Sous-titre : D’après les souvenirs d’Alan Ingram Cope. Alan, Américain (décédé depuis) dont Guibert a recueilli les bons mots, nous livre quelques années de sa vie. Un témoignage tendre et édifiant servi par des illustrations envoûtantes et bien travaillées, Le Tigre valide. Essai ? Roman graphique ? Les deux mon général !
Il était une fois…
Emmanuel Guibert, grand dessinateur, a par hasard rencontré Alan qui coulait une retraite paisible sur l’île de Ré. Les deux hommes se voient régulièrement, tissant une amitié longue et artistiquement prospère. Après avoir raconté ses souvenirs de guerre, il est resté dans les cassettes d’enregistrement toute une flopée de souvenirs relatifs à la (presque) tendre enfance d’Alan. La Californie des années 20 et 30, nous voilà !
Critique de L’enfance d’Alan
Guibert aime prendre du temps avec des personnages d’exception (du moins une partie de leur existence l’est), recueillir leurs témoignages, et en faire un roman graphique. Eu égard le succès des trois tomes de la Guerre d’Alan, il est normal de récidiver avec ce qui reste en bobine, et le résultat est tout aussi gracieux.
La jeunesse d’Alan Ingram (nom de sa grand-mère) aurait pu être d’une normalité proprette et chiante si elle n’avait pas été aussi bien reprise l’auteur qui est parvenu à en tirer une saga captivante (le fait de connaître son parcours par la suite a dû aider). Ce sont les problématiques différentes, faites des difficultés à survivre aux gigantesques réunions de famille, en passant par les camarades de jeux (cela dit sans grivoiserie, Ruthie et Alan, que du platonique) d’un gosse souvent esseulé.
Le point fort de cette œuvre est, de manière peu étonnante pour le lecteur rompu à Guibert, les illustrations. De vrais tableaux de maître, l’immensité du territoire américain comme les petites tranches de vie restent superbement rendues. Il est même parfois difficile de discerner les photographies de la famille Cope (noir et blanc, souvent floues) et d’autres planches de l’auteur qui fonctionnent comme autant de caisses de résonance d’un texte simple et précis.
Au final, suivre le parcours du jeune Alan est un pur plaisir et Le Tigre n’a guère vu le temps passer. Le ratio illustrations / texte est parfait, en une heure les 150 pages du roman seront correctement bouclées. L’unique reproche serait d’ordre purement économique : Tigre est désolé de s’abaisser sur ce sujet, toutefois pour presque 20 euros on aurait préféré que ce tome eût été joint à la Guerre d’Alan. Avec le même héros, on croirait que Guibert voulait mettre du beurre dans les épinards et bisser son premier succès. D’où la note.
Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)
Il est intéressant de remarquer comme la religion apparaît en filigrane dans ce titre. Alan n’est jamais vraiment à l’aise avec, et cela commence par les cours de caté (ou quelque chose dans ce genre) où on l’enjoint de ne toucher au minimum son zizi (c’est-à-dire pour pisser, et encore). Du coup, il en a gardé comme un réflexe, et pendant longtemps parvenait à faire l’amour sans presque poser sa main dessus. Chapeau. La dernière mention a lieu lors du décès soudain de la mère d’Alan, et les réjouissances mortuaires qui suivent et que le jeune héros ne comprend pas vraiment.
A l’instar de l’anecdote du frelon et de l’existence de Dieu, la religion reste intimement liée à la nature.
Le portrait de l’Amérique des années 20 et 30 est saisissant, pour ma part j’ai adoré les descriptions d’une période où l’Ouest des States s’est renforcé (en terme de population et d’économie), sans compter la nature intimidante aux alentours. Grâce au coup de crayon de Manu (tu permets ? Pour ce que j’ai acheté de toi, on va dire que oui), on en prend plein les mirettes en plus de correctement ressentir la cohérence d’une période où les crises (économie qui flanche, maladies qui déciment les cousins, guerre qui se profile) côtoient des moments plus contemplatifs et apaisés (les longues balades en bagnoles, les réunions de famille, etc.).
En guise de conclusion, cet ouvrage est salutaire par son merveilleux travail de transmission de mémoire qu’il opère. Imaginez, certaines personnes connues par Alan ont fait la Guerre Sécession ! En outre, le lecteur rencontre quelques individus qui semblent, aujourd’hui, pratiquement disparus : j’ai nommé le grand-père débrouillard au possible qui est capable de vous faire vingt meubles avec son cerisier abattu, ou la famille vivant en autarcie et qui, avec son domaine, subvient à tous ses besoins. Du DIY comme on en voit rarement.
…à rapprocher de :
– Comme je le disais, il y a ensuite La Guerre d’Alan. Intimiste, juste, captivant, une merveille. Et les deux peuvent se lire indépendamment.
– De Guibert, j’ai gardé un superbe souvenir du Photographe. Direction l’Afghanistan !
– Guibert et B. David (scénario) ont produit l’étonnant Capitaine écarlate, que je ne peux que vous conseiller.
Les petites tranches de vie, avec un certain humour, je pense surtout au bon Boulet et ses notes de blog. Au passage, Boulet, merci de répondre à ma demande d’un dessin de tigre, tu serais chou comme tout.
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