Mais comment a-t-il fait pour lire 1.000 livres en 5 ans ? Quel malodorant affabulateur. Il a dû sous-traiter ça à ses nombreuses copines… Et bien non, cher lecteur. En plus de lire un peu partout et sous toutes configurations, Le Tigre lit vite. Un vrai scan, que dis-je, une machine de guerre ! Chacun sa technique, voici la mienne.
Lire en diagonale
Nota bene : si vous en avez assez de ma prose mais que ça vous intéresse un tant soit peu, sautez directement au « comment », puis l’exemple.
Sinon, commençons par la deuxième question, triviale. Lire partout, dans le métro ou le bus, en marchant, même en copulant, check. Mais vous sentez que cela ne suffit pas. Vous vous surprenez à méticuleusement choisir votre PAL (pile à lire) en fonction du nombre de pages. A partir de 200, vous voulez être sûr de l’auteur et de l’histoire. En dessous, vous êtes prêt à accepter l’inconnu. Fort fâcheux, du haut de sa montagne sacrée, Le Tigre vous regarde d’un œil torve.
Il existe d’autres petites astuces, certaines présentes sur ce pomp/somptu/eux blog. Par exemple, préférer les polices de caractère assez grosses, l’impression d’aller plus vite est entraînante, sans compter qu’appréhender globalement les paragraphes sera plus aisé. En outre, vous pouvez, et ce afin d’augmenter sensiblement le spectre de votre bibliothèque, refuser de relire vos titres préférés pendant un certain laps de temps.
Vient le quoi. Lecture Rapide (« LR »), ou lecture globale, les termes sont nombreux pour décrire une seule aptitude : celle de lire comme si le diable en personne (je ne parle pas d’Au Diable Vauvert hein) vous poursuivait. Méthode très utile chez les professions où lire des centaines de pages est un passage obligé, il est des moments où se les taper dans leur intégralité peut être dommageable.
L’avocat qui se tape des conclusions adverses démentielles de 100 pages, le professeur contraint de déchiffrer l’inculte composition de philo d’un étudiant, le journaliste politique contraint de résumer une imbuvable motion d’un parti déclinant, James Bond compulsant les archives (souvent en russe hélas) du MI-6, tous ont leurs raisons pour éviter de lire mot à mot l’infâme prose de leurs contemporains..
Comment lire vite ?
Hum, pertinente question. C’est un peu là que Le Tigre est attendu au tournant. Faisons concis, complet, structuré. Et pas trop chiant.
1/ Ne pas lire dans sa tête. Ça ne sert à rien. Le mot que vous lisez, votre cerveau l’a bien compris, et n’attend que de passer rapidement au suivant. Nul besoin de subvocaliser comme un gamin de quatre ans qui apprend à lire « caca ». Vous méritez mieux, peu importe combien de temps cela va prendre. Lire attentivement (donc répéter dans sa tête) un terme plus complexe voire inconnu, rien de plus normal. Mais la soupe littéraire, les lieux communs ou autres suites logiques de dizaines de lettres, ça doit glisser (comme dirait Alice).
2/ Avoir l’œil sélectif. Deuxièmement, va falloir apprendre à repérer rapidement les mots porteurs d’informations strictement nécessaires à la compréhension d’un texte littéraire. Pour Le Tigre plus lecteur de SF et polar que de classiques, voici le process : d’abord, j’ignore les passages excessivement descriptifs tout en ayant une vague idée de quoi ça parle. Pour cela, une longue phrase avec tout plein d’adjectifs et de verbes à l’imparfait doit vous alerter (plutôt le contraire, vous laisser indifférent). A contrario, apparaîtront « en surbrillance » dans votre esprit les dialogues certes, mais tout verbe au passé simple (ou au présent) et adverbes indiquant une action (« soudain, mais alors, tout à coup,… »).
A force d’exercice, vous ne porterez sur un paragraphe qu’un regard détaché, à mi-chemin entre le traitement en diagonal et l’appréhension générale du texte. Vous fonctionnerez non plus en terme de phrases, mais en lisant bloc par bloc, en pêchant ici et là ce dont vous avez besoin. Le travail de vos yeux sera donc moindre, privé de ses incessants aller-retours du match de tennis qu’est votre roman.
3/ Accélérer la cadence progressivement. L’entraînement n’est pas tout, quelques astuces existent afin de parcourir toujours plus vite les pages. Déjà, un texte avec une police assez grosse est bien plus aisé pour la LR. En outre, un des secrets du Tigre est de lire, d’affilée, plusieurs romans du même écrivain. Dans l’ordre chronologique de publication. Ainsi on prend la première œuvre pour « se faire les griffes », jusqu’à être suffisamment familier du personnage pour savoir quand lire en diagonale sans risque. C’est ce que j’ai fait avec Preston & Child, Alastair Reynolds ou Éric-Emmanuel Schmitt. Dès le troisième opus, je gagnais 50% de temps de lecture.
Pour résumer le comment, la LR n’est pas un sprint, mais un marathon. C’est également un challenge perpétuel. Pour vous aider, lancez-vous de petits défis : finir le chapitre avant telle station de métro, terminer telle page avant que l’horloge n’affiche 1h58, mettez-vous un peu la pression. Checkez ensuite, si besoin est, que vous n’êtes pas passé à côté de quelque chose en relisant normalement le même passage. Après quelques semaines à cette cadence, les résultats seront là.
Allez, des exemples !
Oui, oui, ça vient. En fait il s’agira d’un exemple : Le Tigre vous propose en effet un paragraphe d’un roman pris au hasard. Le hasard est bon avec vous, puisqu’il s’agit de la page 103 de Vierge de cuir, écrit par Joe R. Lansdale. Je n’ai choisi ni texte abscons (prenez n’importe quel ouvrage de Maurice G. Dantec ou Will Self) ni bouquin excessivement simple. En gras les mots clés qui à force d’exercice sautent aux yeux (connaissant bien l’auteur, c’est certes plus aisé). En outre, comme les dialogues se doivent en général d’être attentivement lus, le passage suivant en sera dépourvu :
« Puis j’appelai Jimmy sur son portable et tombai sur sa messagerie. A cette heure-là, il donnait probablement un cours, ou il bossait dans son bureau. Je respirai profondément, descendis récupérer ma voiture et partis me balader sans but dans les rues. Je finis par me garer à l’orée de la ville, au pied de la colline où se dressait l’ancienne demeure Siegel. La colline était mouchetée de sapins dégingandés et l’herbe y avait la couleur du papier de verre, mais un épais tapis de kudzu envahissait les environs de la maison et des lianes torsadées grimpaient à l’assaut du bâtiment pour former, tout en haut du toit, une grosse boule ébouriffée vert émeraude. »
Le présent paragraphe occupe près de la moitié d’une page. A lire en entier à haute voix, on en a pour une petite trentaine de secondes (voire vingt). Ici, on peut jeter deux coups d’oeil rapides, choper les mots importants et dans votre tête il doit se passer ce fascinant dialogue digne d’une communication télégraphique :
« appeler Jim – répond pas – m’en fous de savoir pourquoi – partir en caisse jusqu’au bout ville – près baraque Siegel – dégingandés, merde c’est quoi ce terme ? – sapins, verrai l’adjectif plus tard dans dico – kudzu, oh putain il fait chier avec son vocabulaire – le reste à l’imparfait, je zappe. »
Comme vous le remarquez, plus vous lisez, plus votre vocabulaire sera enrichi, moins vous butterez (comme l’ai fait pitoyablement à deux reprises) sur les mots. Sans subvocaliser, j’en ai eu pour 4 à 5 secondes. Temps gagné : 500 %. Perte d’information primordiale : 0 %. Il est né le divin feignant, jouez hautbois, résonnez musettes !
Ah oui, tant qu’on y est : dégingandé, ça signifie que c’est grand et désordonné. Le kudzu, c’est une plante vivace comme le lierre, mais apparemment en plus joli. Qu’on ne m’y reprenne plus !
Conclusion vite faite bien faite
« Cher Tigre, que faire du plaisir de lire un ouvrage lentement, tout en savourant chaque mot comme autant de bouchées du meilleur foie gras de France et de Navarre ? ». Ma réponse tient en deux points : 1/ En général, je lis vite quand je suis légèrement gavé, ou que je connais bien l’auteur. Alors je sais ralentir au bon moment. 2/ Lorsque le style est excellent et m’emporte, adieu la LR.
En guise de conclusion, Le Tigre tient à vous rappeler que la LR est avant tout une expérience personnelle, selon la façon dont son cerveau fonctionne et de ce qu’on préfère. Si je livre gratuitement ici mes techniques, les vôtres se peuvent d’être sensiblement différentes.
Na ja, démerden Sie sich mit der Global Lektür.
VO : The Commonwealth Saga (jusqu’ici, c’est logique). Pas mal du tout : Rien à dire, Hamilton a la technique pour produire de fabuleuses sagas. Ici, l’humanité en développement tombe sur une étoile où sont prisonniers une espèce peu reluisante. Intelligent, passionnant malgré quelques longueurs ici et là, du space opéra comme Le Tigre les aime.
Suivi de Déluge. VO : Tuomingde hongluobo et Qiushui. Deux nouvelles (dont une très courte) du nobellisé Mo Yan, auteur chinois au style limpide et poétique. Si le dépaysement est plaisant, fugace impression de tourner en rond qui a éveillé chez Le Tigre un certain ennui. Mais pas au point de proscrire cet auteur.
VO : A Scanner Darkly. Le Tigre a rarement pris une telle claque littéraire. Hallucinations, déchéance, paranoïa, schizophrénie, le tout est d’une violence et d’une tristesse déprimantes. K. Dick a écrit un ouvrage presque biographique mais avec la puissance et la vision d’un roman de SF. Superbe.
VO : idem. Oublions les longs romans de Reynolds un instant pour découvrir deux réelles pépites du chantre de la SF moderne. Deux nouvelles d’excellente facture qui feront voyager le fin connaisseur du monde de l’auteur comme le néophyte en la matière. Beau et visionnaire.
Ouvrage autonome (mais toujours aussi déjanté) du polémique Dantec, pour une fois ça peut se lire (relativement) vite. Assez plaisant, les ingrédients de l’auteur restent les mêmes : anticipation sociale SF dosée de cyberpunk, cerveaux surdrogués, considérations religieuses. Bon moyen pour démarrer avec Momo.
VO : The Imaginery Girlfriend. Irving est un écrivain assez bon, et cette autobiographie me paraissait intéressante. Le Tigre a hélas été à moitié contenté : de très bons passages sur la vie de l’auteur, toutefois d’autres que je n’ai su apprécier à leur juste valeur. Notamment lorsqu’il s’agit du sport à l’origine de l’image de couverture.
A mi-chemin entre un polar à assassin unique (livré à la fin) et un texte d’une poésie fort onirique, L’œil de Pâques est déconcertant à lire. Teulé s’est lâché sur ce coup là, et si cela reste extrêmement séduisant, Le Tigre a été moyennement emporté par le texte. Dommage.
Le Tigre adore Reynolds, avec House of Suns celui-ci le rend bien. Space opéra d’une brillante envergure, fourmillant d’idées géniales, le lecteur sera immergé dans un scénario terrible et haletant, du bonheur. En anglais, même avec des passages pas aisés à comprendre, le tout reste fluide.
VO : History’s Worst Decisions. Sous-titre : …et les gens qui les ont prises. 50 chapitres, 50 décisions éclectiques qui se sont révélées catastrophiques. Politique, scientifique, économique, militaire, chaque domaine prend sa tournée de claques. Très porté sur la culture anglo-saxonne, ouvrage bien sympathique qui se lit vite. Sans plus.
1711, annus horribilis pour Louis XIV. Ses descendants tombent comme autant de mouches, le roi vieillissant est au désespoir. Chaline nous propose un voyage lors de ces quelques sombres mois, vus de l’intérieur. Complet (trop même pour Le Tigre féru d’histoire), on n’est pas loin de l’essai passionnant.
VO : Truth and Lies in Literature. Stephen Vizinczey est un lecteur on ne peut plus exigeant, cet essai en est l’éclatante preuve avec quelques grands auteurs passés sur le grill. Compilation d’interventions de l’auteur en matière de bon goût littéraire, salvateur malgré un style qui peut vite taper sur le système.