Un jeune auteur Français, un titre un peu (voire complètement) mièvre, un 4ème de couverture qui annonce « le prix Carrefour du premier roman », 180 pages avec des espaces impressionnement, Le Tigre a de quoi légitimement s’inquiéter. Pas si nul, mais la grande littérature est loin (style ou profondeur des personnage). Vrai « roman supermarché » qui se lit en 45 minutes, douche comprise.

Il était une fois…

Jocelyne, dite Jo, est mercière à Arras. Bloggeuse à ses heures, Jo est mariée à Jo, de son prénom Jocelyn. Deux enfants, tous partis. Existence tranquille, un peu triste, jusqu’au jour où Jo (la femme) gagne plus de 18 M € au loto, des amies l’ayant inscrite. A partir de là, comment réagir ?

Critique de La liste de mes envies

Ça se laisse lire, mais ne casse pas deux pattes à un félin. La bonne femme mène sa petite vie, s’ennuie un peu, et le lecteur avec. Le début fait craindre le pire, même quand elle gagne au loto, il ne se passe rien de notable dans le livre. Les listes de ses (petites) envies, très bourgeoises, parviennent à peine à nous soutirer un sourire.

Et puis un mini-miracle se produit : puisqu’on attend pas grand chose, que ça fait plus de 100 pages qu’on se traîne à tourner les pages, tout à coup le dernier tiers du roman réveille les sens du lecteur. Faire changer d’avis, en un quart d’heure, Le Tigre par un petit retournement astucieusement imaginé, c’est très fort. Pas tant de suspense dans la suite, toutefois on se surprend à avoir de petits pincements au cœur.

Pour oser une comparaison un peu minable, disons que ce roman est un diesel. Assez cher payé pour le plaisir tiré, Le Tigre n’a jamais été aussi proche de la lecture de la ménagère de moins de 50 ans faisant ses courses chez [centre commercial de votre choix]. La même ménagère qui admirera le tour de force pour un jeune écrivain d’aussi bien parler des ressentis d’une femme qui lui (la ménagère hein) ressemble.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

L’œuvre lue est avant tout une petite histoire d’amour. Ici, c’est l’amour qui survit mieux à la mort qu’à la trahison. Trahison d’un des membres du couple, et malgré les efforts finaux de celui-ci, la flamme qui définitivement s’éteint. Les deux Jo étaient déjà psychologiquement atteints, disons qu’ils avaient sérieusement entamé leurs réserves d’empathie, notamment en perdant un enfant en bas âge. La réaction d’autant plus violente que continue du mari n’aide pas à la reconstruction de la femme, qui semble une éternelle victime indécise. L’argent qui tombe ne sera qu’un catalyseur de ce qui existe déjà.

L’auteur traite assez succinctement la gestion psychologique de la fortune soudaine, mais de manière efficace. En ôtant la liste des envies de Jo, sorte de liste à la Prévert  horripilante parfois, on se retrouve face au vide. Nullité du comportement du mari, qui ne « tient pas 3 millions » et se laisse mourir, vide de celui de l’épouse, dont l’esprit était habitué au train-train d’Arras et de son commerce. On peut comprendre pourquoi une certaine part des gagnants du loto sont sur la paille au bout de deux ans. La morale, à savoir que le bonheur c’est d’être heureux d’avoir ce qu’on possède, et surtout être entouré d’êtres aimés, est un peu facile de la part de Grégoire. La référence bouddhiste, que Le Tigre affectionne, n’est pas si bien traitée.

…à rapprocher de :

 – Un ouvrage qui ne paye pas de mine non plus, avec la monotonie élevée à un art littéraire. A l’inverse du présent roman, c’est une femme auteur qui, avec moins de succès peut-être, à capter les pensées d’un homme. Bref, pleurons ensemble sur Les heures souterraines, de Delphine de Vigan.

– Chapitrage court, beaucoup d’espaces, histoire originale mais sans envergure, easy reading, moins de 200 pages : Le Tigre le sait, Monsieur Delacourt est un geek. D’ailleurs il a piraté l’ordinateur d’Amélie Nothomb.

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Edgar Hilsenrath - Le retour au pays de Jossel WassermannVO : Jossel Wassermanns Heimkehr. Le Tigre a souhaité depuis longtemps lire Hilsenrath, grand auteur germanique à ce qu’il paraît. Prenons donc un de ses romans, pas trop long de préférence, et voyons ce qui se passe. Mille fois hélas, Le Tigre a l’impression d’avoir pris le mauvais : ouvrage intelligent, malheureusement impression de lecture plus que poussive. Malgré l’effort de synthèse de certains, la narration reste bizarre mais peut plaire à certains.

Il était une fois…

Été 1939, à Zurich, un riche fabricant de pain azyme fait son testament. Outre sa fortune, Jossel Wassermann lègue l’histoire de sa famille et de son village natal, Pohodna, aux en plein Empire austro-hongrois. A travers le long discours du vieil homme, c’est le petit monde juif d’Europe centrale qui reprend vie, du début du 20ème siècle jusqu’à l’holocauste.

Critique du retour au pays de Jossel Wassermann

Voilà un livre que j’ai trouvé abscons, et ce à cause des références et les détails des histoires ne manquent pas. Autant le dire tout de suite, je n’ai pas vraiment aimé. J’ai même eu de sérieuses périodes d’ennui, et heureusement que le roman ne va pas au-delà de 300 pages sinon celui-ci entrerait dans la catégorie « non terminé ».

Jossel W., c’est un vieux juif européen qui a vécu beaucoup de choses. Il profite de la présence de congénères sur le toit d’un train les menant vers un camp nazi pour raconter son histoire, qui est plus ou moins romancée. Si le texte n’est pas aisé à suivre, c’est aussi que le nombre de flashbacks et autres retours sur un élément ou point précis de l’histoire de certains personnages sont légion. Dans l’esprit du lecteur tout peut devenir rapidement embrouillé, au point de ne plus savoir où on est ou de qui on parle.

Au moins les personnages décrits par le vieux Jossel ont leurs attraits : porteurs d’eau, marieuse, feignants, rabbin, tout ce petit monde offre des histoires cocasses et à l’humour assez fin pour l’époque. Si on retrouve l’humour un peu désabusé, voire cynique propre aux adeptes du Talmud, et le contraste avec les conditions du récit sont dures : Jossel n’arrête pas de parler, il semble qu’il pourrait continuer des jours et des jours, il retarde toujours le dénouement, comme pour retarder la terrible fin du voyage sur (et pas dans) ce train.

Ouvrage à éviter, sauf pour étudier l’holocauste ou l’histoire de ce peuple dans un but particulier. Si vous voulez absolument le lire faites le en moins d’une semaine, tant ça part vite dans tous les sens.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le peuple juif à travers les âges. Hilsenrath est le seul auteur connu du Tigre (pour l’instant) qui a écrit sur les Juifs sous l’empire austro-hongrois avant son éclatement. La dureté, déjà, des conditions de vie, la méfiance d’autres groupes ethniques, tout cela est fort éclairant. Le rare bon passage du roman est d’ailleurs la visite de l’empereur dans le petit village et son arrêt à la petite auberge d’un des protagonistes, où sa majesté manque de s’étouffer à cause du poisson. In extremis sauvé par une petite vieille (comme le tableau de la couverture du roman le montre), sa reconnaissance laisserai un court répis à la population.

La narration d’une histoire et la transmission orale au sein d’un peuple. Le roman se rapproche de la retranscription orale d’un long conte, et reconnaissons qu’Hilsenrath est très doué dans ce domaine. Le vieux Jossel a tellement de choses à raconter, il en est à repousser le sujet principal de l’héritage qu’il doit exposer. Un vrai ergoteur, à l’instar d’un comique qui prend son temps avant la chute finale de sa blague, prolongeant certains passages, ayant abandonné depuis longtemps la narration linéaire. Tout n’est prétexte qu’à parler des autres, du peuple juif dans ce petit village, de l’empereur, et ce peut-être pour éviter le silence, l’horrible désolation qui entoure le petit groupe qui sera mené à une mort certaine. 300 pages, si c’est trop long pour le lecteur, c’est néanmoins bien bref pour les protagonistes.

…à rapprocher de :

– Les personnages plus vrais que nature du roman, gros travailleurs et pittoresques, tout cela mâtiné d’un ennui certain, me font penser à certains gros pavés de Zola. A force de description, on se fait une bonne image des lieux.

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Philip Kerr - La mort, entre autresVO : The One From the Other. Après l’excellente trilogie berlinoise, Le Tigre s’est jeté sur le petit nouveau de Kerr. Même image fleurant bon l’époque traitée dans le roman : après les années 30 voici la fin des années 40 dans une Allemagne d’après-guerre que beaucoup d’anciens nazis actifs aimeraient quitter. Roman plus long, plus profond, bref obligatoire à lire si vous avez aimé la Trilogie berlinoise.

Il était une fois…

Long prologue d’abord, où un narrateur accompagné par quelques sommités du 3ème Reich afin de négocier deux-trois trucs en Palestine. L’histoire commence ensuite avec la situation déplorable de Gunther : sa femme est mourante, et il vivote en gérant un hôtel très mal placé. Le héros renoue vite avec le métier de détective privé, lorsqu’une cliente lui demande d’avoir la preuve que son mari ancien SS est bien mort afin de se remarier. Bien sûr tout part vite dans tous les sens pour le vieux détective et (comme toujours) il se retrouve au beau milieu d’un très beau complot.

Critique de La mort, entre autres

Je pense qu’il faut considérer cet ouvrage comme étant la dernière partie d’une grande tétralogie, deux ans après le tome Un requiem allemand (donc 1949). Bernie Gunther toujours, dans une aventure qui est pour lui bien plus éprouvante, aussi bien psychologiquement que physiquement. Physiquement car il est régulièrement passé à tabac. En outre son épouse est dans de sales draps, et ce qu’il découvrira au fil de son enquête est proprement à vomir.

Opus encore réussi, très dense et à nombreux rebondissements. Écriture toujours aussi aisée à lire, la répartie du héros est un vrai régal. En plus d’une bonne dose d’action, il y a un aspect dramatique où le pathos fait une entrée remarquée. Eros aussi est de la partie, avec la femme à l’origine de l’enquête, trop belle et fatale pour être honnête.

Au final, aucune déception par rapport à ce que à quoi Kerr m’a habitué. J’aurai tendance à dire que c’est mieux même : l’auteur a fait un roman plus complet, qui prend encore plus aux tripes le lecteur qui en principe ne voit pas passer les 500 pages. Sans compter qu’on quitte Berlin pour le Sud de l’ancien Reich, notamment Munich, Vienne ou Garmisch.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Encore plus que dans la trilogie berlinoise, Le Tigre a rafraichi certaines connaissances, notamment :

Les filières d’exil à l’attention des anciens nazis. Car c’est de fuite dont il s’agit pour certains protagonistes, et le modus operandi est bien explicité. Avec l’appui de l’Eglise, en Allemagne ou en Autriche, des organisations « d’aide » aux anciens SS sont mises en place. Mots de passe à dire devant un certain prêtre, préparation minutieuse des papiers nécessaires à la « légende » de l’exilé, et enfin extraction vers l’Amérique du Sud ou certains pays d’Orient (pas Israël vous vous imaginez bien).

Les organisations juives de tueurs de nazis. Kerr est un auteur complet, et ne semble omettre aucun acteur dans la période de transition du pays. En relation avec le prologue, lorsque les contacts entre juifs et nazis avaient lieu, certains juifs ont monté des groupes de recherche d’anciens nazis. D’autres ont pour unique but de les tuer. C’est le cas de Nakam. On a plus qu’un aperçu de ce groupe, puisqu’on est au cœur de leurs méthodes, lorsque le héros est confondu avec un de ces anciens criminels de guerre.

Les petits trafics des Alliés en Allemagne. Russes, Américains, voire Anglais, tout le monde se tire entre les pattes et cherche à tirer au maximum profit de la situation d’après-guerre. Mais surtout s’implanter solidement dans le pays. D’où quelques petits arrangements, et ce à tous les niveaux : du soldat qui écoule les stocks de l’armée au noir, jusqu’à la CIA qui tente à tout prix à récupérer des informations collectées pendant la deuxième guerre. Dans cet ouvrage c’est avant tout la corruption de l’Ouest qui est abordée, la zone soviétique ressemblant plutôt à un joyeux bordel. Les prisons américaines en Allemagne et le traitement des prisonniers de guerre est en plus rapidement montrée.

…à rapprocher de :

La trilogie berlinoise, du moins le dernier opus, pour être familier avec le héros. Les suites :Une douce flamme, Hôtel Adlon ; Vert-de-gris ; Prague Fatale ; Les Ombres de Katyn ; La Dame de Zagreb. Même qualité globale à quelques exceptions près. A lire dans l’ordre de préférence. La Paix des dupes se doit également d’être lu (passionnante uchronie, plutôt soft, sur la conf’ de Téhéran).

– le dernier ouvrage d’une tétralogie de Romain Slocombe, Regrets d’hiver, expose aussi (vue du côté japonais) les terribles expériences médicales de la seconde guerre mondiale et leur utilisation par les Américains (ou Russes) contre de menus oublis.

– Beaucoup comparent les quatre opus du détective Gunther à la saga Millenium, par rapport à l’addiction du lecteur. N’ayant pas (encore) lu la tétralogie scandinave, Le Tigre tient néanmoins à signaler ce parallèle.

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Philip Kerr - La Trilogie berlinoiseVO : Berlin Noir. Regardez seulement la couverture. Digne d’un film de propagande nazie (Riefenthal’s style), tous ces jeunes corps prêts à être sacrifiés. Mais ici rien sur la guerre, les manoeuvres, la grande politique. Seulement une personne, Bernie, berlinois de son état, qui est embarqué dans trois longues enquêtes. 1.000 pages, c’est un peu dur certes, mais ça les vaut largement. A mettre entre toutes les mains.

Il était une fois…

L’été de cristal : 1936, Bernie, détective privé, est sollicité par un riche industriel pour retrouver ses bijoux volés (sachant que sa fille a été assassinée pendant le vol).

La pâle figure : 1938, le privé a réintégré la police criminelle, et part sur les traces d’un serial killer sur fond de crise des Sudètes.

Un requiem allemand : 1947. Entre Berlin en ruines et Vienne, entre dénazification et nécessité de recruter des éléments pour espionner russes et américains, notre héros désormais marié subit de plein fouet les débuts de la guerre froide à venir.

Critique de La Trilogie berlinoise

Petit coup de gueule pour commencer. La traduction du premier titre, certes bien trouvée, mais rien à voir avec l’original, « March violets ». Les violettes de mars, ce sont les adhésions en 1933 (après les élections) au parti nazi qui se sont accélérées. Du coup, pour prouver sa loyauté, il était bon d’avoir un numéro d’enregistrement au parti le plus faible possible. Je vous laisse imaginer les petits trafics que ça provoquait, et le livre en parle. Voilà pour les 30 secondes de culture G.

La trilogie : trois magnifiques romans où on accompagne Bernie, policier puis détective privé dans des intrigues tout à fait bien ficelées. Je vous avoue que je ne me souviens plus très bien des histoires dans leurs détails. En revanche le suspense, correct, est à chaque fois assorti de retournements qui ont lieu à tout moment, pas forcément qu’à la fin d’un tome. Plus important : au-delà de l’histoire Kerr est parvenu à rendre compte de l’ambiance de l’Allemagne hitlérienne et post nazie de manière magistrale.

Enfin, ça se lit d’autant mieux que le personnage de Bernie Gunther est savoureux à souhait. Cynique, à l’humour parfois corrosif, malgré ses métiers et les personnes qu’il amène parfois à fréquenter, le héros a un réel bon fond. Il le prouve à chaque opus, et pour le clin d’oeil au lecteur occidental il n’hésite pas à taper méchamment sur les soviétiques.

Ecriture agréable à lire, expressions de Gunther de temps en temps bien trouvées, jugez plutôt :

[…] La concierge était une pute en fin de carrière. Ses cheveux paraissaient aussi naturels qu’un défilé au pas de l’oie dans Wilhelmsrasse, et elle devait avoir une main enfouie dans un gant de boxe lorsqu’elle s’était appliqué son rouge à lèvres […]

Il faut lire ce pavé en 10 jours, voire deux semaines : au-delà, c’est que vous n’avez pas accroché et ça ne sert à rien de continuer au risque de perdre le fil du scénario.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La vie avant, et après la guerre. Le Tigre ne connaît pas le travail de documentation de Philip K., mais le résultat est là. On s’y croirait presque, toutes les étapes du Reich millénaire sont livrées intelligemment : l’excitation des JO qui vont avoir lieu et le nettoyage de la capitale que cela implique, la frénésie guerrière à coups de bluff, et enfin la gueule de bois, dix-huit mois après le conflit. Rien sur le déroulement du conflit, à part qu’on sait que Gunther, avec son matricule SS tatoué, avait oeuvré sur le front est.

Les grands hommes de l’Histoire, vus par le commun des mortels. En règle générale, le lecteur se voit offrir un aperçu convainquant des pensées et réactions des gens de cette époque trouble. Et ici pas n’importe lesquels, puisque Kerr se permet de faire intervenir quelques personnages d’envergure de cette période. Bernie Gunther garde tout son mordant face au puissants qui font certes des passages fugaces (sauf peut-être dans le dernier tome). Himmler lors d’un enterrement, Goering à une soirée mondaine pour ne citer qu’eux. La description du gros Goering, avec ses yeux de félin, son air d’halluciné sous opium (ses petites pilules) est tout simplement superbe.

Le plaisir à moindre prix. Face au succès de cette saga, les trois romans (plus de 300 pages chacun) sont sortis sous un même livre, ce qui est à saluer tant d’autres auteurs nous font l’inverse : Agotha Kristof, par exemple, ce sont trois romans de 100 pages, chacun au prix fort.

…à rapprocher de :

La mort, entre autres, du même auteur, est la suite. Si vous aimez, autant lire Une douce flamme, Hôtel Adlon ; Vert-de-gris ; Prague Fatale ; Les Ombres de Katyn ; La Dame de Zagreb accusent la même qualité globale à quelques exceptions près. La Paix des dupes se doit également d’être lu (uchronie contemplative et complète au sujet de la conférence de Téhéran) .

– Ambiance aussi sombre, des années avant, en Pologne…un polar signé Marek Krajewski : Les fantômes de Breslau.

– Un homme à peu près sain (d’esprit au moins) dans un environnement totalitaire, c’est aussi Un mort à l’hôtel Koryo, de James Church.

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Kiriko Nananan - Amours blessantesVO : Itaitashii LOVE. Kiriko Nananan. C’est son vrai nom apparemment, ne nous moquons pas : certaines marques françaises ont une signification peu glorieuse en japonais. Quant au livre, il est très joli : beaux dessins, superbe couverture jaune, lecture aisée, 120 pages. Pour ne pas gâcher cet en-tête, nous passerons sous silence le contenu certes universel, mais parfois digne d’un shojo (donc pour jeunes filles).

Il était une fois…

Une quinzaine d’histoires, certaines se suivant, d’autres reprenant après quelques interludes, toutes sous le sceau de l’amour (sens large) : des retrouvailles d’ex jusqu’au garçon entretenu par sa copine, en passant par la prostitution, Nananan offre quelques tableaux de la vie de tous les jours.

Critique d’Amours blessantes

C’est assez court, et néanmoins suffisamment profond comme Kiriko prend la peine de rester avec certains personnages. Des bribes de la vie japonaise, des jeunes exclusivement, qui tombent amoureux, perdent leur amour, se font larguer, retrouvent des amis,…plus que des fictions, le lecteur découvre des scènes forcément crédibles pour un auteur décidément dans l’air du temps.

Tout cela se lit à vitesse grand V (ça passe moins à l’écrit cette expression), mais on peut trouver le temps de s’ennuyer ferme. En effet, c’est fort gentillet, quelques passages corrects à la rigueur, mais le reste… pffffiouuu. Le Tigre ne fera plus confiance à un certain magazine (dont le nom sera tu) qui liste les grands mangas de la décennie.

Point positif (je finis parfois de la sorte) : le dessin. Du noir et blanc sobre, quasiment aucune nuance de gris, pour les cheveux hop un motif digne d’un fond de tableau power point. Les lignes sont claires, minimalistes et ne s’attachent qu’à l’essentiel. L’alternance entre les visages, dont les expressions sont bien rendues, et les paysages ou zooms sur des objets environnants (le paquet de cigarettes, une pièce à vivre), est basique mais efficace.

Un ouvrage assez léger, destiné avant tout aux femmes, et surtout aux dessinateurs en herbe qui trouveront matière à réfléchir. Vous l’avez compris, ce n’est pas la came du Tigre.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Parce que Le Tigre n’a pas grand chose à dire sur Amours Blessantes en particulier, autant parler de points culturels précis.

L’amour, encore l’amour, jusqu’à n’en plus pouvoir. Si ça peut être intéressant pour comprendre un peu mieux la culture japonaise, ne parler que de sentiments comme Nananan le fait peut vite devenir gavant. Pas d’autre terme. Mais ça fait partie de la diversité des mangas :

Premier point : dans les années 80 et 90 les manga et dessins animés tirés de ces BD japonaises étaient plutôt traitées avec mépris en France. D’une part tout ça était visible grâce aux programmes TV pour enfants (dont certains politiques étaient mécontents). D’autre part, ces animés, et d’autres mangas traduits étaient loin d’être les meilleurs produits par l’archipel. Imaginez que seuls Marc Lévy, Amélie Nothomb (parce qu’elle a vécu au Japon) et Daniel Pennac étaient traduits là bas : et bien le lecteur japonais, il devient fou (paraphrasons un peu Chirac).

Tout ça pour dire que si en France on a accès à ce qui peut se faire d’excellent, bah parfois il y a des ouvrages qui peuvent passer au travers des filets. Amours blessantes n’en fait pas partie, c’est loin d’être un navet.

Deuxième point : 120 millions d’habitants, un besoin continu de s’évader, le marché japonais est propice aux mangas, qui sont avant tout lus par des adultes. Le Tigre ne va pas vous rabâcher l’histoire du manga, ou ses genres, je me contenterai d’une remarque : au moins leurs productions sont bien classées (shonen, shojo, etc.), le lecteur peut se diriger rapidement vers ce qu’il lui plairait. Pas comme en Europe où on n’apporte pas aux BD les mêmes soins logistiques qu’aux romans (tri par polar, SF, fantasy par exemple).

Hélas, mille fois hélas, amours blessantes faisait partie des BD japonaises triées à l’européenne : honteusement mal classée dans les rayonnages d’un grand magasin, à côté d’ouvrages que je serais enclin à lire. Ordre alphabétique trompeur. Comme si, parce que vous aimez la collection folio, et en l’absence d’un ouvrage de Dan Simmons, vous vous reportez sur Balzac et la Petite Tailleuse chinoise de Dai Sijie (ou inversement). Owned.

Troisième et dernier point : « amour » est un des rares noms communs qui est masculin au singulier, et féminin au pluriel. Comme un orgue, ou un délice. Beaucoup de linguistes font beaucoup de mal à des mouches pour savoir comment on en est arrivé là. Le Tigre  n’abondera pas dans la discussion, étant déjà connu desdits drosophiles.

…à rapprocher de :

Une pièce montée, de Blandine Le Callet, sur des moments de la vie sentimentale traités à tous les niveaux.

– En bien plus sympa (et trash également), les tourments d’une partie de la population japonaise peuvent se retrouver dans Chansons populaires de l’ère Showa, de Ryu Murakami.

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Mario Vargas Llosa - Eloge de la marâtreVO : Elogio de la madrastra. Vargas Llosa faisait autrefois partie des petits plaisirs littéraires du Tigre. C’est avec le sentiment d’un devoir à accomplir qu’il convient de partager ce grand auteur sud américain. Et quoi de mieux que de commencer par un ouvrage court, chose rare chez Llosa, qui concentre une bonne partie de son talent ? Érotisme, amours interdits, femme fatale, tout est là.

Il était une fois…

Don Rigoberto est un homme comblé. Un vrai chanceux même. Il est en seconde noce avec une beauté, Lucrecia et semble pouvoir couler à jamais des jours heureux. C’est sans compter la personne de son fils (issu du premier mariage entendons-nous), Alfonsito, qui en toute innocence calculée va lever la belle-mère.

Critique d’Éloge de la marâtre

Pourquoi résumer en premier lieu un tel roman de Vargas Llosa ? Parce que c’est si court et si bien écrit que cette histoire mérite d’être rapidement lue (et relue, n’ayons pas peur de le dire).

L’incipit (soyons un peu sérieux sérieux avec les termes littéraires) met rapidement dans l’ambiance : description parfaite, crue parfois, et sans s’en rendre compte le lecteur est déjà à la moitié du roman. Puis à la fin. On peut reprocher le fin mot de l’histoire est un peu hâtif, et propose une morale facile, voire simpliste : la femme est responsable, et les liens du sang dépassent ceux de l’amour.

Mais l’histoire est peu de chose à côté de l’écriture de super mario (ça y est Le Tigre l’a placée). Blague à part, ça coule dans les mirettes tellement la prose est belle, coquine et espiègle. A l’image de l’enfant, qui au demeurant tient bien de son père. Jamais vulgaires, tout en finesse, les évènements au cours desquels la marâtre succombe peu à peu aux charmes de l’enfant constituent un tour de force de style. L’angélisme, la beauté jeune et fraîche, les attouchements pas si innocents, et puis une différence d’âge assez faible, les paliers vers l’interdit sont très bien amenés.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le contentement total, forcément fragile. Rigoberto est immensément fier de lui, et s’entretient savamment pour entretenir la flamme de son nouvel amour. Dans un roman type, si tout va bien c’est que quelque chose va plus ou moins gravement déconner, sinon l’intérêt de le lire serait limité. Ici Vargas Llosa distille le danger, jusqu’à sa révélation tardive, et offre un dénouement qui en aucun cas n’aurait pu ramener les protagonistes au statut quo ante. L’amour passion et l’amour filial, un des deux doit sauter. Voire les deux, même s’il semble que le père se voile inconsciemment la face quant au comportement de son fils.

Ce type d’histoires a déjà été traité par la littérature (cf. infra) et par le cinéma. Avec le vocabulaire du 21ème siècle, il appert (mot compliqué contrebalançant le mot vulgaire qui suivra) que Lucrecia est l’archétype de la MILF. Avant même que le terme ne devienne populaire, Vargas Llosa en a écrit les grandes lignes, c’est assez fort  : la femme magnifique, d’un âge correct et pleinement épanouie. Alfonsito ne s’y trompe pas et malgré son jeune âge profite de son statut de beau-fils.

On peut enfin rajouter ce qu’on nomme « la relation triangulaire » chère à Paul Ricoeur, en remplaçant le lien d’amitié par celui de paternité. Je vous laisse découvrir ce principe. Brièvement, Lucrecia succomberait à l’enfant par amour pour le père, comme une fille tombe amoureuse du copain de sa meilleure amie : « parce que c’était elle, parce que c’était moi » …et rien à voir avec lui, complète Le Tigre, qui lit parfois Montaigne, mais avec le même esprit que Didier Bourdon dans Les Trois Frères.

…à rapprocher de :

– Un autre éloge, un peu plus d’érotisme, tenons tous entre nos mains (ou une main au choix) Éloge des femmes mûres, de Stephen Vizinczey. Merci au petit moteur de recherche pour me rappeler l’orthographe…

– Zola, et son œuvre La Curée, évidemment. D’ailleurs une des rares de l’auteur que Le Tigre a pu finir. Plus pudique sur l’instant X.

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J. G. Ballard - SauvagerieVO : Running Wild. Ce court titre est un exemple basique du génie de Ballard : sous couvert d’une enquête, ce sont quelques travers de la société moderne qui sont exposés. La réaction explosive de certains protagonistes, bien qu’exagérée, laissera le lecteur dans un certain embarras. Premier livre à acheter pour découvrir cet Anglais si spécial.

Il était une fois…

Pangbourne Village est un « gated community » aux abords de Londres, ses résidents (une dizaine) sont aisés et ont tous réussi. Hélas tous les parents sont un beau jour trouvés assassinés, et les enfants kidnappés. Parce que le visionnage des vidéos ne donne rien, les enquêteurs font appel à un psychiatre, pour trouver ce qui a bien pu se passer. Et derrière ces crimes horribles se cache une réalité qui ne l’est pas moins.

Critique de Sauvagerie

James Graham Ballard, hélas décédé en 2009, serait un grand auteur de SF. Mais c’est surtout, selon Le Tigre, grâce à ses œuvres d’anticipation sociale qu’il a marqué son monde (à l’image d’un Chuck Palahniuk). Cette nouvelle remplit toutes les conditions du genre : bref, sec, sans concessions, horreur à tous les étages, phase final sublime et atterrante.

Sans spolier et priver le potentiel lecteur d’un plaisir bien légitime, disons qu’on peut prévoir la fin du roman à mi-chemin de celui-ci, mais cela n’ôtera en aucun cas l’intérêt de l’œuvre. On sent poindre la monstruosité des vrais responsables du carnage, et Ballard expose froidement les raisons d’une telle réaction. On en voudrait presque aux victimes pour ce qu’elles ont autrefois accompli.

Cette nouvelle, qui se lit en une bonne demi-heure, est tout simplement le syncrétisme (ouh le joli mot !) de ce que peut offrir l’anticipation sociale anglo-saxonne, en plus d’ouvrir le lecteur au génie de Ballard à moindre frais.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La vidéosurveillance à outrance. Le petit village a un ratio caméras / m2 qui ferait rougir de plaisir Guéant (et Le Tigre reste poli). Hélas ce dispositif est tant inutile pour la prévention que pour l’élucidation des crimes de ce roman. Lorsque les malfrats sont familiers des outils de protection du citoyen, les contourner comme dans ce roman reste possible, même si c’est très retors. Quoiqu’il en soit, la vision des bandes d’enregistrement est plutôt bien rendue par l’auteur, les images s’imprimant naturellement dans l’esprit du lecteur.

L’organisation millimétrée de la vie de sa progéniture. Les habitants de la petite bourgade appartiennent à la haute. « upper crust » comme on dit là bas. Les activités qu’ils préparent pour leurs rejetons sont nombreuses et de qualité : équitation, musique, tennis,… Du coup le temps libre restant est quasiment nul.

[Attention SPOIL !]. Imaginez votre enfance sans pouvoir glandouiller tranquillement de temps à autre. Ou votre vie en général. De quoi devenir passablement dingue…et avoir des envies de meurtre. Pas le même niveau que les « sauvageons » dénoncés par un certain ministre en France. [FIN SPOIL]

…à rapprocher de :

– Des meurtres, des enquêtes, une fin surprenante, les romans de ce type sont légion, néanmoins peu parviennent au même tour de force. Agatha Christie parfois, Joe R. Lansdale souvent, ou alors les longues enquêtes de Greg Mandel (premier opus ici), par Peter F. Hamilton.

– De Ballard, il y a aussi de la SF, comme sa « tétralogie des catastrophes » : Le Monde englouti, La Forêt de cristal, Sécheresse, Le Vent de nulle part.

– Petit SPOIL attention : les actes assumés et froidement préparés des vrais tueurs m’a fait penser aux terrifiants protagonistes du Village des damnés. La reprise de 1995 est assez bien réussie à ce titre. Voire Monster, le manga. En vous priant de m’excuser pour ces indices sur la fin du livre.

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Peter F. Hamilton - Misspent YouthOuvrage non (encore) disponible en français, Le Tigre qui voit passer du Hamilton qu’il ne connaît pas ne peut que le saisir. Point de grands vaisseaux, d’espèces ET ou de colonisation spatiale, juste un drame teinté de science-fiction. Autant le dire tout de suite, ça n’a ni l’envergure ni la qualité d’autres œuvres de l’auteur, même si la lecture reste plaisante.

Il était une fois...

Angleterre, 2040. L’Union européenne a mis au point un procédé de rajeunissement. C’est le créateur de l’internet du futur, Jeff Baker, qui est choisi pour le premier test. Entre sa nouvelle vie de célébrité et les relations qui se compliquent avec son fils, Tim, en pleine poussée d’hormones, c’est le destin d’un homme particulièrement important pour l’UE qui est chamboulé.

Critique de Misspent Youth

Tout d’abord je m’explique, par rapport aux nombreux livres de Peter F. Hamilton, sur le choix de celui-ci en particulier. Cet auteur c’est un visionnaire comme Le Tigre en voit rarement, et ses sagas m’ont à chaque fois transporté. Le problème c’est que la plupart du temps ce sont de longues sagas, sauf de temps en temps où on a le droit à un roman indépendant de tout univers qu’il a imaginé. Ce livre en fait partie.

En outre, pour le lecteur peu porté sur la SF, celle-ci est très limitée et on est plutôt en présence d’une anticipation sociale, quelque chose qui vient dans les 25 prochaines années plutôt que dans les prochains 250 piges. Néanmoins l’imagination débordante d’Hamilton est ici sous exploitée, même si celle-ci en satisfera plus d’un.

Sans doute le nombre de pages, 600, n’était pas nécessaire, d’autant plus qu’en Anglais c’est comme si je me coltinais 800 pages (au moins) dans ma langue natale. On met au moins une cinquantaine de pages avant d’être réellement dans le roman, et certains passages mélo dramatiques auraient pu être allègrement raccourcis. Mais cela montre la polyvalence de l’auteur qui a réussi à sortir un livre accompli qui n’a rien à envier à nos auteurs franchouillards (et parfois passablement ennuyeux).

En effet, Jeff rajeuni redécouvre les plaisirs de la vie, ce qui n’est pas sans poser de problèmes : quid de son mariage sans consommation avec une jeune bombe, de la petite amie de son fils qui lui plaît bien, des relations avec son fils qu’il égale en âge ? Les réponses ne sont pas évidentes, et Hamilton plonge un peu dans la facilité sur la fin du roman en offrant une batterie de bons sentiments bien sucrés.

C’est surtout les thèmes développés qui ont une portée assez grande, et dans cet opus la politique de 2040 est bien rendue. Rien que pour ça ce livre doit être lu, apportant de manière créative une vision de l’avenir de la technologie, et de l’Europe en particulier.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La jeunesse éternelle, grand fantasme humain, est ici à portée de certains. La réalisation technologique, à savoir « rebooter » le génome de l’heureux cobaye, est finement trouvée. Le choix de cette personne est également bien imaginé : on commence par un Anglais, grand inventeur il fut un temps, pour émousser l’euroscepticisme d’Albion. Puis un Allemand pour ménager les susceptibilités des puissances de l’UE.

A ce titre on a une idée de la voie prise dans le futur par une partie de l’humanité. Au lieu de promouvoir les naissances, on préfère rajeunir. Sans penser aux conséquences sur la démographie, sur les esprits et l’économie en général. Peut être la réussite (car dans le roman on est loin du succès) à terme du programme sera la raison de la colonisation de l’espace, prélude aux autres romans de l’auteur.

L’Union européenne reçoit dans ce livre un destin crédible et constitue matière à réflexion sur le devenir du vieux continent. Hamilton nous présente l’UE comme une fédération avec un gouvernement central fort. En réaction, des groupes d’indépendance (notamment anglais) fleurissement de partout. Taxés comme terroristes, ces mouvements n’ont rien à envier à certains mouvements corses ou basques adeptes du semtex. Le fils du protagoniste principal, d’ailleurs, est eurosceptique à souhait et profite de la célébrité de son père pour le faire savoir.

…à rapprocher de :

– Hamilton, c’est surtout sa saga L’Aube de la nuit, La Saga du Commowealth (qui commence par L’étoile de Pandore ou La Trilogie du Vide. Voire La Grande Route du Nord (tome 1 et tome 2 sur le blog), un tantinet décevant.

– L’autre « one shot » d’Hamilton, bien plus grandiose, qu’est Dragon déchu.

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Yasunari Kawabata - Les belles endormiesVO : Nemureru bijo. Un petit bijou. Le Tigre a lu ce roman il y a fort longtemps, et pourtant le souvenir est encore vivace. Ouvrage de référence de la littérature japonaise, le lecteur sera aux prises avec un sujet qu’il peut ne pas aimer, voire le dégoûter, néanmoins il s’agit d’un condensé de poésie où quelques sens seront mobilisés : le toucher et l’odorat, sur fond de délicieux souvenirs.

Il était une fois…

Un vieil homme, Eguchi, fréquente une maison particulière : il paye pour être aux côtés de jeunes femmes nues endormies par de puissants narcotiques. Ces quelques séances sont l’occasion pour lui de faire une rétrospective sur les femmes qu’il a connues.

Critique des Belles endormies

Premier roman de Kawabata que j’ai lu, et le résumé le plus bref à dire est le suivant : un chef d’œuvre d’une simplicité désarmante. N’importe quel lecteur qui souhaiterait se faire une petite cure du Nobel 68 doit impérativement commencer par ce texte.

Le phrasé est sobre, et pourtant Kawabata parvient à envoûter le lecteur par ses descriptions : mêlant jeunes femmes dans les bras de morphée, paysages fleuris et souvenirs de romances passées, on n’a jamais été aussi près de la poésie. L’odeur, les parfums sont omniprésents, suaves rappels du passé éminemment actif du protagoniste.

A cela il convient d’ajouter un sentiment prégnant de gêne, lorsque la situation du vieil homme est exposée. Certes il ne peut toucher les belles endormies, qui ne garderont aucun souvenir, mais c’est une pratique assez choquante qui est racontée par l’auteur. A ce titre le lecteur qui serait dégoûté devra se rappeler que c’est un roman asiatique, avec des codes et une morale qui peuvent dévier de ce qui serait admis en Occident, et qu’il n’y a rien dans cette œuvre faisant l’apologie de telles pratiques. Le Tigre ne sait même pas d’ailleurs si une telle offre (qui a un certain degré de prostitution) existe dans ces contrées.

Pour une centaine de pages il serait vraiment dommage de faire l’impasse sur ce roman, voire cette lecture est obligatoire (n’ayons pas peur des mots) pour le lecteur porté sur l’Asie.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le contraste entre vieillesse et jeunesse, et l’irrésistible attirance de la première sur l’autre. Eguchi, c’est triste, semble avoir besoin de ces nuits très spéciales pour raviver les souvenirs de sa jeunesse. Peut-être trop feignant pour faire le travail seul, c’est en se mettant « en situation » (sans bien sûr consommer) qu’il arrive sans problèmes à restituer au lecteur ces sensuels moments. On n’est pas loin d’une certaine forme de « vampirisme », où l’homme malade tire auprès de jeunes corps abandonnés la force nécessaire pour revivre. En outre, n’est-il pas du rôle d’un vrai vampire de faire attention à ce que l’objet de sa renaissance soit préservé, voire protégé ?

Cet ouvrage éclaire sur quelques aspects de la civilisation japonaise : ici un vieil homme a recours, pour se remémorer le faste d’antan, à des moyens que la loi réprouve. Mais Kawabata évite tout écrit glauque ou malsain. Tout n’est que tact, pudeur et symbolisme (exemple des fleurs et des filles partageant sa couche). Si l’homme européen moyen y voit une énième preuve de la propension nippone à la représentation « sur sexuée » des jeunes femmes, force est d’admettre que c’est ici développé de manière délicate.

Le sens des convenances propre à l’extrême orient voit dans ce court roman quelques applications pratiques : ne pas chercher à réveiller les jeunes femmes, ne pas les toucher avec insistance, encore moins les marquer, et surtout ne pas leur parler si, par hasard, le vieillard les aperçoit dans la rue. Des leçons basiques de savoir vivre qui peuvent être de temps en temps perçues comme contrastant avec l’activité à laquelle se livrent les clients de la maison.

…à rapprocher de :

– Preuve que c’est mainstream comme classique, il en est même brièvement dans un film érotique avec la pétillante Clara Morgane. On a les références qu’on peut.

– Quelques autres œuvres de Kawabata, commentées par Le Tigre, permettront de parfaire son opinion sur l’auteur. Juste pour comprendre pourquoi on lui décerné le prix Nobel (et pas à Mishima). Le Lac (bof), La Danseuse d’Izu (mieux), Tristesse et Beauté, etc.

– Le Tigre va peut-être loin, mais le vieil Eguchi semble vouloir retrouver sa jeunesse d’antan. Que se passerait-il dans un monde où cela serait possible ? Réponse dans Misspent Youth, de Peter F. Hamiton. Attention c’est de la SF.

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Masasumi Kakizaki - HideoutVO : idem. Les récents mangas de qualité et courts (idéalement en « one shot ») sont assez rares. Kakizaki a tenté avec un beau petit pavé de 200 pages, et a plutôt bien réussi son coup : noir à souhait, varié, souvent prévisible hélas, il n’empêche que pour un format de poche il n’y a pas de quoi crier au scandale. Investissement rentable donc, mais à ne pas mettre dans toutes les mains (en particulier les plus jeunes).

Il était une fois…

Un jeune couple avait de quoi être heureux. Ayant un petit garçon, le père est écrivain sur une pente ascendante, la femme est à peu près heureuse. Hélas des difficultés apparaissent, jusqu’au drame par excellence. A partir de là le couple vacille, et pour le mari profondément atteint il n’y a pas d’autres options que de tuer sa femme…

Critique de Hideout

Un sujet rarement traité, hélas l’ensemble du roman reste assez décevant. Le Tigre parle bien ici de roman : couverture, nombre de pages, qualité de la narration et du dessin, tout concourt à avoir l’impression de tenir en main plus qu’un manga. Mais l’histoire reste un peu prévisible, surtout la fin qui laisse un peu sur sa faim.

L’histoire est simple, à savoir un homme qui vient progressivement dingue de douleur. L’introduction du scénario, sous forme de pseudo journal intime de la part du fou en devenir, est bien pensée et la présence de nombreux flashbacks constituant la trame reste correctement gérée.

Ouvrage typique du manga sombre et glauque, ce sera une petite pépite pour certains, un énième ouvrage d’épouvante pour d’autres (qui en ont déjà vu).

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Le désespoir sous toutes ses formes. C’est la descente aux enfers d’un homme, d’une famille qui est montrée : monde professionnel, personnel, tout part en sucette et se brise sans espoir de rémission. Ambiance très noire, l’auteur ici rajoute quelques couches : la belle famille du mari qui le rejette, la femme qui le méprise, le tournant psychotique progressif du narrateur arrive tout naturellement.

Hideout renoue avec le roman d’épouvante, ce qui n’est pas aisé pour un illustré nippon (dixit Mr. Manatane). Pour l’auteur qui veut faire trembler son monde, il convient de mettre en valeur des peurs que je qualifierai de « primaires » : peur du noir, peur de la difformité (si si, imaginez un enfant avec des yeux globuleux et un sourire édenté béat). Suggérer au lieu de montrer tout immédiatement, monter progressivement en puissance, c’est un art qu’on peut dire noble. Kakizaki, avec un dessin en noir et blanc en bonne harmonie avec un texte assez sobre, se permet même de rajouter une peur : celle de tout père de voir son enfant en bas âge partir avant lui.

…à rapprocher de :

– Dans l’épouvante avec en sus une telle perte, on n’est pas loin de Simetierre, de Stephen King.

– Les personnages et leur représentation dans cette œuvre (notamment la femme qui devient assez difficile à vivre) ne sont pas sans rappeler Monster, série de 18 mangas.

– Du très sombre et dérangeant, mais en VF, il y a Baron samedi, de Dog Baker. Un must.

Pour finir, si votre librairie est fermée, vous pouvez trouver ce manga sur Amazon ici.

Brugeas & Toulhoat - New York 1947Dans la lignée d’un excellent Block 109, revenons dans le monde de l’uchronie relative à la WWII. Cette BD au format classique se lit rapidement, trop sans doute. C’est sur ce qui reste du front américain que le conflit est décrit, et bien que très correcte le lecteur sera forcément déçu par rapport au premier opus, réellement novateur. Vive le copier-coller par rapport aux deux autres BD par ailleurs…

Il était une fois…

1947, L’opération Extraction peut débuter dans ce qui reste de la capitale économique américaine. Une escouade est lâchée sur place pour relever les effets d’un virus déposé auparavant (une bombe A ayant tout d’abord nettoyé le site) et récupérer un item dans un coffre fort. Bien entendu rien ne se passe comme prévu, les hommes envoyés n’étant pas au bout de leur surprise.

Critique de New York 1947

Pas mal du tout comme épisode. Très nerveux, histoire assez intéressante et final très joli. Du moins touchant. En plus, le lecteur récupère quelques clefs pour lire l’opus principal Block 109 (roman graphique ici, car plus long et mieux travaillé) : les raisons de la maladie sur le front est, et surtout quelques bribes du passé du nouveau boss du Reich millénaire.

Le scénario est plus orienté sur l’action et certaines idées sont excellentes, par exemple nous présenter les protagonistes avec un vignette et un nom inscrit (un peu dans le style d’Oz, la série pénitentiaire). En outre, le lecteur lit un ouvrage entouré de mystères, avec le facteur « inconnue » que constitue le virus.

Bien sûr Le Tigre a quelques griefs à formuler, hélas toujours les mêmes : la BD est encore très courte (pas autant qu’Étoile rouge certes), pour plus de 10 euros ça fait beaucoup. Corollaire de la brièveté de l’histoire, les auteurs n’ont pas le temps de rendre les protagonistes suffisamment profonds pour qu’on puisse s’y attacher.

Bref, tout ça se lit d’une traite et aborde bien ce qui reste des États Unis. Le dessin progresse bien par rapport aux opus précédents, l’architecture du New York détruit est convaincante et les jeux de lumière (ici c’est plutôt sombre) sont de mieux en mieux.

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

Les manipulations biologiques. Ici la création d’un terrible virus, bien que ses effets soient fantaisistes par certains côtés, est plutôt bien rendue. Le process d’étude d’un virus, à savoir le répandre sur une île (ici Manhattan), laisser mijoter puis envoyer une équipe de spécialistes dans leurs domaines, c’est fort bien pensé. Loin de toute démarche scientifique, ça laisse de la place pour l’action. Un mini resident evil en somme.

La survie en territoire très hostile : survie pour les quelques rescapés non touchés par le virus dans NYC, mais surtout survie de l’escouade qui ne sait pas vraiment dans quoi celle-ci s’engage. Fébrilité des individus, qui peuvent potentiellement être contaminés, leurs réactions s’émoussent à mesure que le temps passe. Nervosité, paranoïa, le lecteur est vite plongé dans l’ambiance.

…à rapprocher de :

– Les autres épisodes de la novatrice série Block 109 sont : Étoile rouge (mon préféré), Opération soleil de plomb (correct), Ritter Germania (mouais).

– Ces deux auteurs ont publié une autre série nommée Chaos Team. Z’ont du beau talent, tome 1.1 (sans plus), tome 1.2 (aaaah, mieux) et tome 2.1 (très correct).

– NYC ravagée, NYC humiliée, mais NYC…libérée (ou pas cette fois-ci). La grande pomme sous un jour nouveau et apocalyptique, découvrons ensemble la série de bande dessinée DMZ.

Enfin, si vous n’avez pas de « librairie à BD » à proximité, vous pouvez trouver ce titre en ligne  ici.

Brugeas & Toulhoat - Opération soleil de plombDans la lignée d’un excellent Block 109, poursuivons les aventures dans le monde de l’uchronie relative à la world war two. Cette BD au format classique se lit rapidement, trop sans doute. C’est sur le front africain que le conflit est décrit, et bien que très correcte le lecteur sera forcément déçu par rapport au premier opus, réellement novateur.

Il était une fois…

Automne 1946. Parce qu’une usine nucléaire allemande a été détruite en Norvège, le Reich lorgne les mines d’uranium / coltan du Congo belge. La SS et quelques prisonniers gratinés y sont envoyés contre un certain Leclerc, à la tête de la résistance locale. But de la SS : l’exterminer.

Critique d’Opération soleil de plomb

A nouveau, la description d’un grand théâtre d’opération de la géniale uchronie de Brugeas. Après le grand froid, le très chaud de l’Afrique. Le Tigre a un peu moins aimé qu’Étoile Rouge : toujours d’indétrônables frenchies certes, mais moins d’envergure que d’habitude.

Après l’URSS, on a parfois l’impression que les auteurs pressent le scénario jusqu’à la dernière goutte. Or cet épisode reste très correct, et montre que dans un environnement plus luxuriant le dessin reste de qualité : pluies diluviennes, hommes traumatisés au regard hébété, machines de guerre achroniques dans cet environnement miséreux, c’est suffisamment bien dessiné pour que le lecteur se croit sur place.

En outre, on nous présente un petit côté tiers-mondiste, voire « africa powa » bienvenu et sympathique. Les guides locaux des SS ne sont pas dupes, et parviennent à tirer leurs épingles du jeu. Quant aux Allemands, imaginez juste de dangereux repris de justice qui se retrouvent, arme à la main, avec pour ordre débusquer l’ennemi, dans un environnement inconnu et propre à toute « fiévreuse folie ».

Thèmes abordés (du moins selon Le Tigre)

La conquête d’un territoire hostile, la colonisation et le travail que cela représente. L’immensité du territoire est bien rendue, la tâche des assaillants SS est quasiment impossible à réaliser. Même avec du gros matos, le belligérant est obligé de faire appel à des autochtones, avec les risques (manque de loyauté surtout) que ça représente. A méditer concernant nos conflits modernes, où se pointer la bouche en cœur avec toute la technologie la plus en pointe est hélas insuffisant.

Suite logique d’une telle entreprise, l’implacable guérilla. Cette œuvre n’est pas sans rappeler la guerre du Vietnam. Et pose la question de la manière de remporter une telle configuration de conflits. Faut-il envoyer une armée régulière, « USA style », ou faire confiance à des psychopathes dont on ne peut avoir totalement confiance ? Le Reich opte clairement pour la seconde option, et les conflits, surtout en période de stress intense, sont extrêmement délicats à résoudre. Quitte à tomber dans la mutinerie.

…à rapprocher de :

– Les autres épisodes du roman graphique d’origine (Block 109, en lien) sont : Étoile rouge (mon préféré), New York 1947 (chouette), Ritter Germania (mouais).

– Ces deux auteurs ont publié une autre série nommée Chaos Team. Z’ont du beau talent, tome 1.1 (sans plus), tome 1.2 (aaaah, mieux) et tome 2.1 (très correct).

– Le film Apocalypse Now, rien que pour certains visuels (notamment les hélicos).

Enfin, si vous n’avez pas de « librairie à BD » à proximité, vous pouvez trouver ce titre en ligne ici.