D.A.F. de Sade - La Philosophie dans le boudoirSous-titre : les quatre premiers dialogues (et oui ce n’est qu’un folio à 2 euros). Classique de la littérature de la fin du 18ème siècle, Le Tigre a quelque peu frétillé à la lecture de cette centaine de pages. Entre dialogues décrivant de sympathiques pratiques sexuelles et considérations plus philosophiques, un petit must.

De quoi parle La Philosophie dans le boudoir, et comment ?

Le Tigre ne présente plus le marquis de Sade, Donation Alphonse François de ses petits prénoms. Le monsieur a eu son petit succès d’un subversif certain, au point de passer un joli paquet d’années dans les prisons du roi et de la République. Le gus qui à l’époque déplaisait grandement à tous les gouvernement successifs a forcément les faveurs du félin.

J’ai fait un peu ma feignasse dans la mesure où je n’ai acquis que les quatre premiers dialogues (chapitrage ainsi développé) de La Philosophie dans le boudoir. Avec un grand P., ce qui est légitime. Le boudoir, chez les richards dont les appartements occupaient au moins un étage, c’est la pièce entre le salon et la chambre. Le salon où on discute, la chambre où il arrive de forniquer. Ce sera la structure générale du texte, où le marquis oscille entre discussions presque pornographiques et pensées plus politiques.

Le scénario (si on peut appeler cela ainsi) consiste à mettre dans ce boudoir trois libertins (la pétillante Mme de Saint-Ange, le chevalier de Mirvel et Dolmancé) et un jardinier au passage. Tous font montre d’une vigueur éprouvée et s’apprêtent à éduquer une jeune fille, Eugénie. Éducation sexuelle certes, mais également discours fleuves (le pluriel passe ?) de la part de quelques protagonistes au phrasé précieux.

En effet, ce qui m’a frappé dans ce court essai, c’est le vocabulaire très recherché des personnages. Si ça baise à couilles rabattues, c’est en se vouvoyant et avec des tournures très recherchées. Quant au vocable, celui-ci est tout simplement délicieux. A part bien sûr le jardinier qui est plus rustre…cela prêtant à sourire. Sur les passages plus philosophiques, je concède à DAF d’avoir pondu un style clair et direct, quelques chose qui se laisse lire malgré le peu de paragraphes proposé.

En conclusion, pour 120 pages à peine il serait gravement dommage de laisser cet édifiant ouvrage de côté. En outre, c’est presque un recueil que Le Tigre serait capable de relire de temps à autre. Très bon signe.

Ce que Le Tigre a retenu

Autant commencer par la trivialité la plus basse, à savoir l’effet que cela fait de lire la prose de Sade lorsqu’il décrit la chose. Et bah j’avais été agréablement ému, disons que je ne m’attendais pas à ce genre d’effets de la part d’un écrivain aussi éloigné dans le temps. Les dialogues ont une configuration « proposition philosophique/exemples », du genre : la sodomie est-elle un ignoble vice ? Que nenni ! Allez tourne-toi que mon vif enseigne tes entrailles. Mais en plus classe. Donc, si vous ressentez quelque chose dans le bas ventre, point de soucis, Le Tigre a vécu la même chose.

Ensuite (et enfin), la partie politique. C’est là que le bât blesse, ma mémoire étant d’une sélectivité honteuse. Si j’ai encore en tête les séances de luxure, les démonstrations plus intellectuelles ne sont que lointains souvenirs. A peine si je me remémore les quelques piques contre la religion ou le bon roi. Les références à la Nature, toutefois, sont suffisamment nombreuses pour en rendre compte : tout ce qui passe par la tête de nos héros n’est, selon Sade, qu’expression de ce qui fait l’Homme, aussi s’en priver est une insulte à la nature humaine (et universelle il me semble). Libertaire jusqu’au bout des ongles le père DAF.

…à rapprocher de :

– Dans l’érotisme le plus débridé, Le Tigre n’ose faire la référence à Djian et son très moyen Vers chez les blancs.

– En BD, je vous laisse cliquer sur le lien érotisme qui est plus qu’approprié. Et de trouver votre bonheur.

Enfin, si votre librairie est fermée ou ne veut pas vendre un tel truc érotico-classique, vous pouvez le trouver sur Amazon ici.

Neil Gaiman - American GodsVO : idem. Classique de Gaiman (pas vraiment un chef-d’œuvre comme tend à nous le vendre la couverture) qui reprend, à son compte, le rêve américain en dressant un tableau sombre et poétique du pays. Des dieux s’affrontent pour avoir la mainmise sur le territoire, au milieu de tout ça un pauvre mortel qui n’a rien demandé à personne. Pas mal.

Il était une fois…

Ombre est un Amerloque tout ce qu’il y a de moyen, le décès de son épouse en plus. Le bordel commence lorsque dans le vol qui l’emmène à l’enterrement il rencontre Voyageur, personnage mystérieux qui lui demande d’être son garde du corps. Est-ce un ancien dieu plus ou moins déchu, un doux dingue ou un fabuleux arnaqueur ? Qu’est-ce qu’être son garde du corps ? Poussé par la curiosité notre héros accepte, et va vite être au centre d’une guerre qui fait rage entre héros mythologiques de l’ancien monde (provenant d’Europe) et nouvelles idoles de l’Amérique (internet, les transports modernes, le consumérisme, etc.).

Critique d’American Gods

Ce fut, après Neverwhere qui ne m’avait pas plus enchanté que cela, une des premières découvertes de Neil Gaiman. Ouvrage assez long (près de 600 pages) et peu aéré, le lecteur devra s’accrocher surtout en milieu de parcours.

En effet, si le scénario est relativement réussi, avec aux États-Unis les dieux de l’ancien temps et les nouveaux (cinéma, internet,…) qui se tapent correctement sur la gueule, Le Tigre avait quelque peu baillé vers la 350ème page où le tout semblait avancer à un rythme de sénateur. Heureusement que la fin offre un petit retournement relativement imprévu, avec un protagoniste (j’évite de spoiler autant que faire se peu) qui tirait toutes les ficelles depuis le début et à dont la tuerie entre dieux l’arrange bien.

Comme toujours chez Gaiman, un pauvre gus sans pouvoirs (quoique…) est embrigadé dans ce bordel, offrant un témoignage abordable et assez marrant à certains moments. Car certaines divinités (Odin comme escroc, Saba une vulgaire pute) ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes et leur vocabulaire (souvent ordurier) s’en ressent largement. On en profite également pour revisiter la théologie mondiale avec des individus (le Baron Samedi par exemple) qui donnent envie d’en savoir plus sur certaines croyances.

Pour conclure, un bon classique de l’écrivain, récompensé de nombreuses fois. A juste titre certes, mais si vous ne connaissez pas Gaiman, préférez De bons présages (coécrit avec Pratchett) ou Anansi Boys, qui possèdent une charge humoristique plus élevée.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Les dieux et comment ils vivent. Comme dans les Sandman du même auteur, le principe est qu’un immortel a un « potentiel déité » proportionnel au nombre d’humains qui le vénèrent. Alors quand par exemple Anubis ou La Reine de Saba n’engrangent plus beaucoup d’initiés qui les invoquent dans leurs prières, ils doivent presque mettre en œuvre leurs propres scènes de louanges : le père Anubis est un misérable croque-mort continuant ses rites de passage ; Saba une prostituée de luxe demandant à ses clients de l’adorer avant de les « avaler » par le vagin. Bien pensé.

Les anciennes et nouvelles « religions ». Ce roman est aussi une modeste étude sociologique sur les occupations de l’Américain contemporain. Si les premiers colons ont débarqué avec leurs croyances (et leurs gros sabots, mettant à mal les dieux amérindiens) et divinités qui souvent les ont accompagnés, force est de reconnaître qu’à part quelques furieux évangélistes le temps passé par le citoyen U.S. s’est rapidement déporté vers des loisirs plus funs. Ainsi sont apparus les dieux de l’informatique, du cinéma ou de la consommation, personnages suffisants et parfois obèses qui croulent sous les offrandes d’un peuple plutôt excessif.

…à rapprocher de :

– Avec d’autres créatures encore plus sombres, dans un Londres onirique, il y a le très connu Neverwhere. Sinon, Anansi boys ou De bons présages se défendent plus qu’honorablement.

– Le Tigre évoquait les Sandman, notamment Brief lives ou Domaine du rêve. Des BDs, attention.

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Serge Lehman - Le Haut-LieuSous-titre : et autres espaces inhabitables. Première expérience avec Serge, quoi de mieux que se faire un très court roman et cinq nouvelles (rapidement décrits en infra). Et j’ai été relativement transporté, même si parfois j’ai été largué comme un félinculte. Complexe et touchant à différents niveaux de réalité, voilà de quoi se creuser le ciboulot.

Il était une fois…

Le Haut-Lieu : une jeune femme travaillant dans une agence immobilière fait visiter à un bel et mystérieux homme un appart’ d’un chic écrasant au centre de Paris. Or le lieu leur joue des tours, faisant disparaître les portes et pièces les unes après les autres.

Le gouffre aux chimères : de temps à autre, un étrange évènement s’abat en France. Une division dépendant du ministère de l’intérieur est sur le coup, et c’est lors d’une de ses missions que l’on découvrira un phénomène tendant à prouver l’existence de Dieu.

La chasse aux ombres molles : une entreprise de taille impressionnante emploie, dans le respect de la loi, des hommes chargés de surveiller et espionner les salariés de la boîte pour recueillir le sentiment général des troupes. Un de ces hommes est convoqué par le grand boss, et devra s’expliquer.

Superscience : bienvenue à Métropolis, ville construite après qu’Hitler a réussi à conquérir l’Europe. Un décès dans les bureaux de l’institution chargée de réfléchir à l’avenir de la ville provoque un certain émoi, entre luttes de faction et substance inquiétante qui fait apparaître un individu qui ne l’est pas moins.

Origami : notre héros, Vincent, est fraîchement admis dans une organisation et passe quelques jours dans la « Maison » pour apprendre la philosophie de son engagement. Travaux manuels, révélations distillées au compte-goutte, son esprit est sur le point d’être modifié.

La régulation de Richard Mars : Richard était un être banal jusqu’à ce que les « Grands » daignent posent leur regard sur lui et en font une sorte de dieu de l’intrigante hypersphère. Couchant ses pensées sur papier au travers d’un rat savant, nous allons comprendre son rôle d’observateur d’un système lointain peuplé par des rats.

Critique du Haut-Lieu et autres espaces inhabitables

Tant qu’à aller droit au but, les textes préférés du Tigre sont le deuxième, troisième (extrêmement court) et dernier. Le premier texte tente d’être flippant, mais à part le fin mot de l’histoire c’est un peu plan-plan. Quant à Superscience, il y a de belles idées (sur l’urbanisme et l’antagonisme art/fonctionnalité), toutefois je ne suis pas parvenu à pleinement entrer dans l’univers de l’écrivain.

Or il appert que Serge L. est excellent dans sa prose lorsqu’il fait court, comme si un cahier des charges avec un nombre de pages amoindri l’incitait à aller droit au but et se concentrer sur le meilleur : le suspense bien dosé, l’action qui arrive au bon moment en créant plus de questions que de réponses, pour laisser le lecteur comme groggy. Sur six nouvelles, chacun pourra au moins trouver une fois son bonheur.

Le style est mitigé, entre passages qui propulseront l’imagination du lecteur dans la stratosphère et paragraphes qui parfois n’apportent strictement rien. Lehman a ses lubies et n’hésite pas à broder autour, en allant très, très loin. Quoi qu’il en soit, une expérience à découvrir au moins une fois.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La préface de Xavier Mauméjean, qu’il convient de lire après avoir découvert les textes, offre une analyse d’une profondeur certaine (références à Freud ou Nietzsche, imaginez un peu) dont j’aurais honte de m’inspirer. C’est donc parti pour des thèmes qui s’en éloignent dans les grandes largeurs :

Primo, il y a l’évolution d’une civilisation (Le Tigre pense aux rats de la dernière nouvelle avec le rat Ssander) et les nouvelles problématiques que cela peut poser. Dans certains textes, on assiste à la rencontre entre une espèce et quelque chose de plus grand qu’elle, un truc tellement énorme qu’à l’échelle de cette espèce le degré de compréhension est forcément limité. Le gouvernement français qui entre dans une baraque où un homme, en disparaissant (intervention divine ?), a transformé son habitat en une construction de livres, voilà qui forcément interpelle Le Tigre.

Secundo, Lehman nous interpelle sur la notion de la réalité. Moins torturé (et heureusement plus abordable) qu’un K. Dick, l’auteur nous amène souvent à repenser le monde tel qu’on le voit, et tel qu’on pourrait nous le faire observer. Que ce soit l’homme capable de transformer un appartement, ou une organisation souhaitant faire accepter une nouvelle astronomie à l’Humanité, il y a la puissance, phénoménale, de l’esprit qui peut avoir une influence sur la matière. Tel Richard Mars, la déification comme la réification ne sont jamais loin.

…à rapprocher de :

– De Lehman, Le Tigre n’a pas lu grand chose hélas.

– De la bonne SF made in France, c’est aussi Serge Brussolo et sa Frontière barbare. o, voire le dispensable recueil Trajets et itinéraires de la mémoire. Autre recueil avec Mélanie Fazi et son Serpentine.

– La croyance, la confiance,…la nouvelle première a quelques points communs avec Substance Mort de K. Dick, avec une touche de flip’ à la King.

– Il y a surtout quelques belles similitudes avec ce qu’a écrit l’auteur américain de SF au début des années 50 (je ne parle pas de Stephen King, mais de Dick), notamment le recueil de nouvelles Le dernier des maîtres.

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Joël Egloff - L'homme que l'on prenait pour un autreTitre vis-à-vis duquel Le Tigre avait fondé un espoir tout relatif, voilà que j’ai été correctement déçu. Ni vraiment désagréable, mais ni petite étincelle qu’on pourrait légitimement attendre à partir de l’excellente idée qu’a eu Joël Egloff. Un homme banal qu’on confond avec n’importe qui, un peu comme ce roman hélas.

Il était une fois…

« Avec un visage très commun, on court toujours le risque d’être confondu avec quelqu’un d’autre. En général, la méprise apparaît rapidement et chacun s’excuse, penaud, de son erreur. Mais ce n’est pas le cas de cet homme qui finit par se laisser aller, résigné, à être ceux pour qui on le prend. Il est cependant très compliqué, voire épuisant, de vivre plusieurs existences à la fois… surtout quand ce ne sont pas les siennes ! »

En effet, cette prose si aguicheuse ne peut en aucun cas être celle du Tigre. Celle de l’éditeur et son quatrième de couverture, ici copié-collé, à coup sûr.

Critique de L’homme que l’on prenait pour un autre

Le Tigre ne va pas longuement s’épancher sur L’homme que l’on prenait pour un autre qui me m’aura laissé que trop peu de souvenirs. Le genre de trucs qu’on lit très vite et qui n’aide pas à dorer le blason d’une maison d’édition que je ne connaissais point.

L’histoire était pourtant séduisante, en suivant un héros tout ce qu’il y a de plus commun. Tellement normal et neutre qu’on le prend, dans la rue, qui pour un parent éloigné, qui pour un ancien camarade, donnant ainsi lieu à des situations que l’on nommerait complaisamment « cocasses ». Seulement, les moments prêtant à sourire se sont longuement fait attendre, disons qu’en matière d’humour noir Le Tigre a vu mieux depuis longtemps…

Au final, cette courte œuvre (200 pages toutes mouillées, car les espaces sont larges et les chapitres nombreux) m’a fait penser à un énième titre franco-français, à l’image d’un Nicolas Fargues mais en plus ennuyeux. Quant à la fin…en fait ce n’en est pas une, à un relatif ennui s’ajoute une intense frustration. On n’en avait nul besoin.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’homme quelconque. Le protagoniste principal est d’une affligeante banalité, une sorte de figure-miroir sans caractère propre à la neutralité certaine. Du coup, beaucoup d’individus y voient le reflet de leurs propres « désirs » et croient rencontrer une vague connaissance. Au-delà de la poésie de quelques passages, Le Tigre a cru y voir l’absence de charisme d’un héros qui se laisse entraîner dans des histoires plus improbables les unes que les autres.

Ces histoires font la part belle au comique de situation, même si me suis rarement tapé les cuisses entre deux chapitres. De la part d’un écrivain qui sait être scénariste (metteur en scène également ? Je m’interroge), il faut avouer que le jeu peut être de temps à autre savoureux : comment réagir face à une telle configuration, et jusqu’où est-il possible d’aller ? Le lecteur pourra presque, tel un spectateur face à de nombreuses scénettes tragicomiques, zapper d’une rencontre à l’autre.

…à rapprocher de :

– Rien à voir question littérature…si ce n’est le titre d’un essai d’Olivier Sacks qui mérite d’être découvert : L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau.

– A l’inverse, il existe des hommes indélicats qui prennent votre place. C’est le sujet de Je tue il…, de Daeninckx.

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Peter F. Hamilton - A Second Chance at EdenSous-titre : et autres nouvelles. Dans le cadre de la saga de L’Aube de la nuit, Hamilton nous agrémente d’une demi douzaine de nouvelles pour mieux comprendre l’univers de ce cycle si majestueux. Lu en anglais, hélas les souvenirs du Tigre sont périssables, à part l’excellente nouvelle dont le titre est issu.

Il était une fois…

A Second Chance at Eden, ce sont six nouvelles, dans l’ordre chronologique, qui se déroulent dans l’univers d’un des plus gros cycles (4.000 pages environ) de SF produit. Pour des raisons expliquées peu après, Le Tigre ne résumera que la nouvelle du titre éponyme.

Un détective est appelé à mener une enquête sur Eden, un habitat mi-organique mi-technologique qui est en orbite autour de Jupiter. L’endroit a quelques velléités d’indépendance par rapport à la Terre, certains éléments le souhaitent en tout cas. Notre héros doit déterminer qui a foutu le bordel dans une sorte de robot qui a tué Penny, une des fondatrices d’Eden, et surtout pourquoi ce meurtre.

Critique d’A Second Chance at Eden

Le Tigre s’est tapé ce recueil de textes à la suite du gross pavé de L’Aube de la nuit, et ce pour en savoir un peu plus sur le fabuleux environnement imaginé par Hamilton. Comprendre les premiers pas des « édénistes », civilisation qui utilise le très bien pensé « lien d’affinité » avec ses vaisseaux et habitats, m’importait alors énormément. En outre, l’auteur étend ses histoires sur plus d’un siècle, et l’évolution des factions promettait d’être plus qu’intéressante.

Hélas je ne me souviens vraiment que de la principale nouvelle (qui occupe une place prépondérante sur les 500 pages de l’ouvrage), le reste s’est inexorablement perdu dans les méandres de mon cerveau limité. Pour expliquer cela, il faut dire que je commençais d’en avoir ma claque de ce cycle, après un mois l’envie de passer à autre chose est légitime. En sus, passer du français à l’anglais ne s’est pas fait sans heurts, l’impression de lire bien moins vite et se faire au vocabulaire (même si la traduction FR est correcte) sont parfois rédhibitoires.

Toutefois, sur le texte qui se passe sur Eden est à lire sans faute. Le néophyte comme le fan de ce cycle de Peter seront ravis (cf. infra). Pouvoir zapper d’un texte à l’autre lorsque ça ne plaît guère est enfin salutaire.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le réalisme économique et technologique de l’auteur anglo-saxon. Ce qui est bon avec Hamilton, c’est que l’aspect financier est plus que crédible. Dans A Second Chance at Eden, la question sous-jacente est le moyen de pouvoir s’affranchir de la logistique terrienne et faire en sorte que les habitants de la zone spatiale peuvent prendre en main leur destinée. La fin de cette nouvelle offre une solution étonnante mais logique, quelque chose d’élégant qui en plus met fin à l’enquête de notre héros (avec un zeste de romance, le tout passe très bien).

Les luttes idéologiques. Le Tigre se souvient quand même du thème de la séparation progressive entre les « édénistes », qui poussent la technologie et l’interface homme-machine très loin et le reste de l’Humanité. Notamment le transhumanisme de cette faction, où l’esprit humain est renforcé et semble être moins sujet à la piété en général. Forcément ça déplaît passablement aux organisations religieuses, et avec Hamilton tout prend des tournures dantesques, allant jusqu’au schisme qu’on retrouve entre édénistes et adamistes.

…à rapprocher de :

– Il n’est nul besoin de s’attaquer à l’énorme cycle L’Aube de la nuit. Ces nouvelles pourraient même donner envie de l’acquérir.

– Sur le réalisme économique des premières colonies spatiales, il y a Dragon déchu du même auteur. En plus sombre.

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Murakami Ryū - Raffles HotelVO : Raffuruzu Hoteru. Acheté presque au pifomètre (cf. infra), Le Tigre a été bien déçu sur ce coup ci. Malgré les indéniables qualités de rédaction de l’écrivain, je n’ai su terminer ce roman (il restait à peine 50 pages). Histoire de trois personnes qui se télescopent dans le très connu hôtel singapourien, des passages à peine compréhensibles ont eu raison de ma patience.

Il était une fois…

Raffles Hotel conte les pérégrinations de trois individus : Toshimichi, ancien photographe de guerre nippon traumatisé par son expérience au Vietnam, se fait contacter par Moeko, star toute en excentricité au comportement décalé. Cette dernière le cherchera à Singapour, aidée par son guide touristique (Takeo) sur place. Les protagonistes, entre rencontres et réflexions personnelles, vont dresser le portrait d’une génération qui m’avait semblé légèrement paumée sur les bords.

Critique de Raffles Hotel

Pourquoi acquérir un ouvrage dont je supputais que celui-ci ne serait guère fini ? Toute une histoire… D’une part, j’avais à l’époque confondu Ryu avec Haruki. Fatalitas ! Les deux auteurs japonais ont des styles différents, et celui de Ryu peut sembler bien âpre à côté de celui de son concitoyen. D’autre part, le Raffles, c’est un endroit de qualité où j’aimais (lorsque mes finances le permettaient) prendre un verre de temps à autre lors de mon long séjour à Singapour. Double raison de lire l’ouvrage alors.

Cependant Le Tigre a vite défeulé. L’historie Histoire porte sur quelques personnes (dont une très bizarre) qui se côtoient dans une sorte de comédie humaine douçâtre. Chaque chapitre alterne entre les points de vue des protagonistes, exercice intéressant (cf. premier thème) mais qui m’a paru ici d’un ennui insupportable. Pourtant, ces 200 pages auraient pu se lire facilement, hélas ce n’est sans compter l’héroïne (car finalement tout tourne autour d’elle) Moeko (Honman de son petit nom) qui salope le style de Murakami.

Personne profondément dérangée et à la limite de la folie, la jolie femme a une façon de penser plutôt déroutante. Alors certes l’écrivain a parfaitement rendu les digressions et délires égotiques d’une diva perchée dans son univers de paillettes, mais à la longue ça épuise le cerveau à force de suivre les méandres illogiques de ses pensées. Certains aimeront, Le Tigre n’a pas été assez patient pour supporter cela très longtemps.

Pour conclure, vous pourrez passer à côté de ce titre. Première expérience du Tigre, qui comme vous le savez est une race de lecteur particulier : j’ai acquis d’autres titres de cet écrivain pour savoir ce qu’il en retourne (cf. dernière partie), et suis tombé sur de très sympathiques pépites.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La multinarration. Les chapitres, assez denses (les sauts de pages y sont rares), suivent un cheminement chronologique bienvenu. A l’instar d’un William Faulkner (me souviens plus précisément de son ouvrage), nous restons sur la même scénario mais conté par un narrateur différent. Le style est alors changeant, à ce titre remercions l’auteur de s’être cantonné à trois personnages, et pas plus. Moyen adéquat pour mieux saisir les comportements de chacun, en outre le lecteur aura un niveau d’omniscience suffisamment satisfaisant pour appréhender les problématiques de chacun (et surtout comment certains se prennent la tête pour rien).

L’imaginaire contre la réalité. Il appert que nos trois héros ne semblent pas très en phase avec le monde environnant : un reste profondément choqué de son expérience au Viet-Nam ; l’autre développe et entretient un complexe d’infériorité eu égard son milieu modeste d’origine (et ne se focalise que là-dessus) ; quant à l’actrice, elle tient une sévère couche avec son comportement « lunaire » (pas lunatique, hein). Elle ne tient que rarement compte des problèmes des autres, empêtrée dans ses pensées papillonnantes. Aussi n’est-elle pas sans rappeler d’autres romans de Murakami Ryū où les héros déblatèrent à tout va sans vraiment écouter leurs prochains (notamment la bande de garçons dans les Chansons populaires de l’ère Showa).

…à rapprocher de :

– Un film aurait été tiré de ce roman. Jamais vu toutefois.

– De Murakami Ryū, il y a le fort troublant Bleu presque transparent ou le désopilant Chansons populaires de l’ère Showa.

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Thierry Jonquet - MolochL’image de couverture dérange, le roman aussi. Subversif certes, mais aussi génial de la part d’un auteur français qui n’hésite pas à repousser les limites de l’horreur. L’enfance victime à des niveaux terrifiants, un titre où le lecteur se laissera porté et en ressortira le cœur lourd. Un de mes préférés de Jonquet.

Il était une fois…

Un scène de crime, la juge d’instruction Nadia et les flics sont sur place. Et là, vision d’horreur : des enfants brûlés de partout, aux rictus terrifiants dans une vieille baraque en ruine. Qui les y a cramés, pourquoi une telle infamie ? Trafiques d’enfants ? Non, non. Quelque chose de plus horrible, qui va creuser dans les sillons les plus profonds (et donc noirs) de l’âme humaine.

Critique de Moloch

Le Tigre a lu ce roman il y fort longtemps. Mais si l’intrigue précise (et la fin) n’est qu’un lointain souvenir, l’impression générale demeure. Celle d’une presque claque de glauquerie qui m’avait, à l’époque, laissé relativement sonné.

Moloch, c’est aussi une déité à qui on sacrifie des gamins. Nos flics vont dérouler le fil de trafics, de de fous furieux plus ou moins esseulés qui ont pour point commun de s’attaquer à l’innocente jeunesse. Comme souvent de la part de cet écrivain, l’ensemble des scénarios (nombreux) se rejoint sur les derniers chapitres, offrant au lecteur de quoi refermer le livre avec une certaine impression de malaise.

Alors, que dire de vilain sur ce titre ? Le Tigre estime que le revers de la médaille de cet ouvrage, complet et aux multiples ramifications, est justement qu’il y en a trop. Jonquet conte énormément de choses, que ce soit les descriptions du quotidien d’un service de police ou d’hôpital à certaines personnes rescapées de camps nazis. Outre ce dernier thème qu’on rencontre dans Les Orpailleurs, il appert que Thierry aurait pu pondre au moins deux romans à partir des idées présentes dans Moloch.

Le style est ainsi d’une densité à toute épreuve (malgré des chapitres pas vraiment longs), où on explore par le menu les différents protagonistes. Effets de style limités, seulement les actes de nos protagonistes agrémentés d’explorations sociétales plutôt instructives. Presque un classique.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Ce titre est une jolie opportunité pour l’écrivaillon de dresser une juste (quoique parfois caricaturale, Le Tigre pense aux flics) critique sociétale de l’Hexagone. Les problématiques d’un hosto débordé, les liens entre la justice et la police, mais surtout ce qui peut se passer dans la tête de certains de nos pires concitoyens. La vraie misère en somme. L’immersion aurait pu être parfaite si on ne vadrouillait pas autant d’un protagoniste à l’autre.

La maltraitance des enfants. Thème central à mon humble avis, et là j’ose espérer que la fiction ne rejoint pas la réalité. Car entre les meurtres sauvages d’enfants et l’esclavagisme de ces pauvres petites choses, en passant par la pédopornographie la plus ignoble (la plupart des victimes étant incapables de comprendre ce qu’il leur arrive), il y a de quoi avoir les prémolaires qui baignent. Jonquet ne nous épargne quasiment rien, aussi ce livre ne doit pas être offert à n’importe qui. Pour l’amateur de polar très noir.

A ce titre, Le Tigre se remémore le fameux « syndrome de Münchhausen » raconté dans le bouquin. Le principe y est simple : une femme aime être au centre de l’attention des médecins, avoir des maladies dont personne ne trouve le remède. Pour cela, simulations et autodestruction sont de mise. Plus pervers, le syndrome « reporté » consiste à impliquer son gosse et à lui faire subir toutes sortes de choses pour prendre plaisir à voir les docteurs se pencher, avec impuissance, sur son cas. Maltraitance étonnante et, à mon sens, davantage écœurante.

…à rapprocher de :

– De Jonquet, Le Tigre a particulièrement aimé Mygale, Mon vieux ou Mémoire en cage. Les Orpailleurs mérite une mention particulière dans la mesure où certains des personnages présents reviennent dans Moloch.

– Sur la maltraitance des enfants, il y a le très très troublant La maison muette, de John Burnside.

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Canales & Guarnido – Blacksad : L'Enfer, le silenceQuatrième opus du très félin détective, bienvenue à la Nouvelle Orléans peuplée de musiciens maudits. Intrigue supplémentaire délicieuse dans une histoire assez touchante, sans doute le Blacksad le plus abouti qui ait été publié. Drogues, médicalisation foireuse, le tout servi par des illustrations qui feront travailler l’imagination.

Il était une fois…

John Blacksad est dans le sud des States, dans l’onirique ville de la New Orleans. Engagé par le boss mourant d’une maison de disques de blues, le héros doit retrouver Sebastian « Little Hand » (parce qu’une de ses mains est minuscule) Fletcher (rapport avec les Depeche Mode ?), un musicien émérite qui n’est pas sans rappeler Ray Charles (pas aveugle mais addict à l’héroïne). Or si ce pianiste (et compositeur) de génie s’est lancé la tête la première dans les paradis, c’est qu’il cache un terrible secret.

Critique de Blacksad : L’Enfer, le silence

Canales (auteur certes espagnol, mais publication originale en français) a de la suite dans les idées, et à parler de mythes américains il faut avouer qu’il a (une fois n’étant pas coutume) fait mouche. Aborder ainsi la Louisiane, entre musiciens héroïnomanes, maisons de disques de blues, vaudou et charlatanisme médical, il ne fallait pas faire dans le n’importe quoi (comme Âme rouge dans une certaine mesure).

L’histoire est infiniment triste, puisque Blacksad tente de trouver un musicien qui se cache pour d’excellentes raisons. Le pauvre chien est un poil instable sur les bords (c’est loin d’être le seul, d’ailleurs un a œuvré lors de la WWII) et néglige (je reste gentil) sa femme enceinte jusqu’aux yeux. Quant au commanditaire du héros, Mister Lachapelle (et son fiston), on sent l’individu sur le fil du rasoir qui jette ses dernières forces dans une quête qu’il ne semble plus maîtriser.

Sur les dessins, Le Tigre a cru noter quelques améliorations (ou inititiatives) fort louables : déjà, l’association animal/caractère marche tout aussi bien, notamment « Little hand » en chien attachant un peu torturé. Mais surtout le sieur Guarnido nous agrémente de planches saisissantes sur la ville, par exemple les défilés qui sont de toute beauté. Ou l’ambiance ésotérique d’une guenon qui soigne un des protagonistes. Une planche, enfin, est un tableau pleinement réussi, sorte de cauchemar animalier halluciné qui ne pourra laisser le lecteur indifférent.

Un titre dont on ne peut se passer, et qui fera le bonheur de tous. Dernier point : l’illustration qui fait office de couverture ne rend que très peu compte du titre, à part un éventuel clin d’oeil au désastre de Katrina ou au mystérieux sauveur de Blacksad sur le milieu du scénario. Heureusement, le titre reste finement trouvé, la référence à Sartre adaptée pour le monde musical où le silence (au lieu des autres) de la solitude peut rendre une existence infernale.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le jazz et les drogues. Dures de préférence. Fletcher, ainsi que quelques uns de ses anciens camarades musicaux, est un pro de la piquouse dans le bras. L’auteur rendu le personnage assez typique d’un drogué : sujet à des absences (il lui arrive de bugger plus d’une fois), peu fiable pour se produire correctement sur scène, caractériel et extrêmement mince. Quel gâchis pour un si talentueux artiste. Pourquoi une telle autodestruction ?

[Thème SPOIL attention] Il apparaît que nos protagonistes ont un lourd passé qu’ils partagent. De manière surprenante, le thème des maladies inoculées par des charlatans qui disent soigner toute sorte d’afflictions fait une entrée tardive dans le roman. Lachapelle, en effet, était un de ces anciens escrocs qui, par son produit, a fait de tout un village une « foire aux monstres ». Choquant, en sus certains de ces habitants sont des musiciens de son label. La question de la haine et la possibilité de la vengeance prennent une signification alors particulière. [Fin SPOIL]

…à rapprocher de :

– Commencer par le premier tome paraît bienvenu pour savoir de qui on parle (Quelque part entre les ombres), le second est plus que correct (Artic-Nation), et le troisième se défend même si l’ai moins aimé (Âme rouge). Le cinquième, une déception (Amarillo).

– Sur l’utilisation des drogues dures par les artistes, il y a l’édifiant essai de Shapiro intitulé Waiting for the man, aux éditions Camion Blanc.

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Thierry Jonquet - MygaleS’il ne fallait en lire qu’un de Jonquet, il n’est pas impossible que ce soit Mygale. Roman certes court, mais quelle densité, quelle claque d’horreur et de barbarie ! Une terrible aventure racontée par trois protagonistes, trois histoires indépendantes qui finalement se rejoignent dans la pire des perversités, un vrai plaisir.

Il était une fois…

Dans une chouette maison au sein d’une très bourgeoise ville des Yvelines vit un curieux couple. Richard, médecin réputé, et sa femme Eve. Cette dernière semble assez mystérieuse, et derrière les apparences d’un couple normal quelques questions se posent : pourquoi le médecin drogue-t-il régulièrement sa femme ? Pourquoi l’enfermer quand il n’est pas à la maison ? Pourquoi la frapper lorsqu’elle joue un morceau particulier au piano ? Quelles sont les raisons aux abjects agissements du docteur qui trouve chaque jour un moyen de l’humilier un peu plus ?

Critique de Mygale

Barbarie, perversité, horreur, cauchemar, vous avez remarqué que les mots qui viennent à la gueule du Tigre font dans l’excès. Seulement il faut concéder que le père Jonquet a fait fort avec ce roman qui a fait grand bruit lors de sa parution en 1984 (année de naissance du Tigre j’ai bien peur).

Le scénario est infiniment sombre et fait la part belle au mystère, avec une révélation finale (qu’à l’époque je n’avais su prédire qu’au dernier moment presque) qui en choquera plus d’un. Un peu comme un Fight club de Palahniuk, c’est le genre de roman qu’on prend à malin plaisir à relire lorsque connaissant le fin mot de l’histoire. Pour ma part, je fus assez secoué par cette œuvre qui ne devrait pas être mise dans les mains d’un mineur de 15 ans.

En outre, l’auteur a su enrober la présentation des protagonistes et les péripéties d’un voile noir et passablement dérangeant. Comment expliquer les sombres agissements du monsieur qui paraît bien sous tout rapport, comment en arriver à un tel degré d’abjection et de dégradation d’un point de vue éthique ? Thierry J. est allé creuser dans les plus sombres replis de l’âme humaine, tout en donnant des raisons plutôt convaincantes aux actes des protagonistes.

Sur le style, pour une fois l’écrivain ne s’est point épanché à dresser un tableau social ou à se perdre dans de belles descriptions. Du brut, des faits, les chapitres courts, trois types narratifs (dont un à la deuxième personne du singulier, ce qui n’est pas sans être intéressant) pour quelque chose qui n’est pas loin de ressembler à une nouvelle. 150 pages en effet, ça se lit aussi vite qu’un train fou sans conducteur qui, à l’issue des dernières pages, se révèle être piloté par un maître du glauque.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Prendre à bras le corps quelques thèmes concernant ce roman est un appel à peine déguisé au spoil. Aussi Le Tigre vous prévient que le second (donc dernier) en est un de belle facture. Sinon, je me félicite, encore un fois, de posséder l’édition poche « classique », et non la dégueulasserie qui a été publiée après qu’un célèbre cinéaste espagouin a décidé d’en faire un film. Banderas en couverture du roman, voilà à quoi le lecteur acheteur aura le droit désormais. Honteux, n’est-ce pas ? J’en parle dans un autre billet, si cela vous intéresse.

Ce roman fait appel à beaucoup de ficelles de la psyché humaine, à ce titre la vengeance longue (pour ne pas dire continue) me semble centrale. La vie d’Eve (la première femme, nom particulièrement bien choisi) n’est qu’expiation d’une terrible faute commise il y a longtemps. Cela commence par un profond changement de son corps qui sera ensuite traité tel un objet. Parallèlement, l’homme déploie des trésors de monstruosités psychologiques (et physiologiques, comme la drogue) pour avoir Eve sous sa coupe. Presque naturellement, cette dernière développera un syndrome de Stockholm avec comme point d’orgue les dernières pages du récit. Quant au morceau de musique tant honni, c’est tout simplement la BO d’un drame vécu par un des protagonistes.

…à rapprocher de :

– Ce qui m’a poussé à (enfin) résumer ce titre, c’est le film d’Almodovar qui reprend cette histoire. La piel que habito m’a semblé un poil plus complexe, ou alors mes souvenirs ne sont plus ce qu’ils étaient.

– De Jonquet, Le Tigre s’est bien amusé avec Mon vieux, Les Orpailleurs, Mémoire en cage ou Moloch.

– Dans le même registre, le rire et le road movie en plus, il y a l’inquiétant Monstres invisibles de Chuck P. Passage obligé. Et oui.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman via Amazon ici (la couverture est immonde au passage).

Les Sutras du TigreSutra basique sur un sujet digne de figurer à la page 110 du numéro de Marie-Claire de juillet, Le Tigre s’apprête à traiter le sujet comme un parfait lycéen. Pas de gagnant donc entre ces deux objets littéraires, seulement le plaisir de pondre une rédaction en trois parties. [Et rappeler quelques bases pour toute dissertation du bac ou de concours].

Exemple d’introduction

[L’introduction, c’est le premier rendez-vous entre votre prose et l’examinateur. Celle-ci doit se travailler tout au long de la dissertation, et il est recommandé de l’écrire une fois que l’intégralité de votre plan est arrêté. Ensuite, il convient de montrer au prof que vous avez globalement compris de quoi il s’agit et posez quelques frontières pour ne pas faire péter de très fâcheux hors sujets. Enfin, et surtout, donnez l’impression que vous kiffez réellement son sujet dont la pertinence et l’intitulé vous ont transporté à des niveaux transcendantaux inconnus du gros Bouddha en personne]

De l’invention de l’écriture à la liseuse numérique, en passant par Lord Von Gutenberg, la lecture a occupé une place prépondérante chez tout être alpha-bête. Grosses encyclopédies en reliures à base de peau de porcs ou petits bréviaires de charlatan dentiste, l’accès à la littérature s’est heureusement (avec quelques bémols mussoens) démocratisé dès le milieu du siècle dernier, en particulier grâce au format de poche. Le grand format n’a pas disparu pour autant, ainsi quels sont les attributs de ces deux objets ? [Transcendance faible j’en conviens]

[Note sur le découpage qui suit. Sauf exception (Sciences-Prout, dissertation juridique et autre calamités formalistes à tendance automasturbatoire), faire trois parties est recommandé pour son équilibre. Comme vous le verrez, Le Tigre n’a pas trouvé d’approche originale, aussi s’est-il piteusement (mais sûrement) rabattu vers la sainte trilogie de la PES : politique, éco, social (ou culturel, sociétal,…). Le plan chronologique serait ici hors de propos. Cela permet d’aborder tous les sujets, et éviter la troisième partie dite « bâtarde » où vous fourrez le pot-pourri de vos dernières pensées stressées]

Politique : on lit de gauche à droite

A l’instar de la configuration politique des grandes démocraties occidentales saupoudrées de triviales considérations saisonnières, chaque format a son penchant idéologique.

Le format de poche, c’est le livre de la gauche et des écolos, coalition rot/grün (rouge/vert) qui se marie à l’été. Pourquoi le parti démocrate ? Plus petit (small is bioutifoul), bouffant moins de papier qu’un prospectus Leclerc, accessible à tous et se lisant dans les transports en commun avec les masses laborieuses, le livre de poche est le chouchou du roadtripper un peu hippie. Aussi ce format est tout indiqué pour l’été. Peu de place restante dans ses valises ; échangisme littéraire avec des touristes de passage ; lecture sur la plage sans mettre en danger l’évolution de votre bronzage (imaginez la page blanche A4 sur votre torse avec un gros pavé),…bref le compagnon qui apportera une indéniable touche culturelle (pour ne pas dire bobo) à ces mois frivoles.

A l’inverse, le grand format est celui de l’élite bourgeoise réactionnaire et arriérée. Les individus du genre à sortir le gros pavé (au hasard, les dernières mémoires du rejeton du Général), le vermouth hors d’âge accompagné de son verre en cristal de chez Fabergé. La lecture hivernale en somme, affalé comme un pacha sur un fauteuil plus grand que le lit du français moyen au coin d’une cheminée qui pourrait contenir un éléphant empalé. Notre retraité pourra profiter du foyer de flammes pour y déverser progressivement les pages lues. Mais au prix du grand format, seuls les plus aisés peuvent jouer à Fahrenheit 451. [Notez bien la transition d’une insolente finesse vers la deuxième partie]

Économique : le prix par le volume

Il appert que la différence de prix entre les deux formats est un mignon triplé, il n’est pas rare de dépasser 25 eurodollars pour le dernier roman grande taille à la mode. Suivant ses finances, acheter toutes les nouveautés est un hobby à côté duquel le golf est une occupation de manants. En sus, à moins de ne pas garder ses ouvrages (les revendre à prix correct est difficile), le volume que prennent ces titres est gargantuesque. Qui dit place, dit mètres carrés, dit prix de l’immobilier, dit location d’une pièce supplémentaire dans un entrepôt glauque de la couronne parisienne.

En outre, la grande taille de l’ouvrage appelle une police d’écriture grossie, ce qui est parfait pour notre vieux réac’ à l’esprit étriqué [attention aux lieux communs] et surtout à la vue basse. Le monocle pourra être laissé sur la table attenante, entre quelques pilules bleues et la télécommande d’un écran plasma à peine plus large qu’une baie vitrée.

Si le paradigme politique est encore prégnant, c’est que le gros format fait montre d’un matérialisme certain : l’objet est sacralisé et exhibé, notamment les beaux livres (photographies, peintures, etc.). Tandis que le poche n’est qu’humain. Sali, corné sur les bords, annoté de partout, « post-ité » comme le frigo d’une famille nombreuse, le tout petit doit présenter des signes d’usures, et donc de vie. Tout n’est au final qu’une question d’apparence. [La fatigue augmentant, vos transitions sont aussi bienvenues qu’un appétissant jambonneau dans une synagogue]

Social : se la raconter ou non

Il apparaît que choisir un format ou un autre est un choix sociétal d’une importance capitale, c’est votre positionnement dans le monde contemporain qui se joue. Rien de moins.

Le lecteur poche, c’est un être libre qui dit à la cantonade : « je lis ce que je veux, quand je veux et où je veux. Le dernier Douglas Kennedy ? Je te donne mon avis dans 14 mois. Là, tu comprends, je me fais une petite cure de postmodernisme andin. » Individu éminemment compulsif et aussi à cheval sur les sorties littéraires que Le Tigre est un cheval, notre coco en chef veut se faire passer pour un éclectique tout-terrain des lettres.

Quant au lecteur occasionnel grand format, il désire avant tout se faire mousser en tant que « primolecteur », pour ne pas dire leader d’opinions livresques. Il achète les toutes dernières parutions et compte bien vous emmerder avec lors du prochain dîner chez la baronne. En outre, faire dédicacer ses livres reste une possibilité qui n’est pas sans l’émoustiller l’arrière-train. En effet, à part quelques auteurs compréhensifs, ne comptez pas faire signer (avec un mot doux) par l’écrivain quelques uns de ses livres de poche sans acquérir dans la foulée sa dernière daube.

Scolaire conclusion

[Citer un grand auteur est un plus dont il ne faut se priver, la cerise sur le champ de bataille où certains de vos neurones ont laissé la vie]. Comme dirait Didier Deschamps, livres de poche et romans grand format offrent une saisissante complémentarité tant sur le plan tactique que technique [Parfait. Maintenant que le correcteur est dans la poche, ne pas hésiter à montrer que vous savez prendre partie. Surtout si ça se ressent dans la dissertation]. En ce qui concerne le numéro du Sutra, il est bon de savoir qu’en 1936 la célèbre maison d’édition Penguin Books a grandement popularisé le format poche, préférence personnelle du Tigre.

[Terminez sur une légère ouverture : d’une part vous montrez que vos connexions synaptiques qui font les liens entre les cours du prof ne sont pas totalement grillées ; d’autre part il faut quasiment laisser l’impression que si vous aviez le temps, vous accoucheriez volontiers séance tenante d’une autre dissert’]. Dans le prochain Sutra, Le Tigre poussera une courtoise gueulante contre le grand format, dont l’utilisation en France me paraît d’une atterrante bêtise.

[Réalisé en une heure, dans les conditions d’un devoir sur table. Le café en plus. Enfin, patient lecteur, tu peux mettre une note dans les commentaires]

Canales & Guarnido - Blacksad : Âme rougeTroisième opus du taciturne détective, les premiers tourments de la guerre froide sont ici à l’honneur. Avec un superbe image de couverture qui résume bien ce qui attend le lecteur. Histoire plaisante mais abracadabrantesque, ce sera l’occasion pour Blacksad de se remémorer un peu de sa jeunesse en plus de courir le guilledou.

Il était une fois…

Las Vegas, années 50 (du moins pas le milieu des sixties). Blacksad est le garde du corps d’Hewitt, tortue décatie qui se fait plaisir dans ses salles de poker et de strip-tease. Le vieux monsieur (qui a une bouille très attachante au passage) a surtout besoin de compagnie, or notre chat s’ennuie ferme. Profitant d’une rencontre inopinée, il va se dégager de ce boulot et rencontre Otto Liebber, un de ses anciens professeurs et surtout grand physicien américain à l’origine de la Bombe H. Suivant le groupe qui gravite autour du scientifique, le détective sera plongé dans une intrigue politique et d’espionnage qui ne le laissera pas indemne.

Critique de Blacksad : Âme rouge

Juan Canales et Juanjo Guanido ont trouvé le bon filon et l’exploitent plus que correctement. Plus sombre, plus fin et plus dense qu’un Canardo (pour une productivité plus faible également), les auteurs semblent faire la razzia de certains thèmes porteurs et propres à l’empire américain d’après-guerre.

Le scénario m’a hélas paru un peu « fourre-tout », entre chasse aux « sorcières cocos » (artistes, écrivains, scientifiques) et affaires d’espionnage contre l’URSS (et les moyens utilisés pour transmettre l’information). Comme si les auteurs, en voulant aborder une liste de sujets en peu de tomes, chargent la mule qu’est Âme rouge. A noter la présence de la pépée plus ou moins fatale qui fait des coudes pour se retrouver au centre de l’intrigue, comme lors des épisodes précédents (femme du commissaire ou victime à l’origine d’une enquête).

Niveau dessin, vous pourrez vous reporter aux critiques d’autres titres de la série. Assez léché, quelques belle planches et une identité saisissante entre l’animal et le personnage représenté (le coq est superbe, ainsi que le chien au sourire colgate). Au final, cet opus reste une excellente référence de polar noir agrémenté de considérations plus « intellectuelles » assez plaisantes.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La chasse aux communistes d’après-guerre. On parle bien du maccarthysme, avec dans le rôle du sénateur un peu fou-fou un coq (qui répond forcément au nom de sénateur Gallo) qui mène la vie dure aux protagonistes. Surveillances des artistes gauchisants, établissement de listes d’infâmes, arrestations et intimidations, le cocktail habituel. [Attention SPOIL] Non seulement les craintes de notre anticommuniste primaire étaient fondées, mais le combat de Gallo est définitivement entaché (pour le lecteur, car dans l’univers de Blacksad cela reste secret) dans la mesure où le coq préparait, dans son petit coin, un programme pour protéger l’élite du pays (ses proches surtout) en cas de catastrophe nucléaire. [Fin SPOIL]

Ensuite, cette BD est une belle illustration de la science dans tous ces états. Notamment le père Liebber, contributeur de la plus belle machine à tuer en masse de tous les temps. Sans spoiler comme un malotru, l’histoire de cette chouette (c’est son avatar dans la BD) est à la fois touchante et terrible. Car notre scientifique commet gaffes sur gaffes en voulant rendre le monde meilleur. Cela passe de mauvais choix pendant un conflit mondial à ses actes personnels en vue d’éviter une guerre nucléaire.

Le lecteur remarquera enfin que Âme rouge est l’occasion pour Blacksad de rencontrer une jolie jeune femme avec laquelle les premiers échanges sont plutôt acerbes. L’érotisme très soft est bien rendu, une paire de seins sur un animal certes anthropomorphe produisant son petit effet. Hélas, mille fois hélas, le déroulement de l’enquête n’aidera pas à concrétiser proprement cette idylle naissante.

…à rapprocher de :

– Commencer par le premier tome paraît bienvenu pour savoir de qui on parle (Quelque part entre les ombres), le second est plus que correct (Artic-Nation), quant au quatrième, c’est tout simplement magnifique (L’Enfer, le silence). Le cinquième, une déception (Amarillo).

– Sur le maccarthysme, certains estiment que Fahrenheit 451, de Bradbury, l’évoque en filligranne . Certes écrit à cette période, mais Le Tigre n’a pas vu de rapport.

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Witold Gombrowicz - FerdydurkeVO : idem (le contraire aurait été étonnant). Un classique de la littérature polonaise, Ferdydurke (Fredy par la suite) fut une des plus jolies surprises littéraire du Tigre concernant le postmodernisme. Le retour forcé à la jeunesse, un ouvrage d’une finesse rare, oscillant entre humour décapant et créations littéraires (notamment le vocabulaire) savoureuses.

Il était une fois…

Jojo Kowalski, le narrateur, va suivre la curieuse transformation d’un homme trentenaire en un adolescent (traité comme un enfant). Enfermé malgré lui dans un rôle qu’il ne veut plus jouer, le héros sera contraint de vivre (ou revivre) dans un monde où il n’est pas pris au sérieux en raison de son âge.  Escarmouches entre bandes, cours avec des professeurs un peu limites, concours de grimaces, vacances à la campagne chez la vieille, tout est repris sous la plume acerbe de Witold Gombrovicz.

Critique de Ferdydurke

Conseillé par une connaissance polonaise, Le Tigre s’était rapidement procuré la bibliographie de l’écrivain majeur de ce pays (du moins il a été vendu comme tel). Du haut de mon inculture dans ce domaine (un auteur qui a écrit son truc dans les années 30, imaginez), je ne peux qu’être d’accord. Car c’est une vraie pépite.

Pépite en effet, parce que le lecteur qui ne connaît pas Witold pourra trouver le début un peu abrupt au début, les cent premières pages n’offrent en effet pas de didacticiel pour saisir l’univers décalé de l’auteur. Cependant, pour un titre publié avant la seconde guerre mondiale et traduit à la hussarde en français, il apparaît vite qu’on est en présence d’un ouvrage pas comme les autres. Absurde, inclassable, et qui laisse un arrière-goût de cendre par rapport à un environnement à la fois foisonnement et terne – sans doute mon esprit a, par défaut, imaginé un monde en noir et blanc relativement glauque.

Il n’en demeure pas moins que ce roman est tout bonnement génial, avec une scénario assez retors (quelqu’un est d’un jour à l’autre considéré et traité comme un gamin) mais donnant lieu à une création de termes et de néologismes assez fins. Notamment le terme « culcul » qui est repris à toutes les sauces (cf. infra). Bon enfant dans l’ensemble, Le Tigre s’est plutôt accroché à Fredy et son univers qui lui était plutôt étranger.

Pour conclure, un ouvrage où se mêle le comique, un peu de tragique, et même de l’érotisme, presque un ovni littéraire vis-à-vis duquel passer à côté serait plus que dommage. Pire, je dirais que le relire tous les cinq ans n’est pas envisageable.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La jeunesse « culcultisée ». La culcultisation, c’est la propension qu’ont les adultes à prendre de haut les enfants et à s’adresser à eux comme de gentils attardés (un peu comme Le Tigre parle à son chat). Notre héros se retrouve entouré d’individus qui, non contents de l’abaisser, tendent à l’infantiliser à l’extrême en ne lui laissant qu’une autonomie plus que limitée. A se demander si ce n’est pas un vilain clin d’oeil aux dictatures qui fleurissent alors en Europe en dictant à leurs masses leurs comportements.

L’humour burlesque. Voilà ce qui a correctement marqué Le Tigre. Des situations borderlines mais à fort potentiel comique, des péripéties à se demander où l’écrivain peut aller chercher tout ça. L’exemple que j’ai en tête est le passage dans la salle des professeurs d’une école. Le narrateur y débarque avec une autre personne, et là une rumeur se propage parmi le corps enseignant : il s’agit d’un inspecteur de l’éducation ! Et là, tout part en sucette, les profs courent dans tous les sens tels des poulets décapités, en proie à la plus reptilienne (je parle de la zone du cerveau) des paniques. A lire et à relire ce chapitre.

…à rapprocher de :

– De Witold Gombrowicz, Le Tigre a adoré Cosmos (plus récent), mais est resté pantois devant Les Envoûtés.

– Autre auteur polonais (plus récent), Marek Krajewski et Les fantômes de Breslau. Thriller, avec un tout petit peu de fantastique. Satisfaisant.

– Le terme « culculterie » semble également utilisé par la jeune femme héroïne des Tours et détours de la vilaine fille de Llosa. Culcul, ici dans le sens bêtement romantique.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.