Aaron & Ribic - Thor, Tome 1VO : The God Butcher. Lorsqu’un tueur de dieux fait son office pendant des dizaines de milliers d’années, il y a de quoi s’inquiéter. Et lorsque Thor en personne se prend raclées sur raclées, on peut légitimement se dire que c’est la fin. Illustrations correctes et scénario qui sort des sentiers battus, voilà qui est une agréable surprise.

Il était une fois

Quelque chose de pas très joli se trame. Un méchant de noir vêtu occis les divinités avec une exemplaire régularité et semble vouloir garder Thor comme cerise sur son gâteau de sang. De la fin du IXème siècle à un futur apocalyptique, en passant par aujourd’hui, Thor a l’équivalent de la production annuelle d’une boulangerie sur la planche. Trois histoires se déroulant avec le même héros face à un ennemi insaisissable qui répond au doux noms de « Massacreur de Dieux », trois chemins avec une issue potentiellement catastrophique.

Critique du premier tome de Thor

En 2015, quand j’ai ouvert ce tome made by « Marvel NOW » (que j’assimile plus ou moins au « DC Renaissance » de la concurrence »), j’étais plus ou moins novice concernant le dieu nordique avec son marteau surpuissant. Heureusement, Jason Aaron a pris le félin par la main pour l’inviter dans une saga qui traverse le temps et l’espace en compagnie d’un héros plus fin que prévu.

Au fil des pages, le lecteur se rend compte qu’un méchant œuvre depuis des millénaires et dont le comportement est intimement lié à une erreur de jeunesse de Thor – qu’on découvrira vers le troisième tiers de l’ouvrage. Cet ennemi dépasse de loin notre héros en force et ce lors des trois unités de temps traitées par l’auteur : une courte apparition en Islande avant le moyen-âge ; Asgard dans un futur saccagé avec un Thor vieillissant avachi sur son trône et prêt à prendre une autre branlée à l’extérieur ; et une enquête de nos jours aux confins de l’univers aux fins de découvrir les sombres desseins de Gorr.

Deux remarques importantes ici : d’une part, le dessin d’Esad Ribic est fort agréable à l’œil. Que ce soient les décors (désolés ou somptueux) naturels ou traces de civilisation, ou la gueule des différents dieux (vivants ou non) et espèces aliens aux traits originaux, le dépaysement est total. Les visages des protagonistes renforcent un pathos déjà présent, et malgré des combats peu impressionnants l’ampleur de la menace qui touche notre univers donne suffisamment envie de finir ce tome. A signaler les belles esquisses dans les dernières pages, qui aideront plus d’une personne désireuse de reproduire ce genre d’illustrations.

D’autre part, il ne faut pas s’arrêter à l’image de couverture montrant un Thor tout en muscles et à l’air peu finaud – un petit air d’Oliver Khan non ? Car le personnage principal se révèle, progressivement, moins bourrin que l’image du dieu connement guerrier et abreuvé de bonnes bières qui lui colle à la peau. Il est même amusant de contempler les premiers pas de Thor dans la bibliothèque galactique avec le bibliothécaire qui ne le porte pas dans son cœur, jusqu’à des actions et considérations (nombreuses remarques in petto) qui le feraient presque passer pour quelqu’un de raffiné. Une telle évolution, assez réjouissante, mérite toutefois confirmation.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La première chose qui m’a scotché est la maîtrise d’un panthéon de dieux complet et auquel est attachée une certaine philosophie. Celle qui montre que les êtres normaux (dont les Humains) ont beau n’être que quantité négligeable, cependant leurs prières et leurs cultes font vivre des milliers de divinités à travers le vaste monde. Est-ce que le recours au sacré dans telle ou telle zone créé les dieux où est-ce l’inverse ? Cette BD n’y répond pas. Mais celle-ci montre que ces êtres divins (qui revêtent diverses formes) sont également mortels, et paraissent bien seuls dans leurs immenses palais une fois clamsés – surtout quand leur absence n’a pas été remarquée.

Outre l’immensité de l’espace, il est question de la variable temporelle. Du big bang à la fin des temps (un monde sans dieux), le vilain agit telle une sourde menace qui, dans le présent de ce comics, semble avoir trouvé le moyen d’en finir une bonne fois pour toute. L’idée, séduisante, permet d’offrir un conte moderne de la création de notre univers qui n’est pas sans rappeler la mythologie grecques. Sans spoiler, il va y avoir du voyage dans le temps dans l’air, et Le Tigre ne sait pas comment l’auteur va pouvoir se dépêtrer, avec élégance, de ce paramètre dans le prochain tome…

…à rapprocher de :

– Jason Aaron (et Latour) a également versé dans les histoires assez sombres : Southern Bastards (Tome 1 sur le blog). Et même du Batman avec La Splendeur du Pingouin.

– On retrouve d’autres héros de Marvel, à l’instar d’Iron Man. Lequel avait eu le malheur d’avoir un reboot assez dégueu dans Iron Man : Season One.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce comics en ligne ici (en anglais, attention).

Goscinny & Uderzo - La Grande TraverséeSous-titre : une aventure d’Astérix le Gaulois. Quand le petit moustachu et son gros copain prennent une petite barque pour titiller la poiscaille, le vent les amène directement à New-York City (sans la City) – que des gentillets Normands s’apprêtent à accoster. A peine téléscopé. Un ouvrage parsemé de délicieuses références qui fera plaisir tant aux plus jeunes qu’aux vieux cons.

Il était une fois…

Le village se fout sur la gueule, comme d’habitude, au sujet du poisson d’Ordralphabetix. Sauf que ça peut poser problème dans la mesure où faire de la potion magique requiert du poisson frais – à se demander quel ingrédient n’entre pas dedans. Du coup, nos deux héros et demi décident de prendre le large avec un filet à pêche, mais se perdent en haute mer. Jusqu’à ce qu’ils atteignent un mystérieux continent avec des sangliers qui font glouglou et des hommes se peinturlurant la gueule…

Critique de La Grande Traversée

Voilà un Astérix comme je les aime : ça commence dans le village, voyage autour du monde, et revient dans le même lieu qui n’a pas bougé d’un poil. Aventure décomplexée par une crédibilité avoisinant le néant, nombreux gags qui ont ravi Le Tigre par leurs divers degrés de finesse, tout ceci avec un rythme exceptionnel, que demander de plus ?

En effet, les deux Gaulois et leur cabot voient du pays. Et pas n’importe lequel puisqu’ils taperont la discute avec des Amérindiens dubitatifs, lesquels seront forcément admiratifs de leurs capacités (se battre, chasser, danser, etc.) à un tel point que :
1/ Obélix est pressenti pour épousailler la grosse fille du chef
2/ une peinture sur toile est mise en place en leur honneur, et
3/ un totem est dressé en leur effigie. Quand les Français débarquent aux States, ils ne laissent guère indifférents.

Mais comment revenir au bercail ? Par un scandaleux tour de passe-passe, il se trouve qu’un bateau arborant l’étendard Viking débarque dans la zone. Nos deux amis en profitent alors pour s’y faufiler, quitte à être détenus en captivité en tant qu’autochtones. Hélas, il ne faudra pas longtemps aux fiers hommes du Nord pour découvrir que ce ne sont que d’insipides Gaulois, lesquels pourront à nouveau filer à l’anglaise (z’ont une veine de cocu) vers leur village.

Cet album présente une certaine nervosité narrative où les péripéties et saisons s’enchaînent à vitesse grand V. Les illustrations, classiques et dotées de nombreuses références (cf. infra), prennent pour une fois en compte la barrière de la langue : si le langage Viking reste imbitable pour nos héros, c’est en raison des quelques barres qui traversent les lettres (rien que les noms Zøødvinsen ou Kerøzen annoncent la couleur), difficulté qu’heureusement ne connaissent pas les chiens. Curieusement, les Indiens ne parlent pas. Voilà qui est plus simple.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Cet opus fait la part belle à l’idée selon les Vikings auraient été les premiers Européens à découvrir l’Amérique. Bon, le félin ne s’y connaît guère dans ce domaine, et il semblerait que les auteurs ont, par une subtile pichenette intellectuelle, avoué leur neutralité : premier pied posé ou pas, les Vikings n’en avaient rien à foutre de coloniser l’endroit, seules la ripaille et les bonnes batailles les intéressant. Au surplus, les deux individus qu’ils emmèneront avec eux n’ont rien d’exotique, aussi le récit du capitaine du vaisseau ne vaut pas tripette. Sans compter que la propension du peuple Viking aurait consisté à plutôt se diriger au nord du Canada actuel, ce qui ne correspond guère à la campagne verdoyante et ensoleillée où se trouve Astérix – on bascule vite de l’été à l’hiver.

Enfin, si les États-Unis ne sont jamais cités, les clins d’œil au devenir de l’Amérique sont délicieusement grossiers – Indiens qui voient les cinquante étoiles du drapeau américain ou celles de l’USAF quand ils sont sonnés ; voire (point d’orgue) Astérix grimé en statue de la Liberté.  Sauf que les Gaulois ne se comportent pas comme de vulgaires colonisateurs : certes ils ne sont même pas arrivés depuis dix minutes qu’ils ont déjà bouffé deux dindons et un ours. Mais quand leur potion magique leur permet d’épater la galerie, ils n’en demeurent pas moins dépourvus de toute curiosité (putain mais ils foulent une terra incognita), pensant même avoir affaire à des Ibères. Le Gaulois, colonisé par les Romains, ne prendrait donc pas sa revanche ailleurs ?

…à rapprocher de :

– Sur le blog traînent également (par ordre de publication) : Le Devin (ça passe) ; le très frais Astérix en Corse ; le minable Astérix et Latraviata ; Le Papyrus de César (ça aurait pu être pire).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette BD en ligne ici.

Dave & Cap. Willard - The Sex VisitorsScénario nullissime ; scènes de cul déplorables ; dessin tout bonnement dégueulasse ; fautes d’orthographe à faire pleurer Ribéry en personne ; porno bas de gamme ; morale de l’histoire à chier. Et j’en passe. Oui : ce bouquin est génial. Pourvu qu’il reste dans les limbes de la littérature érotique. A lire au douzième degré. 

Il était une fois…

A Boston, Martelli, anthropologue de son état, est en train de se faire correctement pomper lorsqu’une collègue vient lui apprendre que le docteur Barnett a laissé une lettre – en provenance de San Paolo de Recife. Ce dernier fait état d’étrangeté dans la jungle, avec des hommes blancs disposant de fabuleux pouvoirs. Ni une ni deux, Martelli, l’autre blondasse, Bart (un autre professeur de l’institut) et une photographe décident de partir à l’aventure pour retrouver ce bon vieux Barnett.

[honnêtement, on s’en branle gravement de l’histoire]

Critique de The Sex Visitors

dave-cap-willard-the-sex-visitors-extrait1Nom de Zeus, quel pied j’ai pris. Cela a beau être une des pires BDs jamais éditée que j’ai jamais tenue entre mes pognes (ouais, j’ai vérifié : y’a un code ISBN), toutefois il y une forme de génie dedans. Notamment l’aspect « rien à foutre » et libéré de ces quelques pages sans couleurs et grossièrement illustrées. Car le dessin est d’une vulgarité rutilante qui pourrait correspondre aux gribouillis laborieusement esquissés par un collégien en surcharge d’hormones qui veut imiter un Corto Maltese, mais termine lamentablement sur un trait gras à la Vuillemin – et sans avoir le temps de mettre des couleurs.

Tant qu’on parle de mineur, imaginez deux secondes votre petit neveu (celui qui a été fini à la pisse) à qui vous imposez une dictée. Voilà pour l’état de l’orthographe, une faute toutes les deux lignes. Sauf que ça passe. Mais cela n’est rien sans les improbables dialogues sortis de nulle part et d’une platitude déconcertante. Comme l’invite l’éditeur, lisez à voix haute quelques pages. Le résultat ? Un mauvais film de boules où le stagiaire de 3ème était chargé de la rédaction des dialogues, ces derniers ne pouvant être que déclamés par des doubleurs non déclarés et payés au pastis.

dave-cap-willard-the-sex-visitors-extrait2Quant à l’histoire, Tigre va faire simple : ça part en Amérique du Sud ; ça baise un petit coup (surtout la photographe, violée avec son consentement) ; le groupe remonte un fleuve sur des pirogues où Martelli se fait sucer ; ce dernier aperçoit une blonde dans la jungle et lui file le cul ; les autres se font endormir près d’un lac : et tout ce petit monde se réveille dans un vaisseau spatial plus ou moins enfoui où ils rencontrent une civilisation avancée (humaine, pas de xénosexe) qui cherche à reproduire l’espèce. Oui, il y a de tout.

Voilà, c’était l’objet littéraire what the fuck du Tigre. Une formidable (dans son sens premier) bande dessinée sans limite et sans prétention que, curieusement, je recommande à tous. Le genre de trucs à laisser dans ses WC pour faire fuir ses invités. Le type de littérature dont s’accorder le crédit suffirait, sans autre forme de procès, à diagnostiquer une tendance masochiste de type I. D’ailleurs les Éditions Flblb n’ont toujours pas reçu de réclamations des « vrais » auteurs. Ah les cons, s’ils savaient à quel point ils tenaient quelque chose.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

dave-cap-willard-the-sex-visitors-extrait3Pas évident d’être sérieux sur The Sex Visitors. Déjà, le paradoxe de la bande dessinée érot…euh pornographique qui ne fait pas bander. Et le second degré est total : il y a une misogynie de bon aloi où les nanas ouvrent leurs chattes à la première seconde, se plaignent au début pour la forme et commentent (en direct) à quel point ça faire du bien. Un poil de racisme chez des protagonistes aussi brutaux qu’ils n’ont rien de scientifiques. Le lecteur aurait pu espérer une élévation du niveau avec les E.T. (forcément sages), toutefois au bout de quelques cases on s’aperçoit qu’il n’en est rien : la BD est sur le point de verser dans l’orgie intergalactique – à ce moment, les auteurs ont eu la bonne idée d’arrêter les frais.

A tout hasard, le félin a senti, outre la légère frustration sexuelle qui semble habiter Dave et son compère Cap.Willard, une aventure classique de l’Humanité : la recherche d’une sorte d’Atlantide, un éden naturel où l’harmonie entre la nature et la technologie (le vaisseau spatial en pleine Amazonie, putain…) va de pair avec un élan sexue…vital renouvelé. Faut dire que les êtres venus de l’espace sont tombés au bon endroit : entre l’übersexualité occidentale et les produits pris par les autochtones (la scène de l’esprit coatzcatl est à hurler de rire), y’a de quoi repeupler dix planètes.

dave-cap-willard-the-sex-visitors-extrait4Tout ça pour vous dire que, au-delà de la franche rigolade, j’ai eu un mal de chien à classer les visiteurs sexuels dans ma bibliothèque numérique. Est-ce une bande dessinée franco-belge ? En aucun cas, trop dégueu et cochon. Un comics ? Sûrement pas, y’a des limites à la bêtise américaine, souvent décevante. Un roman graphique ? Trop léger, sans compter l’absence de « graphisme ». En fait, c’est une sorte de manga underground couplé à une BD pulp de bas étage publiée dans les années 60.

…à rapprocher de :

Ne comptez pas sur moi pour vous donner des titres du même acabit. Pas même un Marc Levy. Ceci dit, les esprits joueurs pourront trouver de gros pompages littéraires ici et là. Pour l’instant, le félin pense à L’Amerzone, avec le détective Canardo qui, à partir de notes d’un éminent (hum) savant, part au fin fond de la jungle. Y’a un peu de Thorgal aussi. Voire un zeste de Canibal Holocaust.

Toutefois, il semble que l’éditeur continue de le vendre (en lien). Je les ai contactés pour pouvoir mettre des extraits de cette puissante daube, et figurez-vous qu’ils étaient ravis. Soit ils ont d’autres lecteur à martyriser, soit ils s’en foutent royalement, soit mon blog commence à se faire respecter – par ordre décroissant de probabilité.

Slott & Allred - Silver Surfer, Tome 1VO : idem [pas compliqué jusque là]. Silver Surfer, sollicité par une civilisation mourante, fait face à un curieux chantage qui l’amènera de nouveau sur notre bonne planète. Touchant et rendant hommage à un certain psychédélisme un peu désuet, ce tome se laisse lire avec une facilité déconcertante. Amour, réalité distordue, accrochez-vous. 

Il était une fois…

Dans le ciel, une étoile apparaît. C’est Norrin Radd, alias le Surfeur d’Argent. Deux jumelles habitant en Australie font un vœu en l’apercevant. Dawn Greenwood souhaite que cette étoile brille pour tout le monde et reste dans le ciel. Ce curieux vœu, une dizaine d’années plus tard, aura des conséquences importantes. Dawn sera en effet « attachée » à ces quelques mots murmurés dont l’avenir d’une civilisation dépendra.

Critique du premier tome de Silver Surfer

Pas déçu d’avoir lu cet opus, en règle générale j’ai comme l’impression que les aventures du surfeur d’argent restent plutôt bien léchées. Intemporel, surprenant, c’est surtout la manière dont le fantastique s’insère naturellement dans le quotidien d’une jeune femme qui laissera le lecteur rêveur.

Pour faire simple, un lien très spécial va se créer entre une humaine « normale » et l’ancien héraut de Galactus. Dawn est une jeune femme sujette au syndrome de l’anti-jumelle qui elle ne voyage pas et aide ses parents qui œuvrent dans l’accueil de luxe de touristes (tout le contraire de sa globe-trotteuse de sœur), et qui par la force des choses va se balader à travers les galaxies. En particulier aux alentours de l’Empericon, monde qui obéit à de fantasques lois physiques et est en proie à une terrible menace. Zed, le gérant du lieu, fait appel à Silver Surfer en tant que champion qui pourra vaincre la « Reine des jamais », et pour cela utilise Dawn en tant qu’otage de courtoisie.

Je vous avoue avoir regardé deux fois la date de publication du présent album tellement le tout me paraissait psychédélique. Prenez rien que l’avant-dernier chapitre qui se déroule sur une Terre en prise à un dangereux sommeil avec l’intervention d’un seigneur des rêves qui a tout du héros imaginé par l’immense Neil Gaiman. Car Mike et Laura Allred ont le trait lourd quoique généreux, avec des protagonistes qui ne sont pas franchement à leur avantage (sauf Dawn, bandante en diable). Big up sinon à la cité de l’Empericon, somptueuse œcumenopole aux couleurs agressives qui a tout de la boule disco des années 70.

Le combat de Silver Surfer est loin d’être manichéiste, disons que l’entité qui doit affronter se révèle plus complexe qu’au premier abord, les alliés d’hier ne seront pas forcément ceux de demain. En ajoutant l’intervention (certes brève) des gardiens de la galaxie ou de quelques Avengers, le félin a pris plaisir à dévorer un tome sans prétention qui remplit son office, parfois avec humour.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La condition du super héros a ici quelque chose de presque tragique. Déjà, le Surfeur inspire toujours la crainte alors que ça fait des lustres qu’il n’est plus le subordonné du terrible Galactus – les premières planches sont révélatrices de son état d’esprit. Ensuite, l’homme d’acier (je ne parle pas de Superman hein) se retrouve à lutter comme seule motivation une nana qu’il ne connaît ni d’Eve ni d’Adam…néanmoins, cette dernière vient d’une planète qui est chère au Héraut et avec où il risque d’avoir des soucis déjà rencontrés – du genre y être bloqué comme un con. Tout ça pour un vœu d’une innocente gamine.

Dernier mot enfin sur la Reine des jamais, personnage que je n’avais jamais rencontré. Il semble s’agir d’une déesse surpuissante grâce à laquelle le futur, plein de promesses, peut prendre une infinité de formes. Telle une entité grecque (qui n’a pas le melon), grâce à elle les individus peuvent prendre leurs destinées en main, du moins tant qu’elle vit. Or, la cité Empericon (un empire con ?) a volé son cœur en guise de grosse centrale électrique permettant de jouer notamment avec la gravité. Dawn, parvenant à s’extirper de sa prison dorée, contribuera à récupérer ce cœur, élément nécessaire à la survie d’un univers libre où sa voie reste encore à tracer – pourquoi pas accompagner le surfeur d’argent et se départir de son esprit casanier.

…à rapprocher de :

– Considérant ce héros, Tigre a lu Parabole de Lee et Moebius et Requiem de Straczynski et Ribic. Du beau boulot dans l’ensemble, surtout ce dernier.

– Quant au seigneur des rêves, y’a plein de Sandman qui traînent sur le blog (Domaine du rêve par exemple).

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce comics en ligne ici.

Alastair Reynolds - On the Steel BreezeDans un futur relativement lointain (milieu du 24ème siècle), l’Humanité est parvenue à maîtriser une technologie lui permettant de voyager à une vitesse se rapprochant de celle de la lumière. En suivant trois clones évoluant dans trois différents environnements, c’est une période charnière de l’Humanité qui se déroule sous nos yeux – la conquête hors du système solaire. Puissant et vertigineux, as usual.

Il était une fois…

Chiku-rouge est montée à bord d’un véloce vaisseau pour rattraper sa grand-mère Eunice, partie explorée le lointain espace. Chiku-vert voyage dans un holoship (vaisseau-monde) qui mettra des centaines d’années à atteindre Crucible, une planète d’où l’Homme pourra essaimer. Chiku-jaune est quant à elle restée sur Terre pour mener une vie paisible dans un environnement changeant et plein de nouvelles promesses. Ces trois personnes sont des clones dont l’esprit est synchronisé, et ignorent qui est « l’original ». Trois destins surprenants, trois histoires qui vont changer le cours de l’Humanité.

Critique de On the steel breeze

Voici le deuxième tome de la saga des Enfants de Poséidon, triptique de grande ampleur par un des auteurs de SF que Le Tigre préfère. Si le premier opus était basé sur notre planète (la Lune également) et s’intéressait plus particulièrement aux protagonistes, ici le lecteur remonte d’un cran vers du space opera démesuré par les idées mises en œuvre : un peu d’E.T., des grandes manœuvres de factions improbables, une I.A. prête à chier dans les bottes de l’Humanité, etc.

Dès les cinquante premières pages, Reynolds pose les grandes trames de l’intrigue avec les descendants d’Eunice Akinya (la grand-mère, dont les enfants étaient Geoffrey et Sunday du tome précédent) : Chiku-rouge est portée disparue, on suppute que son vaisseau s’est crashé. Mais Chiku-jaune voit un fantôme qui serait la « synchronisation » défectueuse de la première perdue on ne sait où. Quant à la dernière protagoniste, l’holoship (qui appartient à une caravane de vaisseaux semblables) devant parvenir sur un nouveau monde a comme un défaut : il ne restera pas assez de carburant pour décélérer. Et y’a un risque de dépasser l’objectif à moins d’un saut technologique post-Chibesa (trouvaille du tome précédant qui a permis l’envoi de tels navires). Noah, leur enfant, a quitté la terre ferme pour rejoindre les nations aquatiques, ajoutant l’intensité dramatique.

Tout se suit à bonne cadence, si bien que les intrigues se multiplient et s’entremêlent alors que les péripéties se situent à des décennies d’écart (synchronisation dans l’espace infini oblige) : une explosion dévastatrice sur un des navires permet certes de lever quelques secrets bien gardés, mais surtout il apparaît que la raison du voyage est peut-être fondée sur un mensonge. Parallèlement, qui va bien pouvoir résoudre les équations dépassant le modèle de Chibesa et les appliquer aux réacteurs avant que ce ne soit trop tard (la politique des vaisseaux a tout de celle de l’autruche) ?

Le Tigre n’est pas un cador dans la langue de Shakespeare, néanmoins ce roman est aisé à lire, une promenade de santé de 500 pages qui m’a scotché. Les chapitres, relativement courts (près de 40) et le style simple de l’écrivain ont énormément aidé. Y’a quand un truc qui m’a gravement fait tilté même si c’est intellectuellement intéressant : l’utilisation continue du ve pour le personnage de Traverstine, au lieu de he ou she – et les déclinaisons qui vont avec, genre vis/ver. Déjà que ce protagoniste (scientifique maudit) est délicat à cerner, « il » serait en plus sexuellement neutre ?

Un petit mot final sur le titre qui signifie (plus ou moins) Sur un souffle d’acier. A mon humble avis, un tel souffle est le pendant numérique de l’expiration humaine : une intelligence artificielle naît, et ça fait froid dans le dos. Mais c’est surtout un passage de Shine On You Crazy Diamonds, morceau des Pink Floyds tiré de l’album Wish You Were Here. Sur twitter, l’auteur m’avait invité à l’écouter [ouais, je tweetais avec Reynolds putain]. Et bah l’ambiance froide et planante m’a rapidement évoqué les vaisseaux-monde évoluant dans l’espace infini, avec des touches ici et là de chaleur, des instants de beauté et d’espoir. J’écoutais ce que pourrait être la complainte des héroïnes, éloignées à des années-lumière et qui cherchent à communiquer entre elles. Avec Reynolds, jamais le « sense of wonder » n’est aussi puissant.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Punaise, le félin aime tellement cet auteur qu’il pourrait en discuter des plombes. Il est dur d’être sélectif (discriminant ai-je envie de dire), tentons quand même :

L’Anglais s’est fait plaisir en décrivant la manière dont plusieurs vaisseaux générationnels pourraient fonctionner. Que de bonnes idées ! Imaginez une caravane composée d’une douzaine d’holoships (avec à leur bord des millions d’individus) commandés par autant d’assemblées. Zanzibar, un de ces navires, possède 36 chambres qui sont régulièrement réassemblées selon les besoins de la population. Il y a même une 37ème cachée, et ce qu’elle contient est surprenant au possible – un rapport avec le tome précédant. En outre, quelques personnes privilégiées ont droit au skipover, c’est-à-dire une mise en stase pendant des dizaines d’années – aller sur Crucible prenant quelques siècles. Comme n’importe quelle communauté, les tensions politiques s’accumulent, jusqu’à (sans spoiler) provoquer une guerre civile.

Le sujet principal, objet des inquiétudes des protagonistes, reste la position assez trouble d’une certaine intelligence artificielle qui opère en sous-main. [Attention SPOIL] Il faut savoir que les images reçues par les télescopes qui yeutent du côté de Crucible (et l’artefact Mandala) sont analysées et rendues par Arachne, intelligence qui semble tout contrôler – et s’est développée au-delà de ces compétences d’origine. Il est notamment question de données qui sont volontairement modifiées afin de cacher ce qui se trouve réellement sur la planète. Mais pourquoi une I.A., qui gère en outre les Providers (machines envoyées en amont pour créer des infrastructures sur la planète) procéderait ainsi ? Comme souvent chez Reynolds, les réponses coupent le souffle [Fin SPOIL].

Outre l’émergence d’une I.A. plus ou moins consciente d’elle-même qui ne cherche qu’à se protéger (de manière froide), il y a la question de ce qui les rapproche et les éloigne du genre humain. Or, Alastair R. offre deux faces aux relations entre humains et robots.
1/ la lutte bien sûr, et l’impossibilité pour deux entités de se faire confiance – de million de migrants spatiaux désireux de s’installer sur une planète peuvent être froidement exécutés. Or, Chiku-jaune sera en possession d’un étrange artéfact capable de saboter le Mécanisme (le même du premier tome qui a pacifié la Terre.
2/ Sous l’impulsion d’une une autre intelligence, froide et patiente, un accord sera cependant mis en place aux fins d’assurer une « entente cordiale ». Et ce grâce notamment à un être mi-homme mi-machine, une persona dont le parcours a su montrer qu’une cohabitation est concevable.

…à rapprocher de :

– Commencez évidemment par le premier tome, Blue Remembered Earth. Moins décoiffant (sauf sur la fin), plus une aventure humaine où l’Afrique est reine. Quant au troisième tome, j’en salive déjà.

– Rien que pour le plaisir, je vous refais reparle du meilleur de Reynolds : le cycle des Inhibiteurs : L’espace de la révélation, La Cité du Gouffre, L’Arche de la rédemption et enfin Le Gouffre de l’Absolution. Faut reconnaître qu’il sait choisir des titres qui en envoient. Essayez The Prefect, qui est un stand-alone de belle facture. Voire les nouvelles du cycle, comme Galactic North ou Diamond dogs, Turquoise Days.

Il faut savoir que dans le second opus (qui peut être lu indépendamment d’ailleurs), il est question de la problématique de la décélération quand on atteint une vitesse proche de celle de la lumière. Et de la manière dont s’organise un tel voyage. La solution trouvée par le protagoniste, pleine d’audace mais moralement inacceptable, m’a profondément ravi.

– Quant au clonage, imaginez qu’au lieu de 3 il y ait des milliers de clones appartenant à une même « Maison » et parcourant l’espace infini pour rendre compte des activités humaines : c’est le sujet de The House of Suns, qui est tout simplement une tuerie. Même auteur bien sûr, et même thème de la propension humaine à vouloir détruire ce qu’elle a créé – à savoir des machines dont elle a peur.

– Toujours chez Reynolds, une fabuleuse aventure qui se compte en siècles et qui provoque un « whaow », c’est Janus, ou Pushing Ice dans la VO.

Century Rain est différent, et un peu en-deçà de mes attentes. La pluie du siècle, en VF.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Blackman & Del Mundo - Elektra, Tome 1Sous-titre : le sang appelle le sang. Elektra #1-5. La belle héroïne grecque ici rebootée accepte un curieux contrat. Lequel la mènera bien plus loin que prévu, entre ennemis impitoyables qui débarquent sans crier gare et remise en question. Histoire relativement chiante (ai mis du temps à le terminer), toutefois les illustrations sauvent largement les meubles. 

Il était une fois…

Elektra s’emmerde sec dans son coin et ne cracherait pas sur une mission d’assassinat. Elle file donc voir l’Intermédiaire qui lui propose de prendre part à un contrat particulier : capturer Cape Crow – capturer, pas zigouiller comme elle en a l’habitude. Sauf qu’elle n’est pas seule sur ce coup : non seulement un couple de chasseurs est à la rechercher de la cible, mais y’a un truc mi-homme mi-animal qui la talonne. Et ce méchant se repaît de ses prises, absorbant leurs pouvoirs et souvenirs à mesure qu’il goûte leurs membres. Que va-t-il découvrir chez notre héroïne ?

Critique du Tome 1 d’Elektra

A l’époque où j’ai lu ce surprenant album, je ne connaissais que très peu de choses d’Elektra. Après lecture, bah j’ai eu l’impression de ne pas être plus avancé. N’ai pas totalement réussi à accrocher au personnage malgré le traitement de luxe d’Haden Blackman qui a souhaité verser dans quelque chose d’intemporel et revenant aux bases du personnage.

Hélas, le scénario mis en place tiendrait facilement dans ma carte de visite – qui ne laisse pourtant que peu de place dans la mesure où étant majoritairement noire. Pour faire simple, y’a la gentille qui se lance à la poursuite d’un homme qui a de bonnes raisons de se cacher. Or, Elektra est également poursuivie par Lèvres Ensanglantées, un humain à tête de lion dont les monologues hallucinés (sur fond rouge) dénotent une chouette propension à bouffer ceux qu’il rencontre – Bullseye et d’autres agents du S.H.I.E.L.D. Il s’ensuit de belles balades dans une cité aquatique, sur une montagne, et une rencontre avec le fiston de Cape Crow désireux de protéger son daron. Twist final oblige, la teneur du contrat n’est pas tout à fait ce qui était prévu. Bof.

Si je n’ai pas refilé la pire note à ce comics, c’est exclusivement en raison des dessins de Mike El Mundo – béni soit son nom. Le mecton a sauvé l’ouvrage avec un boulot de dingue effectué sur chaque planche qui pourrait exsuder le doux parfum d’une laborieuse transpiration. El Mundo s’est donné, et le résultat est tout simplement sublime : couleurs pastels envoûtantes, finesse des traits des protagonistes et leurs émotions bien rendues, combats excellemment esquissés avec une violence de bon aloi, bref c’est généreux. Si le texte m’a parfois endormi, il y avait toujours une double page en embuscade pour me rappeler que seule l’image peut valoir mille mots.

En fait, ce premier opus d’Elekra est avant tout un tableau narratif, des suites de postures qui visuellement se dévorent à défaut de comprendre où mène l’histoire. Le contraste des sujets traités (de la guerre totale aux sentiments familiaux débordants de tendresse) colle assez bien avec les couleurs tantôt froides (bleu neige), tantôt animales grâce à un antagoniste qui envoie du pâté.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le titre du présent opus, centré sur la thématique du sang, appelle quelques triviales remarques : déjà, il est question de Lèvres Ensanglantées qui, en bectant un morcif de sa victime, sait tout d’elle – son passé, ses capacités, etc. Une force qui, en présence de l’héroïne, deviendra vite un fardeau… Ensuite, il s’agit également des liens du sang, à savoir un fils aimant qui fait tout pour sauver son papa. Quitte à lancer un faux contrat et user de ses pouvoirs psychiques afin de vivre comme une famille normale – impossible vu le passif de Cape Crow. Enfin, il y a comme une malédiction qui habite l’héroïne qui a tellement de mètres cubes de sang sur les mains que tout espoir de rédemption semble hors de portée.

En effet, il apparaît que le métier d’assassin n’est pas une simple occupation comme les autres. Elekra a sans dans la peau, et rien ne paraît pouvoir la détourner de cette activité. Dans un des « délires » de la jeune femme, le lecteur pourra découvrir les nombreuses circonstances ayant amené ce personnage à être ce qu’elle est (notamment une mère aimante en qui elle ne pourra jamais s’identifier) ; mais surtout ce qu’elle aurait pu devenir si les circonstances avaient été différentes. Ces séances d’introspection apportent de précieux renseignements sur une femme complète et fort complexe, même si je suppute ne pas suffisamment connaître son univers pour pleinement apprécier cet album.

…à rapprocher de :

– On retrouve Elektra dans les tomes de Daredevil, par Frank Miller. Premier opus (lien) et second tome sur le blog.

– Le félin connaît bien Blackman pour son travail (assez inégal hélas) sur Batwoman. Il est intervenu dans Hydrologie, et En immersion (tome 3 en fait)le second n’est pas de lui question scénario. Seul ce dernier m’a ému.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce comics en ligne ici.

Noé - ExpositionUne mignonne exposition en mode pin-ups. Trois visions de l’art, autant histoires qui s’affrontent et se renvoient la balle non sans humour. Chouette. Si le lecteur prend le temps de gratter les illustrations et les sous-entendus, il pourra reconnaître un travail intemporel et évident. A lire au moins pour les dessins léchés et dialogues improbables attachés. Miam. 

Il était une fois…

Le monde de l’art est en pleine ébullition : une immense rétrospective de Gil Spam, illustrateur de talent, est organisée par sa petite-fille. Dans la foule, un jeune homme se fraie un passage et vient clamer son amour au vieux dessinateur – qui est dans un fauteuil roulant. Le trio (le vioque, la petite-fille et le fan) parcourt alors les différentes œuvres de Gil, chacun expliquant, à sa façon, ce que celles-ci représentent pour eux.

Critique du premier tome de L’accordeur

[ATTENTION : si vous avez moins de 18 ans, je vous prie de NE PAS REGARDER NI CLIQUER sur les images illustrant le billet. Sérieusement.]

On avait susurré à l’oreille féline qu’il s’agissait d’un des meilleurs ouvrages de l’auteur Argentin. « On » ne s’est point foutu de ma gueule, j’ai dévoré cette pépite d’humour coquine en moins de temps qu’il n’en faut à un homme politique pour sortir une connerie lors du journal de 20 heures. Ignacio Noé a un double talent qui a ravi Le Tigre :

D’abord, le scénar’. Si l’histoire se lit d’une traite et garde une globalité satisfaisante, il semble surtout s’agir de petites péripéties qui accusent le même format : premièrement, le jeune Martin s’extasie face à un tableau du vieux – à juste titre – et déblatère, avec une écœurante candeur, ce que ça lui évoque. Deuxième acte : Ana abonde dans son sens (tout en le draguant/se faisant draguer de plus en plus ouvertement) et apporte une touche résolument féminine. Sauf que son discours éthéré et pseudo féministe jure avec les illustrations qui la montrent (et la démontent) dans des situations d’un érotisme débridé qui va crescendo.

Troisièmement, et sans doute le meilleur, le vieux Girolamo Spampinatto méprise tout ce petit monde et livre son expérience et circonstances qui l’ont amené à peindre telle ou telle femme en tenue légère. Or, l’histoire « réelle » est désopilante au possible, et derrière le sourire de ses modèles se cache des évènements peu glorieux (s’apercevoir que sa compagne a une bite), la plupart violents, mais toujours hilarants – est-ce vrai dans la mesure où l’artiste semble sénile ?

Exposition extrait 2Ensuite, Les illustrations ont quelque chose d’à la fois délicieusement suranné et cru. Le décalage est prégnant entre l’art des pin-up américaines des années 50 à la Gil Elvgren et les scènes de baises torrides entre Gil Spam jeune et ses muses du moment – séance dans une cuisine, un bordel, voire un hosto avec une infirmière bien spéciale. Tout ça avec des couleurs suaves et vives qui rendent le tout un peu plus cartoonesque. En prenant en compte la propension de Noé à placer un peu partout de bruyantes onomatopées rendant compte des corps en mouvement, je vous laisse imaginer le délire ambiant.

Voici donc le genre de bande dessinée qui vide facilement l’esprit (peu les couilles à mon humble avis) et qu’il convient de prendre au second degré. L’humour y est tellement misogyne et l’improbable… En outre, la structure ternaire pourra ennuyer plus d’un lecteur qui aura l’impression de tourner en rond…jusqu’au fin mot de l’histoire, lequel est terriblement mélancolique et invite à relire l’ouvrage.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Toutes ces illustrations de pin-up font, au premier abord, penser à une forme d’hommage au rêve américain avec ces femmes coquines mais sages qui ne se laissent dénuder que du regard. Néanmoins, l’American Dream ne fonctionne que dans l’esprit de Martin qui n’en peut plus à force de baver sa consensuelle guimauve. A l’inverse, l’artisan de ces dessins présente une interprétation plus terre-à-terre et saccageant tout esprit bon enfant et idyllique. Et cette confrontation des trois visions n’est pas sans rappeler que, outre les artifices d’une belle image, le travail d’interprétation est souvent plus important que l’Histoire telle qu’elle s’est réellement déroulée. Très humain en fait.

Exposition extrait 1Le Tigre a d’autant plus apprécié Exposition que les dernières pages sont sublimes. Sans spoiler, il est notamment question de ce qui anime Gil Spam. Ce dernier se met à faire un curieux songe au sujet d’un tableau (le seul où des seins sont visibles) représentant sa mère. Laquelle, déesse aquatique insaisissable, est sollicitée par un Spam enfant désireux de lui montrer son travail. A mon sens, cette ultime péripétie tend à montrer non seulement que le modèle seins nus est l’incarnation même de la féminité, mais que celle-ci concentre tous les aspects des femmes rencontrées dans l’existence de Gil – la castratrice, la cuisinière/nourricière, l’être qui révèle, etc.

C’est d’autant plus triste que le héros se réveille abandonné et ayant mouillé son futal dans un cagibi attenant l’exposition. Personne n’a remarqué son absence. Le pauvre. On a plus besoin de lui pour exposer ses dessins dont l’interprétation n’a rien à voir avec ses souvenirs. Un artiste incompris qui a comme un complexe d’œdipe à résoudre et dont, à quatre-vingt piges bien tassées, les proches n’ont pas une seule fois imaginé le rôle de la mère – seule destinataire de l’amour (du besoin de reconnaissance plutôt) qui se dégage des tableaux.

…à rapprocher de :

– De cet auteur, Le Tigre a également aimé L’accordeur. Le tome 1 (lien) et le tome 2 (lien aussi) sont sur le blog, joie.

– L’esprit pin-up se retrouve complètement dans le tome 3 de Giovannissima !, par Giovanna Casotto. Ou, dans une moindre mesure, chez Nicky et son peu lisible New Rodeo Girls. et dans Le journal d’une soubrette de Duvet.

– Dans l’esprit grand n’importe nawak peu réaliste, je ne peux m’empêcher de penser à Chambre 121, de Boccère – même topo, sauf que l’employé est payé entre autre pour ça.

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver cette BD en ligne ici.

Les Sutras du TigreC’est bien mon petit. Tu as plein de livres. Bravo. Et en plus tu les as tous lus. Respect. Tu as une belle bibliothèque pour les ranger. Bonheur. Mais tu ne sais comment procéder ? Je suis aussi passé par là. Viens donc reposer ta main sur l’expérience tigresque, la seule qui compte. Voilà. Ne me remercie pas tout de suite.

Bien organiser son temple des livres

Avant de commencer la leçon, quelques mises au point :

D’une part, imagine Le Tigre comme un professeur présomptueux absolument persuadé du bien-fondé de ce qu’il avance. AUCUNE voix discordante ni remise en question ne sera tolérée. D’ailleurs, je vais continuer de te rudoyer, de te tutoyer afin que ta prise de conscience soit rapidement modelée.

D’autre part, tu trouveras ici quelques menues photos de ma bibliothèque personnelle. J’aurais pu t’abreuver de fantastiques lieux, d’endroits oniriques avec des rayons de livres où la mesure de référence est le kilomètre et les couvertures de cuir sentent bon les tunes et l’antique. Toutefois ce serait te mentir, et je préfère m’ouvrir pour toi, lecteur chéri, en te donnant un aperçu de mon intimité. Bon, je ne vais pas te bullshiter plus longtemps, j’ai quelqu’intérêt à faire ainsi péter les images :

Premièrement, en distillant une poignée de photos de mes ranges-livres, je t’oblige à dérouler le présent billet jusqu’au bout. Et c’est excellent pour mes statistiques. Du reste, dis-toi que, étant donné que je réorganise parfois mon bouzin, il n’est pas impossible que d’autres images se greffent au présent billet – en clair : je t’en supplie, reviens sur ce billet tous les six mois au moins.

Deuxièmement, il y a un jeu de séduction évident à étaler ainsi ma force de frappe littéraire. Non seulement il en va de ma crédibilité en tant que blogueur attaché au format papier comme un vieux con, mais j’espère bien que tu vas gravement baver sur ton clavier ou ton écran jusqu’à provoquer un court-circuit, te contraignant à écrire mon auguste nom sur la déclaration de sinistre à l’attention de ton assureur.

Troisièmement, je compte bien garder cet article et ses illustrations sur le coude en cas de litige m’opposant à l’État. Comme beaucoup de citoyens peu désireux de lâcher la majorité de leurs biffetons aux éditeurs plutôt qu’aux artistes, le fauve a des pétabits de données numériques qu’il n’a pas toujours (hum) légalement acquis. Même s’il y a prescription depuis longtemps, il n’est pas à exclure une cabale prochaine contre ton serviteur. Ce sera à cet instant que les milliers de livres achetés pourront servir ma cause, avec une défense bancale du style « mais monsieur le juge, ce n’est pas totalement du piratage, je ne suis qu’un modeste corsaire qui, généralement, ne vole pas les artistes. »

Cela étant dit, passons aux choses sérieuses : d’abord je taperai la discute sur la nature des bouquins qui intéressent le présent article, ensuite comment gérer entre le visuel et l’organisation, avant de te décrire par le menu à quel point ma biblio est bien foutue.

Du nombre et du genre des livres

bibliotheque-tigre-sfTiens, voici la moitié de mes romans de SF – millésime 2013. Cette illustration permet de pointer le doigt sur une des particularités des éditeurs français exploitée par Le Tigre :  tout ce qui ressemble de près ou de loin à de la science-fiction est de couleur gris clair – ça commence à changer d’ailleurs. D’où la fameuse « étagère argentée » où il range méthodiquement les Asimov et autres Orson Scott Card.

En outre, tu as certainement remarqué que le numéro de cet article en appelle d’autres. En effet, le félin a tellement de choses à enseigner sur l’art des bibliothèques que tout bazarder dans un unique billet me prendrait trop de temps. C’est pourquoi je me suis ici limité à quelque chose de bien précis :

Déjà, il n’est question que de romans. Les bandes dessinées et comics prennent tellement de place et ont une hauteur telle que le félin a mis en place des étagères qui leur sont dédiées – et feront donc l’objet d’un autre billet. En outre, à de rares exceptions près, mélanger romans et bandes dessinées est tout simplement à proscrire. Pire qu’ajouter du curry sur un Paris-Brest. Cela nique autant l’équilibre visuel que la logique d’un meuble qui aura le cul littéraire coincé entre deux chaises – sans jeux de mots.

Ensuite, il n’est question que d’un seul format de bouquins : les poches. Je t’ai déjà expliqué la préférence du Tigre pour ce format (en lien), et notamment pourquoi les titres à 30 euroyuans (autant de centimètres de haut) ont un rapport place/utilité (et putain je ne parle pas du prix) qui est un scandale chaque jour reproduit. L’avantage en ne foutant que des « petits » romans est triple :
1/ Avec les meubles d’une certaine marque scandinââve, y’a totalement moyen d’aligner deux rangées de romans sur la même hauteur. Tu peux alors placer au fond, en toute discrétion, les daubes que tu es sûr de ne plus relire – ou que tu souhaites cacher au cas où ton rencart accepte de prendre un « dernier verre ».
2/ Avec cette même marque comme d’autres, tu peux jouer sur la hauteur des étagères et maximiser sur le nombre de romans à caser – 8 niveaux en mode « pas-de-prise-de-tête-mathématique » pour une bibliothèque de 1,8 mètres de haut.
3/ De loin, ça fait mastoc et harmonieux (pour peu que tu suives le reste de mes conseils), c’est la classe internationale. Alors qu’avec de lourds albums qui s’intercalent entre tes petits poches, ça pique surtout les yeux – et le porte-monnaie accessoirement.

Enfin, le nombre. Si tu as une pauvre centaine de romans à ranger, pas besoin de te faire chier à me lire. Mon expérience m’a appris qu’à partir de 500 tu commences à sérieusement baliser sur l’organisation. Cela m’est arrivé en 2008, je m’en souviens comme si c’était hier : j’ai alors su que je ne pourrai échapper à l’odieuse tétralogie 1/ location de bagnoles 2/ exploration d’un magasin collé à une bretelle d’autoroutes 3/ montage qui prend toute l’après-midi et 4/ écharde dans le pied droit.

En l’état actuel de mon inventaire (billet rédigé au printemps 2015), je dois avoir près de 6 000 trucs littéraires dans mon antre. Toutes tendances confondues – dont les magazines et notices (en plusieurs tomes) de l’Airbus A380.

La moitié sont des romans de poche, soit plus de 3 000 petits pavés immaculés. Sans me vanter, la technique que j’utilise est parfaitement adaptée : c’est comme ce blog, y’a rien à changer. Toutefois, j’ai bien peur qu’au-delà de 5 000 bouquins, d’autres techniques soient plus adéquates. Sans compter que je ne suis guère certain que mon système tienne aussi bien la route au-delà de cette bandante limite des cinq milles – à ce titre, je décline naturellement toute responsabilité si tu ne t’y retrouves plus.

Comment donc correctement trier tout ce petit monde ? Par l’ordre des lettres du prénom de l’auteur, par collection, par couleurs ou au hasard le plus complet ?

Des couleurs et des collections des romans, et une poignée d’alphaordre

La première connerie qui pourrait passer à l’esprit est de consciencieusement classer ses chers objets par ordre alphabétique. Ce sont des manières de bibliothécaire de municipalité perdue dans la Lozère, autant te dire qu’il faut laisser cette option de côté – tu ne veux pas habiter dans un lieu pareil, crois-moi. Tu n’es pas un professionnel de la littérature ou du rangement qui doit classer ses objets selon la numérotation Dewey et donc as le droit (l’obligation même) de faire comme il te chante.

A l’inverse, un bordel, même organisé selon tes propres critères ésotériques, risque fortement de donner l’impression de contempler un carnaval de travestis avec Madame Boutin à leur tête.

bibliotheque-tigre-1Selon moi, il y a deux aspects avec lesquels tu devras jongler : ta biblio doit être visuellement satisfaisante tout en étant correctement agencée. Et couper la poire en deux est loin d’être évident. Avant de poursuivre, un petit détail d’harmonie : les livres se disposent verticalement. Non mais parce que je vois parfois des inconscients qui les empilent comme des tablettes de chocolat, et ça me rend dingue. A la rigueur tu en mets 3 ou 4 pour caler le reste de ton étagère, mais ne t’avise pas faire plus.

Concernant l’organisation / l’agencement, je te disais que l’ordre alphabétique comporte de nombreux risques. Au premier rang duquel un flagrant déséquilibre si par exemple tu te mets à acheter tous les romans de Thierry Jonquet et ceux de Jean-Claude Izzo : bam!, des dizaines d’ouvrages rangés au même endroit (lettres proches obligent), donc t’obligeant à décaler toute une partie de ta collection. Au surplus, si tu te mets en tête de foutre des doubles rangées tellement tu as de romans, y’a des auteurs qui seront définitivement cachés – tu vois où je veux en venir hein…

Ainsi, il te sera certainement utile de D’ABORD classer tes romans selon un autre critère PUIS les ranger par ordre alphabétique. Mais quel paramètre choisir ? Pour l’instant, j’en vois deux de valables – la couleur n’en est pas un, pas plus que le prix.

A/ Le classement par éditeur. Mouais, après tout le logo sur la couverture sera le même de A à Z. Et cela te forcera, par un subtil jeu de diplomatie, à ne pas te procurer tes ouvrages auprès de la même maison d’édition et ainsi saupoudrer tes largesses sonnantes et trébuchantes aux différents acteurs culturels. Il m’est aussi plus d’une fois arrivé d’aller me  fournir exclusivement auprès de telle ou telle maison pour faire obstacle au monopole qui naissait dans ma bibliothèque en devenir. Mauvaise idée dans la mesure où la plupart des auteurs que j’apprécie ne tapinent auprès que d’un éditeur, qui de facto squatte la tanière féline – me concernant, le responsable fut pendant longtemps Gallimard et ses nombreuses succursales.

B/ Le classement par genre. Faut reconnaître que c’est assez finement pensé, à condition que tu attaches au terme « genre » une définition pas trop dégueulasse. Livres-que-maman-aime-pas ou bouquins-qui-font-moins-de-280-pages ne sont pas des genres. Faut rester sobre : policier (thriller, ça veut rien dire), classique (à partir de quelle date est-ce le cas ?), poésie, romans autopubliés, merde fais comme tu veux. Avec ce système, y’a fort à parier que les auteurs se côtoient en bonne intelligence et que tes étagères ne prennent pas la forme d’une cour des miracles littéraire.

De la bibliothèque idéale…

…est celle du Tigre, évidemment.

Je ne dis pas ça pour me faire mousser, mais à chaque fois que je la contemple je manque de m’évanouir en raison du brusque afflux du sang qui quitte ma tête pour rejoindre le bas ventre. En outre, ce n’est pas tant l’allure qui me ravit que la facilité avec laquelle j’arrive à retrouver n’importe quel titre qu’on me demande. Devrait y avoir des concours pour ça d’ailleurs.

bibliotheque-tigre-2L’agencement tigresque est excessivement simple : je mets dans une même armoire le même éditeur, et fais en sorte que les couvertures noires ou colorées sont en bas – et donnent l’impression de « soutenir » les frêles ouvrages de blanc vêtus. Comme par un fait exprès, ces romans de couleur sombre sont des polars ! Ainsi, trois bibliothèques alignées présenteront la littérature dite « classique » en haut, et le reste du monde en-dessous.

Puis, pour chaque collection d’un éditeur déterminé, je me cantonne à l’ordre alphabête, avec quelques petites exceptions (cf. infra).

Je t’avoue qu’il y a quelques ratés dans ma technique, néanmoins rien d’insurmontable. La faute aux éditeurs infoutus de garder leurs auteurs dans la durée, ce qui fait que certains sont dispatchés aux quatre coins de la rose des ventes (six). Voire des auteurs qui réussissent à se trouver partout : par exemple, Dan Simmons a un bail sans cesse renouvelé dans mon armoire à SF, tout comme chez Folio Policier, J’ai Lu et même Folio « normal ». Même souci avec Maurice G. Dantec.

Je vais terminer par le meilleur : mes chers livres sont répartis sur deux rangées. Alors quoi mettre derrière ? Deux options :
1/ Les auteurs-fleuve qui écrivent à tire-larigot avec une régularité de métronome, le résultat étant que leurs productions peuvent facilement dépasser le demi-mètre dans une bibliothèque. Nothomb, Riri-Manu Schmitt, San-Antonio (lui c’est le pire), Patterson, Stephen King, Nanard Werber, etc.
2/ Les merdes dont j’ai légitimement honte – je ne livrerai pas de noms, tu peux respirer Marc.

Sans pointez du doigt quiconque, quelques écrivaillons parviennent à remplir ces deux conditions. Pourquoi donc garder ces bouses ? Parce que, outre le fait que la bibliothèque a l’air bien gavée, ces romans demeurent invendables et inéchangeables.

Bibliothèse

Finalement, je me rends compte que je n’ai aucun conseil à te donner : fais comme tu le sens, et surtout continue à enrichir ta bibliothèque. Échange des bouquins, donnes-en, achètes-en, voles-en (je t’explique comme faire ici), bref fais-la vivre. Il n’y a rien de plus désolant de contempler un meuble où tu supputes que rien n’a été déplacé depuis des mois – à part une étagère remplie de Catherine Pancol.

Quant au numéro du Sutra, j’ai pris pour exemple la bibliothèque la plus connue en ce bas monde, à savoir celle d’Alexandrie. Si les historiens se branlent le melon pour déterminer la date de sa destruction, celle du début de sa construction pose moins de soucis : c’était en 288 – avant Jicé, hein. On va dire que le « 2 » fait référence au web 2.0. Et voilà.

Quant aux bibliothèques idéales de comics/BDs/romans graphiques ou de magazines, laisse moi le temps d’affuter mes arguments.

Aldous Huxley - Le Meilleur des mondesVO : Brave New World. Exemple de dystopie dans toute sa splendeur, bienvenu dans une civilisation qui a l’air d’être la meilleure ayant jamais existé dans la mesure où tout le monde il est content – mais à quel prix. Première partie fort intéressante, hélas au fil des chapitres l’intérêt se fait moins grand – au moins l’écrivain a eu le tact de faire court. 

Il était une fois…

Dans un avenir plus ou moins distant (sachant que le bouquin écrit dans les années 30), et après une terrible guerre qui aurait fracassé une bonne partie de la Terre, l’Humanité vit dans une curieuse harmonie où ses habitants sont classés dans des castes, et ce avant même leur naissance. Grâce à une drogue qui envoie correctement planer la population (à peine un bémol : l’espérance de vie est raccourcie), celle-ci accepte non sans joie son sort. Au milieu de cette ignominie savamment organisée, des hommes « normaux » sont entreposés dans des réserves.

Critique du Meilleur des mondes

Cela faisait si longtemps que je n’avais pas (re)lu ce roman que me suis octroyé trois coups de fou…euh trois dizaines de minutes pour le relire en diagonale. Et la première impression du jeune Tigre n’a pas changé : c’est bon, généreux, presque scientifique, mais je ne me le retaperai pas pour autant. Sans compter que l’exagération de l’univers/protagonistes décrits fait entrer l’œuvre dans les anticipations sociales détonantes plutôt que la science-fiction.

Ce qui peut surprendre dans les premiers chapitres sont les descriptions somme toutes sommaires, on dirait un essai d’un politicien plein de morgue qui pose sur la table des débats non pas sa paire de couilles mais des tonnes de chiffres pour démontrer son bon droit – ouais, Huxley est le Balladur de la littérature d’anticipation de la première moitié du XXème siècle. Mais il faut convenir que c’est diablement intéressant : les castes Alpha à Epsilon, l’alcool distillé dans les fœtus pour saloper le cerveau des petites mains, et l’existence de « sauvages » dont le lecteur attend, non sans gourmandise, la confrontation avec la partie policée/totalitaire de l’Humanité.

Hélas, le félin a bien failli s’emmerder dans une seconde partie qui se veut plus romancée mais qui m’a guère ému. Déjà que les bases scientifiques du Meilleur des mondes ont pris un sacré coup de vieux, que dire des péripéties de Bernard (Marx de son nom) et Lénina (Oulianov aurait pu être le sien…) qui sentent un peu trop la naphtaline ? C’est notamment la différence avec un 1984 plein de rebondissements et dont la comparaison arrive trop vite sur les lèvres. Au surplus, dans le roman d’Orwell, la terreur est maîtresse tandis qu’Huxley a conçu une utopie qui n’est dégueulasse que de notre point de vue : le peuple est en effet heureux et ne trouve rien à dire, certes grâce à la médication et techniques hypnotiques. Mais bon, allez me dire la différence avec les anxiolytiques et les médias de nos jours…

Il n’en reste pas moins que ce titre est un classique dès lors que le lecteur veuille bien laisser de côté (putain, j’ai eu du mal) les nombreuses invraisemblances pour se concentrer sur les symboles, que ce soient les noms des protagonistes ou le personnage de John le Sauvage, élément perturbateur au lourd potentiel qui sera forcément gâché. Pour un roman publié avant la première guerre mondiale, faire la fine bouche serait malvenu face à une telle preuve de lucidité littéraire.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Pour cette partie, le fauve va plus que d’habitude se concentrer sur son ressenti (tellement de choses intelligentes ont été dites sur ce roman qu’une connerie de plus ou de moins sur la toile ne fera pas de mal).

Le Meilleur des mondes dresse un tableau de ce que le scientisme le plus con (et le plus mal avisé), poussé à son paroxysme, serait en mesure de faire. Ce n’est plus un plan quinquennal que nous avons, mais une suite de plans générationnels. Le métier et l’avenir de chaque bambin est préparé avant sa naissance, et les conditionnements mis en place en feront un citoyen parfait qui 1/ sera immensément heureux de son sort et 2/ respectera les castes supérieures tout en conchiant ceux en-dessous (même s’il les sait utiles au bien-être de la cité). Le défaut de ce système ? Mais qui est finalement à la tête de tout ce bouzin qui semble automatiquement fonctionner ? Voilà sans doute le vrai mal : personne ne semble directement responsable.

La force d’Huxley est finalement de montrer une société humaine qui n’en est plus une – pour d’autres, ces criardes invraisemblances rendent notamment le bouquin peu intéressant. Il n’est plus question de négation de l’individu (les éléments non standardisés sont vite écartés), mais de l’être humain en général qui est rabaissé à un produit utilitaire. Comme un enclos de poules qui n’ont pas le droit de penser, pas le droit de baiser pour procréer, et dont l’objectif suprême est de nourrir quelque chose – chez l’auteur anglais, il est question d’obtenir la stabilité : sûrement le trauma après une guerre qui a failli éteindre l’Humanité.

…à rapprocher de :

– Huxley semble être atteint de la même malédiction qu’Orwell : je n’ai aucune idée des autres romans qu’il a bien pu écrire.

– Puisque j’en parle souvent, allez lire 1984. O-bli-ga-toi-re. Voire Les monades urbaines (avec les « sauvages » locaux, le sexe libéré et le bonheur obligatoire), de Silverberg.

– La drogue que s’enfile la populace, le monde totalitaire à la suite d’un terrible conflit, le film Equilibrium n’aurait pas pépom le présent roman ?

Enfin, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce roman en ligne ici.

Georges Perec - Les RevenentesDans la lignée d’un roman où la lettre « e » était manquante, le génial Perec a récidivé en bazardant toutes les autres voyelles. Ouais : un roman avec une unique voyelle. Il ne doute de rien le mec. Le résultat, certes réjouissant au premier coup d’œil, fait toutefois vite mal à la tête – ce n’est pas de sa faute dans la mesure où la contrainte littéraire oblige à régulièrement saccager l’orthographe.

Il était une fois…

Très honnêtement, je serai infoutu de vous dire de quoi il est question dans cette œuvre puisque j’ai rapidement abandonné, avant de sauter ici et là (au hasard) des paragraphes tel le cabri en début de printemps. Il est question d’une nana (Bérengère je crois) avec des bijoux et qui passe du temps chez l’évêque d’Exeter. Lequel semble être un petit excité bien membré qui a envie de tremper sa nouille plus souvent qu’à son tour.

Critique de La Disparition

Avant de s’attacher à discourir sur cet étrange roman, il faut que vous vous rendez compte à quoi peut bien ressembler un texte où seul le « e » tient office de voyelle. Comme j’adore le nombre 12 (en lien), voilà à quoi ressemble une partie de la 120ème page :

Tel qekqe belvédère qe dégénérescence et sénéscence descellent et jettent en terre, tel des D-C-7 qe des tenks descendent, tel des tertres qe des tremblements de terre ébrenlent, l’ensemble se segmente, et s’ébrèche et se relève pêle-mêle.
– C’est le grend denger de tels enchevêtrements, qelqes reneeflements et c’est décédé ! fêt treestement Tencrède.
Serène, Bérengère prend le temps de plézenter et, tel le grend Gégène, décrête :
– C’est vré qe je m’empêtre dens les membres des prêtres.

Vous voyez le genre ? Pour ma part, les bonnes phrases de Perec appellent quelques remarques : tout d’abord, il est nécessaire, en vue de rendre l’histoire un tant soit peu riche, de malmener la manière dont les mots s’orthographent – laissez-moi aussi inventer des verbes. Le lecteur ne mettra pas long à se rendre compte que la lettre magique peut en remplacer bien d’autres. Voire des consonnes qui parviennent à faire illusion, à l’instar du mot « chwette » qui revient souvent.

Ensuite, Perec a souvent recours à la langue anglaise, en particulier pour faire le « i ». Il n’est donc pas impossible de devoir lire à voix haute les phrases afin de gagner en fluidité et se réjouir de lire des mots bien connus qui gagnent en saveur avec l’unique voyelle autorisée. Si vous supprimez celles considérées comme superflues (notamment le « u » dont phonétiquement on pourrait bien se passer), y’a de quoi envoyez au tapis la moitié de l’Académie française.

Enfin, le félin n’a pu que constater qu’au bout de quelques pages il était salement gavé. L’écrivain use de nombreuses répétitions et forcément d’allitérations, et l’orthographe malmené ne donne pas envie de poursuivre la lecture. Puis faut avouer que tous ces « e » sont écœurants : si Le Tigre apprécie le tour de force, ce n’est qu’à très petite dose. C’est souvent le cas avec les textes de l’Oulipo – ouvroir de littérature potentielle, pour rappel.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La première chose qui a traversé mon esprit ô combien fait-con est la suivante : punaise, cette foutue lettre est réellement centrale dans notre belle langue. Réussir à aligner autant de phrases (peu importe le scénario, que je devine à peu-près cohérent) en zappant les A, I, O, U et Y, ça montre à quel point on peut tout faire avec la royale voyelle. Euh, je, me, arreuh, c’est tout bonnement les premiers termes qu’un être humain tente de babiller à ses débuts – à l’exception notable de oui/non. J’ai donc lu Les Reventes comme une forme de retour aux sources, quelque chose de fondamental qui relève autant de l’hommage à la littérature qu’au genre humain.

La seconde remarque concerne le quatrième de couverture qui évoque un aspect auquel je n’avais guère pensé. A savoir que Les Revenentes n’a aucun mot en commun avec le roman/faux sosie de Perec qu’est La Disparition. Bah ouais, j’ai vérifié, il est impossible de trouver un seul mot en commun entre les deux textes. Savoir qu’il existe deux bouquins dans ma bibliothèque qui n’ont rien en commun (si ce n’est leur auteur) est un poignant exemple de la richesse de la langue française (et, accessoirement, de mes goûts).

…à rapprocher de :

– J’ai nettement préféré La Disparition, qui me laisse sur le derche à chaque fois que je lis une page au hasard.

– Pour vous donner une autre idée de ce que l’Oulipo peut faire, allez donc lire Exercices de style, de Queneau.

Enfin, si votre libraire est fermé, vous pouvez trouver cet OVNI littéraire en ligne ici.