Sales Bêtes ! est d’une rare qualité, et les Contes marron (premier volume), sont un réjouissant appetizer (tout comme le premier opus des Contes Rouges) et Folie(s) est globalement correct. Quant aux Contes roses, petite déception hélas.

– Sinon, un auteur régulièrement publié par les AFA (Southeast Jones pour ne pas le nommer) a lâché un beau recueil sur un thème similaire : Il sera une fois…

Enfin, si vous souhaitez juger de la chose vous-même, le recueil est dispo en téléchargement gratuit sur le site de l’asso (en lien).

López & Barreiro - L'Antre de la terreurSous-titre : Les aventures sexuelles de Lilian et Agathe. VO : El Prostibulo del terror. Y suis allé à reculons, or chaque page m’a convaincu de tourner avidement la suivante. Illustrations complètes, fouillis et choquantes, scénario bien ficelé et à prendre à la rigolade tellement les protagonistes sont illustres, ça se lit avec la bave et le sourire aux lèvres. Attention, c’est parfois dur. 

Il était une fois…

Fuyant la cité en feu depuis leurs dernières aventures, Lilian et Agathe vont tomber entre les mains du vilain Mister Hyde, lequel les séquestre dans une cave et les drogue avec une mixture qui rend nos amies trèèèèès dociles. Pendant que le vilain offre à ses clients quelques spectacles de très mauvais goût, en attendant de livrer en pâture les deux jeunes femmes à une déité, quelques illustres personnages vont se retrouver dans ce cabaret du diable.

Critique de L’Antre de la terreur

López & Barreiro - L'Antre de la terreur extrait1Le félin était moyennement chaud en parcourant, avec la plus blâmable négligence, les premières pages de cette bande dessine jugée (hâtivement) un peu brouillonne. Laquelle manque sérieusement de couleurs – comme la plupart des titres érotiques lus d’ailleurs. Mais c’est sans compter la page 10 où le vilain docteur introduit un tuyau dans la chatte des deux nanas, tuyau d’où sort un liquide qui les rend chaudes telles un accueillant geyser islandais. A partir de là,me suis dit « mouais, voyons voir où ça nous mène ».

Autant vous dire que ça va très loin. Lilian et Agathe sont donc détenues dans un sous-sol sordide tenu par une grosse érotomane et un chien, Satan, qui se produit parfois sur scène en copulant avec des jolies jeunes filles. Ce bar-théâtre sexuel de la honte est en outre fréquenté par des personnalités bien connues : Sherlock Holmes qui se doute que quelque chose ne tourne pas rond (Conan Doyle est là aussi, allez comprendre…) ; Albert Einstein prêt à être dépucelé ; Margaret Thatcher plus chiante que jamais ; Robert Louis Stevenson contraint de consulter Herr Freud,…et Jack l’éventreur qui terrorise la populace. Nul besoin de vous préciser que, d’un point de vue des dates, ça ne tient pas la route du tout.

López & Barreiro - L'Antre de la terreur extrait2Parallèlement, les deux héroïnes tentent, tant bien que mal, de reprendre leurs esprits tandis qu’on leur enfonce méthodiquement une saloperie aphrodisiaque dans tous les orifices – je vous laisse imaginer les scènes de débauche en conséquence. Heureusement, grâce à la force Ishtar (ouais, y’a de la magie), elles sauront s’enfuir non sans classe. Si Le Tigre a eu un peu de mal avec le dessin au début, progressivement la délicieuse plastique des protagonistes ainsi que la finesse du trait ont su convaincre. Que ce soient des décors gothiques inquiétants ou la justesse des visages, c’est du beau boulot. Petit bémol sur l’organisation (sic) des cases, foutraque au possible.

Voilà donc une bande dessinée plus trash qu’érotique, Francisco Lopez et Ricardo Barreiro ont produit une sorte bonbon au goût amer qui recèle bien plus de nuances que prévu. Passée la répulsion primaire provoquée par l’exagération des comportements odieux de certains, on ne peut qu’en redemander – si ça passe pas, n’insistez pas hein. Oui, L’Antre de la terreur est pour les yeux ce que le schweppes est au soda.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

López & Barreiro - L'Antre de la terreur extrait3Cet ouvrage est un somptueux hommage à ce qu’on nomme les « penny dreadful », historiettes bas de gamme vendues sous l’Angleterre victorienne. Déjà, il y a l’ambiance noire et inquiétante d’une cité où tout semble possible – surtout le pire. Le mélange entre la richesse de la grande société et les perversions auxquelles celle-ci s’adonne est saisissant, avec un envers du décor révélé aux yeux de tous. Avant tout, le penny dreadful est l’intervention d’individus phares, de dignes représentants d’une époque qui peut foutre les jetons : Jekyll et Hide, Jack The Ripper, l’écrivain maudit sous cocaïne, tous les fantasmes de la populace prennent forme ici. Ah non. Il manque un vampire.

Sinon, l’atmosphère gothique d’une Angleterre à la dérive est prégnante. La Révolution Industrielle semble aller de pair avec l’affaissement des repères moraux : imaginez Freud en route vers Londres, en ballon, avec ses nouvelles techniques médicales, qui se fait sucer par une jeune fan en pâmoison. Ou Stevenson (sans spoiler) qui ne tourne décidément pas rond – un auteur si illustre pourtant ! Toutefois, ce qui m’a particulièrement gondolé est l’aventure d’Einstein. Sa fameuse formule lui vient d’une baise monumentale : il voit de la lumière (et ce n’est pas Broadway), la masse de la gueuse sous lui, et une idée germe dans son cerveau en proie au plaisir. L’ère atomique ne serait donc que le fruit d’un acte amoral permis par la débauche de la capitale du monde industriel ?

[oui, je le sais : je viens d’enculer les mouches]

rapprocher de :

– Ce titre, qui peut se lire indépendamment, est la suite directe de L’institut (bientôt sur le blog).

– En dessin plus gras mais bien foutu, agrémenté d’un scénario autre que bite-dans-le-cul, vous pouvez voir du côté de Magnus, par exemple dans L’internat féminin – en lien.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette BD en ligne ici.

Jean-Philippe Jaworski - Gagner la guerreSous-titre : Récit du Vieux Royaume. Oh la belle claque. Parcours d’un homme aux nombreux talents, rebondissements à foison, une écriture immensément chatoyante, voilà un titre qui ne pourra laisser indifférent. Roman d’aventure avec un fort soupçon de barbouzeries, fantasy subtile, livre d‘histoire telle que rarement enseignée, Tigre crie au génie.

Il était une fois…

Benvenuto Gesufale, homme de main du retors Podestat (équivalent de Doge) de Ciudalia, accompagne les galères fraîchement victorieuses de la Cité contre celles de Ressine. Benvenuto est plus qu’un guerrier, il appartient à la guide des Chuchoteurs, sorte d’assassins de luxe dont tous se méfient. Et il a une mission secrète pour le compte du Podestat. Car, si la guerre contre Ressine est bien sur le point d’être gagnée, les vrais affrontements sont encore à venir. Mais Benvenuto n’a pas fini d’en chier.

Critique de Gagner la guerre

Par Buddha, qu’est-ce que j’ai pu me régaler. Voilà exactement le type de romans dont est friand votre serviteur. Près de 1.000 pages, et pas un pet de graisse. Certes certains passages sont exagérément longs (notamment lorsque le héros se fait la malle et s’exile à Bourg-Preux), mais le rythme repart aussitôt pour livrer de ravigotantes péripéties renforçant, à chaque chapitre, l’intérêt de l’œuvre.

D’abord, un petit mot sur l’univers : Ciudalia est une République qui n’est pas sans rappeler quelques villes italiennes de la Renaissance (noms des protagonistes, lieux, intrigues, art de la guerre), sur un territoire côtier menacé par Ressine (équivalent d’un Empire Ottoman) côté mer et de différents royaumes dans les terres. La technologie est davantage proche de celle du Moyen-âge, avec des combats où l’escrime est roi et les armes à feu absentes. Roman de fantasy par la magie avec notamment le grand Sassanos, cependant celle-ci est relativement discrète – tout comme l’existence des Elfes et autres nains.

Ensuite, l’histoire, linéaire mais complexe. Benvenuto, ancien militaire auprès de la République, a été missionné par le Podestat Leonide Ducatore pour assurer les arrières de ce dernier. Ducatore, c’est du Machiavel en puissance, un être cynique qui utilisera le héros jusqu’à ses dernières forces. Rapidement, Gesufale sort de sa condition de tueurs efficace pour être au devant de la scène – trajectoire évidemment calculée par son patron. Lorsque certaines de ses actions (l’assassinat d’un membre du clan Mastiggia) sont révélées, le héros n’a d’autre choix que de fuir avec le sorcier Sassanos. Puis survivre suffisamment longtemps avant de revenir à Ciudalia. Mais en tant que quoi ? Glorieux émissaire, héros ou traître prêt à être pendu ?

Enfin, et sans aucun doute le meilleur, le style de Jaworski. En optant pour une narration à la première personne, l’auteur s’amuse énormément : subjectivité exacerbée où pointent ici et là d’excellents moments de franchise, quatrième mur régulièrement franchi, et aventure au jour le jour qui tient en haleine. Mais ce n’est rien face au vocabulaire d’une richesse extraordinaire, au phrasé précieux avec des passages plus testostéronés, sinon orduriers. Benvenuto est une machine de guerre, un pion qui se trouve dans des situations foncièrement mauvaises longuement examinées avant de trouver la parade, tout ça pour être au service d’un homme dont la filouterie et l’amoralité se développent à chaque page – aspects qui transpirent d’une écriture complète et roublarde.

C’est donc là la force de l’écrivain : créer un monde ex-nihilo et tisser des luttes de pouvoir, des tactiques à tous les niveaux qui tiennent plus de l’essai historique que du roman de fantasy. Et si vous prêtez deux grammes de crédibilité au Tigre, buvez ces paroles : Gagner la guerre est un roman indispensable à découvrir. Et si ce n’est guère votre genre, vous le saurez au bout de 100 pages. Et pourrez l’offrir, ça plaira forcément à une de vos connaissances.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Ce livre n’est pas réellement ce qu’on nomme un roman d’apprentissage dans la mesure où Benvenuto, déjà dans la fleur de l’âge, semble disposer d’un bagage très solide. Il n’est donc pas question d’améliorations du héros, mais de la mise en œuvre de ses savoirs dans des configurations nouvelles. La guerre bloc contre bloc, il connaît. Les assassinats discrets sur fond de luttes claniques, c’est son domaine. En revanche, il va découvrir ce que cela fait de passer de Charybde (émissaire privé du Podestat couvert de gloire et d’or) en Scylla (la fuite précipitée, honni de tous), avant de revenir dans la cité. Il va se rendre compte de la force de la magie, des subtilités de la politique politicienne et du dévoiement constant des élites. Bref, Gesufale subit de nombreux dépucelages, et malgré tout réussit à rendre coups sur coups.

De manière évidente, Gagner la guerre est une éclatante démonstration de ce que peut être le machiavélisme. Ducatore est l’archétype parfait du politicien sans idéaux qui s’accroche au pouvoir comme une moule à son rocher. Parce que la relève par ses enfants est loin d’être assurée, le Podestat déploie des trésors d’imagination à côté desquels ceux des pires dynasties italiennes du Cinquecento ne sont que d’aimables coups de putes de collégiennes. Que ce soient les arts, la guerre (et surtout la manière dont est gérée la paix), la politique locale, les alliances et retournements de dernière minute, tout n’est que mobilisation pour sauvegarder son intérêt personnel – en le faisant correspondre à celui de la Cité.

Dans le dernier chapitre, il est même loisible d’avoir un aperçu de ce que pense Jaworski de ses protagonistes. Et son analyse ne semble guère tendre. [Attention mini SPOIL] Un des antagonistes, influencé par une sorcière multicentenaire, explique assez bien le problème posé par le comportement de Leonide Ducatore : en supprimant toute relève, le Podestat contribue à empêcher le renouvellement de l’élite et à scléroser la vie politique d’une cité incapable de se contenter des fruits d’une guerre gagnée. Leonide n’a plus sa place dans le gouvernement, et pourtant il s’accapare le pouvoir, et le risque est grand que la République laisse place à une tyrannie éclairée – ce qui ne semble guère émouvoir le Podestat. Ciudalia va donc se transformer en empire romain, en une structure dont elle s’était pourtant détachée en prenant son indépendance ? [Fin SPOIL]

C’est également la beauté de l’œuvre : le lecteur ne serait-il pas en train de lire les aventures des méchants en fin de compte ?

…à rapprocher de :

– On m’a susurré qu’il fallait mieux commencer par Janua Vera (en lien), qui permet de mieux situer l’univers imaginé par l’auteur. Et c’est très correct.

– Un roman bien écrit où les héros souffrent, c’est également La Horde du Contrevent, de l’immense Alain Damasion. Made in France again, cocorico.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman d’exception en ligne ici.

Hugo Drillski - Fourreurs nésDans l’ambiance froide et glauque du Nord de la France (frontière belge), deux jeunes sans repères toucheront, à leur manière, le fond. Le premier en sortant avec une fille qui saura dépasser les limites d’une relation amoureuse, l’autre en s’improvisant acteur porno. Écriture amusante et brute, histoire improbable par sa violence, voilà une découverte fort sympathique comme Tigre les aime.

Il était une fois…

Le narrateur, dont on ne saura jamais le nom, a un boulot consistant à rester le cul sur son canapé. Quant à son pote Harold, son membre démesuré lui offre l’opportunité de faire du porno grâce au gros Carlos, personnage tout ce qu’il y a de plus ignoble. En rajoutant la belle Cécile, tout est prêt pour exploser.

[à part ça, ne vous fiez pas à la description de la couverture, excessive en comparaison et dont le synopsis est légèrement trompeur : le héros n’écrit pas vraiment les scénarios de films pornos et l’esprit de Tarantino n’a rien à foutre ici (c’est pire)]

Critique de Fourreurs nés

Avant toute chose, il faut savoir que l’auteur, Hugo Drillski (rien que le nom…), a déposé une offrande sur le paillasson couleur rose de ma tanière, à savoir son petit ouvrage de 250 pages bien aérées. Mais comme il a assuré bien aimer mon blog, c’est qu’il doit me connaître et savoir ce qui me botte. Et ce premier roman m’a ravi, il y a un certain potentiel pour peu qu’il n’ait pas ici lâché toute sa semence imaginative.

Le lecteur suivra un pauvre hère vingtenaire dont le job consiste à regarder des vidéos pornos et à en rédiger le résumé (activité que l’auteur semble bien connaître) et son pote (Harold) encore plus loser que lui. Jusque là rien de transcendant. Mais c’est sans compter, d’une part, la délicieuse Cécile qui fréquentera le narrateur et s’adaptera à son esprit malade ; et d’autre part ce brave Harold qui prend conscience de la taille de sa bite et de l’utilisation qu’il peut en faire. Sauf que ça dérape pour les deux compères : tandis que Cécile accepte (et prend l’initiative) des pratiques toujours plus avilissantes, Grosse Queue s’empiffre de pilules non validées par l’agence sanitaire européenne et glisse vers la prostitution – la scène de l’anniversaire d’une vioque est à se pisser dessus.

Curieusement, Hugo D. réussit à taper juste sur deux tableaux : ses descriptions, plutôt immersives, sont agrémentées de métaphores savoureuses et de remarques bien dosées à notre attention. Toutefois, si le style sec de l’auteur et la rapidité avec laquelle l’action se déroule offrent une expérience de lecture parfois saccadée, on regretterait presque que ça se termine si vite. A peine si on s’ennuie sur le dernier tiers avec des dialogues et prises de conscience dispensables, comme si l’auteur était désireux de laisser durer le plaisir avant la scène finale. Laquelle est un summum de mauvais goût mâtiné de folie furieuse hilarante, et a l’avantage de se dire « ah ouais,ça va, je lis de la pure fiction, ça ne pourra guère m’arriver – enfin j’espère ».

Tout ça pour vous annoncer que Drillski (drill = perforer, voilà c’est dit), outre sa plume qui détonne, a su balancer un vilain caillou dans la marre littéraire – du genre à n’être publié que par un éditeur indépendant. Enfin, je ne vous cache pas qu’il reste délicat de lire un tel bouquin dans les transports en commun. Je l’ai fait une fois, y’a une maman qui m’a fait les gros yeux. Peut-être avait-elle reconnu sa fille sur l’image de couverture. Faut absolument qu’elle me la présente.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

J’ai cru déceler, à mon modeste niveau, l’histoire d’une jeunesse à la dérive infoutue de se représenter un avenir – émotionnel, de carrière, ou autre.

Déjà, le titre. La fourre, c’est le cul sale, la baise rapide où les sentiments sont aux abonnés absents. Plus le protagoniste principal en pince pour Cécile, plus il veut voir jusqu’où il peut se comporter en salopard avec elle. Et les scènes « sensuelles » qu’il imagine ne sont tirées que de scénarios de porno gonzo. Sauf que Cécile résiste, revient, et surprend. Deep throat qui menace de la tuer, plan à trois, nique rapide avec un inconnu rencontré en boîte devant son copain, la petite n’a pas froid aux yeux. Et ça met d’autant plus mal à l’aise que je me suis surpris, plus d’une fois, à terminer le chapitre avec une solide érection.

[Attention mini SPOIL] Cependant, Cécile provoque quelque chose qui dépasse tout ce qui était concevable, un acte d’une sexualité si révolutionnaire qu’il n’existe aucun tag sur vos sites de cul préférés. Voilà comment elle devient la seule héroïne du roman : non seulement Cécile a tenu tête au narrateur, mais elle a su atteindre un niveau infiniment supérieur de glauquerie en révélant au héros son hideuse nature. D’ailleurs, celui-ci finira par larguer la belle sous des raisons risibles eu égard à ce qu’ils ont vécu : en vérité, elle l’effraie, il a enfin trouvé son maître et flippe gravement. [Fin SPOIL]

Au-delà de l’humour qui fait souvent mouche, le constat est triste : cet ouvrage est également celui d’une jeunesse paumée qui exerce des métiers à la con, juste pour avoir suffisamment de thunes en vue de se la coller en boîte de nuit (quand ce n’est pas dans des bars miteux) entre deux welsh arrosés à la bière tiède. Mauvais pour la santé ça – quoique…ils ne vont guère coûter cher question retraite. A se demander comment le narrateur parvient à fourrer sans cesse avec son régime alimentaire et l’absence de sport. Les pilules bleues ? Harold se démenait tant qu’il pouvait avec ces artifices chimiques, toutefois ce n’est pas ça qui l’arrêtera : son excuse, piteuse également, en rapport avec le SIDA, ne fait que renvoyer au scandale qui a ébranlé (hu hu) la côte ouest des States.

à rapprocher de :

– Dès les premiers chapitres, le jeune écrivain balance deux noms d’auteurs dont il a pu, partiellement s’inspirer. A savoir le vieux dégueulasse Bukowski (bientôt sur le blog) et le fantasque Iceberg Slim. Faites ce que vous voulez de cette information.

– Chez ce même éditeur, signalons le fort original Orgasme cosmique au Ran du Chabrier, de Sylvain Lainé. Du cul et de l’astral, niveau d’écriture moyen.

– Cette jeunesse en perdition me rappelle les premiers jets de Bret Easton Ellis. Sauf que ce dernier est plus léché, plus long, mais souvent plus ennuyeux. Suite(s) Impériale(s) reprend bien le vide qui traverse les protagonistes, la drogue dure en plus.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Graeme Simsion - Comment trouver la femme idéaleSous-titre : Ou le Théorème du homard. Dans une grande ville d’Australie, l’univers ordonné d’un scientifique ultramaniaque est sur le point d’entrer en collision avec celui d’une femme à l’esprit foutraque mais plein de promesses. Écriture svelte et aisée à lire, quelques passages amusants, mais dans l’ensemble assez terne. Ce n’est pas que c’est nul (quoique…), mais ce n’est pas vraiment mon genre.

Il était une fois…

Don Tillman, petite quarantaine, a tout pour plaire : scientifique australien à la réputation établie, plutôt beau gosse, sportif comme il faut, maîtrise plus que correcte des arts martiaux, cuisinier de talent. Y’a juste un pitit truc qui cloche : il est complètement asocial. Mais au moins il le sait. Et puis il a un couple d’amis (Gene et Claudia) dont le volage mari aime punaiser une mappemonde sur chaque pays dont il a baisé une citoyenne. Sinon, Don est célibataire, et s’est mis en tête de trouver la femme parfaite à ses yeux. Pour cela, il a mis au point un processus bien rôdé. Mais c’est sans compter Rosie qui débarque dans son bureau….

Critique du Théorème du homard

Pourquoi ce titre ? Parce que Don se prépare, chaque mardi soir, un quart de homard. Et que la gueuse qui vivra avec lui devra se plier à cette habitude. C’est un critère de sélection d’une compagne parmi tant d’autres. Je vous passe les autres critères, sachez juste qu’il existe une raison scien-ti-fi-que-ment logique pour chacun d’entre eux.

Ce roman, plaisant mais loin d’être renversant, se décompose en deux histoires solidement imbriquées. Déjà, il y a « l’Opération Épouse » menée par notre héros. Et quand son ami Gene lui envoie (pour plaisanter) Rosie Jarman dans son bureau, Dan pense à une « candidate ». Sauf que la miss, loin d’être bien dans sa peau, ignore tout du personnage. Et même si Rosie ne répond pas positivement à ses tests, Tillman continue de la fréquenter. Pas parce qu’elle lui plaît, mais pour l’aider à retrouver son vrai papa. Lequel aurait copulé avec sa mère lors d’une fête de remise de diplômes de médecins.

Le roman prend alors la tournure d’une comédie sentimentale à succès dégoulinante de guimauve avec les bons ingrédients pour cartonner : de l’humour (entre quiproquos et comportement de Dan) ; de l’aventure (le couple voyageant beaucoup pour récolter des prélèvements ADN des pères potentiels) ; un peu d’action (une petite baston dans un restau chic) ; un peu de sexe sur la fin (sans les seins visibles hein), sans oublier le consternant happy ending à la sauce australienne. Emballez en trois heures c’est pesé, et passez à autre chose.

En fait, j’ai trouvé ce qu’il ne va pas. Le Tigre est plus proche de Don (pas en intelligence, mais en bizarrerie) que votre voisin de palier. Du coup, je n’ai rien trouvé d’original aux remarques du narrateur (première personne du singulier). Et puis la manière dont les péripéties sont amenées m’a parfois paru d’une rare putasserie digne d’un comique qui cherche à vous expliquer sa blague pas drôle.

Enfin, et au risque de me faire (encore) engueuler comme de la poiscaille à peine défraîchie, c’est encore un roman de nanas. Mais du roman utile, du genre à permettre de comprendre comment peut fonctionner quelqu’un avec tous les défauts des hommes – mis à part l’envie constante de se vider les couilles, peu présente chez Don..

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Parlons sérieusement. J’ai trouvé assez intéressant le fait que deux mots ne reviennent qu’une fois dans ce bouquin : le syndrome d’Asperger. Faut pas être grand clerc pour piger que Don est sévèrement atteint – surprenant qu’il ne se diagnostique pas lui-même. N’étant pas spécialiste de cette affection (qui n’est pas une maladie à mon sens), j’ai comme l’impression que Graeme Simsion (tiens, ai appris un nouveau prénom) a plutôt bien cerné le cerveau de ces personnes et la façon dont leur paradigme s’organise : méthodiquement, prise de risque minimale, optimisation au détriment d’un plaisir qu’ils ne recherchent pas, etc. En outre, ne pas évoquer Asperger tend à montrer que ce n’est pas vraiment une atteinte, mais plutôt une façon de penser par défaut qui peut indisposer l’individu dit « normal ».

Sinon, et de manière plus que triviale, l’auteur entreprend, par une voix certes inédite, de montrer que l’amour ne se programme pas, et gnagnagna. Tout n’est que délices du hasard, constructions par étapes, petits ratages fort mignons, feeling grandissant, discussions à bâtons rompus – l’opposé d’un questionnaire aussi intrusif qu’un logiciel de la NSA sur l’appareil avec lequel vous me lisez. En rajoutant la recherche du père biologique et comment la génétique peut influencer une personne (ou est-ce un effet placebo), comprenez que l’écrivain a tapé large dans le consensuel.

Pitié, qu’un producteur n’aie pas soudainement envie d’en faire un film.

…à rapprocher de :

– Y’a une suite. Je m’en fous. Suivant.

– Dans le même genre de niaiserie que je n’ai guère l’habitude de lire, et si c’est votre came (ce que je respecte infiniment), allez voir du côté de chez Douglas Kennedy .

– Le film Pour le pire et pour le meilleur, avec Jack Nicholson en maniaque furieux qui finit par séduire l’autre truie dont j’ai oublié le nom.

Enfin, si votre librairie est fermée et que c’est susceptible de vous plaire, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Brugeas & Toulhoat - Chaos Team, Tome 2.1[ou épisode 1 de la 2ème saison]. Grâce à des alliances consolidées, Blackfire et sa Chaos Team s’imposent comme la puissance montante dans une terre dévastée. Hélas, des ennemis retors se cachent dans le froid de la grande Russie. Illustrations soignées et dynamiques, nouvel adversaire qui interpelle, ce troisième opus est correct. 

Il était une fois…

Cinquante-sept mois après l’invasion E.T. qui a foutu un bordel monstre, la situation semble s’être stabilisée pour la Chaos Team et leurs membres. Grâce à l’aide d’Etee (les extra-terrestres apparemment motivés à rebâtir l’Humanité), nos amis accumulent les succès et l’espoir renaît. Ils ont même fait une alliance avec la Nouvelle Europe Catholique, c’est dire. Rien ne s’oppose à eux…sauf peut-être le mystérieux Russe qui a pu capturer un des soldats de la Chaos Team. Il est temps de lui botter le cul. Ce fameux Tsar, énième dictateur de pacotille ou stratège accompli ?

Critique de Chaos Team, Tome 2.1

Le Tigre avait été relativement déçu par le premier tome jugé poussif et peu original, heureusement que le second a relancé l’intérêt en introduisant les Etees avec leurs fabuleux pouvoirs – et accessoirement un hélico piloté par des protagonistes qui se fait dézinguer en pleine Russie. Pour vous situer, la Terre n’est qu’un champ de ruine (à la suite d’une attaque extérieure) où différents clans combattent pour les restes. La société de sécurité privée, Blackfire, est bien située grâce à la sœur d’un des soldats qui a un contact privilégié avec les E.T. pas si vilains que ça.

La « saison » 2.1 commence par un beau coup de nos amis qui ont forgé une alliance avec des doux dingues ultra-cathos désireux de botter le derrière aux hordes mahométanes – paye ton adjectif d’intellectuel émargeant au Figaro. Une petite escarmouche pour mettre au pas les derniers récalcitrants, ensuite la vraie problématique apparaît : Kyle est paumé en plein territoire russkoff. Capturé par un pseudo-général (en apparence) de carnaval, la Chaos Team prépare une mission search & rescue. Laquelle va prendre une tournure plus oh-punaise-ça-ne-se-passe-pas-comme-prévu.

Les dessins restent toujours aussi plaisant, on imagine aisément le bon Ronan Toulhoat suer comme une truie en manque d’héroïne pour chaque planche – tellement d’ailleurs que les auteurs ont annoncé vouloir réduire la cadence. Si la gueule des protagonistes est passable, les décors et petits détails permettent une belle immersion dans un univers plus « froid » que les tomes précédents : les couleurs m’ont paru plus éthérées et pâles, ce qui tranche délicieusement avec les trajectoires des missiles et autres coups portés par des exo-armures en mode « badass mechwarrior ».

En guise de dernier mot, Le Tigre pardonne beaucoup à ces auteurs français qui ont eu les couilles de se lancer dans une aventure qui ne pourrait jamais avoir de fin (tout dépend d’eux) et qui n’est pas sûre de trouver son public. A part quelques personnages bien identifiés, les autres intervenants semblent être utilisés au petit bonheur la chance ; toutefois ne plus savoir qui a fait quoi n’occasionne que peu de gêne face à des graphismes qui souvent se suffisent à eux même. Et puis…comme j’ai déjà tous les tomes, ce serait franchement con d’arrêter en si bon chemin.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le félin a cru comprendre que la Chaos Team, devenant trop puissante, devait se prendre un coup de plus dans la gueule. Car les succès militaires des héros et les alliances en cours laissaient présager une esquisse de paix mondiale sous l’égide d’une force extérieure bienveillante – et potentiellement manipulatrice, les Etees étant plus ou moins télépathes. Mais les liens avec les E.T. ne sont pas passés inaperçus. Disons que cartonner ses adversaires avec des artefacts non terriens éveillent un sentiment de jalousie tout à fait légitime.

C’est là qu’intervient le Tsar, personnage que nos champions ont gravement sous-estimés. Imbus par leurs succès et forts de leur supériorité technologique, ils ont cru bon voir en ce nouvel adversaire un énième péquenaud terrorisant sa misérable population. Sauf que le gus est plus finaud, renseigné et habile qu’escompté. Jusqu’à contraindre la Chaos Team à commettre l’impensable (enfin c’est relatif) : devoir demander de l’aide à leurs nouveaux alliés, à savoir la Nouvelle Europe Catholique – laquelle vient pourtant de s’incliner face aux forces du Renouveau. Avouez que ça l’affiche mal.

[d’ailleurs, c’est comme ça que se termine cet alléchant tome : une méga baston Chaos Team & Soldats du Christ versus Poutino-russes nostalgiques surentraînés. Puis le sentiment qu’un membre du groupe, Caïn, va avoir un rôle de premier choix]

…à rapprocher de :

– Il faut évidemment commencer par le premier tome (en lien, assez moyen). et le second de la première saison (toujours en lien).

– De ces deux auteurs, Tigre vous conseille également Block 109. Ce roman graphique est excellent, et les connaisseurs reconnaîtront dans le héros la même gueule que Kyle, perso qui vient de débarquer dans la Team Chaos. Si vous voulez du court (pas forcément aussi bon), quelques BD trainent autour de l’univers : Étoile rouge (mon préféré), Opération soleil de plomb (correct), New York 1947 (chouette), Ritter Germania (mouais).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette BD en ligne ici.

Ardem - La mauvaise élèveVoici l’histoire d’une jeune femme (elle fait bien sûr plus âgée qu’elle ne l’est vraiment), pas franchement douée pour les études mais qui développe de grandes réussites grâce à son derche. Scènes peu ragoûtantes, dessin souvent quelconque et morale inadmissible (soyons puritain), même la lecture au second degré est pénible. Passez votre chemin.

Il était une fois…

Mathilde est une grosse quiche en classe. Comme elle est partie, elle n’est pas prête de décrocher son bac. Heureusement, il y a sa « copine » Vanessa (tout de suite, le prénom plus orienté) qui connaît bien ce qui motive les hommes…et en particulier les responsables de l’école. Lesquels, oubliant toute déontologie et trois grosses sections du code pénal, sont décidés à ne pas passer à côté d’un si joli derrière.

Critique de La mauvaise élève

Avec Ardem, vous pouvez laisser de côté la finesse, les sentiments et les valeurs morales qui cimentent notre belle civilisation depuis tant de siècles. Cela tombe bien, l’auteur semble s’en tamponner les miches – pour mieux remplir de foutre celles de ses pauvres héroïnes.

Ardem - La mauvaise élève extrait 1Le scénario est d’une navrante simplicité : Mathilde a un potentiel sexuel dévastateur qui sera provoqué par divers individus aux intentions douteuses. En un mot comme en cent, pétrifiée par les approches peu finaudes de ses partenaires, elle se fait violer jusqu’à ce qu’apparaisse l’ébauche d’une heureuse jouissance entre les mains du gardien de la loge de son lycée, puis du proviseur – qui l’initieront aux joies du sperm swaping à même une assiette correctement remplie. Si elle a mal au début, le plaisir apparaîtra bien évidemment, Ardem poussant le vice à faire en sorte que le personnage en redemande.

A tout hasard, Le Tigre signale une certaine richesse de vocabulaire qui, je l’espère, saura être réemployé par votre serviteur dans ses moments les plus solitaires. Une BD où une éjac’ faciale s’appelle trivialement un ravalement de façade, une deep throat prend la tournure chantante d’un je vais t’engluer les amygdales ma salope suivie d’un coquet suce donc le yaourt de papa Bernard, avant de terminer par un courtois ton divin petit trou a déjà englouti mon gland, n’importe quel lecteur mélomane saura goûter l’approche résolument ordurière d’une bande dessinée où les hommes sont tous de parfaits salauds.

Ardem - La mauvaise élève extrait 2Et les illustrations n’arrangent rien. C’est sale, ça bave et postillonne de partout, les mecs sont plus poilus qu’un Robinson Crusoé déprimé et il est difficile de distinguer leurs gueules peu avenantes – même les fils de bonne famille prennent un air gravement sournois. Du coup, le contraste entre les corps fermes et alléchants des protagonistes femmes et l’aspect peu sexy des mâles rutilants renforcent l’impression de malaise, ici sublimé dès que la femme-objet se fait prendre dans tous les sens sans vraiment broncher – en mode « gibier consentant je demeurai ». Bref, c’est marrant dix minutes, mais pas plus.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Ai rarement lu morale de l’histoire plus vilaine. Pour faire simple, Mathilde est une coincée du derrière à peine majeure. Sa pote Vanessa la force à tailler une pipe à un mec. Ce dernier veut réitérer la chose dans les WC. Le gardien les surprend et profite de la situation pour, progressivement, se taper la jeune fille – avant de s’y mettre à plusieurs. Parallèlement, les notes de Mathilde se s’améliorent pas. Mais elle excelle dans une autre matière. Vous voyez où je veux en venir : à quoi bon passer le bac quand on peut réussir avec son cul ?

Chouette morale de vainqueur. Il en faut toutefois plus pour gêner le félin.

Ardem - La mauvaise élève extrait 3Non, ce qui m’a turlupiné (sans jeu de mots) est l’acceptation sous-jacente de la violence sexuelle – je ne parle pas de justification, Ardem n’a tout de même pas osé. Chaque expérience sexuelle de notre amie est provoquée de force, sinon par surprise (un doigt, puis deux, puis la bite). Comme par magie, Mathilde éprouve un mélange de douleur et d’intense plaisir, et c’est le cœur plein de honte mais le corps repu qu’elle quitte ses « amants » (dans le texte). Elle finit par prendre de savoureuses initiatives, jusqu’à dépasser son maître. Dans le genre baise-la-fort-elle-finira-bien-par-aimer, on ne peut difficilement faire pire. Tout ça pour que l’héroïne termine telle une vulgaire catin qui soumet à son dictaphone ses souvenirs – elle devient escort, ce qui est peu ou prou le même business.

…à rapprocher de :

– De la part de cet auteur/illustrateur, il y a Les films de Justine (tome 1 et tome 2). Nettement plus crade, avec ondinisme (de la pisse, pour être clair) à la clef. Quant à Chantages (premier tome), encore plus improbable.

– La femme soumise qui se révèle être une sacrée chaudasse, c’est surtout L’institutrice, de Bruce Morgan.

– La narration porno via un journal intime se retrouve également chez Xavier Duvet dans Le journal d’une soubrette, graphiquement plus léché.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette chose vaguement porno en ligne ici.